HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

 

CHAPITRE PREMIER. — ÉTAT DU MONDE À LA FIN DU IVe SIÈCLE.

 

 

§ Ier. — L'EMPIRE ROMAIN.

 

Géographie de l'Empire. L'empire romain, à la fin du IVe siècle, avait pour limites, au nord, l'Océan Germanique — Mer du Nord —, le Rhin, le Danube et le Pont Euxin — Mer Noire — ; à l'est, l'Arménie, l'Arabie et le Golfe Arabique — Mer Rouge — ; au sud, l'Ethiopie, les déserts de Lybie et l'Atlas ; à l'ouest, l'Océan Atlantique. Il comprenait en outre, dans la Grande Bretagne, toute l'Angleterre actuelle. Depuis la mort de Théodose le Grand (395), il s'était partagé définitivement en empires d'Occident et d'Orient. La séparation était cependant loin d'être complète. Des liens étroits continuaient à unir les deux empires. Nul empereur n'était considéré comme légitime, à moins d'être reconnu par son collègue. Pendant la vacance de l'un des trônes, l'empire tout entier obéissait au souverain survivant. Les lois étaient souvent portées au nom des deux princes et, sauf exception, obligeaient également l'Orient et l'Occident On peut dire qu'il n'y avait proprement qu'un seul empire gouverné par deux chefs.

Le moyen âge se renferme presque exclusivement dans l'Europe occidentale. L'empire d'Orient ne nous concerne donc que de loin. Nous n'avons à nous occuper que de l'empire d'Occident.

L'empire d'Occident se partageait en deux préfectures, celle d'Italie et celle des Gaules. Chacune d'elles se subdivisait en diocèses, les diocèses en provinces, les provinces en cités.

La préfecture d'Italie comprenait trois diocèses : Italie, Illyrie occidentale et Afrique. La préfecture des Gaules également : Bretagne, Gaules et Espagne. Ce dernier diocèse comprenait, outre la Péninsule Hispanique, les îles Baléares et, au-delà des Colonnes d'Hercule, la Mauritanie Tingitane. Ces diocèses égalaient ou surpassaient même en étendue là plupart de nos grands états européens.

 

Gouvernement central. L'empire romain était une monarchie absolue. Tout ce qu'il plaisait à l'empereur de décréter avait force de loi. Quand Théodose, dans un mouvement de fureur, ordonna le massacre des Thessaloniciens, la religion chrétienne seule y trouva à redire. Environné d'une pompe tout orientale empruntée aux rois de Perse ? le souverain était vénéré, officiellement du moins, à l'égal d'une divinité. On se prosternait devant lui la face contre terre. C'était l'éternel empereur, habitant le sacré palais, dormant dans sa divine chambre à coucher.

En droit strict, le pouvoir impérial n'était pas héréditaire. L'empereur était nommé soit par les armées, soit par un autre empereur, avec le concours au moins apparent du sénat.

Le sénat, autrefois si puissant, ne conservait plus que quelques vestiges de son ancienne influence dans le gouvernement. La plupart des empereurs, depuis Auguste, s'étaient appliqués à l'abaisser. Auguste ne le consulta jamais que par grâce. Tibère ne s'en servit guère que pour lui faire prononcer des sentences de condamnation et jeter ainsi sur lui tout l'odieux de sa tyrannie. Constantin lui porta le dernier coup, en transportant à Constantinople la capitale de l'Empire où fut établi un nouveau sénat. Au quatrième siècle, le sénat de Rome n'était plus, en somme, qu'un conseil municipal environné de la considération qui suit d'ordinaire une antique noblesse, mais sans juridiction hors des murs de la ville. Il conserva néanmoins toujours une certaine autorité morale.

Il avait été remplacé, jusqu'à certain point, par un conseil d'Etat — consistorium principis — composé de grands dignitaires, lequel assistait l'empereur dans l'exercice de sa juridiction, c'est-à-dire, de son pouvoir judiciaire. Il délibérait aussi, sous la présidence de l'empereur, sur les affaires importantes de l'administration générale. Il est inutile d'ajouter que l'avis du conseil ne liait pas le prince, dont l'omnipotence ne reconnaissait aucune borne. Le conseil n'avait pas voix délibérative, mais consultative seulement.

 

Administration civile. Depuis Constantin, sauf quelques rares exceptions, les fonctions civiles étaient entièrement séparées des fonctions militaires. L'administration civile était confiée à six fonctionnaires supérieurs, tous égaux par le rang et relevant directement de l'empereur. C'étaient les quatre préfets du prétoire, préposés aux quatre préfectures — deux dans l'empire d'Occident, deux dans l'empire d'Orient —, et les préfets urbains de Rome et de Constantinople. Les deux capitales avec leur banlieue étaient en dehors des préfectures.

Sous les préfets se trouvaient, dans chaque diocèse, un vicaire — deux dans le diocèse d'Italie — ; sous les vicaires, à la tête de chaque province, un gouverneur, dont le titre : consulaire, proconsul, recteur, correcteur ou président, variait d'une province à l'autre. Ces magistrats avaient sous eux un grand nombre d'employés qui les assistaient dans l'exercice de leurs fonctions.

On voit facilement que ces préfets du prétoire étaient bien différents de ceux qui, dans les premiers siècles de l'Empire, faisaient et défaisaient les empereurs. On les avait abaissés en les multipliant, on les avait mis hors d'état de nuire, en leur enlevant le commandement des armées et en rendant leur charge annuelle. Le train magnifique de leur maison en faisait encore des espèces de rois ; mais les véritables maîtres, c'étaient les empereurs et leurs favoris. Les vicaires et les gouverneurs étaient, comme les préfets, nommés annuellement par l'empereur. Aucun d'eux ne pouvait exercer ces fonctions dans son pays natal.

Pour surveiller toute cette administration, l'empereur avait partout des agents de sa police secrète — curiosi. Les sujets eux-mêmes pouvaient se réunir en assemblées provinciales, et présenter au prince, par une députation, les vœux et les plaintes de la province.

 

Régime municipal. Depuis le IVe siècle, toutes les cités de l'Empire avaient à peu près la même constitution. Leur population libre se divisait en deux ordres : la curie et la plèbe. Les membres de la curie, nommés curiales ou décurions, formaient comme la noblesse municipale, et leur condition était héréditaire. C'était de la curie qu'étaient tirés le sénat municipal et les officiers chargés de l'administration de la cité. Leurs pouvoirs, il est vrai, avaient été réduits presque à rien, et les libertés municipales à peu près anéanties par l'immixtion incessante des agents impériaux dans les affaires du municipe.

Chaque cité avait son défenseur élu partout le municipe pour protéger les habitants contre les vexations des gouverneurs ou des percepteurs de l'impôt, et pour en référer au besoin à l'empereur.

 

Etat des personnes. Tous les habitants de l'Empire pouvaient se ranger en cinq classes :

1° La noblesse, dont le privilège le plus apprécié était l'exemption des fonctions et des charges municipales.

2° Les curiales, dont la condition était vraiment misérable, par suite des charges ruineuses qui pesaient sur eux. Appelés aux fonctions municipales, ils étaient pécuniairement et solidairement responsables de leur administration. Receveurs des impôts publics, leur fortune en garantissait le recouvrement intégral. Aussi employaient-ils tous les moyens possibles pour sortir de leur triste condition. Mais les lois leur avaient soigneusement fermé toute issue. De crainte d'évasion, tout voyage leur était interdit, sauf permission expresse du gouverneur de la province. Il est vrai qu'ils ne pouvaient être soumis à la torture, à la bastonnade, aux châtiments corporels, privilège précieux pour des criminels, mais d'assez mince valeur pour d'honnêtes gens qui n'ont rien à démêler avec la justice.

3° La plèbe, composée des petits propriétaires ainsi que des marchands et artisans. Certains métiers étaient libres ; d'autres, organisés en corporations, étaient héréditaires. L'artisan était, lui et sa postérité, indissolublement attaché à son métier et à sa corporation. Sans cette contrainte de la loi, la plupart des artisans, écrasés par les exigences du fisc, auraient cherché autre part des moyens de vivre, et bien des métiers eussent peut-être manqué de bras.

4° Les colons, petits cultivateurs qui étaient comme les fermiers perpétuels des grands propriétaires. Libres de -leur personne, mais inséparablement attachés à la culture d'un fonds étranger, ils en avaient le produit, moyennant une redevance fixe qu'ils payaient au propriétaire.

5° Les esclaves, dont la condition s'était beaucoup améliorée, grâce surtout à l'influence du Christianisme.

 

Organisation militaire. Comme nous l'avons déjà dit, les fonctions militaires étaient complètement séparées des fonctions civiles. Le préfet du prétoire avait conservé l'intendance des approvisionnements ; mais, pour le reste, l'armée ne dépendait plus que des maîtres de la milice — magistri militum. Le service militaire avait pour base la propriété territoriale ; c'est-à-dire que tout propriétaire foncier devait fournir un contingent proportionné à l'étendue et à la valeur de ses terres. Il prenait pour cela des colons ou des esclaves qu'il affranchissait. Cependant, comme l'impôt en hommes pouvait souvent se remplacer par l'impôt en argent, dans le fait, il n'y avait pour ainsi dire plus de recrutement. Pour retenir les curiales dans les municipes, la loi avait dû leur interdire la milice. En revanche, les fils de soldats et de vétérans furent tenus de rester sous les drapeaux. Outre quelques fils de vétérans, quelques volontaires et les recrues tirées de la lie du peuple, l'armée ne se composait que de barbares, dont les uns étaient disséminés dans l'armée romaine, les autres formaient des corps spéciaux. Rome, en effet, avait reçu de deux manières les Barbares dans l'Empire : individuellement, en les disséminant dans les campagnes à titre de colons ; et par peuplades, comme fédérés, en leur assignant des cantonnements et un territoire à cultiver, en retour de quoi ils étaient tenus de fournir un contingent. Les fédérés conservaient leurs lois et leur organisation nationales.

 

Décadence de l'Empire. Avant les invasions du Ve siècle, l'Empire pouvait paraître, aux yeux d'un observateur superficiel, jouir d'une grande prospérité, reposer sur une base inébranlable et, comme l'en flattait son poète Claudien, destiné à durer éternellement. Le commerce était favorisé à l'intérieur par la facilité et la sécurité des communications entre tant de nations diverses. A l'extérieur, les Romains pénétraient par mer et par terre jusqu'aux Indes et à Ceylan, De nombreuses forteresses défendaient les frontières de l'Empire. Ses arsenaux bien fournis, ses armées, ses flottes, ses immenses ressources pécuniaires semblaient lui assurer la victoire sur tous ses ennemis. 123 légions formaient, parait-il, avec les autres corps de troupes, un effectif d'environ 600.000 hommes. Une administration savamment organisée, étendant sur toutes les provinces son immense réseau, imprimait une allure régulière aux affaires courantes. Cependant, cette société renfermait dans son sein les germes d'une prompte et irrémédiable ruine.

Que sert, en effet, à la puissance d'un empire l'immense étendue de son territoire, si la population y fait défaut ? Or c'était le cas pour l'empire romain au IVe siècle. Il y avait des provinces où, faute de bras, le tiers, la moitié même des terres restait sans culture. L'empereur Honorius, après une enquête judiciaire, se vit obligé de retrancher du cadastre et de faire brûler les rôles de 500.000 arpents de terre qui restaient en friche dans la riche et fertile Campanie. On a calculé que l'Italie, qui compte actuellement de 20 à 30 millions d'habitants, n'en renfermait pas 9 millions sous les empereurs. Le territoire de la Gaule, où se pressent peut-être maintenant 50 millions d'êtres humains, en nourrissait tout au plus 10 millions.

Si encore cette rare population avait été composée de citoyens ! Mais les esclaves en formaient la plus grande partie. Or, quelle ardeur au travail pouvait-on attendre d'hommes qu'aucun intérêt personnel ne stimulait ? Le travail manquait donc, et le travail de l'homme est en définitive l'unique source de la richesse privée. La richesse diminuant, les impôts, qui, chez un peuple laborieux et sage, auraient été supportables, devinrent exorbitants et ruineux. Dans un état dont les armées se composaient en grande partie d'étrangers, où tout ce qui n'était pas esclave — et c'était, avons-nous dit, le petit nombre — gémissait sous des impôts écrasants et sous les charges municipales, quel patriotisme pouvait-on encore espérer ? Le despotisme, d'ailleurs, et la centralisation exagérée du pouvoir, avaient tué tout esprit d'initiative privée. Les citoyens, quand un gouvernement est parvenu à les exclure de toute participation aux affaires publiques, se désintéressent aisément des succès comme des malheurs de l'Etat. Ils sont même incapables de venir à son secours, dépaysés qu'ils sont sur le terrain de la vie publique. Il n'y a plus alors de citoyens, mais seulement des sujets. Un tel pays est mûr pour la conquête. Aussi les invasions trouvèrent-elles bien peu de résistance. L'Etat opposa ses armées, mais la nation resta passive, à l'exception peut-être des évêques.

 

§ II. — L'ÉGLISE.

 

Son influence morale et civilisatrice. Au sein de la corruption morale du paganisme, s'était élevée une société jeune et vigoureuse, complète dans son organisation, indépendante dans son existence, l'Eglise, qui allait recueillir dans les ruines de l'ancien monde les débris de la civilisation romaine, pour les transmettre aux nations nouvelles. Les arts, les sciences, les lettres, l'agriculture, c'est à l'Eglise que la société moderne en sera redevable ; c'est l'Eglise qui convertira les Barbares et les civilisera.

 

Sa constitution. Sa vigoureuse constitution, sans parler de la Providence spéciale de Celui qui lui a promis une existence éternelle, la mit en état de résister sans peine aux violentes commotions de l'époque. Sa hiérarchie était à la fois simple et forte, constituée de manière à imprimer a la masse une marche uniforme, sans enlever aux parties l'esprit d'initiative et leur liberté d'allures. On distinguait d'abord deux catégories, les simples fidèles et le clergé. Toute communauté considérable de fidèles avait son évêque, élu par les évêques de la province, avec le concours du clergé inférieur et des simples fidèles. Le presbyterium, assemblée de douze prêtres et de sept diacres, était le conseil de l'évêque. Les évêques d'une même province trouvaient parmi eux un chef, appelé métropolitain, qui résidait ordinairement au chef-lieu ; car l'Eglise avait accommodé son organisation aux divisions de l'Empire. Au-dessus des métropolitains, se tenaient les patriarches d'Alexandrie, d'Antioche, de Constantinople, et surtout celui de Rome, dont l'autorité s'étendait non seulement sur son patriarcat d'Occident, mais encore sur l'Eglise universelle. Cette organisation n'avait été empruntée ni aux Romains, ni aux Barbares. Aussi ancienne que l'Eglise, dans ses parties essentielles, elle devait son origine à Jésus-Christ lui-même. Souvent les évêques s'assemblaient en conciles plus ou moins nombreux, et ce sont ces assemblées qui portèrent ces lois canoniques dont l'influence a été si grande et si salutaire sur les législations postérieures L'Eglise réunissait donc tous les éléments d'une société parfaite. Elle avait son gouvernement, ses assemblées délibérantes, sa législation, ses chefs dont la voix était obéie, et des sujets soumis. Son règne reposait sur la persuasion, et ne s'en trouvait que plus fort. Aussi ne fut-elle pas plus tôt sortie des catacombes, que son influence franchit les limites des intérêts spirituels et se répandit jusque dans l'ordre temporel. C'était l'évêque presque seul qui désignait le défenseur du municipe, et la maison épiscopale fut érigée en tribunal paternel, où les différends des chrétiens étaient arrangés à l'amiable. C'était un hommage rendu spontanément par la société à la vertu et à la justice, dont les évêques étaient d'ordinaire les plus illustres représentants.

 

Ses progrès. L'empire romain n'était cependant pas encore tout entier converti au catholicisme. Loin de là. Partout, mais principalement dans les campagnes, le polythéisme avait conservé un grand nombre d'adeptes, qu'une grossière ignorance, les systèmes philosophiques, les souvenirs classiques, et surtout de honteuses passions retenaient dans l'erreur. Le paganisme, toutefois, perdait chaque jour du terrain ; visiblement il avait fait son temps et son agonie commençait. Mais, tout en conquérant le monde, l'Eglise avait fait aussi des pertes. Les hérésies, l'Arianisme surtout, lui avaient enlevé de nombreuses populations.

 

§ III. — LE MONDE BARBARE.

 

Géographie du monde barbare. A partir des frontières européennes de l'Empire s'étendaient d'abord les peuples de là race germanique. Les Germains ne constituaient pas une nation, mais une multitude de peuples, parfois alliés, souvent étrangers entre eux et même ennemis. Tous avaient cependant une commune origine et, par suite, beaucoup de traits de ressemblance : une haute stature, des yeux bleus, la chevelure rousse ou blonde. Leurs mœurs étaient les mêmes, leurs institutions presque identiques. Les plus célèbres d'entre eux sont d'abord les peuples francs, dont une partie s'étaient établis peu à peu sur la rive gauche du Rhin, dans la Gaule, comme fédérés de l'Empire. En continuant à remonter le cours du Rhin, on rencontrait ensuite les Burgondes, dans le pays arrosé par le Mein ; puis les Alemans entre le Mein, le haut Rhin et les sources du Danube ; au nord, vers les bouches de l'Elbe, nous trouvons les peuples saxons. Les Goths s'étendaient entre le Danube inférieur et le Don. Ils se divisaient en Wisigoths et Ostrogoths, ou Goths de l'ouest et de l'est ; les premiers cantonnés entre le Danube et le Dniester, tandis que les Ostrogoths avaient soumis à leur domination toutes les peuplades comprises entre le Dniester et le Don, et poussé même leurs conquêtes jusqu'à la Vistule et la mer Baltique.

La race slave, destinée à n'apparaître que bien plus tard sur l'a scène de l'histoire, occupait la plus grande partie de l'empire russe actuel. Plusieurs de ces peuples étaient soumis aux Ostrogoths. Au delà venaient des peuples turcs et mongols, qui régnaient jusqu'aux extrémités orientales de l'Asie. Au sud-est, l'empire romain confinait à la Perse, avec laquelle il était fréquemment en guerre. Les tribus arabes, qui erraient dans les vastes déserts de la péninsule formée par la mer Rouge et le golfe Persique, devaient, dans quelques siècles, fonder un immense empire. Pour le moment, sans lien politique ou religieux, ignorées du monde civilisé, elles n'inspiraient aucune crainte.

Ce sont les Germains qui ont détruit l'empire romain et fondé les monarchies modernes. Nous leur avons emprunté en partie nos mœurs et nos institutions. Il nous importe de. les connaître de plus près.

 

Mœurs et institutions des Germains. Les Germains du IVe siècle n'étaient ni des sauvages comme ceux qui errent encore dans les forêts du nouveau monde, ni des peuples civilisés comme les Romains. Les arts et les sciences leur étaient, à la vérité, complètement inconnus. Mais ils n'étaient pas nomades. S'ils émigraient parfois, ce n'était que par nécessité. Ils connaissaient la propriété foncière ; ils se bâtissaient des huttes, qu'ils s'efforçaient de rendre commodes et même agréables. Ils vivaient non seulement du produit de leur chasse, mais encore de leurs troupeaux et des fruits de leurs champs. Cependant l'agriculture et l'élève du bétail n'étaient guère en honneur chez eux.. On-les abandonnait aux femmes, aux enfants, aux vieillards et aux infirmes. Un homme valide n'aurait consenti à s'y livrer que par nécessité. La guerre était, aux yeux du Germain, la plus noble des occupations. Pendant la paix, toutes les heures qu'il ne consacrait pas à la chasse ou au jeu, il les passait à dormir au coin du foyer, aussi paresseux et apathique alors, qu'il était bouillant et brave en campagne. La valeur guerrière, l'énergie, l'esprit d'indépendance, la franchise parfois brutale, l'hospitalité, voilà quels étaient. les traits distinctifs de son caractère. Beaucoup de guerriers, surtout les jeunes gens nobles, s'attachaient étroitement, par les liens de l'honneur, au service d'un chef renommé par sa bravoure. Ils l'accompagnaient partout et partageaient sa demeure et sa table. C'était une gloire pour le chef d'avoir une bande nombreuse de ces guerriers dévoués. L'ambition de ses compagnons était de se distinguer à ses côtés. Dans la bataille, ils lui formaient un rempart de leurs corps et se seraient fait tuer sur son cadavre plutôt que de revenir du combat sans lui.

On distinguait chez les peuples germaniques trois classes différentes de personnes : la noblesse, les hommes libres et les lètes. Il s'y trouvait bien aussi des esclaves, mais on ne peut pas les considérer comme une quatrième classe ; comptés pour rien, ils étaient mis au rang des choses et des animaux. Les lètes tenaient le milieu entre les esclaves et les hommes libres. C'étaient des espèces de' colons obligés de cultiver les terres d'autrui, non cependant sans profit pour eux. Ils avaient à fournir à leurs maîtres une quantité déterminée de blé ou de bétail, à leur rendre certains services, le surplus leur appartenait et, leurs obligations remplies, ils étaient libres du reste. Ils possédaient des droits personnels reconnus, mais ne jouissaient d'aucun droit politique. C'était là la principale différence entre eux et les hommes libres. L'homme libre par excellence, selon les idées germaniques, c'était le propriétaire foncier. Celui-là seul avait la plénitude des droits civiques ; lui seul pouvait prendre la parole dans les assemblées publiques et y donner son avis sur les affaires de l'Etat ou de la communauté ; lui seul était astreint au service militaire.

Au IVe siècle, la plupart des peuples germains, quelle qu'en fût la puissance ou la faiblesse, étaient gouvernés par des rois dont le pouvoir était héréditaire. Le peuple se divisait en centaines, lesquelles avaient à leur tête des chefs élus par les hommes libres. Le pouvoir de ces chefs, comme celui du roi lui-même, tenait plus à leur influence personnelle, à leur valeur, à la supériorité de leur talent, qu'à des lois constitutives qui n'existaient pas. Ils entraînaient leurs peuples plutôt qu'ils ne leur imposaient leur volonté. Car la grande puissance régulatrice des affaires publiques de la centaine ou de la peuplade entière, c'était toujours l'assemblée des hommes libres de la centaine ou de la peuplade. S'agissait-il de choisir un chef, d'entreprendre la guerre, de faire la paix, de régler une affaire importante quelconque, les Germains s'assemblaient en armes sur une colline boisée — mallberg —, et là, au milieu d'un festin, chacun pouvait dire sa pensée. Son avis déplaisait-il, des murmures menaçants accueillaient ses paroles. L'assemblée manifestait au contraire son approbation en agitant ses armes. On discutait sous l'influence des boissons enivrantes, alors que personne n'est capable de feindre. Mais la décision était remise au lendemain, pour que les fumées du festin pussent se dissiper et laisser place à la prudence.

Le tribunal ordinaire des peuples germaniques, c'était l'assemblée de la centaine. Mais l'autorité publique ne poursuivait que les crimes qui lésaient directement la communauté. Les crimes contre les particuliers n'étaient poursuivis qu'à la requête des intéressés. Un meurtre était-il commis, si les parents de la victime n'en demandaient pas la répression à l'assemblée ou ne s'en chargeaient pas eux-mêmes, le méfait restait impuni. C'était toutefois un devoir pour la famille de ne le pas souffrir. Tous ses membres avaient le droit de tuer l'assassin. Mais au lieu d'exercer ce droit strict, on pouvait en venir à composition. Le meurtrier était cité devant le tribunal de la centaine et condamné à payer une amende plus ou moins forte, nommée composition ou wergeld, dont la plus grande partie revenait à la famille, le reste au roi, représentant de l'Etat. Si l'accusé refusait de comparaître ou de se soumettre à la sentence, il était mis hors la loi. Défense était faite à toute personne de l'aider en quoi que ce soit, et le premier venu avait le droit de le mettre à mort.

La religion des Germains était le polythéisme. Dans la Scandinavie — Suède et Norvège —, c'était le culte des héros ; dans la Germanie, le culte de la nature. Il n'y avait pas d'autres temples que les forêts. Là, on offrait en sacrifice à la divinité des animaux et parfois des victimes humaines, surtout des prisonniers de guerre. On cherchait à connaître la volonté des dieux par le sort, le vol des oiseaux et le hennissement des chevaux. Les Germains croyaient à la Providence ; Dieu était pour eux un maître que nous devons servir pendant la vie et que nous allons rejoindre à la mort. Au commencement du Ve siècle, quelques peuples germaniques avaient commencé à embrasser le Christianisme.