CHARLEMAGNE

TOME PREMIER. — PÉRIODE DE LA CONQUÊTE

 

CHAPITRE XV. — RÉTABLISSEMENT DE LA DIGNITÉ IMPÉRIALE EN OCCIDENT.

 

 

Extinction de la mairie du palais. — Le titre royal dans la personne de Charlemagne. — Patriciat. — Consulat. — Institution des royaumes d'Italie et d'Aquitaine. — Pépin et Louis. — Marche et progrès des idées romaines. — La pourpre. — Le sceptre. — Le manteau. — Voyage de Charlemagne à Rome. — Changement du patriciat en la dignité impériale. — L'empire d'Occident. — Assemblées Militaires. — Diètes pour la guerre, le jugement. — Triple organisation du pouvoir. — Les ducs ou défenseurs des marches. — Les comtes fonctionnaires civils. — Les Missi Dominici. — Caractère de l'œuvre conquérante de Charlemagne.

780-800.

 

Dans le progrès et le développement d'une œuvre politique, il se dessine et se révèle toujours plusieurs époques ; quelque grand et audacieux que soit un homme, il ne marche jamais droit à son but ; il ne saisit pas tout à coup la puissance, il s'avance lentement, dans la crainte de soulever l'opposition des esprits, frappés, étonnés, inquiets de la grandeur nouvelle d'un seul homme. C'est ce qui se produit sous Charlemagne, depuis le titre royal qu'il partage avec Carloman jusqu'à son élévation à la dignité impériale ; il y a un long et pénible travail qui s'explique par les embarras de la conquête. Avant qu'un chef se pose fort dans une société, il doit mériter par de grands services l'admiration et la confiance des masses ; et c'est en quoi l'histoire du pouvoir est curieuse à étudier dans la période carlovingienne.

Un premier résultat de l'administration des Carlovingiens, c'est la disparition absolue de la mairie du palais, celte immense dignité mérovingienne ; on n'en voit plus trace ; l'on comprend très bien qu'avec des hommes d'énergie, tels que Pépin et Charlemagne, la puissance des maires ou des préfets du palais ait perdu ce caractère absorbant qu'elle avait au temps de la première race ; mais comment s'expliquer qu'elle ait disparu complètement ; on n'en retrouve plus aucun indice dans les chartres et les diplômes, c'est comme une dignité abolie[1] ; les ducs d'Austrasie, les maires du palais de Neustrie, maîtres du pouvoir royal, ont confondu dans leur titre de roi toute la puissance et l'autorité des ducs et des maires ; la mairie du palais, emprunt que les Mérovingiens avaient fait aux formulaires pourprés de Byzance, s'absorbe dans la révolution germanique qui fait triompher les ducs austrasiens. On se retrempe alors dans les mœurs primitives, le pouvoir royal s'en empreint. Le sacre vient imprimer à la royauté un caractère plus auguste, plus saint ; l'onction des rois, formule hébraïque, est rare, exceptionnelle, sous la première race ; au contraire, depuis Pépin, toutes les formes de l'église sont appelées à consacrer et à fortifier l'autorité des chefs austrasiens qui prennent la couronne ; Charlemagne est sacré trois fois[2] : comme héritier de Pépin, comme roi des Lombards et comme empereur. Les princes carlovingiens réunissent la double condition de la force qui protège et du droit qui sanctifie.

A son avènement, Charlemagne, fils de Pépin, exerce la royauté avec Carloman, c'est le point de départ de son pouvoir ; le partage des terres qui composent les deux royaumes n'a rien de fixe, la Neustrie ou l'Austrasie ne sont pas le lot exclusif de l'un ou de l'autre ; on les confond perpétuellement dans les chartres[3] ; aussi cette époque n'est marquée d'aucun capitulaire, d'aucune mesure législative ; c'est une lutte morale entre les deux frères ; Carloman n'est pas le plus fort, et néanmoins il comprime le caractère absorbant de Charles ; ce n'est due lorsque la royauté se concentre dans les seules mains de Charlemagne que le pouvoir devient une institution vigoureuse pour la conquête et l'organisation. Dans la première période de ce règne, Charlemagne a besoin de faire prévaloir sa suprématie par un grand éclat de victoires, et il réprime les peuplades barbares qui entourent ses domaines. A mesure qu'il obtient un succès, il prend un titre de plus, et ces titres sont presque tous romains ou byzantins.

L'influence des mœurs et des coutumes romaines ou des dignités du palais de Byzance fut la même que celle des chefs-d'œuvre des arts de la grande époque : les Barbares étaient éblouis de leur éclat ; ils pouvaient renverser les royaumes, réduire les populations à l'état de servage ; mais de ces sociétés détruites ils gardaient la couronne brillante d'escarboucles, le sceptre si merveilleusement travaillé, le trône tout relevé d'or et d'émeraudes ; ce respect, cet engouement pour les arts et la dignité antique va si loin, que souvent ils ne se servent plus pour leur scel que des cachets à la face des empereurs de Rome[4]. Dans un grand nombre de chartres, Charlemagne prend le titre de patrice[5] ; les papes lui écrivent comme à leur protecteur naturel. Charles fut élevé à cette dignité dans un voyage en Italie, à cause des services qu'il avait rendus à la chaire de saint Pierre, par les chefs de ces familles sénatoriales qui vivaient sur le mont Aventin, et conservaient les souvenirs de la vieille constitution des césars. A Rome se voyait encore le mélange des idées chrétiennes et de la forme primitive des institutions républicaines. Charlemagne prend aussi dans quelques monuments le titre de consul ; le consulat vivait encore de nom au vue siècle ; il n'avait plus rien sans doute de cette grande dignité romaine qui fit la gloire de la république, mais l'on gardait à Rome, comme de vénérables débris, les souvenirs antiques des vieux temps[6] ; le peuple transtévérin, les fils des citoyens qui habitaient le Campo-Vaccino se souvenaient des consuls, des tribuns, et toutes les fois qu'un caractère de grandeur se révélait au monde, les Romains lui décernaient quelques-uns de ces titres qui avaient fait la force de la constitution républicaine[7]. Il est à remarquer que les chefs barbares eux-mêmes, tant le nom de Rome était grand, reçurent avec respect ces marques de dignités d'un empire en décadence ; c'est que le souvenir des formes survit toujours à la destruction de l'œuvre ; souvent une institution est en ruines, et ceux-là mêmes qui l'ont détruite veulent s'empirer de ses souvenirs, de sa grandeur et briller de son éclat.

Patrice et consul de Rome, Charlemagne vise à une autre dignité : l'empire d'Orient et d'Occident était un de ces souvenirs qui restaient debout au milieu même des ravages des Barbares. L'empire d'Occident était tombé sous les mille excursions des peuples conquérants, qui, comme des fleuves, avaient brisé et séparé les terres en cent royautés diverses. Dès que Charlemagne a conquis et mesuré l'espace qu'occupait l'empire d'Occident, lorsqu'il a réuni sous sa domination les peuples qui habitent depuis l'Ebre jusqu'à l'Elbe, depuis la Bretagne jusqu'au Danube, il songe à reconstituer l'œuvre des Auguste et des César[8]. Ce n'est pas seulement le pape Léon qui dans son dévouement enthousiaste entonne dans la basilique de Rome le Vivat imperator ! il y a longtemps que l'homme germanique veut devenir Romain, c'est sa préoccupation, son rêve ; les races barbares veulent imiter Constantinople, ses pompes, ses dignités ; les rois mérovingiens portent déjà le manteau de pourpre comme les empereurs de Byzance ; leur couronne est imitée de celle des empereurs, le saphir, l'émeraude y brillent, la croix la domine ; ils chaussent le cothurne de pourpre comme eux ; comme eux ils ont un trône revêtu de lames d'or. Cette magnificence semble relever l'éclat et la force de leur pouvoir, et le patrice veut devenir empereur des Romains.

Avant de reconstituer cet empire d'Occident, objet de ses vieilles ambitions, Charlemagne veut comme les empereurs instituer des rois et donner à son pouvoir une supériorité politique sur les simples royautés. Il a conquis d'immenses terres ; il ne peut voir tout et administrer tout ; s'il embrasse constamment dans ses vastes enjambées les Pyrénées, les Alpes, le Tyrol, cependant il préfère résider dans les villes du Rb in ; ici l'attirent sa nature, son éducation ; il aime Mayence, Cologne, Worms, Spire et les forêts des sept montagnes ; il parcourt quelquefois les cités du Midi ; Milan et Saragosse ont salué ses bannières flottantes, et cependant il reste toujours l'homme du Rhin, de la Meuse : empereur, il placera sa résidence à Aix et fera bâtir une grande chapelle qui donnera un surnom chrétien à sa cité de prédilection et qu'il ornera de mosaïques de Ravenne[9].

Dans les vastes terres acquises par la conquête, il y a deux peuples qui l'arment chacun un tout capable de constituer une royauté ; les Saxons, les Bavarois, les Allemands n'ont pas de territoires fixes ; ils sont campés dans leurs villes, plutôt qu'ils ne constituent un royaume ; d'ailleurs, lui, Charlemagne, se réserve le gouvernement particulier de ces peuples germaniques ; il est dans son centre, dans ses habitudes : là, il peut se couvrir de sa peau de loutre, de ses fourrures d'hiver ; il a ses palais, ses fermes qu'il gouverne lui-même avec cette attention, cette surveillance, caractère permanent de son pouvoir. Les deux peuples les plus stables qui forment des gouvernements à part sont les Lombards et les Aquitains ; il peut créer pour ces peuples deux royautés séparées avec des institutions politiques ; il veut en doter Louis[10] et Pépin, ses deux fils ; il fera des rois, parce qu'il vise à une dignité plus haute, celle d'empereur. Le royaume d'Italie doit donc sa création à Charlemagne ; c'est une transformation qu'il faut bien caractériser dans l'histoire, car il ne s'agit déjà plus de la couronne lombarde. La constitution du royaume d'Italie est une idée romaine, pontificale, instituée dans des proportions plus larges que l'ancienne royauté lombarde de la Monza ; il ne s'étend pas seulement des Alpes à la Toscane ; le royaume d'Italie, tel que le comprend l'institution de Charlemagne, embrasse tout le Milanais, la Toscane, l'Exarchat, les grands fiefs de Bénévent, de Frioul et de Spolette ; la portion de la Calabre qui n'est plus sous la domination des Grecs ; la Vénétie, la Dalmatie, l'Istrie, de manière que toute l'Adriatique est enlacée par ce royaume d'Italie[11] que Charlemagne confère à son fils Pépin ; on doit même ajouter que de la correspondance des papes il semble résulter que le patrimoine de Saint-Pierre, quoique indépendant et séparé du royaume d'Italie, n'en est pas moins sous la protection du roi : ce n'est pas un fief, mais une terre nouvellement organisée, et qui a besoin de cet appui constant d'un pouvoir militaire et protecteur ; avec les troubles de Rome, avec les révoltes des légations ou de l'Exarchat, les papes appellent incessamment le glaive du chef des Francs ; ils invoquent la protection de la royauté d'Italie que Charlemagne a substituée à la couronne lombarde.

La constitution du royaume d'Aquitaine est aussi une création politique, contemporaine de la royauté d'Italie ; le nom de Charlemagne a laissé de grands souvenirs dans le Midi ; les tours et les monuments publics gardent mémoire de ce prince, et ce surnom de Magne est donné à plus d'un débris de l'époque carlovingienne. Cependant Charlemagne a peu de goût pour ces villes et ces populations méridionales ; il a passé rapidement pour aller en Espagne ; il n'y séjourne pas, il est l'homme du Nord ; il crée donc pour son fils bien-aimé Louis le royaume d'Aquitaine ; Louis est le véritable roi du Midi, il a semé les cartulaires de ses chartres et diplômes ; on en trouve datés de Narbonne, de Montpellier, de Nîmes, de Toulouse[12] ; Louis gouverne toutes les populations qui s'étendent depuis la Loire jusqu'à l'Èbre, non seulement les Aquitains à proprement parler, mais encore les Navarrais, les Basques, les Gascons, les Provençaux, qui forment pour le royaume d'Aquitaine les mêmes grands fiefs, les mêmes marches militaires que Bénévent, Spolette, Frioul pour la royauté d'Italie. Louis n'a pas de résidence fixe, quoique beaucoup de ses chartres soient datées de Toulouse ; il n'est pas une abbaye qui n'en conserve des traces dans ses archives. Charlemagne vieilli veut se reposer sur son œuvre ; Pépin et Louis, rois d'Italie et d'Aquitaine, font dès lors des guerres contre les populations qui bordent leurs domaines. Pépin guide ses leudes contre les Grecs et les Esclavons ; Louis, le roi d'Aquitaine, repousse sur les Pyrénées les excursions des Sarrasins souvent audacieuses, puisqu'elles menacent encore Narbonne et la Septimanie. Au fier Austrasien qui va recevoir la couronne impériale, il faut des rois pour lieutenants[13].

Charlemagne, roi lui-même, a donc fait deux rois, lorsqu'il s'achemine vers Rome, où la couronne impériale doit toucher son front[14]. Le rétablissement de l'empire d'Occident est un des faits les plus considérables dans les annales du moyen âge ; plus de trois siècles s'étaient écoulés depuis que le dernier des empereurs d'Occident, Augustule, avait vu s'éteindre dans ses mains l'empire ; les Barbares avaient déchiré ses terres comme son manteau de pourpre ; ils se l'étaient partagé comme la peau du bœuf en courroies. A la centralisation que les Romains avaient portée partout avait succédé une conquête en fragments, et mille peuplades diverses avaient dévoré l'empire : l'époque des Francs sous les Mérovingiens est surtout un temps de dispersion et de débris. La terre est au partage. Modification immense dans l'esprit des populations germaniques, que cette création par un seul homme d'un empire sous une même main I Cette pensée vint-elle à Charlemagne, ou bien lui fut-elle inspirée par- ses rapports intimes, ses relations continues avec les pontifes ? La papauté, grand principe d'unité, voulait-elle imprimer son caractère à la royauté franque ? L'institution de l'empire d'Occident parait être une inspiration romaine des papes Adrien et Léon III[15] ; le besoin d'une domination matérielle, d'un esprit de conquête et de supériorité pouvait naitre et se développer dans la tête de Charlemagne ; c'était naturel. Mais le réveil de l'empire d'Occident vient du pape Léon III ; l'unité en politique comme dans les doctrines fut l'œuvre de Rome.

Dans la ville éternelle, de vives agitations populaires s'étaient manifestées : des factions existaient comme dans les vieux comices ; on avait des bannières, des couleurs différentes ; l'anarchie la plus profonde divisait les quartiers de Rome, et les Transtévérins à la physionomie antique renouvelaient les désordres du Forum[16]. Les empereurs grecs n'étaient point étrangers à ces guerres civiles ; dépouillés de l'Italie par la force, ils voulaient la reconquérir par la ruse ; ils soudoyaient le peuple de la campagne et du vieux Latium pour les soulever contre les papes ; et à la mort d'Adrien, sa famille, de grande race romaine, ne voulut point reconnaître et saluer le pape Léon, qui n'était pas issu des patriciens. Il y eut des agitations de places publiques, des révoltes ; le nouveau pape fut traîné par les cheveux, soumis à d'indignes traitements, et les annales racontent qu'échappé miraculeusement à ces comices exaspérés, il vint demander secours et appui à Charlemagne.

On doit présumer que ce fut alors que le pontife, pour fortifier sa propre autorité, conçut la vaste pensée de reconstituer l'empire d'Occident sous l'épée de Charlemagne. Cette élévation à la puissante dignité romaine devait grandir la physionomie du roi des Francs, flatter son orgueil, orner sa pourpre et son diadème. Tout ce qui tenait à Rome, je le répète, avait même chez les Barbares un caractère solennel. Léon quitta l'Italie pour aller rejoindre Charlemagne. Le chroniqueur désigné sous le nom de poète saxon a raconté cette entrevue de Charlemagne et de Léon III à la diète de Paderborn ; qui sait si ce ne fut pas dans cette intimité que le pape et le roi conçurent l'idée de la reconstitution politique de l'empire d'Occident ?

Le poète saxon aime alors à rapporter les tristesses du pape, les désordres de Rome : Comme Léon allait à pied de son palais à l'église Saint-Laurent, le peuple romain, se jetant sur lui, l'accabla de coups, puis lui arracha les yeux et lui coupa la langue. Mais Dieu, par un miracle, lui rendit la vue et la parole[17]. Alors il se sauva de la prison où on l'avait enfermé et se mit en chemin pour rejoindre Charles à Paderborn, où il était alors. Il lui envoya d'abord un légat, qui raconta au roi les malheurs du pape ; Charles, ne pouvant contenir son indignation, fait une allocution à son peuple pour l'exhorter à porter des secours au pontife. A peine a-t-il parlé, qu'un long frémissement se répand dans l'assemblée, chacun court aux armes, et bientôt une armée formidable est levée en faveur du pontife. Charles se promène joyeux au milieu du camp ; son front est protégé par un casque d'or, des armes brillantes défendent sa poitrine, et il est porté sur un cheval d'une taille extraordinaire. Devant le camp s'étendent en foule les prêtres, divisés en trois parties ; ils portent devant eux les étendards sacrés de la croix, et tout le monde, clercs et laïques, attendent avec impatience le pontife. L'on apprend bientôt qu'il s'avance, accompagné de Pépin ; alors Charles fait former un grand cercle et divise son armée comme une ville ; lui-même, placé au milieu du rond, attend avec joie la venue du pontife ; sa haute taille surpasse celle de tous ceux qui l'entourent, et domine tout le peuple. Mais déjà le pape a atteint la troupe extérieure, dont les costumes, la langue, les habillements et les armes diverses excitent son étonnement[18] : ces troupes étaient formées de soldats venus de toutes les parties du monde. Aussitôt Charles se hâte d'aller le saluer avec un profond respect ; il l'embrasse et le baise à la bouche ; leurs mains se joignent, et c'est d'un pas égal qu'ils marchent, mêlant leurs discours de mots flatteurs. L'armée entière se prosterne trois fois devant le souverain pontife ; trois fois aussi le menu peuple se courbe à ses pieds dans la poussière, et par trois fois le pape adresse mentalement au ciel des prières pour ce peuple. Arrivés au milieu du cercle, le roi et le pape s'entretiennent de diverses choses ; Charles s'informe des malheurs qu'a subis le vénérable prélat, et c'est avec le plus grand étonnement qu'il apprend comment il a recouvré les yeux et la langue qu'un peuple impie lui avait arrachés. Ils marchent ensuite vers le temple ; sur le seuil, les prêtres entonnent à la louange du créateur un cantique d'actions de grâces ; le peuple salue de cris joyeux le passage du pontife, et sa grande voix s'élève jusqu'aux cieux. Conduit par Charles, l'apôtre entre enfin dans le temple et y célèbre avec la pompe d'usage le saint sacrifice de la messe. L'office divin terminé, le roi engage Léon à se rendre dans son palais, et dans ce lieu somptueux, où les murs sont revêtus de tapisseries peintes, où les sièges étincellent d'or el de pourpre, ils jouissent des délices les plus nombreux et les plus variés[19] ; puis commence le festin, car déjà le falerne languissait sur les tables dans les vases d'argent. Charles et Léon mangent et boivent ensemble ; puis, après le repas, le pieux roi comble son hôte de présents magnifiques et se retire dans son appartement, tandis que le souverain pontife regagne son camp. Telle fut la réception que fit Charles à Léon, lorsque ce dernier fuyait les Romains et son propre pays.

Après cette entrevue solennelle, Charles passe les Alpes, suivi de ses leudes et de quelques milliers de lances ; il visite Milan, Ravenne, Rimini, Pavie ; ses bannières se déploient bientôt dans la campagne de Rome ; de loin, il salue les murailles de la cité. Comme Charlemagne est revêtu de la dignité de patrice, les sénateurs, les tribuns, les comices accourent au devant de lui et l'accueillent avec toutes les pompes de la vieille Rome et de l'église. Il est là comme un souverain : pape, évêques, patriciens et peuple recourent à lui pour obtenir justice et jugement ; il doit prononcer sur les sanglantes querelles qui divisaient le pape Léon et les patriciens de Rome. Charlemagne monte au tribunal des anciens préteurs[20] : Léon, accusé de crimes secrets, jure par serment solennel qu'il est innocent de tout crime, et la sentence fut prononcée contre les accusateurs ; le pape fut exalté, conduit processionnellement dans les basiliques ; il s'agenouilla devant ce protecteur de la tiare, le roi des Francs, fils de Pépin[21].

Alors, on approchait des fêtes de Noël, solennité de l'église chrétienne que Charlemagne aimait à célébrer, comme la Pique, dans les monastères ou les basiliques. La fête de Noël était d'autant plus brillante encore, que dans ces temps elle commençait l'année ; des flots de peuple accouraient aux vieilles églises, la naissance du Christ, rénovation du monde, ouvrait les portes du nouvel an. Lorsque la cloche sonna l'heure des bergers sur la montagne, Charlemagne vint dans la basilique de Saint-Jean-de-Latran. On y célébrait la messe de la Crèche après matines avec toutes les pompes du pontificat ; l'encens s'élevait sur l'autel, et les croix grecques et latines resplendissaient au milieu des chapes et des vêtements dorés des évêques et des diacres. Charlemagne agenouillé priait Dieu devant les reliquaires, lorsque ce peuple, agité comme les flots de la mer, fit entendre des cris d'enthousiasme, et mille voix se mêlèrent pour exalter le grand roi des Francs en le proclamant empereur. Le saint jour de la naissance du Seigneur, dit Éginhard, tandis que le roi Charles assistant à la messe se levait de sa prière devant l'autel du bienheureux apôtre Pierre, le pape Léon lui posa une couronne sur la tête, et tout le peuple romain s'écria : Charles, auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! Après l'aude, il fut adoré par le pontife, selon la coutume des anciens princes, et quittant le nom de patrice il fut appelé empereur et auguste[22].

Ainsi dans cette cérémonie de Noël, jour où le sauveur du monde était né, l'empire d'Occident fut reconstitué. La pensée venait de loin ; le patriciat n'était qu'une préparation à l'empire, et les papes, qui avaient besoin d'un protecteur, d'un aide pour les garantir contre les empereurs d'Orient, élevèrent Charlemagne : ils opposèrent l'épée à l'épée ; désormais Léon n'avait plus à craindre ni les Romains séditieux, ni les empereurs de Byzance qui convoitaient incessamment l'Italie. Une sorte de pacte s'établit entre les empereurs d'Occident et les pontifes de Rome, ainsi que le représente la grande mosaïque du palais de Latran, quand Léon et Charlemagne agenouillés se placent tous deux sous la commune protection de saint Pierre[23]. Y avait-il supériorité d'une dignité sur l'autre ? Là fut l'objet d'une querelle interminable, duel incessant entre la force matérielle et la force morale : Charlemagne eut la supériorité sur Léon, comme l'homme d'armes vigoureux et fort sur le clerc faible et désarmé, éternel symbolisme de la lutte entre la puissance civile et la puissance ecclésiastique.

Charlemagne, élevé à l'empire, accabla de ses dons l'église de Rome ; les châsses bénites furent ornées de pierres précieuses, de joyaux éclatants, et les annalistes du pontificat ne manquent pas d'énumérer les croix d'or ornées d'améthystes que donna le nouvel auguste aux basiliques chrétiennes : il y avait des tables d'argent, des bassins ou patènes d'or ; un calice, vaste coupe destinée à distribuer le sang du Christ au peuple ; puis une immense croix ornée d'hyacinthes belles comme la violette printanière[24]. Une médaille existe aussi pour transmettre à la postérité la plus reculée la mémoire de l'institution de l'empire d'Occident ; la coutume numismatique de Rome s'était même maintenue : sur une face on voit le symbole de cette élévation subite de Charlemagne à la grande dignité impériale ; la figure du vieil empereur y est incrustée avec ses traits mâles, belliqueux, et on le qualifie de notre seigneur, dominus noster ; sur l'autre face, on voit la ville de Rome, ses murailles antiques[25], avec cette inscription en caractères majuscules : Renovatio imperii ; et pour constater plus magnifiquement l'existence du nouvel empire, la supériorité de son pouvoir[26], Charlemagne, le grand constructeur des monuments publics, fit bâtir à Rome, à l'imitation des césars, un palais pour tenir ses plaids et cours de justice. Désormais tout fut inscrit sous la date de l'empire, on ne parle plus de l'empereur Charles qu'avec les titres de seigneur et d'auguste, et les patriciens et les comices le saluèrent comme leur maitre et leur césar. Ce ne fut qu'après avoir réglé les destinées de son pouvoir, qu'il repassa les Alpes pour saluer de nouveau les vieilles forêts de la Germanie.

Ce rétablissement de l'empire romain dans les proportions antiques imprime désormais un vaste caractère d'unité à l'administration des terres conquises par Charlemagne. Sous l'ascendant de son sceptre et de la pourpre, deux royaumes sont fondés, l'Aquitaine et l'Italie ; ils forment comme le premier degré de cette hiérarchie qui désormais formulera l'empire d'Occident : deux rois sous le sceptre de l'empereur, puis les peuples tributaires qui vivent dans les marches et frontières, et les grands fiefs, sorte de vassaux lointains sous la domination impériale, tels que les ducs de Bavière, de Frioul, de Bénévent. Ce système s'organise alors et prend des proportions régulières ; il indique dans le nouvel empereur une intelligence profonde, car sa hiérarchie repose sur trois fonctionnaires principaux qui reçoivent les ordres immédiats du chef suprême[27]. Les premiers résident dans une ville fixe ; magistrats civils et militaires à la fois, ils tiennent leur origine des formules romaines ; presque partout ils ont le titre de comtes — comites — ; ils rendent la justice, prennent les armes s'il le faut pour repousser l'ennemi ou s'avancer pour la conquête ; leur caractère est néanmoins plus civil que belliqueux. Les seconds, gouverneurs des marches, sous les titres de chefs, marquis, ont au contraire une mission armée plus encore qu'une magistrature[28] ; c'est le type de Roland, d'Ogier le Danois ; ces gouverneurs des marches sont placés aux frontières, à la face des peuplades barbares qui pourraient désoler l'empire ; ils campent comme les centurions et les tribuns qui commandaient les légions sur les extrêmes limites de l'empire. Enfin, mie troisième dignité est instituée spécialement par les Carlovingiens ; sans avoir rien de permanent, rien de fixe, elle est toute ambulatoire ; les missi dominici, interprètes des instructions de l'empereur, se portent dans un district, dans une ville ; ils réunissent tous les pouvoirs, ils rassemblent les comices ou les armées ; ils président les institutions municipales ou les assises que tiennent à chaque saison les magistrats des villes, les hommes libres, les possesseurs de terres, tous ceux enfin qui doivent service à la couronne. Les fonctions des missi dominici, comme on le verra, dominent toutes les autres[29].

Cette organisation de l'empire de Charlemagne est tout administrative ; roi ou empereur, il conserve et maintient les institutions inhérentes aux mœurs et aux habitudes germaniques ; il y aurait excès de classification à rechercher des principes réguliers dans la réunion des assemblées du champ de mars ou de mai : groupées autour des rois carlovingiens, ces assemblées, dont on a trop grandi l'importance, n'étaient que des plaids militaires, des réunions tumultueuses qui venaient à l'appel de l'empereur se concerter sur l'objet qu'il proposait en délibération[30]. S'il s'agissait d'une expédition militaire où des milliers de lances devaient s'agiter, alors c'étaient les leudes, les possesseurs de terres domaniales qui accouraient au champ de bataille pour marcher sous le gonfanon de leur suzerain[31] ; là où il y avait des terres à conquérir. et une domination à fonder, chaque leude était à cheval, suivi de ses hommes, et c'est pourquoi ces assemblées, qui tenaient dans le principe en mars, furent retardées jusqu'en mai : les fourrages étaient rares, les chevaux en manquaient quand le soleil de mars était faible ; au mois de mai, au contraire, les prairies étaient fleuries ; on campait au milieu des champs sous la tente ; dans ces délibérations, on ne discutait jais, on votait par acclamations ; l'empereur disait : Mes fidèles, j'ai résolu telle expédition en Espagne ou au delà des Alpes, contre les Huns ou les Avares, et les leudes s'écriaient : Nous te suivrons, rex ou imperator ! L'expédition était prête, et le service militaire promis par acclamations dans les diètes[32] ; quelques semaines après, l'expédition militaire marchait à la conquête.

Lorsqu'il s'agissait d'un jugement civil, car l'assemblée du mois de mars ou de mai prononçait aussi des condamnations, la même diète était convoquée, mais on y voyait de vieux leudes qui ne Marchaient plus aux expéditions militaires, des évêques et des clercs : cette assemblée, sans époque fixe, se tenait ç et là dans un d'ami, dans une ferme du domaine royal, au milieu d'une forêt. L'accusé paraissait, comme on en voit l'exemple dans Tassillon, duc de Bavière ; il portait la tête baissée, le front assombri devant ses pairs ; on l'interrogeait, on le pressait, et cette diète avait le droit de déchoir un leude ou un comte, un duc, et même un souverain, et de le confiner dans un monastère. Au milieu de ces grandes diètes, composées d'évêques, de clercs, Charlemagne dictait ses capitulaires[33], grandes formules législatives de l'époque ; mélange un peu confus de dispositions civiles, ecclésiastiques, et pour lesquelles il fallait le concours de la force morale et de la force matérielle. Les capitulaires sont comme le résumé de l'esprit et de la tendance de ces diètes, restées debout dans le droit public de la Germanie. En Allemagne surtout, il faut chercher les traces de l'empereur Charles ; là, tout se rattache à cette grande physionomie. En France, nous n'en avons que des vestiges faibles, à ce point que les ordonnances de la troisième race ne font presque pas d'emprunt aux capitulaires[34] ; l'époque importante de Charlemagne est ce passage de la royauté partagée à la royauté unie, de cette royauté au patriciat, et du patricial à l'empire. Mais jusqu'ici tout reste militaire et conquérant ; l'organisation civile et politique n'arrive jamais que lorsque le pouvoir est affermi. Il faut vivre avant d'étudier et de fixer les conditions de l'existence !

 

 

 



[1] Tout porterait à croire que cette dignité était inhérente à la famille carlovingienne ; j'ai feuilleté page par page les tables des diplômes de Bréquigny, les volumes de dom Bouquet et de Pertz, il n'est plus question des maires du palais ; les noms mêmes des dignités ont absolument changé. Rien n'est moins semblable à la 1re race que la seconde.

[2] C'est ce qui explique les diverses époques de ses chartres, comme le font très bien remarquer les Bénédictins dans l'Art de vérifier les dates ; quelquefois même il met plusieurs dates comme dans cette chartre : Data VI Kalend., ful. ann. VIe et IIe regni nostri.

[3] Il existe une chartre originale de Carloman (Archives du royaume) sur le privilège de l'abbaye de Saint-Denis, et Charlemagne fait des diplômes sur les abbayes de Neustrie et d'Austrasie.

[4] Au dépôt des Archives du royaume, il existe même une chartre originale de Charlemagne, scellée d'un camée antique qui reproduit la figure d'un Jupiter de la belle époque de l'art.

[5] Les empereurs de Constantinople ne lui reconnaissent qu'avec restriction cette dignité, ils ne l'appellent que φράνκών βασιλεΰς ; et plus souvent ils lui donnent l'épithète barbare de 'ρήξ.

[6] Muratori, Annal. Ital., t. VI, p. 337, et Dissert. : Italiæ mediæ œvi.

[7] L'Institut avait mis au concours la question du consulat abâtardi au moyen âge, et jeune homme je remportai le prix. Mon Mémoire est encore inédit.

[8] Le pape Adrien avait eu la première pensée de la fondation d'un grand empire. Adrien était mort l'ami, le confident de Charlemagne, qui dicta lui-même en vers l'épitaphe du pape ; je donnerai plus tard les vers de Charlemagne qui exalte son tendre ami Adrien. Il est curieux de retrouver ces témoignages à tant de siècles de distance. Des vers du grand empereur !

[9] Codex Carolin., epist. 67, p. 223.

[10] La vie de Louis, le fils chéri de Charlemagne, se lie désormais à l'histoire méridionale ; on peut la suivre dans le chroniqueur qui prend le titre de l'Astronome. Avant de dire ce règne, j'aurai plus tard à parler de ce gouvernement d'Aquitaine et des villes du Midi : Louis, depuis le Débonnaire, passa là sa jeunesse, et le travail si complet de dom Vaissète peut nous renseigner sur les premières années de son gouvernement. (V. Hist. du Languedoc, t. Ier.)

[11] Sur l'organisation et l'étendue du nouveau royaume d'Italie conféré il Pépin, il faut consulter Muratori dans ses Dissertations : Italiæ mediæ œvi, et dans ses Annales. On ne peut rien dire de plus complet. Baronius a soutenu la suprématie pontificale, v° Annales, 800-813.

[12] Dom Vaissète : Hist. de Languedoc, t. Ier. Dans la suite de cet ouvrage, je me propose de retracer l'histoire de cette royauté primitive et méridionale de Louis le Débonnaire en Aquitaine. (V° Bréquigny, Table des diplômes et chartres, ad ann. 790-814.) 

[13] On doit consulter l'Astronome, l'histoire la plus exacte de Louis le Débonnaire, et Muratori, pour le règne de Pépin en Italie, ad ann. 781-814.

[14] Pour ce grand événement de l'institution d'un empire d'Occident, lisez Natalis Alexander, Sœcul. IX, Dissert. I, p. 390-397 ; Pagi, l'écrivain si dévoué à Rome, t. III, p. 418 ; Muratori, Annal. Ital., t. VI, p. 339-352, et Spanheim qui l'a intitulé dans sa colère : De ficta translatione imperii.

[15] On sait que Charlemagne était déjà venu deux fois à Rome pour se concerter avec les papes ; il y parut dans un costume presque impérial : longa tunica et chlamyda amictus, et calceamentis quoque Romano more formatis. Eginhard, C. 23. C'était le costume des patriciens.

[16] Cet esprit turbulent des Romains existait même encore du temps de saint Bernard, qui dit en parlant de la multitude de Rome : Gens paci tumultui assuita, gens immitis et intractabilis usque adhuc subdi nesista nisi cum valet resistere. (Bernard, S. Considération, lib. IV, C. 2, p. 44 1.) On peut trouver encore des traces de cet esprit dans la population transtévéraine. Ses traits fiers, son caractère turbulent m'ont toujours vivement frappé à chaque fois que j'ai visité Rome.

[17] Ce miracle a été solennellement discuté à Rome, qui s'est prononcée pour l'authenticité. Le témoignage d'Alcuin est précis. Charlemagne écrit à peu près dans ces termes à Alcuin, mais Théophane, l'historien grec se borne à dire que les bourreaux l'épargnèrent. Mais Théophane écrivait à Constantinople avec l'esprit très prévenu contre la grandeur et la sainteté des papes.

[18] Cette description, véritablement poétique, forme le chant III du poète saxon. — La Chronique de Saint-Denis se borne à dire : A grant honneur le receut et le retint avec luy, ne scay quans jours. La besongne pour quoy il estoit venu à luy conta. (Ad ann. 799.)

[19] Anastase le Bibliothécaire (Vita Léon III) a raconté cette entrevue presque avec les mêmes détails, p. 199. Voyez aussi Epist. Alcuin de Leonis papæ adventu.

[20] Il parait constant que le peuple se prosterna devant Charlemagne : More antiquorum principum. Ce prince arrive à Rome le 24 novembre 800, d'après Muratori, Annal. Ital.

[21] Voyez les Annales de Baronius et de Pagi, ad ann. 800. C'est le monument le plus exact à consulter pour écrire l'histoire des papes ; le cardinal Baronius était un des hommes les plus érudits de l'Italie.

[22] Eginhard, Annal., ad ann. 800.

[23] Tout le monde a pu voir dans le palais de Latran (Refector. pontific.) la mosaïque qui représente saint Pierre donnant à Charlemagne l'étendard à six roses, et au pape Léon, l'orarium ou étole. On déchiffre l'inscription suivante sur cette mosaïque ; au-dessus du pape : Scissimus D. N. Leo P. P. ; au-dessus de Charlemagne : D. N. Carulo regi. Au pied des trois figures, cette autre inscription : Reatre Petre, dona vitam Leoni P. P. E. Bictoriam (victoriam) Carulo Regi dona. Les savants ne sont pas d'accord sur la question de savoir s'il s'agit du patriciat ou du pallium impérial. J'ai entendu le docte bibliothécaire du Vatican soutenir qu'il s'agit de l'empire.

[24] Voyez Anastase bibliothécaire : Vita Leoni III.

[25] Pour les monnaies ou médailles carlovingiennes, il faut toujours recourir aux savants traités de Leblanc et à sa dissertation sur les monnaies carlovingiennes ; il est généralement sec, absolu ; usais dans ses voyages avec M. de Crussol il avait beaucoup vu et bien vu ; c'est une justice qu'il faut lui rendre ; seulement, il a la manie du XVIIIe siècle, il est toujours pour le pouvoir civil et matériel contre Rome.

[26] Leblanc a trouvé ces signes de la grande puissance des Carlovingiens dans un sceau de plomb tout à fait contemporain. Depuis ce moment, les Italiens appellent Charlemagne du titre de notre seigneur et maitre, rex noster. Consultez la chartre de Viterbe, datée de la 6e année de Charlemagne : sur le scel on trouve Renovatio imp erii.

[27] Ces idées sont développées dans le IIe volume de cet ouvrage.

[28] Charlemagne n'est point favorable au système administratif et militaire des ducs (duces). Cette dignité lui paraissait trop puissante, trop indépendante ; c'est de la féodalité, et non point de l'administration soumise, obéissante, telle qu'il l'entendait avec sa théorie des Missi Dominici.

[29] J'ai consacré un chapitre spécial à l'organisation des Missi Dominici. Voyez chapitre VII, tome II.

[30] Il faut rechercher dans les chansons de gestes l'esprit et le véritable caractère de ces cours plénières ou réunions du champ de mai ; la plupart des dissertations écrites au XVIIIe siècle, sous l'influence de l'esprit parlementaire, ont exagéré l'importance politique de ces assemblées. L'excellent esprit de M. Guizot s'est gardé de ces exagérations.

[31] Hincmar, qui écrivait sous le règne de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve, a recueilli le souvenir de ces grandes cours de Charlemagne. Voyez Epist. V : de ordine Palatii.

[32] Voici l'espèce de délibération qui existait alors dans les cours plénières. La chanson de gestes de Garin le Loherain en donne l'exemple :

Martiens appele moult dolcement sa gent :

Seignor baron, fait-il, venez avant ;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Franceis se cochent, mais poi ont reposé :

Les haubers ont vestus et endossés.

Martel chevauche. . . .

(Garin le Loherain, IX.)

[33] C'est la forme habituelle des capitulaires ; on a beaucoup trop disserté star les institutions des parlements de la 2e race. Montesquieu, à part tous ses préjugés parlementaires, est encore le plus fort et le plus haut jouteur. Dans le XLIe volume de l'Académie des inscriptions, on trouve une Dissertation sur les cours plénières, par M. Gautier de Sibert.

[34] Le nouveau droit de la 3e race commence avec les ordonnances de Philippe-Auguste, les assises de Jérusalem, les établissements de Saint Louis.