HISTOIRE DES SÉLEUCIDES (323-64 avant J.-C.)

 

CHAPITRE XII. — LES COMPÉTITIONS DYNASTIQUES.

 

 

La bataille de l’Œnoparas, qui valut à Démétrios II le titre de Nicator, l’avait débarrassé à la fois de son rival et de son protecteur. La mort de Ptolémée Philométor le dispensait d’exécuter la clause du pacte qui cédait la Cœlé-Syrie à l’Égypte. Il fit même de son mieux pour attirer à lui ou désorganiser l’armée égyptienne ; il ne put l’empêcher de regagner Alexandrie, mais il garda les éléphants qu’avait amenés son beau-père. Démétrios estimait qu’il n’avait aucune obligation envers Ptolémée Évergète II, qui avait toujours contrecarré les desseins de son frère Philométor et vécu sur le pied d’inimitié déclarée avec lui. La Cœlé-Syrie resta sous la domination des Séleucides, au grand déplaisir de Jonathan. Celui-ci, escomptant par avance le bénéfice du protectorat égyptien, assiégeait déjà la garnison syrienne enfermée dans la citadelle de Sion. La guerre faillit se rallumer entre les Séleucides et les Juifs. Démétrios, excité par les apostats et les philhellènes, se rendit avec son armée à Ptolémaïs et somma Jonathan de comparaître devant lui. Jonathan était trop prudent pour braver en face les victorieux. Sans abandonner le siège de Sion, il conduisit à Ptolémaïs une députation de notables et de prêtres, qui apportèrent ail roi des assurances pacifiques et de riches présents. La colère de Démétrios s’apaisa comme par enchantement. Aussi imprévoyant que mobile, le roi accorda à Jonathan tout ce que celui-ci lui demandait, c’est-à-dire l’exemption de toutes dîmes et taxes, moyennant une somme ronde de trois cents talents, et l’annexion de trois toparchies ou cantons détachés de la province de Samarie[1]. En ce qui concerne la clause financière, nous ne pouvons plus savoir si les trois cents talents que promit Jonathan étaient un tribut annuel, égal à celui que la Judée payait autrefois à Séleucos (Nicator ?)[2], ou si c’était un rachat au prix de cette somme versée une fois pour toutes. Jonathan était fort capable de promettre plus qu’il ne voulait tenir, mais le roi put aussi croire qu’il ne faisait pas une mauvaise affaire en touchant le capital d’un revenu que les Ptolémées — s’il faut en croire Josèphe — avaient abaissé à vingt talents[3]. J’incline à penser qu’il prit ce dernier parti, sauf à se raviser ultérieurement. N’étant pas sûr du lendemain, il vivait au jour le jour, et il avait besoin d’argent comptant. Au surplus, Jonathan et lui étaient de ceux que les engagements ne gênent pas.

Ce début n’annonçait pas chez le nouveau roi une main ferme et une politique suivie. Il n’était pas plus actif que son prédécesseur, et il était moins aimable. Il avait fait de Lasthène, l’aventurier crétois, son premier ministre et son conseiller ordinaire. C’était, dit Diodore, un homme sans religion et sans conscience, qui poussa son maître aux actions les plus indignes[4]. Il était comme le tuteur d’un roi à peine sorti de l’adolescence, et c’est bien ce soudard cupide et brutal que l’histoire doit rendre responsable de l’impopularité du régime [note 1]. Lasthène avait ses raisons pour trouver superflues les dépenses utiles. Le roi commença par congédier la majeure partie de son armée, qui lui coûtait cher et dont il croyait n’avoir plus besoin. Il ne garda à son service que les mercenaires qu’il avait amenés de Crête. Désormais les fauteurs de trouble purent prévoir qu’ils trouveraient aisément des adhérents parmi les militaires congédiés, ou même parmi ceux dont Lasthène oubliait de payer la solde[5]. Après s’être ainsi aliéné toutes les armées de ses pères, Démétrios Il eut l’imprudence de raviver les souvenirs d’un passé qu’il était censé avoir oublié. Il se mit à persécuter ceux qui pendant la guerre lui avaient été contraires et qu’il supposait prêts à conspirer contre lui ; ce qui était surtout le cas des habitants d’Antioche. Ces premières représailles mirent la ville en émoi et délièrent les langues irrévérencieuses. Démétrios, trouvant que ces gens devenaient décidément trop familiers, quitta la ville. Il alla s’installer en joyeuse compagnie à Laodicée, y réunit des troupes et revint en force à Antioche. Il fit occuper la ville par ses mercenaires et ordonna le désarmement de la population. Des perquisitions domiciliaires furent faites et aboutirent à des rixes où le sang coula[6]. L’effervescence grandissait et la défection se mettait dans les troupes royales. Le roi, résolu à ne pas céder, s’aperçut qu’il risquait d’avoir le dessous. Il eut recours à Jonathan, qui, tout heureux de fomenter la discorde en Syrie, lui expédia trois mille hommes choisis parmi les plus déterminés.

L’appel aux auxiliaires juifs, affront suprême, mit le comble à l’irritation de la grande ville. Avant qu’ils ne fussent arrivés, Antioche se souleva tout entière, et bientôt Démétrios fut bloqué dans son palais par des myriades d’insurgés. Mais les Juifs accourus à la rescousse étaient des hommes résolus, qui, n’ayant pas de quartier à espérer en cas d’insuccès et rendant au peuple haine pour haine, valaient une armée. Ils montèrent sur les toits et firent pleuvoir les projectiles sur les assaillants. La foule s’écarta un instant du palais et des maisons voisines. Les Juifs en profitèrent pour mettre le feu à ces maisons. Comme la ville était presque entièrement en bois (surtout depuis le tremblement de terre de l’an 148), l’incendie se propagea avec une rapidité effrayante. Les Juifs, sautant de terrasse en terrasse, poursuivaient et assommaient les fuyards. En même temps, le roi fit une sortie avec ses mercenaires : le carnage fut tel que les insurgés demandèrent grâce et se rendirent à discrétion. Le biographe des Macchabées revendique pour ses coreligionnaires tout l’honneur de cette journée. Les Juifs, dit-il, se répandirent dans toute la cité, et ils tuèrent en ce jour cent milliers d’hommes, et ils brûlèrent la ville, et ils s’emparèrent en ce jour de nombreuses dépouilles et ils délivrèrent le roi. Les soldats de Jonathan reprirent le chemin de la Judée Chargés de butin, complimentés par le roi et satisfaits d’avoir servi d’instruments aux vengeances de Jahveh. Grâce à ces héros, le roi Démétrios fut affermi sur le trône et la terre fit silence devant lui[7]. Cent mille hommes égorgés et la ville en cendres, c’est beaucoup. On dirait que l’écrivain israélite s’enivre de l’odeur du sang, et, dans ce cri de triomphe, on distingue mal entre la haine du Syrien oppresseur et la haine du genre humain tant reprochée aux Juifs.

Le fragment extrait de Diodore confirme en gros le récit du chroniqueur et atteste les excès de la répression. Après avoir dit que Démétrios traquait les partisans de son prédécesseur, il ajoute : Ensuite, comme les gens d’Antioche usaient de familiarité avec lui, il réunit contre eux des forces étrangères considérables et leur ôta leurs armes. Ceux qui refusaient de les rendre furent les uns tués en pleine résistance, les autres égorgés dans leurs maisons avec leurs femmes et leurs enfants. Comme le désarmement suscitait de grands troubles, il incendia la plus grande partie de la ville. Cette redoutable expérience fut perdue pour Démétrios. Il crut pouvoir impunément persévérer dans sa politique vindicative et ses agissements tracassiers. Un grand nombre d’accusés furent mis à mort et leurs biens confisqués au profit du Trésor royal. Nombreux furent les citoyens d’Antioche qui, fuyant leur patrie par crainte et par haine, erraient dans toute la Syrie, attendant les occasions d’attaquer le roi. Cependant Démétrios, persévérant dans son inimitié, ne cessait d’égorger les habitants, de les exiler et de les dépouiller de leurs biens ; enfin, il surpassa de beaucoup son père en cruauté sanguinaire, et pourtant celui-ci, loin de pratiquer une mansuétude royale, s’était conduit en tyran sans foi ni loi et avait accablé ses sujets de maux intolérables. Aussi, il arriva que les rois de cette branche furent détestés à cause de leurs méfaits, tandis que ceux de l’autre branche étaient aimés pour leur douceur. De là aussi les conflits et guerres perpétuelles qui surgissaient à tout moment en Syrie, les princes de chaque maison s’opposant les uns aux autres ; car le peuple, alléché par les promesses des prétendants, se prêtait volontiers aux changements[8]. Aveugle jusqu’au bout, Démétrios ne sut même pas rester en bons termes avec Jonathan. On se plaignait à Jérusalem de la mauvaise foi du roi, qui, après avoir accordé l’immunité aux Juifs, réclamait maintenant le tribut tel qu’ils le payaient auparavant et menaçait de venir le recouvrer à la tête d’une armée. Dans ces conditions, le moindre incident pouvait faire éclater la guerre civile. L’occasion était bonne pour les conspirateurs ; il s’en trouva un pour la saisir.

 

§ I. — LA GUERRE CIVILE (145-139).

Démétrios semblait n’avoir régné jusqu’ici que pour venger les injures de son père et les siennes. Ceux qui avaient servi l’usurpateur Alexandre savaient qu’ils n’avaient rien de bon à attendre de son successeur. A plus forte raison, ceux qui avaient desservi Démétrios Soter et son fils. Tel était le cas de Diodote, qui avait très probablement joué un rôle actif dans l’insurrection d’Antioche sous Démétrios Ier, puis avait été commandant militaire de la ville sous Alexandre Bala, et enfin avait trahi Alexandre sans gagner la faveur de son rival, en suggérant aux Antiochéniens l’idée d’offrir le diadème non pas à Démétrios, mais à Ptolémée. Il y a bien quelque difficulté à le reconnaître dans la personne de ce Diodote dit Tryphon qui fut l’auteur de la révolution dont nous allons parler, attendu que celui-ci était, d’après Diodore, en grande considération parmi les amis du roi : mais le compilateur des fragments de Diodore a pu se tromper de roi, ou le personnage était assez roué pour avoir gagné quand même la faveur de Démétrios II, peut-être sur la recommandation de Ptolémée. Mais il sentait que cette faveur prendrait fin le jour où le roi serait mieux renseigné. Il fallait se presser.

Proscrit ou réhabilité, Diodote Tryphon alla donc trouver l’émir nabatéen Émalchuel ou Malchos ou Iamblichos, qui se trouvait avoir en fidéicommis Antiochos dit Épiphane, un enfant tout jeune encore, fils d’Alexandre[9]. Et il insista pour que celui-ci lui confiât l’enfant, destiné à régner à la place de son père : et il lui énumérait tout ce qu’avait fait Démétrios et les inimitiés amassés contre celui-ci dans ses armées[10]. Il fallut du temps pour persuader le chef arabe. Enfin, les pourparlers, commencés avant l’insurrection d’Antioche, aboutirent. Diodote, menant avec lui le jeune Antiochos, établit le centre de ses opérations à Chalcis, sur la route d’Antioche à Palmyre : de là, il lui était facile de communiquer, d’un côté avec l’Arabie, de l’autre, avec la vallée de l’Oronte. Il n’avait encore avec lui qu’une petite troupe, mais il avait des intelligences dans la région d’Apamée d’où il était originaire, particulièrement dans la ville de Larisa, qui lui était toute dévouée[11].

Au début, Démétrios crut pouvoir traiter le rebelle comme un simple malfaiteur : il ordonna aux soldats de l’appréhender, mais ensuite, voyant que Diodote augmentait ses forces d’une manière inattendue et donnait pour prétexte à son audace le retour de l’enfant, il résolut d’envoyer contre lui un stratège[12]. Démétrios expiait maintenant ses fautes. Tous les soldats qu’il avait licenciés, par économie ou par défiance, venaient grossir l’armée de Diodote, qui entra, probablement sans coup férir, dans Apamée. Une fois maître de ce grand arsenal des Séleucides, Diodote avait partie gagnée. Il livra bataille à Démétrios, qui, vaincu, perdit ses éléphants et, repoussé par Antioche, dut se réfugier à Séleucie sur l’Oronte[13]. Diodote entra dans Antioche, y proclama roi Antiochos VI et se fit le tuteur de cet enfant de trois ans, affublé des titres d’Épiphane et de Dionysos. Officiellement, le nouveau règne était censé avoir commencé à la mort d’Alexandre Bala. On a d’Antiochos VI des monnaies datées — ou antidatées — de l’an 146/5 avant notre ère[14].

La guerre n’était pas finie cependant. Elle commençait par une surprise qui pouvait n’avoir pas de lendemain. En somme, le roi improvisé par Diodote ne régnait que sur la vallée de I’Oronte et celle du Jourdain. Tout le reste du royaume, le littoral méditerranéen, et à plus forte raison les provinces orientales, où l’ébranlement n’avait pas eu le temps de se communiquer, obéissaient encore à Démétrios ou attendaient, pour faire défection, la suite des événements. Diodote se hâta de s’assurer le concours des Juifs, ces gens de bravoure légendaire et d’habileté consommée, qui étaient toujours au plus offrant. Il confirma Jonathan dans toutes ses dignités et possessions, le combla de présents et d’honneurs, et confia à son frère Simon la surveillance de toute la côte, depuis l’Échelle de Tyr jusqu’à l’Égypte. Les circonstances, par une série de compromis successifs, venaient de transformer le fougueux patriote juif en stratège hellénique, régulièrement autorisé à gouverner une province que les mêmes hasards le dispenseraient peut-être de restituer. Jonathan avait aussi le droit de faire des levées en Syrie et en Phénicie. II s’empressa d’en user et d’aller installer son frère dans son commandement. Les villes maritimes, Ascalon entre autres, le reçurent avec de grandes démonstrations : Gaza, qui lui avait fermé ses portes, fut contrainte par le blocus et le ravage de son territoire à la soumission. La ville dut fournir des otages, que Jonathan envoya à Jérusalem.

Pendant que Jonathan continuait sa tournée du côté de Damas, les généraux de Démétrios avaient réussi à pénétrer dans la vallée du Jourdain. Ils étaient à Cadès, entre Tyr et la Galilée : avec de l’audace et la coopération des trois garnisons syriennes qui restaient en Judée, — à Gadara, Bethzour et Jérusalem —, ils pouvaient mettre en danger la souveraineté du grand-prêtre et ethnarque des Juifs. Jonathan accourut au plus vite : laissant son frère Simon devant Bethzour, qui finit par capituler, il poussa jusqu’à Hazor, au nord du lac de Génézareth. C’est là que se livra la bataille. Jonathan, fort maltraité au début de la journée, finit par reprendre l’offensive et poursuivit l’ennemi, l’épée dans les reins, jusqu’à Cadès. Cette victoire brillante, mais chèrement achetée, laissait Jonathan inquiet. Au dire des historiens juifs, dont le témoignage est ici particulièrement suspect, Jonathan, aussitôt rentré à Jérusalem, aurait envoyé une ambassade à Rome pour renouveler le traité passé naguère entre Judas Macchabée et le peuple romain. Ce problématique traité n’avait guère plus servi jusqu’ici aux Juifs que l’amitié, plus légendaire encore, naïvement offerte dès le temps des Diadoques, paraît-il, par les Spartiates à leurs amis les Juifs, amitié que les envoyés de Jonathan avaient mission d’accepter et de constater officiellement en passant par Lacédémone et autres lieux à leur retour[15]. Sparte formait un bien petit appoint à l’alliance romaine : mais, puisque quelque écrit apocryphe, fabriqué peut-être à Alexandrie, avait persuadé aux Spartiates — isolés dans le monde grec comme Israël dans le monde oriental — qu’ils étaient parents des Juifs par Abraham, il ne fallait pas dédaigner cette sympathie spontanée, peu efficace, mais aussi peu exigeante. Sparte, pour avoir toujours résisté à la Ligue achéenne, avait été ménagée par les Romains ; elle était maintenant, avec Athènes, la seule ville autonome, sous le titre de cité fédérée, qui restât dans la Grèce désarmée et réduite en province romaine d’Achaïe (146).

Jonathan savait que ses démarches diplomatiques ne le dispensaient pas d’être vigilant. Il apprit sur ces entrefaites que les généraux de Démétrios marchaient sur la Judée avec une armée renforcée et comptaient le surprendre. Les Syriens furent surpris à leur tour de rencontrer Jonathan au nord du Liban, à Hamath (Épiphania) sur l’Oronte. Les deux armées s’observèrent pendant quelque temps, cherchant mutuellement à se tromper et à remplacer la bataille rangée par une surprise nocturne. A la fin, l’armée syrienne décampa de nuit, laissant ses feux allumés, de sorte que Jonathan ne put la poursuivre à temps et l’atteindre au delà de l’Éleuthéros. Après une incursion et une fructueuse razzia chez les Arabes Nabatéens, il entra en vainqueur à Damas et revint de là à Jérusalem.

Jonathan combattait officiellement pour la cause d’Antiochos VI, et son zèle était sincère dans une certaine mesure, car il était absolument d’accord avec son intérêt. Un roi mineur et contesté était un suzerain commode : les Hasmonéens commandaient en maîtres, soit pour leur compte, soit au nom d’Antiochos VI, dans toute la Syrie méridionale, depuis Damas jusqu’à Ascalon et Gaza. Ils s’occupaient maintenant à construire autour de Jérusalem une enceinte fortifiée et des ouvrages de défense sur divers points de la Judée. Mais Jonathan se crut trop facilement indispensable et ne se défia pas assez de la cour d’Antioche. Même loyal envers son pupille, Diodote Tryphon devait chercher à entraver l’œuvre de Jonathan ; à plus forte raison, ambitieux et préoccupé de ses trahisons futures, ne pouvait-il manquer de considérer Jonathan comme un obstacle à ses desseins. Il songea donc à se défaire, par ruse ou par force, du dynaste juif avec lequel il aurait à compter le jour où il voudrait consommer son usurpation. Une entrevue eut lieu à Bethséan (Scythopolis, au sud du lac de Génézareth) entre Diodote et Jonathan ; mais celui-ci y vint avec quarante mille hommes, et Diodote intimidé ne put que reprocher amicalement à son allié ce déploiement de forces où perçait la défiance. Le régent se montra si empressé pour Jonathan qu’il décida celui-ci à le suivre à Ptolémaïs sans autre escorte qu’un millier d’hommes. A peine le prince juif y fut-il entré que les portes se refermèrent derrière lui : ses gens furent massacrés, et lui-même jeté en prison (143).

L’indignation fut grande en Israël, où le régent se préparait à conduire l’armée royale. Le peuple choisit Simon pour venger et sauver son frère. Simon se hâta d’achever les remparts de .Jérusalem et de jeter une forte troupe de fidèles dans Joppé, d’où les habitants furent expulsés. Cependant Tryphon descendait de Ptolémaïs vers le sud, avec l’intention de pénétrer en Judée, comme d’autres l’avaient fait plus d’une fois avant lui, par la frontière d’Idumée. Il traînait avec lui le malheureux Jonathan, qui servait d’appât et de prétexte aux négociations avec Simon. Quand il eut extorqué à Simon la rançon du prisonnier sans le relâcher[16], fatigué et distrait son adversaire, il voulut atteindre Jérusalem à marches forcées ; mais une abondante chute de neige fit échouer son dessein. Alors il reprit le chemin d’Antioche par la vallée du Jourdain et dévasta en passant le pays de Galaad, où il mit à mort Jonathan.

En somme, l’odieux régent de Syrie avait tiré un médiocre parti de sa traîtrise ; les Juifs étaient exaspérés sans être affaiblis. Ils se retournèrent aussitôt du côté de Démétrios II, qui était maintenant assez diminué pour n’être plus à craindre et qui mettrait sans doute un haut prix à leur alliance. Les envoyés de Simon obtinrent en effet de Démétrios une charte royale qui confirmait Simon dans sa dignité de grand-prêtre et de prince ou ethnarque des Juifs, faisait remise à la nation de tous tributs arriérés, et l’en exemptait à l’avenir[17]. Le peuple juif data de ce jour l’ère de l’indépendance. Simon est le premier qui ait battu monnaie au nom de Jérusalem la Sainte. Il ne tarda pas à mettre le fait d’accord avec la théorie : il prit Gazara et investit la citadelle de Jérusalem, où la garnison syrienne tenait toujours. Le blocus dura longtemps, mais la famine eut raison des assiégés, plus que les machines avec lesquelles Simon battait les murailles. A la fin, les garnisaires se rendirent et eurent la vie sauve. Au mois de mai 142, Simon fit son entrée dans la citadelle, qui fut rasée avec la colline même sur laquelle elle était assise, afin que rien ne dominât plus le Temple.

En reconnaissant l’indépendance de la Judée, Démétrios II se montrait généreux aux dépens de son rival. Pour lui, il n’espérait plus reprendre la Syrie par une attaque directe ; il y était trop impopulaire. Une sorte de trêve s’était établie, par le fait de leur impuissance mutuelle, entre les deux rois rivaux. Pendant que Antiochos VI et Tryphon étaient installés à Antioche, Démétrios gardait la Cilicie et les provinces d’Orient. Il semble même avoir conservé la possession de Séleucie sur l’Oronte, interceptant ainsi, comme jadis, au temps où la ville était au pouvoir des Égyptiens, les communications d’Antioche avec la mer. Il était maître des côtes qui enserrent le golfe d’Issos, et il aurait pu continuer ou reprendre la lutte avec avantage, s’il n’en avait été détourné par les nouvelles alarmantes qui lui venaient de l’Orient. Les colons hellénistiques, foulés par la puissance croissante des Parthes, imploraient son secours.

Les choses avaient bien changé de ce côté depuis trois quarts de siècle. Au temps d’Antiochos le Grand, les Parthes n’étaient encore que campés entre la Médie et la Bactriane, tenus en échec il l’ouest par les Séleucides, à l’est par le royaume bactrien alors en pleine croissance. L’alliance contractée entre Antiochos III et Euthydème Ier avait porté ses fruits. Le fils d’Euthydème, Démétrios (180 ?), devenu le gendre du roi de Syrie et légitime possesseur de tout ce qui reconnaissait encore le protectorat des Séleucides entre le plateau d’Asie et l’indus, avait reculé les frontières du royaume bactrien, à l’E. et au S. jusqu’aux monts Imaüs (Himalaya) et, aux bouches de l’Indus ; au N. jusqu’aux Sères et Phryniens ou Fauniens (les Huns ?), c’est-à-dire jusqu’aux confins de la Tartarie chinoise[18]. Il implantait la civilisation grecque dans ce Pandjab où Alexandre le Grand n’avait fait que passer, et les noms d’Euthydémia, l’ancienne Sangala sur l’Hydaspe, de Démétriade en Arachosie, attestent à la fois les conquêtes et la piété filiale du monarque bactrien.

Mais la fidélité et l’obéissance n’étaient pas des vertus grecques. Pendant que Démétrios méritait le titre d’Invincible (ΑΝΙΚΗΤΟΣ) gravé sur ses monnaies grecques et bilingues, un usurpateur lui enlevait la Bactriane (vers 175 ?), et malheureusement cet usurpateur, le Grand-Roi Eucratide, était un rival digne de lui. Ces deux hommes, qui, paraissant chacun à son heure, eussent pu prolonger la fortune des armes grecques, ébranlèrent par leurs luttes la suprématie précaire de la race conquérante dans l’Extrême-Orient. Démétrios paraît avoir été réduit à, la possession de l’Inde, d’où il finit par être expulsé, à la suite d’une guerre acharnée[19]. Si Eucratide parvint à restaurer ainsi à son profit l’unité du royaume bactrien, ce ne fut pas pour longtemps. Son exemple avait suscité de toutes parts des révoltes et des usurpations ; il épuisa ses forces à lutter en Sogdiane, en Arachosie, en Drangiane, eu Ariane, en Cophène, en Gandaritide, contre des prétendants et des roitelets qui nous ont laissé leurs noms sur leurs monnaies : Euthydème II, — peut-être frère ou fils de Démétrios, — Pantaléon, Agathoclès dit le Juste, Antimachos Ier dit le Dieu, Antimachos II Niképhoros, d’autres encore, un Antialcidas Niképhoros, un Lysias Anikétos, un Platon dit Épiphane, un Strabon, un Apollodote, un Ménandre. Il n’est plus possible de distinguer entre eux des groupes dynastiques et d’en fixer la chronologie. Nous possédons encore de quelques-uns de ces parvenus, comme Agathoclès et Antimachos, des monnaies ancestrales — en guise de proclamations populaires — portant les noms des rois dont ils se prétendaient les héritiers légitimes. On y voit figurer les noms d’Alexandre le Grand, Diodotos Soter, Euthydémos Théos, Antiochos Nicator, etc. [note 2]. De son côté, Eucratide légitimait aussi de son mieux son usurpation en mariant son fils Hélioclès avec la fille de Démétrios réconcilié, une Laodice qui se trouvait être la petite-fille d’Euthydème I et d’Antiochos le Grand. Il eut même soin, pour plus de sûreté, d’associer au trône ce fils sur qui reposait l’espoir de sa dynastie. Mais ce fils était un monstre. Au retour d’une campagne dans l’Inde, Eucratide ne rentra pas à Zariaspa : il fut assassiné en route par son fils, qui ne prit même pas la peine de cacher son forfait[20]. Le parricide, d’après Justin, déclarant qu’il avait tué non pas un père, mais un ennemi de son pays, fit passer son char sur le corps sanglant et ordonna de le jeter à la voirie. Si l’on ne veut pas renoncer à comprendre comment Eucratide, qui luttait alors contre les défections, contre les Barbares du Nord et les Parthes, avait pu être accusé de se trahir lui-même, on ne trouve qu’une explication quelque peu vraisemblable : à savoir, qu’Eucratide avait peut-être consenti à céder aux Parthes ou aux Scythes des provinces qu’ils avaient déjà envahies.

De pareilles convulsions auraient compromis l’existence d’États moins artificiels que la Bactriane. Hélioclès, qui osa prendre le surnom de Juste, fut le dernier roi du pays. Il ne parvint pas à évincer les compétiteurs qui se taillaient des domaines dans les lambeaux de l’empire bactro-indien. Tous ensemble trahissaient la cause de la civilisation hellénistique dont le souci avait rapproché jadis Euthydème Ier et Antiochos le Grand : mais l’heure du châtiment approchait. Les Scythes d’un coté, les Parthes de l’autre, allaient confisquer à leur profit cet héritage trop disputé.

Nous savons, par un fragment de Polybe cité plus haut[21], que les Scythes nomades menaçaient déjà la Bactriane au temps d’Euthydème de Magnésie. Nous ignorerions ce qui s’est passé dans le bassin de l’Oxus et de l’Iaxarte sans le secours inattendu d’un document chinois[22], rédigé vers la fin du IIe siècle avant notre ère par l’ambassadeur Tchang-Kian, envoyé par l’empereur de Chine dans les régions où s’est livré le dernier combat entre les Barbares du Nord et les États hellénistiques. Nous apprenons ainsi que, vers l’an 177 avant l’ère chrétienne, les Hiong-Nou (Huns) refoulèrent vers le sud les Youé-Tchi, dans lesquels on croit reconnaître les Tochares des auteurs occidentaux. Ceux-ci se jetèrent sur le Turkestan oriental et en expulsèrent les Ssé (Sakes), qui à leur tour franchirent les montagnes de Tartarie (Bolor) et vinrent s’abattre sur la vallée du Cophène, où ils substituèrent leur domination à celle des dynastes hellénistiques. La débâcle une fois commencée ne s’arrêta plus. Les Youé-Tchi furent chassés du Turkestan (vers 160) par une autre horde, celle des Ousoun. Ils poursuivirent alors leur marche vers l’ouest et assaillirent le pays des Ta-Hia (Bactriens ?) par la Sogdiane[23]. C’était le moment où Eucratide, harassé par ses longs efforts, venait de se laisser arracher par Mithridate, roi des Parthes, les satrapies de Torioua (?) et d’Aspionos[24], c’est-à-dire probablement la région (Arie) qui ouvrait aux Parthes l’accès de la vallée du Cophène. La Bactriane était hors d’état de résister à la poussée des Barbares, qui avançaient lentement, mais sûrement, dans la direction du midi et de l’ouest. C’est dans cette situation désespérée que les Grecs de Bactriane songèrent à invoquer l’appui des Séleucides.

Ils n’étaient pas seuls à regretter le passé et à se retourner vers l’Occident. Mithridate Ier (Arsace VI), le véritable fondateur de l’empire parthe, était attentif à profiter de toutes les occasions. Les embarras de son voisin Eucratide lui avaient permis de s’agrandir du côté de l’Orient. Les troubles qui minaient la monarchie des Séleucides et en détruisaient la cohésion lui facilitèrent la conquête de la Médie, déjà commencée par son frère et prédécesseur Phraate Ier (Arsace V)[25]. Depuis que Timarchos, au temps de Démétrios Ier Soter, avait voulu faire de la Médie un royaume indépendant, il est probable que cette province était restée à peu près autonome, les rois de Syrie ayant toujours été distraits depuis lors par leurs querelles dynastiques et incapables d’affermir leur autorité au delà du Tigre. Justin considère l’entreprise de Mithridate comme une guerre entre les Parthes et les Mèdes, une guerre à laquelle la Syrie est restée étrangère. On peut même supposer que le faible Alexandre Bala, intronisé par Héraclide, avait laissé la Médie aux mains de la famille de Timarchos et d’Héraclide, et que le Mède Dionysios, mentionné par Diodore parmi les satrapes et stratèges ennemis de Tryphon, était un fils de Timarchos[26]. Les Mèdes, soutenus sans doute par les dynastes d’Atropatène, qui redoutaient comme eux le joug des Parthes, se défendirent longtemps ; mais la victoire resta finalement aux Parthes. Mithridate institua en Médie une sorte de vice-roi nommé Bacasis, de façon à conserver aux vaincus un semblant d’autonomie.

La conquête de la Médie mettait l’empire parthe en contact immédiat avec le centre de l’ancien empire séleucide, l’Assyrie, la Babylonie, la Susiane et la Perse. Mithridate n’avait devant lui que des dynastes isolés ou des satrapes que les troubles de Syrie laissaient sans direction et sans secours. Après avoir négligé quelque affaire pressante en Hyrcanie, — peut-être réprimé une nouvelle révolte des Mardes ou Amardes récemment subjugués[27], — Mithridate s’attaqua à la Susiane et à la Perse. Il n’y avait en Susiane, en dehors des Cosséens et autres nomades qui n’avaient jamais obéi à personne, qu’un État organisé, celui des Élyméens[28], petit royaume improvisé sans doute après la mort d’Antiochos le Grand et vainement attaqué, dit-on, par Antiochos Épiphane. Mithridate battit le roi des Élyméens et mit enfin la main sur les trésors qui avaient excité les convoitises des Séleucides. Le pillage des temples de Bel et d’Anahit (Artémis-Athéna) lui rapporta 10.000 talents[29]. La prise de Séleucie sur l’Hédyphon acheva la conquête de l’Élymaïde, qui fut laissée, suivant la pratique des Parthes, à un roi ou vice-roi réduit à la condition de vassal. La Perse, partagée entre plusieurs dynastes, ne put échapper au protectorat des Parthes. Ainsi maître des régions qui s’étendent au delà du Tigre, Mithridate franchit le fleuve et prit Séleucie, qui allait devenir la capitale de son empire[30]. Le gouverneur syrien qui régissait la Babylonie pour le compte de Démétrios II ne put arrêter l’invasion. L’Euphrate, de son embouchure à son cours moyen, devint la frontière qui sépara désormais les possessions des Arsacides et des Séleucides. L’Arménie, indépendante depuis un demi-siècle, fut également absorbée, du moins pour quelque temps, par l’irrésistible expansion de l’empire parthe. Ses dynastes ou rois indigènes paraissent avoir été à ce moment dépossédés au profit d’une branche cadette de la dynastie des Arsacides [note 3][31].

Mithridate avait amplement mérité le titre de Grand-Roi des rois qu’il se donne sur ses monnaies. Mais, parmi les vaincus, plus d’un ne se résignait pas à sa défaite. On savait depuis longtemps que les plus grands empires ne sont pas à l’abri des vicissitudes soudaines et que la guerre peut défaire ce que la guerre a fait. C’est à ce moment — autant que l’on peut ordonner tous ces faits dépourvus de chronologie — que, cédant enfin aux instances réitérées des Hellènes et Macédoniens[32], Démétrios II, roi presque sans royaume, entra en conflit armé avec le roi des Parthes (140/39 a. C.).

Un plan grandiose s’élaborait dans son esprit au cours de ces deux ou trois ans que Justin nous représente comme voués à la paresse et aux vices d’une adolescence corrompue. Battre les Parthes à l’aide d’un soulèvement général des villes et États hellénisés ; ressaisir la suzeraineté dans ces régions de la Haute-Asie où les Séleucides n’avaient plus pénétré depuis le temps d’Antiochos le Grand ; puis revenir glorieux et puissant en Syrie pour abattre définitivement la branche rivale ; il y avait là de quoi tenter l’imagination aventureuse d’un jeune homme et d’un roi en détresse, qui se sentait haï et méprisé chez lui. Il comptait un peu sur les peuples qui l’appelaient, beaucoup sur le hasard.

Le succès sourit tout d’abord à l’audacieuse entreprise. Les promesses faites à Démétrios furent tenues. Le représentant de la civilisation hellénique vit accourir autour de lui non seulement les descendants des colons d’Occident, mais même les contingents des peuples d’Orient qui, à cause de la cruauté de l’Arsacide roi des Parthes et accoutumés qu’ils étaient à l’ancien gouvernement des Macédoniens, supportaient avec indignation l’orgueil du nouveau peuple. Aussi, appuyé par les secours des Perses, des Élyméens et des Bactriens, il battit les Parthes en mainte rencontre. Démétrios prit par la Mésopotamie, où il fut reçu à bras ouverts, et marcha droit sur la Médie. C’est là qu’eut lieu le choc définitif, ou plutôt la trahison qui épargna aux Parthes la peine de combattre. Attiré dans un guet-apens, sons prétexte de négociations, Démétrios fut fait prisonnier et promené triomphalement à travers les villes qui s’étaient l’alliées à lui, en dérision de la sympathie qu’elles lui avaient témoignée. Puis, Démétrios fut interné en Hyrcanie[33]. Mithridate le traita avec égards, lui promit de le l’établir dans son royaume et lui donna ou lui destina sa fille Rhodogune en mariage[34]. Il se réservait sans doute, au cas probable où il ne pourrait abattre l’empire séleucide, de replacer Démétrios II sur le trône de Syrie et d’y installer sa fille Rhodogune avec lui. La Haute-Asie était bien perdue pour les Séleucides. A partir de ce moment, les documents babyloniens ajoutent à la mention des années de l’ère séleucide la date comptée d’après l’ère des Arsacides, avec le nom de l’Arsace régnant. La première datation ainsi doublée est de 174 Sel. =111 Arsac. (= 139/8 a. C.)[35].

La dynastie des Séleucides n’avait jamais éprouvé encore pareil affront. Mais l’humiliation de Démétrios II, à laquelle ajoutait l’ironie de son surnom de Nicator transformé par les mauvais plaisants en sobriquet comme porte-fers[36], dut réjouir les adversaires qu’il avait laissés en Syrie. Tryphon, qui se désintéressait alors des affaires de Judée et qui laissait tranquillement le peuple juif se donner une charte de sa façon (140/39 a. C.), se sentit délivré de tout souci. Il lui sembla même qu’il s’était contraint assez longtemps et qu’il pouvait maintenant échanger sa qualité de régent contre le titre de roi. C’était un projet qu’il caressait depuis des années et auquel il avait déjà sacrifié la vie de Jonathan : il l’avait mûri et il montra dans l’exécution tout sou savoir-faire. Un jour, le peuple d’Antioche apprit que le jeune roi Antiochos VI, alors âgé de neuf à dix ans, était malade ; puis que les chirurgiens allaient tenter sur lui l’opération de la taille ; enfin, qu’il était mort entre leurs mains. C’est du moins la version qui fut répandue dans le public et que Tite-Live adopte, sans faire de réserves pour l’honneur du corps médical [note 4]. Le fils d’Alexandre, dit-il, ayant au plus dix ans, fut occis traîtreusement par son tuteur Diodote surnommé Tryphon. Celui-ci avait corrompu des médecins qui, affirmant faussement, au peuple que l’enfant souffrait d’un calcul, le tuèrent en l’opérant[37]. En même temps, le régent envoyait ses amis et familiers auprès des soldats, leur promettant de leur donner beaucoup d’argent s’ils l’élisaient roi, leur rappelant que Démétrios était prisonnier des Parthes et que son frère Antiochos, s’il arrivait au pouvoir, leur ferait beaucoup de mal pour se venger de leur défection. Les soldats, dans l’espoir que Tryphon, une fois roi, leur ferait des largesses, le proclamèrent souverain[38]. C’était une sorte d’empire électif que cet obscur précurseur des Césars, appelé comme eux empereur, essayait de substituer à la monarchie de droit divin [note 5].

Tryphon était pressé de jouir : il en oublia toute prudence, au moment où la prudence était le plus nécessaire. Obséquieux et flatteur de la populace quand il était au second rang, il devint insolent au premier. Les hauts fonctionnaires, surtout ceux de race royale, se révoltèrent de toutes parts, soit pour leur compte, soit au nom de Démétrios II ou de son frère cadet Antiochos dit de Sidé en Pamphylie, lieu où, dit-on, il avait été élevé. C’était, en Mésopotamie, — s’il en restait encore quelques places aux Séleucides, — Dionysios le Mède ; en Cœlé-Syrie, Sarpédon et Palamède ; à Séleucie de Piérie, aux portes d’Antioche, Æschrion, qui avait avec lui la reine Cléopâtre, femme de Démétrios II, et ses enfants[39]. Une anecdote racontée par Posidonios et recueillie par Athénée nous apprend que Sarpédon fut battu à Ptolémaïs par les troupes de Tryphon, mais qu’un raz de marée survenant à l’improviste noya les vainqueurs, si bien que les bandes de Sarpédon, refoulées vers l’intérieur, revinrent à la côte et se régalèrent des poissons échoués avec les cadavres. Posidonios d’Apamée avait chance d’être bien renseigné sur les faits et gestes de son compatriote Tryphon. Cependant, Strabon, sans doute aussi d’après Posidonios, dit que Sarpédon avait vaincu les gens de Ptolémaïs quand le flot surprit les fuyards en déroute[40]. Une contradiction de plus ou de moins dans nos textes n’est pas pour nous étonner. Il résulte des deux versions que Sarpédon s’empara de Ptolémaïs. Nous n’avons pas d’autres renseignements sur les premières résistances rencontrées par Tryphon. La lutte sérieuse commença lorsque Cléopâtre offrit sa main et le trône à son beau-frère Antiochos, accouru de Rhodes à la nouvelle de la captivité de Démétrios. Jusque-là, Antiochos frappait vainement aux portes des villes qui se fermaient devant lui, par crainte de Tryphon[41]. Quelle confiance pouvait inspirer un tout jeune homme sans appui, sans argent, que Cléopâtre elle-même pouvait traiter en intrigant et en fâcheux ? Appien, qui a peu de souci de la chronologie, croit que Cléopâtre Théa épousa Antiochos VII Sidétès par dépit, par jalousie coutre Rhodogune, la princesse partite mariée avec Démétrios. Mais il serait bien étonnant que le roi parthe — surtout si c’est Phraate Arsace VII qui a fait le mariage, comme le dit Appien lui-même — ait si rapidement combiné un plan où l’on devine une arrière-pensée politique, et que la nouvelle de ce mariage fût déjà parvenue en Syrie[42]. Cléopâtre avait bien assez d’autres raisons de se chercher et s’attacher un défenseur. Quoi qu’il en soit, Antiochos vint à Séleucie, s’y fit proclamer roi et fut bientôt en mesure de donner la chasse à l’usurpateur (138).

Tryphon cependant ne restait pas inactif ; mais, au lieu de jouer résolument son rôle de démagogue couronné, il avait cru habile de mendier l’investiture du Sénat romain. Il avait envoyé à Rome une Victoire en or du poids de 10.000 statères, supposant que le Sénat accepterait ce magnifique cadeau sous une forme de si bon augure. Mais le Sénat se montra, suivant l’expression de Diodore, encore plus roué que lui : la haute assemblée accepta le cadeau, mais l’inscrivit au nom du jeune roi défunt, ingénieuse façon de partager le fruit du crime sans en partager la responsabilité[43]. Strabon dit que Tryphon fit de Coracésion en Cilicie sa place d’armes, ce qui fait supposer qu’il avait été tout d’abord expulsé d’Antioche[44]. Il perdit une bataille contre Antiochos VII dans la Haute-Syrie et se trouva rejeté sur la Phénicie. Là, il dut regretter le meurtre de Jonathan, car une alliance avec les Juifs eût pu le sauver. Ceux-ci s’empressèrent, au contraire, d’accepter les avances d’Antiochos VII et lui fournirent des renforts pour faire le siège de Dora, où Tryphon s’était enfermé. Malgré les forces considérables employées sur terre et sur mer au blocus de la place, Tryphon réussit à s’échapper sur un navire qui le débarqua à Orthosia et à se jeter dans Apamée, sa ville natale, de tout temps dévouée à sa personne. Mais Antiochos se mit à sa poursuite et investit Apamée. A la fin, Tryphon fut pris et mis à mort ou se suicida[45]. Il n’y avait plus qu’un roi en Syrie.

 

§ II. — LE RÈGNE D’ANTIOCHOS VII ÉVERGÈTE (139-129).

Il n’est pas certain pourtant que Antiochos VII ait pu passer en repos les deux années suivantes. Justin dit que, quand il partit pour aller combattre les Parthes, il avait une année qu’il avait endurcie par de nombreuses guerres avec ses voisins (mulis finitimorum bellis)[46] ; et cependant, on n’entend pas dire que ni le roi de Pergame, ni le roi de Cappadoce depuis qu’ils avaient coopéré à l’intronisation de Rata, ni le roi d’Égypte depuis la chute de Hala, fussent intervenus dans les querelles dynastiques des Séleucides. Attale II avait terminé en 438, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, sa laborieuse carrière, et son fils et successeur Attale III, le dernier des Attalides, était ce jeune maniaque, indolent et capricieux, qui allait bientôt léguer son royaume aux Romains. Les luttes contre Tryphon et celles contre les Juifs, dont nous allons parler, ne répondent pas au qualificatif employé par Justin. S’il a bien pris le mot dans son acception propre, on est amené à penser que Antiochos VII a dû guerroyer contre des adversaires devenus étrangers au royaume, peut-être contre ce Dionysios de Médie, un parent de la famille royale, gui s’était déclaré contre Tryphon, mais pour se rendre indépendant en Mésopotamie ; ou encore, contre un certain Samès, qui s’improvisa roi de Commagène et y fonda une dynastie avec Samosate pour capitale[47] ; ou enfin, contre une autre agitation séparatiste en Osrhoène, qui aboutit vers cette époque la fondation du royaume d’Édesse[48].

Antiochos VII, bien que fort jeune encore, environ vingt-deux ans, était un homme énergique, qui joignait aux qualités viriles de son père un certain sens politique. Il sut ne pas réveiller mal à propos les rancunes que laissent toujours les guerres civiles : il comprit que le seul moyen d’affermir son autorité au dedans était de la faire sentir aux ennemis du dehors. Les Juifs, qui avaient consommé leur séparation et affichaient leur indépendance, étaient maintenant de ceux-là, ou plutôt à la fois des ennemis intérieurs et des étrangers. A défaut de grandes entreprises, Antiochos savait qu’une guerre contre les Juifs serait toujours populaire en Syrie et en Phénicie. C’était là une vieille querelle qui n’avait jamais été vidée à fond, car les Séleucides considéraient toujours comme provisoires les solutions intervenues. Il nous faut, pour saisir l’enchaînement des faits, retourner quelque peu en arrière. A travers le récit confus du biographe des Macchabées, on voit bien que le roi de Syrie chercha l’occasion de revenir sur les concessions qu’il avait lui-même confirmées alors qu’il n’était encore que prétendant. La brouille avait commencé lors du siège de Dora. Pendant que le roi investissait la place, des ambassadeurs que Simon avait envoyés à Rome pour offrir au Sénat un magnifique bouclier en or du poids de 1.000 mines[49] revinrent d’Italie rapportant un sénatus-consulte ou message adressé aux États voisins de la Judée pour inviter ceux-ci à respecter l’indépendance des Juifs (139 a. C. ?)[50].

Ce document, comme tous ceux qui sont insérés dans la chronique juive, a bien l’air de sortir d’une fabrique de littérature apocryphe et d’avoir été rédigé par un Juif fort peu au courant des institutions romaines et des formules protocolaires, qui s’imagine que Rome est gouvernée par une sorte d’empereur appelé consul. C’est Lucius, consul des Romains, qui écrit en son nom aux rois et envoie copie de sa circulaire à plus de vingt adresses, depuis l’Égypte et le Péloponnèse jusqu’au fond de l’Asie, car le roi Arsace figure avec les rois Démétrios, Attale et Ariarathe, parmi les destinataires. Enfin, on peut admettre que Antiochos VII reçut, par les soins de Simon, quelque missive de ce genre, plus ou moins authentique, et qu’il en conçut quelque humeur. Aussi, quand Simon envoya des présents et deux mille auxiliaires à Antiochos, celui-ci ne voulut pas les recevoir et prit une attitude hostile. Simon avait un peu trop attendu : ses secours arrivaient au moment où le roi n’en avait plus besoin. Antiochos dépêcha aussitôt en Judée Athénobios, un de ses amis, pour réclamer la remise de Joppé, de Gazara et de la citadelle de Jérusalem. De plus, les Juifs devaient payer l’arriéré, des tributs dus par les pays dont ils s’étaient illégalement emparés ou racheter cette dette par un versement de 500 talents, sans préjudice de l’indemnité pour les pillages commis, indemnité qui se montait également à 500 talents ; le tout sous peine de s’y voir contraints par la force. Un potentat qui payait si cher les sénatus-consultes n’était pas un débiteur à ménager.

Simon invoqua son bon droit, les justes représailles exercées à Joppé et à Gazara, et offrit 100 talents pour tout ce que lui réclamait le roi. Celui-ci, occupé alors à poursuivre Tryphon, envoya le stratège Cendebæos pour réduire les Juifs à l’obéissance. Cendebæos établit son quartier général à Iamnia (Iabné) et se mit à pousser des reconnaissances sur la route de Jérusalem. Mais, sur leur sol natal, les Juifs étaient invincibles. Les deux fils aînés du vieux Simon, Jean dit Hyrcan et Judas, à la tête de vingt mille hommes, assaillirent l’armée syrienne à Modéin et remportèrent une victoire signalée. Par malheur, depuis qu’il y avait un gouvernement national en Judée, il y avait des ambitieux pour convoiter le pouvoir. Le propre gendre de Simon, un certain Ptolémée fils de Haboub, tendit un guet-apens au grand-prêtre et l’assassina à Jéricho, dans un banquet, ainsi que deux de ses fils, Judas et Mattathias ; après quoi, il écrivit au roi de Syrie pour lui demander son appui, offrant de rétablir l’ancien ordre de choses et de payer tribut comme autrefois (135)[51].

Nous ne savons quel accueil fit Antiochos VII aux propositions de l’assassin : il jugea sans doute à propos de laisser la discorde lui préparer les voies. Ptolémée n’avait pas réussi à mettre la main sur Jean Hyrcan, le vainqueur de Modéin, fils et légitime successeur de Simon[52]. Jean, qui était à Gazara au moment du meurtre de son père, se hâta de courir à Jérusalem et d’en fermer les portes à son rival, lequel, repoussé et honni par la population de la capitale, alla se cantonner dans le fort de Dagon, au-dessus de Jéricho. Jean l’y assiégea, mais il résista longtemps. Ptolémée était un ignoble scélérat. Comme il avait en son pouvoir la mère et les frères de Jean Hyrcan, il se servit de ces otages pour paralyser l’élan de son adversaire, menaçant de les précipiter du haut des remparts si Hyrcan ordonnait l’assaut. Il gagna ainsi l’automne, moment où l’ouverture de l’année sabbatique suspendait de droit les hostilités. Telle est du moins la cause que Josèphe assigne à la levée du siège [note 6]. Profitant de ce répit, le misérable mit à mort la mère et les frères de Jean Hyrcan et s’enfuit auprès de Zénon surnommé Cotylas, tyran de Philadelphie (Rabbath-Ammon).

C’est alors que Antiochos VII intervint[53]. Le roi commença par dévaster le pays, chassant devant lui la population affolée qui alla se réfugier à l’abri des remparts de Jérusalem (134/5). Antiochos mit le siège devant la ville surpeuplée et prise au dépourvu. L’année précédente, année sans labours et sans récoltes, y avait épuisé les provisions, et l’assiégeant était sûr d’avoir à bref délai la disette pour alliée. C’était sans doute une opportunité qu’il avait fait entrer dans ses calculs. Pour bien montrer sa résolution d’en finir, il fit d’immenses travaux de circonvallation, double fossé mené autour de l’enceinte et flanqué au nord — du côté de la plaine — de cent tours occupées par des postes vigilants. C’était le blocus, la famine, et au bout, la capitulation inévitable. Elle se fit cependant attendre longtemps, près d’une année entière. Hyrcan essaya de se débarrasser des bouches inutiles ; mais il avait trop compté sur la philanthropie du roi, qui ne voulait pas perdre le fruit de ses efforts. Il fut obligé de rouvrir les portes de la ville aux malheureux qu’il en avait exclus et qui, errant entre les remparts et les ouvrages des assiégeants, mouraient d’inanition sous les yeux de leurs compatriotes. Pour pouvoir célébrer la fête des Tabernacles (en octobre), Hyrcan demanda à Antiochos un armistice de sept jours. Le roi saisit l’occasion de montrer qu’il ne faisait pas la guerre à la religion des Juifs et qu’il ne revendiquait que ses droits de souverain. Non seulement il accorda la trêve, mais il envoya au temple de Jahveh de magnifiques offrandes, des taureaux aux cornes dorées et des vases d’or et d’argent remplis d’aromates de toute espèce[54]. Il alla même jusqu’à célébrer, lui aussi, la fête dans son camp, en banquetant avec son armée ; ce qui était sinon un acte pieux, du moins la meilleure manière d’utiliser sans déloyauté l’armistice intervenu et de faire réfléchir les affamés.

Ce siège mémorable, qui aurait pu amener la ruine de Jérusalem deux siècles avant Vespasien, finit par un accommodement. Hyrcan, touché et rassuré par la condescendance du roi, entra en négociations. Comme trente-trois ans auparavant Antiochos Épiphane, Antiochos VII refusa d’écouter ceux qui lui conseillaient de ne pas traiter, mais d’exterminer cette race réfractaire à tout mélange avec les autres, ces lépreux dont les ancêtres, chassés de l’Égypte, avaient légué à leurs descendants leur haine pour le genre humain[55]. C’est le réquisitoire qui, formulé en termes saisissants par Posidonios, ira désormais se répétant de siècle en siècle et ne se taira plus. Le roi se contenta de désarmer les Juifs, de leur imposer une contribution de guerre de 500 talents, de les obliger au tribut pour les villes qu’ils possédaient en dehors de la Judée, et de prendre des otages. Ces otages et la contribution de guerre avaient été substitués, sur la demande des Juifs eux-mêmes, à l’occupation de Jérusalem par une garnison permanente. Antiochos eut soin de démanteler la ville : après quoi, il partit emmenant avec lui les otages — parmi lesquels un frère de Jean Hyrcan — et plus qu’à moitié couvert de sa créance par un premier versement de 300 talents que, dit-on, Jean Hyrcan alla prendre dans le tombeau de David. Il venait de donner un exemple de modération, et surtout de respect des croyances, dont les Juifs eussent pu tirer quelque enseignement s’ils avaient pu admettre qu’il y eût une commune mesure entre eux et les autres peuples. Ils n’en persistèrent pas moins, au cours des années suivantes, à imposer aux Iduméens la circoncision, sous peine d’expulsion en masse. Ils gardèrent cependant bon souvenir d’Antiochos VII, et c’est d’eux, au dire de Josèphe, qu’il reçut le surnom de Pieux ajouté à celui d’Évergète qu’il portait officiellement[56].

Le caractère pondéré d’Antiochos VII, qui ne se démentit point par la suite, dispense de chercher à la conduite qu’il tint en cette circonstance des motifs moins nobles, comme la crainte d’une intervention romaine. Les documents insérés par Josèphe valent, comme authenticité, la lettre de Lucius consul des Romains, et, au surplus, ils visent peut-être une époque postérieure[57]. Le fait rapporté par Tite-Live, à savoir que Antiochos avait envoyé à Scipion Émilien des présents, lesquels présents lui furent remis devant Numance (134/3), — c’est-à-dire au moment où Antiochos assiégeait Jérusalem, — ne prouve pas que le roi crût avoir besoin d’un appui à Rome. Encore le fait même est-il douteux, car Cicéron l’attribue à Attale III, ce qui est au moins aussi vraisemblable[58]. Le siège de Jérusalem lit si peu de bruit que les Romains l’avaient tout à fait oublié quand ils placèrent sur un arc élevé à Titus dans le Cirque une inscription disant que personne avant lui n’avait pu prendre Jérusalem[59]. Les Romains avaient d’ailleurs assez d’autres affaires sur les bras, et même de celles qui devaient les engager à ne pas molester le Séleucide. La prise de possession du royaume de Pergame n’allait pas pour eux sans difficultés. C’était le moment (133 a. C.) où un bâtard d’Eumène II, le pseudo Attale Aristonicos, revendiquait l’héritage à eux légué par Attale III Philométor et où éclatait, avec l’appui de plusieurs villes d’Asie Mineure, une guerre qui les tint en haleine durant quatre ans. Ils n’en vinrent même à bout qu’avec l’aide d’Ariarathe V de Cappadoce, qui périt à leur service (130). Vraiment, ce n’est pas dans de telles conjectures qu’ils pouvaient songer à protéger les Juifs envers et contre tous, au risque de se faire du Séleucide un ennemi.

Antiochos VII, rentré à Antioche, paraît avoir pris à tâche de gouverner avec justice et de prévenir par un régime de douceur les menées démagogiques qui avaient été si funestes à sa famille. Il n’était sévère que pour les corrupteurs de la morale publique, les philosophes de cour et de ruelle qui avaient eu leur moment de vogue sous Alexandre Bala. C’est lui probablement qui fit mettre à mort l’épicurien Diogène, dont il ne put supporter la mauvaise langue[60]. On lui prête même un décret d’expulsion de tous les philosophes, adressé au préfet de police Phanias et motivé par des considérations qui ne seraient nullement ridicules si le roi ne menaçait pas en même temps de pendre les jeunes gens endoctrinés de philosophie et de poursuivre leurs parents[61]. Plutarque a retenu de cet Antiochos un trait que l’on a transporté depuis dans la biographie de plus d’un roi populaire. Antiochos s’était laissé entraîner, un jour de chasse, loin de sa suite. Il entra sans être reconnu dans une cabane de pauvres gens, soupa avec eux et fit tomber la conversation sur le roi. Il eut ainsi l’occasion d’entendre dire que le roi était bon, en somme, mais qu’il s’en remettait la plupart du temps à des amis pervers, et que, à cause de sa passion pour la chasse, il négligeait souvent les choses nécessaires. Sur le moment, il se tut : mais avec le jour son escorte étant arrivée à la cabane, la pourpre et le diadème qu’on lui présenta le firent reconnaître. Par ma foi, dit-il aux siens, depuis le jour où je vous ai pris à mon service, c’est hier pour la première fois que j’ai entendu dire la vérité sur mon compte[62]. Peut-être que ses hôtes ne la lui avaient pas dite tout entière, car Posidonios lui impute un penchant à l’ivrognerie tellement connu que le roi des Parthes le lui reprocha plus tard devant son cadavre. A l’entendre, le roi tenait tous les jours table ouverte au public, d’où les convives repus emportaient encore des charretées de victuailles et de vaisselle[63]. Mais Posidonios est d’Apamée, où les compatriotes et partisans de Tryphon avaient été probablement moins bien traités par son vainqueur. Du reste, il n’est guère de Séleucide que Posidonios n’ait représenté comme gaspillant son argent et ruinant sa santé en orgies : il a dû avoir quelque peine à varier ses portraits.

Quelle que fût sa bonne volonté, Antiochos VII se trouvait dans une situation bizarre, qui ne lui permettait pas de régner en paix. Il avait débarrassé le royaume de l’usurpateur Tryphon, mais il pouvait passer lui-même pour un usurpateur aux yeux de bon nombre de ses sujets. Au lieu de rester le suppléant provisoire du roi captif et de négocier le rachat de son frère, il avait servi d’instrument à l’ambition et aux rancunes de son impérieuse belle-sœur, Cléopâtre Théa, qui l’avait fait roi pour régner avec lui et l’avait épousé, dit-on, pour ajouter au plaisir d’être reine celui de rompre bruyamment avec le mari de Rhodogune. Ce mariage avait assuré à Antiochos sinon l’appui effectif, du moins la neutralité bienveillante de l’Égypte. Mais Cléopâtre, qui révéla plus tard par des crimes abominables la profondeur de son égoïsme, n’était pas femme à oublier que son troisième époux lui devait le trône. Nous regrettons pour notre curiosité que les hôtes rustiques mis en scène par Plutarque n’aient pas parlé au roi de la reine. Peut-être Antiochos eût-il appris que Cléopâtre figurait au nombre des amis pervers qui décidaient pour lui des affaires importantes. Il est permis de supposer, en tout cas, qu’elle fut pour beaucoup dans la résolution que prit Antiochos d’entreprendre une expédition contre les Parthes, et cela, pour des motifs que l’on peut essayer de deviner.

Antiochos espérait réussir là où Démétrios II avait échoué par trahison, et il avait une raison de plus de reprendre la lutte. On peut croire qu’il avait loyalement l’intention de délivrer son frère : mais il ne pouvait se dissimuler que sa situation, déjà singulière, deviendrait bien délicate quand il aurait accompli ce devoir. Peut-être se disait-il que, une fois les provinces de la Haute-Asie reconquises, le royaume serait assez grand pour que les deux frères en eussent leur part ; que Démétrios, gendre du roi des Parthes, pourrait consentir à rester en Orient, lui laissant gouverner la partie occidentale avec Cléopâtre. Mais, à en juger par ce qu’elle fit plus tard, Cléopâtre devait avoir d’autres desseins. Elle qui en était à son troisième mari ne tenait pas à reprendre le mari de Rhodogune, et elle redoutait les entreprises de Démétrios remis en liberté, surtout s’il y réussissait par ses propres moyens, ou avec la connivence de son beau-frère. Ce qu’elle entendait par le délivrer, c’était l’enlever aux Parthes, mais pour s’assurer de sa personne. Le danger qu’elle prévoyait était pressant. Démétrios, avec la complicité d’un certain Callimandre, avait déjà fait pour s’échapper doux tentatives inutiles : la seconde fois, il était presque à la frontière de son royaume quand il fut repris et renvoyé de nouveau en Hyrcanie, auprès de sa femme et de ses enfants. Le roi des Parthes, maintenant Phraate II (Arsace VII), le surveillait plus étroitement que par le passé, mais le ménageait pour se servir de lui contre son frère Antiochos, selon que le moment ou les chances de la guerre l’exigeraient[64]. Il y avait là une menace constante de complications futures, et le plus sûr était de ne pas laisser au Parthe le choix du moment.

Antiochos VII réunit une armée immense, que les auteurs évaluent à plus de 300.000 hommes, mais encombrée, dit encore Justin, de non-valeurs, cuisiniers, pâtissiers et autres valets, trois fois plus nombreux que les combattants[65]. Jean Hyrcan, qui avait trouvé dans le tombeau de David de quoi soudoyer des mercenaires, lui amena un contingent de ses hommes et l’accompagna en Orient. Il était prudent de ne pas laisser l’ethnarque en Judée pendant l’absence du roi. Antiochos emmena aussi avec lui les enfants de son frère, peut-être pour traiter plus facilement avec Démétrios, en tout cas, pour montrer à Phraate qu’il allait combattre aussi au nom de la branche dynastique que le Parthe tenait pour légitime [note 7]. Si les auteurs n’ont rien exagéré, Antiochos, qui avait pourtant sous les yeux l’exemple d’Alexandre le Grand, eut le tort d’imiter les Darius et les Xerxès et de traîner avec lui des multitudes, là où il fallait une armée compacte et mobile (130 a. C.).

Cependant, les débuts de la campagne furent heureux pour les armes syriennes. Phraate II ne pouvait guère compter sur ses vassaux ; ils tirent défection dès qu’ils purent entrer en communication avec l’ennemi. Nombre de rois orientaux vinrent à la rencontre d’Antiochos, se livrant à lui, eux et leurs royaumes, en maudissant l’arrogance des Parthes. C’était le soulèvement spontané des civilisés contre le Barbare. D’autre part, les Scythes que Phraate avait appelés à son secours, contre promesse d’une large rémunération, n’étaient pas arrivés. Il fut obligé d’accepter la lutte dans des conditions d’infériorité évidente. Antiochos, vainqueur en trois rencontres, s’empara d’abord de la Babylonie. A Séleucie, les habitants infligèrent de cruels traitements à leur gouverneur parthe nommé Énios[66]. Puis, remontant le long du Tigre, Antiochos rencontra le général parthe Indatès sur les bords du Lycos (Zab), non loin du champ de bataille historique de Gaugamèle. Indatès fut battu, mais non poursuivi, car Antiochos dut suspendre sa marche deux jours durant pour permettre à ses auxiliaires juifs d’observer les prescriptions mosaïques qui leur enjoignaient en ce moment-là de fêter la Pentecôte, le lendemain d’un jour de sabbat[67]. Déjà se révélait le caractère essentiel du judaïsme, son incompatibilité avec toute civilisation étrangère, même quand le contact se produisait en dehors de toute intention hostile et que les froissements étaient amortis par une bonne volonté réciproque. Antiochos occupa la Médie sans coup férir : il était accueilli par les populations en libérateur. Bientôt les Parthes se trouvèrent refoulés et confinés dans leur pays d’origine.

Antiochos, dit Justin, commença à paraître un grand Roi ; et, en effet, ce titre lui est donné sur des inscriptions[68]. Mais il ne sut pas mettre sa victoire à profit. Brave, mais imprévoyant, aimant le vin et la bonne chère, il se crut trop tôt dispensé d’être vigilant en face d’un ennemi qui cherchait à regagner par la ruse ce que la force lui avait enlevé. Il laissa ses soldats, à son exemple, mener joyeuse vie aux frais des provinces conquises, dispersés et commodément installés pour l’hiver dans des garnisons où ils oublièrent le peu de discipline qu’il leur avait plu de garder jusque-là. Les simples soldats attachaient leurs chaussures avec des boucles d’or, foulant aux pieds, dit pompeusement Justin, ce métal pour lequel les peuples se battent[69]. On peut juger par là des exigences des généraux et de ce que coûtaient les gigantesques ripailles du roi. Non content d’imposer à ses nouveaux sujets de pareilles charges, Antiochos les obligeait à lui fournir des recrues. Les villes dans lesquelles Antiochos avait eu l’imprudence de disséminer ses forces furent bientôt lasses d’un tel régime. Elles s’entendirent sous main avec Phraate.

Celui-ci avait cru d’abord la partie perdue. Il avait essayé de traiter : mais, comme Antiochos exigeait que son frère lui fût remis sans rançon ; que Phraate rendît tout ce qu’il avait pris au royaume de Syrie et payât tribut pour le reste de ses possessions ; le Parthe avait pris le parti de se servir de Démétrios II contre Antiochos. Il avait donné ordre de reconduire l’ex-roi de Syrie à Antioche, pour obliger son adversaire à se préoccuper de sauver son trône. Maintenant, il pouvait espérer un retour de fortune et prendre le temps de se raviser. Une vaste conspiration s’organisa : les villes devaient se soulever toutes le même jour et massacrer leurs garnisons syriennes, pendant que le roi des Parthes entrerait en campagne pour achever l’œuvre de destruction. A l’approche du printemps, au moment où la fonte des neiges allait ouvrir aux Syriens l’accès des montagnes qui barraient le chemin de l’Hyrcanie, le complot fut mis à exécution dans toutes les villes de la Médie, sauf probablement à Ecbatane, où Antiochos était en force et mieux gardé. Le roi se précipita aussitôt au secours du poste le plus voisin, mais il se heurta à l’armée de Phraate, forte de 120.000 hommes. Ses amis lui conseillaient d’éviter le combat et de se jeter dans la montagne, où il pourrait braver la cavalerie parthe ; mais Antiochos n’écouta en aucune façon leurs discours, leur remontrant qu’il serait honteux pour des vainqueurs de redouter l’audace des vaincus. C’était le langage d’un bon soldat, mais d’un mauvais général. Antiochos se battit comme un furieux, mais il fut à peu près seul à montrer du courage. Athénæos, celui de ses lieutenants qui s’était montré le plus dur pour les habitants, donna le signal de la fuite. Abandonné des siens, Antiochos fut tué sur le champ de bataille ou s’enfuit le dernier et se précipita du haut d’un rocher pour ne pas tomber vivant aux mains de l’ennemi (févr. ? 129 a. C.)[70]. Telle fut la fin, après environ neuf ans de règne, d’Antiochos VII Évergète, nature ardente et loyale, esprit quelque peu chimérique, qui n’avait pas eu le temps d’atteindre à sa maturité. Par une sorte de fatalité, qui n’est pas imputable seulement à la nature, le royaume des Séleucides n’était depuis longtemps gouverné que par des princes à peine sortis de l’adolescence et novices au métier de rois.

Ce ne fut pas simplement une défaite, mais l’anéantissement de l’armée vaincue. Sauf les Juifs, qui avaient dû obtenir leur congé durant l’hiver et que Hyrcan avait ramenés en Judée, des trois cents et quelque mille hommes qui étaient partis d’Antioche, personne ne revint en Syrie. Les fuyards durent être massacrés de divers côtés ou moururent de privations, comme cet Athénœos, à qui personne ne voulut ni ouvrir sa porte ni faire l’aumône d’un morceau de pain, et le peu de soldats réguliers que le vainqueur jugea à propos d’épargner fut incorporé à l’armée parthe. Les princes royaux, enfants de Démétrios II, Séleucos et Laodice, étaient parmi les prisonniers. Phraate les traita honorablement et témoigna de son respect pour la famille royale en faisant à Antiochos des funérailles dignes d’un roi. Pour être tout à fait respectueux, il aurait pu se dispenser d’apostropher le cadavre et de dire, en guise d’oraison funèbre, que Antiochos VII était un présomptueux ivrogne, qui, dans ses grandes beuveries, avait espéré avaler jusqu’à la dernière goutte la royauté des Arsacides[71]. Les provinces orientales étaient définitivement perdues pour les Séleucides.

 

§ III. — RESTAURATION ET NOUVEAU RÈGNE DE DÉMÉTRIOS II (129-125).

Quand la nouvelle du désastre parvint à Antioche, ce fut une désolation inexprimable. Il n’y avait pas de maison qui ne fût en deuil, et la ville retentissait de gémissements. On pouvait s’attendre à voir prochainement les Parthes abreuver leurs chevaux dans l’Oronte, car la Syrie était maintenant sans défense. Le vainqueur se proposait en effet, au dire de Diodore et de Justin, d’envahir la Syrie, qui, en l’état actuel des choses, lui serait une proie facile. Il se repentit alors d’avoir relâché Démétrios, et il lança à sa poursuite quelques escadrons qui ne purent le joindre[72]. Heureusement, Phraate se trouva arrêté par des embarras imprévus. Les Scythes qu’il avait appelés à son aide étaient arrivés trop tard pour lui être utiles ; mais ils n’en exigèrent pas moins le loyer de leur peine, et, comme. Phraate refusait de les payer, ils se mirent à dévaster son territoire. Il fallut engager contre eux une guerre en règle, guerre qui devait coûter la vie à Phraate et mettre l’empire parthe deux doigts de sa ruine[73]. Il n’est pas probable cependant que le Parthe ait eu l’intention de déposséder les Séleucides de leur dernier asile. En tout cas, puisque cela ne lui était plus possible, il semble avoir cherché à utiliser le prestige de la vieille dynastie pour introduire dans le monde hellénistique, par des alliances matrimoniales, les Arsacides, qui déjà se paraient volontiers du titre de Philhellènes. Le mariage de Rhodogune avec Démétrios Il était un essai dans ce sens, mais un essai manqué : Rhodogune ne régnerait pas à Antioche. Phraate du moins, ayant en son pouvoir une princesse séleucide, la fille de Démétrios II, en fit sa femme. Justin assure que le roi s’éprit des charmes de la jeune captive : il se pourrait que le plus irrésistible de ses charmes ait été son sang royal, emprunté à la fois aux Séleucides et aux Lagides[74]. Mais, chez un peuple polygame, ce genre d’alliances n’avait qu’une valeur relative et comptait encore moins aux yeux des Hellènes.

Pendant que Phraate transportait sa résidence à Ecbatane et, obligé de marcher contre les Scythes, confiait l’administration de la Babylonie à son méprisable et cruel favori l’Hyrcanien Himéros ou Euhéméros qui mit Séleucie et Babylone à feu et à sang[75], Démétrios II reprenait possession de son royaume, réduit maintenant à la Syrie, la Commagène et une souveraineté nominale sur la Cilicie. Au bout de dix ans de captivité, il était devenu un étranger pour ses sujets, qui d’ailleurs ne lui avaient jamais témoigné ni estime ni affection. Antioche pleurait encore son frère quand il y arriva. Que se passa-t-il alors ? Comment Démétrios parvint-il à surmonter les répugnances que son rôle de prisonnier échappé avait plutôt accrues, répugnances associées à la haine de Cléopâtre Théa, qui détestait en lui non seulement l’époux de Rhodogune, mais surtout l’importun, l’homme qui allait régner à sa place ? Femme de trois maris, mère d’enfants appartenant aux deux branches de la dynastie, elle avait été jusque-là un jouet de la politique, résignée, mais aigrie par tant de vicissitudes. Typhon n’avait pu l’associer ni à sa trahison, ni à sa personne ; mais il lui avait enlevé la tutelle du jeune Antiochos VI, le fils né de son mariage avec Alexandre hala, sous le nom duquel elle eût pu régner. Maintenant, après la mort d’Antiochos VII, elle avait dit songer à prendre le pouvoir, au nom soit d’Antiochos dit Grypos, le cadet des fils qu’elle avait eus de Démétrios II, — puisque l’aîné, Séleucos (V), était captif chez les Parthes, — soit plutôt au nota du jeune fils, un autre Antiochos, dont Antiochos VII était le père. L’arrivée de Démétrios Il dérangeait ses projets. A tout hasard, elle mit ses enfants en sûreté. Antiochos Grypos était peut-être déjà étudiant à Athènes ; elle fit conduire son dernier-né dans un asile encore plus éloigné et plus sûr, à Cyzique[76]. Antiochos, dit le chronographe, élevé par l’eunuque Cratère, fuyant par crainte de Démétrios, se réfugia à Cyzique avec Cratère et d’autres serviteurs d’Antiochos (VII) et fut appelé pour cette raison Cyzicène[77].

Nous ignorons quels furent depuis lors les rapports de Démétrios II et de Cléopâtre Théa. Nous retrouverons celle-ci seulement trois ans plus tard, à Ptolémaïs, et il est probable qu’elle a attendu dans cette ville la mort de son terrible époux. Là, l’influence des Lagides était restée prépondérante, et elle était à portée d’être secourue, au besoin, par son oncle Ptolémée Évergète II. Nous supposerons donc, sans écarter absolument l’hypothèse contraire, que Démétrios régna seul à Antioche, sans femme et sans enfants. La captivité n’avait pas plus adouci le caractère vindicatif du roi qu’elle ne lui avait ramené les sympathies des Syro-Hellènes. De son côté, il semblait prendre plaisir à braver l’opinion et à humilier ses sujets en reconnaissant la supériorité des Parthes. C’est l’idée que suggère la vue de ces monnaies où il s’est fait représenter portant la barbe à la mode orientale et le texte de Justin constatant que la fréquentation des Parthes avait rendu l’arrogance du roi intolérable[78].

Ni lui, ni aucun de ses successeurs n’essaiera plus de passer l’Euphrate. il aurait pu trouver néanmoins, sans aller bien loin, l’occasion d’essayer ses forces dans une guerre dont ses ennemis même auraient reconnu l’utilité, la guerre aux Juifs. Aussitôt que la nouvelle de la mort d’Antiochos VII était parvenue en Judée, Jean Hyrcan avait pris les armes et assailli ses voisins. Il avait pris, au bout de six mois de sièges, les villes de Madaba, Samega ou Samæa, Sicima, détruit le temple samaritain du mont Garizim, converti de force les Iduméens, qui durent se soumettre à la circoncision et devinrent depuis lors de vrais Juifs ; après quoi, fidèle aux habitudes diplomatiques de l’époque, il avait prié les Romains de lui garantir ses conquêtes, prétendant n’avoir fait que reprendre ce que le Sénat avait naguère défendu à Antiochos VII de lui enlever. A en croire Josèphe, Hyrcan demandait que Joppé, les ports, Gazara, Pega, et toutes les autres villes et places appartenant aux Juifs et que Antiochos (VII) avait prises de force contrairement au décret du Sénat leur fussent restitués ; qu’il fût interdit aux soldats du roi de traverser leur territoire et celui de leurs sujets ; que toutes les mesures prises par Antiochos pendant cette guerre, à l’encontre du décret du Sénat, fussent infirmées ; que les Romains envoyassent des commissaires chargés de faire rendre aux Juifs tout ce que leur avait enlevé Antiochos, etc. C’eût été, ou peu s’en faut, une déclaration de guerre à la Syrie. Le Sénat ajourna ses décisions sur les points de détail, mais renouvela l’amitié et alliance avec des hommes de bien, envoyés par un peuple honnête et ami[79].

La critique moderne, qui, frappée des anachronismes dont fourmillent presque tous les documents de ce genre, les déplace pour ne pas les récuser tout à fait, renvoie celui-ci soit au temps d’Antiochos VII, en 133/2 a. C., soit au temps d’Antiochos IX Cyzicène[80]. On n’a jamais pu retrouver, à une date quelconque, le préteur Fannius, qui est censé avoir présidé la séance où fut rédigé le SC. en question. Mais ceci importe peu, au point de vue des vraisemblances historiques. A quelques dates qu’elles soient attribuées, les récriminations des Juifs ont toujours été les mêmes, et les Romains y ont toujours répondu par de bonnes paroles, non suivies d’effet[81]. Josèphe lui-même n’ose pas dire que le SC. ait intimidé le roi de Syrie. Démétrios, écrit-il, voulait faire la guerre à Hyrcan ; mais il n’en eut ni le temps, ni l’occasion, les Syriens et les soldats l’ayant en haine à cause de sa méchanceté. Il est possible cependant que la crainte d’une ingérence de la part des Romains, qui, après la défaite d’Aristonicos (130 a. C.), étaient maintenant maîtres de l’Asie Mineure, ait été pour quelque chose dans l’abstention de Démétrios II, car il était d’humeur combative, et il s’engagea bientôt après dans une querelle plus dangereuse avec son beau-frère Ptolémée Évergète II (129).

Vingt-sept ans s’étaient passés depuis la bataille de l’Œnoparas, où Ptolémée VI Philométor avait été enseveli dans sa victoire[82]. Depuis lors, son frère Ptolémée VII Évergète II dit Physcon s’était désintéressé des affaires de Syrie. Toute son activité avait été employée à se maintenir sur le trône malgré l’antipathie des Alexandrins, malgré la haine de sa propre femme Cléopâtre (II), veuve de son frère, et la réprobation qu’inspiraient partout — sauf à Rome — ses vices et ses crimes. Ptolémée Philométor, une première fois expulsé par lui, avait fini par l’obliger à se contenter de la Cyrénaïque. A la mort de ce frère, Évergète II était accouru au plus vite de Cyrène à Alexandrie pour reprendre enfin cette couronne d’Égypte qu’il avait possédée, perdue, regrettée, et qu’il avait eu, dit-on, [effronterie d’offrir à Cornélie, mère des Gracques, en un moment où il ne l’avait plus. Le fils aîné de Philométor, (Ptolémée) Eupator, était, suivant toute probabilité, mort avant son père ; mais il restait du mariage de Philométor avec Cléopâtre (II), outre la reine perpétuelle de Syrie, Cléopâtre Théa, un fils cadet, connu (ou plutôt deviné) sous le nom de (Ptolémée) Néos Philopator. La reine-mère Cléopâtre (II) souhaitait évidemment de régner sous le nom de son fils mineur, mais les Alexandrins ne voulurent pas risquer une guerre civile. Ils abandonnèrent sa cause quand ils la virent défendue par des Juifs bien en cour, Onias et Dosithée. S’il est vrai, comme l’affirme Josèphe, que Ptolémée Philométor et sa femme Cléopâtre avaient confié leur royaume tout entier aux Juifs et nommé Onias et Dosithée commandants de tonte la milice, il n’est pas étonnant que le régime souhaité par Cléopâtre ait été irrémédiablement impopulaire.

Cléopâtre dut accepter, comme régent ou comme roi, en tout cas comme époux, son beau-frère Évergète, qui, suivant l’exemple donné jadis par Ptolémée Kéraunos, simplifia aussitôt la situation en égorgeant, le jour de ses noces, le fils de son frère et de sa nouvelle épouse, Néos Philopator. Depuis lors, Évergète II régna par la terreur, provoquant par les scandales de sa vie et écrasant par ses mercenaires toute velléité d’opposition, si bien qu’au bout de quelques années de ce régime, au dire de Justin, il dut faire appel à des étrangers pour repeupler Alexandrie. Le jour vint pourtant où les Alexandrins se vengèrent du Kakergète, du roi Bedaine (Φύσκων), autrement que par des sarcasmes. Les soudards du tyran ayant cerné dans un gymnase et brûlé vifs ou massacré des jeunes gens appartenant sans doute à des familles suspectes, l’indignation populaire éclata enfin. Le peuple mit le feu au palais, et Physcon dut s’enfuir à Cypre, avec Cléopâtre la jeune, la fille de l’autre Cléopâtre (II), qu’il avait substituée comme épouse à sa mère. Les Alexandrins se serrèrent alors autour de la reine répudiée, dont les rapprochait une haine commune (132/1 a. C.). Ce qui suit est un drame digne des Atrides, dont on parcourt avec une certaine défiance les péripéties dans les textes de .Justin, de Diodore et de Tite-Live[83]. Comme Physcon se doutait que les Alexandrins se chercheraient un roi pour compléter le couple royal obligatoire, il manda près de lui un fils aîné — sans doute un bâtard — qu’il avait laissé à Cyrène et le mit à mort. Puis, il eut l’effroyable idée de se venger de sa sœur et ex-épouse en tuant un fils, Memphitès, qu’il avait eu d’elle et qu’il avait emmené en guise d’otage à Cypre ; après quoi, il expédia le petit cadavre découpé en morceaux à l’adresse de la reine à Alexandrie. Cet horrible cadeau fut présenté à Cléopâtre au moment où elle célébrait dans un banquet l’anniversaire de sa naissance. C’est de cette façon que le philologue, l’élève d’Aristarque, utilisait ses souvenirs classiques, imitant, selon Diodore, la légende de Médée, ou plutôt celle de Set-Typhon enfermant dans un coffre les morceaux du corps d’Osiris. On peut soupçonner qu’il est entré aussi de la légende dans ce tissu d’horreurs.

Nous avons des renseignements moins circonstanciés, mais plus sûrs, relativement à la guerre civile qui s’ensuivit. Évergète II ne tarda pas à rentrer en Égypte, où, tout compte fait, il n’eut guère à lutter que contre Alexandrie et Thèbes. Son général Hégélochos battit l’armée alexandrine, commandée par Marsyas, et fit prisonnier le chef des rebelles. Évergète, pour essayer, une fois en sa vie, de la clémence, épargna Marsyas, à la grande surprise de son entourage. Il rentra ainsi dans sa capitale, réellement instruit par l’expérience et, on le vit par la suite, décidé à changer de méthode. Mais Cléopâtre (II), qui n’augurait rien de bon de cette douceur inaccoutumée, s’enfuit et chercha un asile auprès de son gendre Démétrios II, le roi de Syrie (129/8). Elle avait eu soin d’emporter avec elle l’argent du Trésor royal.

Démétrios II trouvait enfin ce qu’il cherchait depuis son retour, une occasion de faire la guerre, une guerre qui promettait d’être lucrative et qui ne risquait pas — il pouvait du moins l’espérer — de lui mettre les Romains sur les bras. Il allait envahir l’Égypte, comme jadis Antiochos Épiphane, mais pour une plus juste cause ; et il saurait bien tirer de sa belle-mère, quand il l’aurait rétablie sur le trône, la rémunération de ses services. Il oubliait ou ne voulait pas s’avouer qu’il était aussi détesté à Antioche que son adversaire pouvait l’être à Alexandrie, et qu’il risquait fort, une fois sorti de son palais, de n’y plus pouvoir rentrer. Du reste, tout valait mieux que de continuer à jouer le rôle d’esclave libéré, flétri du sobriquet de Sidérites, bravé par les Juifs et haï jusque dans son intérieur. Démétrios prit donc le chemin de l’Égypte et poussa jusqu’à Péluse. A peine était-il hors de portée que Antioche était déjà en révolte. Apamée suivit l’exemple de la capitale, et, la sédition gagnant de proche en proche, Démétrios dut abandonner son entreprise, ses soldats eux-mêmes refusant de lui obéir[84].

Les rebelles entrèrent aussitôt en relations avec Évergète, le priant de leur donner quelqu’un de la race de Séleucos pour prendre possession de la royauté[85]. Ils songeaient sans doute au jeune Antiochos, fils d’Antiochos VII, qu’un navire égyptien pouvait aisément ramener de Cyzique ; ou bien ils invitaient tout simplement le roi d’Égypte à appuyer contre Démétrios un rival quelconque, pris — légitime ou bâtard — dans la famille l’ovale. Évergète n’eut garde de négliger tant de bonne volonté. N’ayant pas de Séleucide sous la main, ou jugeant qu’un intrus serait un instrument plus docile, il envoya pour revendiquer le trône de Syrie un jeune Égyptien, fils du négociant Protarchos, qu’il donnait comme ayant été adopté par le roi Antiochos VII et introduit ainsi dans la famille royale[86]. En l’adoptant, Antiochos VII, connu pour son esprit de justice, avait confirmé les droits du jeune homme, qui était un fils d’Alexandre Baïa. Ce roman invraisemblable avait pour garantie un corps d’armée égyptien et la résolution des Syriens de préférer le premier venu à Démétrios II.

Le nouvel usurpateur, qui avait reçu de Ptolémée le nom de son prétendu père Alexandre, et de la malice populaire le surnom de Zébina ou Zabina, — c’est-à-dire, en syriaque, l’esclave vendu ou acheté, — fut bien accueilli à Antioche, où il arriva sans doute par mer, pour éviter la rencontre de Démétrios II par voie de terre. On eût dit que le roi des Parthes lui-même sollicitait un rôle dans cette comédie. Il venait de renvoyer en Syrie le corps d’Antiochos VII renfermé dans un cercueil d’argent. Ce fut l’occasion d’une grande manifestation où les cités et le roi Alexandre étalèrent à l’envi, celui-ci, sa piété filiale, celles-là leur fidélité à une mémoire importune pour Démétrios. Cette cérémonie leva tous les doutes : on avait vu Alexandre verser de vraies larmes ; c’était bien là le fils adoptif d’Antiochos VII, celui qu’il avait adjoint ou même préféré à ses propres enfants[87].

Cependant, Démétrios II, renié par ses sujets, n’entendait pas se laisser détrôner sans résistance. Il y eut lutte armée entre les deux rivaux, et une lutte qui dut même avoir ses surprises. C’est à ce moment (128 a. C.) que cesse la frappe des monnaies quasi-autonomes de la Tétrapole syrienne, fédérée au temps d’Alexandre Hala et tolérée jusque-là par Démétrios. On en peut inférer que Démétrios reprit pied un instant dans la Haute-Syrie. En outre, il est question de trois officiers considérables au service d’Alexandre II, — Antipater, Clonios et Aéropos, — qui firent défection et se trouvèrent à la fin assiégés dans Laodicée, une des villes de la Tétrapole. Nous ignorons d’ailleurs s’ils travaillaient dans l’intérêt de Démétrios II ou pour le compte d’un autre prétendant, par exemple, pour le jeune fils d’Antiochos VII et à l’instigation de Cléopâtre Théa. En tout cas, Alexandre II, qui était doux et enclin au pardon, agit au mieux de ses intérêts en faisant grâce aux coupables[88]. Démétrios II s’était probablement maintenu en Phénicie et en Cœlé-Syrie. C’est à Damas qu’eut lieu la rencontre décisive entre les deux rivaux. Démétrios II battu s’enfuit à Ptolémaïs, où était sa famille : mais son épouse, la reine Cléopâtre Théa, lui refusa l’entrée de la place. Repoussé de la même façon à Tyr, où il espérait trouver asile dans le temple de Melqart, il essaya de se sauver sur un navire ; mais il fut appréhendé par ses ennemis particuliers, qui le torturèrent avant de le mettre à mort (126/5 a. C.)[89]. Tyr, restée fidèle jusque-là à Démétrios, comme en témoignent ses monnaies, se déclara alors indépendante et substitua une ère nouvelle à celle qui, depuis 274, rappelait la conquête égyptienne [note 8].

Telle fut la misérable fin de Démétrios II, le plus imprudent, le plus éprouvé et le plus détesté des Séleucides. C’était la revanche de Cléopâtre Théa, qui porte justement dans l’histoire la responsabilité du meurtre de son second mari.

 

 

 



[1] Joseph., XIII, 4, 9. Josèphe et I Macchabées (jusqu’en 135 a. C.) sont les sources suspectes, mais presque uniques, pour l’histoire de l’époque, l’ouvrage de Polybe se terminant à l’an 146/5 a. C.

[2] Sulpice Sévère, Chron., II, 17, 4-5.

[3] Joseph., XII, 4, 1. Voyez, sur ce traité (I Macchabées, 11, 20-37. Joseph., XIII, 4, 9), la critique radicale de H. Willrich, Judaica, pp. 54-62.

[4] Diodore, XXXIII, 4.

[5] Josèphe (XIII, 5, 4) parle d’une défection générale, lors de la rébellion de Tryphon. Expression bizarre, les armées de ses pères, dans I Macchabées, 11, 38.

[6] Diodore, XXXIII, 4 ; 9.

[7] I Macchabées, 11, 41-52. Joseph., XIII, 5, 3. Josèphe adoucit le ton et se garde de ces imprudences de langage.

[8] Diodore, XXXIII, 4, 2-4. Josèphe ne veut rien savoir de ces rigueurs : d’après lui, Démétrios arrêta la révolte en pardonnant aux Antiochéniens leur agression.

[9] Diodore, XXXIII, 4 a (fr. Escurial. 21, in FHG., II, p. XVII).

[10] I Macchabées, 11, 39-40.

[11] Diodore, ibid., Strabon, XVI, p. 752. Joseph., XIII, 5, 1.

[12] Diodore, ibid.

[13] Strabon, loc. cit., Tite-Live, Epit. 52 (Seleuceam confugit). C’est de là qu’il reprend la lutte (Eusèbe, p. 256 Schœne). La correction Σελεύκειαν au lieu de Κιλικίαν dans le texte de Josèphe (XIII, 5, 4) ferait disparaître ce renseignement spécial (Th. Reinach), qu’il est peut-être bon de garder.

[14] An 167 Sel. (Babelon, p. CXXXV). Peut-être Antiochos VI avait-il été associé au trône in extremis par son père ? Josèphe (XIII, 7, 1) donne à Antiochos VI le titre de Théos, absent des monnaies.

[15] Les textes de la correspondance arec les Spartiates dans I Macchabées, 12, 5-23 ; 14, 20-23. Le grand-prêtre Jason, chassé de partout, s’était réfugié en dernier lieu à Lacédémone (II Macchabées, 5, 7-10). Une autre rédaction de la lettre de Jonathan dans Joseph., XIII, 5, 8. Voyez E. Schürer, I4, p. 237. H. Willrich, Judaica, pp. 62-85, y constate des anachronismes.

[16] D’après Josèphe, Simon envoya 100 talents d’argent et deux fils de Jonathan en otages, sans être dupe de Tryphon, mais pour ne pas être accusé de n’avoir pas tout tait pour délivrer son frère (XIII, 6, 5).

[17] Le texte du traité dans I Macchabées, 13, 36-40. La date, 170 Sel. = 143/2 a. C., dans Josèphe (XIII, 6, 7).

[18] Strabon, XI, p. 516 ; cf. XV, p. 686. Justin, XLI, 6, 4. A. von Gutschmid, Gesch. Irans, pp. 44-46.

[19] Justin, loc. cit. (Eucratide, assiégé par Démétrios, quinto mense liberatus Indiam in potestatem redegit).

[20] Justin, XLI, 6, 5.

[21] Polybe, XI, 34.

[22] Voyez la bibliographie dans A. von Gutschmid (op. cit., p. 59). Les Hiong-Nou, fléau de l’empire chinois, au N., sont mentionnés en plus de trente passages des Mémoires de Ssé-ma-ts'ien (trad. Ed. Chavannes. 5 vol. 1895-1905).

[23] Quare pugnantes Scythicæ gentes et Asiani Bactra occupavere et Sogdianos (Trogue-Pompée, Prol., 41). Trogue-Pompée traitait ensuite des Indicæ res gestæ per Apollodotum et Menandrum, reges eorum.

[24] Strabon, XI, p. 517. Meineke corrige Τοριούαν, qui est peut-être le Touran, en Ταπυρίαν, région située entre l’Hyrcanie et l’Arie (p. 514).

[25] Isid. Charac., Mens. Parth., 7.

[26] Justin, XLI, 6, 6. Diodore, XXXIII, 28. Cf. v. Gutschmid, pp. 51-52.

[27] Justin, XLI, 5, 9 ; 6, 7.

[28] Justin, XLI, 6, 8. Strabon, XVI, p. 744. On rencontre encore des rois d’Élymaïde, entre autres, Kanniskirès, au temps de Pompée.

[29] Strabon, loc. cit., soit 60 millions de drachmes. Strabon, qui parle du temple de Bel à propos d’Antiochos le Grand, semble croire qu’il y avait en plus deux temples, un d’Athéna, l’autre d’Artémis, dit l’Azara, soit trois temples distincts, ce qui est probablement inexact, à moins qu’il ne désigne ainsi un temple tricellulaire ?

[30] Ctésiphon, située en face, était la résidence royale.

[31] D’après Moïse de Chorène (II, 3), dont le témoignage mérite peu de confiance. La série des rois indigènes se continue par la suite.

[32] Joseph., XIII, 5, 11.

[33] Justin, XXXVI, 1, 1-6.

[34] Justin, XXXVIII, 9, 3. Appien, Syr., 61 (Appien place le mariage sous Phraate II). Athénée, IV, 153 a. L’inadvertance commise par Posidonios, ou par Athénée ou les copistes (substitution de Σελεύκου au lieu de Δημητρίου) a mis à la torture les érudits décidés à tout conserver. Le fils de Démétrios II, Séleucos V, fut aussi captif des Parthes.

[35] N. Strassmaier, Zeitschr. f. Assyriol., VIII, p. 111.

[36] Σηριπίοδης pour Σιδηρίτης (?) dans Eusèbe, I, p. 256 Sch. Ce surnom pourrait bien avoir été un jeu de mots, opposant le Σιδηρίτης au Σιδήτης.

[37] Tite-Live, Epit., 55.

[38] Joseph., XIII, 7, 1.

[39] Diodore, XXXIII, 28.

[40] Posidonius ap. Athénée, VIII, p. 333 b-d. Strabon, XVI, p. 158.

[41] Joseph., XIII, 1, 1.

[42] Appien, Syr., 68. Corneille, dans Rodogune, suppose que : Croyant son mari mort, elle épousa son frère.

[43] Diodore, XXXIII, 28 a, 1.

[44] Strabon, XVI, p. 668.

[45] I Macchabées, 15, 1-37. Joseph., XIII, 7, 2. Strabon, loc. cit. Cf. Frontin., Strateg., II, 13, 2 (Tryphon semant l’argent pour retarder la poursuite des cavaliers d’Antiochos VII). Syncelle, p. 552, 17 (Tryphon débarqué à Orthosia et se brûlant vif).

[46] Justin, XXXVIII, 10, 1.

[47] Babelon, p. CCVIII.

[48] Date à placer entre 137 et 132. Les rois d’Édesse, Osrhoès et les Abgar, étaient des Nabatéens.

[49] I Macchabées, 14, 24. Joseph., XIV, 8, 5 (50.000 statères d’or). Peut-être faudrait-il corriger ce poids hyperbolique en valeur de 1.000 mines d’argent ? Cf. Th. Reinach, ad loc. cit.

[50] Le texte dans I Macchabées, 15, 16-21 : autre texte, avec même nom de consul en tête, mais rapporté au temps d’Hyrcan II (54 a. C. ?), dans Josèphe (XIV, 8, 5). Suscription dans I Macchabées : Lucius consul Romanorum Ptolemæo regi salutem ; dans Josèphe: Λεύκιος Ούαλλέριος Λευκίου υΐός στρατηγός (préteur). Les consuls n’écrivaient pas en leur nom aux rois. Enfin, de 141 à 133, on ne trouve pas dans les Fastes un seul consul prénommé Lucius. E. Schürer (I4, pp. 251-252), accepte le texte de Josèphe, qui est un SC. proposé par le préteur L. Valerius, et le transporte à la date de 139.

[51] Au mois XI de 177 Sel. = févr. 135 a. C. (I Macchabées, 16, 14). D’après Josèphe (XIII, 7, 4, sans date), les deux autres fils furent non pas tués alors, mais — provisoirement — jetés dans les fers.

[52] Ici finit le récit du livre I des Macchabées (135 a. C.).

[53] Sur les dates inconciliables fournies par Josèphe, XIII, 8, 2 (Ol. 162 = 132-128 a. C. et an IV d’Antiochos VII = 136 a. C.) et par l’Eusèbe arménien (prise de Jérusalem en Ol. 162, 3 = 130/29 a. C.), voyez E. Schürer, I4, p. 259, 5, qui admet que la guerre a pu durer de 134 à 132.

[54] Joseph., XIII, 8, 2. Plutarque, Apophth. reg., s. v.

[55] Posidonius ap. Diodore, XXXIV, 1. Cf. Joseph., XIII, 8, 3. Tacite, Hist., V, 2, 5.

[56] Il ne faut pas demander beaucoup de précision au texte de Josèphe (XIII, 8, 2-4). La Judée devait payer aussi tribut pour elle-même. C’est ailleurs (VII, 15, 3) que Josèphe parle du versement de 300 talents prélevés sur les 3000 extraits du tombeau de David. Il appelle aussi Antiochos VII Σωτήρ (XIII, 1, 1 ; 10, 1). On ne sait d’où viennent des assertions comme celles de Trogue-Pompée : Ut Antiochus interfecto Hyrcano Judæos subegit (Prol. 36), et d’Eusèbe : electissimos eorum trucidabat anno tertio CLXII olompiadis (Eusèbe, I, p. 255). A ce moment (130/29 a. C.), Antiochos était chez les Parthes.

[57] Joseph., XIII, 9, 2. XIV, 10, 22. Voyez la discussion dans Schürer, I4, p. 262-263, entre ceux qui tiennent pour le moment actuel — pendant la guerre — et ceux (Th. Reinach, H. Willrich) qui l’envoient les deux SC. au règne d’Antiochos IX Cyzicène.

[58] Tite-Live, Epit., 57. Cicéron, Pro rege Dejot., 7. La confusion entre Antiochus et Attalus est des plus faciles : mais Tite-Live précise (Antiocho rege Syriæ), tandis que Cicéron dit simplement rex Attalus.

[59] CIL., VI, 944.

[60] Athénée, V, p. 211 d.

[61] Athénée, XII, p. 547 a-b. Il n’est pas sûr que l’Αντίοχος ό βασιλεύς soit ici Antiochos VII : mais prétendre que la lettre à Phanias a été fabriquée par quelque Juif pour discréditer les Séleucides en général, ou peut-être un Antiochos en particulier (Radermacher, Βασιλεύς Άντίοχος Φανία, in Rhein. Mus., LVI [1901], pp. 202-214), me parait une idée bizarre. Sans doute, la langue incorrecte est à peu prés celle des Juifs alexandrins, et la menace de punir les élèves plus que les maîtres est inepte : mais il suffit de suspecter l’authenticité du document, échoué, on ne sait d’où, dans la compilation d’Athénée. Le souvenir d’Alexandre Bala a pu suggérer une pareille mesure.

[62] Plutarque, Apophth. reg., s. v.

[63] Posidonius ap. Athénée, X, p. 439 d. XII, p. 540 c.

[64] Justin, XXXVIII, 9.

[65] Justin, XXXVIII, 10, 1-3. Diodore, XXXIV, 17.

[66] Diodore, XXXV, 19.

[67] Joseph., XIII, 8, 4. Cf. les Spartiates attendant la pleine lune pour aller au secours des Athéniens ; scrupule ou prétexte (Hérodote, VI, 106).

[68] Justin, XXXVIII, 10, 6. Ch. Michel, 1158. Dittenberger, OGIS., 255. 256.

[69] Justin, XXXVIII, 10, 3. Valère Maxime, IX, I. Ext. 4. L’un et l’autre parlent de vaisselle d’argent, etc. — avaro potius hosti præda oplabilis quam ulla ad vincendum strenuo mora (Val. M.) ; littérature suspecte.

[70] Diodore, XXXV, 15-17. Justin, XXXVIII, 10. Joseph., XIII, 8, 4. Eusèbe, I, p. 255 Sch. Appien., Syr., 68 : le mode de suicide dans Ælien, Hist. anim., X, 34. L’âge qu’Eusèbe donne à Antiochos (cujus a nativitate anni erant XXXV) est inadmissible. Il serait né en 164, alors que son père était encore otage à Rome et n’a pu — d’après l’hypothèse admise plus haut — épouser sa sœur Laodice qu’en 162 au plus tôt.

[71] Justin, XXXVIII, 10, 10. Posidonius, lib. XVI, ap. Athénée, X, p. 439 e.

[72] Diodore, XXXIV, 18. Justin, XXXVIII, 10, 11.

[73] Justin, XLII, 1-2.

[74] Justin, XXXVIII, 10, 10.

[75] Diodore, XXXIV, 21. Trogue-Pompée, Prol. 42. Justin, XLII, 1. Athénée, XI, p. 466 b. L’Ένιος de Diodore (XXXIV, 19), torturé plus tard par les Séleuciens, doit être le même personnage.

[76] Appien, Syr., 69.

[77] Eusèbe, I, p. 257 Sch. Dédicace à Délos en l’honneur de ce Cratère (Ch. Michel, 1158 B. Dittenberger, OGIS., 256).

[78] Justin, XXXIX, 1, 3. Babelon, pp. LXV. CXLV-CXLVII. 122. 153-162.

[79] Joseph., XIII, 9, 1-2.

[80] Voyez les discussions et la bibliographie d’icelles dans E. Schürer, I4, pp. 262-263. H. Willrich, Die Urkunden der Römer und Spartiaten im ersten Makkabäerbuch (in Judaica, pp. 62-85).

[81] Le mot de Justin : facite tunc Romanis de alieno largientibus (XXXVI, 3, 9), ne s’applique pas seulement à cette époque.

[82] Voyez Hist. des Lagides, II, pp. 56-87. Je rectifie seulement une opinion émise en 1904 (op. cit., pp. 56-62) : il est maintenant acquis que Eupator ne fut pas égorgé par Évergète II en 145. Associé à son père Philométor en 153, il mourut avant lui, en 150. Ainsi s’explique qu’il figure avant les dieux Philométors sur les listes cultuelles.

[83] Justin, XXXVIII, S, 11-15. Diodore, XXXIII, 13, XXXIV, 14. Tite-Live, Epit., 59. Orose, V, 10. Voyez Histoire des Lagides, II, pp. 71-76.

[84] Justin (XXXIX, 1, 3) écrit, par inadvertance (?), que les habitants d’Antioche firent défection, duce Tryphone. Des érudits trop ingénieux veulent que Justin ait songé à Évergète II dit Physcon et aussi Tryphon. Mais duce n’a jamais voulu dire à l’instigation de.

[85] Joseph., XIII, 9, 3.

[86] Justin, XXXIX, 1, 4-5.

[87] Justin, XXXIX, 1, 6.

[88] Diodore, XXXIV, 22. Ad. Kuhn (Beitr. z. Gesell. der Seleukiden, p. 17) préfère reporter le fait en 125, durant la lutte entre Alexandre II et Antiochos VIII Grypos, ce qui, je le reconnais, est tout aussi vraisemblable ; mais je ne vois pas de raison sérieuse de contester (R. Bevan, II, p. 251) que Laodicée soit celle de la Tétrapole, et de préférer Laodicée du Liban.

[89] Justin, XXXIX, 1,1-8. Joseph., XIII, 9, 3. Appien, Syr., 68. Tite-Live, Epit., 60. Eusèbe, I, pp. 257-258 Sch. Démétrios navi egrediens præfecti jussu interficitur (Justin) πολλά παθών ύπό τών μισούντων άπέθανεν (Josèphe) ; tué par Cléopâtre (Tite-Live, Appien). Voyez le pot-pourri d’anachronismes et de quiproquos du moine Jean d’Antioche. Séleucos (V ?) succède à A. VII, et, expulsé par Démétrios II, se réfugie auprès d’Arsace, dont il épouse la fille ! Un autre Séleucos, fils d’Apama (?), est mis à mort avec son père Démétrios à Damas (FHG., IV, p. 561).