1789 L'ANNÉE CRUCIALE

 

DERNIER PROPOS.

 

 

Des trop copieuses réflexions que nous venons de présenter au lecteur, nous voudrions dégager, pour finir, les plus essentielles.

Celle-ci d'abord que, si la grande Révolution n'a pu se faire par des moyens pacifiques et s'est orientée vers la violence, si 1789, au lieu d'être une année de réformes profondes, quoique sages et opérées dans le calme et le silence, a été remplie d'interminables discussions et de luttes mortelles, la cause en est d'ordre, non pas technique, matériel, mais moral, psychologique. C'est l'égoïsme et l'incompréhension qui ont rendu la collaboration impossible, et inévitable le conflit.

Le Roi, imbu de son Droit divin, a surtout obéi à sa vanité quand il n'a pas agi sous l'impulsion de la peur. Ses préoccupations égoïstes l'empêchaient, dans le fond de sa pensée sinon dans le texte de ses déclarations officielles, de séparer son moi des fonctions qu'il exerçait, de se regarder lui-même, non comme le Roi véritable, mais seulement comme le premier serviteur du Roi en soi, autrement dit de l'Etat. De même, il ne parvenait pas à se représenter la Nation comme une réalité vivante, comme un être véritable, ayant son caractère propre et ses fins particulières : la France lui échappait. Il ne la comprenait qu'en fonction de sa propre personne, ne voyant que ses peuples, et, avant tout, son clergé et sa noblesse, sur lesquels il s'appuyait.

Incapables, eux aussi, de s'élever à la hauteur de vues nécessaire, ce Clergé et cette Noblesse n'avaient d'yeux que pour le Roi leur maître, auquel ils obéissaient plutôt comme à leur défenseur naturel que comme à l'incarnation même du Pays. Et, à l'égard de leurs rivales les Communes, ils étaient bien plus disposés à défendre leurs prérogatives de classe qu'à collaborer avec elles à l'œuvre de salut national.

Seul le Peuple, le bon peuple de France savait s'élever au-dessus de lui-même, et c'est presque seulement dans ses cahiers que l'on rencontre une saine conception de l'intérêt général. Il était prêt à faire à celui-ci des sacrifices, non pas sans doute en renonçant à présenter ses doléances propres, mais en reconnaissant, à côté des siens, les intérêts des autres en ce qu'ils pouvaient avoir de légitime. Malheureusement ses délégués aux Etats, les représentants du Tiers, ne montrèrent pas autant de modération et de sens pratique. Imbus de théories toutes faites, et animés, eux aussi, de l'esprit de classe, ils ne songèrent pas un instant à négocier un compromis, mais ils prétendirent imposer leurs propres conceptions et leurs propres volontés, aux Privilégiés d'abord, et bientôt après au Roi.

Ainsi, à ne considérer que les seuls pouvoirs publics : gouvernement et représentants de la nation, les dispositions des esprits, à l'ouverture des Etats-généraux, n'étaient pas ce qu'elles auraient dû être pour assurer la réussite d'une réforme profonde par la collaboration des trois Ordres sous l'arbitrage du Souverain. Voilà la première leçon qui se dégage de cette lamentable faillite.

Et en voici une autre. L'impuissance d'en haut ayant produit en bas l'anarchie, l'Assemblée nationale s'est montrée incapable de rétablir l'ordre, ses principes s'opposant à l'emploi de la contrainte envers le peuple souverain. Mais ceci suggère une remarque : s'il est bien vrai que les peuples reçoivent les gouvernements qu'ils méritent, il est non moins vrai que les gouvernements secrètent les peuples qu'ils valent. A des pouvoirs incapables et divisés a donc correspondu une nation mécontente et en révolte. Une tâche double s'est ainsi présentée devant nos dirigeants après la grande secousse des mois d'août et de septembre : en même temps que la réforme des institutions il aurait fallu entreprendre celle de l'esprit public, et ces deux ouvrages auraient dû être menés de front pour ne pas compromettre les résultats de l'un par l'absence de l'autre. Or on ne s'est guère préoccupé que de la réorganisation des pouvoirs publics sans se soucier sérieusement de remettre la France au travail. On a ainsi diminué les chances de durée de l'œuvre entreprise.

Et cela d'autant plus que, pour cette refonte générale, on s'est surtout inspiré de principes théoriques qu'on a logiquement appliqués sans tenir un compte suffisant des réalités vivantes reçues en legs du passé. Quand le désordre est partout, on ne peut pas faire passer dans les faits une construction de l'esprit intégralement et du premier coup. Le difficile, dans ce cas, ce n'est pas tant d'échafauder un système que de parvenir à l'appliquer, et, sans application, le système le plus merveilleux n'est qu'un chiffon de papier. Il faut, par conséquent, songer avant tout aux réalisations concrètes, et, pour cela, s'appuyer sur les quelques organes d'autorité qui, dans l'universelle anarchie, subsistent encore de l'ancien ordre de choses. Plus que jamais, dans les temps troublés, s'impose la méthode des compromis.

 

Compromis dans l'espace entre les intérêts en présence, compromis dans le temps entre l'avenir et le passé, tel est donc le conseil de sagesse qui nous est donné par la tragique expérience de l'année 1789. Mais — et nous retrouvons ici la nécessité de doubler la réforme des institutions de la réforme des consciences — qui dit compromis, dit concessions mutuelles, donc renoncements volontaires, c'est-à-dire refoulement, par un effort raisonné, de l'instinctif égoïsme.

L'égoïsme — avec son associée la paresse (car les deux sont intimement liés) — voilà le virus social par excellence, le poison qui tue le plus sûrement les sociétés. La préoccupation exclusive de l'intérêt particulier et immédiat est aussi mortelle pour une nation que la pensée du salut individuel pour une armée au combat. L'action de ce principe destructeur peut se manifester de mille manières différentes : l'avidité et la vanité : besoin de jouir et de paraître ; l'appétit généralisé du pouvoir et le dédain universel de l'autorité : tout le monde voulant commander et personne ne consentant à obéir ; l'orgueil, le mépris du tout-venant, qui fait les aristocrates, ceux de gauche comme ceux de droite, car il en est à gauche comme à droite ; le penchant à se servir remplaçant l'ardeur à servir : visées de politiciens au lieu de vues politiques ; l'absence de tout scrupule envers l'Etat : lui faire tort, n'est-ce pas ? ce n'est pas voler ; et même de tout scrupule quelconque : faut-il être bête ! on se débrouille... ; la tendance à se faire valoir plutôt qu'à valoir : arrivisme et je m'enfichisme ; le dédain du travail suivi et méthodique, du labeur patient et fécond mais terne, de l'ouvrage, précis et utile peut-être, mais qui sent l'huile ; le goût de l'improvisation brillante et vide, de l'à-peu-près sans portée et du bavardage futile ; l'absence de conscience professionnelle ; l'amour du profit sans risque et du gain sans peine... Mais arrêtons-nous : on ne saurait tout mentionner. N'oublions pas toutefois les symptômes les plus graves parce qu'ils constituent un recul devant les charges les plus impérieuses, une désertion devant les obligations les plus sacrées : le manque de respect envers la femme ; la restriction volontaire des naissances ; la perte du sens de la famille ; celle du souci de l'avenir : après nous le Déluge ! Enfin le mépris de toute règle l'impatience de toute contrainte, ainsi que les inévitables suites d'une répugnance innée pour l'effort : négligence, désordre, malpropreté, etc. Telles sont quelques-unes des manifestations du culte forcené du moi, le moi le plus étroit et le plus borné, de ce besoin féroce de vivre sa vie, avec sa contre-partie naturelle : la jalousie, l'envie, le mépris ou même la haine, générateurs des conflits de personnes, de partis ou de classes, car l'amour immodéré de soi-même ne va pas sans l'aversion du prochain.

Cette épouvantable maladie, qui substitue la loi de la jungle à la loi des hommes, s'attaque aux groupes aussi bien qu'aux individus : il y a l'égoïsme de classe à côté de l'égoïsme tout court. On la rencontre dans toutes les conditions, à tous les degrés de la hiérarchie sociale, et sous les formes les plus opposées : du conservatisme bourgeois aux appétits des classes ouvrières. Les mouvements politiques ou sociaux les plus généreux à l'origine ne sont que trop souvent dévoyés en même temps que surexcités par ce redoutable ferment. Lui seul permet aux rêveurs philanthropes les réalisations hâtives — dont son action hâte aussi la fin, car il est un principe de pourriture plus encore que de croissance. Bien que fleurissant sous tous les régimes, il se développe avec plus d'ampleur chez ceux qui sont à base de revendications, qu'elles soient individuelles ou syndicales, et où le pouvoir vient d'en bas. Mais ce n'est pas une question d'institutions, et il sape aussi bien les autres, qui favorisent d'ailleurs son éclosion par le secret dont ils s'entourent, quand le pouvoir donne l'exemple de l'absence de scrupules ; quand il gouverne contre le bon droit ; quand il fait litière, comme Louis XV, des générations futures : Cela durera bien autant que moi ; quand il remplace la haute conscience de ses devoirs et le sentiment élevé de ses responsabilités envers ceux qui sont soumis à son autorité arbitraire par la légèreté ou la partialité des décisions et par le mépris de leurs conséquences, colorés d'une affectation de rigidité dans l'application des règles ; quand la légalité lui sert à couvrir des dénis de justice, des abus de pouvoir et des manquements à l'équité, qui font regretter l'absence de contrôle et réclamer la fin d'un régime condamné par ses actes mêmes. En résumé, c'est partout qu'on rencontre le poison dont nous dénonçons la nocivité : en haut comme en bas de l'échelle, en Dictature comme en République ; et il existera toujours en puissance dans toute société quelle qu'elle soit, parce que c'est un vice congénital, ou plutôt l'exagération morbide d'un sentiment instinctif et essentiellement humain.

Comment combattre ce fléau ? Il y a deux écoles et il ne peut y en avoir que deux.

Celle des médecins orthodoxes qui, suivant la méthode classique, se contentent de soigner les accidents du terrible mal, les uns en portant le fer rouge dans les plaies pour les cicatriser, les autres en fournissant une issue aux humeurs et en entretenant la suppuration, procédés qui présentent des avantages l'un et l'autre — la réussite dépend du terrain et de la conduite du traitement —, mais qu'il est en général préférable d'employer concurremment. — C'est la méthode facile ; elle donne des résultats médiocres ; la guérison n'est qu'apparente.

L'autre chemin, plus long et plus dur, mais aussi plus sûr, est le seul qui conduise vraiment au but. Il est suivi par l'école de la sérothérapie moderne. Celle-ci attaque le mal lui-même, et directement. Elle s'adresse à son principe, et non à ses conséquences. Pour venir à bout d'une maladie qui affecte toutes les cellules du corps social, elle veut traiter chaque cellule à part, elle cherche à y réveiller le sentiment de la dépendance et de l'interdépendance, et elle se propose de combattre le virus que représente la baisse générale de conscience sociale par l'injection d'un sérum approprié. Suivant le cas, ce sérum de l'âme sera un sérum d'arrêt : la crainte, ce commencement de la sagesse ; ou un sérum de redressement : l'appel à la volonté de vivre — de vivre, non pas sa vie, mais la vie, la vraie : le retour à l'idéal.

 

L'idéal ? Soit, mais lequel ? dira chacun. Car ici nous attendent aussi bien croyants que sceptiques, les premiers prêts à lancer l'anathème, les autres à brandir l'argument, personne, en effet, n'imaginant une telle chose autrement que précise et arrêtée, et tout possesseur d'idéal n'en admettant pas d'autre que le sien.

Or — l'exemple de la Révolution n'est-il pas là pour nous le prouver ? — il n'y a pas de recette infaillible du bonheur. Aucune doctrine quelconque ne saurait suffire à nous assurer celui-ci.

Il y a d'abord en effet, une question d'interprétation, car il est essentiel de bien pénétrer le sens des maximes. Voilà bien longtemps qu'il a été dit : la lettre tue. seul l'esprit vivifie. Une même formule peut avoir d'heureux ou de détestables effets suivant la manière dont on la comprend et les plus opposées en apparence se valent pour qui sait les déchiffrer. Celles des régimes autoritaires : Roi par la grâce de Dieu, Servus servorum Dei, ont pour sens : le chef ne doit pas se servir de ses subordonnés pour son avantage personnel, il doit les servir pour le Bien ; mais servir ne veut pas dire suivre ; et le chef ne doit pas oublier le Bien. Celle de notre troisième République : Liberté, Egalité, Fraternité doit se lire : liberté pour le bien, égalité par en haut, fraternité dans l'émulation, et non... tant d'autres détestables choses que nous avons trop connues.

Il faut ensuite, dans l'application d'une conception politique, savoir faire sa part à la conception opposée. Aucun principe ne saurait se révéler viable à l'épreuve sans une contre-partie qui en corrige l'excessive rigueur. Par exemple, la liberté n'est bienfaisante que si elle est accompagnée du sentiment intérieur du devoir. De même l'autorité doit trouver sa limite dans le respect de l'individu sous peine de devenir despotique. Ainsi toute la vertu d'un précepte tient dans son emploi — c'est-à-dire, au vrai, dans la mesure dont on sait s'en affranchir, de même que la justice véritable procède moins de l'esprit juridique que du sentiment de l'équité.

Que chacun suive donc son idéal propre. Si tous ces idéaux sont vraiment élevés, loin de se contredire, ils se rejoindront. Quant aux hommes dont la tournure d'esprit ne saurait s'accommoder d'aucun Credo, qu'ils soient absous et non anathèmes si leur conduite prouve qu'en fait, eux aussi connaissent le chemin des cimes. L'ironiste le plus impitoyable cache souvent dans sa poitrine le cœur le plus chaud, et Voltaire, qui renvoyait dos à dos disciples de Jansénius et partisans de Molinos en les accablant les uns et les autres de ses terribles sarcasmes, n'a pas su garder son masque glacé devant le supplice de Calas.

Il y a quelque chose, en effet, de plus important encore que le choix, l'interprétation ou l'application d'une maxime, c'est la ferveur avec laquelle on se donne à une cause. Une simple adhésion du bout des lèvres ou l'hypocrisie d'une stricte observance toute extérieure n'a rien de commun avec ce retour à l'idéal dont nous avons montré la nécessité pour la guérison du corps social. Tel que nous le comprenons, l'idéal est une liqueur précieuse dont l'arôme fait tout le prix. Peu importe le vase qui le contient, ou même que le vase soit vide, pourvu qu'il conserve son parfum. Un idéal trop précis et trop exclusif pourrait même servir, à l'occasion, de paravent et de leurre aux égoïsmes les plus grossiers : c'est de son exploitation éhontée et de son affichage bruyant que vivent nationalistes, cléricaux et politiciens. Et, d'autre part, sa propagande inconsidérée ne fait que semer la division au lieu d'amener la concorde.

Ce n'est pas par l'intelligence ou par la contrainte, c'est seulement par le cœur, Pascal nous l'a enseigné, que l'homme peut réaliser cette communion sainte dont le besoin profond est en nous. Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, cela se traduit pour chacun de nous par ce conseil de sagesse : Soyez bienveillants et justes, et — si possible — : Aimez-vous les uns les autres. Tel est le précepte fondamental, à la fois nécessaire et suffisant pour empêcher le développement de tous les germes morbides qui menacent l'existence même de la société. Cet état d'âme tout simple, pour rudimentaire qu'il soit, pour peu idéaliste même au sens rigoureux du mot, doit suffire à assurer l'harmonie des parties et la prospérité de l'ensemble. Comme nous l'a bien fait voir l'exemple même de la Constituante, on ne saurait réunir toutes les bonnes volontés qu'en laissant provisoirement de côté dogmes et doctrines. Seule une méthode pragmatique, soucieuse des réalités et des contingences, ne s'embarrassant pas d'une vaine idéologie, et se contentant de poursuivre un but prochain et précis, est capable d'orienter dans un seul sens toutes les lignes de forces d'un même champ.

En politique, un système si parfait soit-il est toujours une simple abstraction, c'est-à-dire une mutilation artificielle de la vie, que contredisent certaines données naturelles, qui heurte les tendances profondes de certains d'entre nous, et qu'un autre système vient tôt au tard remplacer. Aucune vérité de ce genre ne saurait être démontrée, pas plus par une durée sans limite que par le consentement universel. Aussi la recherche de l'absolu entraîne-t-elle dans l'histoire l'alternance brutale des doctrines et des personnels opposés, régime de douche écossaise des plus funeste à la santé du corps social, tandis qu'elle aboutit autour de nous aux discussions sans fin et à l'hyper-criticisme, c'est-à-dire à l'impuissance et à la stérilité. Mieux vaut donc renoncer à poursuivre indéfiniment le rêve de la Société idéale. Mieux vaut se contenter plus modestement d'un idéal plus rapproché quoique capable d'inspirer à chacun l'élan et la conscience nécessaires au travail bien fait, d'un idéal qui ne perde pas de vue les réalités et qui s'imprègne du détail. Cet idéal n'aura pas nécessairement pour but la conquête et la domination par la guerre ; il pourra rester compréhensif, humain, pacifique, et s'identifier simplement avec l'heureux fonctionnement de tous les organes de la communauté.

 

La double nécessité d'une conscience civique vivace et d'un éclectisme dogmatique, voilà, en définitive, à quoi nous aboutissons à la fin de cet examen.

Dans le domaine des relations humaines, il n'y a aucun résultat sérieux et durable à attendre sans l'honnêteté et la bonne foi. C'est la morale qui fournit la clef du problème économico-social, lequel domine de très haut toutes les questions secondaires d'ordre financier ou politique.

Et, d'autre part, l'identification du bien avec une certaine doctrine n'entraîne que trop souvent la pratique du fameux système des dépouilles cher à la démocratie d'outre-Atlantique, ce système en vertu duquel, une équipe chassant l'autre, la principale préoccupation des vainqueurs, à tout changement de régime, est de faire de la place pour les petits camarades autour de l'assiette au beurre.

Mais qui donc sera à la fois assez idéaliste pour pouvoir s'élever ainsi au-dessus de soi-même, et assez réaliste, assez compréhensif pour renoncer à revêtir son idéal personnel d'une forme étriquée et exclusive ? Ceci ne peut être que le fait de la grande masse anonyme en qui viennent se confondre, comme les fleuves divergents dans la mer immense, les deux courants si souvent opposés de l'intérêt et de la morale — ou, plus encore, que l'heureux privilège de la jeunesse ardente et généreuse conduite aux réalisations fécondes par son instinct profond de la vie plus sûrement que par les calculs savants et par les règles de l'école.

Après tout, la plupart des membres d'une société borneraient volontiers leur idéal à voir assurée la bonne marche de la machine. Lorsque celle-ci est grippée, s'il faut la chiquenaude initiale pour sa remise en route, la constatation qu'elle tourne à nouveau rond est, à elle seule, susceptible de maintenir son allure. Elle pourrait, dans ces conditions, fonctionner indéfiniment sans aucune impulsion nouvelle et réaliser le prodige du mouvement perpétuel.

Seulement, pour rendre possible ce miracle de tous les jours, il ne faut ni arrêter, ni pervertir les élans des jeunes âmes. Les éducateurs ne doivent pas plus dessécher les cœurs et tuer les volontés qu'enseigner à ces cœurs la haine et dresser ces volontés les unes contre les autres. Ne gaspillons ni n'avilissons le trésor sans prix que représentent les générations montantes. Pour un pays fatigué et désabusé, la suprême ressource et l'unique espoir de salut réside dans ce ressort qui se suffit à lui-même, dans cette énergie qui s'alimente à sa propre source, à sa générosité toute instinctive, aussi peu soucieuse de raisons que dédaigneuse de systèmes : l'enthousiasme de la jeunesse.

 

Juillet 1940.

 

FIN DE L'OUVRAGE