CHARLEMAGNE

TOME PREMIER. — PÉRIODE DE LA CONQUÊTE

 

CHAPITRE VI. — PÉPIN LE BREF, DUC, MAIRE DU PALAIS ET ROI.

 

 

Résultat du partage entre les fils de Charles Martel.-Guerre de famille. — Élection d'un roi mérovingien. — Abdication de Carloman. — Pépin, duc des Francs. — Ses rapports avec les clercs. — Mariage avec Berthe. — Légendes et chansons de gestes. — Berte aus grans piés. — La Berthe allemande. — Guerres d'Allemagne, de Bavière, de Saxe et d'Aquitaine. — Rapports avec Rome. — Le pape Zacharie. — Élévation de Pépin à la couronne. — Derniers débris des Mérovingiens. — Couronnement de Pépin le Bref par saint Boniface. — Ses guerres. — Ses conquêtes. — Correspondance avec les papes. — Voyage d'Étienne III en France. — Entrevue avec Pépin. — Nouveau couronnement. — Passage de Pépin en Italie. — Expédition contre les Lombards. — Caractère de la donation apostolique pour l'exarchat. — Soumission des Lombards. — Civilisation grecque et latine. — Royauté incontestée de Pépin. — Conciles et assemblées publiques. — Guerres de Saxe et d'Aquitaine. — Mort de Pépin.

741-768.

 

L'idée de partage domine dans la dynastie carlovingienne, comme dans toutes les races germaniques ; la terre royale se divise comme un héritage ; il y a un duc d'Austrasie, fils de Charles Martel, il se nomme Carloman ; un autre fils, maire de Neustrie, il a pour nom Pépin ; puis Griffon, le plus jeune, reçoit quelques domaines comme apanage. Dans ces partages réglés par le père commun, lorsqu'on ne se croyait pas assez doté, on faisait la guerre ; c'était le droit : la force décidait de l'héritage. Issu d'une fille de Bavière, Griffon commence les hostilités à outrance et réclame une plus large part ; réunissant autour de lui de nombreux serviteurs, il attaque Pépin dans son beau lot de Neustrie ; Griffon n'est point heureux ; repoussé et refoulé jusque dans la ville de Laon, il est pris et captif dans une tour des Ardennes, la noire forêt, sous la main de Pépin, son frère.

De cette tour, Griffon s'échappe revêtu de la robe de pèlerin ; il traverse le Rhin et va chez les Saxons demander un refuge. Tous les ducs, comtes, seigneurs, mécontents de la race franque, allaient chercher asile en Saxe ; terre d'abri, car il y avait là de grandes inimitiés contre Charles Martel[1]. Curieuse existence que celle de ce Griffon ; les légendes chevaleresques se rattachent à lui comme à un de leurs héros ; réfugié en Bavière, il en devient le duc, et ces peuples l'élèvent sur le bouclier à la place de l'enfant de leur vieux chef Odillon. Chassé par Pépin de la Bavière, secouant le frein d'une vassalité de douze comtés que lui avait donnés son frère[2], il traverse la Germanie, appelle en vain partout des secours ; les Allemands n'osent le protéger, et Griffon vient s'abriter en Aquitaine, le pays aux mœurs joyeuses sous le soleil ; Griffon s'éprend de la femme de Waifre, le duc du pays ; Aliénor s'attache su fugitif, et le vieux duc est si jaloux qu'il le chasse, le fait suivre et assassiner dans les Alpes, au moment où il allait chercher un nouveau refuge chez les Lombards. Ainsi finit un des fils de Charles Martel. On soupçonna Pépin d'avoir aidé la vengeance de Waifre, car dans ces temps sauvages le talion du sang et l'ambition étaient deux sentiments qui parlaient avec vivacité ; c'était du feu au cœur brûlant de ces hommes ; les liens de famille étaient trop faibles pour arrêter les bras[3].

Pendant ces premières années Carloman et Pépin dirigent en maîtres la nation des Francs, sous les titres de duc d'Austrasie, maire du palais de Neustrie ; Charles Martel avait laissé la vacance du trône dans la ligne des Mérovingiens ; c'était un essai pour savoir si les Francs se laisseraient gouverner par les ducs et les maires sans rois. La renommée qu'il avait acquise lui avait permis de maintenir cet interrègne ; un duc comme lui valait bien un roi de race ; mais sous ses deux fils Pépin et Carloman le même respect n'existait plus ; ils étaient jeunes, nul service n'avait brillé encore sur leur tête, ils n'inspiraient ni vénération ni crainte ; et les seigneurs se demandaient pourquoi on n'élèverait pas un prince de la famille de Mérovée ; jeune homme pour jeune homme, autant valait un roi de la race sacrée. Une assemblée d'élection fut convoquée dans le Champ de Mars, selon la vieille coutume. On prit un enfant du nom de Childéric III, noble rejeton issu des Mérovingiens, sorte d'obstacle que les Francs mettaient à l'ambition des maires du palais[4]. Dès ce moment, Carloman et Pépin cherchèrent à perdre ce fantôme de roi, à le dénigrer dans sa faiblesse, dans son abaissement ; on alla plus tard jusqu'à le nommer l'énervé, l'insensé. Il en est ainsi lorsque les dynasties finissent ; rien n'est plus impitoyable pour elles que celles qui leur succèdent ; les peuples veulent toujours justifier la violation d'un droit.

L'élévation de Childéric III obligeait Pépin et Carloman à chercher appui parmi les clercs ; Charles Martel, leur père, avait blessé les églises et les monastères par le pillage systématique de leurs terres, qu'il distribuait entre ses hommes d'armes. Si les soldats faisaient les maires, les clercs faisaient les rois, et c'est parce que les Carlovingiens accordèrent beaucoup aux monastères que les chroniques ont tant abaissé les Mérovingiens au profit de leurs successeurs. Carloman, l'aîné de Pépin, prit la robe monacale, et se dégoûtant du siècle, il alla vers Rome pour recevoir l'absolution du pape Zacharie ; car, disait-on, il avait à se reprocher avec Waifre, duc d'Aquitaine, des actes de violence, et il en portait le signe de malédiction ; tonsuré des mains du pontife, il se retira d'abord sur le mont Soracte pour y vivre de l'existence des moines, puis dans le pieux monastère du Mont-Cassin[5]. Carloman se soumit aux fonctions les plus pénibles de l'égalité monacale, servant à la cuisine, travaillant au jardin ; puis, on le voyait sur la montagne garder silencieusement les troupeaux de l'abbaye : sa plus grande joie fut d'y cultiver une vigne ; il la céda par la suite à un autre pénitent, le roi des Lombards, qui vint également habiter le monastère du Mont-Cassin[6]. Pour ces hommes d'activité et de guerre, le monastère succédait à la vie agitée des batailles ; un grand remords, une pénitence, les entraînaient vers cette existence de solitude et de tombeau ; des cours plénières ils passaient aux réfectoires modestes des religieux et des moines. Carloman, revêtu de la robe monacale, cessa d'être duc d'Austrasie, et Pépin put s'emparer de la mairie générale des Francs et dominer toutes ces races à l'ombre du vain titre de Childéric III. Drogon, fils de Carloman, rasé et renfermé, dut vivre de l'existence de son père, religieux du Mont-Cassin. Les Francs n'aimaient pas les maires du palais au berceau ; il leur fallait des hommes forts, et Pépin savait manier la hache d'armes : il était de brève taille, mais nul ne pouvait lui disputer le prix de force et de rudesse.

A cette époque, le duc des Francs chercha femme pour avoir lignée, comme le disent les chroniques de Saint-Denis ; les annales contemporaines ajoutent qu'il épousa Berthe, fille de Caribert, comte de Laon, la Berte aus grens piés ; les traditions chevaleresques donnent à Berthe une autre origine, et font de sa vie une romanesque légende. Li romans de Berte aus grans piés[7], une des productions les plus gracieuses du moyen âge, un des chants de trouvères le plus ingénieux, raconte : qu'à l'issue d'avril, au temps doux et joli[8], quand les herbelettes poignent et les prés raverdissent, lorsque les arbrisseaux désirent d'être parfleuris, un moine de Saint-Denis avait narré à lui le gentil trouvère, l'histoire de Berthe et de Pépin. Or, cette histoire, le trouvère la récite en science gaie. Il y avait un roi en France de grandes seigneuries ; il se nommait Charles Martiale ; il avait accompli de hauts faits d'urines ; vainqueur des infidèles, il mourut laissant deux fils, l'un du nom de Carloman, qui se rendit moine dedans une abbaye, l'autre du nom de Pépin, bien petit — il avait à peine 5 pieds[9] —, mais fort de corps, car un lion était sorti de sa cage, il s'en allait comme bête enragée ; Pépin, presque enfant, s'arme d'un pieux, marche au lion, lui assène un coup dans la poitrine, et l'abat à terre ; sa mère toute joyeuse le baisa : Beau fils, comment as-tu oser attaquer une si odieuse bête ? et Pépin répondit : Dame, on ne doit jamais douter[10]. Le jeune homme se maria une première fois, mais sa femme, fille de Gerbert ou de Gérin de Malvoisin, ne put engendrer. En assemblée des barons, il dit : Quelle femme pourrais-je aviser ? Et alors se leva Engerrans de Monder, noble baron : Sire, par le corps de saint Orner, j'en sais une, fille du roi de Hongrie, il n'est nulle femme aussi belle de corps au delà de la mer ; on la nomme Berte la Débonnaire[11]. — Il faut l'aller quérir, dit Pépin Voilà donc une belle chevauchée qui part avec grand éclat ; elle marche, elle marche jusqu'en Hongrie : que bonne aventure te soit donnée, illustre chevalerie ! Elle va trouver le roi de Hongrie, et Blanchefleurs, la reine-mère, leur montra sa fille, blanche et vermeille ; les tables furent mises en un grand festin, on donna à Berte chevaux, or et argent, et la noble fille prit congé de son père. Elle partit donc à travers la Pologne et l'Allemagne ; partout on parlait français, car les comtes et marquis en ces terres avaient autour d'eux gens français pour l'apprendre à leurs fils et à leurs filles, comme s'ils fussent nés à Saint-Denys[12]. Berte fut courtoise et pleine de franchise ; elle était montée sur un palefroy bai de belle nature ; ainsi elle vint aux frontières de France et passa le Rhin à Saint-Herbert, chevauchant à travers les Ardennes, sous la protection du bon duc Naismes de Bavière. La belle troupe vit le Hainaut et Vermandois, et s'en vint à Paris joyeusement, les cloches de la ville sonnèrent hautement ; les incisons étaient couvertes de drap très riche, et les rues jonchées d'herbes ; chacun voulait honorer l'épouse destinée à Pépin ; les noces furent célébrées, les ménestrels firent leur métier, les vielles et les harpes, les flûtes et les trompes sonnèrent bien fort ; dames et demoiselles firent danse, et le mariage fut ainsi accompli à la joie de tous. Ce fut un si beau temps quand Berthe filait !

lei commence la tradition allemande dont l'épopée de Berte ans grans piés est peut-être la source ou le développement. Dans cette légende écrite en Franconie, Pépin conserve toute l'empreinte germanique ; il s'établit au château de Weihen-Stephan, sur la montagne ; son dessein est de combattre les Saxons et de les assouplir au joug du christianisme ; peuples indomptables, ils résistent et rejettent toujours Jésus et ses saints. Pépin, veuf et isolé dans cette tour, appelle jour et nuit une compagne, lorsqu'un roi du pays du nom de Kœrling[13] lui fait proposer sa fille bien gente et bien gracieuse ; le portrait lui plaît, et Pépin dit à son majordome : Va queurs la vérité sur cette princesse. Or, le majordome discourtois avait une fille du même âge que la princesse, pourquoi ne la donnerait-il pas comme reine à Pépin ? Il va et chevauche à la cour du roi Kœrling, il en requiert la fille, on la lui donne ; elle porte le nom de Berthe, d'une grande beauté ; sa mère la confie au majordome toute parée, et ce mécréant la conduit dans une forêt profonde ; là se trouvait la propre fille du majordome : n'as-tu pas à redouter, serviteur infidèle, la peine de ton crime ? rien ne l'arrête ; il arrache à Berthe ses riches vêtements, son anneau nuptial, et le donne à sa propre fille ; puis le mécréant dit à ses complices : Allez, amis, traînez Berthe dans le lieu le plus secret de la forêt ; frappez-la sans pitié, et rapportez-moi sa langue. La voilà donc la pauvre princesse aux mains des amis du majordome.  Beaux sires, dit-elle, si je suis destinée à vivre captive, laissez-moi ce petit lévrier de chasse et cette boite pleine d'or et de soie, pour broder écharpes dans mes jours d'ennui. Ces méchants hommes se laissent attendrir par les pleurs de la princesse, et lui disent l'ordre fatal qu'ils ont reçu : Nous vous laisserons la vie, mais jamais vous ne nous trahirez. Comment faire, noble demoiselle, pour annoncer au majordome que l'affreuse commission est remplie ? Alors la jeune fiancée se dépouille à l'écart de son vêtement de dessous, de sa chemise de fin lin, et ils la teignent de sang comme la robe de Joseph ; il leur faut aussi la langue de la victime, et ils coupent celle du beau lévrier, et le pauvre chien ne put désormais lécher les pieds de sa noble maitresse[14]. Le majordome, trompé par ces sanglantes apparences, vit tout joyeux la langue et la toucha, et il éclata d'un gros rire. Et pendant ce temps-là sa fille était au lit de Pépin comme sa femme légitime ; il en eut un fils, qui fut le pape Léon III[15].

Mais hélas ! que devint la pauvre princesse, l'épouse légitime et promise ? Berthe erre et erre encore dans la forêt, elle marche, puis elle marche ; et voilà qu'elle rencontre un noir et puant charbonnier ; saisie de peur, elle se rassure à la voix douce de cet homme qui est frappé de sa beauté ; Berthe trouve un asile dans sa chaumière ; princesse, elle devient servante d'un meunier, et quand le soir arrive, elle travaille et file avec l'or et la soie qu'elle a emportée dans son petit coffre, car Berthe sait filer et bien filer ; quels jolis ouvrages ne fait-elle pas de ses mains ! le meunier va les vendre à Augsbourg, la ville des commerçants et des juifs ; peu à peu elle s'enrichit, et la réputation de la fileuse s'étend au loin.

Entendez-vous ce cor retentissant, c'est la chasse du roi Pépin ; il a parcouru avec ses chiens haletants toutes les forêts de la Souabe ; la nuit vient, et il s'égare, et avec lui son astrologue ou médecin. Nous sommes pauvres marchands qui avons perdu notre route, disent-ils à un homme tout noir qu'ils rencontrent ; c'est le charbonnier de la forêt qui les mène au moulin, ou Berthe file, file encore. Le meunier a deux filles, l'aînée plaît à Pépin, l'astrologue lui dit : Ô roi ! tu auras dans tes bras cette nuit ta légitime épouse, dont il naîtra un fils très puissant. Pépin obtient donc la fille aînée du meunier, l'astrologue dit : Ce n'est point celle-là. Il appelle la fille cadette, belle aussi ; ce n'est pas celle-là encore : voilà donc Pépin tout impatienté ; il brandit son gantelet et menace, et alors le meunier fait venir la jeune Berthe qui tremble, pleure et finit par faire la volonté du roi. C'est d'elle qu'il doit naître un fils fort et membru, dit l'astrologue, c'est là votre chaste femme. Et Berthe révèle la félonie du majordome et les aventures de la forêt. Le roi part, mais Berthe reste chez le meunier ; à neuf mois, elle met au monde un fils qui reçoit le nom de Charles, pauvre enfant inconnu jusqu'à dix ans ; il chevauche et va à la cour du roi Pépin ; là, il se montre brave comme Alexandre, sage comme Salomon, et Pépin se décide à lui découvrir le mystère de sa naissance[16]. Telle est l'épopée de Berte aus grans piés et de l'enfance du grand Charles ; c'est une légende destinée à protéger la femme dans ces temps de désordre et de tumulte de la féodalité ; c'est un panic épique tout entier comme celui de Geneviève de Brabant[17], qui a pour noble but de couvrir la faiblesse et l'innocence au milieu des brutalités des hommes d'armes ; il montre déjà combien le nom de Charlemagne est grand ; on s'inquiète de son enfance, on le fait naître robuste au milieu d'une forêt, sous le toit d'un meunier. Les aventures héroïques de son berceau constatent que tout doit titre en rapport avec cette immense renommée qui domine le moyen âge. Rien de vulgaire ne peut se rattacher à l'homme fort.

On trouve peu de chartes originales de Pépin, maire du palais, à cette première époque de son pouvoir ; un de ses diplômes confirme les immunités de l'église de Metz, il est daté du 1er janvier 745. Le 2 mars de l'année suivante, il tient une assemblée à Soissons ; approuvant le concile de Nicée, Pépin ordonne qu'il soit promulgué dans la terre des Francs. Une autre charte concède à l'abbaye de Saint-Denis un domaine de quelques menses, ancienne possession du fisc ; il lui accorde ensuite des franchises de juridiction en l'honneur de saint Denis, en France, le protecteur et le patron des rois[18]. Pépin est un grand donateur de biens aux églises, il les prodigue ; son dessein est de s'attirer les clercs que son père a blessés ; Charles Martel a voulu être roi par les hommes d'armes, et ceux-ci n'ont jamais consenti à reconnaitre en lui que le titre de duc et la dignité de maire du palais. La royauté a quelque chose de plus religieux, de plus élevé, de plus antique, et c'est aux papes et aux clercs que Pépin devra la fondation de sa nouvelle dynastie ; il les attire donc à lui par des dons multipliés ; sa correspondance avec les papes est très active. Zacharie occupait alors le siège de Saint-Pierre ; il écrit à Pépin, maire à u palais, aux abbés et aux grands de France sur divers capitulaires, qui ont été arrêtés dans une assemblée de comtes et d'évêques ; comme le pape sait l'antiquité et la vénération de saint Denis au milieu des Francs, il confirme toutes les immunités de cette abbaye, telles qu'elles furent fondées par saint Landry, évêque de Paris. Le pape intervient pour rétablir la paix entre Pépin et Griffon, pendant que Pépin, toujours protecteur de l'abbaye, l'accable de dons et lui accorde la supériorité sur toutes les communautés du royaume des Francs : Saint-Denis et Saint-Germain furent le grand objet de la vénération de Pépin. Là étaient les reliquaires nationaux, les souvenirs de la patrie et ses vieilles chroniques.

L'auteur anonyme des Miracles de saint Germain aime à rappeler celte vénération de Pépin pour les reliquaires ; il met dans la bouche de Charlemagne le récit qu'on va lire, et qui se rapportait à l'époque de son enfance, car le grand empereur avait douze ans lorsque cet événement arriva. Or, remarquez bien comme il parlait en face de ses barons et des clercs sur les miracles de saint Germain[19] : Mon père et les plus puissants du royaume arrivèrent le jour indiqué pour la translation des reliques ; la terre fut creusée, le cercueil qui contenait le corps du saint fut enlevé avec la plus grande facilité ; l'on fit une ouverture aux murs de l'église, et l'on déposa le corps dans la partie occidentale de la cour : tous les assistants étaient dans la plus grande joie. Le lendemain, à l'aube, mon père vint encore ; j'étais avec lui, et mon frère aussi, disposés à suivre à pied le cortège : les premiers du royaume vinrent aussi, désireux qu'ils étaient de mener à bonne fin ce qu'ils avaient entrepris. On avait préparé des leviers fort longs, sin lesquels devait être posé le corps, afin qu'il fût porté par un plus grand nombre de personnes ; ce n'était pas qu'il fût très pesant, car on avait déjà éprouvé qu'il suffisait de peu de monde pour le porter ; c'était parce que chacun s'estimait heureux d'y mettre la main, y aurait-il à peine touché. Mais quand mon père et les seigneurs désignés pour cela s'approchèrent du cercueil et tâchèrent de l'enlever, ce fut en vain ; quels que fussent leurs efforts, il resta immobile comme s'il eût tenu au sol par de fortes racines[20] ; et lorsqu'ils eurent longtemps travaillé à l'aide de divers outils et sans effet, ils commencèrent à être violemment affligés, et à se reprocher d'avoir voulu enlever le saint d'un endroit qu'il avait lui-même de son vivant choisi pour sépulture, et dans lequel il reposait depuis tant d'années. On appela alors les évêques ; voici ce qu'ils dirent : Que votre sérénité sache, ô roi très glorieux, que le bienheureux Germain était évêque ; c'est pourquoi nous croyons qu'il est juste, nous pensons même que le saint désire que son corps ne soit transféré que par des évêques. Tout le monde approuva ce discours, et les évêques, cédant à la prière qui leur en était faite de tous côtés, consentirent à s'approcher et à essayer d'enlever le corps de terre. Mais ils eurent beau saisir les leviers, travailler longtemps, leur impuissance fut patente, le cercueil était resté immobile. En voyant l'inutilité de leurs efforts, on les interroge de nouveau, et ils disent : Nous sommes assurés, ô roi très pieux, que le bienheureux Germain désire être transporté dans le lieu désigné ; cependant, puisque votre grandeur non plus que notre humilité ne peuvent en venir à bout, nous pensons que le saint veut honorer du poids de son corps les moines du monastère, qu'il voit avec plaisir se dévouer sans cesse à son service. Tout le monde approuva, et les moines approchèrent à leur tour du cercueil. Ce fut en vain qu'ils essayèrent de lui faire perdre terre ; enfin, fatigués de ce travail inutile, ils avouèrent tout haut leur impuissance.

Mon père pleurait, les seigneurs étaient tous grandement affligés, lorsque quelqu'un dit : Si monseigneur le roi veut, dans sa clémence, prêter l'oreille au discours de son humble serviteur, je pense pouvoir lui indiquer la cause de ce qui arrive. Il existe dans le territoire de Paris une ville qui est sous votre dépendance, et qu'on nomme Palaiseau[21], autour de laquelle sont plusieurs petites fermes appartenant à ce monastère. Vos officiers fiscaux, forts de votre puissance, sont très insolents, très audacieux, et font beaucoup de mal dans cet endroit. Ils frappent et tuent les hommes et les troupeaux, ils ravagent les vignobles et les blés, les prés et les bois, persécutent et ruinent de mille manières les vassaux de cette église. C'est ce qui me fait croire que par son opposition le saint demande à votre généreuse munificence le don de cette ville. A ces mots, mon père, de pieuse mémoire, resta frappé d'étonnement et dit : C'est justement que nous sommes affligés, voilà le motif de la sainte admonition du bienheureux Germain, et la peine que nous éprouvons à terminer notre bonne couvre vient de mon oubli, et non de mon avarice. Et posant son gage sur le cercueil. Reçois, dit-il, ô bienheureux Germain, notre ville de Palaiseau avec toutes ses dépendances. Jusqu'à ce jour elle fut ton ennemie, dès ce moment tu n'en retireras plus que des profits[22] ; permets donc que je puisse être un de ceux qui porteront ton corps. En même temps, il met la main au cercueil, les seigneurs s'approchent, et ils l'emportent aussi facilement que s'ils n'étaient chargés d'aucun poids.

On était arrivé à la fosse qui avait été préparée, à l'orient de l'église, pour recevoir le précieux fardeau, quand survint une autre difficulté. Les leviers sur lesquels on avait transporté le corps saint empêchaient, tant ils étaient longs et la voûte étroite, de déposer convenablement le corps dans la fosse. Il fallut donc s'arrêter un instant, afin de voir ce qu'il fallait faire en cette circonstance. Tout le monde était d'accord de couper les leviers dans leur partie supérieure, de manière à ce qu'on pût déposer le corps ; mais mon père s'y opposa : Si l'on suit ce conseil, dit-il, je crains qu'en coupant les leviers on n'endommage le sarcophage ; trouvons donc un moyen qui ne donne lieu à aucun accident. Tandis qu'il parlait ainsi, sans que personne touchât le cercueil, puisque tout le monde prêtait au roi son attention, soudain il fut enlevé de dessus les leviers, et déposé dans la fosse au grand étonnement de tous, rendus muets par la terreur. Dans sa chute pourtant il s'en évapora une odeur de myrrhe d'une telle suavité, qu'elle remplit l'église entière, et que les assistants, jetés par son parfum dans une sorte d'extase, furent près d'une demi-heure sans qu'il leur fût possible de voir, ni de parler. Enfin, quand ils se réveillèrent de cette espèce de sommeil, et que la faculté de la parole leur fut rendue, ils commencèrent à s'interroger les uns le autres avec étonnement sur ce qui venait de leur arriver. Comme ils craignaient que le cercueil n'eût été brisé, ils regardèrent dans la fosse, et virent avec étonnement qu'il était sauf, entier, et convenablement arrangé, de sorte que personne ne douta que cela n'eût été fait par le ministère des anges. Pendant que chacun était étonné, enfant, je jouais, et étant tombé par hasard dans la fosse, j'y changeai bientôt ma première dent de lait...

Il faut remarquer que c'est Charlemagne qui parle, que c'est la tête puissante qui organisa un empire et une vaste civilisation : avec cette image rien n'est petit. Que veut prouver la légende, quel est son but dans ce long récit ? C'est que le pillage et le désordre doivent être réprimés ; saint Germain intervient pour annoncer aux forts, aux puissants de la terre, qu'il faut respecte le labourage, la culture des champs, la propriété d'autrui. La ferme de Palaiseau est donnée à l'abbaye de Saint-Germain pour la coloniser : la violence des hommes de guerre cède devant l'influence morale d'un miracle.

Si Pépin cherche à s'attirer le pape et les clercs pour obtenir la pourpre et la dignité royale, il ne néglige pas pour cela la guerre. La conquête, c'est le grand lot de la nation des Francs ; il leur faut incessamment des terres à partager, des riches domaines, des fiefs de toute espèce ; telle est la cause des incessantes expéditions de Pépin contre les Allemands, les Bavarois, les Saxons. C'est dans les terres méridionales surtout qu'il porte ses conquêtes ; les Aquitains vivent sous un beau ciel, ils ont de magnifiques domaines, quel partage plantureux pour les guerriers francs I Depuis la bataille de Poitiers, le nom de Charles Martel est dans toutes les légendes du Midi, et Pépin en profite pour jeter des colonies de Francs dans ces contrées. Pendant les trois années qui précèdent son avènement à la couronne, Pépin veut réduire. au vasselage les ducs de Bavière et d'Aquitaine, Tassillon et Waïfre ; il faut qu'il s'assure les terres du Midi et d'Allemagne pour les distribuer avec largesse aux clercs et aux hommes d'armes, car son dessein de ›.e faire roi se manifeste ouvertement.

Les chroniques de la seconde race, presque toutes écrites sous l'influence de la dynastie nouvelle, ont flétri les Mérovingiens. Le malheur ne trouve point d'éloges ; quand un pouvoir meurt, on l'accable : c'est la triste condition de la nature humaine. Aussi dans cet interrègne qui précéda l'avènement de Pépin, on ne trouve que de faibles notions sur les derniers Mérovingiens, et particulièrement sur Childéric III, le rejeton impuissant du sang des Mérovées. Les chroniques de Saint-Denis l'appellent l'imbécile, le fou ; on le conçoit, ces annales de l'abbaye sont comme un journal officiel, elles copient presque entièrement Éginhard, le secrétaire dévoué de Charlemagne[23]. Mais on admettra au moins un fait en histoire, c'est qu'il fallait que l'attachement religieux pour le sang de Clovis fût bien fort, pour qu'il se passât quatre générations d'hommes énergiques depuis Pépin le Vieux, avant que l'usurpation royale ait pu s'accomplir ; un siècle et demi fut nécessaire pour que Pépin le Bref réalisât pleinement le projet conçu par les maires du palais ses prédécesseurs.

Les derniers Mérovingiens ne devaient pas être si fous, si imbéciles, puisqu'ils conservèrent la dignité de rois à la face des maires si puissants, qui avaient la force en main ; seulement, il faut croire que la politique des maires du palais fut d'annuler complètement les rois Mérovingiens couverts de pourpre, en leur enlevant tous les moyens d'action. La mollesse est chose douce et facile ; on environnait de respect les rois couronnés, les maires se posaient comme leur épée, ils les délivraient du fardeau du gouvernement ; et on se laisse aller si facilement à l'exercice d'un honneur qui ne coûte ni peines, ni soucis, à la pourpre qui est si moelleuse ! Quand Childéric III fut bien énervé, quand les clercs et le pape furent entièrement gagnés à la nouvelle dynastie, le passage fut rapide, et Pépin n'hésita plus. Il manda au pape Zacharie cette phrase sacramentelle rapportée par la Chronique de Saint-Denis : Lequel devoit estre mieux roy, ou celui qui nul povoir n'avoit au royaume, ne en portoit fors le nom tant seulement, ou celui par qui le royaume esloit gouverné et qui avoit le povoir et la cure de toutes choses. Burkart, l'archevêque de Wurtzbourg, et Foirail, le chapelain de Pépin, s'acheminèrent vers Rome afin de consulter et ouïr le pape Zacharie. La réponse vint promptement ; le fait domina le droit ; la réalité du pouvoir absorba l'ombre qui s'en allait, et le pape ordonna que Pépin, le maire du palais, fût reconnu et salué roi des Francs.

L'élection fut tumultueuse comme au Champ de Mars ; les Francs élevèrent Pépin sur le pavois, comme chef d'une nouvelle race[24]. Saint Boniface, l'homme de la civilisation germanique et franque, l'expression mystique de l'union des deux races, donna la première onction à Pépin dans la basilique de Soissons. Boniface était délégué de Zacharie dans cette cérémonie pontificale, car le nouveau roi de France tenait sa dignité des clercs et du pape. Ce n'était plus seulement le chef militaire, le maire du palais des Francs, mais le roi saint, l'oinct du Seigneur. Puis Childéric fut tondu et mis au cloître, comme simple moine : que de princes étaient alors aux cloîtres ! Carloman sur le Mont-Cassin ; le roi des Lombards dans une petite cellule où il cultivait sa vigne et son jardin. Ainsi disparaissait de la vie du monde et presque sans bruit le dernier rejeton royal du sang de Clovis. Chose curieuse ! rien ne laisse moins de trace que ce passage d'une dynastie à une autre ; les chroniques en gardent à peine mémoire, c'est que le temps est bien préparé, et que la transition se fait seule ; alors les plus gros événements ne laissent pas trace d'empreinte.

Pépin roi ne cesse pas d'être chef militaire des Francs ; il ne veut pas se donner un maire du palais qui ait la force matérielle ; il confond les deux dignités. Austrasien d'origine, il règne sur les Neustriens et les gouverne. Il faut donc qu'il marche à de nouvelles batailles contre les Saxons, peuple indomptable : dans le mouvement germanique, les Saxons avaient repoussé la prédication chrétienne, la source de la hiérarchie et de la civilisation. Pépin vint jusqu'au Weser[25]. Ses expéditions avaient quelque chose de nomade ; on y faisait du butin, on y partageait des richesses, des troupeaux, puis les Francs revenaient camper sur les rives du Rhin : les guerres prenaient toutes ce caractère de vagabondage. Roi couronné, Pépin commence de nouveaux rapports avec les civilisations qui dirigeaient la destinée des peuples. Le pape Zacharie mort, Étienne lui succède ; persécuté par Astolphe de Lombardie, il vint chercher refuge en France et demander justice au chef de ces Francs, les seuls hommes dont les Lombards craignaient le courage et les vigoureux coups de mains. Le pape passa les Alpes suivi de quelques évêques ; il fut accueilli avec empressement dans la ferme de Carisi — Quercy-sur-Oise —, où les princes et comtes étaient réunis ; Étienne s'y présenta la tête couverte de cendres, les reins serrés d'un cilice, et versant des pleurs pour exprimer les douleurs de l'église[26]. Pépin le releva, lui fit hommage et le conduisit comme un suzerain et un père en tenant la bride de son cheval[27]. Dans cette cour plénière de Carisi, quand l'encens fumait sur l'autel, on vit apparaître le propre frère de Pépin, Carloman, moine du Mont-Cassin, qui vint défendre le roi des Lombards, Astolphe. L'abbaye du Mont-Cassin était la grande solitude où se refugiaient les rois de race lombarde ; Carloman s'était voué aux princes de cette famille opposés à Rome. La cause du pape l'emporta. Étienne fut couvert de la protection du roi des Francs. A son tour le pape, reconnaissant, sacra Pépin et ses deux fils en la basilique de Saint-Denis, le siège des martyrs nationaux ; l'abbaye de Saint-Denis c'était la France, son oriflamme conduisait les fiers hommes de bataille : quand on invoquait ses reliques, une empreinte de nationalité rayonnait sur le front. Les études des Romains pénétraient en France avec le pape. Au sacre de Saint-Denis, pour la première fois, l'on entendit les chants et les prières sous la forme italienne, et l'on régularisa le service des églises[28]. En plaçant sur la tête de Pépin la couronne royale, Étienne confirma cette dignité de roi dans la race carlovingienne : usant même de son droit pontifical, il excommunia tous ceux qui en contesteraient la légitime puissance. Le pape demeura tout l'hiver en France où il avait été si bien accueilli ; il avait abandonné le ciel de l'Italie, la basilique de Saint-Jean-de-Latran pour le monastère de Saint-Denis ; il y resta malade et reçut les soins des moines avec une tendre sollicitude. Revenu à Rome, Étienne aimait à se souvenir de ce long séjour à Saint-Denis et de la bonne hospitalité des abbés ; il le rappelle dans ses bulles, dans ses lettres pontificales[29] : De même que personne ne doit se vanter de ses mérites, dit le pontife, de même personne ne doit passer sous silence, mais au contraire raconter publiquement ce que Dieu u fait pour lui par l'intercession de ses saints et non à cause de ses bonnes œuvres. C'est là un des conseils que donne l'ange à Tobie. Je dirai donc ce qui m'arriva dans le monastère du saint martyr Denis, près Paris, où je fus mortellement malade, à l'époque où je vins trouver l'excellent et très chrétien roi Pépin, fidèle serviteur de saint Pierre, afin d'éviter les persécutions du cruel et blasphémateur Astolphe, dont je ne devrais point dire ici le nom. Déjà les médecins désespéraient de moi, et j'étais en prière dans I église du bienheureux martyr, quand je vis devant l'autel le bon pasteur saint Pierre et le maitre des nations saint Paul, que je reconnus à leur buste : à la droite de saint Pierre se tenait le bienheureux Denis, plus mince et plus grand que lui, avec un beau visage, des cheveux blancs, revêtu d'une blanche dalmatique garnie de nœuds de pourpre, son manteau était de pourpre aussi, couvert d'étoiles d'or. Ils parlaient amicalement entre eux. Saint Pierre dit : Voilà notre frère qui demande la santé ; et saint Paul ajouta : Il sera bientôt guéri. Il s'approcha alors, et posa gracieusement sa main sur la poitrine de saint Denis, il regarda saint Pierre, qui dit alors à Denis : C'est par ta grâce qu'il sera sauvé. Aussitôt le bienheureux Denis, tenant en mains l'encensoir et une palme[30], s'avança vers moi avec le prêtre et le diacre qui se tenaient à côté de lui, et me dit : La paix soit avec vous, mon frère ! ne craignez rien, vous ne mourrez pas avant d'être retourné heureusement dans votre siège. Levez-vous donc, soyez guéri, et dites une messe pour consacrer l'autel que voici en l'honneur de Dieu et de ses apôtres Pierre et Paul. En disant cela, il répandait autour de lui une inestimable clarté et une odeur suave. Bientôt je fus guéri par la grince de Dieu, et comme je voulais faire ce qui m'avait été ordonné, ceux qui m'entouraient disaient que j'étais en délire. Je leur racontai alors à eux, au roi Pépin et à ses seigneurs ce qui m'était arrivé, et je fis ce qui m'avait été ordonné.

Dans cette pieuse légende du pape Étienne, il perce en son aine un vif désir de revoir l'Italie ; saint Denis lui promet à en retrouver le climat, le soleil et le ciel. Le voici maintenant à Rome ; dans une seconde lettre, adressée aux moines de Saint-Denis, le pape, toujours plein des souvenirs de la France, leur accorde les plus larges, les plus considérables immunités[31]. Bienheureux fils, secondant vos pieux désirs, et vous accordant ce que vous demandez de notre autorité apostolique, nous vous donnons pouvoir et liberté, à vous et à tous vos successeurs, abbés futurs des monastères des saints martyrs Denis, Rustique et Éleuthère, de construire des monastères dans quel pays de France qu'il vous plaira, dans les lieux qui vous appartiennent aujourd'hui, et dans ceux que vous acquerrez dans la suite, soit par des achats, soit par concessions royales, soit par le don de vos parents, enfin dans quel lieu que ce soit, pourvu qu'il vous vienne d'une manière juste. Et puisque Clovis, fils du roi Dagobert, a obtenu par ses prières de Landeric, évêque de Paris, aidé des conseils de ses chanoines et des évêques, ses frères, qu'il exemptât votre monastère et tous les clercs, de quelque ordre que ce soit, qui y servent, de toute soumission envers lui et ses successeurs, nous voulons, nous aussi, vous concéder par un privilège singulier, le droit d'avoir un évêque élu par vos abbés ou par vos frères réunis, et sacré par les évêques de la province[32]. Cet évêque veillera sur les monastères que vous édifierez, les gouvernera en notre nom, et fera des prédications dans votre couvent et dans tous ceux qui lui seront soumis. Nous défendons également à tout évêque ou prêtre de s'emparer par cupidité de l'un des monastères que vous aurez fait bâtir, non plus que d'avoir, par jalousie ou pour tout autre motif, des querelles avec l'évêque que vous aurez élu et fait sacrer, et bien plus, nous voulons que tous les monastères que vous construirez ne dépendent que du siège apostolique, comme votre couvent lui-même. Et cela, nous le publions sous l'autorité de Notre-Seigneur le Christ, du bienheureux Pierre, prince des apôtres, et sous la nôtre propre, afin que cela existe toujours comme nous l'avons établi, et qu'aucun évêque, de quelle église que ce soit, ose venir donner les ordres sacrés à des prêtres ou à des diacres, ni faire dans votre convent aucun autre office ecclésiastique, sans y avoir été invité par l'abbé. Vos causes et celles de vos moines, vous aurez la liberté de les porter à notre audience apostolique, et quand vous serez venus, ou que vous nous aurez envoyé vos légats, que personne autre que nous ne puisse vous condamner ou envahir vos biens. Si quelque roi, quelque évêque, ou quelque autre des puissants de ce siècle agit contre ces ordonnances, qu'il soit regardé comme sacrilège, et que bien loin d'avoir une part dans le royaume du Christ, il soit anathème jusqu'à l'arrivée du seigneur[33].

Quand le pape Étienne se faisait si national en France par le sacre d'un roi, le don et les immunités à l'abbaye des martyrs, il fallait bien que Pépin, comme reconnaissance, prêtât des secours à la papauté contre les Lombards. Le roi chevaucha donc à la tête d'une grande armée, dès que la nouvelle saison fut venue ; il passa par Dijon, traversant les montagnes, pour de là se jeter dans les belles plaines qui voient Pavie et Milan. En vain les Lombards défendirent le passage des Alpes ; qui pouvait résister aux hommes d'Austrasie ! Voilà donc Pépin aux plaines de Lombardie, avec une chevalerie si nombreuse que nul ne pouvait la compter. Ses ennemis se retirèrent dans la forte cité de Pavie, Pavie la ville à la couronne de fer ; Pavie qui inspire encore aujourd'hui de si mélancoliques souvenirs ! Astolphe, le roi des Lombards, fit sa soumission : quarante otages furent donnés comme gage et promesse qu'il remplirait son devoir envers la ville de Rome ; la féauté fut jurée. Dans cette expédition, Carloman, frère de Pépin, mourut sous la cendre et revêtu de son habit monacal ; il ne put revoir la sainte abbaye du Mont-Cassin.

Deux expéditions de Francs s'accomplirent ainsi en deux ans dans la Lombardie ; ces beaux pays étaient la prédilection des hommes du Nord. Les Lombards étaient si inconstants, si légers, ils se soumettaient tour à tour et se révoltaient encore ! Astolphe dans une grande chasse fit une chute de cheval, et sa mort mit un ternie momentané aux conquêtes des Francs au delà des Alpes[34]. On raconta que le Christ avait foudroyé le prince ennemi du pape.

Dans leurs expéditions primitives, sous leurs rois valeureux, les Lombards s'étaient emparés de la Pentapole, de Ravenne et des cités qui dépendaient de l'exarchat. Ces terres n'étaient point de leurs domaines, mais le butin de la conquête qu'ils avaient arrachée aux empereurs de Byzance ; les papes les réclamaient comme une dépendance de leur antique patrimoine. La tradition disait que Constantin avait donné l'exarchat de Ravenne au pape. Dans ces temps de force et de violence, quelle était la possession qui pouvait pleinement se justifier, où en était le titre certain ? La souveraineté du pape était une tradition comme ce qui existait alors, et on les admettait toutes à l'égale des faits. Pépin donc confirma par une charte spéciale la donation de ce qu'on appelait le domaine de Saint-Pierre[35]. Cette charte était plutôt la sanction d'un fait, d'une concession antérieure, qu'une donation nouvelle. Toutes les villes de l'exarchat depuis Rome jusqu'à Ravenne, la Pentapole, devinrent le patrimoine des papes, et par la suite des temps une sorte d'oasis au milieu des passions humaines. Lorsque les forts et les violents de la terre se proscrivaient mutuellement, lorsqu'il y avait sans cesse des vainqueurs et des vaincus, combien n'était-il pas heureux qu'il se trouvât une terre neutre dans  laquelle les hommes frappés d'une cruelle infortune pussent reposer leu tête ? Rome, Rome fut ce grand asile : devenue lombarde, franque eu byzantine, la cité aurait subi toutes les passions des hommes de chair et de sang qui se partagèrent la domination du monde. Rome, sous les papes, fut un pays en dehors des gouvernements, où vinrent s'abriter les rois, les princes malheureux, les proscrits d'opinions. Et cela fut un bienfait à tous les âges.

Chaque fois que la nation des Francs paraissait en Italie, les empereurs de Constantinople inquiets, soupçonneux, envoyaient des ambassades à ces chefs courageux, devant lesquels s'abaissaient les Alpes ; ils savaient la valeur des Austrasiens, des Allemands, l'impétueux courage de ces maires du palais déployant les masses d'acier pour briser les couronnes : parvenus sur les terres de l'Italie, les Francs pouvaient arriver par Naples jusque dans la Grèce. Lorsque Pépin tint sa cour plénière à son retour de Lombardie, il vit venir à lui de riches messages envoyés par l'empereur Constantin Copronyme, ils portaient des présents magnifiques, de riches meubles, des reliques dans des châsses ; niais ce qui frappa le plus vivement le roi Pépin et sa cour, ce fut un instrument composé de grands tuyaux, larges et brillants, qui rendait des sons merveilleux ; les seigneurs grecs l'appelaient organum (orgue)[36], par l'admirable harmonie des sons que l'on en tirait. Il fut placé dans l'église de Compiègne, où depuis il fit belle mélodie. Les Grecs, ne pouvant plus vaincre par les armes, cherchaient à se grandir par les merveilles d'une brillante civilisation[37].

Les hommes du Rhin et de la Souabe aiment le soleil aux rayons brillants et les terres caressées par le vent si doux, qu'on dirait l'eau tiède des bains d'Aix-la-Chapelle, ainsi parle le moine de Saint-Gall. Depuis Charles Martel, la vaillance des hommes du Nord était réputée en Aquitaine ; et comme le duc Waïfre se montrait méchant vassal, turbulent serviteur, Pépin résolut de le dompter. Voici comment se passait à cette époque la vie des rois, ducs ou comtes. Chaque année, il y avait deux ou trois cours plénières de seigneurs sous la convocation du roi ; on prenait pour se réunir, parlementer, l'époque des fêtes de l'église ; Pâques ou Noël avec leur solennité. Ces parlements se tenaient en un lieu le plus rapproché des expéditions guerrières ; presque partout il y avait des maisons royales, des domaines qui dépendaient du suzerain, et c'était là qu'il tenait sa cour. Quand on avait célébré niques, Noël, on partait pour l'expédition de Saxe, de Lombardie ou d'Aquitaine. Les chavires remarquent qu'alors il se fit grand hiver, aspre et fort, ainsi que le dit l'incidence de la Chronique de Saint-Denis ; et à la première nonne de mai, à l'heure de midi, se fit grande éclipse de soleil. Le roi tint sa cour plénière à Aix, pour faire une courte excursion en Bavière ; puis il célébra la niques à Orléans, dans le dessein d'accomplir son expédition d'Aquitaine. Il s'en vint devant la cité de Narbonne, dompta Toulouse, et partout en son chemin fit parlements de barons et de chevaliers ; il ravagea tout le Limousin, l'Agenois, le Périgord et Angoulême. Pépin, tout colère contre Waïfre, fit pendre plusieurs Aquitains à un gibet et s'en revint à ses domaines, car le temps d'hiver approchait. Ces guerres d'Aquitaine occupent les dernières années de Pépin, et il ne fut content que lorsqu'il offrit à Saint-Denis, en gage de victoire, les ornements et les pierres précieuses que le duc de Waïfre mettait à ses bras, dans les fêtes solennelles[38].

Si lorsque les Francs touchaient l'Italie, les ambassades de Constantinople venaient à eux ; quand Pépin conquit l'Aquitaine, il reçut des envoyés sarrasins de Cordoue et de Séville. La nation des Francs grandissait aussi vigoureusement, ses rapports devenaient considérables avec les civilisations qui l'entouraient. Le pape recourt à Pépin, et en échange de la couronne qu'il lui donne, il reçoit sa protection, sa force matérielle, et le domaine de Saint-Pierre. Les Lombards sont domptés ; à peine les Saxons osent-ils quelques expéditions sur le Rhin, que Pépin et les Francs les refoulent jusqu'au Weser. Les empereurs de Constantinople sollicitent les alliances des Carlovingiens ; ils envoient des présents d'or et de magnifiques dons. Pépin reste maitre de l'Aquitaine, et dès qu'il domine cette terre, les Sarrasins sollicitent comme les Grecs une alliance avec cette race d'Austrasie vigoureuse et conquérante[39]. Depuis un demi-siècle, les choses ont changé de face : les Sarrasins avaient franchi les Pyrénées et campé jusqu'à Tours ; maintenant ils ont repassé les Pyrénées, et bientôt Charlemagne ira les chercher jusqu'à l'Èbre. Le règne de Pépin fut donc un grand prélude à celui de son glorieux fils, il en ouvrit les voies ; toutes les guerres de Charlemagne furent marquées du même caractère que les expéditions de Pépin le Bref ; il continue l'œuvre, mais dans de plus larges proportions. La santé du nouveau roi des Francs fut à bout au retour de sa guerre d'Aquitaine ; il était venu à Périgueux, où une infirmité le prit. Dans cette maladie bien souffreteuse, il se fit porter en la cité de Tours, car saint Martin et saint Denis étant les patrons de France, un roi devait mourir en leur face ; il fit des oraisons devant les châsses, et recouvra quelques forces pour venir à Paris. Or, sachez que de ce siècle trespassa en l'uitième calende d'octobre, au quinziesme an de son règne, en l'an de l'Incarnacion sept cens soixante-huit, et fut mis en sépulture en l'église monseigneur saint Denis en France. A dens fut couchié au sarqueus, une croix dessous la face, et le chief tourné devers Orient. Si dient aucuns qu'il voult ainsi estre ensépulturé, pour le péchié de son père qui les dismes avait tollues aus églyses[40].

Ce roi Pépin qui se couchait ainsi dans la tombe n'avait pas seulement rempli sa vie de grandes batailles ; il existe encore de lui quelques capitulaires ou chartes qui préparent la plus large législation de Charlemagne son fils[41]. Pépin est dans sa ferme royale de Vernon, et là il rédige quelques articles sur l'état des personnes et la législation ecclésiastique. Voici ce qu'ordonne le roi Pépin en son parlement : Que chaque ville ait un évêque, sous la juridiction du métropolitain ; que cet évêque ait la puissance de tout corriger dans son diocèse chaque année il y aura deux synodes. L'organisation des monastères sera réformée : aucune abbesse ne pourra gouverner deux monastères ; aucune ne sortira de l'enceinte sacrée que par les ordres du roi ; les religieux doivent également se consacrer à la solitude, et s'ils s'affranchissent de cette règle, qu'ils soient soumis à la pénitence. Le baptême sera donné publiquement ; le prêtre obéira à l'évêque ; ceux qui communiqueront avec les excommuniés seront frappés de l'excommunication eux-mêmes. Les moines ne pourront aller même à Rome, sans la permission de leur évêque ; dans leur couvent, ils devront se soumettre à la règle, et demeurer soumis à l'abbé. Le jour du Seigneur sera férié, sauf une exception, pour l'agriculture. Tout mariage devra être célébré publiquement ; les droits de tonlieu ne seront point exigés des pèlerins. Les juges écouteront et jugeront d'abord les causes des veuves, des orphelins et de l'église. Enfin, par quelques derniers articles, le roi règle les droits du fisc et la valeur des monnaies.

Pépin est maintenant dans la forêt de Compiègne ; il a quitté les bords du Rhin, les Ardennes sombres à la Moselle. Dans une réunion d'évêques et de comtes, il règle encore l'état des Francs, et le mariage surtout, qu'il est si difficile alors de purifier : Les époux ne seront pas séparés s'ils ne sont parents qu'au quatrième degré ; au troisième degré, le mariage est nul, alors même que les époux ne seraient parents que par affinité et alliance. Si une femme prend le voile sans le consentement de son mari, celui-ci peut toujours la réclamer ; si elle est libre et qu'elle soit donnée contre sa volonté à un homme, elle peut toujours s'unir avec un autre. Le mariage avec l'esclave est interdit ; le vassal peut se marier à une autre femme ; mais en ce cas il passe sous un nouveau seigneur. Les articles de ce capitulaire de Compiègne sont tous relatifs à la famille, à la femme qui se souille et aux parents qui s'unissent par de faux liens. Ces corruptions de mœurs étaient la grande plaie de la société ; la sainteté et l'unité du mariage n'étaient point universellement reconnues, elles répugnaient à tous ces caractères de violence : depuis le roi jusqu'au vassal, tous se permettaient la pluralité des épouses ; les conciles et les capitulaires luttaient en vain contre ces mœurs nomades de toute une société.

Parmi ces capitulaires une chartre entière existe scellée par Pépin ; il y prend le titre de roi des Français, d'homme illustre ; elle est adressée à un évêque du nom de Pierre Lulle : Il faut que votre sainteté sache ce que Dieu a fait de piété et de miséricorde dans cette terre ; il nous avait donné beaucoup de tribulations à cause de nos délits, et après la douleur il nous accorde une consolation merveilleuse, une abondance des fruits de la terre au delà de toute pensée ; c'est pourquoi notre devoir est de lui rendre grâces, car sa miséricorde est venue consoler ses serviteurs. Nous voulons que chaque évêque fasse célébrer un jeûne dans sa paroisse, à la louange de Dieu, qui nous a fait celte abondance ; que chaque homme fasse ensuite des aumônes et nourrisse les pauvres, et que tous donnent les décimes, soit qu'ils le veuillent, soit qu'ils le refusent. Salut dans le Christ[42].

Ces vieilles d'aigres, ces capitulaires nous révèlent tout l'esprit d'une époque ; ils constatent les tendances du roi et du peuple, de l'église et de la société. Dans cette législation primitive, rien n'est distinct, les différents ordres d'idées se confondent et se pénètrent mutuellement ; les lois religieuses ne sont pas séparées des lois civiles ; le roi fait des capitulaires pour prescrire des jeûnes, lever des dimes, et les conciles s'occupent à fixer la société domestique et le gouvernement politique. En vain on classerait ce qui est mixte et confondu : rois, évêques, clercs et hommes d'armes se communiquent et se donnent leur esprit mutuel ; il y avait de la féodalité dans l'église, el l'église dans la féodalité ; tel évêque portait le faucon sur le poing dans la forêt des Ardennes, et tel homme d'armes portait la mitre d'un abbé et sa crosse, signe de juridiction, Au milieu de cette société, le règne de Pépin n'est qu'une grande réparation au profit de l'église. Les clercs avaient gardé mémoire des spoliations ordonnées par Charles Martel ; ils ne pardonnaient pas cette violence ; les hommes d'armes pouvaient persécuter l'église pendant la vigueur de la vie, les clercs les attendaient à la mort ; là étaient leurs jours de représailles, et Pépin racheta les péchés de son père. Des chartres, des donations existent déjà, scellées par Pépin, maire du palais ; d'autres diplômes de générosités et de dons plus nombreux marquent l'époque où il fut roi : Saint-Denis reçoit toujours des menses de terres, des redevances ; les églises de Trèves, de Metz, de Lorraine sont accablées de dons. Pépin s'occupe d'agrandir les biens ecclésiastiques avec une sollicitude continuelle : Saint-Denis voit confirmer ses foires ; les monastères de Saint-Martin de Tours, de Saint-Michel recueillent des donations ; les chartres mêmes accordent des privilèges aux églises de Nantua et de Figeac[43]. Partout Pépin témoigne sa reconnaissance aux évêques qui l'ont fait roi, et aux papes qui ont sanctionné son pouvoir. Rome garde à son tour une grande reconnaissance de ce que Pépin a fait pour Zacharie et Étienne ; il existe une curieuse épitre du peuple et du sénat romains au roi des Francs : ils lui rendent des actions de grâces pour leur liberté conquise sûr les Lombards, et Pépin leur répond : de garder leur foi en l'église de Dieu et le pape.

Monastères, églises, pontificat ; voilà ce que protège le nouveau roi des Francs ; il s'est élevé par les clercs, eux ont sanctifié son règne, confirmé la possession de sa couronne, le chef de la nouvelle dynastie leur en tient compte, car on ne se maintient au pouvoir qu'en secondant la force qui vous y a porté.

 

 

 



[1] Consultez Annal. reg. Francor. Pippini et Carol. Magn. (Dom Bouquet, Hist. de France, t. V, p. 198.)

[2] Eginhard, Annal., ad ann. 748.

[3] Voyez les Annales de Metz, 748-753 ; elles sont très brèves et très sèchement écrites.

[4] L'abbé de Vertot a fait une excellente dissertation sur Childéric III ; il a parfaitement prouvé que les chroniques qui ont parlé de lui, écrivant sous l'influence des Carlovingiens eurent intérêt à rabaisser ce caractère ; cette dissertation existe dans les Mémoires de l'ancienne Académie des Inscriptions.

[5] J'ai visité sur la route de Naples à Rome le monastère du Mont-Cassin, curieux pèlerinage de sciences et d'arts ; les manuscrits sont de la plus haute antiquité. Le Mont-Cassin était le lieu de refuge des rois Lombards.

[6] Ce champ est appelé dans la chronique la vigne ou le champ de Ratchis. Ratchis est le nom d'an roi lombard (V. Muratori, Annal. d'Ital.) ; j'en ai cherché les traces dans mon pèlerinage au Mont-Cassin ; on n'a que des traditions.

[7] Ce roman a été publié, comme Garin le Loherain, par M. Paulin Pâris, qui l'a fait précéder d'une lettre fort remarquable au modeste et savant magistrat M. de Montmerqué.

[8] Voici les biens jolis vers par lesquels commence li romans de Berte :

A l'issue d'avril, ne temps dous et joli,

Que erbelette poignent et prés sont raverdi,

Et arbrissel desirent qu'il fussent parfleuri.

[9] Cinq pieds romains, c'est-à-dire 4 pieds 9 pouces.

[10] Berte aus grans piés, III.

Biaus très doue filz, fait-éle, comment osas penser

Que si hideuse belle osas onc adeser.

Dame, ce dit Pépins, on ne doit pas douter.

[11] Berte aus grans piés, III.

Sire, je en sai une, par le cor Saint-Orner,

Fille au roy de Hongrie, moult l'ai oy loer,

Il n'a si bele rame deça ne dela mer

Berte la Débonnaire ainsi l'oy nommer.

[12] Cette universalité de la langue française est chose curieuse à cette époque :

Que tout li grant seignor, li conte et li marchis

Avoient, entour sus, gent Françoise tous-dis

Pour aprendre françois leurs filles et leur fils.

(Berte aus grans piés, V).

[13] Cette tradition allemande de Berthe est rapportée par le baron d'Aretin, qui a publié à Munich, en 1803, Très ancienne Histoire sur la naissance et la jeunesse de Charles le Grand, d'après un MS. allemand du XIIIe siècle, trouvé à l'abbaye de Weihen-Stephan, près Freysingen.

[14] Cette légende de la femme persécutée se retrouve dans presque tous les romans du moyen âge ; un modeste savant, M. G. F. de Martonne, a publié, en 1836, li romans de Parise la duchesse, écrit dans le même esprit ; il est à la bibliothèque du roi dans le MS. 7498.

[15] Les rapports si intimes qui existaient entre le pape Léon et Charlemagne avaient donné ans Romains l'idée de les faire descendre l'un de l'autre ; dans quelques-unes de ces épopées le pape Léon est le bâtard de Charlemagne.

[16] Si Charlemagne est toujours grand, même dans son enfance, pour les traditions allemandes, il n'en est pas ainsi dans les chansons de gestes du midi, où il est si souvent ridicule et mystifié. C'était la haine de race.

[17] Ces histoires se redisaient de château en château par les trouvères.

[18] Voyez la Table chronologique des diplômes et chartes, par M. de Bréquigny, l'une des belles collections, t. Ier, p. 89-94.

[19] In Hist. translat. sancti Germani, apud Bollandist., 28 maii. Ces épisodes de la vie des saints impriment une grande variété dans les récits des chroniques généralement sèches du VIIIe au IXe siècle.

[20] Charlemagne, à qui l'on reporte cette translation de relique, était, comme ou le voit, témoin oculaire, d'après le légendaire. Bolland., mai 28.

[21] Palaiseau était une métairie royale qu'on nommait Petit-Palais, Palatiolum, d'où l'on a fait Palaiseau. La terre de Palaiseau était une des plus belles et plus riches possessions de l'abbaye de Saint-Germain, ainsi qu'on peut le voir dans la Polyptyque de l'abbé Irminon, publiée par M. Guérard, sous ce titre : Polyptychum Irminonis abbatis sive liber censualis antiquus monasterii Sancti-Germani pratensis.

[22] Les profits étaient en effet fort considérables ; il y avait même à Palaiseau : mansum dominicatum cum casa et aliis casticiis sufficienter. (Polyptychum Irmonis abbatis. II Breve de Palatiolo.)

[23] Childeric, qui roy estoit appelé, fut tondu et mis en une abaïe. (Chronique Saint-Denis, ad ann. 752). Comparez sur cette déposition Eginhard et les Annales de Laurensheim et de Fulde. Théophane le Grec, grand défenseur de la légitimité, dit que le pape donna l'absolution à Pépin de la rébellion qu'il faisait à son roi ; c'est ainsi au moins que j'interprète son texte.

[24] La Chronique de Saint-Denis se borne à dire : Puis régna le roy Pépin quinze ans, quatre mois et vingt jours. Comparez le continuateur de Frédégaire, ch. 124-125. — Annales de Metz, p. 278. — Eginhard, p, 230.

[25] En l'année après ce qu'il fut couronné, assembla-il ses osts et entra en Sassoigne. Et jà soit ce que les Saisnes se deffendissent vertueusement en l'entrée de leurs terres, toutes voies donnèrent-ils lieu et s'enfouirent desconfis. Et le roy chevaulcha tout outre jusques à un lieu qui est appelé Rimi, qui siet sur le fleuve de Wisaire. (Chronique de Saint-Denis, chap. XXIX.)

[26] Annales de Metz, Duchesne, t. V, p. 276.

[27] Anastase bibliothécaire, p. 121, édit. in-4°.

[28] En ce temps, fit le roy Pepin corriger et amender les chants et le service des eglyses de France, par l'estude et l'autorité de Rome. (Chronique de Saint-Denis, ad ann. 752.)

[29] Stephan. pap. epistol. — Codex Carolinus, I.

[30] Palmam ne peut être pris dans le sens de main. C'était sans doute la palme de martyr, ainsi qu'on voit les saints dans les peintures byzantines.

[31] Stephan. pap. epistol. — Cod. Carolin., I.

[32] L'abbaye de Saint-Denis conservait pieusement dans son trésor ces lettres pontificales, source et origine de sa juridiction. Voyez l'Histoire de l'abbaye de Saint-Denis et les preuves.

[33] Papes, évêques, rois et comtes accablaient de dons l'abbaye de Saint-Denis ; il n'y avait pas de plus précieux trésor que le sien, quelques débris en sont passés au cabinet des antiquités et médailles de la Bibliothèque du roi, mais la majeure partie a été brisée et éparpillée pendant la révolution française. Le catalogue de ce trésor a été dressé par Doublet : Histoire de Saint-Denis, aux preuves.

[34] Les plus curieux renseignements sur les actes de Charles Martel, de Pépin et de Charlemagne contre les Lombards doivent être recueillis dans le livre appelé le Code Carolin (Codex Carolinus) ; il contient la correspondance des papes jusqu'en 791. La bibliothèque de Vienne possède le manuscrit original publié par Muratori : Script. rer. Italic., p. 75, 2e partie.

[35] La charte de donation de Pépin n'a jamais été recueillie en original ; on en trouve quelques fragments dans les lettres pontificales ; le Codex Carolinus indique expressément qu'une large donation fut faite. Muratori a longuement disserté sur les limites et les caractères du patrimoine de Saint-Pierre : Voyez Dissertatio chronograph ; Italiæ medii ævi, t. X, p. 160-180. Cette donation est tout entière rappelée par Hincmar, contemporain de Louis le Débonnaire.

[36] Annal. Metens. 755. En ce temps vindrent au roy les messages Constantin, l'empereur de Constantinoble, au Chastel de Compiègne où le roy estoit adonc au général parlement. Riches présens luy apportèrent de par leur seigneur. Entre les autres choses luy eut envoyé unes orgues de merveilleuse beauté. (Chroniq. Saint-Denis, ad ann. 755.)

[37] Voyez dans le Code Carolin une épître du pape Paul adressée à Pépin ; il lui envoie des chantres de l'église romaine et une horloge nocturne qui marquait les heures de nuit comme de jour. (Epistol. Pauli ad Pipini. — Cod. Carol., 25-45.)

[38] C'est pour la première fois que je trouve dans les vieilles chroniques le mot Bourbon. Pépin prit par force : quædarn oppida atque castella.... in quibus prœcipua fuere Burbonis, Cantilla, Clarmontis. Eginhard, Annal. — ad ann. 761.

[39] Les rapports de Pépin dans l'Aquitaine contre les Sarrasins, et particulièrement pour le siège de Narbonne, ont été recueillis dans le roman de Philoméla, publié à Florence par Ciampi ; il est vrai que ce roman attribue à Charlemagne les actions de son père : Gest. Carol. Magn. ad Carcasson. et Narbonnam ; c'est spécialement de Pépin, je crois, qu'il s'agit dans cette épopée provençale.

[40] Chronique de Saint-Denis, ad ann. 768.

[41] Voir quelques capitulaires et conciles sous le règne de Pépin. Palais de Vernon, 755. Baluze, I, 167. Hist., V, 638. Compiègne, 757. Baluze, I, 179. Hist., V, 642. Metz, 756. Baluze, I, 177. Hist., V, 642.

[42] 764. Baluze, I, 185. Hist., V, 644.

[43] Table des diplômes de Bréquigny, t. I, p. 94-105.