HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

 

CHAPITRE XIV. — L'ITALIE ET L'ALLEMAGNE JUSQU'À LA FIN DU MOYEN AGE.

 

 

Naples et la Sicile. Charles d'Anjou ne conserva pas longtemps la Sicile sous son pouvoir. Cette île regrettait les Hohenstaufen. La dureté du prince capétien acheva de lui aliéner les cœurs. La colère des Siciliens contre les Français s'envenimant, les deux partis en vinrent aux mains à Palerme, le lundi de Pâques de l'année 1282. Les Français furent massacrés, non seulement à Palerme, mais les jours suivants dans toute la Sicile. Telles furent les Vêpres Siciliennes.

La Sicile offrit alors la couronne au roi d'Aragon, Pierre III, gendre de Manfred, qui finit par en rester maître. Malgré cette perte, les trois premiers rois angevins ne laissèrent pas d'exercer dans la Péninsule une influence prépondérante. A la couronne de Naples, ils unirent longtemps le titre de vicaires du souverain pontife dans l'Etat ecclésiastique et se firent reconnaître comme chefs du parti guelfe. Mais ensuite le royaume de Naples s'affaiblit dans des désordres dont le récit serait très compliqué et n'offre d'ailleurs que fort peu d'intérêt. Il suffit de savoir qu'au sortir de cette longue suite d'événements, deux princes prétendirent avoir droit à la couronne de Naples : c'était Alphonse V, roi d'Aragon et de Sicile, que la reine Jeanne II avait adopté, et René d'Anjou, de la maison de Valois, qu'elle choisit plus tard pour son successeur. Dans la lutte qui s'ensuivit, Alphonse l'emporta et réunit les trois couronnes d'Aragon, de Sicile et de Naples. Mais René n'abandonna pas pour cela ses prétentions, dont héritèrent les rois de France. Telle est l'origine des longues guerres que les Valois firent dans la suite en Italie.

 

L'Italie septentrionale. Le nord de la Péninsule était divisé en un certain nombre de petites principautés et de petites républiques. Ces dernières disparurent peu à peu presque partout et se transformèrent en principautés plus ou moins étendues. Plusieurs fondèrent à certaines époques des états très puissants ; parmi elles, Pise, Milan, Gênes, Florence, Venise, sont les plus fameuses.

 

Venise et Gênes. Venise et Gênes se disputèrent même pendant plusieurs siècles la domination de la Méditerranée. L'établissement de l'empire latin de Constantinople (1204), effectué avec l'appui des Vénitiens, donna à ces derniers la prépondérance. Dès lors les Génois firent alliance avec les empereurs grecs, qui s'étaient retirés à Nicée, et les aidèrent à reprendre Constantinople — 1261 —. Les deux républiques maritimes s'affaiblirent mutuellement par leurs guerres acharnées, et les troubles intérieurs leur furent également funestes. Les conquêtes des Turcs Ottomans en Syrie, en Asie Mineure et dans tout l'Orient, enfin la prise de Constantinople (1453) par Mahomet II, ébranlèrent profondément la puissance vénitienne. La prospérité commerciale des villes italiennes reçut le dernier coup par la découverte d'une nouvelle route vers les Indes.

 

Le grand interrègne (1250-1273). Quant à l'Allemagne, la mort de Frédéric II commença une nouvelle période de 23 ans, communément appelée le grand interrègne, pendant laquelle l'Empire se trouva réellement sans souverain, jusqu'à l'avènement de Rodolphe de Habsbourg. Conrad IV, fils de Frédéric II, fut reconnu, il est vrai, aussitôt après la mort de son père, par une partie des princes allemands, mais Guillaume de Hollande eut aussi son parti, et aucun des deux compétiteurs n'exerça un pouvoir réel. Après eux, Alphonse X, roi de Castille, et Richard de Cornouailles, frère d'Henri III d'Angleterre, se disputèrent le trône ! L'anarchie ne fit que s'accroître, une foule de châteaux seigneuriaux se transformèrent en vrais repaires de brigands. Les rois de Danemark et de Pologne abjurèrent la suzeraineté de l'Empire. Le duché de Souabe, le seul qui restât encore intact, fut démembré, et les princes s'emparèrent à l'envi des domaines impériaux, que Philippe de Souabe avait déjà en grande partie aliénés pour subvenir aux frais de la guerre contre son concurrent Otton de Brunswick.

 

Ligue du Rhin. Les désordres de la fin du règne de Frédéric II et des années qui suivirent, forcèrent les villes à s'unir en confédérations pour défendre leur commerce qui, sans cela, eût été infailliblement ruiné. Telle fut, entre autres, la Ligue du Rhin, formée en 1247, dans laquelle entrèrent soixante villes des provinces rhénanes. Elle subsista jusqu'à la fin du XIVe siècle. Les seigneurs se confédérèrent aussi pour assurer leur sécurité.

 

La Ligue Hanséatique. Mais la plus célèbre et la plus considérable de toutes les ligues fut la Hanse Teutonique ou Ligue Hanséatique. Peu à peu, la plupart des grandes villes de l'Allemagne étaient parvenues à se soustraire au pouvoir des seigneurs sous la juridiction desquels elles avaient d abord été placées. Erigées en communes, elles jouissaient de beaucoup d'indépendance, et prirent le titre de villes libres de l'Empire. Souvent elles avaient formé entre elles des ligues partielles pour résister à la féodalité, leur ennemie naturelle. Les avantages qu'elles retirèrent de ces alliances transitoires, leur firent naître l'idée d'en conclure une qui fut permanente, dans le but de protéger leurs privilèges et leur commerce. Depuis longtemps aussi, il existait dans beaucoup de villes étrangères, à Bruges, par exemple, des corporations de commerçants allemands jouissant de privilèges reconnus par les autorités locales. Ces corporations, qui portaient le nom de Hanses, et les villes allemandes entrèrent peu à peu dans une commune ligue qui embrassa tout le nord de l'Europe et s'organisa insensiblement. Telle fut l'origine de la Ligue Hanséatique. Elle avait pour buts principaux de protéger le commerce des villes qui en faisaient partie, et les privilèges des corporations qui s'y étaient rangées, et de défendre les constitutions communales là où elles seraient menacées.

 

Rodolphe de Habsbourg (1273-1291). L'Empire menaçait de se dissoudre, l'anarchie continuait à y régner. Le besoin d'ordre et d'unité fit élire Rodolphe de Habsbourg, seigneur peu puissant, dont la royauté ne pouvait par conséquent éveiller la défiance des princes, jaloux avant tout de conserver leur indépendance. Le roi Ottokar de Bohême refusa de le reconnaître et de lui faire hommage des fiefs qu'il tenait de l'Empire. Rodolphe lui déclara la guerre, dont le résultat fut d'enlever à la maison de Bohême et de faire passer dans celle de Habsbourg l'Autriche, la Styrie et la Carniole. C'est ainsi que fut fondée la grandeur des Habsbourg. Rodolphe travailla avec habileté et avec énergie à remplir la mission qui lui incombait. Il fut en guerre perpétuelle avec les seigneurs qui vivaient de brigandage. Un grand nombre de châteaux-forts furent rasés, et la tranquillité fut rétablie en Allemagne. Rodolphe abandonna sagement les vues ambitieuses de ses prédécesseurs sur l'Italie, source de tous les maux de l'Empire. Dans une conférence qu'il eut à Lausanne avec Grégoire X, non seulement il reconnut le pouvoir temporel des papes, mais il abdiqua encore tous les droits que les anciens empereurs avaient pu exercer, soit à Rome, soit dans les provinces de l'Etat ecclésiastique. Il renonça à toute prétention sur Naples et la Sicile, et promit de ne pas témoigner de haine à Charles d'Anjou, à qui le pape en avait donné l'investiture.

La puissance des Habsbourg s'était trop accrue sous Rodolphe, pour ne pas éveiller les jalousies et les défiances. A la mort de ce prince, on élut Adolphe de Nassau, qui régna peu de temps. La couronne fut offerte ensuite à Albert, fils de Rodolphe de Habsbourg (1298-1308). Avec une sagesse digne de son père, Albert travailla au rétablissement de l'ordre et de l'unité, fit régner la justice, défendit les intérêts du peuple contre l'égoïsme tyrannique des princes. Il fut assassiné. On lui donna pour successeur Henri VII (1308-1313), de la maison de Luxembourg, au règne duquel on peut faire remonter les origines de la Confédération Helvétique.

 

Origine de la Confédération Helvétique. Dans la première moitié du XIIIe siècle, la Suisse était, en partie, sous la juridiction des Habsbourg, qui y possédaient de vastes propriétés, et y représentaient l'empereur, en qualité de comtes héréditaires d'Argau. Pendant la lutte entre Frédéric II et les souverains pontifes, les habitants de Schwitz et d'Unterwalden prirent parti pour l'empereur contre leurs seigneurs qui l'avaient abandonné. Aussi Frédéric II les récompensa-t-il en les exemptant de la juridiction des Habsbourg. Rodolphe sut maintenir ses droits, mais les montagnards ne cessèrent dès lors d'aspirer à l'indépendance, et trouvèrent un appui, d'abord dans Adolphe de Nassau, ensuite dans Henri VII. Ce dernier affranchit les trois cantons d'Uri, de Schwitz et d'Unterwalden de la domination des Habsbourg, et leur permit de se choisir des magistrats qui les gouverneraient sous la haute juridiction d'un juge impérial. Après la mort d'Henri VII, les Habsbourg voulurent reprendre leurs droits, mais ils furent vaincus par les montagnards à Morgarten (1315). Peu à peu la confédération s'accrut par l'accession de nouveaux cantons, et profita des querelles des maisons de Bavière, de Luxembourg et de Habsbourg, pour se rendre toujours de plus en plus indépendante de l'autorité même des empereurs[1].

 

Charles IV. La Bulle d'or. Après le règne agité de Louis de Bavière (1314-1347), la couronne fut donnée à Charles IV, de la maison de Luxembourg (1347-1378), dont l'acte le plus important fut la célèbre Bulle d'or, œuvre des diètes de Nuremberg et de Metz (1356). Cet édit réglait l'élection des empereurs, et attachait à certaines principautés le titre et le droit d'électeur de l'Empire. Il y eut dès lors trois électeurs ecclésiastiques, savoir : les archevêques de Mayence, de Cologne et de Trêves ; et quatre électeurs laïques : le comte palatin du Rhin, le duc de Saxe-Wittemberg, le roi de Bohême et la margrave de Brandebourg. Ces princes devenaient presque indépendants dans leurs états. Ils devaient se rassembler tous les ans après Pâques, pour délibérer des affaires générales et en décider avec le souverain. La Bulle d'or donnait la consécration du droit à la forme fédérative que l'Allemagne-avait prise en fait depuis longtemps. On trouve aussi dans la Bulle d'or plusieurs mesures salutaires ; mais elle acheva d'annuler le pouvoir impérial, et hâta la dissolution de l'Empire. Tous les princes voulurent se rendre aussi indépendants et aussi puissants que les électeurs. Les villes, en face de ces ambitions, durent chercher leur sûreté dans des ligues. Elles formèrent une grande confédération, qui succomba cependant bientôt dans la lutte contre la féodalité.

 

Le grand schisme d'Occident. Un autre empereur de la maison de Luxembourg, Sigismond, eut la gloire de terminer un schisme déplorable qui divisait l'Eglise depuis 40 ans. Clément V, second successeur de Boniface VIII, en faisant d'Avignon le séjour ordinaire des papes, avait livré le Saint-Siège à l'influence exclusive des rois de France, et causé par le fait même un tort considérable à son autorité sur les princes chrétiens. Plusieurs pontifes avaient songé à reporter leur siège à Rome, et donné même à leur projet un commencement d'exécution. Grégoire XI y était retourné ; mais, après un an de séjour en Italie, il se préparait déjà à reprendre le chemin de la France, lorsqu'il fut prévenu par la mort (1378). Le peuple romain, craignant de voir encore une fois le pape s'éloigner, exigea que le conclave donnât la tiare à un italien. Les cardinaux élurent en conséquence l'archevêque de Bari, qui prit le nom d'Urbain VI et se fixa à Rome. Mais bientôt, sous prétexte que cette élection avait été forcée et par .suite entachée de nullité, plusieurs membres du sacré collège nommèrent un antipape, Clément VII, qui s'établit à Avignon. Charles V, roi de France, ainsi que les rois d'Aragon, de Castille, de Navarre et d'Ecosse se déclarèrent pour l'antipape. On vit les deux partis s'excommunier mutuellement, et ces anathèmes réciproques, joints à l'indécision qui planait sur la légitimité du pontife, furent encore funestes à l'autorité du Saint-Siège. C'est grâce, surtout à l'empereur Sigismond que fut convoqué le concile de Constance (1417), qui ramena l'unité dans l'Eglise. A la mort de Sigismond, la couronne d'Allemagne rentra dans la maison d'Autriche ou de Habsbourg pour n'en plus sortir.

 

 

 



[1] La tyrannie de Gessler, la conjuration de Rutli, le rôle joué par Guillaume Tell ne sont que des fables.