HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

 

CHAPITRE IV. — L'EMPIRE ARABE ET LE NOUVEL EMPIRE D'OCCIDENT.

 

 

§ Ier. — FONDATION DE L'EMPIRE ARABE.

 

L'Arabie. Avant Mahomet, il n'existait proprement pas de nation arabe, mais seulement des tribus innombrables qui peuplaient la presqu'île arabique, et, pour la plupart, prétendaient descendre d'Abraham. Toutes ces peuplades, en partie sédentaires, en partie nomades, adonnées généralement à l'agriculture ou à l'élève du bétail, étaient perpétuellement en guerre les unes avec les autres. Le pillage formait une de leurs principales ressources. Aussi les caravanes de marchands qui parcouraient les déserts, ne pouvaient-elles jamais s'y aventurer sans être armées jusqu'aux dents.

Un lien toutefois unissait ces tribus ennemies et rendait possible leur fusion en un seul corps de nation. Le premier jour du septième mois, un marché accompagné d'une fête religieuse rassemblait tous les ans à la Mecque des pèlerins venus de tous les points de la Péninsule, et pendant les mois sacrés du pèlerinage régnait une trêve dont la violation était considérée comme un sacrilège. A ces réunions, dit un auteur moderne[1], les tribus ennemies vidaient souvent leurs différends par arbitres ; elles échangeaient leurs prisonniers de guerre ; elles réglaient une foule d'affaires communes, pour lesquelles on n'avait pas d'autres occasions aussi commodes. Surtout on y faisait assaut de poésie. Car ces peuples à l'imagination vive et aux passions ardentes étaient extrêmement sensibles aux charmes de la parole.

Si les Arabes avaient jadis connu la foi d'Abraham, la religion mosaïque ou même le Christianisme, les notions s'en étaient bien affaiblies et bien défigurées parmi eux. Pour beaucoup même le culte du vrai Dieu avait fait place à l'idolâtrie et au fétichisme le plus abject. A la Mecque, la ville sainte par excellence, on comptait, dans le temple vénéré de la Caaba, jusqu'à 360 idoles, sans parler de la fameuse Pierre Noire. Cette grosse pierre, apportée, disait-on, du ciel par l'archange Gabriel, était l'objet d'un culte particulier. Elle était d'abord d'une blancheur éclatante et avait été noircie par les péchés des hommes. Cependant bien des personnes comprenaient l'absurdité de ces superstitions et aspiraient à une religion meilleure. Un habile imposteur, s'il voulait s'improviser fondateur de religion, ne pouvait manquer de gagner beaucoup de prosélytes. Il se rencontra dans la personne de Mahomet.

 

Mahomet. Cet homme extraordinaire naquit à la Mecque, l'an 570 après J.-C. Resté orphelin et pauvre à l'âge de cinq ans, il fut recueilli par un de ses oncles, devint marchand, et accompagna pendant plusieurs années les caravanes, trafiquant ou se battant suivant l'occurrence. Il était âgé d'environ 25 ans, lorsqu'une riche veuve de la Mecque, nommée Khadidja, lui donna avec sa main les moyens de se livrer sans réserve à son goût pour la méditation, que sa pauvreté ne lui avait pas permis jusqu'alors de satisfaire. Ce fut dans la retraite et la solitude, qu'il conçut le dessein d'amener ses compatriotes de l'idolâtrie au culte d'un Dieu unique.

Après 15 années passées dans la méditation, il commença enfin son apostolat. Pour accréditer sa doctrine, il prétendait l'avoir reçue de l'archange Gabriel. Quelques membres de sa famille et ses amis intimes furent ses premiers prosélytes ; puis il se hasarda à prêcher en public, et remua profondément les masses. Car il avait toutes les qualités naturelles propres à le faire réussir. Mais les Koréischites, intendants et administrateurs de la Caaba, craignant de voir sombrer sous les coups de son éloquence un culte qu'ils avaient tout intérêt à conserver, lui suscitèrent des persécutions. Mahomet dut s'enfuir de la Mecque, le 15 juillet 622, année fameuse de laquelle les musulmans datent l'hégire, comme nous datons notre ère de la naissance de Jésus-Christ. L'imposteur se retira à Médine, d'où il revint bientôt les armes à la main pour convertir de force ses adversaires à sa religion. Ce ne furent plus dès lors que des guerres continuelles, A sa mort, en 632, toute l'Arabie avait reconnu son pouvoir et embrassé l'Islamisme. C'est le nom de la nouvelle religion. Le Coran, qui en est le livre sacré, est un recueil incohérent, de tous les enseignements tombés de la bouche du Prophète. C'est à la fois un code politique et religieux, car l'Islamisme ne sépare pas l'ordre religieux et l'ordre civil. Mahomet et ses successeurs furent à la fois rois et pontifes.

 

Caractère de l'Islamisme. Mahomet eut l'art de composer une religion pleine d'attraits en empruntant aux autres cultes ce qui convenait au caractère des Arabes, et en rejetant ce qui pouvait s'y trouver de difficile. Tout ce que l'Islamisme contient de bon est un emprunt fait au Christianisme ou au Judaïsme. Aux yeux des musulmans, Moïse et Jésus sont de grands prophètes, inférieurs cependant à Mahomet. L'Islamisme n'admet aucun des mystères chrétiens, qui étonnent notre intelligence orgueilleuse, et il supprime tout ce que la morale chrétienne présente de trop sévère[2]. Il est fondé sur l'unité et la providence de Dieu, sur l'immortalité de l'âme, les récompenses et les châtiments de la vie future. La prière, le jeûne, l'aumône, le pèlerinage à la Mecque sont les principaux devoirs du croyant. Pour atteindre le bonheur éternel, c'est-à-dire ce grossier paradis où le musulman trouvera la satisfaction de ses instincts les plus bas, le Prophète montre à ses disciples la voie la plus attrayante pour des peuples belliqueux et pillards : la guerre sainte. Le salut est assuré au guerrier qui tombe sur le champ de bataille. Cette doctrine a été la principale cause de la diffusion rapide du mahométisme. La morale de cette secte embrasse généralement toutes les vertus de l'ordre naturel : la tempérance, la justice à l'égard des croyants, c'est-à-dire des mahométans, l'amour du prochain, etc. Mais à côté des plus beaux préceptes, elle favorise aussi le sensualisme, pour ne pas dire la débauche, et la cruauté. Elle permet la polygamie et le divorce, tolérables dans les sociétés patriarcales des premiers temps ; mais, dans des sociétés avancées, sources de tous les désordres. La doctrine du fatalisme, après avoir été pour le Croissant une cause de succès inouïs, est devenue aussi l'origine de sa décadence. Le Mahométisme renferme dans son sein le germe de sa mort. Façonné par son auteur à la taille d'une nation demi-barbare et nomade, il ne pourrait s'adapter à l'état d'une société civilisée et sédentaire qu'en renonçant à ses principes essentiels. Les musulmans ne pourront suivre le couvant de la civilisation qu'en abjurant leur croyance. Il n'appartenait qu'à Dieu d'établir une religion qui convînt à tous les temps comme à l'univers entier.

 

Conquêtes des Arabes. A la mort de Mahomet, des disputes s'élevèrent entre ses premiers disciples, pour savoir qui le remplacerait en qualité de Calife ou vicaire dans le gouvernement à la fois religieux, civil et militaire. Ahou-Bekre, beau-père du Prophète, finit par remporter. Mais ces rivalités donnèrent naissance à des sectes ennemies, qui se sont perpétuées jusqu'à présent dans le sein de l'Islamisme.

Pendant plus d'un quart de siècle, le Califat resta électif. Il eut successivement pour titulaires après Abou-Bekre, Omar, Othman et Ali. Après Ali, Moaviah, de la famille des persécuteurs du Prophète, le rendit héréditaire dans sa famille et fonda ainsi la dynastie des Ommiades. Il transféra le siège de l'empire de la Mecque à Damas. La période des Califes électifs est celle des plus brillantes et des plus rapides conquêtes des Arabes.

Jamais peut-être on ne vit un empire plus vaste fondé en moins de temps. Il est vrai aussi que jamais peut-être conquérants ne furent plus favorisés par les circonstances. L'enthousiasme de la nation arabe était au comble. Elle n'avait en face que deux empires également épuisés par de longues luttes. La Perse avait été vaincue par Héraclius, dont les triomphes n'avaient pu rendre à l'empire byzantin décrépit qu'un éclat apparent et l'avaient laissé dans un état de profonde faiblesse. A bout de force, l'empire d'Orient était encore déchiré par les dissensions religieuses, et l'on vit les Nestoriens et les Eutychiens recevoir à bras ouverts les envahisseurs musulmans. Sous Omar, la Syrie et l'Egypte furent arrachées à l'Empire et la Perse fut en grande partie soumise. Othman acheva ces conquêtes, auxquelles il ajouta la Tripolitaine.

L'usurpation du Califat par Moaviah alluma des guerres civiles qui arrêtèrent pendant quelques années les progrès des armes musulmanes. Ce fut seulement vers la fin du VIIe siècle, que l'unité politique ayant été rétablie, les Ommiades, ou plutôt leurs lieutenants, purent renouveler les exploits des premiers Califes.

L'Islamisme étendit sa domination en Orient jusqu'à l'Indus. Dans l'Asie Mineure, ses progrès furent extrêmement lents, et l'empereur Léon l'Isaurien, grâce surtout au feu grégeois, défendit victorieusement Constantinople contre les armes musulmanes. Dans l'Afrique septentrionale, les Arabes poussèrent leurs conquêtes jusqu'aux colonnes d'Hercule. Arrivés là, ils songèrent à passer en Espagne, où l'état des affaires leur aplanissait les voies.

 

Le royaume des Wisigoths. Avec Amalaric, petit-fils de Théodoric le Grand, s'était éteinte la famille des Baltes, et la couronne d'Alaric était devenue purement élective. Ce furent les difficultés inhérentes à ce genre de royauté, qui amenèrent la ruine de l'Espagne gothique. Dès lors se formèrent deux partis, l'un des princes régnants, toujours enclins à conserver la couronne dans leur maison ; l'autre qui voulait maintenir contre l'ambition de famille les droits de la constitution. Ce furent ces dissensions qui rendirent possible aux Byzantins la conquête d'une partie de l'Espagne.

Elles n'empêchèrent cependant pas d'abord les progrès de la monarchie wisigothe. Dans les dernières années du VIe siècle, et dans la première moitié du VIIe, elle avait atteint un très haut degré de prospérité. Léovigild, un de ses rois, avait soumis à son sceptre les Suèves (584), déjà convertis au catholicisme ; et son successeur Récarède avait embrassé l'orthodoxie avec toute la nation. Suintila, en 623, força les Grecs à évacuer leurs conquêtes ; et la presqu'île se trouva ainsi, pour la première fois, réunie tout entière sous le sceptre des rois wisigoths.

Mais la décadence suivit de près la prospérité. Au .commencement du VIIIe siècle, Witiza fut déposé, et Roderic élevé sur le trône à sa place. De là une guerre civile qui ouvrit l'Espagne aux Arabes. 4

 

Les Arabes en Espagne (711). Mouza, lieutenant du Calife en Afrique, envoya une armée au-delà du détroit, sous la conduite de Tarik. Les Wisigoths furent vaincus à Xérès de la Frontera, et l'Espagne entière tomba en peu de temps au pouvoir des Musulmans, à l'exception toutefois des régions montagneuses des Asturies, où les Goths se défendirent bravement sous la conduite de Pélage. Les vaincus obtinrent de leurs ennemis la liberté religieuse et conservèrent leurs lois et leurs magistrats. La propriété privée fut respectée ; les envahisseurs se contentèrent des biens du fisc et des terres sans possesseurs. Mais les églises et les monastères furent soumis à une taxe énorme, et les chrétiens obligés de payer double impôt. En somme, les conquérants firent peser sur les Espagnols un joug très dur.

Arrivés au pied des Pyrénées, les Arabes allaient se trouver en contact avec un peuple bien autrement puissant et avec des guerriers bien autrement solides que tous ceux qu'ils avaient eu jusqu'alors à combattre : ils allaient rencontrer les Francs, dont nous avons à reprendre maintenant l'histoire depuis l'époque où nous l'avons laissée.

 

§ II. — LES FILS DE CLOTAIRE.

 

Caractère de cette nouvelle période. Clotaire Ier, le plus jeune des quatre fils du grand Clovis, avait, après la mort de ses frères et de leurs enfants, réuni toute la monarchie sous son sceptre. Le règne de ses fils commence une nouvelle période des annales mérovingiennes. Jusqu'à présent, le fait dominant de l'histoire franque, c'est la fondation du royaume et son agrandissement par des conquêtes successives. Avec le territoire, la puissance royale s'est augmentée. Le pouvoir royal, en Germanie, était renfermé dans des limites bien étroites ; c'était dans l'assemblée du peuple que résidait la première autorité. Depuis, les choses avaient bien changé. La conquête avait relégué le peuple au second plan et donné au roi le rôle principal. Son autorité n'était pas absolue, mais la couronne exerçait une influence prépondérante dans le gouvernement. Clovis et ses fils trouvèrent en effet une grande force dans le prestige qui accompagne d'ordinaire la victoire. L'hérédité de la couronne dans leur famille leur avait pour ainsi dire imprimé ce caractère vénérable que confère naturellement une haute et antique noblesse. Le Christianisme, qui est une école de respect, avait comme consacré l'autorité souveraine. Vis-à-vis de leurs sujets romains, les rois francs apparaissaient comme les héritiers du pouvoir impérial. Et comme ils établirent leurs résidences parmi les populations gallo-romaines, ce fut avec elles qu'ils se trouvèrent en relations plus fréquentes et plus apparentes. Ce furent ces relations qui frappèrent surtout les regards et qu'on s'accoutuma avoir s'établir. Ainsi s'accrut l'autorité royale à l'égard même des Francs. L'exemple de la souplesse, de l'obéissance romaine disposait les Barbares à se courber aussi plus facilement sous le sceptre.

Maintenant va commencer une longue suite de guerres intestines entre les membres de là famille régnante. Ces divisions arrêteront l'expansion de la puissance franque ; les conquêtes vont cesser. L'aristocratie, impatiente du joug que la royauté lui avait imposé, profitera des querelles des princes pour intervenir, pour passer d'un parti à l'autre en vendant son appui au prix de concessions — lui diminueront le prestige de la couronne et l'autorité royale.

 

Nouveau partage de la monarchie. Clotaire Ier mourut en 561, et ses états furent partagés entre ses quatre fils. Sigebert, le plus remarquable d'entre eux, reçut le pays des Francs Ripuaires avec les parties du royaume situées au-delà du Rhin. A Gontran échut la Bourgogne, à Chilpéric le pays des Francs Saliens et l'Armorique. Enfin Caribert eut pour sa part l'Aquitaine et la Provence. Ce dernier ne tarda pas à mourir (567), et ses états devinrent une proie que se disputèrent les princes survivants. Une sorte de fatalité livrait pour la seconde fois ce malheureux pays à toutes les difficultés d'un partage. Une première fois, après la mort de son roi Clodomir, elle avait été comme dépecée par les autres rois francs. Aussi la voit-on dès lors chercher à s'isoler et à se créer une existence indépendante. Quant aux trois autres royaumes, lors même que le cours des événements les réunit sous un même sceptre, ils conservèrent depuis leur existence distincte ; celui de Chilpéric sous le nom de Neustrie, celui de Sigebert sous le nom d'Austrasie. Les états de Gontran gardèrent leur ancien nom de Bourgogne.

 

Frédégonde et Brunehaut. Tandis que les trois fils aînés de Clotaire prenaient pour épouses des femmes de basse extraction, le noble Sigebert avait demandé et obtenu la main de Brunehaut, fille d'Athanagild roi des Wisigoths d'Espagne. Chilpéric, jaloux de son frère, voulut aussi contracter une alliance royale. Il renvoya la reine Frédégonde, pour épouser Galesuinte, sœur aînée de Brunehaut. Ces mariages amenèrent les rois Wisigoths à se désister de leurs prétentions sur les villes situées au midi de la Garonne, dont la possession était encore disputée. Moins d'un an après ses noces, Chilpéric, on devine à l'instigation' de qui, avait fait étrangler son épouse et contracté une nouvelle union avec Frédégonde. Brunehaut jura de venger sa sœur et fit prendre les armes à Sigebert, auquel les mœurs germaniques faisaient d'ailleurs un devoir de punir les meurtriers. Cependant l'assemblée des leudes et des évêques intervint, et le roi de Neustrie dut céder à Brunehaut, comme composition, les villes qui avaient été assignées en douaire à Galesuinte. Grâce à cette médiation, la querelle fut suspendue pour quelques années, mais les sentiments de vengeance ne cessèrent pas de couver dans les cœurs.

 

Guerres civiles en Gaule. Bientôt l'ambitieux et inconsidéré Chilpéric, oubliant que Sigebert l'avait défait une première fois, tenta de lui enlever les territoires qui lui étaient échus, lors du partage des états de Caribert. Ses troupes furent encore honteusement chassées et lui-même contraint à signer la paix. Mais à peine le vainqueur s'était-il éloigné, que le perfide roi de Neustrie recommença les hostilités. Cette fois, la longanimité de Sigebert fut à bout. Il envahit le royaume de son frère, le soumit presque en entier et força Chilpéric à se renfermer dans Tournai. Les leudes Neustriens proclamaient déjà Sigebert leur roi, lorsque deux émissaires de Frédégonde assassinèrent ce malheureux prince sur le pavois même où l'on venait de l'élever (575). Pendant toutes ces querelles, le bon mais faible Gontran avait passé plusieurs fois d'un parti à l'autre.

Sigebert laissait un enfant âgé seulement de cinq ans, que les leudes d'Austrasie proclamèrent roi sous le nom de Childebert II. Pendant la minorité de ce prince, le gouvernement, quelque effort que fit Brunehaut pour s'en emparer, passa tout entier aux mains de l'aristocratie, qui profita largement de ces circonstances pour étendre son influence aux dépens de la couronne. L'assassinat de Sigebert avait relevé les affaires de Chilpéric. La lutte continua avec des chances diverses, jusqu'à ce qu'enfin le roi de Neustrie, à son tour, périt assassiné.

 

Caractère de Chilpéric. Chilpéric est une trop fidèle image de la barbarie de cette époque pour que nous ne nous arrêtions pas à le faire connaître.

Comme la plupart des rois mérovingiens, il conserva toute sa vie quelques qualités et tous les vices d'un enfant bien doué mais gâté par une mauvaise éducation et par la liberté de tout faire. On cite de lui de beaux traits de bonté, de générosité, de clémence. Dans le calme des passions, il savait se conduire avec la dignité qui convient à un roi, et il avait des instincts de grandeur ; mais il ne sut pas éviter les travers de ses qualités. La civilisation romaine lui plaisait ; il fit construire à Paris et à Soissons des cirques à l'imitation de ceux de Rome. Il aimait les belles-lettres, les cultivait lui-même et faisait des vers, très mal tournés, il est vrai, s'il faut s'en rapporter à l'historien des Francs. Il se piquait même de science théologique, et voulut un jour imposer aux évêques une exposition du dogme de la Sainte-Trinité, tout imprégnée de l'hérésie de Sabellius. Sur les représentations des prélats il n'insista cependant point. Il disputait avec les Juifs pour les convertir ; mais quand il vit l'inefficacité de sa dialectique, il recourut au cachot. Jamais autocrate oriental n'exerça le pouvoir plus despotiquement. Par édit royal il ajouta quatre lettres à l'alphabet et prescrivit, sans beaucoup de succès, comme on, le pense bien, d'effacer avec la pierre-ponce tous les anciens manuscrits pour les retranscrire d'après la nouvelle orthographe. Il fit peser sur son peuple des impôts écrasants qui provoquèrent de nombreuses émigrations et enfantèrent des révoltes aussitôt étouffées dans le sang. Les ordres qu'il expédiait à ses officiers se terminaient souvent par ces mots : Si quelqu'un n'observe pas cet édit, qu'on lui crève les yeux. Violent, cupide, voluptueux, il se laissait emporter sans frein à la fougue de ses passions. Il ne savait pas non plus résister aux artifices de Frédégonde, son mauvais génie. Le langage qu'il tenait sur le compte du clergé l'aurait fait passer pour un esprit fort, et il se montrait cependant, sous certains rapports, d'une simplicité plus qu'enfantine et superstitieuse. Un certain Gontran Boson, poursuivi pour un meurtre, s'était réfugié à Tours dans la basilique de Saint-Martin, réputée l'asile le plus inviolable de toute la Gaule. Chilpéric envoya au tombeau du bienheureux des messagers avec une lettre dans laquelle il demandait au saint la permission d'enlever l'accusé de son asile. Le diacre porteur de cette missive la déposa sur le mausolée avec une feuille blanche et tout ce dont le saint aurait pu avoir besoin pour écrire sa réponse. Il revint trois jours après et trouva naturellement la feuille aussi blanche qu'auparavant. — Après la mort de Caribert, chacun des rois survivants s'était engagé par serment à ne pas mettre le pied dans Paris, si ce n'est du consentement de ses collègues. Chilpéric, cependant, eut un jour envie d'y pénétrer, sans la permission requise. Mais que faire pour éviter les malédictions qu'ils avaient, lui et ses frères, appelées sur la tête du parjure ? Chilpéric imagine un expédient ingénieux. Il entre à Paris précédé des reliques d'un grand nombre de saints, et se croit ainsi cuirassé contre les foudres du ciel. Voilà jusqu'à quel point la religion de ces barbares était éclairée. Grégoire de Tours lui-même croyait voir des pronostics dans l'apparition d'une comète, dans une aurore boréale ou dans tout autre phénomène physique plus ou moins extraordinaire.

 

Caractère de Gontran. Le même historien nous présente, dans le roi Gontran, un autre type de cette époque, également curieux, et très propre à nous faire connaître l'idée que le peuple se formait alors de la sainteté.

Un peu mou, bonhomme, timide et inconstant, Gontran passa sans cesse, comme nous l'avons déjà observé, d'un parti à l'autre dans les querelles de sa famille. On peut lui reprocher des accès de fureur subite et même des actes de cruauté. Sa femme en mourant le conjura de faire tuer ses deux médecins, qui n'avaient pu la guérir. Il le lui promit sous serment et tint parole. Il fit mettre à mort un de ses serviteurs accusé d'avoir tué un buffle dans une chasse royale..Mais voici le trait le plus caractéristique de la barbarie de cette époque. Childebert II lui avait envoyé des députés pour présenter certaines réclamations auxquelles Gontran ne crut pas devoir faire droit. Une altercation s'éleva entre le roi de Bourgogne et les ambassadeurs. Comme ceux-ci se retiraient, l'un d'eux dit au prince : Nous te disons adieu, ô roi. Mais sache qu'elle existe encore cette hache qui a brisé la tête de tes frères : bientôt elle te fera aussi sauter la cervelle. Le roi, furieux de ces paroles, dit Grégoire de Tours, leur fit jeter des ordures sur la tête, pendant qu'ils s'en allaient.

Gontran n'était donc pas exempt de tout défaut grave ; mais il expia ses fautes par les bonnes œuvres et la pénitence. Sa bonté habituelle envers tout le monde, sa charité à l'égard des pauvres, sa piété sincère, quoique peu éclairée, l'avaient rendu cher à ses peuples et le faisaient regarder comme un saint. Grégoire de Tours lui attribue des miracles. Certaines provinces l'honorent d'un culte spécial, et l'Eglise n'a pas refusé de laisser son nom au Martyrologe[3].

 

§ III. — LES MÉROVINGIENS SUPPLANTÉS PAR LES CAROLINGIENS.

 

Clotaire II. La mort de Chilpéric ne mit pas un terme aux dissensions civiles. Les trente années suivantes furent marquées par des guerres sanglantes entre la Neustrie régie par Frédégonde, et l'Austrasie et la Bourgogne, où Brunehaut exerçait une grande influence. C'était encore une complication de luttes entre l'aristocratie et la couronne. Les premiers personnages du royaume tramèrent plus d'un complot contre le trône et même contre la vie des princes. Finalement Clotaire II, fils de Chilpéric, réunit les trois royaumes sous son sceptre (613), non par l'habileté de sa diplomatie ou par le succès de ses armes, mais par les efforts de l'aristocratie et de quelques évêques qui détestaient le despotisme de Brunehaut. Le triomphe de Clotaire, bien loin d'être celui de la royauté, était l'échec le plus marqué qu'eût jamais subi la couronne dans sa lutte avec l'aristocratie. L'unité des trois royaumes ne fut d'ailleurs qu'apparente. Chacun d'eux, en effet, conservait son administration séparée ; chacun fut gouverné par un maire du palais.

 

Origine des maires du palais. Selon toute probabilité, le maire du palais n'était primitivement qu'un officier chargé de l'intendance d'un bien royal et de la direction du personnel qui y était attaché. Il portait le titre de Sénéchal. Celui de la-résidence habituelle du roi gagna peu à peu une importance très grande, parce qu'on s'habitua toujours de plus en plus, dans les royaumes francs, à considérer les charges de l'Etat comme des fonctions domestiques du palais. Les maires se trouvèrent portés de la sorte à la tête de toute l'administration du royaume. Par leur position même, ils eurent aussi la haute main dans l'éducation des jeunes princes du sang et, par suite, la tutelle des rois mineurs et la régence. On comprend, dès lors, qu'ils aient été appelés à gouverner les royaumes dans lesquels le prince ne résidait pas.

 

Edit et Constitution de Clotaire II. Cependant les évêques et les leudes, vainqueurs de la royauté, voulurent obtenir une confirmation écrite et solennelle de leurs droits. Tel est l'objet de l'Edit et de la Constitution que Clotaire II se vit dans la nécessité de leur accorder. Trop souvent jusqu'alors les rois avaient donné de leur propre autorité des successeurs aux évêques décédés. L'Edit abandonne au clergé et au peuple l'élection épiscopale et ne laisse généralement au prince que l'approbation. Les immunités ecclésiastiques sont confirmées. Les autres dispositions de la Constitution et de l'Edit ont généralement pour objet d'assurer à tous la bonne administration de la justice, une police sévère et le respect de leurs droits. Le souverain promet de supprimer les impôts exorbitants, et d'exclure de l'administration financière les Juifs, dont la rapacité excitait un mécontentement général. Toute transgression de l'Edit doit être punie de mort. Cet article était bien dangereux pour le prince, car personne n'était plus exposé que lui à transgresser une loi dont presque toutes les dispositions visaient les prérogatives de la couronne. Enfin, un des articles les plus importants rend les comtes, qui étaient à la fois gouverneurs et juges, responsables sur leurs biens des sentences prononcées par eux. En conséquence, ils ne pourront être choisis que dans la province même où ils exercent leurs fonctions et parmi les propriétaires fonciers de l'endroit. Cette clause est une de celles qui ont le plus contribué à rendre les comtes indépendants et leurs fonctions héréditaires. D'un autre côté, l'aristocratie séculière et ecclésiastique s'étudia à augmenter continuellement les avantages qu'elle venait d'obtenir. Personne ne monta plus sur le trône sans son consentement. Elle s'assembla de temps en temps pour traiter des affaires importantes de l'Etat. Le maire du palais, qu'elle reconnaissait pour son chef, acquit une puissance qui éclipsa celle du roi. Le monarque eut pour ainsi dire les bras coupés, et les derniers Mérovingiens, même sans manquer d'initiative, d'énergie et d'activité, purent se faire baptiser du nom de rois fainéants.

 

Dagobert Ier. Les Austrasiens ne se contentèrent bientôt plus de la séparation qui existait déjà entre les trois royaumes mérovingiens. Il fallut que Clotaire leur donnât pour roi son fils Dagobert (622), avec Pépin l'Ancien — surnommé bien à tort Pépin de Landen — pour maire du palais, et saint Arnoul, évêque de Metz, comme principal conseiller. Sous le gouvernement de Dagobert, ou plutôt des deux grands hommes qui l'inspiraient, l'Austrasie jouit de la plus grande prospérité, et parvint à l'apogée de sa puissance. Un prince de la maison de Bavière fut puni de mort pour avoir désobéi au roi. Dagobert donna, de son autorité, un duc à la Thuringe, fit remanier les lois des Alemans et x des Bavarois, exerça une certaine suprématie sur les Saxons, et se fit redouter des Slaves et des Avares, auxquels ses états confinaient à l'est.

A la mort de Clotaire II (628), il s'empara de toute la monarchie franque, ne laissant à son frère Caribert que l'Aquitaine, et il transféra, malgré Pépin, sa résidence à Paris. Sous l'influence de son nouvel entourage, il prit d'autres principes de gouvernement. Jusqu'alors il avait partagé avec l'aristocratie la direction des affaires. Devenu roi de Neustrie, il régna en despote. Le mécontentement des Austrasiens allait toujours croissant. Ce fut sans doute là le motif pour lequel, de son vivant, il leur donna comme roi son fils Sigebert. Quelque temps après, la naissance d'un second fils occasionna un acte de partage en vertu duquel le nouveau-né, Clovis II, devait succéder à son père en Neustrie et en Bourgogne ; tandis que Sigebert aurait l'Austrasie. L'Aquitaine était partagée entre les deux princes, Caribert étant mort sans postérité[4].

 

Les rois fainéants. Les arrangements pris par Dagobert reçurent leur pleine exécution après sa mort (638). Avec Sigebert III et Clovis II, montés sur le trône, le premier à l'âge de neuf ans, le second de quatre, commence la période des rois fainéants, pendant laquelle les Francs n'eurent guère que des rois mineurs et incapables d'agir[5]. Dans de telles circonstances, la puissance des maires du palais devait inévitablement prendre des accroissements considérables. C'est ce qui arriva en effet. En Austrasie, spécialement, Pépin l'Ancien était tout-puissant ; à tel point que Grimoald, son fils, et son second successeur dans la mairie, après quelques années de l'exercice du pouvoir, crut le moment venu de déposer les Mérovingiens. Sigebert III étant mort (656), le maire du palais fit tonsurer le jeune Dagobert, l'héritier légitime de la couronne, le relégua dans un monastère en Irlande, et mit sur le trône son propre fils, Childebert. La tentative était prématurée, elle échoua. La vieille dynastie, malgré la profonde décadence de son pouvoir, conservait encore le respect des peuples. Les leudes austrasiens, indignés de l'ambition de Grimoald, s'emparent de sa personne et le livrent à Clovis, qui le fait mettre à mort. Les trois royaumes se trouvèrent de nouveau réunis, nominalement du moins, sous un même sceptre.

 

Lutte de l'Austrasie et de la Neustrie. Ebroïn. Ce ne fut pas pour longtemps. Quelques années après, deux fils de Clovis II, Clotaire III et Childéric II, régnaient simultanément, celui-ci en Austrasie, celui-là sur la Neustrie et la Bourgogne. Le maire de Neustrie était Ebroïn. L'énergie et la violence avec laquelle il poussa ses desseins politiques et réprima l'esprit d'indépendance des leudes, lui ont attiré, de la part des auteurs contemporains, des reproches, peut-être exagérés, qu'explique suffisamment la haine des partis. Il souleva contre lui une forte opposition, à la tête de laquelle était saint Léger, évêque d'Autun. Clotaire étant mort (670), Ebroïn voulait proclamer Thierry III, frère du roi défunt. Mais la majeure partie des leudes opta pour Childéric II. Aussi, le maire altier, que ses rigueurs avaient rendu odieux, s'estima-t-il heureux de pouvoir se retirer sain et sauf au monastère de Luxeuil. Quant à Thierry, on l'envoya continuer son éducation sous l'abbé de Saint-Denys. Wulfoald, déjà maire d'Austrasie, le fut aussi en Neustrie.' Le gouvernement de la Bourgogne fut confié à saint Léger. L'aristocratie triomphante imposa à Childéric des conditions qui r appellent l'Edit de Clotaire II, mais d'autres aussi, destinées à mettre des bornes à la puissance des maires du palais.

Cependant Childéric s'ennuya bientôt du rôle de roi fainéant, que la force des choses le contraignait de subir. Il voulut gouverner par lui-même. Saint Léger alla donc, par son ordre, rejoindre Ebroïn au monastère de Luxeuil, et le prince commença à régner en despote. Il fut assassiné et Thierry mis à sa place. Il y eut cependant un moment d'anarchie dont Ebroïn et Léger profitèrent pour sortir de prison. Les partis en vinrent aux mains, et la victoire ramena Ebroïn au gouvernement de la Neustrie et de la Bourgogne. Le vainqueur usa brutalement de sa victoire. Saint Léger eut les yeux crevés, puis fut mis à mort quelque temps après.

 

La bataille de Testry (687). L'Austrasie restait indépendante, et offrait un refuge à tous les leudes poursuivait la haine d'Ebroïn. Une collision entre les deux royaumes était inévitable. L'Austrasie mit à la tête de ses armées un personnage peu connu, nommé Martin, et Pépin, auquel la postérité a donné le surnom d'Héristal. Ce dernier était petit fils de saint Arnoul par son père, et de Pépin l'Ancien par sa mère[6]. L'avantage resta dans la bataille au parti neustrien. Martin, attiré dans une conférence, y fut lâchement tué par ordre d'Ebroïn. Heureusement pour Pépin et pour l'Austrasie, le tyran ne tarda pas à être lui-même assassiné ; et comme ses successeurs n'eurent rien de son habileté ni de son énergie, le temps ne manqua pas aux vaincus pour se remettre de leur défaite. Enfin, quand Pépin se sentit de force à tirer une éclatante vengeance, il déclara la guerre à Thierry et à son maire du palais nommé Berthaire. Les deux armées se rencontrèrent à Testry. Les Neustriens furent vaincus, sans être cependant écrasés ; car Berthaire continua de gouverner le royaume de l'ouest pendant plus d'un an, jusqu'au moment où il fut assassiné, peut-être à l'instigation de Pépin. Celui-ci saisit alors le pouvoir en Neustrie, et s'y fit remplacer par un certain Norbert, sur le dévouement duquel il pouvait compter. Après la mort de Norbert, le gouvernement de la Neustrie fut confié par Pépin à son fils Grimoald. Le duc d'Austrasie — c'est le titre que portait Pépin — avait, à Testry, sauvé l'unité du royaume franc ; il pouvait se considérer comme souverain de la monarchie mérovingienne tout entière. Sa victoire eut pour conséquence de rendre à l'élément germanique dans la Gaule la prépondérance que les Mérovingiens, et Dagobert notamment, semblent avoir tenté de faire passer aux Gallo-Romains.

 

Décadence de la puissance franque. Les peuples germaniques qui, sous Pépin l'Ancien, reconnaissaient l'autorité des rois francs, n'avaient pas attendu ces dernières dissensions pour secouer le joug. Dès la fin du règne de Dagobert Ier, la décadence du royaume avait commencé. Les Saxons, autrefois soumis à un tribut de cinq cents bœufs, ne le payaient plus ; le vasselage du duc de Thuringe était devenu purement nominal ; le duc de Bavière ne prêtait qu'une obéissance fort équivoque ; les Alemans, aussi bien que l'Aquitaine, avaient proclamé leur indépendance. Pépin se vit hors d'état de les remettre sous le joug. S'il battit les Frisons et leur enleva une partie de leur territoire, ses expéditions contre les Alemans, plusieurs fois renouvelées, semblent avoir obtenu peu de succès. Mais il avait jeté les fondements de la puissance carolingienne.

 

Charles Martel. Pépin avait eu trois fils : deux de Plectrude, et un autre d'Alpaïde. L'aîné des deux fils de Plectrude, Drogon, duc de Champagne, mourut quelques années avant son père, laissant quatre fils, dont le plus âgé pouvait avoir vingt ans. Le second fils de Plectrude, Grimoald, que nous avons vu élevé à la dignité de maire de Neustrie, fut assassiné pendant la dernière maladie de son père. Il laissait un jeune enfant de six ans, nommé Théodoald, qui, par l'ordre de Pépin, lui succéda dans la mairie de Neustrie. Il ne restait plus au vieux duc d'Austrasie que le fils d'Alpaïde, Charles, âgé de vingt-cinq ans environ, auquel la postérité a donné le glorieux surnom de Martel. On se serait attendu, puisque le vainqueur de Testry disposait du royaume comme d'un héritage privé, à le voir transmettre la mairie d'Austrasie, soit au fils aîné de Drogon, soit à Charles Martel. Que se passa-t-il à sa dernière heure ? Se laissa-t-il surprendre par la mort sans avoir fait de testament ? Exclut-il positivement Charles Martel et le fils de Drogon ? On n'en sait rien. Le fait est qu'après la mort de Pépin, Plectrude jeta le fils d'Alpaïde en prison et s'empara du pouvoir, au nom de Théodoald et de Dagobert III, dans toute l'étendue du royaume (714).

Une réaction éclata immédiatement en Neustrie contre la domination austrasienne. La faction de Plectrude fut vaincue, et la régente forcée de se retirer à Cologne. Charles Martel profita de ces conjonctures pour briser ses fers, et se créer un parti nombreux parmi les leudes austrasiens. Ragenfred, nouveau maire de Neustrie, fit alliance avec les Saxons et avec Radbod, duc des Frisons, auquel il céda vraisemblablement le territoire conquis sur la Frise par Pépin d'Héristal. L'Austrasie, divisée entre Plectrude et Charles, et attaquée à la fois par les Neustriens, les Frisons et les Saxons, se vit alors dans le plus grand danger. Charles Martel éprouva d'abord un échec de la part de Radbod, et Ragenfred contraignit Plectrude à le reconnaître. Mais lorsque les armées ennemies se furent séparées, Charles attaqua les Neustriens à leur retour et les vainquit, d'abord à Amblève, près de Malmedy, puis à Vincy, dans les environs de Cambrai. Les Neustriens eurent beau appeler à leur secours le duc d'Aquitaine, ils furent taillés en pièces près de Soissons, et Charles fut reconnu maire du palais dans toute l'étendue du royaume franc, c'est-à-dire de la Loire au Rhin (719). La divine Providence avait suscité fort à propos ce terrible guerrier, car la chrétienté et la civilisation allaient avoir besoin de son invincible épée.

 

Les Arabes en Gaule. C'était précisément l'époque où les Arabes, déjà maîtres de l'Asie jusqu'à l'Indus, arrivaient de conquête en conquête au pied des Pyrénées. Le voisinage d'un empire de 1.200 lieues de longueur, animé de cet esprit belliqueux, devenait inquiétant pour la monarchie franque. Un rapprochement s'opéra entre Charles Martel et le duc d'Aquitaine. Ce fut probablement à cette occasion qu'Eudes reconnut le maire du palais et conclut une alliance avec lui (720). L'année suivante, les Arabes passèrent les Pyrénées pour s'emparer de la Septimanie, dont les Wisigoths étaient encore en possession. Ils se rendirent maîtres de Narbonne puis, au lieu d'achever la conquête du pays environnant, s'abattirent sur l'Aquitaine et mirent le siège devant Toulouse. Mais Eudes leur fit essuyer une mémorable défaite et les contraignit de se retirer à Narbonne. Les deux ennemis semblèrent dès lors se craindre mutuellement ; aussi les Arabes, quatre ans après, lorsqu'ils eurent enfin achevé la conquête de la Septimanie, tournèrent-ils leurs armes contre la Bourgogne qui n'avait pas encore reconnu l'autorité de Charles Martel. Celui-ci, occupé à guerroyer en Bavière, ne tenta pas de les repousser. Il n'était peut-être d'ailleurs pas trop mécontent de voir des provinces réfractaires devenir le théâtre de ravages qui allaient probablement les forcer à se jeter dans ses bras. Cependant le duc d'Aquitaine avait cherché par des voies pacifiques à se mettre à couvert de nouvelles attaques. Sa fille avait épousé Othman, général musulman des armées de Septimanie. Fort de cette alliance, il crut pouvoir fouler aux pieds le traité conclu avec le - maire du palais, et quand Charles Martel, lui déclara la guerre, le duc d'Aquitaine appela son gendre à son secours. Malheureusement pour lui, le calife venait d'envoyer en Espagne un nouveau gouverneur qui, non content d'avoir procuré la mort d'Othman, son ennemi, voulut encore poursuivre sa vengeance sur le beau-père de sa victime. Eudes se vit donc attaqué par deux armées à la fois, les Francs et les Arabes. Vaincu par ces derniers, il implora l'alliance de Charles Martel, qui l'accueillit, soit par grandeur d'âme, soit que l'imminence du danger le mît dans la nécessité d'accepter tout renfort qui se présentait.

 

Bataille de Poitiers (732). Les Arabes, cependant, s'avançaient en dévastant l'Aquitaine ; la basilique de Saint-Hilaire de Poitiers avait été livrée aux flammes ; ils avaient pris la route de Tours, dans l'intention d'y piller les riches trésors accumulés par la piété des fidèles au tombeau de saint Martin. Charles ne leur en laissa pas le temps. Les vastes plaines qui s'étendent entre Tours et Poitiers, furent le champ de bataille où se rencontrèrent les formidables armées dont le choc allait décider du sort de deux mondes. Pendant sept jours, elles restèrent à s'observer face à face. Le huitième seulement on en vint aux mains. Les masses épaisses et serrées de l'infanterie germaine opposent de toutes parts, à la brillante et impétueuse cavalerie arabe, comme un mur inébranlable hérissé de lances contre lequel la fougue ennemie vient se briser. Les Austrasiens surtout, par leur taille gigantesque, leur force herculéenne, leurs bras de fer et la vigueur de leurs coups, étonnent les Musulmans, qui ne se retirent cependant qu'après vingt charges inutiles et la perte de leur chef. La nuit protégea leur fuite.

La bataille de Poitiers, par la grandeur des résultats, est une des plus importantes dont l'histoire nous ait conservé le souvenir. Aussi l'imagination populaire en fut-elle vivement frappée, et elle s'est plu à l'orner de circonstances merveilleuses. On racontait que les chrétiens n'avaient perdu que 1.500 des leurs, et les Arabes 375.000 hommes. Au dire des Musulmans, pendant plusieurs années, on entendit dans le champ funèbre les cris lugubres des morts implorant pour leurs âmes les prières des vivants. Ce qui est vrai, c'est que la victoire de Poitiers était celle du Christianisme sur l'Islamisme et de la civilisation sur la barbarie. Le misérable état de l'Orient nous présente une fidèle image de ce que seraient devenues nos contrées, si Charles Martel vaincu, la domination du Croissant avait pu s'y établir. Au reste, si les Arabes ne recommencèrent plus leurs agressions, la cause n'en est pas seulement dans le succès obtenu par le maire du palais. Les dissensions intestines qui déchiraient dès lors le Califat, furent pour l'Islamisme un bien plus fort obstacle à de nouvelles conquêtes.

 

Rétablissement de la monarchie franque dans ses anciennes limites. Le vainqueur passa tout son règne en combats continuels, soit à l'intérieur du royaume, contre des rebelles, soit à l'extérieur, contre des peuples autrefois soumis, qui avaient profité du désordre des derniers événements pour se révolter. Toutes les résistances furent brisées. La Bourgogne, qui s'était séparée, se courba sous le joug ; l'Aquitaine reconnut la suzeraineté franque ; la Saxe consentit à payer tribut ; l'Alemanie et la Frise furent conquises ; la Bavière seule semble avoir défendu avec assez de succès son indépendance, contre ce terrible guerrier.

 

Pépin le Bref et Carloman (741). Lorsque Charles Martel sentit approcher sa fin, il tint conseil avec les principaux personnages du royaume et, de leur avis, partagea ses états entre les deux fils de sa première femme, Pépin et Carloman. La mort de l'invincible héros fut comme le signal d'un soulèvement général des peuples vassaux. L'Aquitaine, la Bavière, l'Alemanie et la Saxe se déclarèrent indépendantes. Après la mort de Thierry IV, c'est-à-dire depuis sept ans, le trône des Mérovingiens était resté vacant, Charles Martel n'ayant pas jugé nécessaire de donner un successeur à celui qui n'avait plus que l'ombre du pouvoir. Carloman et Pépin sentirent la nécessité de ménager l'opinion en replaçant la couronne sur la tête d'un prince chevelu. Malgré son profond abaissement, la famille du grand Clovis se voyait encore entourée d'un certain respect quasi superstitieux, dont un héros comme Charles Martel, illustré par cent victoires, pouvait ne pas trop tenir compte, mais qui était capable de faire obstacle à de jeunes princes nouvellement arrivés au pouvoir. La présence de ce fantôme de roi sur le trône était, pour les fils de Charles Martel, le gage de la fidélité de leurs peuples. Rassurés ainsi contre un soulèvement intérieur, Pépin et Carloman purent porter librement leurs armes contre les ennemis du dehors, qu'ils eurent bientôt courbés sous le joug.

 

Retraite de Carloman au Mont-Cassin (747). Cependant Carloman avait puni les révoltés avec une barbarie ou, tout au moins, avec une sévérité que sa conscience lui reprochait comme un crime. Pénétré de componction et dégoûté du monde, il se retira au monastère du Mont-Cassin, en Italie, laissant ses états à son fils Drogon, sous la tutelle de Pépin. Sa retraite eut pour résultat de réunir toute la monarchie mérovingienne sous le pouvoir de Pépin et d'aplanir ainsi à ce dernier le chemin du trône.

 

Pépin roi des Francs (752). Après dix ans d'un gouvernement glorieux marqué par de nombreuses victoires, Pépin pouvait enfin se passer des Mérovingiens qui, de la royauté, avaient conservé le nom seul sans le pouvoir. Rejeton d'une race illustre et puissante qui, depuis près d'un siècle, gouvernait, avec sagesse et fermeté, le plus vaste état de l'Europe, et de laquelle étaient issus les vainqueurs de Testry et de Poitiers, le fils de Charles Martel se trouvait dans de meilleures conditions que le fils de Pépin l'Ancien. Il pouvait en toute sécurité tenter une expérience dont Grimoald était devenu la victime. Il convoqua l'assemblée des grands ; sans son consentement une nouvelle dynastie, d'après les idées germaniques, ne pouvait monter sur le trône et prétendre à la légitimité. Il n'y eut qu'une voix pour acclamer la royauté de Pépin. Cependant, pour procéder en toute sûreté de conscience, on demanda au souverain pontife son avis sur la licéité du changement projeté. Le pape Zacharie répondit que Pépin exerçant de fait le pouvoir royal, il était tout simple qu'il portât aussi la couronne. Ainsi les Carolingiens furent élevés au trône par le vote de l'assemblée, et la légitimité de cette élection fut reconnue par le chef de la chrétienté. Il n'y eut proprement, en cette occasion, ni changement de dynastie, ni révolution dans le gouvernement. La dynastie remontait en réalité à Pépin d'Héristal ; sous Pépin le Bref, il se fit une translation, non du pouvoir, mais du titre uniquement. On débarrassait seulement le char de l'Etat d'une cinquième roue qui, à un moment donné, aurait pu en enrayer la marche. Childéric III et son fils subirent le sort réservé dans ce siècle à toutes les grandeurs déchues : ils furent relégués dans des couvents, et leur nom disparait dès lors de l'histoire. Dragon, fils de Carloman, renonça à ses droits, et ses frères, de gré ou de force, revêtirent l'habit monastique. La cérémonie religieuse du sacre, inusitée sous les Mérovingiens, conféra à la nouvelle dynastie ce caractère d'inviolabilité que les rois chevelus devaient à la haute antiquité de leur race.

Une grande partie du règne de Pépin se passa en des guerres contre les Saxons et les Bavarois, et surtout contre Waïfre, duc d'Aquitaine. Il ne lui fallut pas moins de neuf campagnes pour faire la conquête de ces dernières provinces. La Septimanie fut également réunie à l'empire franc, et les Arabes rejetés pour toujours au delà des Pyrénées.

Mais le fait, le plus important du règne de Pépin, ce fut son intervention en Italie, qui eut pour résultat l'établissement du pouvoir temporel des papes.

 

§ IV. — ORIGINE DU POUVOIR TEMPOREL DES PAPES.

 

Etat de l'Italie dans la première moitié du VIIIe siècle. Dans la première moitié du VIIIe siècle, avant l'intervention de Pépin le Bref en Italie, trois puissances se partageaient la domination dans la Péninsule : les rois lombards, le souverain pontife et l'empire byzantin, représenté par l'exarque de Ravenne.

La préoccupation constante des rois lombards avait été de soumettre l'Italie entière à leur sceptre. A l'époque dont nous nous occupons maintenant, ils semblaient bien près de réaliser complètement le rêve de leur ambition. A l'exception de l'Exarchat de Ravenne, de la Pentapole, du duché de Rome et d'une partie de la Campanie et de la Calabre, qui subissaient encore le pouvoir chancelant des empereurs, toute la presqu'île reconnaissait la souveraineté des conquérants germains.

L'empereur avait, dans les provinces de sa domination, des patrices ou ducs, auxquels les peuples obéissaient encore, grâce surtout aux souverains pontifes. Mais la puissance byzantine était trop affaiblie pour pouvoir défendre ses provinces d'Italie contre une agression extérieure ou contre un soulèvement en masse. Réduit à la Grèce, à la Macédoine, à la Thrace et à l'Asie Mineure, exposé sans cesse aux incursions des Slaves et des Bulgares des contrées danubiennes, aux attaques des Musulmans en Asie, l'empire d'Orient était encore, par la faute de ses maîtres, divisé en factions religieuses. Aussi, pour obtenir la permission de conserver quelques lambeaux de la Péninsule, avait-il consenti à payer un tribut aux Lombards. Dans de telles conjonctures, Léon l'Isaurien excita un soulèvement des catholiques d'Italie par ses édits impies contre les saintes images. Il fallut l'intervention du pape Grégoire II pour apaiser la révolte.

Dans le duché de Rome, le pape, sans avoir le pouvoir souverain, exerçait de fait une autorité fort étendue, que le prestige de sa' dignité, la sagesse, la vertu et les bienfaits de la plupart des souverains pontifes avaient acquise au Saint-Siège. C'était le pape qui avait en main l'administration municipale de Home et des autres villes du duché ; c'était lui-qui était chargé des relations étrangères les plus importantes. Le duc n'était en quelque sorte que son lieutenant. Si le pouvoir impérial venait à faillir en Italie, le successeur au trône était tout désigné : le pape devenait par le fait même souverain légitime.

 

La donation de Pépin. Liutprand, qui ceignit la couronne de fer[7] en 713, conçut le projet d'étendre la domination lombarde sur la Péninsule entière, sans en excepter Rome. Ce furent les papes qui, dans l'impuissance où étaient tombés les souverains d'Orient, eurent à se charger de la défense des provinces envahies. Ils ne cessaient de demander du secours à Constantinople. Ce fut en vain, on ne put leur en fournir. Alors ils se tournèrent du côté des Francs. Grégoire III implora l'assistance de Charles Martel, mais sans en rien obtenir. Le duché de Rome échappa cependant aux armes de Liutprand. Astolf, second successeur de ce prince, reprit ses desseins de conquête, mais avec plus d'énergie. Tout dut plier, et Rome était menacée de tomber bientôt sous la domination des Barbares. Abandonnés par l'empereur, le pape Etienne II et les Romains étaient bien libres de se considérer comme déliés envers lui ; et il leur était certainement permis de ne pas se soumettre au roi Lombard. Le souverain pontife se rendit donc en Gaule auprès de Pépin, qui tint à Kiersy une assemblée nationale (754). Là, le pape obtint un acte de donation, signé par le roi, ses deux fils et tous les grands du royaume et confirmé sous serment. On s'engageait à mettre l'Eglise romaine en possession de tout ce que l'on pourrait conquérir, non seulement fies riches patrimoines enlevés par les rois lombards à saint Pierre, comme on -disait alors, mais encore des provinces où étaient situés ces patrimoines, et d'en conférer au vicaire de J.-C. la souveraineté.

L'armée franque entra en Italie l'année 754. A la nouvelle de son arrivée, Astolf, qui était à la tête de ses troupes dans le duché de Rome, accourut à sa rencontre avec toutes ses forces. Il fut vaincu, assiégé dans Pavie, et bientôt forcé de capituler. Il promit de rendre tout ce qu'on lui redemandait, livra des otages et reconnut la suzeraineté du roi des Francs. Mais à peine le vainqueur avait-il quitté l'Italie, qu'Astolf viola tous ses serments et refusa de rendre au pape un pouce de terrain. Il fallut que, sur les plaintes d'Etienne, Pépin revînt une seconde fois, en 756. Astolf fut encore battu et, cette fois, obligé, d'abandonner au Saint-Siège, par acte écrit, et de livrer effectivement les territoires qu'il retenait au mépris du traité de 754. Les papes se trouvèrent ainsi souverains d'un Etat dont les limites étaient à peu près les mêmes qu'en 1860 avant l'invasion piémontaise. Il comprenait la plus grande partie de l'Exarchat, la Pentapole, le duché de Rome et quelques autres territoires moins considérables. Cependant il n'est pas certain que le Pontife possédât la souveraineté complète. Le roi des Francs semble avoir exercé une sorte de suzeraineté, quoique mal définie, sur les Etats Pontificaux, dont il était le protecteur sous le titre de Patrice des Romains.

 

§ V. — CHARLEMAGNE.

 

Œuvres de Charlemagne. Pépin le Bref, dans sa dernière maladie (768), avait partagé ses états entre ses deux fils, Carloman et Charles auquel la postérité a donné le nom de Charlemagne. Carloman ne tarda pas à mourir (771) ; ses enfants furent exclus de la succession, et Charlemagne réunit la monarchie entière sous son sceptre. Le règne de ce prince est le plus remarquable que nous offre le moyen âge, tant au point de vue militaire, législatif et administratif, que sous le rapport de l'impulsion imprimée à la civilisation. Pendant les quarante-trois ans qu'il gouverna seul la monarchie, Charlemagne fit plus de cinquante campagnes et d'importantes conquêtes, qui rétablirent temporairement l'unité politique de l'Occident et reculèrent les frontières du Christianisme et du monde policé. Ses conquêtes prodigieuses, dit Bossuet, furent la dilatation du règne de Dieu. Son empire, il est vrai, ne lui survécut pas longtemps, mais Charlemagne avait établi partout une certaine uniformité d'institutions qui se perpétua pendant tout le moyen âge et bien encore au-delà. Il édicta une foule de lois très sages et, en maintenant l'ordre à l'intérieur durant une si longue période, donna plus de consistance et de stabilité aux institutions et à la société. Enfin les lettres brillèrent autour de lui avec un éclat d'autant plus remarquable, que les ténèbres avaient été plus profondes avant son règne et reparurent bientôt après sa mort.

 

Cause des guerres contre les Saxons. Depuis deux cents ans, les Saxons avaient été continuellement aux prises avec les Francs. Forcés parfois de payer tribut à leurs vainqueurs, ils avaient saisi toutes les occasions de rejeter ce fardeau, et plusieurs fois aussi assumé le rôle d'agresseurs. Charlemagne, sans attendre de nouvelles provocations, crut que le seul moyen de mettre un terme à des hostilités sans cesse renaissantes était d'incorporer complètement les Saxons à son empire et de les convertir au Christianisme. La guerre contre ces païens, ennemis séculaires de la puissance franque, était, aux yeux du grand monarque, une croisade et une défense préventive contre des agressions inévitables. Elle recommença à différentes reprises. Les hostilités s'ouvrirent en 772 ; la soumission complète du pays ne s'effectua qu'en 804.

 

Etat de la Saxe. La Saxe embrassait toute la plaine comprise entre le royaume actuel de Hollande, à l'ouest, l'Elbe et la Saale, à l'est. La mer du Nord et l'Eyder en formaient la limite septentrionale. Au sud, elle s'étendait jusqu'à l'Unstruut et au-delà de la Lippe.

Les Saxons se divisaient en quatre groupes : les Westphaliens, les Ostphaliens, les Angriens et les Nordelbingiens. Charlemagne n'eut jamais à les combattre tous à la fois, et l'on ne saurait trop dire si cette circonstance favorisa l'attaque ou en augmenta la durée et les difficultés.

Ces peuples avaient encore conservé l'ancienne constitution populaire, telle à peu près qu'elle existait chez les Germains du temps de Tacite. Leurs nombreuses tribus avaient chacune à leur tête un chef ou prince, élu par le suffrage commun, et qui, probablement, portait le nom d'ælterman — ancien. C'était parmi ces princes que l'on choisissait, par la voie du sort, le chef commun, lorsqu'une guerre éclatait. De tous les peuples germaniques, les Saxons étaient, à cette époque, les plus barbares ; et ce fait réfute à lui seul l'opinion de certains auteurs d'après lesquels les Germains auraient pu, sans le secours du Christianisme et de l'influence étrangère, parvenir à la plus haute civilisation.

 

Guerres contre les Saxons. Nous n'entrerons pas dans le détail des dix-huit expéditions que Charlemagne entreprit contre eux. Qu'il nous suffise de dire que leur résistance, principalement sous le fameux Witikind, fut d'une énergie à toute épreuve. Vaincus, ils courbaient la tête, mais pour se relever, aussitôt que s'était éloigné le bras de fer qui seul pouvait les dompter. A chaque nouveau soulèvement, Charlemagne leur infligea des châtiments plus durs et multiplia davantage les précautions contré des troubles ultérieurs.

Il publia, pour établir le Christianisme et affermir sa domination en Saxe, un édit véritablement sanguinaire, bien éloigné de l'esprit de l'Evangile et de l'Eglise. Il faut toutefois dire, à la décharge de Charlemagne, qu'il ne faisait que suivre en cela la barbarie générale de son temps. Sa conduite parut toute naturelle à ses contemporains[8].

En vertu du capitulaire De Partibus Saxoniæ, la peine de mort est infligée à ceux qui refusent le baptême ou qui, au mépris des lois de l'Eglise, mangent de la viande en carême sans nécessité. Mais il suffisait qu'un prêtre attestât que le délinquant était. venu faire aveu de sa faute et en demander pénitence, pour que la loi restât désarmée. Les Saxons conservèrent leur liberté et leurs institutions, mais leur pays fut réduit en provinces de la monarchie franque.

 

Soumission et conversion de la Saxe. Les rigueurs exercées par le conquérant n'empêchèrent pas des révoltes d'éclater encore dans la suite, mais elles furent sévèrement réprimées. Charlemagne transféra dans des pays éloignés un grand nombre de rebelles. Ce ne fut qu'en 804 que la soumission parut complète. La hiérarchie ecclésiastique avait été organisée en Saxe ; la conversion des habitants fit de rapides progrès, et à la suite du Christianisme arriva la civilisation. Après deux générations, on ne voyait plus aucune différence, entre les Saxons et les peuples depuis longtemps convertis. En les conquérant à son empire et au Christ, Charlemagne, qui déjà auparavant s'était rendu maître de la Bavière, achevait de réunir en une seule nation les différents peuples germaniques. L'unité de l'Allemagne était fondée.

 

Guerres contre les Lombards. Au moment où Charlemagne terminait sa première expédition en Saxe, une lettre du pape Adrien Ier l'invita instamment à passer en Italie pour défendre les Etats pontificaux contre les entreprises de Didier, roi des Lombards.

La cour de Pavie était le refuge de quiconque faisait opposition aux rois carolingiens. Après la mort de Carloman, elle avait reçu à bras. ouverts la veuve et les enfants du prince défunt, et dès lors la politique de Didier -tendit à faire sacrer par le souverain pontife les neveux de Charlemagne, pour susciter au monarque franc des compétiteurs, et jeter la division parmi ses sujets. Mais il rencontra, de la part d'Adrien une résistance inébranlable, et lorsque, pour forcer son consentement, il envahit l'Etat ecclésiastique, le Saint-Siège demanda l'appui du vainqueur des Saxons.

Malgré tous les motifs de mécontentement qu'il avait contre Didier, Charlemagne n'entreprit la guerre qu'après avoir épuisé les négociations. Il força le passage des Alpes, battit l'ennemi et s'empara de toute la Lombardie. Didier fut relégué dans un monastère. Quant à Charlemagne, il n'incorpora pas le royaume lombard à ses autres états, mais lui laissa son existence distincte, et se contenta d'unir sur sa tête la couronne de fer à celle des rois francs (774). Deux ans après, Adelgise, fils de Didier, soutenu par la cour de Constantinople et ligué avec quelques ducs lombards, essaya de soulever l'Italie. Mais Charlemagne avait été informé de tout par le souverain pontife. Des extrémités de la Germanie, où il était occupé à combattre les Saxons, il parut inopinément sur l'Adige. La rébellion fut écrasée. Le vainqueur, pour prévenir de nouvelles révoltes, substitua partout des comtes francs aux ducs lombards, excepté à Bénévent, dont le duc se reconnut seulement vassal et tributaire de Charlemagne (776). Des mécontentements se manifestèrent encore parfois dans la suite et des soulèvements éclatèrent, mais sans avoir de graves conséquences. Maître de la plus grande partie de l'Italie, Charlemagne se vit bientôt appelé à porter ses armes au-delà des Pyrénées.

 

Les Califes abbassides. Malgré quatre-vingts ans de gloire signalés par d'immenses conquêtes, par la prospérité commerciale et une propagation rapide de l'Islamisme, les Ommiades n'avaient pu faire oublier leur usurpation. Les dévots musulmans supportaient impatiemment d'être gouvernés par l'odieuse famille des persécuteurs du Prophète. Plusieurs révoltes avaient éclaté sans succès. Mais au milieu du vins siècle, Aboul-Abbas, descendant d'Abbas, oncle de Mahomet, renversa la dynastie régnante (750), et commença la lignée des califes abbassides, presqu'au même temps où Pépin le Bref enlevait la couronne franque aux Mérovingiens. Abd-el-Rhaman échappa seul au massacre de sa maison. Tandis que son-ennemi établissait à Bagdad le siège de sa puissance, le prince fugitif abordait en Espagne et, après une lutte acharnée, y fondait une souveraineté indépendante qui allait bientôt devenir le Califat de Cordoue. Pour lui, il se contenta du titre d'émir. Cependant les Abbassides comptaient dans la Péninsule de nombreux partisans, et une foule d'ambitieux voulurent profiter des troubles pour se créer des principautés indépendantes. Abd-el-Rhaman fut assez heureux pour repousser les armées du calife de Bagdad, et pour dompter toutes les résistances intérieures. Les chefs des factions vaincues appelèrent la France à leur aide.

 

Expédition de Charlemagne en Espagne (778). Charlemagne voyait dans cette expédition une guerre sainte, dont le résultat devait être de faire reculer le Croissant et de soustraire au joug infidèle des peuples catholiques. Elle lui offrait surtout l'occasion de conquérir de nouvelles provinces, dont la possession lui faciliterait la soumission des peuplades gasconnes encore à moitié indomptées. Il répondit donc à l'appel qui lui était fait.

Deux armées franchirent les Pyrénées sur deux points à la fois et poussèrent jusqu'à l'Ebre. L'histoire de cette campagne est extrêmement obscure ; la seule chose qui soit assez certaine, c'est que l'entreprise échoua complètement. En repassant les Pyrénées, l'arrière-garde de l'armée franque fut taillée en pièces, par les Gascons, dans les défilés de Roncevaux. C'est dans cette circonstance que périt Roland, comte des frontières de Bretagne, héros des plus fameux dans la poésie, fort peu connu dans l'histoire.

 

Guerres contre les Avares. Tassilon, duc de Bavière, forcé de reconnaître la suzeraineté du grand roi, ne supportait le joug qu'en frémissant. Pour s'en défaire, il conclut une alliance avec les Avares, dont le royaume correspondait à peu près à l'empire d'Autriche actuel. Charlemagne fut informé de ses menées par les Bavarois eux-mêmes. Forcé de comparaître devant son suzerain à la diète d'Ingelheim, Tassilon fut convaincu de trahison et relégué, ainsi que sa femme et ses enfants, dans un monastère (788). Le roi réunit la Bavière à ses états et lui donna des comtes pour gouverneurs. Deux armées d'Avares, qui avaient pénétré dans la Bavière et le Frioul, furent battues. Mais Charlemagne ne se contenta pas de rester sur la défensive. Les années suivantes, plusieurs expéditions furent dirigées avec grand succès contre le royaume des Avares, dont le souverain dut reconnaître la suzeraineté de Charlemagne. Telles étaient les richesses amoncelées dans leur capitale par ces peuples de pillards et enlevées par les vainqueurs, qu'à partir de cette époque, l'or perdit beaucoup de sa valeur. Une partie des Avares embrassa le Christianisme.

 

Le règne de Charlemagne vit encore bien d'autres événements, par exemple : l'établissement des Marches de Gothie et d'Espagne, sur le versant méridional des Pyrénées, grâce aux armes de Louis le Débonnaire ; des guerres contre les Slaves, Bohèmes, Sorabes ou Wilzes. Mais il serait long de tout énumérer.

 

Etendue des Etats de Charlemagne. Par ses nombreuses victoires, le grand conquérant avait réuni sous son sceptre près de la moitié de l'Europe. Ses Etats, en y comprenant les provinces tributaires ou vassales, avaient pour limites, au nord, la mer du Nord, l'Eyder et la Baltique jusqu'à l'Oder ; à l'est, l'Oder et la Theiss ; au midi, la Méditerranée, l'Ebre et le duché de Bénévent ; à l'ouest, l'Océan Atlantique et la Manche.

 

Rétablissement de l'empire d'Occident (800). Le jour de Noël de l'an 800, Charlemagne, que des troubles graves avaient obligé de faire le voyage de Rome, se rendit en grande cérémonie à la basilique de S. Pierre, pour assister à l'office divin. Pendant qu'il priait, le pape saint Léon III s'approcha de lui et lui posa sur la tête la couronne impériale. Aussitôt la multitude éclata en cris de triomphe et d'allégresse : A Charles, très pieux, auguste, couronné de Dieu, grand et pacifique empereur, vie et victoire !

Ce n'était pas un simple titre d'honneur que le monarque franc reçut en cette circonstance. Le souverain pontife et Charlemagne, qui avaient de longue main, préparé l'événement, voyaient dans cette cérémonie le rétablissement de l'empire d'Occident en face de l'empire d'Orient, sur le pied d'une parfaite égalité. Aussi Charlemagne et ses successeurs se considérèrent-ils dès lors comme héritiers des Césars, et la cour de Constantinople conçut-elle une vive indignation à la nouvelle de ce qui s'était passé. Jusqu'à ce moment la dignité impériale avait mis les souverains de Byzance bien au-dessus de toutes les royautés, même dans l'esprit des conquérants barbares. Alaric, Odoacre, Clovis, s'étaient crus assez-honorés de porter les insignes du consulat ou du patriciat romain. L'acte solennel du 25 décembre de l'an 800 plaçait Charlemagne à côté des Césars de Constantinople, et signifiait aux successeurs de Théodose et de Justinien qu'ils devaient renoncer à leurs prétentions sur l'Occident. L'empereur d'Orient voulut défendre par les armes ce qu'il appelait son droit, mais il finit, après quelques années' d'hostilités et de négociations, par s'accorder avec son rival. Charlemagne abandonna à Nicéphore, Venise, la Dalmatie et les provinces méridionales de l'Italie ; Nicéphore, en retour, reconnut Charlemagne comme empereur.

 

Portrait de Charlemagne. Charlemagne mourut, en 814, à l'âge de 70 ans environ. Eginhard, son ami, son confident et son historien, nous en a laissé un portrait, où nous retrouvons non seulement le souverain, mais encore l'homme dans la vie intime. Sa taille élevée, sa forte et belle carrure, son visage ouvert lui donnaient un aspect majestueux. Cependant, on s'étonnait, dans une première entrevue, d'entendre sortir de ce corps athlétique une voix presque grêle, quoique sonore. Simple dans ses manières, il portait toujours le costume franc, si ce n'est dans les grandes cérémonies, où ses habits étincelaient d'or et de pierres précieuses. Quoique sobre, il se résignait difficilement au jeûne, et détestait les médecins, dit Eginhard, parce qu'ils lui interdisaient le rôti, et voulaient lui imposer les viandes bouillies, comme meilleures pour sa santé. Du reste, il faisait peu de cas de leurs prescriptions et ne s'y tenait guère. Son plus grand bonheur était de se trouver au milieu de sa famille ; malheureusement les exemples qu'il lui donna ne furent pas toujours des plus édifiants, et ils furent imités. Il parlait avec éloquence et facilité, aimait et protégeait les lettres, les arts et les sciences, et s'y adonna. lui-même avec passion. Le latin lui était aussi familier que sa langue maternelle, et il comprenait le grec. Toutefois, il n'apprit à écrire que dans mi âge assez avancé, et ne fit jamais des progrès considérables en calligraphie. Plein de piété, il était assidu aux offices de l'Eglise, contribuait à l'ornementation des temples, et ne dédaignait pas de veiller par lui-même à la parfaite décence des cérémonies. Pendant ses repas, un clerc lui faisait une lecture, soit dans les histoires et les chroniques du temps passé, soit dans les ouvrages de saint Augustin. On peut lui reprocher certains actes de cruauté, à l'égard des Saxons, par exemple, et il ne sut pas toujours, malgré l'indépendance habituelle de son caractère, se soustraire à l'influence mauvaise de Fastrade, sa quatrième épouse. Fort charitable envers les pauvres, il ne se contenta pas de soulager ceux de son empire ; ses aumônes allaient les chercher jusque sur les plages lointaines de l'Asie et de l'Afrique. S'il entretint des relations avec les princes d'outre-mer, et spécialement avec le calife de Bagdad, l'illustre Haroun-al-Raschid, c'était surtout pour procurer des secours aux chrétiens qui vivaient sous leur domination. En définitive, malgré quelques taches qui ont déparé sa vie, il a mérité le titre de grand attaché inséparablement à son nom.

 

§ VI. — DÉMEMBREMENT DE L'EMPIRE CAROLINGIEN.

 

Causes du démembrement. A peine Charlemagne fut-il descendu dans la tombe, que le démembrement de l'Empire commença. Les provinces espagnoles proclamèrent leur indépendance, sans que jamais les généraux francs pussent les ramener il la soumission. Louis le Débonnaire, le faible fils du grand empereur, n'avait pas les qualités nécessaires pour maintenir un si vaste état, lequel d'ailleurs renfermait dans son sein plusieurs causes de décadence. La première de ces causes était la détestable' coutume toujours persistante de partager l'Empire, comme un héritage, entre les enfants des rois. En second lieu, la monarchie carolingienne manquait d'unité ; elle embrassait des peuples tout différents de races, d'intérêts, de mœurs, d'idiomes. Or, pour former une nation, l'unité de nom et de gouvernement ne suffit pas. Il faut encore la similitude des institutions, des mœurs, des idées, de la langue ; il faut des intérêts communs. Sans cette unité morale, l'unité politique n'est que précaire, sinon impossible. En tout cas, elle ne peut être maintenue que par un puissant génie ou une savante organisation dont ces siècles barbares n'avaient pas d'idée. Charlemagne, avec son immense talent et son énergie extraordinaire, avait bien pu créer une unité factice ; elle devait disparaître avec lui. De nouvelles invasions barbares hâtèrent encore le mouvement de dislocation.

 

Règne de Louis le Débonnaire (814-840). Une des premières préoccupations de Louis le Débonnaire fut d'assurer pour l'avenir l'unité de l'empire franc. Dès l'année 817, dans une assemblée générale, à Aix-la-Chapelle, il régla le partage qui devait s'accomplir à sa mort, et lui donna un commencement d'exécution en associant ses fils, lors de leur majorité, au gouvernement des provinces qui leur étaient destinées. Les deux princes, Pépin et Louis le Germanique, ne devaient avoir que des états peu considérables, sous la suprématie de Lothaire, leur aîné, appelé à régner avec le titre d'empereur, sur toute l'étendue de la monarchie. Mais bientôt la naissance d'un quatrième héritier, qui fut Charles le Chauve, vint tout brouiller. Il fallut prendre de nouveaux arrangements. De là, des mécontentements et des révoltes. Le règne presque entier de Louis fut rempli par des partages et des guerres civiles entre le malheureux père et ses enfants. A la mort de l'empereur, la question .de la succession restait dans une indécision presque complète. Pépin avait précédé son père au tombeau.

 

Traité de Verdun (843). La guerre éclata entre les fils de Louis : Lothaire voulant s'assurer la suprématie que lui attribuait la charte de 817, ses frères prétendant partager avec lui l'héritage paternel sur le pied de l'égalité. Les armées se rencontrèrent à Fontanet, près d'Aux erre, où Lothaire fut vaincu par Charles le Chauve et Louis le Germanique. C'en était fait de l'unité de l'Empire. Le traité de Verdun, conclu entre les trois frères, en consacra le démembrement. Louis eut la Germanie presque tout entière ; Charles, tout le pays situé à l'ouest du Rhône, de la Saône et de l'Escaut[9]. Les états de Lothaire se composaient donc de l'Italie et d'une longue bande étroite qui s'étendait de la Méditerranée à la mer du Nord[10]. Lothaire obtint, pour tout avantage sur ses frères, le titre purement honorifique d'empereur. Le traité de Verdun peut être considéré comme l'origine du royaume de France et de l'empire d'Allemagne.

 

Démembrement définitif. Le démembrement ne s'arrêta pas là. A la mort de Lothaire Ier, son royaume fut à son tour partagé, et il en sortit, après diverses vicissitudes, le royaume d'Italie, celui de Bourgogne, et la Lotharingie. L'empire de Charlemagne fut encore presque tout entier réuni momentanément sous Charles le Gros, que son incapacité fit déposer (887). Après quoi les différents royaumes reprirent définitivement leur indépendance.

 

 

 



[1] Barthélemy Saint-Hilaire.

[2] Les exemples du maitre furent pour ses disciples un encouragement à la débauche et à la cruauté, de l'aveu même d'un de ses plus fervents admirateurs, et Mahomet eut l'effronterie impie de sanctionner sa conduite par un texte du Coran.

[3] Nous ferons observer à ce propos que, pendant bien des siècles, les personnages morts en réputation de sainteté furent mis sur les autels, non par le pape, mais par les églises particulières. Ce jugement des simples évoques n'était pas infaillible. Non seulement, dit Benoît XIV (De Serv. Dei Beatif., l. I, cp. 42, n. 6), ils ont pu se tromper, mais, de fait, ils sont parfois, sur ce point, tombés dans l'erreur. Il ne répugne donc pas absolument qu'il se trouve au Martyrologe, parmi les saints antiques, quelque nom indigne d'y figurer. Je ne crois pas que saint Gontran soit dans ce cas ; mais il est bien possible, sinon certain, que s'il avait dû subir le procès auquel sont soumis les saints que l'Eglise canonise aujourd'hui, il n'en serait pas sorti avec les honneurs du triomphe.

[4] Il laissait un seul enfant qui suivit de près son père au tombeau.

[5] Bonnell, Die Anfünge des Karolingischen Hauses, p. 226, a montré par les diplômes, que les rois fainéants n'ont jamais été relégués dans une ferme, d'où les maires du palais ne les tiraient qu'une fois l'an, comme le répètent beaucoup d'histoires du moyen âge, entre autres celle de Duruy, 4e édit., p. 86.

[6] Bonnell, Die Anfünge des Karolingischen Hauses, chap. Ier, a montré le peu de créance que méritent les généalogies qui rattachent à la famille Carolingienne sainte Begge, sainte Gertrude, sainte Gadule, Ferréolus, saint Firmin, etc.

[7] C'est ainsi que se nommait la couronne des rois lombards. Elle était d'or, mais portait, à l'intérieur, un cercle de fer, formé, dit-on, d'un des clous qui servirent à crucifier notre divin Sauveur. — Voyez Migne, Patrologie latine, t. 95, col. 551 et 555.

[8] Pour avoir le droit de leur jeter la pierre, notre siècle aurait peut-être dû montrer plus d'indignation au spectacle des souffrances de la Pologne et de l'Irlande.

[9] Je ne donne les limites qu'approximativement.

[10] Ses états comprenaient tout le royaume actuel de Hollande et s'étendaient jusqu'aux bouches du Wéser. Les auteurs qui leur donnent le Rhin pour limite septentrionale, sont dans l'erreur.