APPENDICE I La vie de Nostradamus n'a pas encore été étudiée avec critique. Il en serait pourtant grand besoin, car comme celle de Rabelais et de tous les personnages qui ont beaucoup parlé à l'imagination populaire, elle est encombrée de légendes. MM. Jean Moura et Paul Louvet ont fait paraître, en 1930, une Vie de Nostradamus — Paris, N. R. F. — qui est fortement romancée et où ils se sont moins efforcés, cela va de soi, de dégager la vérité que de plaire. En revanche M. Eugène F. Parker a publié, en 1923, dans la Revue du XVIe siècle, sous le titre de la Légende de Nostradamus et sa vie réelle, deux articles où il prétend établir les faits avérés ; mais il ne semble pas que l'auteur de ce travail ait pris la peine de lire attentivement les œuvres du prophète, car il ne tient pas compte de toutes les dates qui y sont données, alors, qu'au contraire il admet des données extrêmement discutables. Il est certain qu'on trouverait dans les archives des renseignements précieux. Souhaitons que des érudits au fait des bonnes méthodes et doués d'esprit critique s'intéressent à ce curieux Nostradamus qu'aucun d'eux n'a étudié jusqu'à présent. Quel beau sujet de thèse pour un chartiste ! Naturellement, c'est surtout la première partie de sa vie, celle qui a précédé l'époque de sa célébrité, qui est obscure. Que nous en dit-il lui-même ? Il dit dans l'Opuscule, p. 3 : Après avoir consommé la plus grande part de nos jeunes ans, ô lecteur bénévole, en la pharmaceutrie et à la cognoissance et perscrutation des simples par plusieurs terres et pays despuis l'an 1521 jusques en l'an 1529, incessamment courant pour entendre et savoir la source et origine des plantes... Ailleurs, il parle d'un présent de gelée de coings qui, en 1526, fut fait en Avignon au grand maître de Rhodes, comme s'il se fût lui-même trouvé dans cette ville à ce moment-là. Ailleurs encore, il indique qu'il était à Bordeaux en 1539 ; à Lyon l'an 1547 de peste ; à Gênes à la fin de 1548 ou en 1549 — Moy-mesme, dit-il dans l'Opuscule, p. 59, il y a trois ans que je cherchois par toute la cité de Gennes... — ; et à la fin de l'épître liminaire de l'Opuscule, on lit : Toy disant à Dieu de Saint Rémy en Provence, dite Sextrophæa, ce premier jour d'avril mil cinq cens cinquante deux, composé à Salon de Craux en Provence, ce qui signifie que cette préface a été achevée à Saint-Rémy le 1er avril 1552 et le livre composé à Salon, auparavant bien entendu, donc dans les premiers mois de 1552, vraisemblablement, ou au plus tôt à la fin de 1551. J.-A. de Chavigny qui fut, semble-t-il, le disciple de Nostradamus, mais ne pouvait tenir ses renseignements, sur la jeunesse de son maître que par ouï-dire, écrit dans la Première face du Janus françois (1594). Il fut envoyé en Avignon pour apprendre les lettres humaines. De là, il vaqua fort heureusement à la philosophie et théorie de médecine dans l'Université de Montpellier jusques à ce que, à l'occasion d'une pestilence qui survint au pays, il prît sa route vers Narbonne, Toulouse, Bordeaux, auxquelles villes et cités donnant ses premiers coups d'essai, il tira pour la première fois fruit de ses labeurs, et lors il menait l'an vingt-deux de son âge. Ayant séjourné quatre ans en ces quartiers, pratiquant la médecine, il lui sembla bon de retourner à Montpellier pour se reposer et passer au doctorat : ce qu'il fit en peu de temps, non sans épreuve, louange et admiration de tout le collège. Passant à Toulouse, il vint à Agen, ville sur la rivière de Garonne, où l'arrêta Jules-César Scaliger, personnage de signalée et rare érudition, ainsi que chacun sait, avec lequel il eut grande familiarité qui toutefois se changea quelque temps après en forte rivalité et pique, ainsi qu'il advient souvent entre les doctes et se peut colliger par leurs écrits. Là, il prit pour femme une fort honorable demoiselle, de laquelle il eut deux enfants, mâle et femelle, lesquels décédés, se voyant seul et sans compagnie, il prit le parti de se retirer définitivement en Provence, son pays natal. Arrivé à Marseille il vint à Aix, Parlement de Provence, où il fut trois années aux gages de la cité du temps que la peste s'y éleva, en l'an du Christ 1546, si furieuse et cruelle, telle que l'a décrite le sieur de Launay en son théâtre du Monde[1], selon les vrais rapports qui lui furent faits par nostre auteur. De là venant à Salon de Craux, ville distante d'Aix d'une petite journée et à moitié chemin d'Avignon et Marseille, il se maria en secondes noces. Ce fut là que, prévoyant les insignes mutations et changements qui adviendroient dans toute l'Europe (...), il se mit à écrire ses Centuries et autres Présages... Un savant docteur, Jean Astruc, a publié en 1767 des Mémoires pour servir à l'histoire de la Faculté de médecine de Montpellier, pour lesquels il a tout au moins parcouru les archives de la Faculté et qui sont à l'ordinaire fort bons. Mais, en dehors de cela, comment s'est-il renseigné sur Nostradamus à qui il consacre une de ses notices ? On ne sait. Il déclare, d'après Chavigny peut-être, que la peste qui survint à Montpellier obligea Nostradamus d'en sortir après avoir commencé ses études — philosophie et théorie de médecine, dit Chavigny —. Nostradamus séjourna près de quatre ans, dans le Haut-Languedoc, à Toulouse, Bordeaux et dans la plupart des villes qui sont sur la Garonne. Il revint ensuite prendre ses degrés à l'Université de Montpellier. Sa matricule — qu'Astruc avait vue — est du 23 octobre 1529. Peu après il obtint le grade de docteur sous la présidence d'Antoine Romier. Il y fut même professeur, s'il en faut croire certaine relation, mais peu de temps. Ensuite il retourna à Toulouse où il noua d'agréables commerces. On montre, dans cette ville, la maison qu'il habita. Il revint dans sa patrie en 1543 ou 1544, à quarante ou quarante et un ans. Ses amis lui ayant moyenné un mariage avantageux à Salon avec une demoiselle de bonne maison, nommée Anne Ponsart, il s'y rendit. La communauté d'Aix le pria par une délibération solennelle en 1546 de venir arrêter les progrès de la contagion. Appelé ensuite à Lyon il y eut, en arrivant, quelques contestations avec Jean-Antoine Sarrazin, un des médecins les plus accrédités de cette ville[2]. En 1789 parut un ouvrage anonyme : La Vie et le Testament de Nostradamus. C'est une apologie anonyme du devin, que sa date rend naturellement fort suspecte. Toutefois l'auteur y déclare qu'il utilise des papiers provenant de J.-A. de Chavigny et prouve, en effet, qu'il a connu certaines pièces intéressantes en analysant le testament de Nostradamus. Il y est dit qu'ayant achevé en Avignon ses humanités et sa rhétorique, Nostradamus y commença l'étude de la philosophie, puis passa à Montpellier pour apprendre la médecine. Mais, étant survenu une peste dans cette ville, il en sortit pour aller du côté de Toulouse et de Bordeaux, où quoique non pas même docteur et âgé seulement de vingt-deux ans, il mit en pratique ce qu'il savait. Après avoir roulé quatre ans le long de la Garonne, il retourna à Montpellier, où il conquit son doctorat à vingt-six ans. Puis il se rendit vers les mêmes endroits où il avoit commencé d'exercer la médecine, s'arrêta à Agen à la considération de Jules-César de Lescalle, se brouilla avec lui, se maria, perdit sa femme et les deux enfants qu'elle lui avait donnés, quitta Agen après quatre ans de séjour, voyagea huit ans, parcourut l'Italie et la France, pratiquant et apprenant ce qu'il expose dans ses deux Opuscules sur les fards et les confitures, et, après avoir roulé dix ou douze ans, gagna Marseille. Il n'y fut pas plus tôt arrivé que ses amis de Provence lui moyennèrent un nouveau mariage à Salon, où il se rendit vers 1544 et se fixa. Quelques années plus tard il fut appelé à Aix pour l'épidémie de 1546, qu'il vainquit, ce qui lui valut d'être entretenu ensuite pendant quelques années aux dépens du public comme une personne de grand mérite. Toutefois, en 1547, il fut appelé à Lyon pour y soigner une maladie contagieuse. Enfin il se retira définitivement à Salon. Voilà les quatre sources principales par lesquelles on connaît la jeunesse de Nostradamus. Divers documents nous permettent d'y ajouter quelques détails ; nous les avons signalés en temps et lieu. On observera que nos quatre sources ne s'accordent pas toujours. Il est évident qu'en principe les renseignements que nous tenons de Nostradamus même doivent primer ceux que nous tenons de Chavigny, lesquels ont des chances de se trouver plus exacts, dans l'ensemble, que ceux que nous tirons des deux autres sources puisque Chavigny avait bien connu le prophète, — sauf, toutefois, en ce qui concerne le séjour de Nostradamus à Montpellier sur lequel Astruc doit être le mieux documenté puisqu'il a eu des pièces d'archives sous les yeux. Partant de là, voici ce qu'on peut conclure, sauf erreur : Deux faits sûrs, c'est que Nostradamus était né le 23 décembre 1503 et, d'autre part, qu'il fut immatriculé à Montpellier le 2 3 octobre 1529. Chavigny dit qu'il quitta Montpellier à vingt-deux ans, donc en 1525, et qu'après avoir voyagé quatre ans dans le midi de la France, il s'en revint à Montpellier ; nous venons de voir, en effet, qu'il y fut inscrit en 1529. A vrai dire, Nostradamus lui-même nous apprend qu'il consomma ses jeunes années, depuis 1521 jusqu'à 1529, incessamment courant pour entendre et savoir la source et origine des plantes. Mais incessamment courant ne doit pas se prendre au pied de la lettre : il veut faire valoir sa science en matière de drogues et de confitures, et la peine qu'il s'est donnée pour l'acquérir. En effet, ce qu'il nous dit de ses voyages montre que ceux-ci comportaient de longs séjours dans diverses villes et contrées. Il est donc probable qu'il date le commencement de ses voyages de son premier départ de Saint-Rémy pour l'Université d'Avignon, où il étudia durant quelques années et d'où il alla à Montpellier, puis dans les villes de Languedoc et de Guyenne, demeurant plus ou moins longtemps dans chacune d'elles, pour revenir ensuite prendre ses grades à Montpellier. Or, en 1521, il avait dix-huit ans. Il est normal qu'il se soit rendu à l'Université d'Avignon à cet âge ; il acheva sa philosophie à Montpellier et apparemment y conquit donc le titre de maître ès arts, correspondant, si l'on veut, à notre baccalauréat et nécessaire pour être inscrit à la Faculté de médecine. Chavigny dit qu'il y apprit la philosophie et théorie de médecine : la philosophie comprenait, en effet, les sciences, c'est-à-dire une première étude des ouvrages savants des anciens, parmi lesquels ceux qui s'occupaient de médecine. On remarquera, d'ailleurs, que Chavigny semble faire une différence entre ce qu'il appelle la théorie de médecine et la médecine proprement dite que Nostradamus étudia une fois qu'il fut régulièrement inscrit. Lorsque l'auteur de la Vie et le Testament déclare qu'il conquit son doctorat à vingt-six ans, c'est qu'il interprète mal le fait de la matricule en 1529 et comprend mal Chavigny. Il était à peu près impossible d'être docteur à vingt-six ans, et si un pareil exploit s'était produit à Montpellier, le souvenir en serait resté célèbre : or, il ne paraît pas que le séjour de Nostradamus y ait beaucoup marqué. Tout va donc bien jusqu'ici. Il n'y a qu'une difficulté : Chavigny, Astruc et l'auteur de la Vie et le Testament déclarent que ce fut la peste qui lui fit quitter Montpellier après sa philosophie. Je n'ai pu m'assurer qu'il y ait eu une épidémie à Montpellier en 1526. Je sais, en revanche, qu'il y en eut une qui s'étendit à tout le Midi en 1528-2 9. Nostradamus dut la rencontrer au cours de son voyage, mais ce ne peut être elle qui le fit partir. Autre chose. Chavigny et l'auteur de la Vie et le Testament — ce dernier d'après Chavigny apparemment — s'accordent à nous dire qu'il exerça la médecine durant ce premier voyage qu'il fit en Languedoc et Guyenne : cela se peut-il, quand il n'avait encore que ses lettres de maître ès arts, grade qui correspondait à peu près à notre baccalauréat et qu'il était nécessaire de posséder avant de s'inscrire comme étudiant en médecine ? Non, a pensé en 1789 l'auteur de la Vie et le Testament, et c'est là, en partie, ce qui lui fait croire que Nostradamus était déjà bachelier en médecine à vingt-deux ans, quand il partit pour son voyage et, par conséquent, que quand il revint à Montpellier, en 1529, ce ne pouvait être que pour conquérir le grade de docteur. Mais la profession médicale n'était pas aussi bien réglementée au XVIe siècle qu'à la fin du XVIIIe, sinon en théorie, du moins en pratique, et c'est ainsi que Rabelais, par exemple, ne se priva pas de prendre le titre de docteur avant d'y avoir droit : Nostradamus put fort bien se mettre à soigner les gens, étant simple maître ès arts et avant d'être bachelier en médecine, grade qui officiellement en donnait le droit. Peut-être commença-t-il à exercer l'art médical en 1528 seulement, lors de la pestilence qui se répandit dans tout le Midi. Le voilà donc qui prend, en 1529, son inscription d'étudiant en médecine à Montpellier. Combien de temps y resta-t-il, autrement dit : combien de temps lui fallut-il pour devenir docteur ? Antoine Saporta, inscrit en 1521, fut docteur en 1531 : dix ans. Guillaume Rondelet, inscrit en 1529, le fut en 1537 : huit ans. Rabelais, inscrit en 1530, le fut en 1537 : sept ans ; il est vrai que peu après son baccalauréat il partit, resta plusieurs années absent et ne revint prendre sa licence et son doctorat qu'en 1537 ; mais, d'autre part, il eut toutes les dispenses et facilités possibles que lui valurent sa notoriété et l'amitié de Jean Schyron. La Faculté de Montpellier accordait très difficilement les dispenses et il ne paraît pas que Nostradamus en ait obtenu aucune. Il lui fallut donc, comme le commun des mortels, suivre les cours durant trois ans avant d'être admis à se présenter au baccalauréat ; mais combien de temps s'écoulait entre le baccalauréat et la licence, entre la licence et le doctorat ? Deux ans au minimum, semble-t-il. Au total il n'était donc guère possible que les études médicales prissent moins de cinq années, et à l'ordinaire elles en prenaient sept, je crois. Astruc écrit que notre homme, une fois docteur, fit un cours et demeura quelque temps à Montpellier, c'était là apparemment un usage assez répandu. Bref on peut estimer que Nostradamus resta à Montpellier de 1529 à 1535 pour le moins. Puis il repartit. Passant à Toulouse, il vint à Agen — Chavigny — où il fréquenta chez J.-C. Scaliger. Celui-ci avait mis son fils à l'école ouverte dans cette ville par Philibert Sarrazin, bientôt hérétique reconnu, ce qui lui valut à lui-même d'être soupçonné d'hérésie en 1538 — Copley Christie, Étienne Dolet, p. 117 —. Nostradamus lui-même aurait été cité à comparaître en 1538 par devant l'inquisiteur envoyé de Toulouse à Agen — Louvet et Moura, p. 83 —. Il écrit dans son Opuscule, p. 216-220 : La non pareille cité de Lyon estoit n'y a guières pourveue d'un notable personnaige de l'incomparable sçavoir, qui est Phil. Sarracenus, qui des miens premiers principes, moy jà aagé, l'avois instigué, que j'ay ouy dire qu'il s'est retiré à Ville Franche. Illi nec invideo, mais il me semble que, selon sa doctrine, qu'il ne devoit aller là, car leur règne ne sera guières durable ; autrement dit il avait enseigné ses premiers principes — de médecine ? — à un certain Phil. Sarrazin, qui devint médecin à Lyon, et qui depuis s'est retiré à Villefranche ; dans la dernière phrase, il fait allusion aux opinions religieuses de ce Sarrazin : on sait que Nostradamus ne perd jamais une occasion de jeter la pierre aux huguenots. Ailleurs, il déclare qu'il était à Lyon l'an 1547 de peste. Enfin Astruc nous dit qu'il y eut quelques contestations avec Jean-Antoine Sarrazin, un des médecins les plus accrédités de cette ville, ce que l'auteur de la Vie et le Testament confirme, en appelant l'ennemi de Nostradamus Sarracen. Il est évident qu'Astruc confond Philibert Sarrazin, bien connu comme huguenot, avec Jean-Antoine Sarrazin, médecin célèbre ; mais ce qu'il y a de surprenant, c'est que tous les biographes de Nostradamus, y compris M. Parker, ont parlé de Jean-Antoine après lui, sans se reporter aux textes. On peut conclure des faits qui viennent d'être énoncés : 1° que, si les rapports de Nostradamus et de Philibert Sarrazin s'envenimèrent à Lyon, ce fut bien moins pour des raisons de rivalité médicale, comme on l'a dit, que parce que notre homme craignait d'être compromis à nouveau, quant à ses opinions religieuses, par Sarrazin ; 2° que c'est, selon toute probabilité, à Agen qu'ils s'étaient rencontrés et que Nostradamus avait enseigné l'autre plus jeune que lui ; 3° que Nostradamus était à Agen en 1538, au moment où Scaliger fut soupçonné d'hérésie. Enfin il est fort possible que son voyage à Bordeaux en 1539 — date qu'il nous donne lui-même — ait été déterminé par cette citation à comparaître devant l'inquisiteur — si elle eut lieu réellement —, ou, en tout cas, par la crainte où il fut lorsqu'il vit Scaliger inquiété pour ses rapports avec Sarrazin avec lequel lui-même était lié. Retenons seulement, pour le moment, qu'il était à Agen en 1538. L'auteur de la Vie et le Testament assure qu'il y séjourna quatre ans et c'est vraisemblable : en tout cas, il ne put guère se marier, avoir deux enfants et les perdre ainsi que son épouse en moins de quatre ans. Nous ne savons malheureusement pas si l'année 1538 marque la date de son arrivée à Agen, ou celle de son départ, ou s'il faut la comprendre dans le laps de temps qu'il y passa, autrement dit si son séjour dans la ville de Scaliger eut lieu de 1534 à 1538, 1535 à 1539, 1536 à 1540, 1537 à 1541 ou 1538 à 1542. Notons qu'il paraît peu probable qu'il soit arrivé à Agen, venant de Montpellier et Toulouse, dès 1534 ou 1535, et par conséquent que ses études médicales à Montpellier n'aient duré que de 1529 à la fin de 1533 ou de 1534. Mais nous manquons de renseignements précis sur les études médicales de Nostradamus à Montpellier, de sorte qu'on ne saurait nullement trancher la question. Quoi qu'il en soit, après la mort de sa première femme et des deux enfants qu'il en avait eus, il quitta Agen et voyagea. Où alla-t-il ? Selon des traditions fort douteuses, il aurait été en Lorraine, mais en admettant que ce soit vrai, il n'est pas sûr le moins du monde que ce soit vers cette époque-là ; lorsqu'il s'y trouvait, en effet, il prophétisait déjà et son premier almanach, à ce que dit le Manuel du Libraire, a paru en 1550 ; s'il est allé en Lorraine, c'est donc beaucoup plus tard, vraisemblablement. Voyons ce qu'il nous dit lui-même. Il nous apprend qu'il était à Bordeaux — d'où il se rendit vraisemblablement à La Rochelle — en 1539, et qu'il a parcouru la Guyenne, le Languedoc, le Dauphiné, le Lyonnais et le Piémont, passé à Toulouse, Narbonne, Carcassonne, Aix, Valence, Vienne, Lyon, Gênes, et par la Savoie ; malheureusement, faute de chronologie, il est impossible de savoir quel fut au juste son itinéraire, et si ce n'est pas au cours de son premier voyage, entre 1525 et 1529, qu'il a visité une partie de ces villes, ou même au cours de voyages subséquents à celui dont nous nous occupons ici. Pour y voir un peu plus clair, essayons donc d'établir quelques dates. C'est en 1546 que notre homme était à Aix pour soigner les pestiférés, en 1547 qu'il était à Lyon pour la même cause — en dispute avec Philibert Sarrazin —, et en 1549 qu'il était à Gênes et, vraisemblablement, à Savone, comme nous le disions au début de cet appendice. Restent Toulouse, Narbonne, Carcassonne, Valence, Vienne. Les allusions à Toulouse peuvent se rapporter au séjour qu'il y aurait fait en 1539, après avoir quitté Bordeaux, je pense pourtant qu'elles se rapportent plutôt à son premier voyage de 1525-1529. La situation géographique de Narbonne donne à croire qu'il y vint, soit en allant à Montpellier, soit en sortant, alors qu'il se dirigeait vers les villes de la Garonne. Est-ce au cours de son voyage de 1525-1529, ou de celui qu'il fit après son doctorat ? J'imagine que ce doit être lors de ce dernier. — Quant à Carcassonne, c'est beaucoup plus tard qu'il y alla, entre 1553 et 1556. Il nous apprend, en effet, qu'il y administra plus d'une fois, avec grand succès, un remède à l'évêque de Carcassonne, Mgr Ammanien de Foy. Il s'agit d'Amand, Amédée ou Amanevius de Foy qui eut quelques contestations avec François de Faucon et fit fonctions d'évêque de Carcassonne, quoique ne l'étant pas réellement, entre les deux dates susdites — Gallia Christiana, VI, 921. Selon Chavigny, en quittant Agen notre homme se retira en Provence directement. Au contraire, l'auteur de la Vie et le Testament le fait voyager huit, voire douze ans, c'est-à-dire — puisque nous savons qu'il était à Agen au moins jusqu'à 1538 — jusqu'en 1546 au minimum. Astruc assure qu'il était de retour dans sa patrie en 1543 ou 1544 ; mais ce retour en Provence ne marquerait pas nécessairement la fin des voyages de Nostradamus : il peut avoir roulé en Provence jusqu'en 1546, époque où, nous le savons, il soigne les pestiférés à Aix. C'est, vraisemblablement, à ce moment qu'il alla à Valence et à Vienne, dont il nous parle dans l'Opuscule. Chavigny déclare qu'il fut trois ans aux gages de la ville d'Aix, et l'auteur de la Vie et le Testament qu'il le fut quelques années. Mais lui-même nous dit formellement qu'il fut appelé à Aix durant la peste de 1546 : L'an mil cinq cens quarante six que je feus esleu et stipendié de la cité d'Aix en Provence, où par le sénat et peuple je fus mis pour la conservation de la cité, où la peste estoit tant grande et espouventable... Et, d'autre part, il est certain qu'il ne resta que peu de temps — s'il y resta — à Aix après la peste, puisqu'il nous dit également qu'il fut mandé en 1547 à Lyon. Si bien qu'il est impossible qu'il soit resté trois ou quelques années à Aix à ce moment. Résumons. Nostradamus dut quitter Agen en 1538 ou 1539 apparemment, pour aller se mettre à l'abri de l'inquisition à Bordeaux où il était en 1539 ; puis rentrer à Agen, y perdre sa famille, revenir en Provence et vivre quelque temps à Marseille. Il fut mandé à Aix pour soigner la peste en 1546. Il était à Lyon pour la même raison en 1547 et il y eut quelques contestations avec Philibert Sarrazin pour des raisons médicales, mais surtout pour des raisons de religion. Enfin ses amis lui ayant moyenné un mariage à Salon, il s'y rendit, y épousa Anne Ponsard, jumelle — son contrat de mariage est daté du 11 novembre 1547 —, et s'y établit définitivement. Bien entendu, il quitta la ville plus d'une fois par la suite, appelé en consultation par divers personnages, comme on a pu le voir en lisant notre ouvrage. Il n'est naturellement pas impossible que ces voyages, qui le menèrent en Italie et à Paris, l'aient mené jusqu'en Lorraine. APPENDICE II Nous énumérons ci-dessous les œuvres de Nostradamus ; nos bibliothèques publiques françaises n'en possèdent guère. Brunet déclare que Nostradamus fit paraître un almanach chaque année de 1550 jusqu'à sa mort ; mais il est vraisemblable qu'un bon nombre de ces almanachs n'étaient pas de lui et que les libraires se servaient sans droit de son nom. 1550. — Premier almanach de Nostradamus. D'après Brunet. 1555, mai. — Les Prophéties de Maistre Michel Nostradamus. Lyon, Macé Bonhomme, MDLV. Contient trois Centuries et les cinquante-trois premiers quatrains de la quatrième. 1555. — Les Prophéties... Avignon, Pierre Roux, 1555. Édition mentionnée à la fin de celle de François de Sainct Jaure, Anvers, 1590. 1555. — Excellent et moult utile opuscule à tous
nécessaire qui désirent avoir connoissance de plusieurs exquises receptes,
divisé en deux parties. La première traicte de diverses façons de fardemens
et senteurs pour illustrer et embelir la face. La seconde nous monstre la
façon et manière de faire confitures de plusieurs sortes, tant en miel, que
sucre, et vin cuict, le tout mis par chapitres, comme est faict ample mention
sur la table. Nouvellement composé par Maistre Michel de Nostredame,
docteur en médecine de la ville de Salon de Craux en Provence et de nouveau
mis en lumière. Lyon, Antoine Volant, 1555. Bibliothèque nationale. 1556. — Les Prophéties... Avignon, 1556. Citée sur le titre des éditions de Rouen 1649 et de Leyde 1650, et par Brunet qui la déclare faite sur celle de Macé Bonhomme, 1555. 1556. — Singulières receptes pour entretenir la santé du corps. Poitiers, 1556. Citée par la Vie et le Testament de Nostradamus et la Biographie Didot. 1556. — [Opuscule des fardemens.] Paris, O. de Harsy. D'après Brunet. 1557. — Les Prophéties... Lyon, Antoine du Rosne, 1557. Contient les Centuries 1 à 7, quarante quatrains seulement de la septième. 1557. — Le vrai et parfaict embellissement de la face et conservation du corps en son entier contenant plusieurs receptes très secrètes pour le fard. Anvers, Plantin, 1557. D'après Lacroix du Maine. 1557. — La grand'pronostication nouvelle avec portenteuse prédiction pour l'an 1557... Paris, Jacques Kerver, 1557. D'après Brunet. 1557. — Paraphrase de C. Galen sur l'exortation de Menodote aux estudes des bonnes artz, mesmement médecine, traduite de latin en français... Lyon, Antoine du Rosne, 1557. D'après Brunet. 1558. — Les Prophéties... Lyon, 1558. Citée par Joh. Jac. Held et par J. C. Adelung. 1558. — La grant pronostication nouvelle avecques la déclaration ample de MDLIX composée par Michel Nostradamus, avecques les figures de quatre temps sur les climats 47, 48, 49 et 50. Lyon, Jean Brotot, 1558. D'après Brunet. 1559. — La signification de l'éclipse qui sera le 16 septembre 1559, laquelle fera sa maligne extension jusques à l'an 1560, diligemment observée... Paris, Guillaume le Noir, s d. D'après Brunet. 1560. — Les Prophéties... Paris, Barbe Regnault, 1560. D'après Brunet. Contient, dit-il, les Centuries 1 à 7. Vers 1560. — Prophéties merveilleuses commençant ceste présente année et dure jusqu'à l'an de grande mortalité que l'on dira 1568, an de bissexte... Paris, Guillaume Nyverd, s. d. D'après Brunet. 1560. — Le remède très utile contre la peste et toutes fièvres pestilentielles avec la manière d'en guérir, aussi la singulière recepte de l'oint dont usoit l'empereur Maximilien, premier du nom... Paris, s n. 1561. D'après Brunet. Il ajoute qu'il y avait de cet ouvrage une traduction anglaise dès 1559. Cela implique l'existence d'une édition antérieure. Vers 1560. — Les Prophéties... Lyon, Benoist Rigaud, s d. Bibliothèque de Dresde. 1562. — Almanach pour l'an 1563 avec les présages, calculé et expliqué par... Avignon, Pierre Roux, s d. D'après Brunet. 1567. — Prophéties ou révolution merveilleuse des quatre saisons de l'an et apparition des grands et horribles signes, comettes, estoiles et tremblement de terre qui pourront advenir depuis l'an présent jusques en l'an de grand mortalité 1568, an de bissexte... Lyon, Michel Jove, 1567. D'après Brunet. 1568. — Les Prophéties... Lyon, Benoist Rigaud, 1568, in-16. 1568. — Les Prophéties... Lyon, Benoist Rigaud, 1568, in-8°. Autre édition que la précédente d'après Carl von Klinckowstrœm. S. d. — Les Prophéties... S. l. Pierre Menier, s d. Bibliothèque Mazarine. 1569. — L'Embellissement de la face et conservation du corps en son entier. Ensemble pour faire divers lavemens, parfums et senteurs. Avec la manière de faire toutes sortes de confitures liquides et excellentes : adiousté la manière de faire plusieurs sortes d'ypocras et autres vins fort exquis : outre la manière et propriété de faire de plusieurs sortes de vinaigre, tant de senteur qu'autres, recueillis des œuvres de M. Michel de Nostradamus par messieurs les docteurs en la faculté de médecine de la ville et cité de Basle, dédié au peuple de France. Paris, vefve Jean Bonfons, s d. La dédicace est datée du 6 juillet 1569. D'après Brunet. Les Prophéties ont été réimprimées quinze fois avant 1689, et bien plus souvent après. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Nous n'avons pu retrouver cet ouvrage.
[2] Les biographes de Nostradamus répètent tous cela, sans remarquer que leur héros lui-même parle, non de Jean-Antoine, mais de Phil. Sarracenus. Or, Scaliger avait mis son fils en 1538 chez Philibert Sarracenus, qui était dès lors fort suspect de protestantisme et cela fut même cause de quelques difficultés qu'il eut — R. COPLEY CHRISTIE, Étienne Dolet, trad. —. Il est probable que les différends de Nostradamus et de Philibert Sarrazin — j'ai cité ci-dessus ce que le premier en dit — remontaient à ce temps-là, mais ils éclatèrent lorsque tous deux se retrouvèrent à Lyon. Cette remarque permet, en outre, de conclure que Nostradamus était à Agen en 1538.