CHAPITRE IV. – NOTES COMPLÉMENTAIRES.

 

 

[note 1] — L’exégèse du papyrus de Gourob, précieux document, publié en 1893 par J. P. MAHAFFY, augmenté en 1905 d’une col. IV par G. SMYLY, revu en 1912 par U. WILCKEN (op. cit., I, 2, pp. 1-7), comporte des points litigieux qui ont donné lieu à des systèmes différents, en ce qui concerne et les lieux et les acteurs.

Pour les uns, les lieux mentionnés, Séleucie, Antioche, Posideon, sont, comme Soles, en Cilicie. En effet, tous ces noms s’y trouvent, et ce n’est pas un des moindres méfaits de l’homonymie. Pour d’autres, qui n’admettent pas la correction είς όλους pour εισολους (col. II, lig. 3) et lui préfèrent είς όλους (sc. τόπους), tout se passe en Syrie (Wilhelm, Köhler, Beloch, Holleaux). Il y a place pour un système mixte, qui admet partie des opérations en Cilicie, partie en Syrie. C’est celui auquel je me suis rallié il y a une dizaine d’années (Hist. des Lagides, I, pp. 249-251. IV, p. 315-316), et depuis, je n’ai vu que des raisons de m’y tenir, d’ailleurs en bonne compagnie (Mahaffy, Smyly, Wilcken)[1]. Soles est donc en Cilicie, Antioche en Syrie, Séleucie de même, et le φρούριον τό καλούμενον [Π]οσίδεον (col. II, lig. 20) est à l’entrée du port de Séleucie. De ce choix préalable dépend l’idée qu’on se fait de la position respective et même de la nationalité des forces en présence.

Il en va de même du terme άδελφή, que l’on rencontre deux fois dans le papyrus, à propos des σκάφη τής άδελφής (col. I, lig. 24) et de la visite faite en dernier lieu, à Antioche, πρός τήν άδελφήν (col. IV, lig. 21). Cette sœur peut être la sœur du narrateur, ou une reine portant le titre protocolaire d’άδελφή. Les deux hypothèses se confondent, si le narrateur est Ptolémée Évergète lui-même ; auquel cas l’άδελφή, est évidemment la reine Bérénice, — et non pas, comme on l’avait pu croire avant la découverte de la col. IV, Laodice. Il y a, à cette solution simplifiée, quelques objections. Le texte étant, suivant toute apparence, un rapport officiel fait par un commandant de flotte ou navarque, et non une lettre privée, on fait observer que, d’après Polybe (V, 58), Ptolémée avait pris la voie de terre et que, déjà maître de Séleucie et d’Antioche, il devait être en marche vers l’Euphrate. Il se peut, et l’idée que le rapport est adressé par un navarque à Ptolémée est même, à divers points de vue, plus satisfaisante. Le rédacteur se fait assez comprendre de Ptolémée en désignant Bérénice, sa sœur, par le titre d’άδελφή.

Mais nous touchons ici à une question délicate. D’après toute une série d’auteurs, Bérénice a été assassinée, après son fils, par les agents de Laodice, et l’auteur du rapport semble dire qu’il est arrivé à temps pour la sauver. Polyen assure que le cadavre de la reine fut caché et sa mort démentie jusqu’à l’arrivée de son frère, ce qui est, après tout, croyable et, au gré de Smyly, based on anthentic and contemporary information. On croira moins aisément ce qu’ajoute Polyen, c’est-à-dire que, en ne dévoilant pas la supercherie, Ptolémée se serait emparé sans coup férir de tout le royaume. Ce serait donc pour observer cette consigne du silence que, l’auteur du rapport feindrait d’avoir trouvé Bérénice vivante ? Passe encore d’essayer de tromper le public, mais le rapport, n’est pas destiné au public ; il s’adresse à quelqu’un qui a droit de savoir la vérité. Alors, il serait vrai que Bérénice n’était pas morte ? C’est à cette conclusion que s’arrête encore Wilcken, sans se demander ce qu’est devenue Bérénice, dont on n’entend plus parler par la suite, supposant sans doute est morte peu après de ses blessures, ou que ses aventures, comme dit Polybe, ne se sont pas terminées là.

Il y aurait, ce semble, un moyen d’interpréter la discrétion énigmatique du rapport que le navarque adresse soit à Ptolémée, soit au gouvernement d’Alexandrie, c’est-à-dire, à un destinataire déjà informé de la mort de Bérénice. Il s’abstient d’appuyer sur ce sujet douloureux et il évite ainsi d’employer, pour une explication inutile, des termes malsonnants que les Crocs remplaçaient autant que possible, comme le fait ici Polybe, par des euphémismes. C’est comme s’il disait : nous nous sommes empressés d’aller saluer la dépouille mortelle ou le tombeau de la reine, dont il tait même le nom.

L’accord serait fait à peu près, au moins sur les faits principaux relatés par le papyrus, sans un retour, un peu attardé, de l’hypothèse anti-cilicienne de Köhler, reprise en 1906 par M. Holleaux. Cet épigraphiste, peu sensible aux arguments mis en ligne pour la thèse adverse, consent bien à reconnaître Ptolémée dans le narrateur et Bérénice dans l’άδελφή ; mais il rejette la correction είς Σόλους, et il lit plus loin (col. II, lig. 8) Σελ[ευκ]είων là où d’autres yeux ont vu Σολείων. Aribaze, ό έν Κιλικίαι στρατ[ηγός] (col. II, lig. 6), n’était pas en Cilicie pour le moment, mais à Séleucie de Piérie, et c’est de là qu’il s’apprêtait à expédier les 1500 tal. à Éphèse. On peut trouver qu’il était là un peu loin des gorges du Taurus, oit il s’est fait prendre ; et, en général, au point de vue historique, ce système récuse bien des solutions intelligibles pour les remplacer par des combinaisons peu vraisemblables.

La question vient d’être reprise par G. DE SANCTIS, un disciple de Beloch devenu un maître à son tour, dans un travail paru en 1912. Pour lui, les συμπτώματα de Bérénice sont ses luttes et démarches, précédant sa mort violente à Daphné. Il reconstruit l’histoire de la guerre de Laodice et de la guerre entre frères, avec un sens critique aiguisé, qui me parait aboutir à des conclusions moins aventureuses que la plupart des hypothèses proposées jusqu’ici. Le papyrus de Gourob n’est pas une relation officielle rédigée par le roi ou en son nom, mais le rapport d’un subalterne qui rend compte à son supérieur de l’emploi de son temps (p. 805). Ce rapport n’embrasse pas l’ensemble des faits, mais seulement ceux qui ont suivi île très près la mort d’Antiochos II et dont les historiens ne parlent pas. On a donc tort de s’on servir pour récuser le témoignage unanime des auteurs (Polybe, V, 58. Justin., XXVII, 1, 6. Appien, Syr., 65. Polyen, VIII, 50. Hieron., In Dan., 11, 7-9), qui s’accordent à placer le trépas de Bérénice avant l’arrivée de son frère Ptolémée Évergète. Il n’y a pas là contradiction, et voici comment.

La lutte s’était engagée tout d’abord entre Laodice régnant au nom de son fils en Asie Mineure et Bérénice, maîtresse de la Syrie, soutenue par la flotte égyptienne. Après le coup de main heureux de Pythagoras et Aristoclès sur Soles (et Cyinda), le navarque égyptien commandant la station de Cypre, à la tète d’une forte escadre, accourt à Séleucie de Piérie et y débarque un détachement qui entre à Antioche et y trouve Bérénice, du roi, bien vivante. Là se termine le papyrus de Gourob, rapport écrit par le cher du détachement. Pour la suite des événements, la parole est aux textes d’auteurs. La reine était protégée pour le moment, mais par une intervention, inutile et offensante, de l’étranger. Le sentiment national se retourne contre elle. Réfugiée dans la forteresse de Daphné, elle y est assiégée et mise à mort par la populace. C’est alors, et alors seulement, qu’intervient Ptolémée Ill Évergète, trop tard pour sauver sa sœur, à temps pour la venger. L’armée qu’il conduit par voie de terre n’a nul besoin du concours de la Hotte, dont le rôle est fini. S’empara-t-il d’Antioche ? Prétendit-il, pour prévenir les résistances dans les provinces orientales, être le champion de Bérénice encore vivante ? C’est possible, mais hypothétique. Les faits ultérieurs semblent indiquer que Antioche, désormais fidèle à Séleucos ferma ses portes à l’Égyptien, qui passa outre.

Ptolémée pousse ses faciles complètes trans Euphratem (Hieron., loc. cit.) : mais, rappelé soudain en Égypte par des événements qui pourraient bien être soit des dissensions intestines, soit plutôt des agressions de la Macédoine dans la mer Égée (246/5a. C.), il confie les régions orientales à Xanthippe et suscite comme prétendant au trône de Syrie le précoce ambitieux Antiochos Hiérax, qu’il installe comme ami (amicus Antiochus, Hieron., loc. cit.) en Cilicie. Alors éclate la guerra fraterna (245) qui complique la guerre étrangère. Séleucos, enhardi par quelques succès compensant des revers en Asie Mineure (244), tente de reprendre la Syrie aux Égyptiens ; mais, battu et réfugié à Antioche, il se réconcilie avec son frère en lui cédant l’Asie Mineure : sur quoi, Ptolémée, prudemment, consent à un armistice de durée limitée (decem annos [ou menses ?] dans Justin), au cours de l’année 243. Séleucos, peu loyal en cette affaire, se retourne alors contre Hiérax et le bat en Lydie[2] : mais il est complètement déconfit à Ancyre, pendant que Ptolémée, envahissant la Cœlé-Syrie, assiégeait Orthosia et Damas (242). Séleucos achète la paix à haut prix, abandonnant l’Asie Mineure à Hiérax, la Cœlé-Syrie et même Séleucie de Piérie à Ptolémée (241).

Ce système, le dernier éclos, est ingénieux, cohérent, vraisemblable, et je n’éprouve aucunement le besoin de lui opposer des objections que sou auteur connaît à merveille. On en trouvera quelques-unes dans la note suivante.

 

[note 2] — Sur la troisième guerre de Syrie, dont l’entrée des Égyptiens à Antioche (?) marque le début, les dissertations s’accumulent, l’insuffisance des sources et l’absence de données chronologiques se prêtant à toutes les hypothèses. J’ai dressé jadis un aperçu comparatif de ces ordonnances conjecturales, et j’entends me borner, autant que possible, à signaler les retouches proposées depuis 1897. J’ose dire que tous ces travaux offrent peu d’intérêt, le sujet ne s’étant pas renouvelé par l’apport de quelque renseignement inédit et le champ des conjectures étant illimité. BELOCH (Gr. Gesch., III, 2, [1904], pp. 450-458), d’accord avec CARDINALI (Riv. di Filol. class., XXXII [1903], pp. 431-449), a modifié, sur quelques points qui bouleversent l’ensemble, le système qu’il avait proposé en 1888. Il avance d’environ trois ans (241/0 au lieu de 237 a. C.) la paix signée par les deux frères avec Ptolémée, et à peu près d’autant (238 au lieu de 235) le début de la guerre fratricide. En revanche, il retarde de quatre ans (237 au lieu de 241) le siège d’Orthosia et le fait suivre de l’expédition de Séleucos en Orient (236 au lieu de 234). Enfin, par une innovation, à mon sens malencontreuse, il retarde ‘jusque vers la fin de la guerre une intervention d’Antigone, lequel est non plus Antigone Gonatas, mais son neveu et deuxième successeur Antigone Doson. C’est ce Doson qui, en 227, bat à Andros la flotte égyptienne commandée par Sophron.

Le point important, et, en somme, le seul dont la solution détermine le jugement à porter sur le caractère des acteurs, est de décider si la brouille entre les deux frères a compliqué d’une guerre civile la lutte contre Ptolémée, et si, après la trêve de dix ans, Ptolémée s’est encore immiscé dans la guerre civile. Pour Droysen, Séleucos, entre 2é2 et 239, eut à lutter à la fois contre Antiochos Hiérax en Asie Mineure et contre Ptolémée en Syrie. Puis, après l’expédition de Séleucos en Orient, la lutte reprend, vers 236, entre les deux frères et se complique d’alliances successives entre Antiochos Hiérax, les Gaulois, Ziaélas de Bithynie, Antigone Doson, d’un côté ; entre Séleucos, Attale, et même Ptolémée, d’autre part. C’est une confusion inextricable, dont gémit l’historien lui-même. Elle est simplifiée à l’excès par Kœpp, qui fait commencer la rupture entre les deux Séleucides dès 246 et la considère comme désormais perpétuelle, mettant d’ailleurs Ptolémée hors de cause à partir de 240. C’est le système adopté en 1905, sauf que la rupture est retardée de deux ans (244/3), par Corradi, que Cardinali a entendu réfuter à son tour en 1906. Dans les systèmes mixtes, la guerre fratricide commence entre 240 et 238, concurremment avec la guerre contre Ptolémée, mais s’apaise en 237 (paix générale), et reprend en 236 (Beloch en 1888) ; ou bien elle n’éclate qu’après une paix (ou armistice) signée avec Ptolémée en 212 et dure jusqu’à la mort des deux frères (Bevan) ; mais Ptolémée reprend les armes pour soutenir Hiérax, entre 239 et 237, année où il signe la paix définitive (Beloch et Cardinali en 1901) et s’y tient, laissant les deux frères vider leur interminable querelle. Tout le monde s’accorde à rejeter sur Laodice la rupture entre les deux frères. On ignore quelle fut la fin de cette Laodice, qui parait avoir pris parti pour le cadet contre l’aîné. Elle était probablement morte lorsque, en 237, les deux frères réconciliés (?) cédèrent aux temples de Babylone un domaine que lui avait donné son époux Antiochos II.

Sur les péripéties de cette guerre à théâtre changeant et scènes multiples, les inscriptions ne fournissent que des allusions éparses et voilées. Il en est une cependant (de 108 lignes) qui mérite une attention particulière (CIG., 3137. Michel, 19. Dittenberger, I, 229). C’est un traité d’alliance entre Smyrne et Magnésie du Sipyle, conclu au temps de Séleucos II. L’exposé des motifs débute ainsi : « Attendu que précédemment, alors que le roi Séleucos s’élançait outre-monts en Séleucide (lig. 1-3), en dépit des nombreux et graves dangers qui entouraient notre cité et la région, le peuple a conservé sa bienveillance et amitié envers lui, etc. Maintenant encore, les cités entendent rester fidèles au roi, qui est de nouveau passé en Séleucide (lig. 13). On sait que Séleucos II passa sa vie à batailler tantôt contre Ptolémée Évergète, tantôt contre son frère Antiochos Hiérax, et eut maintes fois occasion de passer et repasser le Taurus. De là nombre de questions litigieuses.

Et d’abord, la date. Séleucos avait récompensé la fidélité des Smyrniotes en accordant Γάσυλία à leur ίερόν τής Στρατονικίδος Άφροδίτης et à la ville, désormais ce dont il a informé par écrit le monde entier, les rois et les dynastes et les cités et les nations (lig. 11-12). Or, à ce message répond un décret des Delphiens, qui chargent leurs théores de louer Séleucos et de l’inviter aux Jeux Pythiques (BCH., XVIII [1894], pp. 223-225. Michel, 258. Dittenberger, OGIS., I, 228), jeux tétraétériques qui furent célébrés en 242 et 238 a. C. Desquels s’agit-il ? Si l’on opte pour ceux de 242, l’inscription de Smyrne doit être de 243 ou 242 au plus tard. C’est le moment où Séleucos II s’apprêtait à expulser les Égyptiens de la Syrie et Cœlé-Syrie et préludait à l’expédition victorieuse en Orient qui aboutit à la fondation de Callinicon sur l’Euphrate (242 a. C.)[3]. Rien n’oblige à ajourner de trois ou quatre, ans la seconde tentative, couronnée cette fois de succès, sur la Séleucide.

Cet enchaînement des faits est assez clair. Il ne l’est plus si l’on conteste que la Séleucide soit la Haute-Syrie, et si l’on renverse à volonté le sens dans lequel Séleucos franchit le Taurus, soit la première, soit la seconde fois. On a dit plus haut que Appien (Syr., 5) connaît une Cappadoce Séleucide. Ne serait-ce pas cette Séleucide que Séleucos, déjà maître de la Syrie, envahit en passant les monts ? Ou bien, les gens de Smyrne et de Magnésie n’appelleraient-ils pas Séleucide la région de l’Asie Mineure restée fidèle au roi (Beloch, à propos de l’inscription de Sigée) ? Dans l’un et l’autre cas, Séleucos aurait franchi le Taurus du S. au N. Th. Sokoloff (1904), à propos de l’inscription de Sigée, cherche une Séleucide dans une région spéciale dont le centre aurait été Séleucie sur le Zeugma. Voyez le débat dans G. CORRADI, Note sulla guerra tra Tolomeo Evergete e Seleuco Callinico (1905). Cela s’appelle chercher la difficulté. Il suffit de se rendre compte de la situation respective des points de départ et d’arrivée indiqués par les circonstances et de lire le texte avec attention pour reconnaître que Séleucos part de l’Asie Mineure, où il était relégué avec sa mère Laodice, et se dirige sur la Syrie. Les contractants de Smyrne et Magnésie font valoir qu’ils lui sont restés fidèles, et une première fois, et maintenant encore, en son absence ; et cela, sans lui faire grief de son absence alors qu’elles étaient entourées de dangers. Séleucos s’éloigne donc de l’Asie Mineure, et c’est bien en Syrie que tous les textes historiques signalent sa présence.

 

[note 3] — Les questions relatives à la bataille d’Andros et l’incertitude soit de la chronologie, soit de l’issue de la bataille, ont été traitées plus haut. Étant admis qu’il n’y a nulle connexité entre la bataille de Cos et celle d’Andros, la solution la plus probable est que la rencontre entre la flotte égyptienne et la flotte macédonienne à Andros a eu lieu vers 246 ou 245. La thèse subversive de J. Beloch, qui suppose Antigone Doson allié d’Antiochos Hiérax et vainqueur de Ptolémée, en 228, a rencontré de nombreuses adhésions (Delamarre, Cardinali, Garofalo, Costanzi), mais aussi soulevé des protestations. G. A. Levi et G. Corradi l’ont réfutée sur les deux points, expressément pour la date, en n’affirmant qu’à titre de préférence la défaite d’Antigone Gonatas. Elle s’appuie, pour la chronologie, sur le fait que Antigone Doson fit à l’époque une expédition en Carie (Trogue-Pompée, Prol. 28), et que, dans le livre précédent, Trogue-Pompée mentionne, après la mort de Ziaélas (mort avant 228) et avant la mort d’Antiochos Hiérax, la défaite (Antigonum mss.) par Sophron. La date de la mort de Ziaélas fût-elle mieux connue, il faudrait encore admettre que Trogue-Pompée a suivi exactement dans son sommaire l’ordre chronologique. Quant à l’issue de la bataille, le fait que l’hégémonie égyptienne décline depuis lors dans la mer Égée est en faveur de la victoire d’Antigone, lequel est pour nous Antigone Gonatas.

 

[note 4] — On a vu plus haut quel désarroi a jeté dans l’histoire l’assertion d’Eusèbe affirmant que les enfants d’Antiochus II étaient nés d’une Laodice Akhaei filia, et quelle incertitude règne sur la généalogie des Achæi. Que cette famille fut de lignée royale, ou tout au moins princière, cela parait résulter du fait que Attale de Pergame, frère cadet de Philétæros et d’Eumène de Tios, épousa une Antiochis fille d’Achæos, qui fut la mère d’Attale Ier (Strabon, XIII, p. 624), et que une fille d’un Achæos, Laodice, épousa un roi de Syrie, soit Antiochos II (d’après Eusèbe), soit Séleucos II. C’est de celle-ci qu’il s’agit.

Nous avons rejeté l’assertion d’Eusèbe, comme une méprise, estimant qu’il avait confondu Laodice, sœur-épouse d’Antiochos II, avec Laodice fille d’Achœos, femme de Séleucos IL Nais celle-ci était-elle bien fille d’Achœos, et de quel Achœos ? Son père ne peut être le père de l’Antiochis susmentionnée, laquelle était mariée depuis une trentaine d’années, encore moins l’Achœos rival d’Antiochos III. La difficulté vient de ce que Polybe (IV, 51, 4. VIII, 22, 11) appelle l’épouse de Séleucos II Laodice sœur d’Andromachos, et non fille d’Achæos : ce qui permet de contester b cette reine la qualité de fille d’Achœos et de justifier Eusèbe. Je ne veux pas revenir sur ce nid d’hypothèses. Je rappelle simplement qu’une sœur d’Andromachos doit être fille d’un Achœos, lequel aurait été le grand-père du rival d’Antiochos III.

 

[note 5] — Il est superflu d’avertir que l’anarchie règne dans les appréciations chronologiques, et que, dans tous les systèmes, les affirmations sont moins probantes que les réfutations. La bataille d’Ancyre, par exemple, où Séleucos fut défait par Hiérax, qui est un point de repère pour les autres dates, est placée en 241 a. C. (Droysen), en 240 (Kœpp), en 235/4 (Beloch en 1888), en 238 (Beloch, Cardinali), en 239 (Corradi) : la paix ou trêve de dix ans entre Séleucos et Ptolémée, avant ou après la bataille d’Ancyre : avant, en 242 (Beloch, Cardinali, mais avec confirmation en 237) ; en 241 (Niebuhr, Kœpp, Corradi) ; en 210 (Cardinali, 1903) ; en 237 (Beloch, 1888) ; après, en 239 (Droysen) ; en 237 (Beloch, Cardinali).

 

[note 6] — Il y a là une difficulté née d’un texte de Justin et grossie par diverses considérations généalogiques. Justin dit que Olympias, tille de Pyrrhos roi d’Épire, veuve de sou frère consanguin (germano) Alexandre et tutrice de ses enfants, molestée par les Étoliens, se réfugia auprès de Démétrios (II) dit l’Étolique, roi de Macédoine. Bien qu’il fut marié avec une sœur d’Antiochos roi de Syrie, elle lui fit épouser sa fille Phthia : sur quoi, l’épouse délaissée, velut matrimonio pulsa, sponte sua ad Antiochum fratrem diredit eumque in mariti Lentini impellit (XXVIII, 1, 1). Cet Antiochos ne peut être que Antiochos II, Antiochos Hiérax n’ayant jamais été roi de Syrie. Mais Antiochos II était mort en 247/6, au moment où Démétrios II, qui succéda en 240/39 à son père Antigone Gonatas, n’était pas encore roi de Macédoine. Un texte de Justin ne vaut guère, pour peu qu’il se heurte à des objections : mais Beloch (Gr. Gesch., III. 1, pp. 621-704. III, 2, pp. 93-98. 151) l’accepte et se charge de le justifier. Dénombrant les mariages successifs de Démétrios II, auquel on connaît au moins quatre épouses, — Stratonice, Phthia, Nicæa, Chryséis. — il admet que celui-ci avait épousé Stratonice n’étant encore que prince royal et l’avait répudiée vers 250 pour épouser Phthia ; une façon de protester contre le revirement de la politique d’Antiochos II, qui venait de se réconcilier avec Ptolémée en épousant Bérénice. Phthia, morte vers 245, aurait été remplacée par Nicæa, veuve d’Alexandre de Corinthe, et celle-ci, vers 239, par Chryséis (Eusèbe, I, p. 237 Sch.), mère de Philippe V. — en qui d’autres reconnaissent Phthia. C’est à le réfuter que s’attache C. CORRADI, Gli ultimi Eacidi (Atti d. R. Accad. di Torino, 1912, pp. 192-215). Il pense que la politique anti-égyptienne d’Antigone Gonatas (les batailles de Cos et Andros) n’aurait pas permis au prince royal de répudier la sœur d’Antiochos II, mais que, devenu roi en 239, Démétrios usa de la polygamie permise aux rois par la coutume en raison de son utilité politique pour épouser Phthia sans répudier Stratonice. C’est ce que dit Justin : Stratonice partit de son plein gré, comme si elle était répudiée. En ajoutant ad Antiochum fratrem, Justin songeait peut-être à Antiochos II : ce serait une de ces bévues qui lui sont familières.

Le débat eût été supprimé, ou n’aurait plus porté que sur la qualité de roi de Syrie attribuée à Hiérax, si Justin avait écrit Antiochum fratrem [Seleuci]. Mais, d’après l’une et l’autre thèse, c’est bien pendant l’expédition de Séleucos II en Parthie que Stratonice, anciennement ou récemment délaissée, suscite des troubles à Antioche.

 

[note 7] — Les inscriptions de Pergame, publiées en Corpus de 1890 à 1895 par Fabricius et Schuchhardt, ont, suscité toute une littérature. J’en ai donné un aperçu en 1897, et j’ai, en somme, peu de chose à ajouter. Les nn. 20 et 24 affirment la victoire d’Attale sur les Tolisbrages. Ce doit élue celle de 241/0 a. C., date déterminée par le fait qu’Attale prit alors le titre de roi, étant donné qu’à sa mort, en 197, si on prend à la lettre le texte de Polybe (XVIII, 41, 8), il avait régné quarante-quatre ans. Il n’est pas question alors des mercenaires galates d’Antiochos Hiérax, tandis que dans d’autres dédicaces sont relatés des combats έν Φρυγίαι τήι έφ' Έλλησπόντωι πρός Αντίοχον (n. 21)παρά τό Άφροδίσιον πρός Τολιστοαγίους καί Τεκσάγας Γαλάτας καί Άντίοχον (n. 22), bataille probablement identique à celle des Galli Pergamo victi ab Attalo (Trogue, Prol. 27) et à la δευτέρα μάχη du n. 247. Cf. la dédicace collective du roi, des officiers et soldats (n. 29). Enfin, des débris d’inscriptions mutilées, de lecture conjecturale, semblent bien fournir la mention de combats livrés à Lysias et aux stratèges de Séleucos : faits postérieurs, visant probablement le règne de Séleucos III.

Les inscriptions triomphales n’inspirent qu’une médiocre confiance. Une réaction s’est produite, depuis Niebuhr, contre la prétention des Attalides au rôle de défenseurs héroïques de l’hellénisme menacé par la barbarie gauloise, thèse archaïque que soutiennent encore, après Droysen, Kœpp, Thraemer, Stæhelin, Pedroli, etc. Cette réaction me parait un peu excessive chez J. Beloch et dans l’ouvrage de G. CARDINALI, Il regno di Pergamo (Roma, 1906). L’auteur nie la réalité de la bataille de 241/0, date initiale des années de règne d’Attale Ier, et conteste la défaite des Galates seuls μάχη μγάλη (Strabon, XIII, p. 624). Il y voit un épisode de la lutte galato-antiochienne (bataille de l’Aphrodision ou de Pergame ou du Caïcos) et en fait descendre la date vers 230 a. C. Il impute de même tous les autres combats à la lutte, très intéressée et voulue par Attale, entre le dynaste de Pergame et Antiochos Hiérax pour la possession de l’Asie Mineure. C’est alors seulement que Attale aurait pris le titre de roi et reçu celui de Je n’avais pas cru devoir effacer ainsi des lignes de démarcation tracées par les textes. Voici que je les trouve au dernier moment relevées, avec une précision nouvelle, dans une étude dont les conclusions s’accordent sur plus d’un point avec celles que j’avais estimées plausibles, celle d’Aldo FERRABINO, Le guerre di Attalo I contra i Galati e Antioco Jerace (Atti d. R. Accad. di Torino, XLVIII [1913], pp. 707-718). La bataille livrée aux sources du Caïcos est bien, comme le disent Polybe et Strabon, une défaite des Galates seule, à qui Attale avait refusé le tribut, et la date initiale du règne de l’ex-dynaste (241 a. C.). Il n’y a pas eu d’hostilités entre Attale et Hiérax avant la fin de la guerre fraternelle (237), ni même peut-être avant 230. A cette date, Attale a affaire à Antiochos et aux Galates, réunis à la bataille de l’Aphrodision ou de Pergame. Battus, les Galates abandonnent la partie, et c’est Antiochos sent qui est défait successivement dans trois rencontres : en Phrygie d’Hellespont [aidé par Ziaélas ?] (229), à Coloé et en Carie (228).

En somme, la gloire des Attalides, en tant que remparts de l’hellénisme, ne gagne pas à être examinée de près. Il ne faut pas oublier que, plus tard, en 218, le même Attale Ier enrôla des Gaulois Aegosages pour battre Achæos (Polybe, V, 77, 2), et que lui et ses successeurs ont été au service des Romains contre les Hellènes.

 

[note 8] — Les études archéologiques étant en dehors de mon sujet tel que je le conçois, je renvoie pour la description du grand trophée à l’étude spéciale de Frænkel et pour celle des monuments artistiques de Pergame en général, au grand ouvrage de Pontremoli et Collignon. L’institution des Νικηφόρια doit avoir précédé ou suivi de près l’érection du trophée, avant les revers qu’infligèrent à Attale Séleucos III et Achæos. Curieux de sciences et écrivain lui-même, Attale entretenait des relations d’amitié avec des philosophes et hommes de lettres qu’il attirait à sa cour. Un compatriote de sa femme Apollonis, Xéanthe de Cyzique, écrivit son histoire (Athénée, XV, p. 699 d), et il a dit faire une large part aux vertus privées du couple royal. Si Attale Ier ne fut pas un foudre de guerre, ce fut peut-être le monarque le plus estimable de son temps.

 

[note 9] —J’ai fait allusion ci-dessus à une confusion possible entre Antiochos Hiérax et Antiochos Ier (Clinton, Wilcken) ou Antiochos II (Frœlick), ou même Antiochos III (frater Callinici, adversus quem L. Scipio Asiaticus bellavit. Sulpice Sévère, Chron., II, 19, 4), tous homonymes trépassant de mort violente. On ne trouve aucune spécification dans le texte capital de Pline : Phylarchus refera Centaretum e Galatis in prœlio occiso Antiocho potitum equo ejus conscendisse ovantem, at ilium indignatione accensum domitis frenis, ne regi posset, præcipitem in abrupta isse exanimatumque una (VIII, § 158). Élien (Hist. anim., VI, 44) reproduit la version de Phylarque : mais l’abréviateur de Pline, Solin (p. 45, 13), conte la chose à rebours : Cum prœlio Antiochos Galatas subegisset, Centareti a nomine ducis qui in acie occiderat equum insituitovaturus etc. Saumaise corrigeait Pline d’après Solin et lisait : Centareto e Galatis in prœlio occiso Antiochum potitum equo ejus conscendisse. C’est, on l’a vu plus haut le procédé par lequel il renverse le sens du texte de Trogue-Pompée sur la bataille d’Andros. Tout cela est compliqué d’une Caria que l’on a cherchée en Thrace (DROYSEN, III, p. 443, 1) pour suivie la marche indiquée par Eusèbe. Phylarque n’a pu songer à Antiochos II, puisqu’il le fait empoisonner par Laodice. Dans Sulpice Sévère, il suffit de retrancher [Callinici], ce que font les éditeurs modernes, pour supprimer la bévue, imputable peut-être aux copistes, et rendre à Antiochos III la qualité de frère de Seleucus filius Callinici, auquel il succède (II, 19, 3).

Reste, comme confusion possible, le trépas d’Antiochos Ier vaincu par les Galates et mourant de ses blessures, Mais il est constant qu’il périt dans la bataille de Sardes, ou mourut peu après (Syncelle, p. 271) ; ce qui, soit dit en passant, pourrait bien être une confusion avec Antiochos II, mort à Éphèse. Il faut donc mettre aussi Antiochos Ier hors de cause et écarter toutes conjectures oiseuses, y compris celles qui recommencent au sujet de la mort de Séleucos II (ci-après).

 

[note 10] — Nous sommes encore moins renseignés sur la mort de Séleucos Callinicos. Voici le texte sur lequel s’exerce la sagacité des commentateurs. Seleucus quoque isdem ferme diebus omisso regno equo præcipitatus finitur. Sic fratres quasi et germanis casibus, exules ambo post regna, scelerum suorum pœnas tuerunt (Justin, XXVII, 3, 12). Autant de mots, autant d’énigmes. Il n’est plus question comme jadis (Vaillant, Clinton) de faire mourir Séleucos II en captivité chez les Parthes, c’est-à-dire de lui appliquer un texte qui vise peut-être un Séleucos fils de Démétrios II (Posidonius ap. Athénée, IV, p. 153 a), sous prétexte que Séleucos II a été appelé le Barbu (Polybe, II, 71, 4). On s’est donc mis en quête d’autres péripéties expliquant le amisso [fratris ?] regno ou prœlio, et le exules ambo post regna. Séleucos II aurait-il commencé l’expédition reprise par son fils Séleucos III et subi le même sort (Droysen) ? Une victoire d’Attale, suivie de la mort du roi fugitif, expliquerait le texte de Justin, confirmé par S. Jérôme (In Dan., 11, p. 706). Mais c’est arbitrairement que l’on rapporte à Séleucos II au lieu de Séleucos III, et à la fin de son règne, des défaites infligées par Attale à des adversaires dont on s’évertue à restituer le nom dans des inscriptions mutilées. Celle que reproduit Dittenberger (OGIS., I, n. 2-4-2) soulève un problème accessoire. C’est une dédicace d’Attale à Zeus et Athéna pour une victoire remportée πρ]ός Λυσ[ίαν καί τούς Σελ]εύκο[υ στρτηγούς ?].

Ce Lysias hypothétique aurait donc été non pas un général de Séleucos III, mais son allié, quelque chef de bande indépendant ? On ne peut guère songer au Lysias qui fut plus tard ministre d’Antiochos IV et d’Antiochos V et fut mis à mort en 162, soixante et quelques années plus tard. Mais c’est assez raisonner sur des restitutions épigraphiques qui pourront être remplacées par d’autres.

La date du tremblement de terre qui renversa le Colosse de Rhodes est trop peu assurée pour qu’on se permette, comme le font Schneiderwirth et H. van Gelder, de retarder la mort de Séleucos II jusqu’en 224, après le σεισμός supposé en 225. On sait par Polybe (V, 89, 8) que Séleucos, ό πατήρ Άντιόχου, contribua par ses libéralités à la restauration de la ville et du Colosse. Mais la date de la catastrophe oscille entre 227 et 223 ; il n’y a pas là de quoi ébranler le peu de certitude que nous croyons avoir acquis par ailleurs.

 

 

 



[1] Wilcken restitue les passages litigieux comme suit : εί<ς> Σόλους τούς [Κιλικίο]υς (col. II, l. 3). — τών τε Σολείων καί <τών> στρατ[ιωτών] τών [αύ]τόθεν (col. II, l. 8-9), et non Σελ(ευκ)είων καί σατραπ[ών] ou στρατ[ηγών].

[2] Antiochos Hiérax avait sa place d’armes à Sardes, qui résista, étant commandée par son oncle Alexandre (déguisé en Alexandria dans le texte corrompu d’Eusèbe) : adjutorem enim et suppetias (Antiochos) Alexandria etiam habebat qui Sardianorum urbem tenebat, qui et frater matris ejus Laodikæ erat. La correction Alexandrinum (sc. regem) est avec raison signalée comme absurde.

[3] J. Beloch et G. De Sanctis font observer que la date de 242 a. C., donnée par le Chronicon Paschale (I, p. 330 Bonn.) pour la fondation de Callinicon, ne coïncide pas nécessairement avec la reprise de la Mésopotamie, qui a dû avoir lieu avant cette date : de combien, on l’ignore. M. Pognon veut bien me dire que les chroniqueurs syriens du moyen âge appellent la ville de Raqqah sur l’Euphrate Qaloniqos — ce qui met hors de doute l’identification avec Callinicon, — et que Nicephorium serait plutôt Balis, sur l’Euphrate, entre Alep et Raqqah. Il parait bien aussi que Alep est l’ancienne Berœa de Cyrrhestique.