CHARLEMAGNE

TOME SECOND. — PÉRIODE D'ORGANISATION

 

CHAPITRE VIII. — DERNIÈRE PÉRIODE DES CAPITULAIRES.

 

 

Les capitulaires législatifs. — Personnalité des lois barbares, franques, saliques, ripuaires, lombardes, visigothes, romaines. — Capitulaire additionnel aux lois salique et ripuaire. — Système des compositions. — État des personnes, des propriétés. — Analyse de la Polyptyque de l'abbé Irminon. — Juridiction des comtes, des évêques. — Plaids des échevins et des centeniers. — Capitulaires sur le service militaire. — Forme des requêtes à l'empereur. — Réponses. — Similitude et différence entre les synodes et les plaids. — Caractère général de la législation de Charlemagne.

800-814.

 

Les capitulaires de Charlemagne ne viennent pas tous du même principe, et n'ont pas également la même destination ; les uns, purement domestiques, n'embrassent que l'administration des domaines royaux ; ils se rattachent à l'ordre, à l'économie des palais, des fermes, des colonies qui composent les principaux revenus du prince[1] ; d'autres, empreints d'une origine ecclésiastique, ne sont que des conciles nationaux délibérés par les évêques, et qui empruntent leur esprit aux principes généraux de l'église[2] ; enfin, la plupart des capitulaires sont plus spécialement destinés à régler la loi civile, c'est-à-dire l'état des personnes, leudes, hommes d'armes, colons ou serfs ; puis à fixer le caractère de la propriété, alleu, bénéfice, domaine ; ils deviennent ainsi comme les compléments des codes de chaque nationalité barbare.

Le caractère le plus saillant de chacune de ces nationalités était de se gouverner par ses propres lois ; rien ne rattachait les personnes au sol, la coutume n'était pas territoriale ; les peuplades, courant d'un lieu à un autre, emportaient avec elles-mêmes leurs lois, comme les anciens les autels de leur dieu. Le vaste empire de Charlemagne embrassait des peuples divers, et chacun avait ses coutumes écrites : les Lombards avaient leurs luis particulières délibérées aux assemblées de Pavie ou de Milan ; les Romains avaient les codes Théodosien et Justinien ; les deux grandes branches de la génération franque, les Saliens et les Ripuaires, avaient leurs lois personnelles ; les Bavarois, les Saxons invoquaient aussi une législation spéciale, de manière que chacun était gouverné selon son code et sa coutume. La législation était pour ainsi dire au choix ; un homme libre pouvait se déclarer sujet de tel code, soumis à la loi qui lui convenait le mieux ; la personnalité la plus absorbante dominait ainsi les peuples. Franc, Allemand, Gaulois, Lombard, Romain, leude ou clerc pouvaient dire : Cette loi est la mienne, je m'y soumets et n'en veux pas d'autre[3].

Le génie de Charlemagne était trop supérieur et par conséquent trop absolu pour ne pas avoir essayé d'établir une sorte d'uniformité dans la législation, et tel est le but que se proposent quelques-uns des capitulaires ; leurs prescriptions, empreintes d'un caractère d'universalité, s'appliquent à tous les sujets de l'empire sans distinction d'origine. Mais dans l'état de morcellement des peuples barbares, fiers de leurs coutumes, c'était un travail d'Hercule que de nouer dans un même tissu et de coordonner tant de coutumes diverses et de codes à part ; si donc les capitulaires eurent pour pensée l'uniformité, Charlemagne dut souvent respecter les codes de chaque nationalité[4]. Rien ne le constate mieux que les deux capitulaires qu'il promulgue comme des additions aux lois salique et ripuaire ; ils portent la date de la troisième année du règne de l'empereur, c'est-à-dire l'an 805 ; ils sont donnés au palais de Francfort, résidence toute germanique, et portent spécialement sur la composition[5], base et principe d'expiation pour toute criminalité. Ici commencent les capitulaires que notre seigneur l'empereur Charles a ordonné qu'on ajoutât à la loi salique, l'an de N.-S. Jésus-Christ 805, la troisième année de son avènement à l'empire. Celui qui aura tué un sous-diacre paiera 500 sous ; pour un diacre, on en donnera 400 ; pour un prêtre, 600 ; pour un évêque, 900 ; pour un moine, 400. Si quelqu'un a commis quelque dommage dans un lieu saint, qu'il soit condamné à payer 90 sous ; si après avoir commis le crime il se réfugie dans un lieu d'asile, que le comte le fasse redemander à l'évêque, à l'abbé ou à celui qui gouverne en leur place. Si celui-ci refuse de le rendre, il sera condamné à payer 15 sous ; s'il se refuse encore à une seconde demande, il sera condamné à 20 sous ; à la troisième réquisition, il sera condamné à payer la somme totale à laquelle a été condamné le coupable qu'il retient auprès de lui. Et que le comte ait le pouvoir de le faire rechercher dans le lieu d'asile, partout où il croira pouvoir le trouver. Si, à la première demande qu'aura faite le comte, on lui a répondu qu'à la vérité le coupable s'est bien réfugié dans ce lieu, mais qu'il s'en est enfui ensuite, qu'alors celui qui tient la place de l'évêque ou de l'abbé fasse le serment qu'il n'a nullement favorisé sa fuite pour empêcher la justice d'avoir son cours, et satisfasse ainsi à la loi[6]. Si, au contraire, lorsque le comte se présentera pour entrer dans le lieu d'asile, une troupe de gens rassemblés tente de s'y opposer, que le comte en avertisse le roi ou le prince devant qui l'affaire sera jugée ; et qu'alors si celui qui a commis le crime a été condamné à une amende de 600 sous, que ceux qui se sont opposés au comte soient condamnés, eux aussi, à 600 sous. Si quelqu'un se réfugie dans une église, qu'il reste en sûreté sous son porche, sans qu'il ait même besoin d'entrer dans l'intérieur, et que personne n'essaye de l'en tirer par force ; mais que des hommes probes tâchent de lui faire avouer sa faute et l'amènent au plaid public.

Ces dispositions ne s'écartent point, comme on le voit, du principe fondamental de la loi salique qui évalue la vie au prix d'argent ; tout crime se rachète par composition, tout asile est inviolable, c'est son principe ; seulement Charlemagne cherche à mettre en harmonie ce grand privilège de la loi salique avec la police générale de l'empire, et c'est pour cela qu'il ne permet pas la composition pour le crime d'une nature trop odieuse[7] : Si quelqu'un, craignant de tomber en esclavage, tue son père, sa mère, sa tante, son oncle, son beau-père, ou tel autre de ses parents par lesquels il soupçonnera pouvoir être réduit à l'esclavage, qu'il meure et que ses enfants et sa famille soient esclaves ; s'il nie le fait, qu'il soit soumis au jugement de Dieu par le fer chaud[8]. Celui qui voudra faire donation de ses biens à une maison de Dieu pour le salut de son âme devra le faire devant de bons témoins. Que les donations que l'on a faites en partant contre l'ennemi soient valables. Mais s'il est quelqu'un qui ait fait donation de ses biens en partant contre l'ennemi, et qu'à son retour il trouve mort celui auquel il les a donnés, qu'il puisse recouvrer ses biens en faisant comparaître les témoins devant lesquels la donation a été faite[9]. Si c'est au contraire le donataire qui meurt, que ses héritiers légitimes prennent possession de ses biens. Si quelqu'un a reçu légitimement de son maitre une chartre d'émancipation, qu'il soit libre ; si quelqu'un e essayé de l'asservir de nouveau, et que montrant sa chartre il prouve qu'on a voulu l'asservir, que celui qui aura fait cette tentative soit condamné à payer la somme indiquée dans cette même chartre. S'il ne peut montrer sa chartre, par la raison que celui qui a tenté de l'asservir l'a déchirée, que ce dernier soit condamné au wergeld[10], dont il donnera deux parts au roi et la troisième à celui qu'il aura tenté d'asservir ; il redeviendra libre de par la volonté du roi. Celui qui pour dette aura consenti à ce qu'un homme libre se mette en gage auprès de lui sera obligé, si cet homme vient à commettre quelque dégât, à payer ce dégât, ou à perdre ce qui lui est dû en renvoyant le coupable devant le grand plaid. Le coupable sera puni à moins qu'il n'ait une femme libre, car alors ils resteraient tous deux libres tant qu'ils seraient en gage, et jusqu'à ce qu'ils aient des enfants. Toutes les compositions qui doivent être payées au trésor du roi le seront en sous de douze deniers, excepté celles qui sont stipulées par la loi salique, et qui seront payées comme toutes les autres. Si quelqu'un en appelle d'un jugement au grand plaid, et que là il soit prouvé qu'il a tort, il paiera quinze sous[11], ou recevra quinze coups de la main des échevins qui auront rendu le premier jugement. Que les témoins soient choisis parmi les meilleurs des villes et des bourgs, et que ceux contre lesquels ils rendent témoignage ne puissent les accuser d'aucun crime.

Dans ces additions à la loi salique, Charlemagne se pénètre de l'esprit général des codes barbares ; il les respecte dans leurs principes généraux, la composition, l'asile et la juridiction ; seulement il cherche à les soumettre à certaines restrictions de police, à des règles qui n'en permettent plus tous les abus. Le même esprit préside à ses additions à la loi ripuaire, second code des Francs[12] : Si un homme libre porte un coup à un homme libre, qu'il soit condamné à quinze sous. Pour un homme du roi, c'est-à-dire fiscal et ecclésiastique, pour un leude tué, on paiera cent sous[13]. Si un homme libre ne peut payer une dette, et n'a point de répondant, il se donnera lui-même en gage à celui dont il est débiteur jusqu'à ce qu'il soit acquitté ; ou qu'il paye six cents sous, ou qu'il prononce le serment et avec lui douze témoins. Mais si celui qui lui a intenté le procès ne veut pas recevoir les serments des douze hommes, qu'il lutte contre lui avec la croix, l'écu ou le bâton[14]. Que personne ne laisse évader celui de ses serfs qui aura fait du tort à quelqu'un ; qu'il réponde pour lui du dommage qu'il a fait, ou qu'il le livre à l'offensé pour qu'il en soit puni. Si pourtant le serf, après avoir commis le délit, s'est enfui, et que son maitre ne puisse le retrouver, que ce dernier se disculpe par serment et atteste que c'est contre sa volonté que son serf s'est rendu coupable. Si quelqu'un ayant été appelé au grand plaid n'y est point venu et n'a pas été retenu par quelque bonne raison, qu'il soit condamné à donner quinze sous ; il subira la même peine à la seconde et à la troisième fois. A la quatrième, que ses biens soient mis au ban jusqu'à ce qu'il se soit présenté et que la justice ait fait son cours. S'il ne s'est pas présenté dans l'année, on en avertira le roi qui statuera sur ce que l'on doit faire de ses biens ; si cet homme n'a point de biens lui appartenant en propre, mais seulement en bénéfice, on mettra au ban ce bénéfice, jusqu'à ce que le roi ait donné son avis. Si celui qui porte plainte se présente et ne veut point recevoir la chose séquestrée, il doit combattre son adversaire. Un homme qui n'a point d'enfants, et qui veut en instituer un autre son héritier, doit le faire devant le roi, le comte, les échevins ou les missi qui se trouvent en ce moment dans la province. Le droit d'hérédité ne sera acquis à la famille d'un colon affranchi denarial[15], que lorsqu'elle sera parvenue à sa troisième génération. Il en est de même pour tout homme libéré par une chartre. Que tout serment se fasse dans une église ou sur des reliques, et que sept hommes choisis, ou douze s'il le faut, fassent en même temps le même serment[16]. Par ce moyen Dieu et les saints, sur les reliques desquels on fait le serment, aideront celui qui jurera. Si une chose séquestrée vient à être volée, celui sur qui elle aura été séquestrée peut s'excuser de ce vol par serment, ou rendre simplement la chose, sans qu'il lui en arrive de mal.

Dans ces articles additionnels aux deux grandes branches de la législation franque, Charlemagne respecte le principe général de la composition, base de toutes les lois barbares, toujours réglées sur l'état des personnes et sur leur qualité. La composition constitue la hiérarchie ; l'empereur y mêle quelques dispositions empruntées aux lois romaines et aux coutumes germaniques ; il y introduit la peine de mort pour les cas odieux, l'esclavage pour le meurtre de famille, souvenir de la loi Julia[17] ; il maintient le droit d'asile, même sous le porche des églises, par respect des droits canoniques ; il admet le serment, le combat singulier, les épreuves par les éléments. L'esprit des anciennes lois ne change pas ; tout puissant qu'il est, il n'en a pas la force ; il subit les coutumes établies ; seulement il cherche à les ployer pour les mettre en rapport avec la législation générale de son empire ; il ne veut pas que ces lois particulières en troublent l'harmonie. L'état des personnes et des propriétés varie peu sous Charlemagne ; les dynasties peuvent changer ; mais ce qui tient à la famille et au sol se perpétue ; l'état des personnes résulte toujours de la composition ; la somme la plus forte indique le rang ; le meurtre n'est pas puni par la mort ; la composition varie en raison de l'homme qui est frappé, leude, évêque, clerc, moine, Franc, Gaulois ou Romain.

La féodalité régulière avec sa hiérarchie n'existe point absolue pour la terre ; mais il y a déjà des Francs qui se recommandent pour les alleux et les bénéfices, puis des colons, des serfs et des hommes libres. Ces qualités diverses se révèlent dans les chartres, dans les documents contemporains, et le plus remarquable de tous pour bien connaître l'état des personnes et des propriétés sous l'époque carlovingienne, c'est la Polyptyque de l'abbé Irminon, c'est-à-dire le livre antique des cens de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés[18], un des opulents monastères de l'époque carlovingienne. Saint-Germain avait beaucoup acquis, beaucoup reçu des rois, des comtes, des pieuses femmes ; ses terres étaient immenses, bien cultivées et verdoyantes[19] ; les moines s'adonnaient surtout à l'arrosement des prés qui environnaient les tours de l'abbaye, d'où son nom de pratensis, aussi ancien que la première race. Saint-Germain possédait vingt-cinq grandes fermes, désignées sous le mot latin de breve, réunies toutes autour du monastère, ou bien çà et là dispersées du Rhin à la mer. Quand la réputation d'une abbaye était grande, quand la châsse de ses martyrs resplendissait d'ex-voto, l'abbaye recevait beaucoup, les dons des fidèles l'accablaient. Les vingt-cinq menses de l'abbaye étaient habitées par des colons, libres ou serfs, soumis à des redevances si douces, qu'elles étaient pour eux comme un acte de vasselage, plutôt qu'un paiement d'impôt onéreux. Voici quelques fragments du grand censier de l'abbaye ; les vieux âges vont apparaître ici avec la famille, le sol, la propriété, ce qui constitue enfin la société entière. Remarquez que c'est un livre du VIIIe ou IXe siècle ! Godebolde, colon de Saint-Germain, a deux enfants, ainsi nommés Godelhilde et Amaltrude ; il tient une mense ingénue, et doit par année deux muids de vin, trois poules et quinze œufs[20]. Walate, colon, et sa femme, colonne, du nom de Framengilde, et leurs deux enfants, ont aussi une mense ingénue ; ils doivent deux muids de vin, trois poules et quinze œufs. Voulez-vous savoir la condition de l'esclave ? Eurebolde, serf de Saint-Germain, qui tient une terre labourable, doit chaque semaine un poulet et cinq œufs. Siclebolde, servante, qui a cinq bunuaria de terre et un aripenne de vigne, doit quatre mesures de froment. Adremare, lide de Saint-Germain, qui tient un binaire de terre labourable, un aripenne de vigne et un et demi de pré, doit payer deux mesures.

La plus curieuse des indications données par le livre des cens de Saint-Germain est relative à la grande ferme de Palaiseau, une des plus belles dépendances de l'abbaye[21] ; Palaiseau, consacré sous l'invocation de saint Martin, possédait un manoir dominical ou seigneurial[22] avec une vaste maison et toutes ses dépendances. Cette ferme se divisait en six cultures d'une étendue de 287 binaires, on pouvait y semer 1.500 muids de froment ; il y avait 127 aripennes — d'où est venu arpent — de vignes qui pouvaient donner 800 muids de vin ; 400 aripennes de prés où l'on pouvait recueillir 150 charrettes de foin ; des forêts assez vastes pour nourrir 100 porcs ; 5 moulins à farine dont le cens pouvait s'élever à 154 mesures ; il y avait une église bien construite, six auberges. Dans cette vaste colonie, les hommes de l'abbaye étaient nombreux, astreints à un régime bien doux, à une vassalité facile, ainsi que le constate le cens de Palaiseau. Walafrède, colon, et sa femme Eudimie, ayant deux enfants, tenaient deux menses ingénues ; ces menses devaient en redevance 1 bœuf, 4 deniers, 2 muids de vin, 1 brebis avec son agneau ; chaque hiver ils étaient obligés de cultiver quatre mesures de terre, d'acquitter la corvée[23], le charriement pour les chemins, et puis ils devaient donner à l'abbé 5 poulets et 15 œufs. Riulfe, serf, et sa femme, colonne, du nom d'Hildenibe, ayant avec eux deux enfants, doivent payer pour leur mense 1 muid de vin. x Ainsi étaient fixées les redevances. En tout, il y avait à Palaiseau 108 menses ingénues payant 240 muids de vin, 55 sous d'argent, 550 poulets, 1.750 œufs ; puis 117 serfs cultivant la terre et soumis à un régime aussi doux, aussi protecteur que les colons ingénus[24].

Un grand ordre préside à l'organisation de toutes ces fermes abbatiales, et la Polyptyque d'Irminon offre un modèle de précision et de régularité comptable : tout y est indiqué avec une exactitude minutieuse ; chaque œuf est noté dans la redevance, chaque poulet compté ; le soin domestique de l'église rappelle le capitulaire si vaste, si détaillé de Charlemagne sur l'administration des menses royales. A cette époque, c'était le plus clair revenu du domaine, et il n'est pas étonnant que les cartulaires royaux ou abbatiaux s'en occupent si spécialement ; pour eux, c'est le livre du trésor. Dans le fragment curieux intitulé : Bref specimen des choses du fisc du roi Charlemagne[25], on trouve encore un document qui constate avec quel soin était enregistré tout ce qui tient au domaine. tes missi dominici avaient cette surveillance dans leurs voyages administratifs : durant une visite qu'ils firent dans l'abbaye de Stephanswert, sur la Meuse, les missi dominici rédigèrent minutieusement un exact inventaire de ce qu'ils avaient vu dans l'église et dans la mense royale : Nous avons trouvé, disent-ils, un autel d'or et d'argent, un reliquaire doré, orné de pierreries et de cristaux, une petite croix avec des lames d'argent, d'autres croix encore, des couronnes, des pommes de cristal et deux calices d'argent. Toutes ces richesses étaient évaluées, pesées par les missi dominici afin que rien ne fût distrait ; la bibliothèque également était inventoriée volume par volume[26], avec les habits, les vêtements, Puis les missi allaient aux fermes, dénombrant les agneaux, les brebis, les bœufs, calculant les redevances avec une fiscalité attentive et minutieuse ; si quelques discussions s'élevaient sur la nature et le droit de la propriété, alors on faisait de grandes enquêtes sur l'origine du droit, on interrogeait les anciens des localités[27]. Voici, dit une de ces enquêtes, ce que les hommes du lieu ont dit : Béjol, l'un d'eux, s'exprima de cette manière : — Certes je ne sais, et j'ai bonne mémoire, il y vingt-cinq ans et plus que les hommes de cette case cueillaient les olives pour faire de l'huile, et ils devaient payer par année une botte de foin. Léon, homme vieux, rendit le même témoignage sur la coutume de cueillir les olives et de payer les redevances ; cela se faisait ainsi de toute éternité. Et c'est d'après ces enquêtes que les missi dominici prononçaient sur les droits du fisc et des particuliers ; la voix publique, le témoignage des vieillards étaient les titres des usages et des propriétés.

Il résulte donc de ces vieux documents de l'histoire que la plupart des cens ou des revenus de la propriété se payaient en nature, par muids de vin, mesures de froment[28], quelques poulets dans les grandes solennités, des œufs, des poissons du vivier, et avec cela quelques sous ou deniers annuellement acquittés par le colon. Dans ces grandes fermes chacun exerçait son état ; il y avait des colons possesseurs d'un moulin, des serfs taillandiers, des charrons, des ouvriers de toutes sortes d'arts mécaniques[29] ; on préparait tout au sein de ces colonies religieuses, le drap, la bure, les vêtements pour tous ; c'étaient des villes plutôt que des fermes, de véritables bourgs industrieux. On ne devait nul impôt, si ce n'est la dîme en nature ; le servage était si peu oppressif, que beaucoup de possesseurs d'alleux venaient se donner volontairement au monastère par piété ou par intérêt ; l'église protégeait si bien 1 elle n'admettait pas qu'un chrétien racheté par Jésus fût esclave ; la manumission pour la liberté était fréquente au pied des autels, elle avait lieu dans les basiliques ; l'abbé, revêtu de sa chape, la crosse en main, aimait à dire ces paroles après la messe : Isembertus ou Igonald, tu es libre ; de serf tu deviens colon de l'abbaye[30].

La plus grande, la plus impérative obligation de la propriété sous la deuxième race, c'était le service militaire : celui qui possédait un fragment de territoire devait le défendre ; il n'y avait pas d'hommes libres, de possesseurs de bénéfices qui ne dussent marcher à la convocation du suzerain[31]. Le grand monument de cette époque sur les services est un capitulaire de Charlemagne, qui les règle avec une rigueur impitoyable ; le service militaire était la loi des bénéfices, le principe de l'organisation des Francs. Ce vaste capitulaire des services fut donné la septième année du règne de l'empereur[32] ; il était alors au palais d'Aix-la-Chapelle ; les guerres violentes n'étaient point finies encore, il s'agissait sans doute d'une de ces grandes invasions de Huns ! l'empire était menacé par un nouveau soulèvement de Barbares.

A cette irruption soudaine, effrayante, il fallait opposer une grande énergie. Que tous ceux, dit l'empereur, qui possèdent les bénéfices marchent contre l'ennemi. Toul homme libre qui possède cinq menses doit venir à notre convocation, ainsi que celui qui en a quatre, ou même trois[33]. Quand on trouvera deux hommes qui posséderont chacun deux menses, l'un des deux devra marcher contre l'ennemi ; si de deux hommes, l'un possède deux menses et l'autre une seule, ils devront faire la même association, s'aider l'un l'autre, et celui qui pourra marcher avec le plus d'avantages contre l'ennemi le fera. Pour ceux qui n'ont qu'une mense, l'association se fera entre trois d'entre eux ; s'ils n'en possèdent chacun que la moitié d'une, ils s'assembleront six et l'un d'eux partira. Ceux qui seront si pauvres, que leur avoir n'excédera pas la valeur de cinq sous, feront aussi partir le sixième d'entre eux. Il faut que l'ou donne cinq sous à ceux des hommes pauvres qui marcheront contre l'ennemi. Nul ne doit abandonner son seigneur en guerre. Que tous nos fidèles comtes se préparent donc le mieux qu'ils le pourront, avec leurs hommes, leurs chars ou leurs présents, pour venir à notre plaid. Que nos missi surveillent chacun de nos vassaux, et qu'ils leur ordonnent en notre nom de venir au plaid avec leurs hommes et leurs chariots, de manière à ce qu'ils marchent tous à notre suite ; qu'il n'en reste aucun en arrière, et qu'ils soient tous rassemblés au Rhin pour le mois d'août[34]. Nous instituons ces choses ainsi, afin que ceux qui demeurent au delà de la Seine observent aussi nos ordres. Nous voulons et ordonnons que nos comtes ne délaissent point leurs plaids, et n'en abrégera point la durée pour se livrer à la chasse ou à d'autres jeux. Si sur les confins dé l'Espagne ou du pays des Avares il est besoin de secours, que l'on fasse partir un Saxon sur six ; si c'est sur les frontières de Bohême, on en prendra un sur trois. Pour défendre le pays contre les Slaves Sorabes, tous devront prendre les armes. Nous voulons que tous nos comtes, nos vassaux, ceux qui possèdent des bénéfices et les cavaliers du pays des Frisons viennent à notre plaid. Quant aux plus pauvres, il n'y en aura qu'un sur sept qui sera contraint à venir, bien armé en guerre, à notre plaid.

Cette rigueur dans le service militaire suppose le danger d'une grande invasion, et il faut reporter le temps de ce capitulaire à l'impitoyable soulèvement des Barbares qui menacèrent l'empire de Charlemagne d'une violente réaction. Quatre ans plus tard, l'empereur revient encore sur le service militaire, il l'impose, il le règle toujours avec la même précision, c'est son droit et sa force : Tout homme qui aura été appelé à marcher contre l'ennemi et qui ne l'aura point fait devra payer une somme de soixante sous[35] ; s'il n'a pas de quoi payer cette somme, qu'il se mette en gage au service du prince, et qu'il y reste jusqu'à ce qu'avec le temps il ait pu payer son amende, alors seulement il redeviendra libre. Si l'homme qui s'est mis au service pour payer son amende vient à mourir pendant qu'il est encore en gage, que ses héritiers ne perdent point pour cela l'héritage qui leur revient de droit, ni leur liberté, et qu'ils ne soient plus inquiétés pour cette amende. Que le comte ne lève aucun droit, soit de garde, d'armes ou de guet, avant que nos missi n'aient reçu le tiers qui nous revient pour le droit de guerre, lequel ne doit pas être payé en terres ou en maisons, mais en or et en argent, en manteaux et eu armes, en animaux et en troupeaux, enfin en choses qui puissent nous être de quelque utilité à la guerre. Que tout homme qui tient de nous une dignité, et qui ayant été appelé à marcher contre l'ennemi ne se sera point rendu au plaid indiqué, s'abstienne de vin et de viande pendant autant de jours qu'il aura été en retard[36]. D'après nos anciennes coutumes, la peine de mort sera infligée à celui qui, en présence de l'ennemi, aura quitté l'armée sans la permission du prince, action que les Francs appellent herisliz[37]. Que personne n'invite quelqu'un à boire en présence de l'ennemi. Tous ceux qui seront trouvés ivres dans le camp seront si bien excommuniés, qu'on ne leur permettra plus de boire que de l'eau jusqu'à ce qu'ils aient bien reconnu qu'ils ont mal agi. Il a été ordonné, d'après une ancienne coutume, que chacun emportât avec soi des provisions lorsqu'il marche à l'ennemi, c'est-à-dire qu'à une limite désignée ils doivent encore avoir des vivres, des armes et des habits pour trois mois[38]. Que l'on sache donc que cette limite est pour ceux qui marchent du Rhin à la Loire, la Loire ; et pour ceux qui vont de la Loire au Rhin, le Rhin. Pour ceux qui passent ce dernier fleuve et vont en Saxonie, la limite est à l'Elbe ; les Pyrénées sont la limite de ceux qui traversent la Loire et sont dirigés sur l'Espagne[39]. Comme nous avons permis cette année à chaque seigneur de laisser chez lui deux hommes, nous voulons que ces deux hommes soient connus de nos missi, parce qu'ils doivent seuls âtre exemptés du droit de guerre. Nous défendons à tout évêque, abbé ou abbesse, ou à tout autre recteur d'église, de donner ou de vendre des cuirasses et des armes à tout autre homme qu'à leurs vassaux[40]. S'il arrive qu'il y ait dans une église plus de cuirasses qu'il n'en faut pour les hommes de cette église, le recteur demandera au prince ce qu'il doit faire. Que tous les leudes se tiennent prêts à voyager dans leurs navires, afin de nous suivre si nous voulions faire un voyage par eau[41].

Cette rigueur dans le service militaire prescrite par Charlemagne du haut de sa puissance était la condition essentielle de la possession de la terre. Dans une société qui a eu pour principe la conquête, la plus impérative loi c'est la défense ; il faut que tous ceux qui participent aux bénéfices de la possession soient toujours prêts à protéger l'organisation du pays. La seconde charge imposée à tous possesseurs, c'était le devoir de juridiction, c'est-à-dire que chaque fois qu'un leude ou colon libre était appelé aux plaids du comte, il devait y paraître soit comme juré, soit comme échevin, rachimburg ou centenier. Le plaid du comte était la juridiction commune, habituelle ; les missi dominici tenaient des assises passagères ; les comtes, des tribunaux fixes, permanents. Dans ces plaids, on décidait toutes les questions de propriétés et de personnes[42] ; chacune des parties était jugée selon sa loi, quelquefois d'après les coutumes des localités ; l'église seule possédait une juridiction universelle, absolue, résultant des conciles. Le plaid du comte se tenait à certains temps de l'année ; nul de ceux qui étaient assignés ne pouvait manquer à l'appel ; les procès sur les personnes et les propriétés étaient jugés sur le verdict des échevins et des jurés, juges, vicaires, centeniers, tous nommés par élection populaire ; il n'y avait alors nulle distinction, aucun classement dans les autorités qui prononçaient sur les questions d'intérêts ou de personnes ; les mêmes magistrats remplissaient les fonctions municipales et judiciaires, sous le titre de bonshommes, prud'hommes, jurés, échevins.

Sous la race carlovingienne le peuple actif est partout, son consentement est nécessaire à la promulgation des lois, et par ce peuple il faut entendre les leudes, les comtes, les évêques, les clercs, les Francs. Cette vaste organisation des capitulaires trouve son complément à l'époque même où le règne de Charlemagne va se clore ; l'empereur est alors faible, maladif, il n'a plus cette énergie qui terrifie par le seul regard, et cependant il fait des lois sur les Francs ; les Francs sont libres et grands, il leur faut des capitulaires ; des distinctions doivent exister entre eux et les autres peuples qui obéissent à Charlemagne. Charles, auguste et sérénissime empereur[43], couronné par Dieu, grand et pacifique avec les évêques, les abbés, les comtes, les ducs et tous tes fidèles de l'église chrétienne, a établi, de leur avis et d'après leur consentement, ces capitulaires dans son palais ; se conformant aux lois salique, romaine et gombète[44] ; afin que chacun de ses fidèles agisse d'après ces ordres qu'il a signés de sa main, et que chacun s'empresse de les mettre en vigueur. Que les évêques fassent des tournées dans les paroisses qui leur sont confiées, qu'ils y recherchent avec soin les incestueux, les parricides, let fratricides, les adultères ; qu'ils aient soin de corriger dans leurs diocèses tout ce qui en a besoin. Qu'ils fassent de même dans les terres que nous leur avons données en bénéfice et dans celles qui contiennent des reliques. Que les églises, les veuves, les pupilles aient la paix ; que les bêtes de somme aient de même la paix. Que ceux qui tiennent de nous un bénéfice tachent toujours de l'améliorer. Que notre vicaire ou centenier n'achète point d'esclave d'un serf du roi, et que ce Même vicaire rallie à notre fisc, afin qu'ils ne soient point dilapidés, les héritages qui n'auront point de possesseurs. Si ceux qui ont été libérés par lettres meurent sans laisser de postérité, leur héritage revient de droit à notre fisc[45]. Si entre cohéritiers il y a discussion relativement à un héritage, et que le roi envoie son missus pour le terminer, le dixième des esclaves et la dixième verge de l'héritage appartiendront au fisc du roi. Que les vicaires aient dans leur district deux hommes qui s'occupent à chasser les loups ; ces hommes ne seront contraints ni à marcher contre l'ennemi, ni à venir au plaid du comte[46] ; qu'ils nous envoient les peaux de loups, et que l'on donne à chacun de ceux qui gardent le plaid un muid de blé. Quant à ce qui regarde le service, que chaque comte force les hommes de son comté à se rendre armés à l'endroit qui a été indiqué pour le plaid, qu'il voie s'ils ont une lance, une épée, un are avec deux cordes et douze flèches. Que les évêques, les comtes et les abbés aient des hommes qui les surveillent avec soin, afin qu'ils viennent au plaid, le jour indiqué, en bon équipage. Qu'ils aient des cuirasses, des casques pour la saison de la guerre, c'est-à-dire pour l'été. Que l'on amène dans des chars les provisions du roi, des évêques, des comtes, des abbés, la farine, le vin, les jambons, et des vivres en abondance[47] ; des meules, des doloires, des haches, des frondes avec des hommes qui sachent bien s'en servir. Que les maréchaux du roi leur apportent, s'il est besoin, des ustensiles de batailles ; que chacun soit prêt contre l'ennemi, et possède tous les outils dont il peut avoir besoin. Chaque comte fera faire dans son comté deux parts de l'herbe pour les chevaux, et aura des ponts solides et des navires bien construits. Que les comtes aient dans leurs comtés des prisons ; les juges et les vicaires, des potences. Que les hommes de bonne naissance qui se conduiront mal ou injustement soient menés en présence du roi, qui décidera s'ils doivent être incarcérés ou exilés, jusqu'au moment où ils se rachèteront. Que personne ne puisse quitter son seigneur, après en avoir reçu la valeur d'un sou, à moins que celui-ci ne veuille le tuer, le frapper avec un bâton, déshonorer sa femme, sa fille[48], ou lui enlever son bien. Que l'on ne porte pas un bâton contre l'ennemi, mais un arc. Que les gardes des forêts surveillent bien nos bois, les bêtes qui y sont et les poissons ; et si le roi donne à quelqu'un une ou plusieurs de ses bêtes fauves, qu'il n'en prenne pas plus qu'on ne lui en aura donné[49]. Que l'on choisisse l'un de nos fermiers, bon, sage, prudent, qui sache rendre compte à nos missi, faire son service selon la saison, restaurer les édifices, soigner les porcs, les bêtes de somme, les animaux, les jardins, les abeilles, les oies, les poulets, les viviers et leurs poissons, les pêcheries, les moulins, les semences et fumer les terres de labour. Dans les forêts où il y a des demeures royales et des viviers avec des poissons, que des hommes y habitent, qu'on y plante des vignes, qu'on fasse des vergers, et que partout où l'on trouvera des hommes qui pourront nous être utiles, qu'on leur donne des forêts à stirper, afin que notre bien s'améliore[50]. Que l'on donne aux femmes qui servent dans nos maisons de la laine et du lin, qu'elles fassent des habits et des chemises, que nos fermiers ou leurs envoyés nous les apportent. Si quelqu'un de nos fidèles veut combattre un adversaire[51], qu'il appelle à lui un de ses égaux pour lui donner secours, que celui-ci refuse et se montre peu empressé, on lui enlèvera son bénéfice pour le donner à celui qui sera resté fidèle.

Cette vaste législation porte la date de la dernière année de Charlemagne ; c'est au moment de sa maladie, quand la vie s'en va, qu'il retrouve sa force et son énergie pour promulguer cette longue série de lois qui règlent le devoir des Francs. Au mois de septembre 813, il tient un plaid de justice à Aix-la-Chapelle, sa ville de prédilection ; et là, du consentement de ses fidèles, il proclame les derniers de ses capitulaires : Sachez-le tous, nous suivons les mêmes lois que les autres Francs, quant à ce qui regarde les procès des églises et ceux des serviteurs de Dieu. Qui tue un Franc doit payer 600 sous au trésor royal et 200 sous de compensation. Qui tuera un homme libre donnera 200 sous et le tiers en sus au roi[52] . Qui tuera un lide donnera 100 sous et le tiers en sus au roi. Qui tuera un esclave donnera 50 sous et le tiers en sus au roi[53]. Qui tuera un comte dans sen Miné paiera un wergeld triple, en rapport avec la naissance du mort. Qui tuera un missi dominici dans l'exercice de sa légation paiera un wergeld triple, en rapport avec la naissance du mort. Qui tuera un vagabond donnera 50 sous au roi. Si quelqu'un soutient qu'un homme libre est son serf, que celui-ci jure, avec douze de ses proches, sur les reliques des saints, qu'il est libre, ou bien qu'il se soumette à l'esclavage[54]. Que celui qui veut en émanciper un autre aven la main le conduise dons le sanctuaire, et là lui donne la liberté. Que celui qui a été mis en liberté par une chartre ou autrement vienne dans les propriétés du roi, et ne soit plus le serviteur de celui qui l'a affranchi. L'homme mis en liberté par une chartre est libre comme tous les Francs ; s'il a besoin de protection il devra la demander à un autre seigneur qu'à celui qui l'a mis en liberté. Quiconque aura attaché un Franc sans qu'il eût commis de faute donnera 12 sous[55] et 5 sous au trésor royal.

Fière législation que celle-ci pour le Franc ! le voilà si libre, si libre, que si on l'attache on paye une composition presque égale à celle qu'on donne pour la mort. Voici plus encore : Celui qui aura pris un Franc aux cheveux donnera 42 sous et 4 sous au trésor royal ; les cheveux du Franc, blonds et ondoyants, sont sur ses épaules l'insigne de la liberté ! Celui qui aura fait couler son sang sans qu'il fût coupable donnera 12 sous et 4 sous au trésor royal. Si quelqu'un brise la maison d'un Franc, il donnera 42 sous et 4 sous au trésor royal. Si quelqu'un touche l'héritage d'un Franc, il donnera anus et 4 sous au trésor royal. Pour son pied, sa main, son œil, il donnera 4 sous. Le Franc, c'est l'homme dans sa liberté. On donnera en réparation à un homme libre 8 sous et 4 sous au trésor royal[56] ; à un lide, 4 sous et 4 sous au trésor royal ; à un serf, 2 sous et 4 sous au trésor royal. Si l'on a volé, on paiera neuf fois le geld, et pour chaque vol 4 sous au trésor royal. Quoi qu'on ait volé dans une maison, on sera condamné à 7 sous pour un cheval entier ; pour une épée, à 7 sous ; pour une bête de somme, à 4 sous ; pour un cerf, à 7 sous ; pour un cheval hongre, à 7 sous ; pour un bœuf, à 2 sous ; pour une vache, à 2 sous ; pour un verrai, un porc, des animaux jeunes ou des chèvres, on paiera une amende égale au tiers de ce qu'ils valent. Quand les Saxons auront enlevé quelque chosé injustement, ils paieront de même 4 sous au trésor royal '. Si quelqu'un dans un bourg saisit un larron, et qu'il ne l'amène point en présence du comte ou du centenier, il paiera une amende de soixante sous. Si quelqu'un voit passer un voleur portant un objet volé et ne le fasse point connaître, il paiera 4 sous au trésor royal. Quiconque sera appelé à venir dans un endroit avec un cheval et ne s'y rendra pas paiera 4 sous au trésor royal[57]. Si quelqu'un manque au guet ou à la garde, et que le comte le sache, il devra lui faire donner 4 sous au trésor royal. Quiconque refusera de construire une écluse quand le comte le lui aura ordonné paiera 4 sous au trésor royal ; s'il s'obstine à ne point la raccommoder, qu'il paye 4 sous. Quiconque entendant crier aux armes ne se rendra pas à l'endroit où l'on appelle paiera également 4 sous[58]. Si un Franc a deux fils, qu'il leur laisse en héritage ses forêts et ses terres, ses esclaves et ses troupeaux ; que les filles héritent de même de leur mère. Tel est le principe de la loi salique : l'égal partage entre le frère et la sœur ; la fille appelée à succéder au fief ; les enfants du même père ont des droits égaux sur son héritage, cet héritage serait-il même une couronne !

Ce dernier capitulaire, presque exclusivement destiné à la législation des Francs, semble l'œuvre d'une assemblée où dominent les comtes et les évêques de cette race. Charlemagne est dans le palais d'Aix-la-Chapelle, une des villes d'Austrasie, la source et le berceau des Carlovingiens : les Bavarois, les Saxons, domptés par la conquête, sont deux familles germaniques qui appartiennent désormais à Charlemagne par droit de suzeraineté. L'empereur affaibli veut s'appuyer sur les Francs, ses plus braves guerriers, ses leudes les plus fidèles ; il leur fait des concessions ; son but est de perpétuer sa dynastie ; il veut l'entourer des comtes et des évêques francs ; il se préoccupe d'agrandir les lois salique et ripuaire, d'y mettre un peu plus d'ordre et d'unité : c'est là toute la sollicitude de ses derniers temps. Maintenant il faut reprendre cette fin de vie de l'empereur, voir quelle fut la lignée de Charlemagne, et ce que devinrent ses prévoyances testamentaires dans cet empire qu'il avait fondé avec tant de soins et de labeurs !

 

 

 



[1] Tel est le sens du capitulaire de Villis.

[2] C'est un travail consciencieux fait par Baluze et le père Sirmond. Ils ont cherché à distinguer les dispositions qui tiennent aux conciles et celles qui se rattachent aux véritables capitulaires. Voyez Baluze, Capitular., t. Ier, et Sirmond, Concil. Gall., t. Ier. Pertz les a complétés.

[3] La personnalité des lois barbares est un fait historique incontestable ; le Romain même qui était conquis et asservi avait sa loi sous la 1re race déjà : inter Romanos negotia causarum romanis legibus prœcipimus terminari. — Edit. Clotar. Ier, ad ann. 660 ; Capitular., Baluze, tome Ier, page 17.

[4] Quelquefois Charlemagne se corrige et se modifie lui-même : Nosmetipsos corrigentes, posterisque nostris exemplum dantes. Capitular., ad ann. 803.

[5] Baluze, tome Ier. Jusqu'au XIIe siècle on trouve des chartres qui constatent que chacun pouvait vivre sous sa loi. Qui professus sum lege longobardica (aut), lege salica (aut), lege Alemannorum vivere. Voyez Muratori, Antiquitat. Ital. Dissertat. 22. —Ducange, v° Lex. — Heinneccius, Historia juris germanici, cap. II.

[6] Baluze, Capitular., t. Ier.

[7] C'est par la nature de la composition que Montesquieu, Mably et M. Guizot ont toujours jugé l'état des personnes. Je crois qu'il est difficile de mieux étudier et de grandir un sujet que ne l'a fait l'auteur de l'Esprit des lois, et après lui M. Guizot. Je n'ai pas osé un système, je me suis borné à traduire et rapporter textuellement les capitulaires ; les opinions se modifient, les faits et les documents restent.

[8] Voilà un témoignage qui constate l'existence légale du système des épreuves sous l'époque carlovingienne ; les épreuves étaient empiétement admises par la loi salique.

[9] Le droit romain est la source et le principe de cette législation testamentaire.

[10] Sur le wergeld ou amende, lisez Mably, t. I, c. 2 ; et Ducange, v° Fredum.

[11] Montesquieu traite avec sa supériorité habituelle le système de l'état des personnes par la différence des compositions. La loi salique repose spécialement sur les épreuves et les compositions. (Esprit des lois, liv. XXVIII.)

[12] Les quatre grands codes des Barbares furent les lois saliques, ripuaires, bourguignons et visigothes. Les lois lombardes appartiennent plus particulièrement à l'Italie. Ce capitulaire additionnel à la loi ripuaire est de 803 ; Baluze l'a donné, tome Ier.

[13] Le caractère des lois salique et ripuaire c'est de n'être pas impartial et d'établir des distinctions entre les Francs et les Romains, alors même qu'ils étaient convives ou suivants du roi : Si Romanus homo conviva regis fuerit ; pour le Romain propriétaire, qui res in pago ubi romanet proprias habet, la composition n'était que de cent sous. (Loi salique, tit. XLIV, § 6 et 15.)

[14] La preuve par combat est ce qui distingue la loi ripuaire de la loi salique qui ne l'admettait pas. Montesquieu tombe dans une faute d'inattention lorsqu'il attribue le capitulaire de 803 à Louis le Débonnaire. (Esprit des lois, liv. XXVIII, chap. 14.)

[15] Denarialis ; c'était évidemment la condition mixte entre la servitude et la liberté. (Voyez l'Index de M. Guérard dans la Polyptyque d'Irminon, et le chapitre 13 de cette histoire.)

[16] L'épreuve par serment était une des grandes dispositions de la loi ripuaire. (Voyez tit. VI à IX.)

[17] La loi Julia était la véritable grande loi de police pour Rome. Tacite en a rapporté la terrible application : Annal., lib. II, cap. 50. Montesquieu en parle, Esprit des lois, liv. XII, chap. IX.

[18] J'ai déjà parlé de ce curieux monument publié par M. Guérard.

[19] Je n'ai pu trouver l'origine exacte de ce mot breve pour signifier terre, ferme. Cependant on ne peut le prendre que dans ce sens.

[20] Le texte est curieux ; j'en donne quelques paragraphes afin de faire connaître ce livre censier d'Irminon. Godeboldus, colonus Sancti-Germani, habet secum infantes II, his nominibus Godelhildis, Amaltrudis ; tenet mansum ingenuilem, habentem de terra arabili bunuaria VI, de vinea duas partes de aripenno, de prato dimidium aripennum. Facit inde in vinea aripennos III. Solvit de vino in pascione II ; pullos III, ova XV. (Voyez I, Breve de Gaugiaco I, Polypiychum Irminonis.)

[21] Ecclesia Palatioli, vulgo Palaiseau, sub invocatione S. Martini consecrata erat. M. Guérard, note.

[22] Habet in Palatiato mansum dominicatum cum casa et aliis casticiis (Polyptychum, II. Breve de Palatiolo.)

[23] Voici comment M. Guérard explique ce mot : CURVADA, CURVATA, opera agreatis plerumque unius diei, maxime aratoria, ad stationes agrorum faciendas, a rusticis dominis præstita. (Glossarium peculiare.)

[24] Dans un Appendix qui suit la Polyptyque d'Irminon, M. Guérard a ajouté le livre des cens de plusieurs autres abbayes en extraits.

[25] Specimen Breviarii rerum fiscalium Caroli Magni ; dans J.-G. Eckhardi, Comment. de rebus Franc. orient., t. II, p. 902-910.

[26] Cette bibliothèque religieuse ne contenait que des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. (Appendix, p. 97.)

[27] Instrumentum inquisitionis a missis imperatoris factœ, tiré du Codex diplom. Sanct. Ambrosian., p. 172, 174.

[28] Le glossaire de M. Guérard à la suite de la Polyptyque donne le sens précis et la valeur réelle de toutes les mesures.

[29] Voyez Mabillon, Dissert. Sanct. ordin. Sanct. Benedict.

[30] Marculfe, Formul. X.

[31] Ducange, v° Feudum militiœ. Sous la seconde race il n'était point question de fiefs, mais seulement de services militaires.

[32] Baluze, Capilular., ad ann. 807.

[33] On voit clairement ici que c'est la terre qui constitue l'obligation du service ; les bénéfices, les menses obligent à la guerre. Le système saxon du remplacement domine dans ce capitulaire. Dans celui de 812, il est dit : Ut omnis homo liber qui quatuor mansos habet vestitos de proprio suo, sive de alicujus beneficio, habet, ipse se prœparet et ipse in hostem pergat, sive cum seniore suo.

[34] Les ordres des missi indiquaient généralement où devaient se rassembler les vassaux qui devaient le service utilitaire ; quand ils venaient an Rhin, c'est qu'il s'agissait d'une campagne germanique.

[35] Le rachat du système militaire était presque toujours admis dans le système féodal ; le Code saxon donnait le nom d'escuage à cette amende. Les vieillards de 60 ans et les femmes étaient exemptés du service ; mais s'ifs possédaient fiefs, ils devaient se faire remplacer. Ducange, v° Feudum militiœ.

[36] Baluze, Capitular., ad ann. 812. Cette habitude d'imposer l'abstinence tenait au droit canon qui faisait du jeûne une pénitence publique. Ce capitulaire est tout exceptionnel, il se ressent de l'approche d'un danger.

[37] Trahison, défection, lâcheté.

[38] Le service militaire dû par chaque bénéfice entraînait avec lui-même la nécessité de se pourvoir de toutes les armes nécessaires mu batailles. Ducange, v° Feudum militiœ.

[39] Le service était limité pour l'espace comme pour le temps, ainsi que le fait observer le P. Daniel, dans son Histoire de la milice française.

[40] Un autre capitulaire de Charlemagne défendait de vendre des armes, cuirasses, boucliers, etc., aux Saxons et aux Barbares. (Ad ann. 801.)

[41] C'est à l'époque où Charlemagne s'occupe et s'inquiète des invasions maritimes des Normands. (Voyez Monach. S. Gall, lib. II.)

[42] Ces assemblées étaient appelées mallum ; les notables boni homines, d'après Ducange. La formule 8 de Marculfe est tout entière relative à la juridiction des comtes.

[43] Capitular., ad ann. 810. Voyez mes chapitres X et XIII.

[44] La loi gombète, rédigée par Gondebaud, était une loi spéciale aux Bourguignons ; elle se conserva très longtemps ; on la trouve même encore en usage sous Louis le Débonnaire, ainsi qu'il résulte des épîtres d'Agobard. (Agobard, Oper.)

[45] Ce sont ici des dispositions empruntées aux codes romains sur les déshérences. M. de Pastoret a parfaitement traité ces questions fiscales dans la préface des tomes XVI, XVII et XVIII des Ordonnances du Louvre. Les déshérences existent encore aujourd'hui.

[46] C'est la coutume saxonne d'où sont venues les louveteries de France, un des devoirs et des privilèges des gentilshommes provinciaux, sous l'ancienne monarchie.

[47] Ce capitulaire nous donne l'idée fort exacte de la composition d'une armée, et des ressources qu'elle menait avec elle aux batailles.

[48] C'est ce que les Annales de Jérusalem appellent plus tard faire vilainie de son cors. Cette coutume se continue dans les ordonnances de la 3e race ; on la trouve même dans les établissements de Saint Louis, ch. 51, 52.

[49] La conservation des bêtes fauves dans les forêts est un des sujets les plus fréquents des ordonnances des rois.

[50] Ce capitulaire est un supplément au capitulaire primitif de Villis.

[51] Le droit de guerre privée est ici consacré ; c'est celui qui se conserva le plus longtemps ; j'ai rapporté dans mon Philippe Auguste la protestation des comtes et seigneurs du Poitou déclarant que dans ces provinces. (Roger, Hoveden, p. 471 ; Saville, Collect. script. Angl.)

[52] C'est encore une addition à la loi salique qui se résume toujours dans le système des compositions.

[53] Ce tiers au roi est ce qu'on appelait fredum, amende payée au seigneur. La loi des ripuaires avait fixé les fredum au tiers, ainsi que cela est écrit au chap. 88. Ce capitulaire, qui en est la confirmation, est donné par Baluze, t. I, p. 512.

[54] La loi salique n'admettait pas le serment judiciaire, à la différence de la loi des ripuaires qui portait quelquefois le nombre des témoins jusqu'à 72, ainsi qu'on le voit Leg. Ripuair., tit. XI à XVII.

[55] Attacher un Franc était un des plus grands outrages, comme de le frapper à la figure. Voyez ce que dit Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XIII à XVII.

[56] Le système des capitulaires entre pleinement dans les lois salique et ripuaire ; c'est une chose à remarquer ; à mesure que la vie s'en va dans Charlemagne, il subit l'influence des vieilles lois et des antiques coutumes. Ducange, v° Fredum.

[57] La première loi des Saxons fut donnée par Charlemagne, c'est la dure législation d'un vainqueur ; au fond elle est calquée sur le même modèle que celle des ripuaires. Elle a été insérée dans la collection, Leg. Barbar.

[58] C'est la prise d'armes pour la protection mutuelle.