Cependant la médecine, quand on est suffisamment connu, et les livrets populaires, quand ils se vendent, tout cela rapporte de l'argent et Nostradamus ne devait pas être à plaindre : on voit au reste qu'il établit fort bien ses enfants. En 1552, il eut l'idée d'augmenter ses ressources en publiant enfin les fruits de ses longues recherches chez les apothicaires et ailleurs sur l'art d'embellir la face et sur celui de fabriquer les confitures. Les produits de beauté, comme nous disons, ont de tous temps intéressé un très grand nombre de gens et les recettes de confitures aussi. C'est, paraît-il, à la requeste d'une grande princesse qu'il ne désigne pas autrement, et par moyen de sa très illustre magnificence, qu'il composa et publia son livre. Peut-être cette princesse était-elle une dame d'un certain âge et qui ne se souciait pas de révéler son intense curiosité des produits de beauté, car il ne lui dédia pas l'ouvrage, mais il en adressa l'épître liminaire à son compère et confrère le médecin Valeriola, moins suspect, évidemment, d'user de fardements. Elle est datée de Saint-Rémy en Provence le 1er avril 1552 ; toutefois, il y dit formellement que le volume a été composé à Salon de Crau. Au total, l'ouvrage est plus remarquable par la compétence qu'il manifeste que par son style. La langue de son auteur est un véritable charabia et n'a rien à voir avec le bon et clair langage d'un Rabelais, d'un Lemaire de Belges ou d'un Calvin. Est-ce donc que Nostradamus parlait mieux latin ou provençal que français ? C'est probable. Quoi qu'il en soit, les phrases mal bâties et enchevêtrées, les tournures vicieuses dont il use, bref l'obscurité naturelle de sa prose ouvrent de singulières perspectives sur celle de ses vers prophétiques dont nous aurons à parler en étudiant les Centuries. Il est évident qu'il a voulu être sibyllin dans ses prédictions ; mais, s'il a si parfaitement réussi à l'être, on se demande si ce n'a pas été quelquefois sans le faire exprès. Notons tout de suite que, malgré son pauvre style, le Traité des fardements eut du succès, car il fut réimprimé dès 1555 — il le fut plusieurs fois par la suite — sous ce titre qui assurément dit tout ce qu'il veut dire : Excellent et moult utile opuscule à tous nécessaire, qui désirent avoir connoissance de plusieurs exquises receptes, divisé en deux parties. La première traicte de diverses façons de fardemens et senteurs pour illustrer et embellir la face. La seconde nous monstre la façon et manière de faire confitures de plusieurs sortes, tant en miel que sucre, et vin cuict, le tout mis par chapitres, comme est faict ample mention sur la table. Nouvellement composé par Maistre Michel de Nostre-dame, docteur en médecine de la ville de Salon de Craux en Provence, et de nouveau mis en lumière. Quant aux recettes de beauté et autres, il en était de bien des sortes. Voici seulement, à titre d'exemple, celle du sublimé propre à préserver et blanchir le visage, à maintenir la beauté des dames jusqu'à l'âge de soixante ans, pourvu qu'elles en usent bien et dument, et à changer Hécube en Hélène, chose bien utile, puisque, comme chacun sait, toute femme, même celle qui fait souvent enfants, se déchet tous les ans de cinq pour cent, comme fait la cassia fistula, pour bon temps qu'elle ait. Il est deux manières de préparer ce merveilleux sublimé ; je donnerai seulement la seconde, qui plus tôt faite, quoique aussi bonne que la première, pourra peut-être servir à quelque lecteur — qui sait ? —, car elle est souveraine pour blanchir le cuir d'un personnage de trente-cinq ou quarante ans ; il suffit de l'appliquer un demi-quart d'heure, pour qu'on voie apparaître une face demi-angélique, sans que ceux-là même qui se connaissent le mieux en visages fardés puissent la déceler ; et, pour tout dire, c'est de cette recette-là qu'usait Lays la Corinthienne, qui fut la suprême beauté de Thèbes. Bref s'ensuyt la composition : Prenés quatre petits lymons, et les partés en quatre parts, et y mettés dedans du vif argent à chacune pièce le poix d'un escu, ou environ : et puis faites le distiller par alambic de verre, ou si n'avés la commodité d'avoir un alambic de verre, mettés le tout haché menu avec un couteau de boys dens une fiole de verre, et que ne soit que à demy pleine : puis mettés la fiolle dans un autre rosère alambic qui soit ensevelie jusques à demy aux cendres passées par un sac, pour cause qui ne se rompe. Puis faites bon feu et recevrés l'eau qui distillera dans un autre fiolle : et la garderés à part : et prendrés du sublimé qui soit bon, qui soit composé à peu de sel le poix de quatre onces du vif argent bon et net le poix d'un escu, et mettrés ledit sublimé et vif argent dans un mortier de marbre, pillon et spatule de bois, et broierés fort dans le mortier jusques à ce qu'il soit bien subtil : et prendrés de ladite eau et arrouserés peu à peu ledit sublimé presque par l'espace d'un jour, jusques à ce qu'il soit parfaitement blanc : et le pourrés remettre quelque jour au soleil pour luy aider à sa blancheur, et quand il sera bien blanc, faites-le dissouldre dans l'eau de fontaine : et le ferés bouillir dans un pot de terre neuf envernissé quatre ébullitions : et puis le laissés refroidir, et la gettés et faites cela quatre fois : à la dernière fois prendrés de céruse de Venise demy livre, et pastés-la avec six blancz d'œufs, et enveloppés-la dans trois petites pièces de linge bien blanc, qui soit rare comme d'estamine : et puis liés-la et faites-la bouillir dans quelque vaisseau de terre tout neuf : et tant qu'il bouillira qu'il fera une escume, faites-la cuillir avec une pleume blanche, ou avecques une cuiller d'argent : et tant que pourrés cuillir de l'escume mettés dans la fiolle où est la première eau du lymon : et mettrés vostre sublimé qui sera bouilli tout ensemble : et faites qu'il n'y soit point demeuré de l'eau où il a esté bouilli : et meslerés le tout ensemble : et quand en voudrés mettre au visaige, remuerés fort la fiolle, et avec un petit drappeau moullié en laverés le visaige le matin avant sortir hors la maison ; et ceux et celles qui ont le visaige rouge ou coupperosé, tant rouge que ce soit, dans peu de jours deviendra en perfaite blancheur naturelle, déchassant le mauvais sang, en subtiliant la peau tant perfaitement, et dure huict jours complits en un mesme estat, sans gaster ne blesser aucunement partie du corps, mais conservant la face en une perfaite union : que quand on auroit fait et cherché tout le monde, l'on ne sçauroit trouver fard comparable à cestuy-cy, ormis le talk, que par sa faction le corps humain est conservé en celle beauté immuable que par l'heure il est commencé... Parmi les autres recettes, il en est deux pour rendre l'haleine douce et souefve et nettoyer les dents en les blanchissant, même celles qui sont fort pourries, corrompues et pleines d'une antique rouillure. D'autres produits sont propres à rendre blanche une femme brune ; ou, tel le Lait virginal, à éclaircir le teint et ôter les taches de peau. Il en est qui font les cheveux blonds comme un fillet d'or, fussent-ils noirs par nature ou blancs ; d'autres qui font les cheveux de la barbe noirs pour blancz qu'ilz soient. Il y a un savon à adoucir les mains, un autre pour la barbe, un autre qui la noircit. Il y a plusieurs recettes de pommes de senteur, parmi lesquelles Nostradamus en recommande une qu'il a combinée avec amour, en faisant ce que faisait Zeuxis d'Héraclée quand, après avoir imaginé plusieurs jeunes vierges dans sa tête, il prit ce que chacune avait de mieux : à l'une le nez, à l'autre la bouche, à une troisième les joues, et peignit ainsi une femme qui dépassait Hélène en beauté ; ainsi fit Nostradamus lui-même en rassemblant les drogues les plus odorantes et en les malaxant longuement ; encore eut-il soin de rejeter les parfums trop forts et pénétrants, qui donnent mal à la tête et font esmouvoir aux femmes leur matrice. Il y a une huile de senteur aussi, si efficace qu'une seule goutte, plus ou moins, mise dans la matrice de la femme stérile lui vient à échauffer et adapter la matrice par telle façon qu'elle indubitablement vient être enceinte par peu de vertu que l'homme aie ; d'ailleurs, il suffit d'en mettre un peu sur le ballane pour donner vertu non pareille à l'homme vieulx et impotent à l'acte vénérée. Il y a le poculum amatorium ad Venerem duquel usoient les anciens au fait d'amour, inventé par Médée et que les Grecs appelaient philtre. Ce breuvage était tel que, quand une personne en avait fait passer un peu de sa bouche dans celle d'une autre, la seconde périssait du mal d'amour, si elle ne jouissait de la première : telle fut la mort du poète Lucrèce. Ceste beuvande a tant de vertu et d'efficace que, si un homme en avoit un peu à la bouche et, durant qu'il la tient à la bouche en baisant une femme, ou femme luy, et se jetant de cecy meslé avec la salive et luy en mettant dans la bouche, cela tout soudain luy cause un feu, non point feu fébricitant, n'aiant ne soif ne chaud, mais le cœur luy brusle d'accomplir l'effect amoureux, et non point en autre sinon que à celuy ou celle qui luy donne le baiser, luy jettant dans la bouche ; et l'amour à ces deux demeure tant longuement et inviolable, que l'un et l'autre ne peut durer sans estre ensemble. Et si on venoit séparer l'amour — tel amour quelquefoys par lors que la grand servente amour estoit convertie en fureur —, lors l'on estoit constreint de faire l'Amuletum Veneris, que nous disons Bren d'amours, avec l'oyson que nous disons eau da tremula, qui n'apparoist que l'hyver ; plusieurs qui usoient de la sainte magie le savoient faire. Gardez-vous d'employer à mauvaise fin ce puissant philtre et de le conserver longtemps sur votre langue ; portez-le dans une petite fiole de verre et lorsque vous serez auprès de la personne que vous voulez qui vous aime, usez-en comme il est dit... Mais il est temps de donner la recette ; la voici : Il suffit de cueillir trois pommes de mandragore au soleil levant, de les envelopper dans des feuilles de verveine et de la racine de molly herbe, et de les laisser exposées au serein jusqu'au lendemain matin. Ensuite vous prenez le poids de six grains de lapis magneticus ou pierre d'aimant ; vous la pulvérisez sur le marbre et l'arrosez quelque peu du suc de vos pommes de mandragore. Puis vous recueillez le sang de sept passereaux mâles, mais saignés par l'aile gauche ; attention ! Joignez le poids de cinquante-sept grains d'orge d'ambre gris ; celui de sept grains de musc ; celui de trois cent soixante dix-sept grains d'orge du dedans de la meilleure cannelle que vous trouverez ; celui de trois deniers de giroflée et de bois d'aloès ; un œillet de chaque branche du poisson appelé poulpe, que vous ferez confire dans le poids de vingt et un grain de miel ; le poids de cinq cent grains de racina apurisus ; ajoutez du vin de Crète, le double du poids de tout ce qui précède, et enfin le poids de sept cent grains de sucre finissime, qui font un peu plus d'une once. Après avoir bien pulvérisé et macéré tout cela dans un mortier de marbre avec un pestel de bois, vous le cueillez dans une cuiller d'argent, le déposez dans un vase de verre (sic) et le faites bouillir sur le feu jusqu'à tant que le sucre soit en sirop ou julep. Enfin vous l'exprimez ou pressez très soigneusement et le rangez dans un vaisseau de verre, d'argent ou d'or. Et, quand vous voulez vous en servir, mettez-en dans votre bouche gros comme le poids d'un demi-écu... C'est bien simple ! Ayant ainsi expliqué ses précieux fardemens
et senteurs, Nostradamus passe aux
confitures. Il ne rougissait pas de s'être intéressé à leur confection et de
les avoir fait faire en sa présence, en diverses régions. Les meilleures
selon lui étaient celles du Levant et de Valence, mais celles de Venise et de
Gênes étaient presque aussi bonnes. Possible,
dit-il à peu près, qu'il y aura quelque bavard
incapable de m'imiter et coutumier de médire, qui dira que tout ceci n'est
pas grand cas. Je le confesse. Mais au moins je serai celui qui, en cette
matière, aura montré le passage et coupé la glace. D'ailleurs tout le monde
n'aurait pas la compétence nécessaire pour écrire mon petit traité, et bien
des gens seront aises de savoir, grâce à lui, faire diverses confitures...
Certes ! Et louons-le du zèle gastronomique qu'il a montré, gastronomique,
dis-je, et non médical puisqu'il ne nous entretient pas de la salubrité de
ces fruits confits. Aussi ne doit-on pas omettre, en lisant la liste qui
suit, de humer en pensée la bonne odeur qui devait à certains jours
s'échapper des bassines d'Anne Ponsard et embaumer la petite maison de Salon. Premièrement on confit au XVIe siècle l'écorce ou la chair de citron avec le sucre. Puis la chair de courdes que l'on nomme cocordat ou carabassat, qui est une confiture réfrigérative, qui refraischit et est de bon goût. Puis l'orangeat au sucre ou au miel. Puis les oranges, et de telle manière qu'elles soient aussi bonnes à manger au bout d'un jour que si elles avaient trempé durant deux semaines. Puis les noix, et sans miel ni sucre. Puis les laitues. Puis les guignes ou argyrotes que les Italiens appellent amarènes, et soit en morceaux, soit en gelée. Puis le gingembre, propre aux femmes froides, qui ne peuvent concevoir, mais plus encore aux hommes incapables d'accomplir le devoir de nature. Puis les amandes. Puis les coings, en quartiers, en gelée ou en cotignac. Puis les petits limons et oranges encore verts — ce que nous nommons chinois, je pense —. Puis l'écorce de buglosse que les Espagnols appellent lengua bovina ; c'est une confiture cordiale, qui préserve de devenir hétique ou hydropicque et tient joyeux et allègre, chasse toute mélancolie, rajeunit l'homme, retarde la vieillesse, fait bonne couleur au visage, préserve le cholérique. Puis les poires. Puis les pignons de pin, de la manière qui s'appelait pignolat en roche. Enfin le maître enseigne l'art de faire le vin cuit que Marcus Varro nomme defrutum, et c'est pour faire confitures en forme liquide ; du sucre candit très beau ; les penites ou sucre panys — c'est ce que l'on voit étirer longuement dans les foires d'à présent — ; la tarte de massepain et le sirop rosat laxatif. Or les fruits si longuement trempés, puis cuits et recuits, comme le recommande Nostradamus, cela laisse à craindre que les confitures du XVIe siècle ne valussent pas celles de nos bonnes cuisinières, mais les procédés n'ont pas, en somme, extrêmement changé. Sauf erreur, nous ne confisons plus les petites laitues ; mais c'est qu'il ne s'agit pas ici des feuilles : c'est seulement la tige cueillie lorsque la plante est en graine, que le maître recommande de prendre, et même la moelle seule de la tige, qui est de la grosseur du doigt indice et de la longueur de tout le doigt. Cette moelle, il veut qu'on la fasse bouillir en eau de fontaine jusqu'à tant qu'elle soit devenue mollette, ce qu'on reconnaît à la facilité qu'on a d'y faire entrer une épingle. Alors on la retire avec une cuiller percée ou passoire, la jette dans l'eau froide pour la raffermir quelque peu, l'égoutte et la laisse sécher sur un linge blanc. Enfin on la fait cuire avec son poids de sucre et d'eau. Les confitures de petits limons et oranges nouveaux, encore verts, Nostradamus nous en donne la recette con amore ; on sent qu'il avait pour elles une dilection particulière. On y joignait des petits brots ou getons tendres que l'arbre produit chaque année au renouveau, et que l'on faisait tremper quatre jours — les oranges et limons, neuf —, en changeant l'eau quotidiennement. Ensuite on mettait les fruits à bouillir, non sans avoir soin de jeter à la première ébullition une poignée de sel dans la bassine pour ôter l'amertume ; quant aux tendres getons, on ne les mettait qu'à la fin, de manière qu'ils ne fussent pourris de cuire. Enfin, dit Nostradamus, quand le tout sera proportionnément cuit selon qu'il appartiendra, lors vous les ôterez gentiment du feu, ferez refroidir les fruits dans l'eau froide, les égoutterez, sécherez et rangerez dans un vase de verre ou de terre bien vernissée. Quant au sucre — car on le traite à part —, on le mettra à cuire jusqu'à tant qu'il soit en sirop et, une fois complètement refroidi, on le versera sur les fruits et l'on recouvrira les pots de parchemin. Mais deux jours plus tard, on le remettra au feu de nouveau dans une poualle ou poêle, puis on le reversera sur les fruits. Et cinq ou six jours plus tard on recommencera la même opération. Enfin, la confiture parachevée, faites-la mettre dans des vases de terre qui soient bas, qu'ils n'aient pas plus de hauteur que deux travers de doigt, pour ce que toute la sorte de confiture se voie et que, en la prenant, elle ne se dépièce comme en ces pots de Valence d'Espagne ou de ceux qui se font de la terre de Sicile, ou en autre vase tel que bon vous semblera. Encore une recette pour finir, car ce serait une trahison que de passer sous silence cette gelée de guignes, aussi claire et vermeille comme un fin rubis, qu'on faisait sans y rien ajouter que le fruit et que, pour leur bonté, saveur et vertu excellentes, l'auteur estimait dignes d'être présentées devant les rois ; qu'au reste il préférait lui-même à toutes les autres, on le sent. Prenez des guignes, des plus belles et des plus mûres qui se pourront trouver, la quantité que vous voudrez, et ôtez le pied [la queue], et les mettez dessus un tamis ou sac à passer la farine : et y mettrez dessous une terrine de terre : car il ne faut pas que le vase qui reçoit ce qui passe soit cuivre, airain, ni étain, pour ce que tels vases corromproient la bonté et la couleur du suc ; et que au dedans dudit vase il y ait du sucre pulvérisé, selon la quantité que vous en voudrez faire : car il faut nécessairement que le sucre y soit, pour cause que, si le suc tombait dans la terrine tout seul, il se viendroit à tourner et congeler et ne vaudroit rien ; mais ainsi le sucre le prend et vient acquérir la saveur et couleur. Donc quand le tout sera bien passé qu'il n'y sera demeuré que les os et les écorces, vous verserez le tout incontinent dans une poêle sur le feu et le ferez bouillir, et incontinent qu'il commencera à lever l'écume, vous l'ôterez studieusement avec une cuillère percée tant qu'il n'y demeure rien de l'écume. Et notez que pour faire la gelée qui soit belle et bonne en toute perfection, faut mettre petite quantité de sucre, et grande abondance de guignes, à cette fin qu'elles se congèlent plus facilement, et le cuirez à petit feu de charbon ; et faites que le feu soit toujours au milieu de la poêle : pour cause que ne se brûle ; et lui donnerez sa cuite comme il appartiendra. C'est assavoir quand vous en prendrez un peu avec une spatule ou cuillère d'argent, et le mettrez dessus un quadret ou autre vaisseau d'estain, et si se tient tout rond sans tomber ne çà ne là, lors il sera cuit ; et donnez-vous garde aussi qu'il ne cuise par trop, car il vaut mieux que la gelée soit un peu verte que trop cuite : car en la conservant le sucre la dessèche. Et cuite qu'elle soit, vous la mettrez dans de petits vases de verre bas, qu'ilz ne soient guère profonds ; et les laisserez refroidir, que si après vous regardez à la clarté, au soleil, ou à la lumière, vous le trouverez tant beau comme un rubis. Et si vous en mettez à la bouche, cela vous donne un goût non pareil et une saveur tant amiable que confiture que vous ayez jamais goûté. Mais si les guignes ne sont assez mûres qu'elles soient vertes ni peu ni prou, elle sera tant aigre qu'elle vous causera stupéfaction aux dents, et en lieu d'être confiture amiable, elle se rendra insipide... Moralité : de nos jours n'essayez pas de faire de la confiture de guignes à Paris, puisqu'il est impossible, à quelque prix que ce soit, de trouver un fruit mûr dans cette triste ville, hormis ceux qui mûrissent tout seuls dans les armoires. |