RICHELIEU

 

CHAPITRE QUATRIÈME.

 

 

Albert de Luynes est nommé premier gentilhomme du roi. — Rupture entre Marie de Médicis et Louis XIII. — Richelieu conseille à celle-ci l’exil et l’accompagne à Blois. — Richelieu rappelé à Luçon. — Conjuration du duc d’Épernon. — Fuite de Marie de Médicis. — La journée des Ponts-de-Cé.

 

La rumeur provoquée au Louvre par les coups de pistolet de Vitry parvint jusqu’aux appartements de Marie de Médicis.

— Ô Madame, lui dit une de ses femmes, M. le Maréchal a été tué, et Sa Majesté l’a ainsi voulu.

— Pauvre de moi ! s’écria Marie. J’ai régné sept ans ; maintenant je n’aurai plus que les croix et les couronnes du ciel !

Mais ce bel élan d’humilité ne dura guère. Presque aussitôt, abandonnant à leur malheur ses protégés de la veille, elle essaya de se rapprocher du roi.

Quelqu’un lui ayant dit qu’elle seule pouvait annoncer à la maréchale la mort de son mari, Marie de Médicis répondit durement :

— J’ai bien autre chose à faire maintenant ; si on ne peut dire à la maréchale que son mari est tué, il faut le lui chanter aux oreilles.

Et elle envoya son gentilhomme demander une entrevue à Louis XIII. Celui-ci répondit avec impatience :

— Je suis fort occupé maintenant. Ce sera pour une autre fois. Dites de ma part à ma mère que je l’honorerai toujours comme un bon fils ; mais je suis roi et veux gouverner désormais. Ajoutez à la reine que je ne veux même pas qu’elle ait d’autres gardes que les miens ; faites-lui entendre bien vite mon intention.

On désarma donc les gardes de la reine et on les remplaça par ceux de Vitry. En réalité, Marie de Médicis était prisonnière. En même temps, le ministère était changé ; les créatures de Concini étaient éloignées ou persécutées. Albert de Luynes était nommé premier gentilhomme de la chambre, ce qui justifiait le mot du duc de Bouillon disant que la taverne était toujours la même, le bouchon seul étant changé. Au favori de la reine succédait celui du roi.

Bientôt Marie de Médicis comprit l’inutilité de la lutte et se soumit aux volontés de son fils. Conseillée par Richelieu, elle demanda elle-même l’exil. Il fut décidé qu’elle irait à Blois, qu’elle conserverait tous ses biens et qu’elle jouirait des prérogatives royales dans la province.

Quoique suspect aux ennemis du maréchal d’Ancre, l’évêque de Luçon ne fut pas mis complètement en disgrâce. Luynes avait compris que c’était un homme à ménager. On lui conserva sa situation au conseil, mais non plus comme ministre.

Richelieu n’accepta pas. Avec plus d’habileté encore que de prudence, il s’effaça. Prévoyant que la rupture entre la mère et le fils pouvait avoir de sérieuses conséquences politiques, il jugea qu’il aurait un rôle à jouer dans les futurs événements.

Aussi obtint-il d’accompagner Marie de Médicis à Blois, comme maître de son conseil. En réalité, il ambitionnait de rentrer en grâce auprès de Louis XIII en servant d’intermédiaire entre la petite cour do la Loire et la cour triomphante do Paris.

Le départ avait été fixé au 3 mai 1617. La situation de la régente n’était plus tenable. Pour qu’elle ne pût sortir de ses appartements, les Suisses avaient, à coups de hache, coupé le pont dormant qui reliait le Louvre aux Tuileries. Dans sa prison on ne la laissait même pas en repos. A tout moment et sous tout prétexte, on pénétrait jusque dans sa chambre à coucher. Un jour, Vitry, à qui l’assassinat de Concini avait valu le bâton de maréchal, entra subitement chez la reine et lui dit :

— Madame, vous avez de la poudre cachée sous le lit ; car on sait vos mauvais desseins sur le roi, et vous voulez le faire périr.

Marie de Médicis obtint de voir son fils quelques instants avant son départ. De Luynes et Richelieu réglèrent cette entrevue comme une affaire diplomatique. On arrêta d’avance les questions et les réponses qui devaient être échangées entre le roi et sa mère.

Les mulets et les équipages de route étaient réunis dans la cour du Louvre. Le soleil brillant d’un grand éclat, la litière de la reine était ouverte. Tout d’abord, elle reçut les gentilshommes et les corporations, autorisés à lui présenter leurs adieux. Pendant la réception, la porte s’ouvrit à deux battants et le roi parut, vêtu d’un pourpoint blanc, sa chausse d’écarlate et la botte à la jambe. Les discours échangés furent ceux qui avaient été préparés.

Comme Marie de Médicis essayait de demander une dernière grâce, Louis XIII tourna les talons et s’en alla en appelant :

— Albert ! Albert ! Luynes ! Luynes !

Elle tomba à moitié évanouie dans un fauteuil. Revenue à elle, elle se prit à sangloter, puis descendit à pas précipités les grands escaliers du Louvre, monta dans sa litière et partit, suivie de quelques dames et d’une nombreuse escorte. Dans le dernier carrosse, mélancolique et résigné, avait pris place l’évêque de Luçon.

Tout le long de la rivière, le cortège s’achemina jusqu’au Pont-Neuf que la reine traversa, saluant, les yeux voilés de larmes, la statue de Henri IV qu’on venait de dresser sur un piédestal construit en marbre de Florence.

Au même moment, il y avait à un des balcons du Louvre quatre personnes très attentives à suivre la marche du cortège et à le voir défiler, au milieu des sarcasmes de la foule. C’étaient Louis XIII et les trois frères de Luynes. Sans exprimer la moindre tristesse de la séparation maternelle, le roi plaisantait sur les armoiries et les plumes des dames de le reine.

Quand le dernier carrosse fut arrivé sur la rive gauche, il rentra dans ses appartements.

— De Luynes, allons ! mes pies-grièches, mes faucons, s’écria-t-il gaiement, je yeux aller chasser au bois de Vincennes.

Cependant, à Blois, Marie de Médicis ne se résignait pas à l’éloignement du pouvoir. Craignant un retour d’autorité et une réconciliation de la mère et du fils, de Luynes avait entouré la reine d’une véritable armée d’espions et d’une garde imposante. Il avait d’ailleurs commis la faute de mécontenter la royale exilée en forçant d’abord Richelieu à regagner son diocèse et en le faisant ensuite partir pour Avignon.

Elle se trouvait ainsi livrée aux emportements de sa nature. Au moment du procès Barbin, elle voulut à tout prix venir à Paris s’expliquer avec son fils. Prévenu à temps. Luynes fit jurer à Marie de Médicis qu’elle ne mettrait pas son projet à exécution et qu’elle dénoncerait toutes les ouvertures qui lui seraient faites contre le service du roi. Mais son confesseur l’avait autorisée à jurer, avec cette restriction qu’un serment prêté par contrainte n’engage pas.

De même que Concini, de Luynes n’avait pas tardé à mécontenter les grands. Ceux-ci, ayant à leur tête le duc d’Epernon formèrent une vaste conjuration ayant pour but de mettre en révolte ouverte la mère contre le fils et de s’emparer du pouvoir aux hasards d’une guerre civile.

Marie de Médicis devait quitter Blois où elle était prisonnière et se réfugier à Angoulême, capitale de la province dont le duc d’Épernon avait le gouvernement.

Dans la nuit du 22 février 1619, le projet fut mis à exécution. Son premier écuyer, le comte de Brenne, avait fait préparer une voiture noire attelée de quatre mules de même couleur.

Deux longues échelles donnaient accès du sol a une plate-forme et, de là, à la fenêtre de la reine. De Brenne monta. La fenêtre étant fermée, il frappa. On lui ouvrit, Marie de Médicis était prête. Elle avait revêtu une robe courte. Par précaution elle emportait des pierreries dans une cassette, Catherine, sa fidèle femme de chambre, devait l’accompagner, ainsi que le marquis du Plessis, frère aîné de l’évêque de Luçon qui avait abandonné la cour pour prendre le parti de la reine mère.

La reine troussa elle-même sa robe au-dessous de la taille et s'engagea tremblante sur l’échelle. La fenêtre était à plus de cent vingt pieds au-dessus du sol. Grosse et lourde, Marie de Médicis ne descendit qu’à grand’peine la première échelle.

Arrivée sur la plate-forme, elle dit :

— Brenne, cette échelle branle, je ne veux pas aller plus loin.

— Vous ne pouvez reculer, madame, il faut venir jusqu’au bout, maintenant.

Deux exempts qui accompagnaient l’écuyer mirent la reine dans un manteau et la descendirent ainsi sans encombre.

De Brenne et du Plessis la prirent chacun par un bras. Et le cortège gagna le pont sur la Loire, au bout duquel se trouvait la voiture. En route, ils croisèrent plusieurs officiers de la maison royale qui, sans reconnaître la reine, voyant, par ce temps de carnaval, une femme au milieu de ces hommes, firent à voix haute de faciles plaisanteries.

On ne trouva pas la voiture à la place convenue, et Marie pâlissait déjà, quand un laquais arriva, essoufflé, s’écriant :

— La voici, la voici, par la gauche.

La reine monta en toute hâte, les mules partirent, et l’on atteignit sans coup férir Loches, où le duc d’Epernon, à la tête de cent cinquante cavaliers, avait rejoint les fugitifs.

Après avoir écrit au roi qu’elle avait résolu de se mettre en lieu sûr afin de lui faire entendre la vérité, et lui indiquer les remèdes qu’il était urgent de faire appliquer au mauvais état des affaires, elle gagna Angoulême.

Parvenue, le 23 février, à la cour, alors à Saint-Germain, la nouvelle de la fuite de Marie de Médicis y jeta un réel désarroi. Les avis étaient partagés. Quelques-uns voulaient immédiatement partir en guerre. D’autres préféraient temporiser. Le soulèvement général, escompté par le duc d’Épernon, ne s’étant pas produit, c’est au dernier parti qu’on s’arrêta.

On négocia avec Marie de Médicis. Le comte de Béthune, frère de Sully, le cardinal de La Rochefoucauld, le père de Bérulle, fondateur des prêtres de l’Oratoire, envoyés à Angoulême, échouèrent successivement dans leur mission.

C’est alors qu’un autre homme d’église, beaucoup plus diplomate et nullement mystique, qui, par des intrigues à petit bruit, commençait une des carrières les plus singulières du siècle, un capucin, le père Joseph du Tremblay, suggéra un expédient plus décisif et qui fut accepté sur-le-champ. C’était de rappeler Richelieu de son exil et de, l’employer, comme médiateur officieux, entre la mère et le fils.

Richelieu quitta aussitôt Avignon et se dirigea, à marches forcées, sur Angoulême où il rejoignit la reine mère. Grâce à sa persévérante habileté, après plusieurs trêves suivies de nouvelles hostilités, la mère et le fils furent définitivement réconciliés à la suite de la journée connue sous le nom de drôleries des Ponts-de-Cé.