Classification des capitulaires. — Sont-ils empruntés au droit romain ? Source et origine du droit germanique. — Organisation de l'église. Les plaids. — Formules ecclésiastiques. — Les évêques. — Réforme. — Capitulaires de Francfort, des comtes, sur Tassillon, duc de Bavière. — Le grand capitulaire De villis. — Droit domestique. — Esprit général de la première époque des capitulaires. 769-800. Les capitulaires de Charlemagne, cette large expression des coutumes et des mœurs des vine et ne siècles, n'appartiennent pas tous à la même époque ; on y aperçoit les traces du progrès de sa puissance, les périodes successives de sa grandeur : roi des Francs, il ne déploie pas la même prévoyance qu'empereur d'Occident, ses vues administratives grandissent avec son pouvoir ; évidemment l'époque d'organisation administrative ne commence pour lui que depuis qu'il a revêtu la pourpre d'empereur, dernier terme de son ambition. Dans ces vastes codes qu'on appelle capitulaires, il n'y a pas de classification philosophique ; les dispositions législatives sont confondues ; toute division par ordre de matières serait donc essentiellement fausse, arbitraire. Les capitulaires contiennent des principes confus ; l'église, la justice, l'administration, le droit privé sont continuellement mêlés ; il n'y a pas d'ordre de matières ; on dirait ces lois venues l'une après l'autre sans pensée d'unité, et pourtant l'unité est le but du gouvernement de Charlemagne[1]. A le lecture étudiée, approfondie de ces capitulaires, on se demande s'ils furent empruntés au droit romain, aux basiliques, aux codes Théodosien et Justinien, qui alors dominaient une partie des peuples, l'Italie et la Gaule méridionale ; on voit peu de traces de cette législation dans les capitulaires carlovingiens, pas plus qu'on n'en retrouve des vestiges dans les ordonnances de la troisième race. Sans doute les codes des peuples offrent toujours des dispositions identiques, les mêmes principes appartiennent à tous les âges, une nation n'en a pas le privilège sur une autre, une génération ne le conserve pas comme un -tabernacle ; c'est la loi universelle écrite au fond des âmes. Mais on n'aperçoit dans les capitulaires aucune empreinte fortement nuancée du droit romain ; pour le gouvernement de l'église et des clercs, ce sont les prescriptions des conciles jetées pêle-mêle dans les capitulaires. Quant aux dispositions civiles, elles se ressentent de l'origine allemande, c'est un droit public propre à ces nations, il vient de cette longue chaîne de mœurs et d'habitudes. qui se rattachent au berceau de la conquête ; le droit public romain a laissé ici peu de traces, les capitulaires n'en recueillent aucun fragment ; ils n'en révèlent aucune glose, aucun souvenir, ils conservent le droit germanique, dans sa pureté. L'Allemagne avait ses coutumes, ses lois, elle les a gardées jusque-là, elle les garde encore ; venus d'une origine germanique, les capitulaires sont restés germaniques ; on n'en trouve aucune trace dans la législation française ; les ordonnances des rois de la troisième race ne leur empruntent rien, elles ne les citent même pas ; pour les Capétiens, c'est comme un droit éteint[2]. Au contraire, partout, au delà du Rhin jusqu'à l'Elbe, les capitulaires ont porté leur fruit ; ils sont la source encore de plus d'une législation nationale ; même aux temps modernes, l'esprit des diètes s'y rattache. Nul ne doute qu'ils ne fussent délibérés en assemblée publique par les comtes, les leudes, pour les dispositions qui tiennent au gouvernement militaire ; ou bien par les assemblées d'évêques et de clercs, lorsqu'il fallait régler le droit civil et ecclésiastique. On cru voir là deux ordres bien distincts, la noblesse et le clergé, votant déjà sur des bancs séparés. Aucune trace pourtant n'existe pour constater ces distinctions : les capitulaires embrassent en eux-mêmes les dispositions ecclésiastiques et civiles dans le même ordre ; il est probable que les hommes de guerre n'étaient consultés que sur les expéditions lointaines où il y avait de la gloire et du profit à acquérir : fallait-il aller en Lombardie briser le trône de Didier, ou contre les Saxons, dans cette guerre de trente-trois ans ? l'avis des ducs, des comtes, des leudes était indispensable, et c'est dans les assemblées du printemps ou de l'automne que ces résolutions étaient prises. La rédaction matérielle des capitulaires était essentiellement l'œuvre des clercs ; il y a peu de différence entre les dispositions ecclésiastiques des lois de Charlemagne et celles des conciles ; les Bénédictins même en ont placé plusieurs dans les Concilia Galliœ[3], et ils ont eu raison ; ils ne portent l'intitulé de Charlemagne que comme les conciles de Byzance portent le nom de l'empereur d'Orient. Rien n'est plus essentiel que de faire connaître ces vastes codes de lois et d'administration publique. On a beaucoup parlé des capitulaires, on les a commentés ; des systèmes ont succédé les uns aux autres[4] ; peu les ont lus ; personne ne les a traduits dans leur ensemble pour les mettre à la portée de tous, et pourtant ce travail résume l'histoire carlovingienne : peut-ou connaître une époque si l'on n'en sait la législation, si l'on ne se pénètre de ses coutumes, de ses mœurs et de ses lois générales ? Le premier capitulaire de Charlemagne, donné dans une
assemblée ou concile de l'an 769, embrasse un grand ensemble de dispositions
de police sociale et ecclésiastique : Charles, par
la grâce de Dieu, roi des Francs, défenseur dévoué de la sainte église,
soutien du siège apostolique. D'après les exhortations de nos fidèles et le
conseil des évêques et autres prêtres, nous défendons expressément à tout
évêque ou prêtre, serf de Dieu, de porter les armes, de combattre, de suivre
les armées ou de marcher à l'ennemi, à l'exception toutefois de ceux qui ont
été élus pour y accomplir leur divin ministère, chanter la messe et porter
les reliques des saints[5] ; un ou deux évêques, accompagnés des prêtres attachés aux
chapelles suffiront pour cela. Chaque chef aura avec lui un prêtre pour
confesser ses hommes et leur indiquer la pénitence due à leurs fautes. Les
prêtres ne verseront le sang ni des chrétiens ni des païens ; nous leur
défendons de chasser dans les forêts ou de sortir avec des chiens, des vautours
et des faucons. S'ils ont plusieurs femmes, s'ils versent le sang des
chrétiens ou des païens, s'ils transgressent les canons, qu'ils soient privés
du sacerdoce, car ils sont alors plus corrompus que les séculiers. Nous
ordonnons que suivant les canons l'évêque emploie toute sa sollicitude pour
le bien de son diocèse ; le comte le soutiendra en cela, il est le défenseur
de l'église, il doit veiller à ce que le peuple de Dieu n'exerce aucune
coutume païenne, aucune souillure des gentils, les profanes sacrilèges des
morts, les amulettes, les augures, les enchantements, les sacrifices de
victimes et toutes ces cérémonies païennes que des hommes insensés font dans
les églises, sous l'invocation des saints martyrs et confesseurs de Dieu.
Chaque année l'évêque fera une tournée dans son diocèse, mettant ses soins à
confirmer le peuple, à l'instruire. Qu'obéissant aux canons de l'église, chaque
prêtre soit soumis à l'évêque dans le diocèse duquel il habite, et qu'à
l'époque du Carême il lui rende compte de la manière dont il s'est acquitté
de son ministère, des baptêmes qu'il a faits et de l'état de la foi
catholique, des prières et des messes qu'il a dites. Les prêtres veilleront
sut les incestueux et les criminels, prenant bien soin qu'ils ne meurent pas
dans cet état de trime, de peur que le Christ ne leur reproche un jour la
perte dé ces Milet. Ils seront de même attentifs à ne pas laisser mourir les infirmes
et les repentants sans leur avoir donné l'huile sainte, la réconciliation et
le viatique. Les prêtres observeront le jeûne du Carême et le feront observer
au peuple. Ces dispositions de police purement cléricales sont mêlées
à des prescriptions de gouvernement et d'ordre politique. Tout le monde doit assister oui grands plaids qui se
tiennent, le premier en été, le second en automne. Quant aux autres, on n'est
obligé de s'y rendre que si la nécessité vous y force, ou si l'on en a reçu
l'ordre du roi. Quand le roi ou l'un de ses fidèles ont ordonné de faire des prières,
quelle qu'en soit la cause, on doit s'empresser d'obéir. Les prêtres ne doivent
célébrer la messe que dans les lieux où ils ont été consacrés, à moins qu'ils
ne soient en voyage ; s'ils en usent autrement, ils courront risque de perdre
leur grade. Les prêtres qui ne savent pas accomplir suivant les rites les
fonctions de leur ministère ; qui, suivant l'ordre de leurs évêques,
n'emploient pas toutes leurs facultés à l'apprendre, et méprisent ainsi les canons,
doivent être suspendus de leur office jusqu'à ce qu'ils soient pleinement corrigés.
Quiconque aura été fréquemment averti par son évêque d'augmenter sa science, et
qui ne l'aura point fait, sera privé de son office et perdra son église ; car
celui qui ignore la loi de Dieu ne peut pas l'apprendre et la prêcher à
d'autres. Aucun juge ne devra prendre sur lui d'inquiéter un prêtre, un
diacre, un clerc, quelque minime que soit son grade, et encore moins de le
condamner contre l'avis de l'évêque. Aucun séculier ne pourra s'emparer ni
retenir l'église ou les biens particuliers d'un évêque. Si quelqu'un le fait,
qu'il soit séquestré de la charité et de la communion de tous, jusqu'à ce
qu'il ait rendu les valeurs enlevées et leurs intérêts. Ces dispositions, je le répète, diffèrent peu des lois
générales des conciles ; c'est l'église que Charlemagne veut d'abord
organiser du haut de sa puissance, car l'église, c'est le principe de toute règle,
de toute force morale. La onzième année du règne
heureux de notre très glorieux roi Charles, au mois de mars, les évêques, les
abbés, les hommes illustres et les comtes s'étant réunis en une assemblée
synodale avec notre très pieux seigneur, ils ont fait, avec la volonté de
Dieu, un capitulaire sur des choses opportunes, et ont décrété qu'il serait
publié[6]
: — Les évêques
suffragants seront, selon les canons, soumis à leurs métropolitains, qui
auront la libre faculté de changer et de corriger tout ce qui leur parera
devoir être changé et corrigé dans leur ministère. Les monastères réguliers,
ceux de femmes surtout, doivent suivre leur règle, et les abbesses habiter
dans leurs monastères. Les évêques sont chargés de corriger les hommes
licencieux et les veufs de leur diocèse. Un évêque ne pourra ni recevoir ni
ordonner en quelque grade que ce soit le clerc d'un autre évêque. Chacun
devra payer sa dîme ; il n'en sera dispensé que par l'ordre de son évêque. Les dispositions de l'ordre pénal se confondaient avec les prescriptions de l'église ; le christianisme était la formule du pouvoir, et le capitulaire qui règle la juridiction des évêques prononce souvent aussi la pénalité pour les délits : Quant aux homicides et autres coupables condamnés à mort, si l'un d'eux se réfugie dans une église, il ne sera point pardonné pour cela, on lui refusera toute nourriture. Les juges présenteront les voleurs au plaid du comte ; si un d'eux ne le fait pas, il perdra son bénéfice et sa charge ; s'il n'a point de bénéfice, il paiera le ban[7]. Nos vassaux eux-mêmes, s'ils manquent à cette loi, perdront leurs bénéfices et leurs charges. Les parjures perdront une main ; si celui qui accuse un autre de parjure demande le combat et sort vainqueur, on crucifiera le vaincu ; si celui qui a juré remporte la victoire, l'accusateur subira lui-même la peine qu'il voulait lui faire infliger. Les comtes ne pourront être inquiétés pour avoir puni les voleurs, car il faut que bonne justice se fasse. Si l'un d'entre eux pourtant e fait du tort à un homme par haine, par malveillance, on lui a fait un déni de justice, il lui paiera une indemnité proportionnée au tort qu'il lui aura fait éprouver. Nous conservons les capitulaires que notre père et seigneur, le roi Pépin, a établis dans ses plaids et ses synodes. Les capitulaires s'occupent de l'impôt, très abaissé à
l'époque carlovingienne ; les revenus du fisc provenaient du domaine privé et
des compositions ou amendes. Quant à l'impôt en lui-même : Par 50 casates[8], on paiera un son ; par 50, un demi-sou ; par 20, un
tiers de sou. On renouvellera les chartres qui concèdent des alleux ; là où
il n'en existe point, on en écrira. On fera une différence entre celles de
ces chartres qui ont été faites sur notre parole et celles qu'une libre
volonté a concédées et qui ont rapport aux biens de l'église. Que personne ne
manque au service royal. Nul ne fera le serment de se réunir en assemblée
pour conjurer. Et que ceux qui font des assemblées, soit pour les aumônes,
les incendies ou les naufrages, ne prononcent aucun serment pour cela. On ne
devra point assaillir en troupes les voyageurs qui se rendent au palais du
roi ou ailleurs. Personne ne devra non plus enlever le foin d'un autre dans
le temps où cela est défendu, à moins qu'il ne se trouve en marche contre
l'ennemi ou qu'il soit notre envoyé : qui en agira différemment sera puni. On
s'abstiendra de lever les tributs qui ont été abolis, si ce n'est dans les
lieux où ils étaient anciennement établis. On ne pourra vendre des esclaves[9] qu'en présence de l'évêque, du comte, de l'archidiacre, du
centenier, du vice-seigneur ou du juge du comte : on ne pourra pas non plus
en vendre hors des frontières ; si quelqu'un le fait, il paiera autant de
fois le ban[10] qu'il aura vendu d'esclaves ; s'il n'a point d'argent, il
se donnera lui-même en gage au comte, et sera son serf[11] jusqu'à ce qu'il dit payé le ban. Personne ne pourra
vendre des cuirasses bois de notre royaume. Si un comte, dans son office, a
fait quelque injustice, Il recevra dans sa maison nos envoyés, jusqu'à ce que
justice soit faite[12] ; si c'est l'un de nos vassaux qui a commis l'injustice,
alors le Comte et notre envoyé s'installeront dans sa maison, vivant de ses revenus,
jusqu'à ce que justice soit faite. Si quelqu'un ne veut pas recevoir le prix
fixé en satisfaction d'un meurtre, envoyez-le-nous, et nous le ferons
conduire dans un lieu où il ne pourra nuire à personne : nous prétendons en
agir de même avec ceux qui ne voudraient pas payer ce même prix. Quant aux
voleurs, ils ne doivent pas être punis de la mort pour une première faute,
mais on leur crèvera un œil ; à la seconde, on leur coupera le nez, et
si on les trouve une troisième fois en faute, sans qu'ils se soient corrigés,
qu'ils meurent. Qu'aucun juge public ne reçoive d'argent d'un voleur mis en
prison ; s'il en est un qui le fasse, qu'il perde sa charge. Enfin, que celui
dura détruit une église meure. Ce grand code pénal de Charlemagne se mêle et se confond toujours avec les lois de l'église ; les conciles et les capitulaires partent d'une seule et même idée ; et pour régler ces dispositions communes, le plaid royal se compose de leudes, de comtes, d'évêques, d'abbés, d'hommes de guerre et d'hommes d'église. Quelquefois les évêques agissent seuls et se réunissent sous une même impulsion. Voici des capitulaires encore promulgués dans ces assemblées, et qu'on pourrait considérer comme des canons[13] : Chaque évêque chantera trois messes et trois psaumes, l'un pour le roi, l'autre pour l'armée, le troisième pour l'affliction présente[14]. Les évêques, les moines, les religieuses, les chanoines feront aussi un jeûne de deux jours, de même que les possesseurs de cases[15] et ceux qui sont puissants ; chaque évêque, abbé ou abbesse devra nourrir quatre pauvres servants jusqu'au temps des moissons ; ceux qui ne pourront pas en nourrir autant n'en nourriront que trois, deux ou un, selon leurs moyens[16]. Les plus riches des comtes donneront en aumônes une livre d'argent ; les autres, une demi-livre. Les vassaux aussi donneront pour deux cents cases une demi-livre ; pour cent, cinq sous ; pour cinquante ou trente, une once. Ils observeront le jeûne pendant deux jours, de même que les hommes de leurs castes, et tous ceux qui le pourront faire[17]. S'il en est parmi les comtes qui veuillent racheter ces jeûnes, ils paieront, selon leur fortune, trois onces, une once et demie, ou au moins un sou. Tout cela, s'il plaît à Dieu, sera accompli pour le roi, l'armée des Francs, et les maux présents, avant la fête de saint Jean. Ce capitulaire est évidemment un acte public de pénitence,
un vœu de l'armée pour obtenir la cessation d'un fléau : comtes, évêques se
soumettent aux aumônes pour appeler la miséricorde de Dieu. Mais Charlemagne
est surtout le roi organisateur de la police et de la justice, force
nécessaire au milieu d'un peuple de soldats : Les
comtes entendront les premiers les causes des pupilles et des orphelins ; et
ils ne passeront point à la chasse ou en festins les jours où ils doivent
tenir leurs plaids. Le serment de fidélité qu'ils doivent nous prêter, à nous
et à nos fils, doit consister en ces formules : Par ces paroles, moi, je
promets de rester sans fraude et sans mauvaise intention au service de mon
seigneur le roi Charles et de ses fils ; car je leur suis fidèle, et le serai
dans tous les jours de ma vie[18]. Nous défendons aux abbesses de sortir de leurs monastères,
et de faire ce qui leur est défendu ; leurs cloîtres doivent être bien
fermés, et elles ne doivent ni écrire, ni envoyer de billets d'amour.
Personne ne doit chercher à prédire l'avenir dans le psautier, dans
l'évangile, ou de toute autre manière, ni faire d'autres devinations. Que
pour de l'argent on ne porte aucune atteinte aux règles qui ont été
instituées pour conserver la loi. Que tous viennent à l'église les jours de
fêtes et de dimanches, et n'appellent point de prêtres dans leurs maisons
pour y dire la messe. On doit défendre avec rigueur l'ivrognerie, et aux
évêques et aux abbés de porter le trouble dans les niaisons privées ou
publiques. Que les moines et ceux qui sont dans le sacerdoce ne se mêlent
point des affaires séculières. Les évêques, les abbés et les abbesses ne
doivent point avoir des couples de chiens, non plus que des faucons ou des
vautours[19]. Les pauvres qui sont étendus dans les rues et les
carrefours pourront venir à l'église, et on leur donnera la confession. Sur
les autels, il y aura des toits et des lambris pour les préserver. On ne
baptisera point les cloches, on ne suspendra point des papiers à des perches
à cause de la grêle[20]. Que nos envoyés s'informent de la manière dont sont
dirigés les bénéfices, et qu'ils nous le fassent savoir. Enfin, que les
lépreux ne se mêlent point au peuple. Ces codes, toujours confus dans leurs dispositions, font
néanmoins parfaitement connaître les habitudes de ces temps la liberté de
l'homme civil, et les mœurs de l'église ; la loi pénale est le miroir fatal
dans lequel se reflète une génération ; la loi ne réprime que les actions
mauvaises qui se commettent fréquemment dans la société, elle ne punit qu'une
dépravation accomplie. Or voici ce que dit encore Charlemagne dans un
capitulaire : Nous voulons que si quelqu'un veut
prendre quelque chose dans un endroit, il ne puisse le faire qu'en s'appuyant
de cinq ou sept témoins ; parce que le serinent des Romains ne peut-être bon,
s'il n'est confirmé par cinq ou sept autres témoignages[21]. Si l'on trouve un trésor enfoui sous terre dans une
propriété ecclésiastique, le tiers en appartient à l'évêque ; si c'est un Lombard
ou tout autre homme qui, creusant de sa propre volonté, l'ait trouvé, et que
le maitre du lieu lui en ait donné le quart, qu'on nous envoie les trois
autres quarts, et que personne n'ose s'opposer à notre volonté[22]. Ces deux
dispositions expliquent le peu de foi qu'inspirait la race italienne : pour
les Francs à la noble face, à la main prompte, à l'esprit vif, les ruses des
Italiens étaient insupportables, ils avaient besoin de se prémunir contre
l'astuce des Lombards et des Romains[23]. Voici maintenant un grand jugement féodal ; dans ses
vengeances de suzerain, Charlemagne a frappé le duc Tassillon de Bavière, les
Francs ont ravagé la terre des Bavarois ; un plaid d'hommes d'armes, de
comtes et d'évêques est réuni à Francfort ; Tassillon est cité, et voici ce
que dit l'assemblée : On a fait un capitulaire sur
Tassillon, cousin du roi Charles, qui a été duc de Bavière. Tassillon se
présenta au milieu de la diète, demandant pardon pour les fautes qu'il avait
commises, tant contre le roi Pépin et le royaume des Francs, que contre notre
très pieux seigneur, de roi Charles. Il avait manqué à la foi jurée, mais il
nous a demandé humblement grâce pour cela, abjurant toute colère et tout
ressentiment ; il se désista de tous les droits que lui, ses fils ou ses filles
pouvaient avoir sur le duché de Bavière, qui aurait dû légitimement lui
appartenir, et pour éviter tout procès à venir, il en fit un abandon complet,
recommandant à la miséricorde du roi ses fils et ses filles. C'est pourquoi
notre seigneur le roi fut touché de compassion envers lui ; il lui pardonna
ses fautes, lui accorda toutes ses bonnes grâces, et le prit en grande
amitié, lui faisant ainsi espérer d'avance la miséricorde de Dieu. Il fit
ensuite faire trois brefs de ce capitulaire, ayant tous la même teneur : l'un
d'eux fut gardé au palais, un autre remis à Tassillon, dans le monastère où
il s'est retiré, et le troisième est conservé soigneusement dans la sainte
chapelle du palais. Dans cette même diète de Francfort, notre très pieux
seigneur le roi a défendu, avec le consentement du concile, à tout homme
ecclésiastique ou laïque de vendre les grains plus chers que ce qu'il a été
fixé et établi publiquement, soit que l'on se trouve dans l'abondance, soit
dans les moments de disette. Le muids d'avoine se paiera un denier, le muids
d'orge, deux ; celui de seigle, trois ; celui de froment, quatre[24]. Si c'est en pain que le grain est vendu, on vendra pour
un denier douze pains de froment, pesant chacun deux livres, et au même prix,
quinze de seigle, vingt d'orge et vingt-cinq d'avoine, chacun du même poids.
Les grains du roi se vendront deux muids d'avoine pour un denier ; d'orge, un
denier ; de seigle, deux deniers ; de froment, trois deniers. Que tous ceux
qui tiennent de nous des bénéfices veillent à ce qu'aucun de leurs esclaves
ne meure de faim ; ils ne pourront vendre au taux prescrit que ce qui sera de
superflu dans leur maison. Après ce capitulaire, qui établit une sorte de maximum pour les grains, Charlemagne règle la valeur du denier carolin, car, s'il a fixé le prix des denrées, il est non moins urgent d'établir la valeur de la monnaie elle-même ; ces deux idées se tiennent : Que ces nouvelles pièces de monnaie aient cours en tous lieux, dans toutes les villes, dans tous les marchés, et que personne ne refuse de les recevoir. Si ces monnaies sont à notre nom, si elles sont de bon argent et d'un poids juste, celui qui les refusera dans une vente ou un achat paiera quinze sous au trésor royal, si c'est un homme libre ; si c'est un serf, et qu'il fasse affaire pour lui-même, il en perdra le prix, et sera publiquement attaché à un pieu et fustigé ; si l'affaire qu'il traite regarde son maitre, et que ce soit de son aveu qu'il refuse la monnaie, le maître paiera quinze sous[25]. Le maximum des grains, la valeur des deniers sont ainsi fixés, et Charlemagne consacre par des dispositions spéciales les droits des vendeurs et des acheteurs. A toutes les époques de crise, ce qui marque précisément la dictature suprême, c'est cette fixation absolue du prix des denrées. L'acte le plus vaste, le plus détaillé de la sollicitude
royale, celui qui montre la plus vive attention administrative, c'est le
capitulaire De villis, sur la gestion des fermes du domaine : fut-il
fait par la seule volonté de Charlemagne ou réglé dans une assemblée ? Cet
édit, l'œuvre de prédilection du monarque, est écrit par son, secrétaire ou
son scribe. Nous voulons, dit ce prince, que les villas que nous avons établies nous servent
uniquement à nous et non pas à d'autres hommes[26]. Nos serviteurs y seront également logés et les juges se
garderont d'en faire leurs serfs ; qu'ils ne puissent les obliger à faire
pour eux aucune corvée ni aucune espèce de travail, et qu'ils ne reçoivent
d'eux aucun présent, tels que chevaux, bœufs, vaches, porcs, moutons,
pourceaux, agneaux pi aucune autre chose, soit jardinages, pommes, poulets ou
œufs. Si l'un de nos serviteurs commet quelque fraude par vol ou par
négligence, qu'il le paye de sa tête[27] ; quant au reste, qu'il soit flagellé suivant la loi, si
ce n'est dans les cas d'homicide et d'incendie, où l'on peut donner une
réparation. Qu'on ait bien soin de faire à chacun justice d'après sa loi.
Quant aux réparations qui nous seront dues, qu'on flagelle nos serfs. Les
Francs qui demeureront dans nos fiscs et dans nos villas seront soumis à
leurs lois propres, et ce qu'ils donneront en réparation de leurs crimes
rentrera dans notre trésor[28]. Que chacun de nos juges se rende dans les lieux qu'ils
gouvernent à l'époque où nos travaux doivent être exécutés, c'est-à-dire vers
le temps où l'on sème, où l'on laboure, où l'on moissonne, où l'on met des
foins à sécher, où l'on vendange, et qu'ils veillent à ce que tout se fasse
bien et avec soin. Nous voulons que nos juges donnent la dîme de tous nos
revenus aux églises qui sont situées dans nos fiscs[29]. Que nos juges soignent nos vignes et les fassent venir à
bien, placent le vin dans de bons vases et emploient tous leurs soins à ce
qu'il ne se perde pas. Qu'ils fassent acheter du vin pour les valets et le
fassent transporter dans nos villas. Et s'il arrive qu'on ait acheté de ce
vin plus qu'il n'en faut pour nos villas, qu'on nous le fasse savoir, afin
que nous leur fassions connaître quelle est notre volonté en cela. Qu'ils
nous envoient aussi nos ceps de vigne et fassent porter dans nos celliers le
vin qui nous est dû. Nous voulons que chaque juge, dans l'endroit où il
exerce sa justice, possède des muids, des setiers, des mesures pour le
liquide et le blé, de même que nous en avons dans notre propre palais. Que
nos officiers, les gardes de nos forêts et de nos celliers, nos palefreniers,
nos percepteurs d'impôts, veillent à ce qu'on paye les tributs dans nos
fermes. Qu'aucun juge ne puisse lever de tribut, ni pour lui, ni pour ses
chiens sur nos hommes ou sur les étrangers. Que l'on prenne un grand soin de
nos étalons, sans les laisser séjourner longtemps dans le même lieu, de peur
qu'ils n'y perdent leurs bonnes qualités. Et si l'un d'eux vient à mourir,
qu'on nous le fasse savoir en temps convenable, avant l'époque où l'on fait
accoupler les juments[30]. Que l'on garde avec soin nos juments, et qu'on sèvre à
temps les poulains. Si les étalons sont en trop grand nombre, qu'on les
sépare, et qu'on en forme un troupeau à part. Nos poulains doivent être tous
envoyés à notre palais pour la fête de saint Martin d'hiver. Nous voulons que
tout ce que nous ou la reine aurons ordonné, et que ce qu'ordonneront en
notre nom notre sénéchal et notre bouteiller, soit accompli. Et quiconque,
par négligence, ne l'aura pas fait, s'abstiendra de boire, depuis le moment
où on le lui aura dit, jusqu'à ce qu'il soit venu en notre présence ou en
celle de la reine, et nous ait demandé son pardon. Si le juge qui devait
accomplir l'ordre s'est trouvé à l'armée, en tournée, en ambassade, ou
partout ailleurs, et que ce soit à ses inférieurs que l'ordre ait été donné ;
qu'ils viennent à pied au palais, en s'abstenant de boire et de manger,
jusqu'à ce qu'ils aient exposé les raisons qui les ont empêché d'obéir, et
qu'ils aient reçu leur punition sur le dos ou de telle autre manière qu'il
plaira à nous ou à la reine[31]. Cette gestion, cette surveillance du cellier et des haras aux ordres du bouteiller et du sénéchal s'étendent à tout ; aux juges, aux jurés, aux leudes, aux hommes libres comme aux serfs, aux produits même de la terre ; Charlemagne apporte la sollicitude attentive d'un fermier dans l'administration de ses domaines ; il sait que ces terres forment ses revenus les plus certains : Que nos poulets et nos oies aient la quantité de farine qu'il leur faut et de la meilleure qualité possible. Que l'on tienne dans les écuries de nos principales villas au moins cent poulets et trente oies. Dans les autres, on ne pourra pas avoir moins de cinquante poulets et de douze oies. Chaque juge fera parvenir tous les ans à la cour des fruits en abondance ; il conservera nos viviers dans les endroits où ils sont et tachera de les augmenter autant que possible. Que tous ceux qui ont des vignes n'aient pas moins de trois ou quatre couronnes de grappes. Dans chacune de nos villas, il y aura des vacheries, des bergeries, des étables pour les cochons, les chèvres et les boucs ; qu'elles aient aussi des vaches pour leur service, gardées par nos serfs, de telle manière que les vacheries et les bêtes de charroi ne perdent nullement de leur valeur pour le service du maitre ; qu'elles conservent dans toute leur vigueur les bœufs, les vaches, les chevaux[32]. Puis Charlemagne, dans son active sollicitude, s'occupe des banquets du suzerain ; il veut donner à sa table la somptuosité, la splendeur de ses cours plénières. Le banquet était une des conditions féodales ; le suzerain devait hospitalité à ses leudes, les réunir autour de la table ronde dais ses fermes royales ou ses grandes diètes : Que chaque juge fasse prendre dans l'étendue des domaines tout ce qui doit être servi à notre table, veillant à ce que ce soit de bonne qualité et arrangé avec goût et soin. Que chaque juge fasse pétrir tons les jours du blé pour notre service. Que tout ce qu'on nous donne se trouve également bon, tant la farine que le mais. On nous fera savoir aux kalendes de septembre si l'on fait paître ou non nos troupeaux. Les majordomes n'auront point en leur dépendance plus de terres qu'ils n'en peuvent visiter et surveiller en un jour. Que dans les cases on ait toujours du feu[33], et que l'on y fasse le guet pour les garder en sûreté. Quand des envoyés viennent à notre palais ou s'en retournent, ils ne doivent en aucune manière lever des droits de passage sur nos fermes, à moins que nous ou la reine nous Leur en ayons donné l'ordre exprès. Et les comtes ou les hommes qui depuis longtemps ont l'habitude de recevoir chez eux ces envoyés ou délégués doivent continuer à le faire comme par le passé, ayant soin de leur procurer des chevaux et tout ce qui peut leur être nécessaire, afin qu'ils aillent à notre palais ou en retournent avec honneur. Chaque année[34], pendant le Carême, au dimanche des Rameaux que l'on appelle hosanna, on s'empressera de nous apporter l'argent de nos revenus. Chaque juge veillera aux procès qui peuvent s'élever parmi nos hommes, afin qu'ils ne soient pas obligés de venir plaider devant nous, et ne perdent pas par négligence un jour de travail. Si l'un de nos serfs a procès avec un étranger, son maitre emploiera tous ses efforts à lui faire rendre justice[35]. Dans nos villas, on doit s'occuper avec le plus grand soin à faire et à préparer le lard, le sel, le vin, le vinaigre, le vin cuit, la saumure, la moutarde, le fromage, le beurre, la cervoise, l'hydromel, le miel, la cire et la farine. Nous voulons que l'on fasse des ragoûts avec les moutons et les porcs frais, et que dans chaque villa il y ait toujours deux bœufs gras, tout prêts à être mis en sauce ou à nous être envoyés. On dirait, à la lecture de ce capitulaire, qu'on vit à
l'époque de l'Iliade, qu'on assiste aux immenses repas d'Ajax et de Diomède,
où les bœufs se consumaient dans un feu ardent. La table féodale était un des
grands devoirs du suzerain, Charlemagne y porte un soin particulier ; il faut
que le vin du Rhin arrose les larges plats de venaison, lorsque la chasse
lointaine a fatigué cet homme de force et d'énergie ; car la forêt est aussi
l'objet de sa sollicitude : Que nos bois soient
bien gardés, qu'on y fasse des coupes lorsqu'il en est besoin, et qu'on ne
laisse pas les champs s'accroître aux dépens des forêts[36]. Que nos bêtes fauves soient gardées avec soin, que nos
éperviers et nos vautours servent aussi à notre profit. Et si quelque juge,
quelqu'un de nos majordomes ou quelqu'un de leurs hommes laisse aller un porc
dans une de nos forêts pour s'y engraisser, qu'il paye pour cela une dîme,
afin de donner un bon exemple. Qu'on veille avec soin sur nos champs, nos
moissons et nos prés[37]. Les juges recevront les œufs et les poulets que leur
porteront nos serfs, et si le nombre en dépasse nos besoins, ils feront
vendre le surplus. Il y aura en chaque villa un nombre suffi-saut de laies,
de paons, de faisans, d'oiseaux aquatiques[38], de colombes, de perdrix et de tourterelles. Que l'on
garde soigneusement les édifices de nos palais et les haies qui les
entourent. Que l'on tienne les étables, les cuisines, les moulins et
pressoirs en assez bon état pour que nos officiers puissent y remplir leur
charge avec propreté. Que dans chaque chambre de nos villas il y ait des
lits, des matelas, des oreillers de plume, des couvertures, des draps ; il
doit y avoir aussi des tapis sur les bancs, des vases d'airain, de plomb, de
fer, de bois ; des chenets, des chaînes, des supports, des haches ou cognées,
des vrilles, et toute sorte d'ustensiles[39], afin qu'on ne soit pas obligé d'aller en emprunter
ailleurs. Que les juges aient aussi toutes les armes et armures que l'on
porte contre l'ennemi, et qu'ils les tiennent en bon état ; ils les
remettront dans les fermes à leur retour des batailles[40]. Qu'ils fassent placer dans notre gynécée tout ce qui
doit s'y trouver : le lin, la laine, le pastel, le vermillon, la garance, les
peignes, les laminoirs, les chardons, le suif, les vases et toutes les autres
minuties qui y sont nécessaires. On fera au Carême deux parts de tous les
légumes, du fromage, du beurre, du miel, de la moutarde, du vinaigre, du
millet, du pain, du foin sec et de celui qui est vert, des racines, des
navets, de la chicorée, du poisson péché aux viviers ; l'une pour nous,
l'autre pour l'évêque. Chaque juge aura dans l'étendue des domaines commis à
sa garde des ouvriers qui travaillent bien le fer, l'or et l'argent ;
d'excellents cordonniers, tourneurs, charpentiers, menuisiers, tailleurs,
oiseleurs ; des hommes qui fassent parfaitement la cervoise, le cidre, le
poiré et toutes les autres liqueurs ; qu'ils aient des boulangers qui
pétrissent des gâteaux, des faiseurs de filets et tant d'autres ouvriers
qu'il serait trop long d'énumérer ici[41]. Ainsi, ces villas, établissements royaux jetés sur de si vastes bases, étaient de véritables fermes modèles qui comprenaient les ouvriers de toute espèce, les serfs et les calons cultivateurs, sous l'administration d'un comte ou d'un juge qui correspondait directement avec l'empereur. Ce fut le meilleur revenu de la couronne, et ces fermes devinrent avec les monastères les origines des bourgs et des villages[42]. Aussi Charlemagne prend-il lé soin le plus attentif à les maintenir dans un bon état d'entretien et de conservation. Que l'on répare tous nos édifices, en ayant soin de ne pas les laisser dégrader au point que l'on soit obligé de les rebâtir. Que nos chasseurs, nos fauconniers et tous nos autres officiers qui sont employés fréquemment à notre service dans le palais tiennent conseil dans nos villas, sur les ordres que nous ou la reine leur aurons envoyés par lettre ou de toute autre manière ; comme sur ceux que notre sénéchal et notre bouteiller leur donneront en notre nom. Que nos pressoirs soient préparés avec soin, car personne ne doit fouler avec les pieds notre vendange ; on s'y prendra d'une manière plus décente et plus propre. Nos gynécées seront tenus en bon état, couverts de toits, entourés de bonnes haies et munis de portes solides. Que chaque juge tienne fréquemment des audiences, rende la justice et veille à ce que nos serviteurs vivent honnêtement[43] ; qu'ils n'empêchent pas un serf qui voudra nous porter plainte contre son maitre de venir nous trouver. Et si un juge sait que ses subordonnés veulent l'accuser devant nous, qu'il nous fasse savoir les raisons lui l'animent contre eux, afin que nos oreilles ne soient point fatiguées d'une vaine plainte. Nous saurons ainsi si c'est le hasard ou la nécessité qui les amènent au palais. La ferme était habituellement située au milieu des vastes
forêts ; le suzerain y faisait son séjour de chasse lorsque venait le temps
d'hiver, la saint Hubert des forts chasseurs ; l'éducation des chiens, des
faucons, des éperviers était l'objet des grandes sollicitudes du suzerain ;
car les chiens étaient de belle espèce d'Écosse, de Germanie ; les danois,
les suèves aux poils courts, les dogues[44] à la dent aiguë
: Quand nos jeunes chiens auront été recommandés à
l'un de nos juges, dit Charlemagne, il les
nourrira de son bien ou les donnera à ses subordonnés, qui sont les majores,
les decani et les cellarii[45] ; ceux-ci alors auront soin de les bien nourrir. Si
cependant nous ou la reine nous ordonnons qu'on les nourrisse de notre bien
dans une de nos villes, le juge indiquera alors un homme qu'il chargera du
soin de les élever. Que chaque juge fasse donner à nos serfs, les jours où
ils sont de service, trois livres de cire ; lorsque nous habiterons dans un
lieu le jour de la saint André, ils feront donner ce jour-là aux serfs qui
habitent le même endroit six livres de cire. On fera de même au milieu du
Carême. Les juges nous feront connaitre chaque année pour la Noël[46] — et afin que nous sachions ce que nous possédons — tout ce qui est relatif à nos bœufs et à nos bouviers, à
nos esclaves, aux laboureurs, les revenus qu'ils ont prélevés sur les champs,
sur le vin, et de toute autre manière, les pactes faits et rompus, les bêtes
prises dans nos bois ; enfin ce qu'ils ont retiré des amendes imposées ; ils
énuméreront ce qui regarde la mer et les navires, les hommes libres et les
centeniers qui servent dans nos fiscs, les marchés, les vignobles et le foin
; ce qui a rapport au bois, aux planches, aux. pierres et autres matériaux ;
ce qu'il importe que nous sachions des légumes, du millet et du pain, de la
laine, du lin et du chanvre, des fruits, des noix grosses et petites, des
arbustes plantés ou coupés, des jardins, des abeilles, des viviers, des
cuirs, des peaux, de la chair, du miel, de la cire et du suif ; des boissons
telles que vin cuit, hydromel et vinaigre, de la cervoise, du vin vieux et du
nouveau, des grains vieux et nouveaux aussi ; des poules et de leurs œufs,
des oies et des canards ; enfin ce qu'ont fait les pécheurs, les fabricants,
les charpentiers, les cordonniers, les tourneurs, les selliers, les ouvriers
en fer et en plomb, les exacteurs d'impôts[47]. La sollicitude de Charlemagne est si active, si minutieuse qu'il paraît craindre que les comtes, les centeniers ne s'en étonnent et ne murmurent : Que les juges ne se plaignent pas si nous leur demandons toutes ces choses ; ils agiront de même à l'égard de leurs subordonnés : ce qui se fait dans les villas et les maisons de simples particuliers peut bien se faire dans les nôtres et dans celles de nos juges. Que ceux de nos chars que l'on conduit à l'ennemi soient bien faits, et qu'on les construise assez bien pour que si la nécessité arrivait qu'il fallût les mettre à l'eau, ils pussent passer un fleuve sans que l'eau pénétrât dans l'intérieur. Dans chaque char on mettra pour nos provisions douze muids de farine ; ceux qui devront porter le vin en contiendront aussi douze muids. On mettra pareillement dans chaque char une lance et un écu, un carquois et un arc[48]. Que l'on vende les poissons de nos viviers et qu'on les remplace par d'autres, afin qu'il y en ait toujours. Quand nous ne venons pas dans nos villas, qu'on vende ces poissons et que nos juges les fassent servir à notre profit. Qu'on nous rende compte de nos chèvres et de nos boucs, ainsi que de leurs cornes et de leurs peaux. Nous voulons que nos juges aient toujours tout prêts à nous être envoyés, soit à l'armée, soit au palais, des bons barils cerclés de fer, et qu'ils ne fassent plus d'outres de cuir. Que l'on nous fasse savoir combien on a pris de loups, et qu'on nous montre leurs peaux. Au mois de mai, ou lâchera les chiens sur eux, et on tâchera d'en prendre le plus que l'on pourra, tant en les combattant avec le harpon, que par des fosses ou au moyen de chiens[49]. La vénerie s'étendait particulièrement à la chasse aux
bêtes fauves, si essentielle à cette époque. Le glapissement du loup se
faisait entendre auprès des villas, au pied de la tour monastique ; ils
allaient par grandes troupes, et les pèlerins racontaient les périls qu'ils
avaient éprouvés en traversant les déserts de la Bourgogne ou de la
Champagne. Le loup joue toujours un très grand rôle dans la légende féodale,
comme dans la vie du saint ; il faut le plus souvent lui disputer la forêt
que l'on défriche, le jardin potager qui entoure la cellule des moines. L'art
de la culture est poussé très loin ; c'est un héritage des colons gaulois, et
Charlemagne tout grand qu'il est descend aux plus minutieux détails du
jardinage : Nous voulons qu'il y ait dans nos
jardins toutes sortes d'herbes : des lis, des roses, de la sauge, de la rue,
de l'aurone, des concombres, des poivrons, des citrouilles, des faséoles, du
romarin, des pois chiches d'Italie, de l'oignon marin, du glaïeul, l'arbuste
qui produit la gomme, de l'anis, de la coloquinte, des tournesols, de
l'amena, du si/us, des laitues, de la nielle, de la roquette blanche, du
cresson, de la bardane, du pouliot, de la chicorée, de la moutarde, de la
sarriette, du chervis, de la menthe, du pouliot sauvage, de la matricaire[50], des pavots, de la poirée, de la guimauve, de la mauve,
des panais, des blettes, des choux-raves, des choux, des oignons, des
poireaux, des radis, des échalotes, de l'ail, du chardon, de grosses fèves,
des pois de Mauritanie, de la coriandre, du cerfeuil, des lacterides, des
sclazeias. Dans ces petits jardins, on plantera tout près de la maison de la
joubarbe. Quant aux arbres, il y aura diverses sortes de pruniers, de
pommiers, de cerisiers, de poiriers, de pêchers, des néfliers, des
châtaigniers, des arbres à coings, des noisetiers, des amandiers, des
lauriers, des pins, des figuiers et des noyers[51]. C'est à la lecture de ce vaste capitulaire De villis, si minutieux, si détaillé, qu'on peut se faire l'idée la plus juste, la plus sérieuse de l'administration domestique de Charlemagne ; il s'agit de fixer ses revenus, d'organiser ses colonies fiscales, l'une des créations les plus admirables de ce temps. Les fermes n'étaient point seulement des cultures agricoles plus ou moins étendues, c'était une colonie entière, c'étaient de petites sociétés composées d'ouvriers de tous métiers qui, sous la conduite d'un délégué du fisc, travaillaient pour le bien-être commun et à l'avantage du maître, sorte de tradition de la famille romaine, réunion d'esclaves et d'affranchis. Le capitulaire De villis est une des œuvres de Charlemagne la plus complète, car il comprend l'administration de chacune des fermes modèles ; il nous fait pénétrer dans la vie intime de la société ; l'ouvrier était attaché comme le laboureur au fisc royal, tous travaillaient à l'amélioration du domaine. Ces capitulaires nous révèlent l'état des propriétés foncières, la condition des serfs et des hommes libres, le genre de culture des terres, car les Gaulois étaient grands agriculteurs ; leurs méthodes s'étaient confondues avec les traditions de Rome, et le contact des Arabes les avait perfectionnées encore. Les fermes étaient les revenus des rois ; il y avait là des travailleurs pour la terre, des cultivateurs pour les champs, des hommes qui fabriquaient les armures de guerre, ou façonnaient les tonneaux de la vendange : chaque serf avait son état, chaque homme du manoir son emploi ; la plupart des revenus se recueillaient en nature ; le suzerain recevait le vin de ses fermes, les récoltes de ses champs, la viande de ses moutons, de ses porcs qu'il comptait un à un, parce qu'il en avait besoin aux jours de ses banquets, quand le vin du Rhin et de la Moselle coulait à pleins bords dans la coupe féodale. Chacune de ces fermes était donc un tout, un ensemble, qui réunissait comme dans une cité tous les arts, tous les métiers[52]. L'acte qui organise si admirablement les fermes carlovingiennes n'est point un capitulaire, dans le sens absolu du mot ; c'est un règlement que Charlemagne rédige, proclame, pour la gestion de son propre domaine ; quand il fait rédiger ce vaste code d'administration, il n'est encore que le chef des Francs, la couronne impériale n'a pas touché son front : il s'occupe moins de son empire que de l'organisation de son domaine. C'est la coutume des rois francs de la première race, que de gérer les revenus de leur domaine, assez considérables pour rendre l'impôt général imperceptible ; les revenus du fisc se composaient alors surtout de redevances, de perceptions en nature, de corvées pour les routes, de blé, de vin, d'armes pour les batailles ou les plaids royaux, et de services en personne. Enfin les ressources du suzerain s'agrandissaient de quelques sous ou deniers d'argent levés sur les hommes libres, et destinés à maintenir la splendeur de la couronne. |
[1] C'est ce qui m'a fait renoncer à l'idée de dresser un Code carlovingien dans l'ordre des matière adopté par les Institutes de Justinien et les Pandectes de Bothier ; ce travail serait essentiellement arbitraire, et donnerait même une très fausse notion des capitulaires et de la civilisation qui les a produits. Depuis que Pertz a publié son Corpus Juris carlovingien, en 2 vol. in-fol., Baluze doit paraître incomplet ; mais il faut savoir gré à ce premier travailleur d'avoir séparé les conciles des capitulaires.
[2] On peut faire cette réflexion en parcourant la vaste et belle collection des Ordonnances du Louvre de la 3e race. Rien ne se rattache aux capitulaires ; c'est un droit, tout nouveau ; c'est que les traditions n'ont point passé là, elles se sont perpétuées en Germanie ; les lois d'Othon en sont toutes empreintes, car Charlemagne est un Allemand. (V. Corpus Juris germanic.)
[3] Les auteurs de l'Histoire de l'église gallicane ont suivi le même plan, v° t. VI, édit. in-8°. Le triage des conciles et des capitulaires est fort difficile à accomplir.
[4] Montesquieu a moins analysé la législation de Charlemagne qu'il n'a écrit quelques phrases brillantes sur ce règne.
[5] Voici le sommaire de ce capitulaire de 769 :
1. Ut servi Dei in hostem non pergant, niai illi qui necessarii sunt propter divinum ministerium.
2. Ne sacerdotes fundant sanguinem christianorum vel paganorum.
3. Ut servi Dei venationes non exerceant.
4. De episcopis et presbyteris ignotis, quomodo admittantur ad ministerium ecclesiasticum.
5. De sacerdotibus qui plures uxores habuerint.
6. Ut unusquisque episcopus provideat in sua parochia ne populus agat paganias aut superstitions.
7. Ut parochiam suum singulis annis unusquisque episcopus circumeat.
8. Ut presbyteri episcopis suis subjecti sint, et ut Quadragesimæ tempore rationem ministerii sui eis reddant.
9. Ne aliquis accipiat ecclesiam infra parochiam sine consensu episcopi sui.
10. Ut sacerdotes magnam curam habeant de incestis et infirmis et pœnitentibus.
11. De jejunio Quatuor Temporum.
12. Ut bis in anno ad malum omnes veniant.
13. Ut nulle negligens sit quando pro rege vel fidelibus suis orandum fuerit.
14. Ut sacerdos nisi in locis consecratis missam non celebret.
15. De sacerdotibus qui ministerium suum adimplere non valent.
16. Ut sacerdos qui admonitionem episcopi sui contempserit, deponatur.
17. Ut nullus judex neque presbyterum neque diaconum aut clericum sine consensu episcopi sui distringat.
18. Ut nullus episcoporum vel secularium alterius cujusquam res retinere prœsumat.
[6] Capitulaire ; mars 779 :
1. Ut suffraganei episcopi subjecti sint metropolitanis.
2. Ut episcopi ordinentur ubi non sunt.
3. Ut
monasteria regularia regulam custodiant.
4. De potestate episcoporum super presbyteros et clericos. b. Ut episcopi incestuosos emendent et viduas.
6. De alterius clerico episcopi non recipiendo nec ordinando.
7. De decimis dandis et per jussionem episcopi dispensandis.
8. De reis qui mori debent, ut ab ecclesii non defensentur.
9. Qualiter de latronibus faciendum sit.
10. De perjuris.
11. De latronibus juste peremptis, et de hominibus injuste punitis.
12. Ut ea conserventur, quae in placitis et synodis Pippinus rez constituit.
13. De nomis et decimis vel censu ecclesiarum.
14. De truste non facienda.
15. De tributariis ecclesiarum.
16. Ut sacramentum non fiat.
17. Ut itinerantibus nullus impedimentum faciat.
18. De teloneis forbannitis.
19. Ut mancipia non sine testibus vendantur.
20. De loricis extra regnum non vendendis.
21. Qualiter de comitibus vel vassis dominicis justiciam non facientibus agendum sit.
22. De his qui pretium pro faida recipere et justitiam facere nolunt.
23. De latronibus his per membra et tertio per vitam puniendis.
[7] Solvat bonnum.
[8] Casata, petite maison dont dépendent quelques terres. Voir la Polyptyque d'Irminon, publiée par M. Guérard ; Paris.
[9] Mancipia.
[10] Tautas vices bonnum solvat.
[11] Servus.
[12] C'est la loi saxonne des garnisaires, maintenue au temps moderne.
[13] 779.
[14] La famine qui dévora la génération cette année.
[15] Casates.
[16] Ici est l'origine saxonne de la taxe des pauvres.
[17] Les jeûnes publics sont encore en vigueur en Angleterre.
[18] Sic promitto ego ille partibus domni Karoli regis et filiorum ejus, quia fidelis sum et ero diebus vitæ meœ, sine fraude vel malo ingenio.
[19] La chasse fut une des habitudes les plus difficiles à extirper dans le monastère. (Voyez Collect. concil. gallicor. du père Sirmond.) Parcourez les tables au mot venatio.
[20] C'est ici une coutume germanique que l'on retrouve dans les habitudes allemandes.
[21] Capitul. 789. Il est essentiel de bien remarquer la diversité des conditions du Franc, du Romain, du Gaulois. C'est par la différence des compositions et des amendes que la distinction des rangs s'établit dans le droit public de cette époque. Montesquieu a traité ce sujet avec une grande supériorité : Esprit des Lois, XXVIII.
[22] Cette disposition sur le trésor se rapproche des dispositions de la loi romaine. (V. Institut. de Justinien.)
[23] Pour donner une idée de cette confusion des capitulaires, voici tout qu'on trouve de Tassillon (Francfort, 794, Baluze, I, 261) :
1. De indulgentia Tassiloni, duci Bajoariorum, à Karolo rege concessa.
Puis le même capitulaire porte :
2. De stabili prætio annonæ, tum privatæ, tum publicæ.
3. De novis denariis, ut ab omnibus in omni loco accipiantur.
4. Ut episcopi justitias faciant in suis parochiis.
5. Ut episcopus non migret de sua civitate, nec presbyter sut diaconus de sua ecclesia.
6. De altercatione Viennensis et Arelatensis episcopi. Et de Tarentasia, Ebreduno et Aquis.
7. De purgatione et reconciliatione Petri episcopi.
8.
Gerbodo incertæ ordinationis episcopo dignitas abrogata.
9. Ut monachi à secularibus negotiis et placitis abstineant.
10. Ut reclusi, niai ex episcopi et abbatis approbatione, non fiant.
11. Ut abbas cum suis dormiat monachis.
12. Cellarii in monasteriis quittes eligendi sint.
13. De monasteriis ubi corpora sanctorum sunt.
14. Ut pro introeuntibus in monasterium præmia non exigantur.
15. Ut abbas sine consensu episcopi non eligatur.
16. Nulla ex culpa monachos abbati cæcare, aut mutilare licet.
17. Ne clerici aut monachi tabernas ingrediantur,
18. Episcopus canones et regulam scire debet.
19. Dies dominica quomodo observanda.
[24] Pour les monnaies et les mesures carlovingiennes, il faut comparer Leblanc (Traité des Monnaies) et le glossaire de M. Guérard dans la Polyptyque de l'abbé Irminon.
[25] Capitul. ann. 787.
[26] Capitul. (Ed. de Pertz, t. I). J'ai besoin de dire que l'administration des fermes royales offrait une haute importance dans le système adopté par Charlemagne ; c'était la branche principale du revenu public.
[27] C'est ici la loi saxonne ; la législation anglaise l'avait adoptée : elle punissait de mort le vol fait aux champs. Ce n'est que depuis quelques années que le code pénal a été modifié.
[28] La loi franque admettait le système du rachat des peines corporelles par la composition. Voyez Ducange, v° freida.
[29] Le mot juge se prend ici peut-être dans le sens de comites : la fixation de la dîme est très précise dans ce capitulaire : Agraria et papuria vel decimas poriorum, ecclesiœ concedimus, ita ut actor aut decimator in rebus ecclesiæ nullum accedat. (Baluze, p. 336.)
[30] Ces dispositions si attentives sur les chevaux se ressentent de l'esprit de conquête et d'invasion qui caractérise la nation germanique ; les chevaux pour la guerre, les chiens pour la chasse, tels sont les objets de grande sollicitude pour la famille allemande. Ce serait une curieuse histoire à suivre que celle de la législation sur la chasse et les haras dans le moyen âge.
[31] L'abstinence imposée jusqu'à l'exécution des ordres du souverain est encore empruntée à la législation saxonne. C'est une espèce d'épreuve que l'abstinence pour ces hommes sensuels.
[32] Capitular. de villis (art. 39). C'est cette disposition surtout qui a excité la plus vive admiration de Montesquieu : Esprit des lois, liv. XXXI, chap. 18. C'est sans doute l'acte d'un excellent administrateur, mais certes ce ne sont pas ces petits détails qui font la grandeur de Charlemagne. Au reste, je le répète, la plupart de ces actes étaient l'œuvre des secrétaires et cancelarii ; ces capitulaires portaient à peine le scel et le monogramme de la main de Charlemagne. Voyez Goldast, Constitut. imper., t. II.
[33] J'ai encore recherché ce que les capitulaires peuvent entendre par casata ; il est évident que d'après la Polyptyque de l'abbé Irminon ce n'était pas une ferme, car la ferme contenait plusieurs casatas. Selon moi, la casata était une maison, une chaumière, l'habitation d'une famille. D'où est venu ce mot italien casa, maison.
[34] Le paiement des redevances royales avait toujours lieu à Pâques, la plus grande des solennités ; c'était presque toujours alors l'époque des cours plénières, des hommages et de la réunion des hommes d'aimes. Voyez les savantes Dissertations sur les Impôts, que M. de Pastoret a publiées dans les tomes XVII et XVIII de la Collection des historiens de France.
[35] Pour la condition des serfs dans les villas royales, voyez le grand Ducange, v° Villanus. — Servus.
[36] C'est une loi de prévoyance contre les défrichements ; la forêt, c'était le berceau de la liberté et de la vie germanique. Voyez Ducange, v° Forest.
[37] Ces dispositions se retrouvent dans les ordonnances de la troisième race. Voyez t. Ier de la Collection du Louvre.
[38] Ce capitulaire ne peut bien s'expliquer qu'en le comparant toujours au livre du cens de l'abbaye de Saint-Germain, qui nous fait parfaitement connaître la situation des fermes.
[39] Ce passage donne l'idée de tout le vaste mobilier d'une villa à l'époque carlovingienne.
[40] Le système de la propriété se liait alors essentiellement aux services militaires. La culture de la terre n'était pas tout, il fallait aussi la défendre. Voyez Ducange, v° Forest — Villa — Feudum Militiæ — Membrum Loricæ — Hostis.
[41] Capitul. de Villis, ann. 800. Ces fermes royales sont modelées sur les fermes ecclésiastiques ; on doit comparer sans cesse ces capitulaires avec la Polyptyque d'Irminon, qui donne une si minutieuse description de la ferme de Palaiseau, une des plus opulentes de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Ce qui touche à la ferme de Palaiseau est intitulé : Breve de Palatialo.
[42] C'est de la villa romaine ou carlovingienne que sont venus les mots village, villainie (vilenie), vilain.
[43] L'administration des fermes royales comprenait trois sortes de devoirs : la justice, le service militaire, la redevance. Je crois que c'est l'usurpation de ces domaines par les comtes dans les désordres de la fin de la 2e race qui a constitué particulièrement la féodalité. Les mêmes devoirs se reproduisent en effet dans les chartres des Xe et XIe siècles. Telle est l'opinion de Ducange. J'aurai plus tard à examiner le véritable caractère de la propriété foncière sous Charles le Chauve.
[44] Molossus, les glossaires donnent ce nom à une grosse espèce de dogue.
[45] C'étaient les fonctionnaires subordonnés qui dépendaient du comte ou juge. Ces titres-là son évidemment romains. Charlemagne adopte pour l'administration de ses fermes royales le système des métairies des Romains ; il y a plus d'une disposition dans cette hiérarchie de la propriété qui se rattache à l'époque romaine ou gauloise. Il faut se rappeler que la méthode d'agriculture était très perfectionnée chez les Gaulois.
[46] Pâques et Noël étaient les deux grandes époques au moyen âge. Je regrette bien vivement que M. Guérard n'ait pas publié encore la préface de la Polyptyque de l'abbé Irminon, ce monument remarquable sur l'état de la propriété ; il ne manquera pas sans doute d'examiner l'état de la propriété gauloise et franque.
[47] La villa comprenait donc tout : agriculture, arts, métiers, d'où il faut conclure que c'est là l'origine, comme je l'ai dit, des villages, des villes. Voyez Ducange (Glossaire), le plus admirable dissertateur sur le moyen lige. Comme les produits étaient les principaux revenus du domaine, il n'est pas étonnant que Charlemagne y apporte toute sa sollicitude.
[48] Il existe un autre capitulaire plus précis encore sur les préparatifs militaires quand le suzerain voulait marcher aux batailles. Mais pour les habitudes de guerre, il faut surtout consulter les chansons de gestes, où se trouvent merveilleusement dits les devoirs des services. (Voyez Garin le Loherain, Berte aux grans piés.) On voit surtout combien les murmures des comtes et vassaux étaient multipliés quand le service envers le suzerain se prolongeait trop de temps.
[49] Les devoirs des comtes s'étendaient ainsi à la partie des forêts ; les dispositions sur les loups ont passé dans les ordonnances des rois de France ; elles sont l'origine de l'organisation des capitaines de la louveterie continuée jusqu'à la révolution française. On trouve dans les chartres du moyen fige un grand nombre de comtes ou de majores qui portent le surnom de Lupus.
[50] Je donne ces petits détails afin de faire parfaitement connaître l'état de l'agriculture dans les fermes royales ou modèles.
[51] Le capitulaire de Villis porte la date de 800, l'année même où Charlemagne réalisa la vaste idée impériale ; ainsi, à côté de la pourpre des césars, la culture minutieuse des jardins ! Baluze a publié ce capitulaire avec un grand soin. M. Pertz l'a accompagné d'excellentes annotations. On n'étudie pas assez généralement la collection de Goldast sur l'époque carlovingienne ; elle contient des renseignements précieux.
[52] L'aspect des villas romaines, même dans leurs ruines, peut très bien nous expliquer les fermes gauloises et franques. Tons ceux qui visitent Tivoli ont salué la villa Adriana à mi-route avec ses cyprès, ses pins, ses vastes bâtiments en ruines, ses cases de serfs ou de prétoriens. Ainsi devaient être les fermes carlovingiennes.