RAVAILLAC

LA MAISON OÙ NAQUIT LE RÉGICIDE - LA TANIÈRE DES RAVAILLARD DANS LA GORGE DE BAUME-LES-MESSIEURS - LE CHÂTEAU DU DIABLE.

 

CHAPITRE PREMIER. — DANS QUEL LIEU, DANS QUELLE MAISON EST NÉ LE RÉGICIDE ?

 

 

Il est certain que la famille Ravaillac a possédé sur la paroisse de Touvre quelques immeubles[1] : ils devaient être de minime importance ; en revanche, dans la paroisse toute voisine de Magnac-sur-Touvre — la rivière seule sépare les deux localités —, l'aïeul paternel du régicide avait deux maisons, au bourg même, et s'il s'établit à Angoulême comme procureur au siège présidial, tout en conservant les maisons dont s'agit, c'était sans doute par suite de son mariage avec Marguerite Lecomte, fille d'un procureur, dans la charge duquel il succéda à ce dernier.

Il est donc fort à croire que le bourg de Magnac-sur-Touvre a été le berceau de la famille Ravaillac ; ce qui le ferait supposer davantage, c'est l'attachement que cette famille ne cessa d'avoir pour Magnac :

En 1571, le procureur Michel Ravaillac y achète un lopin de jardin, confrontant au jardin de maître François Ravaillac son père[2].

L'acte de partage intervenu entre celui-ci et ses deux fils du premier lit, Michel sus-nommé et Jean Ravaillac (père du régicide), passé devant Me Mousnier, notaire royal Angoulême, le 17 novembre 1574[3], nous fait constater l'existence sur la paroisse de Magnac-sur-Touvre :

D'une maison sise au bourg, au lieu dit le Ruvat, confrontant d'un bout au chemin allant de Magnac à la Garenne de M. de Maulmont à main dextre[4] ;

D'un lopin de jardin confrontant au chemin allant de Magnac à la font de Jay, à main dextre ; Ces trois objets furent attribués au procureur Michel Ravaillac ;

Et en plus d'une grande maison (sic) avec ses appartenances et dépendances de jardin, même celui acheté en 1571 par Michel Ravaillac, ainsi qu'il a été dit plus haut, et située au même bourg de Magnac[5], laquelle maison fut attribuée à Jean Ravaillac, ainsi que tous les autres domaines et héritages (sauf les trois articles désignés plus haut), en nature de terres labourables ou non labourables, prés, bois, vignes et autres quelconques, situées en ladite paroisse de Magnac.

Personnellement le père du régicide fit l'acquisition dans la paroisse de Magnac :

Le 14 janvier 1601, de deux lopins de vigne[6] ; et le 22 février suivant, d'une pièce de terre au lieu dit la Garenne, confrontant d'un bout au chemin allant d'Angoulême à Pranzac[7].

Dans la première de ces acquisitions, Me Tallut, notaire à Magnac-sur-Touvre, qui passa le contrat, a même trouvé bon de domicilier Jean Ravaillac au bourg de Magnac ; l'acte du mois suivant indique ce domicile à Angoulême, comme tous les autres actes ; l'indication de Me Tallut n'en constate pas moins que Jean Ravaillac avait conservé son habitation de Magnac et qu'il n'était pas sans y aller souvent ; à partir de 1601 ou 1602, il a même dû s'y fixer définitivement et il devait y habiter lors de l'assassinat de Henri IV.

Ce qui rend plus vraisemblable encore notre supposition que la famille Ravaillac était originaire de Magnac, c'est le fait que la grand'tante du régicide, sœur du procureur François sus-nommé, Marguerite Ravaillac, mariée à Sébastien Pichot, sergent royal à Angoulême, possédait, elle aussi, à titre personnel, et sans doute patrimonial, divers immeubles sur cette même paroisse de Magnac, notamment une pièce de vigne au plantier de la Roulette, confrontant d'un bout au chemin allant de Magnac à la ville d'Angoulême ; en 1576, elle faisait donation de cette vigne à une veuve Boucheron, née Thoynète Gailhard, du bourg de Magnac, en considération des biens faicts et services que lui a faiclz et qu'elle espère que luy fera à l'advenir la dite veuve[8].

Malgré l'existence de cette maison patrimoniale de Magnac, le régicide est bien né à Angoulême ; il l'a dit lui-même dans son interrogatoire[9], et nous allons, dans un instant, indiquer la maison elle-même où cette naissance funeste eut lieu.

Mais avant de faire part de nos découvertes à ce sujet, voyons successivement les conclusions de chacun des archéologues qui nous ont précédé dans l'examen de la question :

Dans sa querelle avec le père Garasse, fameux jésuite, né dans notre ville d'Angoulême en 1585, Nicolas Pasquier, lieutenant général à Cognac, maître des requêtes de l'hôtel du roi et fils du célèbre Étienne Pasquier, procureur général en la chambre des Comptes, injurie en ces termes[10] son adversaire :

Toy, qui es descendu de l'Estoc de ces vieux Gots, habitants du lieu de ta naissance, lesquels se rendaient arbitres des vies et couronnes de leurs Roys ! Et tout ainsi que les plantes reviennent tous jours et rapportent partout la température de l'air, le sel et la faveur du sol et territoire où elles vivent ; de mesme cette coutume meschante et maudite s'est donnée de main en main par une certaine propagation de père en fils, jusques en la personne de l'un de tes proches, sorti de cetige (sans doute cette tige) gothique qui exécuta ce meschant et damnable parricide contre notre Henry le Grand. Un des parents duquel et de tes proches, aussi avait cinquante ans auparavant tué, devant Orléans, le duc de Guise ; Race abominable née pour assassiner les grands princes, etc.

D'après Pasquier, qui était à peu près du même pays et du même âge que le régicide, celui-ci était donc né à Angoulême.

Ne nous arrêtons pas aux poésies du Père Garasse susnommé — desquelles il sera, d'ailleurs, question d'une manière très suffisante lorsque nous transcrirons ci-après une partie du travail du docteur Gigon —, et franchissons deux siècles, pour arriver aux recherches faites par les membres, que nous avons nommés plus haut, de la Société archéologique et historique de la Charente :

M. Eusèbe Castaigne, le premier, consacra, dans le Bulletin de l'année 1846, une note à la maison de l'assassin : dans un travail sur l'hôtel des Guez de Balzac, voisin de la rue des Arceaux, près de laquelle le régicide habitait, en effet, à l'époque de l'attentat, M. Castaigne transcrit l'acte d'aveu dudit hôtel et de ses dépendances, passé devant MMes Pierre Dumergue et Antoine Rousseau, notaires à Angoulême, le 27 janvier 1644 ; et, énumérant les dépendances en question, il arrive à la description d'une masure située en face de l'église Saint-Paul. Le savant archéologue fait suivre cette description de la note[11] que nous copions ci-après littéralement :

Cette vieille masure formait sans doute l'emplacement de la maison où était né François Ravaillac, assassin de Henri IV, détruite en vertu de la disposition suivante de l'arrêt du Parlement du 27 mai 1610 :

Ordonné que la maison où il a esté né sera desmolie, celuy à qui elle appartient, préalablement indemnisé, sans que sur le fonds puisse à l'advenir estre faict autre bastiment.

Une tradition constante a toujours placé cette maison dans la rue des Arceaux, au lieu même indiqué par les confrontations ci-dessus établies, presqu'en face du chevet de l'ancienne église Saint-Paul. Sur la fin du siècle dernier on avait, par tolérance, laissé construire en cet endroit un bâtiment de peu d'importance qui continua d'être désigné sous le nom de maison de Ravaillac ; M. Astier l'a remplacé par une servitude indispensable, qui prouve que, si Angoulême a eu le malheur de produire un régicide, sa mémoire n'y est pas en très bonne odeur.

Si la supposition de M. Castaigne était fondée, il faudrait avouer que les hommes de loi d'Angoulême avaient bien mal exécuté l'arrêt du Parlement de Paris : trente-quatre ans se sont déjà écoulés depuis la sentence et les murs de la maison maudite sont encore debout, en mauvais état, il est vrai, mais non pas démolis, comme le portait l'arrêt.

Ils ne l'ont pas été, car ils ne méritaient pas de l'être. Cette masure n'a jamais appartenu à la famille Ravaillac, jamais été habitée par le régicide.

En 1610, l'assassin n'habitait, en effet, ni la masure désignée par M. Castaigne, ni même la rue des Arceaux, mais bien une maison voisine. La tradition reposait partiellement sur un fait exact, celui du voisinage de l'église Saint-Paul ; elle se trompait sur l'emplacement. La véritable maison, qui était peu éloignée de la masure de l'hôtel de Balzac, était et est loin de former avec elle un seul et même immeuble : les Guez de Balzac tenaient cette masure et leur hôtel du roi lui-même ; la maison occupée par Ravaillac était tenue à rente de la cure de Saint-Paul ; d'autre part, les confrontations de ces deux immeubles ne se ressemblent en aucune façon : la masure avec le jardin en dépendant confrontait à l'hôtel des Guez de Balzac ; la véritable maison habitée par Ravaillac n'a jamais confronté à cet hôtel ; en 1606, ses confrontations étaient : d'une part à la rue publique par laquelle on va de l'église Saint-Paul à la halle du Palet — la rue Saint-Paul nécessairement —, d'autre à la maison des hoirs feu Gaschiot Dufresche, d'autre à la maison de Pierre Mallat, marchand ; par derrière, à la maison de Mayet Herbert, sergent royal[12].

Si nous avons à son sujet des renseignements aussi circonstanciés, c'est que, ainsi que nous le dirons plus loin, la maison que le régicide habitait, simplement à titre de locataire, avait d'abord appartenu personnellement à sa mère.

On nous fera cette objection : qu'à plus forte raison François Ravaillac avait pu naître dans cette maison ; d'accord ; mais le fait contraire est positif, celui-ci est né en réalité dans la maison qui appartenait personnellement à son père, ainsi que nous le verrons plus loin ; c'est cette dernière qui fut rasée et non celle de la rue Saint-Paul : il n'est pas d'argument plus concluant.

Pour terminer avec l'opinion de M. Castaigne au sujet de la naissance de Ravaillac, nous devons faire observer que son opinion ne semble pas avoir été inébranlable : En effet M. l'abbé Michon, dans sa Statistique monumentale de la Charente, s'exprime de la sorte[13] au sujet du château de Touvre :

Ce château n'est connu des gens du pays que sous le nom de château de Ravaillac. On se demande comment cette magnifique ruine a pu recevoir un nom si odieux. M. Eusèbe Castaigne m'a communiqué avec obligeance et publiera prochainement un document qui atteste que l'assassin de Henri IV naquit à Touvre, peut-être dans une maison construite près des ruines du château. Pour laisser à notre savant collègue tout le prix de cette curieuse découverte, je ne nommerai pas le poète du XVIIe siècle, qui, dans sa latinité énergique, a reproché à notre belle Touvre d'avoir été la mère d'un exécrable régicide.

Et de son côté M. Alcide Gauguié, dans sa Charente communale illustrée, parue en 1868, dit ce qui suit (pages 147 et 148) au sujet du même château de Touvre :

Il porte aujourd'hui le nom de Château de Ravaillac et c'est une croyance, profondément enracinée dans l'esprit populaire, que ces ruines ont appartenu à l'odieux assassin de Henri IV, qui, pauvre maître d'école, n'a jamais possédé le moindre manoir. Voici, pensons-nous, l'explication de cette énigme : On a prétendu jusqu'ici que Ravaillac était né à Angoulême. C'est une erreur trop longtemps propagée ; au bourg de Touvre ou à quelque hameau du voisinage revient la triste gloire d'avoir donné naissance à ce monstre. Le père Garasse le dit formellement dans ses poésies latines : Au fleuve de Touvre, anciennement remarquable par son gouffre et par ses cygnes, au bord duquel est né le parricide.

Et en note :

Ad Tuparam amnem, gurgite et cygnis olim nobilem ad cujus ostia, natus est parricida. (C'est le titre de la Ve élégie.)

Nous devons cette communication à l'obligeance de notre savant bibliothécaire, M. Eusèbe Castaigne, dont l'opinion doit faire autorité en cette matière.

Le père Garasse est contemporain des faits dont il parle, il est du pays, deux raisons pour nous fier complètement à lui.

Ainsi M. Castaigne penchait en 1844 pour Touvre ; en 1846, pour la paroisse Saint-Paul d'Angoulême ; et en 1868, il revenait à sa première opinion.

Dans son travail sur le château de Touvre — paru dans le bulletin des années 1868-1869 de la Société archéologique et historique de la Charente (pages 429 et suivantes) —, M. le docteur Gigon arrive, page 443, à traiter la même question. Voici toute la fin de son remarquable travail :

Nous allons maintenant examiner une autre question accessoire, qui a pourtant son intérêt et son importance.

Le château de Touvre n'est connu dans la contrée que sous la dénomination de Château de Ravaillac. Ce nom odieux attaché à ces débris a fait croire au public, qui reçoit la tradition sans l'examiner et la discuter, que ce château avait dû appartenir à l'assassin du bon roi Henri IV. Nous pouvons d'ores et déjà repousser une pareille supposition, puisque nous venons de présenter la liste non interrompue des possesseurs de ce noble manoir, depuis sa fondation jusqu'à ceux qui de nos jours en occupent les emplacements, et nulle part nous n'avons vu apparaître le nom de l'exécrable régicide. A cette preuve sans réplique nous ajouterons quelques considérations qui corroborent cette affirmation :

Ravaillac est né à Angoulême, ainsi que nous l'apprennent les interrogatoires de son procès, publiés dans le temps et réédités de nos jours. Il appartenait à une famille pauvre ; lui-même était pauvre ; il avait tenté plusieurs voies dans sa vie, il avait été praticien ou clerc de procureur ; nous le voyons même solliciter des procès et faire taxer des dépens au parlement de Paris. Le même titre de praticien est donné à son père dans le procès criminel, et M. de Rencogne, qui a compulsé les archives du présidial d'Angoumois, a remarqué que plusieurs procureurs avaient porté ce nom. Il paraît que la famille du régicide avait été ruinée par des procès, et que lui-même avait déjà été mis en prison, accusé de meurtre. Plus tard il voulut entrer en religion, et il était entré comme novice aux Feuillants de Paris, d'où on l'avait renvoyé au bout de quelques semaines, en raison des visions ou hallucinations auxquelles il était sujet ; puis il avait été maître d'école dans la paroisse de Saint-Paul, à Angoulême, rue des Arceaux, suivant Eusèbe Castaigne, laquelle avait été dénommée pour cette raison rue du Fanatisme. Dans son interrogatoire du 18 mai 1610, subi devant la commission du parlement, présidée par l'inflexible, l'intègre Achille de Harlay, Ravaillac avait donné les renseignements suivants :

Enquis de quoi il s'entretenait :

A dit qu'il avoit quatre-vingts écoliers dont il gagnoit sa vie, et (de ce qu'il recebvoit) faisoit les voyages en cette ville (Paris).

Enquis de ses moyens et commodités :

A dict que ses père et mère vivoyent d'aumosnes le plus souvent, et luy accusé de ce qu'il gaignoit de ses escoliers, aydé de ce que ses amis luy donnoient.

Enquis de ses amis :

A dict que c'estoient les père et mère des escoliers qui luy donnoient l'un du lard, l'autre de la chair, du bled, du vin.

Il est manifeste que, dans ces conditions d'existence, un tel individu n'avait jamais dû posséder de château ; on peut même ajouter, comme preuve de sa pauvreté, qu'il avait commencé par être valet de chambre du sieur Rozier, conseiller au présidial d'Angoumois : c'est lui-même qui l'a déclaré lors de ses interrogatoires.

Dans ces dernières années, une tierce opinion a été émise par des savants du pays : on a supposé que Ravaillac était né à Touvre ; et alors on comprendrait comment, dans le langage usuel, le peuple avait pu donner à ces sombres débris, encore entourés d'une auréole de terreur qu'ils empruntaient au gouffre et à ses souvenirs, le titre de château de Ravaillac ou des Ravaillac, comme il avait donné le nom de Château du Diable à ces autres débris situés au Petit-Rochefort, entre Angoulême et Puymoyen, auxquels se rattache aussi une légende de superstitions et d'effroi. M. Michon, dans la Statistique monumentale de la Charente (p. 213), dit à ce sujet :

M. Eusèbe Castaigne m'a communiqué avec obligeance et publiera prochainement un document qui atteste que l'assassin de Henri IV naquit à Touvre..... Je ne nommerai pas le poète du XVIIe siècle qui, dans sa latinité énergique, a reproché à notre belle Touvre d'avoir été la mère d'un exécrable régicide.

Malheureusement le travail de Castaigne sur ce sujet n'a jamais été publié. J'ai interrogé son fils, qui a parcouru tous ses papiers depuis son décès et n'a rien trouvé ; nous devons croire qu'Eusèbe n'a pu réunir les éléments de sa démonstration. Quant au poète dont parle M. Michon, ce doit être Paul Thomas que j'ai déjà cité. J'ai relu tout son poème latin Tovera, sans qu'il m'ait été possible de trouver rien de topique. Dans un passage, après avoir rappelé l'ancienne puissance de la citadelle de Touvre et les beautés que l'art et la nature avaient prodiguées dans ce lieu, e poète ajoute :

Ille loco permansit honos, dam regna quierunt

Gallica, et incurvis cesserunt falcibus enses

Verum ubi disruptis concordia publica vinclis

Dissiliit, regesque suos plebs impia contra

Dirigere infestas acies, ac sedibus ansa est

Tutum excire suis. . . . . . . . . . . . . . . . .

Le poète fait ensuite le tableau des maux qui, à la suite de ces violences du peuple, ont assailli la France prête à rendre le dernier soupir : Et extremas moriens dat Gallia voces. Encore une fois, dans cette énergique peinture, il n'est question ni de Ravaillac, ni de sa naissance au bord de la Touvre ; la phrase Regesque suos plebs impia contra dirigere infestas acies, veut dire que un peuple sacrilège a dirigé ses coups, ses combats meurtriers contre ses propres rois.

C'est une allusion aux guerres civiles qui ont désolé la fin du XVIe siècle ; mais rien n'indique que cela s'applique au régicide angoumoisin. La naissance de Ravaillac à Touvre n'est donc rien moins que démontrée par des documents certains ; nous pouvons même dire qu'elle est démentie par Ravaillac lui-même, lors de son procès criminel. Dans son interrogatoire du 14 mai 1610, on lit : A dict avoir nom François Ravaillac, âgé de trente-deux ans, demeurant en la ville d'Angoulême. Ces dernières paroles pouvaient laisser quelque doute, le lieu de la demeure n'étant pas nécessairement celui de la naissance. Mais dans son interrogatoire du 17 il est beaucoup plus explicite ; on y lit : A dict avoir nom François Ravaillac, natif d'Angoulême, y demeurant, âgé de trente et un à trente-deux ans. Cette fois, il ne peut y avoir de doute, l'accusé distingue soigneusement le lieu de naissance du domicile ; il est né à Angoulême, et il y demeure. Nous avons interrogé les registres de la paroisse Saint-Paul que Ravaillac avait déclaré être la sienne ; ces registres remontent seulement jusqu'à 1589, et à la date de 1602 nous trouvons un acte de naissance d'un Ravaillac. Voici du reste, la reproduction textuelle de cet acte :

Le vendredi VIIIe janvier mil six cent deux a esté baptisé en a l'église de céans Jehan Ravailhac, filz de Pierre Ravailhac et a de damoiselle Anne Chauvet, et furent parreiu noble Jehan Béliard, procureur du roy (deux mots illisibles) au siège royal de Coingnac, et damoiselle Madelaine de Torent, femme de noble Jehan Poumaret, escuyer, sieur de la Vallade, par moy curé de céans.

Signé : J. BÉLIARD, Madelaine de TORENT, MAUROUGNÉ, président. RAVAILLIAC.

Cet acte, écrit à la page 27e du registre, était indéchiffrable, parce que l'arrêt de mort porté contre Ravailhac à la date du 27 mai 1610, par le Parlement de Paris, avait décidé, entre autres aggravations de peine, que nul à l'avenir, frère, sœur, oncle, neveu, ne pourrait porter un tel nom, et le curé de la paroisse a raturé ce nom maudit sur le registre ; cependant on le lit très bien encore sous les ratures, surtout la signature du père de l'enfant, qui paraît d'une très belle écriture. Ce nouveau-né était probablement le frère du régicide, lequel, dans ses interrogatoires, déclara habiter la paroisse Saint-Paul. Les parrain et marraine appartenaient, comme on voit, aux classes élevées, et le noble Béliard, procureur du roi à Cognac, était, ou parent ou très ami de la famille. Son nom figure dans le procès de l'assassin, qui rapporte, dans son interrogatoire du 16 mai, avoir entendu répéter chez Béliard les menaces d'excommunication que l'ambassadeur du pape avait faites contre le roi qui, disait-on, voulait faire la guerre au Saint-Père ; propos que Ravaillac déclare avoir été une des causes principales qui l'ont poussé à l'assassinat du roi. J'ai voulu compulser les registres de la paroisse de Touvre, mais tous sont postérieurs à la condamnation de Ravaillac ; il n'est donc pas étonnant que ce nom ne s'y retrouve plus, par les motifs que j'ai déjà exposés. D'après tout ce qui précède, il est probable que la famille de Ravaillac était une famille tombée. Nicolas Pasquier assure que l'assassin était, par les femmes, parent de Poltrot de Méré, qui tua le duc de Guise ; mais c'est une assertion sans preuves. Dans tous les cas, nous pouvons affirmer que jamais cette famille n'a possédé le château de Touvre, et qu'il est difficile aujourd'hui de remonter à l'origine de cette erreur populaire qui ne repose sur rien, puisqu'on ne trouve rien écrit nulle part à ce sujet. Le commencement de cette tradition est très certainement récent, et elle est peut-être venue avec certains habitants du lieu dont le nom a une telle ressemblance avec celui de Ravaillac que quelques personnes ont avancé, mais toujours sans preuve, qu'il était une altération du nom de Ravaillac, contemporaine du crime, altération nécessitée par les prescriptions de l'arrêt du parlement de Paris qui défendait de porter un pareil nom.

En terminant, je demande, moi aussi, à présenter mon explication sur l'erreur populaire relative à l'appellation du château de Touvre, explication qui, quoique hypothétique sur certains points, me paraît infiniment plus près de la vérité que le conte ridicule qui domine encore l'opinion locale. L'hypothèse des Ravaillac propriétaires et édificateurs du château de Touvre est complètement absurde et matériellement impossible ; celle que je propose est au contraire très acceptable.

Il a existé et il existe encore, soit à Touvre, soit à Mornac, une famille Gravaillac, ne différant du nom de Ravaillac que par l'addition d'un G en tête du nom. L'un des membres de cette famille a été fermier des agriers de la seigneurie de Touvre en 1791 ; il fit cette ferme pour 260 livres au profit du comte d'Artois.

Il l'était, je crois, longtemps auparavant, et levait cet impôt odieux aux agriculteurs sur tous les biens mouvant de la châtellenie de Touvre. Voici l'hypothèse : Il y avait établi le siège de sa perception dans une des masures du château, d'où cette habitude a dû naître chez les contribuables, venant payer, de dire : Nous allons chez Gravaillac, ou au château de Gravaillac, appellation qui s'est vite transformée en celle de Ravaillac, par haine ou par corruption. Je le répète donc encore, cette interprétation me paraît infiniment préférable à l'autre.

 Nous avons raconté dans la dernière séance le passé du château de Touvre ; nous avons ensuite cherché les raisons qui ont fait donner à ces antiques débris le surnom de château de Ravaillac ; nous avons particulièrement examiné l'opinion émise par des auteurs sérieux qui ont prétendu que l'assassin de Henri IV était né à Touvre, près ou dans le château, d'où est venu le nom populaire qui lui a été infligé, et nous croyons avoir démontré avec les documents connus jusqu'ici que cette dernière opinion n'avait aucun fondement. Mais une circonstance a surgi qui nous a mis sur une nouvelle voie : un de nos honorables collègues nous a signalé les œuvres du Père Garasse comme contenant des renseignements précieux sur ce sujet, et nous avons dû rechercher à nouveau s'il y avait là quelques raisons probantes.

Le jésuite François Garasse, connu généralement sous le nom de Père Garasse, est né à Angoulême en 1585. Il fut l'un des prédicateurs et des libellistes les plus fougueux de son temps ; tout le monde connait ses attaques virulentes contre notre grand de Balzac ; aussi il a mérité d'être classé au nombre des gladiateurs de la république des lettres, par Théodore Nisard. Ses œuvres nombreuses sont rares et presque introuvables aujourd'hui ; cependant nous en avons rencontré quelques-unes dans la bibliothèque de feu notre ami Eusèbe Castaigne, et son fils a bien voulu les mettre à notre disposition.

Après l'assassinat de Henri IV, un très grand nombre de pièces en vers et en prose, en latin et en français, furent publiées à la louange de ce roi, et les jésuites, que dans le temps on soupçonna d'avoir poussé Ravaillac à son action criminelle, furent les plus empressés, sans doute pour exprimer leur horreur de ce crime abominable, à s'associer à ces manifestations. Le Père Garasse, en sa double qualité de jésuite et d'Angoumoisin, prit une part active à ces publications, et en 1611, un an après la mort du roi, il livrait au public un volume de poésies latines (chez Ménier, à Poitiers) dans lequel on trouve d'abord un poème en l'honneur du jeune roi Louis XIII. L'auteur y célèbre, dans seize chants séparés et à titres bizarres, les différents attributs de la royauté, sans oublier l'admirable cure des écrouelles par le toucher, mira strumarum, curatio obiter tacta.

A la suite de ce poème on trouve quinze élégies latines sur la mort de Henri le Grand, Elegiorum de tristi morte Henrici Magni... liber singularis. Dans plusieurs de celles-ci il est parlé d'Angoulême et de Ravaillac, que l'auteur désigne par les épithètes parricida, perditus, proditor. Ainsi, la quatrième pièce a pour dédicace : Ad Engolismam proditoris patriam. Elle est tout entière employée à consoler, à laver sa ville natale des reproches et des injures que la naissance de Ravaillac dans ses murs appelait sur elle ; il rappelle les services qu'elle a rendus à la royauté, les hommes illustres qu'elle a produits pour un seul criminel de lèse-majesté, et il s'écrie : Quoiqu'il advienne, non, je ne te renierai pas, ô ma patrie ; non, jamais je ne mentirai à mon origine, quoiqu'un vulgaire stupide, une tourbe sans nom ose nous imputer à crime d'être nés dans tes murs. En effet, Mesnard, professeur à l'université de Poitiers, venait de publier sa célèbre diatribe contre les Angoumoisins qu'il disait n'être pas français, mais bien une peuplade gauloise séparée et oubliée par son isolement et toujours prête à la révolte, ce qui, pour lui, expliquait le crime de Ravaillac. Dans la quinzième élégie, adressée au père Richomme, jésuite comme lui, Garasse répète à peu près les mêmes idées. Après avoir raconté le meurtre du bon roi, il reprend en ces termes : Oui, j'en ai honte, et pourtant, je l'avoue, l'assassin était de ma nation et de ma propre ville.

Perditus ille meæ yenlis et urbiserat.

Après ces différents aveux, il semble qu'il n'y a plus rien à ajouter, puisque Garasse proclame hautement, quoique avec douleur, que Ravaillac est né à Angoulême. Mais voici la contrepartie ; l'élégie cinquième est intitulée : Ad Tuparam amnem, gurgite et cycnis olim nobilem, AD CUJUS OSTIA NATUS EST PARRICIDA. Les soixante-huit vers qui suivent sont une continuelle objurgation contre la Touvre, sur les bords de laquelle est né le scélérat. L'auteur ajoute que les cygnes qui couvraient ses eaux ont fui avec horreur depuis cette naissance criminelle :

Proditor his (minim) quo tempore nullus in oris.

Nullus ab hoc voluit tempore cycnus aquas.

Voici tout ce qui existe sur ce sujet dans le père Garasse ; mais c'est ce dernier passage seul qui avait été relevé par Castaigne et par Michon. Il me semble que tout cela ne prouve nullement la naissance de Ravaillac au château de Touvre. D'abord le mot ostia veut dire embouchure ; ce serait donc à l'embouchure de la Touvre, au Gond, par exemple, que la naissance du parricide, d'après la citation précédente, aurait eu lieu. Il est vrai que le mot ostia veut dire aussi quelquefois porte, ouverture, ainsi que l'expliquent tous les bons lexiques latins et notamment celui de Charles Étienne ; on pourrait alors, à la rigueur, soutenir que c'est de l'origine de la Touvre dont il s'agit ici ; mais comprendrait-on que le poète n'ait pas dit un mot ni du bourg de Touvre, ni du vieux château (lieu natal supposé), dont les sombres débris et les cavernes profondes se prêtaient si merveilleusement à célébrer les malédictions dont il accable la naissance du criminel, lui qui, si souvent, reproche à la Touvre d'être un diverticulum du Styx :

Vos ite o Stygis cognata paludibus autra,

Ite ter horrendis autra voraginibus.

Ce passage du poète, encore une fois, n'est rien moins que probant sur le lieu de naissance.

Résumons les différents arguments qui ressortent des œuvres du père Garasse. Nous trouvons qu'en plusieurs passages il annonce positivement la naissance de Ravaillac à Angoulême ; dans la cinquième élégie seulement, quelques expressions douteuses pourraient faire supposer que celui-ci est né sur les bords de la Touvre, sans dire où ; mais pas un seul mot de son origine aux masures du château. Il n'y a donc là rien de positif, rien qui puisse être considéré comme un document historique ; nous ne devons y voir que le jeu de l'imagination d'un poète qui a voulu même, en se mettant en contradiction avec ses autres écrits, donner à penser que l'assassin était né près de la Touvre, parce qu'il trouvait dans cette rivière des éléments poétiques dignes d'être chantés par sa plume éloquente et monarchique.

Il y a là du caprice ; il y a de la rhétorique, si l'on veut ; mais de l'histoire, en aucune sorte. Nous croyons donc pouvoir persévérer dans les déductions et les conclusions que nous avons tirées précédemment. Ravaillac n'est pas né à Touvre. On peut ajouter, en outre, que dans une étendue assez grande, la ville d'Angoulême et son territoire bordent la Touvre à son embouchure, ce qui explique suffisamment l'expression du poète.

Qu'on nous pardonne cette longue citation ; elle était nécessaire.

Le travail de M. Gigon, lu à la séance du 21 mars 1868 de la Société sus-nommée, donna lieu immédiatement aux observations que nous transcrivons ci-après :

A la suite de cette lecture, M. Chabaneau fait observer que ce n'est point dans les œuvres poétiques de Paul Thomas, mais bien dans celles du P. Garasse, que la Touvre se trouve accusée d'avoir donné naissance à l'assassin de Henri IV. Il tient ce renseignement de M. E. Castaigne lui-même, qui lui avait montré le passage de l'auteur précité où le fait est mentionné.

M. de Rencogne présente aussi quelques remarques au sujet de la famille de Ravaillac. Il ne conteste pas la situation personnelle à l'assassin telle qu'elle ressort des déclarations faites par lui dans son interrogatoire, mais il ne faudrait pas juger d'après celles-ci de la position sociale de sa famille et de ses proches parents. Deux actes analysés, dans l'inventaire de la seigneurie de Bellejoie, des années 1543 et 1586, donnent les confrontations de la maison de François Ravaillac, procureur au présidial d'Angoulême, où il fait sa demeure, située dans la paroisse Saint-Paul, tenant d'une part à celle de Morice Blanchet, d'autre à celle de Guillaume Lecomte et au chemin par lequel on va du Crucifixporte Périgorge[14]vers l'église Saint-André à main droite. Les minutes de Gibauld, notaire à Angoulême, contiennent encore, à la date du 10 mars 1586, un testament de Michel Ravaillac, procureur au présidial, fils d'un François Ravaillac dont il est donné lecture[15]. Le contenu de ces pièces ne peut laisser aucun doute dans l'esprit du lecteur : elles révèlent bien en faveur de la famille Ravaillac la situation d'une maison aisée de la bourgeoisie. M. de Rencogne ajoute que la famille Ravaillac ne paraît pas être éteinte. D'après une communication qui lui a été faite récemment, elle serait encore représentée en Dauphiné par de petits cultivateurs connus sous le nom de Ravailhard, et considérés par les gens du pays comme descendants de ceux qui étaient venus s'établir dans cette province à la suite des proscriptions du Parlement de Paris[16].

Pour M. de Fleury, il s'est borné à dresser une généalogie de la famille Ravaillac et à publier, à l'appui de cette généalogie, trente-deux actes notariés ou pièces authentiques : cette publication n'en a pas moins été d'une importance capitale pour nos recherches.

Mais enfin, nous dira-t-on, quelle est donc la maison qui a vu naître le misérable ?

Cette maison est celle située paroisse Saint-Paul, qui, dans le partage précité du 17 novembre 1574, passé devant Me Mousnier, notaire royal à Angoulême, entre le procureur Michel Ravaillac et son frère Jean, père du régicide, avait été attribuée à Jean.

Celui-ci se maria fort peu de temps après, sans doute dans les premiers mois de 1574 — puisque son fils aîné, Geoffroy, naquit en 1576 — ; depuis 1574 il devait habiter la maison dont s'agit ; il continua à l'habiter avec sa femme et l'occupait encore en 1593 ; à ce moment, ses mauvaises affaires ayant commencé, Jean Ravaillac se vit dans l'obligation de louer à un maître cordonnier la boutique située au-dessous et au-devant de la maison ; dans ce bail[17], celle-ci est ainsi confrontée :

Tenant des deulx costez aux ruhes publicques par lesquelles l'on va de la porte Sainct-Martial à la hasle du Pallet et aux Jacobins de la dicte ville, à main dextre et à main senextre.

Primitivement, cette maison avait appartenu à maître Raymond Lecomte l'aîné, procureur au siège royal d'Angoulême, dont la fille, Marguerite Lecomte, première femme de François Ravaillac, procureur au même siège, fut l'aïeule paternelle du régicide.

Le quatorze novembre 1539, aux termes d'un acte passé devant J. Rohier, notaire à Angoulême, pour le roi, et Me Rousseau notaire audit Angoulême, pour monsieur l'auditeur (sic), maître Raymond Lecomte avait vendu cette maison à maître Pierre Chotard, licencié ès lois, avocat audit siège, moyennant trois cent quatre-vingts livres tournois ; mais, le vendeur étant décédé peu de mois après, Marguerite Lecomte exerça le retrait lignager de la dite maison aux termes d'un acte passé devant Me P. Trigeau, notaire à Angoulême, le 7 juin 1540[18] ; au dit acte, la maison est ainsi désignée :

Une maison avec ses appartenances, entrées et yssues, assise en la dicte ville d'Angoulême, en la paroisse Sainct-Père (erreur évidente de transcription ; il faut lire Sainct-Paul), qui est la maison qui faict le coing de la ruhe appelée de la Menuzerie, en laquelle dicte maison y a deux chambres tenant d'une part à la ruhe par laquelle l'on va de la porte du Crucifix vers le grand cymytière de Sainct-André, d'autre part, à la ruhe par laquelle l'on va de la dicte porte du Crucifix vers la hasle du Pallet, d'autre part à la maison de Morice Blanchet, vitrier[19].

A la mort de Marguerite Lecomte, cette maison, par suite d'arrangements intervenus entre son époux survivant et ses deux fils, Michel et Jean Ravaillac, resta la propriété de ces derniers ; et nous avons vu que, par le partage du 17 novembre 1574, elle était restée définitivement à Jean Ravaillac ; malheureusement pour celui-ci, une soulte avait été mise à sa charge dans les termes que voici :

Plus est et demeure au dict Jehan la maison entièrement obvenue auxdits Michel et Jehan par le partage faict entre ledit maistre François Ravaillac, leur père, et eulx, size et située en la paroisse de Sainct-Paul de ceste dicte ville : moyennant la somme de trois cens deux livres tournois. payable dans ung an prochain venant. et à faulte de ce faire a esté accordé entre les parties que ladicte maison à eulx obvenue par le dict partage sera vandue et délivrée à celle qui s'en trouvera le dernier enchérisseur, soutz deux criées faictes l'une à l'yssue de messe parrochiale de Saint-Paul, l'autre à la pierre de la Halle etc.

Cette soulte ne fut point payée ; et, en 1579, les deux frères plaidaient à ce sujet devant le présidial d'Angoumois ; les poursuites de Michel ne semblent pas avoir été bien rigoureuses, puisque nous avons vu, jusqu'en 1593, Jean rester propriétaire de la maison ; Michel s'était contenté, par son testament en date du 15 juillet 1588, de déshériter son frère germain, en instituant pour légataires universels sa sœur et son frère consanguins, qui étaient Catherine Ravaillac, mariée à Pierre Grazillier, et Pierre Ravaillac.

Ceux-ci furent de moins bonne composition que Michel, les frais de cette longue instance en expropriation ruinèrent Jean Ravaillac, et, comme il arrive souvent, la ruine était consommée lorsque, à la date du 9 mars 1605, une transaction intervint entre les parties ; elle stipulait notamment :

Que, suivant et en exécution desdicts jugements et adjudications cy-dessus refférées, les trois quartes parties de la maison faisant le coin de la ruhe du quanton appelé de la Menuserie, tenant d'une part à la maison des héritiers feu Pierre Thevet, vitrier[20], d'autre à la maison de sieur François de Marsillac, qui est la maison qui a sa principalle vue sur le château de ladicte ville, et qui est au devant la maison de sire Philippe de Lagrésille, seront et demeureront propres et paisibles auxdicts Grazillier et Catherine Ravaillac, sa femme, etc.

La maison du canton de la Menuserie, ayant sa principale vue sur le Château et formant le coin de la rue allant soit de la porte Saint-Martial soit de la porte du Crucifix au couvent des Jacobins et au grand cimetière de Saint-André, et de la rue allant des mêmes portes vers la Halle du Palet, c'est-là que naquit le régicide[21].

Cette maison, en conformité de l'arrêt du Parlement de Paris, fut rasée ; sur son emplacement, aucune construction n'a jamais été établie depuis. Cet emplacement, on le distingue, aujourd'hui encore, très exactement :

Au bout et en face de la rue de l'Arsenal, il consiste dans le triangle formé par la rencontre de la rue Marengo — ancienne rue allant des portes Saint-Martial et du Crucifix vers l'intérieur de la ville — et des rues de la Cloche-Verte et de Genève — la première allant des deux portes ci-dessus vers Saint-André, la seconde allant des mêmes portes vers la Halle du Palet —, en conservant bien entendu à ces deux rues la même largeur que dans le surplus de leurs parcours ; le troisième côté du triangle est formé par la façade de la boucherie portant le n° 4 de la rue de la Cloche-Verte, à côté de l'épicerie Goursat ; cette façade dépend de la très ancienne maison dont elle forme le côté midi ; on voit bien à l'aspect de celle-ci qu'elle est antérieure au XVIe siècle : en effet, habitée en 1543 par Guillaume Lecomte, qui fut conseiller à l'hôtel de ville d'Angoulême en 1574, et sans doute frère ou proche parent de l'aïeule paternelle du régicide, elle passa de la famille Lecomte à la famille de Marsillac ; c'est ainsi que, dans la transaction sus-analysée de 1605, la maison Ravaillac est désignée comme confrontant à la maison de Philippe de Marsillac, petit-fils sans doute de Bernard de Marsillac, maire d'Angoulême en 1520 et en 1522, puis échevin jusqu'en 1534.

Il est certain que si la maison Lecomte-de Marsillac avait eu, au-devant d'elle, au moment de sa construction, l'espace qui s'étend actuellement à son midi, sa disposition eût été absolument différente ; toutes les ouvertures primitives donnent sur une petite cour au nord et au couchant ; il est facile de constater que celles qui existent actuellement au midi, donnant sur l'emplacement Ravaillac, ont été établies après coup ; ces ouvertures au midi n'ont aucune architecture et semblent avoir été pratiquées à la hâte, tandis que le reste de l'édifice a un cachet particulier. Dès la première inspection on est frappé de cette étrangeté. L'on devine bien que, fermée d'abord à la lumière du midi, la maison Lecomte-de Marsillac l'a reçue tout d'un coup, violemment, sur son grand mur, construit primitivement sans ouvertures.

Le curieux manuscrit conservé à la Bibliothèque d'Angoulême et qui, rédigé vers 1774, a pour titre : Rentes dues au château d'Angoulême par diverses maisons de la ville, contient au folio 124 la note suivante, qui ne peut laisser aucun doute sur la naissance du régicide : Paroisse Saint-Paul. Une place où était anciennement la maison de Ravaillat, rasée en conséquence de l'arrêt du parlement du 27 mai 1610.

On peut se demander en quoi devait consister la maison qui occupait l'emplacement dont il s'agit et qui, en 1578, avait vu naître l'enfant maudit :

C'était d'abord une pièce au rez-de-chaussée ; à côté, sans doute, un corridor conduisant à l'escalier et à l'étage supérieur ; la pièce dont se composait celui-ci n'avançait pas autant que celle du rez-de-chaussée sur l'une des deux rues — sans doute la rue de la Cloche-Verte —. Il n'est pas probable que la maison Ravaillac eût un second étage, car l'acte de 1540 n'en fait pas mention.

Au nord, elle devait être séparée de la maison Lecomte-de Marsillac par une étroite venelle, ainsi que cela se pratiquait souvent autrefois, dont le sol appartenait à cette dernière maison : les deux sortes de gargouilles qui, au faîte du mur Lecomte-de Marsillac, sont encore là, surplombant, ont sans doute été placées jadis pour constater ce droit de propriété.

Dans les premiers temps de leur mariage, l'appartement du rez-de-chaussée servait sans doute aux époux Ravaillac de cuisine et de salle à manger ; une vingtaine d'années plus tard, leur mauvaise fortune les força à se contenter de la chambre haute et à louer la pièce au-dessous et au devant à Estienne Pastoureau, dit Nontron, maître cordonnier.

L'acte de ce bail porte la date du 23 mars 1593 et fut reçu par Lacaton, notaire à Angoulême[22].

Le loyer annuel était de quatre écus.

C'est encore à un maître cordonnier, Pierre Petiboys[23], et moyennant semblable loyer, qu'en 1602, après l'expropriation du père du régicide, cette même boutique était louée par dame Anne Chauvet, épouse de Pierre Ravaillac, écuyer, frère consanguin de l'exproprié.

Voilà donc une vérité incontestable : le régicide est né à Angoulême, au centre même d'Angoulême, à quelques pas seulement de notre hôtel de ville, dans ces quelques mètres carrés où aboutissent la rue de Genève, la rue de la Cloche-Verte, la place de l'Hôtel-de-Ville, la rue de l'Arsenal, la rue Marengo, à l'ombre, enfin, de cette grosse tour du château, où naquit, le 11 avril 1492, l'illustre Marguerite d'Angoulême, aïeule maternelle de notre roi Henri IV. Ainsi presque côte à côte se trouvaient le berceau de l'aïeule et le berceau du meurtrier.

Quant à cette dénomination de château de Ravaillac, donnée au château de Touvre, nous avons vu, et M. Gigon l'a parfaitement démontré, que Ravaillac, ni aucune personne de son nom, n'a jamais été propriétaire de cette vieille forteresse, ruinée d'ailleurs de fond en comble deux siècles avant la naissance du régicide ; en revanche, nous ne partageons nullement l'opinion, absolument fantaisiste, de M. Gigon, que cette appellation vient d'une similitude de prononciation et que l'on a dit Ravaillac pour dire Gravaillac.

A notre avis, cette dénomination vient tout bonnement de l'imagination des foules ; elles aimaient, au temps jadis surtout, à faire hanter les ruines imposantes comme celles dont s'agit, par les sorcières, par les démons, par le Diable ; or, au XVIIe siècle, le Diable ! n'était-ce pas, en personne, l'infâme Ravaillac, dont le berceau d'origine, sinon la maison natale, était tout près de là au bas même de cette colline de Touvre, à Magnac ?

Sans doute, il eût été plus logique d'appeler maison de Ravaillac cette maison même de Magnac d'où était sortie cette race maudite, et qu'à cette époque de 1610 habitait le père du scélérat ; mais cette maison ne parlait guère à l'imagination, c'était vraisemblablement quelque construction vulgaire, ressemblant à peu près à toutes les autres, tandis que là-bas, à l'horizon, cette grande ruine qui se dresse menaçante tient, de même que l'horrible forfait, l'effroi sans cesse en éveil.

Hé bien ! la foule accouplera ces deux horreurs voisines : au Ravaillac endiablé de Magnac il faut un cadre digne de lui ; elle lui donnera le vieux château, hanté par le Diable, son père ;

A l'inverse de cet autre Château du Diable, situé dans notre même banlieue d'Angoulême, auquel la foule, comme nous le montrerons plus loin, devait arracher le nom de ses propriétaires, les Ravaillac de Montjon, cousins germains du régicide, pour lui donner un nom d'une horreur équivalente, un nom synonyme : le nom du Diable.

Singulier échange :

A Touvre, Ravaillac est substitué au diable ;

A Rochefort, il est substitué par lui.

 

 

 



[1] Acte reçu Gibaud, notaire royal à Angoulême, le 21 septembre 1587.

[2] Cet acte d'acquisition a été passé devant Me Mousnier, notaire royal à Angoulême, le 7 février 1572.

[3] Voir aux preuves, la pièce n° II.

[4] Il n'existe actuellement aucune construction sur ce chemin de la garenne.

[5] Nous ignorons la situation de cette grande maison.

[6] Acte reçu Tallut, notaire à Magnac-sur-Touvre.

[7] Acte reçu Lacaton, notaire royal à Angoulême.

[8] Cet acte de donation fut passé le 24 mars 1576, devant Me Mousnier, notaire royal à Angoulême.

[9] Instruction du 14 mai : a dit avoir nom François Ravaillac, âgé de trente-deux ans, demeurant en la ville d'Angoulême.

Interrogatoire du 17 mai : Enquis de son nom, âge, qualité et demeure : a dict avoir nom François Ravaillac, natif d'Angoulême, y demeurant, âgé de trente-un à trente-deux ans.

[10] Tome II, page 1402.

[11] Bulletin de la Société, année 1846, page 22.

[12] Nous rechercherons, sous le chapitre III, quelle était la maison habitée par Ravaillac.

[13] Page 213. Cet ouvrage porte la date de 1844.

[14] Ceci est une erreur de la part de M. de Rencogne : la porte du Crucifix et la porte Périgorge étaient parfaitement distinctes.

[15] Ce testament a été publié à la page 957 du Bulletin 1868-1869, de ladite Société.

[16] Nous traiterons cette dernière question sous le chapitre X.

[17] Voir aux preuves, la pièce III.

[18] Voir, aux preuves, la pièce I.

[19] Dans la curieuse entrée à Angoulême, en 1573, de Philippe de Voluire, publié par Etienne Maquelilan, il est parlé de la maison de maitre Robert Blanchet, procureur au siège présidial d'Angoumois et fils, sans doute, dudit Maurice, laquelle maison était vis-à-vis le portail du château ; c'est qu'en effet, en 1573, l'entrée du château pratiquée entre deux tours et franchissant une double enceinte de murailles se trouvait au fond d'une avenue, changée depuis en une impasse, que l'on voit encore à la montée de la rue Marengo. La maison Blanchet était récemment occupée par l'hôtel de la Table-Royale, où le roi Louis XIV descendit en 1650 ; du moins, M. Castaigne le prétend. (Page 346 et 347 du Bulletin de l'année 1856.) Pour nous, nous sommes persuadé, au contraire, que la maison Blanchet ne fut jamais digne de recevoir un hôte royal ; elle était voisine, il est vrai, du pied-à-terre de Louis XIV, mais plus haut dans la montée de la rue. Cette observation ne fait que confirmer la justesse de notre opinion.

[20] Celui-ci à la place de Maurice Blanchet sus-nommé, également vitrier, et dont il était sans doute ou le gendre ou le successeur.

[21] On fera peut être cette objection : qu'il est singulier que la désignation des portes soit différente, ce qui ferait présumer quelque erreur dans nos explications.

Cette singularité n'est qu'apparente ; Il y a trois cents ans, en effet, pour aller soit de la porte Saint-Martial, soit de la porte du Crucifix vers l'intérieur de la ville — les Jacobins, actuellement le palais de Justice, Saint-André, la place de Palet, — il fallait passer par la partie supérieure de la rue que nous appelons actuellement rue Marengo.

C'est absolument comme si, étant à la Madeleine près d'Angoulême, on appelait la route de Limoges route de La Rochefoucauld, route de Montbron, puisque cette route, par des embranchements différents, conduit à l'une et l'autre de ces deux villes.

[22] Voir, aux preuves, la pièce n° III.

[23] Ce Pierre Petitbois habitait depuis plusieurs années la paroisse Saint-Paul où il s'était établi par suite de son mariage avec Anne Thevet, fille sans doute du vitrier, voisin de la maison Ravaillac, dont nous avons parlé plus haut.

Une de leurs filles, Anne Petitbois, fut baptisée en l'église Saint-Paul le 20 mai 1603, et eut pour parrain l'écuyer Pierre Ravaillac ; la signature de celui-ci : Ravaillat, a été biffée en 1610, comme celle de l'acte de baptême de Jean, fils dudit Pierre Ravaillac, en date du 8 janvier 1602. Voir ci-dessus.