LEÇONS D’HISTOIRE  ROMAINE - RÉPUBLIQUE ET EMPIRE

 

IV. — LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE ROMAINE[1].

 

 

L’histoire est plutôt un champ d’expériences qu’une école de morale. Le moraliste ne juge que les intentions : l’historien s’attache avant tout, aux actes, et il les apprécie par les résultats auxquels ils ont abouti. L’un peut poser des principes fixes et flétrir d’une protestation éternelle les violateurs du droit et de la justice ; l’autre est obligé de modifier son point de vue, de façon à l’accommoder aux faits accomplis, et, d’accepter le droit nouveau qui se fonde sur les ruines de l’ancien. L’historien qui vent être autre chose qu’un biographe n’a point, de cause à plaider ; il ne connaît dans la mêlée des partis ni clients ni adversaires. Son rôle est de mettre en évidence, aussi nettement que possible, l’enchaînement des faits, de montrer comment le présent sort du passé et engendre l’avenir. Il y réussit d’autant mieux qu’il s’abstient, davantage de scruter les consciences, persuadé que, si les actes ont une valeur morale dans le for intérieur, ils n’ont d’historique que leurs effets. Ainsi vus du dehors, les vices et les vertus s’atténuent ; les limites qui les séparent s’effacent à demi ou se déplacent. Dans une société malade, il arrive parfois que les violents font l’office de chirurgiens, et que les âmes les plus droites travaillent inconsciemment à perche la cause considérée par elles comme la plus juste. Le mouvement qui entraîne les uns et les autres apparaît, à distance comme une force irrésistible, supérieure aux volontés individuelles dont elle résume l’énergie.

C’est avec cette impartialité sereine qu’il faut étudier la terrible mêlée de passions et d’appétits qui ébranla pour toujours les institutions de la Rome républicaine et n’en laissa subsister que la façade.

I

A cette époque, Sylla, l’homme qui le premier a fait entrer dans Rome des légions armées et pris de vive force la dictature (82 av. J.-C.), est occupé à élaborer une constitution nouvelle, ou, pour parler plus exactement, à restaurer l’ancienne, qu’ont défigurée, è son sens, les progrès de l’esprit démocratique. Nous sommes en présence d’une réaction aristocratique, violente, implacable, qui a débuté par des proscriptions en masse et qui poursuit son œuvre à coups de décrets aussitôt transformés en lois constitutionnelles par les suffrages d’un peuple terrifié. Et ce qu’il y a d’extraordinaire dans cette réaction, c’est qu’elle est menée par un seul homme, dont la redoutable énergie impose silence aussi bien à ses amis qu’à ses ennemis. Sylla entend forger à son aise les chaînes qu’il veut imposer à la démagogie, et il se réserve le plaisir exquis de se promener un jour, simple citoyen, devant le monstre populaire qu’il aura réduit à l’impuissance.

Quel concours de circonstances a fait de cet homme de plaisir, qui a passé obscurément sa jeunesse au milieu des acteurs et des chanteuses, le naître du monde et le législateur de Rome ? Quelles sont les injures qu’il a voulu venger, les torts qu’il prétend redresser, les excès qu’il se propose de réprimer et de prévenir ? Quel est le passé immédiat contre lequel ce sceptique réagit avec la vigueur calme d’un réformateur convaincu ? Quel avenir rêve-t-il pour cette cité à laquelle, par une résolution inattendue, il va rendre la libre disposition d’elle-même ? Pour répondre à ces questions, il faut reprendre d’un peu plus liant l’histoire des discordes civiles et voir poindre les premiers symptômes de la maladie dont est morte la République poulaine. Il suffit pour cela de remonter à l’époque des Gracques. C’est à ce moment non pas que commence, mais qu’apparaît. le travail de désorganisation qui mine les vieilles institutions.

A la différence des cités grecques, qui avaient, toutes plus ou moins une tendance au socialisme d’État, Rome avait fortement constitué la propriété individuelle et s’était abstenue autant que possible de modifier artificiellement le jeu naturel des lois économiques. Les lamentations incessantes — exagérées peut-être par des historiens anciens — que font entendre les débiteurs, obérés durant la longue lutte entre le patriciat et la plèbe n’avaient pas fait fléchir sur ce point la froide raison des hommes d’État, qui étaient avant tout des jurisconsultes. Une loi Licinia Sextia (367), qui — à titre de mesure temporaire — parait avoir fait entrer les intérêts en déduction du capital ; quelques lois ou plébiscites, comme le Plebiscitum Duilium (357), dirigées contre l’usure ; une loi Pœtelia Papiria (326) abolissant la contrainte par corps ; voilà tout ce que le peuple romain crut devoir faire alors pour protéger les pauvres ou les prodigues. Il fallut les angoisses de la deuxième guerre punique, et aussi la contagion des idées grecques, pour décider l’État à opérer à son profit et au profit, de tous les débiteurs une sisachthie qui rappelle celle de Solon. La loi Flaminia minus solvendi (217), abaissant le poids de l’as de cuivre en lui conservant sa valeur nominale et lui donnant cours forcé, imposa un sacrifice patriotique aux créanciers de l’État et, par contrecoup, à ceux des particuliers : mais ce fut là uni expédient suggéré par l’épuisement des finances, et non pas le début d’une campagne contre les riches.

On en peut dire autant de mesures également temporaires, prises sous le coup de nécessités urgentes, et qui rentrent tout à fait dans le programme du socialisme d’État. En 352, pour prévenir une sécession particulièrement dangereuse au moment où les Volsques se préparaient à l’insurrection, une banque officielle fut instituée pour liquider les dettes, en substituant l’État aux créanciers ou en forçant ceux-ci à accepter une transaction. De même, il est probable que la banque d’État instituée en 216, l’année de la bataille de Cannes, mit dans une certaine mesure le crédit de l’État au service des citoyens expropriés et ruinés par la guerre. Ce sont là, répétons-le, des mesures d’exception, qui n’ont aucunement modifié les principes du droit ; si les Romains n’avaient pas eu, comme tant d’autres, la naïveté de faire des lois somptuaires, on pourrait dire que nulle part la propriété, considérée, suivant la définition même des jurisconsultes romains, comme le droit d’user et d’abuser, n’a été plus respectée qu’à Rome par la puissance publique.

Aussi est-ce sur la propriété que, depuis Servius Tullius, repose tout l’organisme politique. La propriété était la mesure des droits et des devoirs ; le système des classes subdivisées en centuries était calculé de façon à remettre et le gouvernement de la cité et le soin de la défendre à ceux qui étaient rivés, non seulement par leurs affections, mais par leurs intérêts, au sol de la patrie. Celui qui ne comptait que pour sa tête (cupite census) ou pour le capital vivant que lui constituaient ses rejetons (proletarius), celui-là était traité en homme libre, mais on ne lui confiait ni une arme, ni un bulletin de vote ; à plus forte raison n’était-il éligible à aucune fonction publique. Il fallait, pour tenir dignement sa place dans la société, quelques arpents de terre au soleil. Les Romains avaient compris que, s’il faut faire une différence entre celui qui laboure son champ et celui qui cultive le champ d’autrui, il vaut mieux lui faire à l’avantage du premier. Ainsi, la fortune, ou, pour parler plus exactement, la propriété foncière, considérée comme garantie d’indépendance et de vertu civique, voilà le fondement de l’ordre social à Rome durant les premiers siècles. Ce fondement avait chance d’être solide, et l’on s’abstenait de l’ébranler par des théories indiscrètes.

Mais, si l’État se gardait de déranger par des lois intempestives Faction des forces naturelles qui président à la répartition des richesses, il faisait d’autre part tout ce qu’il fallait pour en fausser le résultat. Ne parlons pas de l’esclavage, qui l’ut une plaie commune à toutes les cités antiques, mais de cet état de guerre perpétuelle qui a fait la grandeur et le malheur de Rome. Le citoyen ne pouvait pas à la fois faire campagne et cultiver son champ : la part de butin qui lui revenait à la suite dune guerre heureuse ne compensait pas les pertes et dommages qu’elle lui avait causés. La grande propriété se maintint et s’accrut même, grâce au travail servile que n’interrompaient point les levées et les expéditions ; mais la petite propriété, celle qui fait la force des nations, disparut peu à peu. Tous ceux qui avaient dit vendre leur avoir pour payer leurs dettes allaient grossir la population de Rome, où ils s’habituaient, conseillés par la misère, à vendre leur témoignage aux plaideurs et leur vote aux ambitieux.

Il ne serait pas exact de dire que cette lamentable désorganisation intérieure se poursuivit sans que la sagesse proverbiale du Sénat en ait constaté les symptômes et discerné les causes. Oui crut longtemps que la conquête devait et pouvait réparer les brèches faites par la guerre dans la fortune de la classe moyenne ; que les nécessités stratégiques s’accordaient ici avec l’intérêt des particuliers ; qu’une série de colonies fondées au fur et à mesure dans les pays récemment soumis offriraient aux citoyens à court de moyens d’existence l’occasion de rendre à l’État des services payés par des assignations de terres. Plus de soixante colonies, tant latines que romaines, c’est-à-dire composées en partie ou en totalité de citoyens romains, furent ainsi fondées en Italie avant l’époque des Gracques. Seulement, — ce point, est à retenir, — le gouvernement n’entendait point faire de ces concessions de terrains dans les colonies un don gratuit dont les bénéficiaires pouvaient user à leur gré. Les colonies étaient, à vrai dire, des garnisons sédentaires ; le colon était tenu d’y résider, c’est-à-dire de perdre le plein droit de cité ou tout au moins les principaux avantages du droit de cité. Lorsque la fondation d’une colonie était- reconnue utile pour la défense du territoire, on enrôlait les colons comme on recrute un corps d’armée, et, si les engagements volontaires ne suffisaient pas, la commission chargée de l’opération inscrivait l’office sur ses listes autant de noms qu’il en fallait pour parfaire le chiffre fixé.

Il n’y a rien là qui, soit pour la théorie, soit pour la pratique, sente le socialisme, le prêt ou le don gratuit fait par la collectivité à l’individu. L’État rémunère, par l’octroi d’un capital dont il se réservait parfois la nue propriété, des services à lui rendus, et, s’il soulage du même coup bien des misères, il le fait sans reconnaître aux particuliers un droit quelconque à son assistance. Fermement maintenue en toute occasion par le Sénat, cette doctrine mit longtemps l’État à l’abri des expériences dangereuses que souhaitaient les agitateurs populaires. C’est ce rempart qui croula tout d’un coup sous l’effort passionné de ces philanthropes révolutionnaires qu’on appelle les Gracques.

II

Les révolutions soudaines ne sont que la brusque détente de forces lentement accumulées. Celle-ci se préparait depuis longtemps. Les peuples portent légèrement le joug des principes les plus rigoureux quand ils sont persuadés que tout le monde s’y soumet et que personne ne les tourne à son profit. Or, la classe dirigeante, celle qui s’appelait jadis le patriciat et, depuis les lois Liciniennes (367), s’appelle la noblesse (nobilitas), n’avait pas su s’abstenir de porter la main sur le domaine public et de le convertir tout doucement en propriété particulière. Une bonne part des terres enlevées aux vaincus avaient été affermées pour une durée indéfinie, occupées, comme on disait, par de riches tenanciers, qui, encouragés par la négligence ou la complicité des magistrats, s’étaient, peu à peu affranchis de toute redevance et avaient fini par se considérer comme les propriétaires du sol ainsi abandonné a leur discrétion. C’est contre cet abus que n’avaient cessé de réclamer les auteurs de lois agraires.

La liste serait longue de tous les projets de réforme agités sons ce nom. Le Sénat, tantôt en effrayant leurs auteurs, tantôt en faisant des concessions opportunes, tantôt en détournant l’attention du peuple, sut prévenir des éclats fâcheux. Mais ce qui, plus que toute son habileté, assura la tranquillité publique, c’est qu’il n’y avait point encore de parti démagogique intéressé à la ruine de l’ordre de choses existant et que les tribuns les plus hardis ne rêvaient point de remanier de fond en comble le droit public. Dès l’an 367, la loi Licinia Sextia de modo agrorum avait admis la prescription pour la majeure partie des terres occupées, rendu le reste au domaine public et enjoint aux magistrats de veiller à ce qu’il ne se fit plus d’usurpations a l’avenir. La loi paraît avoir été appliquée en conscience : on dit même qu’un de ses auteurs fut condamné pour l’avoir violée. Depuis lors, toutes les lois agraires volées ou proposées avaient eu pour but de provoquer des assignations de terres en pays conquis, c’est-à-dire de développer le système de colonisation utilisé pour la défense du territoire.

Mais, pendant ce temps, les trois guerres puniques, la conquête de la Sicile, de la Sardaigne, de l’Espagne, de l’Afrique, de la Macédoine, de l’Asie, avaient enlevé les laboureurs à leurs champs ; la concurrence des blés étrangers avait achevé de ruiner l’agriculture ; les campagnes se dépeuplaient, et la grande ville recueillait les épaves de ce naufrage de la prospérité publique. Par un singulier contraste, l’État était riche. Les trésors des rois et des peuples vaincus, les contributions levées désormais d’une façon régulière sur les provinces avaient si bien rempli les caisses de l’ærarium que, depuis l’an 167, les citoyens purent être dispensés du tribut. Les fonctionnaires aussi, en dépit de la gratuité de leurs fonctions, étaient riches ou trouvaient facilement l’occasion de s’enrichir. Depuis que Rome avait des millions de sujets, quiconque détenait une parcelle du pouvoir se voyait aussitôt entouré de solliciteurs et de complaisants qui, même sans l’entraîner à des actes réputés malhonnêtes, prenaient soin de ses intérêts. Une magistrature, surtout si elle donnait droit au commandement des armées et au gouvernement des provinces, était un capital qui avait parfois coûté cher à son détenteur momentané. Celui-ci trouvait légitime d’en tirer bon parti, d’autant plus que ses bénéfices n’étaient point nécessairement réalisés au détriment de l’État et que les provinciaux eux-mêmes étaient tout disposés à se protéger moyennant finance contre le, abus de pouvoir. L’exercice des magistratures était comme le revenu tacitement réservé à l’ordre sénatorial, à qui la coutume d’abord, et, depuis le temps de la deuxième guerre punique, un plébiscite interdisait le grand négoce et le maniement des affaires financières. Le négoce et la finance étaient aux mains des capitalistes dont les Gracques vont faire l’ordre équestre. Les chevaliers, c’est-à-dire les citoyens qui possédaient un cens d’au moins 400.000 HS[2], étaient seuls en mesure d’offrir à l’État les garanties qu’il exigeait de ceux auxquels il affermait la perception des impôts. Ils organisaient des sociétés par actions qui, tous les cinq ans, lorsque les censeurs mettaient en adjudication les fermes d’impôts et les travaux publics, achetaient en bloc la perception des taxes dans des provinces entières. Une fois munies de leur contrat, ces compagnies raisonnaient comme les fonctionnaires et rançonnaient de leur mieux les provinciaux, que Rome, après tout, de par le droit de conquête, eût pu dépouiller tout à fait.

Ainsi, par la force des choses, dans une société où depuis longtemps tous les privilèges étaient abolis, il s’était ouvert une sorte d’abîme entre les classes peu nombreuses qui prospéraient par leur participation aux affaires publiques et la masse démesurée de ceux qui, ne pouvant travailler au même prix que les esclaves, inhabiles au commerce, exclus même des légions par des règlements souvent violés mais non abrogés, n’ont littéralement d’autre ressource que de se faire les clients des hommes politiques et de trafiquer de leur droit de suffrage. Pour comprendre à quel point cet état de choses est dangereux, il ne faut pas oublier que tous ces affamés sont des citoyens, des électeurs, des législateurs. En dépit des précautions imaginées pour conserver au vote des classes aisées une valeur plus considérable, le mécanisme délicat des comices ne pouvait que plier sous une telle avalanche, et il est vrai de dire, d’une façon générale, qu’à l’époque, la volonté de la plèbe romaine ne connaissait plus d’obstacles invincibles.

Ainsi, le peuple était à la fois le maître du monde et l’esclave de sa misère. Ces magistrats qui partaient précédés de leurs faisceaux pour aller gouverner des nations entières, c’est lui qui leur avait donné l’investiture : ces fermiers généraux et traitants qui pressuraient les provinces, c’est, lui qui mettait à leur disposition la force publique, lui qui protégeait leurs personnes et leurs créances. Il lui semblait vaguement qu’il se jouait sous ses yeux une comédie dont il était victime : il s’irritait de se savoir tout-puissant et de rencontrer, arrêtant de toutes parts l’élan de ses convoitises, des usages, des règles de droit, avant tout ce principe jusque-là inviolé que ce qui appartient à l’État, n’appartient pas individuellement à ses membres. Il ne trouvait point de formule à opposer à : il était incapable de tirer de l’histoire la preuve que l’État avait de tout temps absorbé Ies forces vives de sa population pour en reverser le bénéfice sur les hautes classes. Mais, à court d’arguments, il n’en était que plus tenté de recourir à la force. Au fond, et sans le savoir peut-être, il était devenu l’ennemi des institutions existantes et prêt à suivre quiconque l’inviterait à les renverser. Enfin, pour compléter le tableau, il faut se représenter rôdant pour ainsi dire autour de la cité les Italiens qui avaient lutté et souffert avec elle, dont elle avait pris sans compter l’or et le sang, et qu’elle tenait fièrement à distance, les jugeant assez payés de leurs sacrifices par le titre d’alliés du peuple romain, qui les distinguait des provinciaux.

En résumé , une cité surpeuplée qui domine, administre, exploite tout le bassin de la Méditerranée, mais au profit de quelques-uns ; dans cette cité, des riches que rapprochent leurs intérêts communs, mais qui se divisent en deux classes jalouses l’une de l’autre, l’aristocratie des fonctionnaires ou noblesse et le monde de la finance ; au-dessous, une populace dégradée par l’oisiveté et la misère, qui s’appauvrit de sang romain et se grossit de tous les détritus ethnologiques qu’y verse la pratique des affranchissements d’esclaves ; autour de Rome, l’afflux d’une autre plèbe, réduite à envier le sort de celle qui porte le nom majestueux de peuple romain : voilà la scène sur laquelle paraissent à leur heure ceux que l’histoire désigne comme les premiers auteurs de la ruine des institutions républicaines, les Gracques.

Ceux-là apportèrent la formule, la théorie qui manquait pour grouper en faisceau tontes les aspirations populaires. Au nom de la justice, dont la philosophie stoïcienne avait gravé dans leurs cœurs le noble idéal, ils déclarèrent que l’État avait le devoir de donner des terres à ceux qui n’en avaient pas. Les bêtes sauvages, s’écriait Tiberius, les bêtes sauvages ont en Italie des tanières et des gîtes pour se réfugier, et ceux qui combattent et meurent pour l’Italie n’ont à eux que l’air et la lumière, rien autre chose. Sans maison, sans domicile fixe, ils errent avec femmes et enfants. Les généraux mentent quand, dans les batailles, ils les exhortent à combattre pour leurs tombeaux et leurs temples ; car, entre tant de Romains, en est-il un seul qui ait un autel domestique, un tombeau de ses ancêtres ? Ils combattent et meurent, pour soutenir le luxe et l’opulence d’autrui. On les appelle les maîtres de l’univers, et ils n’ont pas en propre une seule molle de terre ! De quelle bouche part cette brillante invective ? Le jeune tribun qui parle ainsi au peuple assemblé est le petit-fils de Scipion l’Africain, le beau-frère de Scipion Émilien, le gendre d’Appius Claudius, l’ami des Crassus et des Scævola ; son père avait été deux fois consul, puis censeur ; sa mère avait refusé durant son veuvage la main du roi d’Égypte. Il ose, le généreux mais imprudent néophyte, fouetter du vent de sa parole ces flots populaires qui, une fois déchaînés, l’engloutiront, lui et ses illusions, ses proches, ses amis, tout ce qu’il a aimé, voulu, rêvé, et, comme ceux de la tempête décrite par Virgile, ne s’apaiseront que quand un dieu sorti de leurs profondeurs lèvera au-dessus de la tourmente sa face irritée.

Ceux qui se bornent à étudier les individualités marquantes doivent trouver ici l’effet plus grand que la cause. Si éloquent, si fanatique même à sa façon qu’ait pu être Tiberius Gracchus. ce n’est pas son action personnelle, ce n’est même pas le texte assez mesuré de sa loi agraire qui a remué jusqu’au fond des entrailles la société romaine. Celle société était en état d’équilibre instable, et il a suffi pour le rompre de déclarer que la justice devait devenir le droit. En théorie, la cause défendue par les Gracques était juste : en pratique, le peuple pouvait, par l’exercice normal de son pouvoir législatif, faire entrer de plain-pied la théorie clans le domaine du droit. Que répondre à cette dialectique ? A défaut d’arguments, les conservateurs opposèrent au tribun l’intercession toute-puissante d’un de ses collègues. Au lieu de s’arrêter devant cette barrière constitutionnelle, Tiberius la brisa en faisant déposer son collègue par le peuple. Il n’est pas juste, disait-il, qu’un tribun qui nuit au peuple conserve l’inviolabilité à lui conférée dans l’intérêt du peuple ; il annule par là le pouvoir qui fait sa force. Pour Tiberius, ce mot de justice répond à tout : les clauses les plus sacrées du pacte constitutionnel, dès qu’elles entravent son œuvre, ne méritent plus d’élue respectées ; ou plutôt, par un sophisme familier aux sectaires et aux ambitieux, il prétend n’en violer la lettre que pour en mieux conserver l’esprit. A partir de ce moment, il devient un révolutionnaire, et, si pures qu’aient été ses intentions, il s’aliène les sympathies de quiconque voit dans le respect de la légalité l’unique sauvegarde des sociétés en général et particulièrement des sociétés démocratiques.

L’expiation ne se fit pas attendre. Le candide réformateur poursuivait son œuvre : il voyait déjà tous les prolétaires se dispersant, le cœur joyeux, dans les campagnes repeuplées et faisant souche de laboureurs. Le roi Attale III de Pergame étant mort sur ces entrefaites en léguant son royaume et ses trésors au peuple romain (133), Tiberius pensa que ce legs venait à point pour constituer un capital d’exploitation à ceux qui allaient recevoir des lots de terre, et il s’empressa de rédiger un projet de loi de pecunia Attali populo dividenda. Il n’était encore qu’au début de ses expériences philanthropiques lorsqu’il s’aperçut que l’année s’avançait et qu’il allait redevenir simple citoyen. Il lui faudrait alors se dessaisir du pouvoir qui garantissait sa sécurité personnelle et l’avenir de ses réformes. C’était un nouvel obstacle que lui opposait la Constitution ; car, depuis un siècle au moins, il était interdit aux magistrats de se faire élire deux années de suite aux mêmes fonctions. Tiberius jugea une fois de plus qu’une loi constitutionnelle ne devait pas entraver une œuvre humanitaire et ne pouvait pas lier la volonté du peuple souverain. Il brigua de nouveau le tribunat ; ses adversaires politiques, à bout de patience, profitèrent du désordre causé par cette candidature illégale pour l’assommer comme un malfaiteur avec trois cents de ses partisans, et le Tibre roula tous ces cadavres à la mer.

Ce fut le premier sang répandu clans la lutte des partis : ce ne devait pas être le dernier. Aussi imprudents et plus coupables que Tiberius, les conservateurs, en faisant appel à la violence, venaient de donner au peuple un funeste exemple. C’est l’ère des guerres civiles qui commence.

Dix ans après, Caïus Gracchus entrait en lice à son tour, pour venger son frère et continuer son œuvre (123). Celui-ci était préparé à la lutte : il avait compris que, pour vaincre, il fallait à la fois combler ses amis et terrifier ses ennemis. Une première loi, à laquelle il donna un effet rétroactif, menaça de la justice du peuple ceux qui avaient poursuivi et exécuté sans jugement les adhérents de Tiberius. Ceci fait, Caïus fit voter coup sur coup quatre plébiscites qui constituaient une véritable mainmise du peuple sur les finances de l’État : une nouvelle loi agraire investissant de pouvoirs à peu près absolus les commissaires chargés des assignations à faire en vertu de la loi non abrogée de l’an 133 ; une loi militaire abrégeant la durée normale du service dans les légions et mettant l’habillement du soldat à la charge du Trésor : une loi frumentaire obligeant l’État à fournir à vil prix le blé nécessaire à la consommation des citoyens, et une loi soumettant au contrôle populaire la perception des impôts dans la province d’Asie. Caïus Gracchus se fit nommer à la fois membre de la commission agraire et curateur chargé de veiller aux distributions de blé. Comme tel, il eut à sa dévotion une armée d’employés et une nuée de solliciteurs ; il faisait bâtir des greniers, construire des routes, dresser des plans de colonisation. Le peuple était prêt à violer pour son favori toutes les lois constitutionnelles. Lorsque Caïus demanda sa réélection au tribunat, on voulut lui donner le consulat par-dessus le marché, et il dut modérer lui-même l’ardeur de ses partisans. Le Sénat effrayé n’osait plus protester ; il jugeait prudent de laisser passer la tourmente : sur un signe de Caïus, le peuple souverain l’eût supprimé. Gracchus, de son côté, voulait être autre chose qu’une idole de la populace, un roi des Halles : il ralliait les chevaliers à son parti en leur conférant le droit exclusif, jusque-là dévolu aux sénateurs, de siéger dans les jurys civils et criminels. D’autre part, il avait soin que les Italiens eussent part aux largesses de l’État et annonçait l’intention de leur conférer le droit de cité.

Le hardi novateur allait de l’avant, soulevant et tranchant toutes les questions à la fois. Il était pour ainsi dire le gouvernement tout entier ; rien ne se faisait plus que par son initiative ; il était partout, il suffisait à tout. Aussi, dit Plutarque, ceux même qui le haïssaient et le craignaient étaient stupéfaits d’une activité capable d’aboutir en toutes choses. Le peuple était émerveillé du spectacle, en le voyant entouré d’une foule d’entrepreneurs, d’artisans, d’ambassadeurs, de magistrats, de soldats, de gens de lettres, les accueillant tous avec aménité et conservant un air de gravité dans sa bienveillance. Ce que nous voyons, nous, c’est, avec quelle facilité se détraque le mécanisme constitutionnel calculé pour répartir l’autorité entre plusieurs détenteurs et pour contenir l’initiative de chacun d’eux dans les limites de ses attributions ; comme ce peuple est pressé de se donner un chef qui peut devenir un maître, et comme il se plait à le l’aire tout-puissant. Après cette expérience, les ambitieux n’avaient plus rien à apprendre sur la fragilité des institutions traditionnelles. Le secret de la République était trahi : on savait que cette démocratie de fraîche date et déjà décrépite était prèle à suivre quiconque saurait la mener.

Mais le suivrait-elle longtemps ? Le difficile n’était pas de prendre le pouvoir, c’était de le garder. L’homme le plus populaire ne peut gouverner effectivement sans une l’onction officielle. Périclès lui-même l’avait senti, et c’est comme stratège constamment réélu qu’il pu rester trente ans le chef de l’État. Caïus Gracchus n’eut ni le temps, ni peut-être l’envie de se soustraire, par des expédients comme on en imagina plus tard, aux dangers que lui faisait courir le système des magistratures annuelles. Il comptait, sans doute se faire réélire tribun de la plèbe aussi longtemps qu’il le jugerait nécessaire. Il se trompait. Il avait réussi à brouiller les chevaliers avec le Sénat, mais il n’avait pas compris qu’une I aristocratie financière ne saurait s’accommoder longtemps d’un régime démagogique. Il s’était mépris plus lourdement encore sur la nature et la puissance des appétits qu’il prétendait satisfaire. Sa loi frumentaire retenait à Rome cette populace que sa loi agraire devait ramener aux champs : une fois assurés de toucher à Rome leur ration de blé, les prolétaires trouvèrent odieux un plan de colonisation qui devait les disperser en Italie et même hors de l’Italie. Ils aimaient mieux vivre à Rome aux dépens du Trésor et garder leur bulletin de vote que d’être propriétaires des lots immenses découpés par Gracchus lui-même sur le sol de Carthage. Il leur parut même que Gracchus les trahissait en faisant aux Italiens une part dans les libéralités publiques et en demandant pour eux le droit de cité.

Le Sénat sut tirer parti de la situation. Il suscita au réformateur un rival qui gagna aisément le peuple par un procédé infaillible, en faisant de la surenchère. Gracchus, tout à coup délaissé, vit expulser de Rome, en vertu d’un sénatus-consulte, les seuls amis qui lui restassent, les italiens attirés par lui dans la capitale. Lorsque vinrent les élections, non seulement Gracchus ne fut pas réélut, mais un de ses ennemis personnels, L. Opimius, parvint au consulat. La réaction commença aussitôt. Les Pontifes déclarèrent réprouvé par le ciel son dessein de fonder une colonie sur le sol à jamais maudit de Carthage : les nouveaux tribuns persuadèrent au peuple qu’il fallait abroger ses lois. Un incident survenu au cours de ces tumultueuses assemblées servit de prétexte au Sénat pour proclamer l’état de siège. Caïus Gracchus fut massacré avec trois mille de ses partisans, et le consul Opimius, après ce facile exploit, bâtit un temple à la Concorde.

La Concorde ! Personne n’était dupe de ce vain mot. Une fois morts, les Gracques devinrent, pour ce peuple qui les avait si mal défendus, les martyrs de la bonne cause. On voyait partout leurs images, et les plus exaltés allaient offrir des sacrifices aux lieux où ils avaient succombé.

Cependant les conservateurs procédèrent avec habileté et méthode à la destruction de l’œuvre révolutionnaire des Gracques. Ceux-ci avaient voulu que les lots de terres assignées fussent inaliénables, afin d’ôter aux bénéficiaires la tentation de les vendre. Une loi supprima cette clause : ceux qui avaient déjà reçu des terres s’empressèrent de les convertir en argent, et les grands propriétaires les rachetèrent à vil prix. En 118, la loi Thoria supprima définitivement les assignations et décida que les anciens possesseurs de terres appartenant au domaine public les garderaient, mais en payant une redevance dont le produit serait distribué aux pauvres. Sept ans plus tard, une autre loi abolit les redevances, pour les anciens comme pour les nouveaux possesseurs, et simplifia toutes ces questions en abandonnant en toute propriété aux particuliers tout ce qui avait été donné ou n’avait pas été repris par les commissions agraires. Le peuple vota tout ce qu’on voulut : la seule chose à laquelle il tenait, c’est qu’on ne touchât pas à la loi frumentaire. Les chevaliers ne tirent rien non plus pour déranger les combinaisons des conservateurs, satisfaits qu’on leur laissât le droit exclusif de siéger dans les tribunaux et l’Asie à exploiter.

En somme, de l’entreprise avortée des Gracques il ne restait que les idées subversives jetées par eux dans la circulation et les lois, incontestablement mauvaises, auxquelles ils avaient cru devoir recourir pour intéresser le peuple et les chevaliers à la grande réforme sociale, qui devait transformer le prolétariat urbain en population agricole. Les conservateurs avaient assez montré qu’ils ne se souciaient. pas beaucoup plus de la légalité que leurs adversaires. En recourant cieux fois à la force pour arrêter un mouvement d’opinion, ils avaient perdu ce droit au respect qui, en tout pays, est la plus sûre garantie de la paix sociale. On était persuadé que leur résistance n’avait été si opiniâtre que parce qu’ils voulaient être seuls à se partager le domaine public et le bénéfice des droits régaliens de l’État. A la philanthropie mal inspirée, mais généreuse, des deux grands tribuns, ils n’avaient opposé aucune idée élevée, aucun principe de gouvernement ; ils avaient intrigué, rusé, menti, et, comme dernier argument, ils avaient employé l’assassinat, à peine déguisé sous un semblant de formes légales.

Si les Gracques, en tant que révolutionnaires, disposés à justifier les moyens par le but, ne méritent pas que l’histoire leur accorde sans réserve sa sympathie, que dire de cette aristocratie dégénérée et cupide, habituée à violer impunément les lois parce qu’elle était chargée jusque-là de rendre la justice et n’était responsable que devant elle-même ? Maintenant que les financiers, longtemps obligés de se faire humbles devant les fonctionnaires, sont en possession des jurys et vont pouvoir à leur tour joindre aux douceurs de l’impunité le plaisir de traquer leurs rivaux, les scandales ne peuvent manquer d’éclater. Les hautes classes vont étaler leurs vices devant ce peuple qui a son pain inscrit au budget et qui trouve sa part trop petite pour son appétit. Déjà au siège de Numance (133), Jugurtha, qui vivait en camarade avec l’entourage de Scipion Émilien, apprenait que tout à Rome pouvait s’acheter, même la conscience des généraux et des ambassadeurs. La leçon ne fut pas perdue. A peine rentré chez lui, il assassina l’un de ses cousins, expulsa l’autre, se mit en possession du royaume de Numidie et se hâta d’expédier de l’argent à Rome. Cet argent fit merveille. Le Sénat, après bien des hésitations, décida que Jugurtha partagerait la Numidie avec l’héritier légitime de Micipsa et envoya, à deux reprises, des commissaires qui, grassement payés, dit-on, pour ne rien voir, laissèrent Jugurtha battre et assassiner son rival. Parmi ces commissaires se trouvaient ce L. Opimius qui avait mis à prix la tête de Caïus Gracchus, et le prince ou doyen du Sénat, M. Æmilius Scaurus. Il fallut enfin déclarer la guerre au Numide. Le consul qui fut chargé de la faire, L. Calpurnius Bestia, négocia au lieu de combattre, et l’on apprit tout à coup à Rome que le général et son légat Scaurus avaient fait la paix avec Jugurtha. Pour le coup, l’opinion publique protesta. Le tribun C. Memmius fit décréter une enquête et citer Jugurtha comme témoin. Jugurtha se présenta ; mais, comme il se disait prêt à déposer, un autre tribun, C. Bæbius, acheté par lui, lui défendit de parler. Jugurtha profita de son séjour à Rome pour y faire assassiner un parent qui pouvait, devenir un prétendant, tandis qu’en Numidie les officiers romains traitaient avec ses agents et lui rendaient ses éléphants et ses mercenaires. On conçoit qu’il pu prononcer en connaissance de cause les paroles que lui prête Salluste : Ô ville vénale, et qui serait bientôt perdue, si elle trouvait un acheteur !

Le peuple irrité institua par une loi spéciale un tribunal extraordinaire, qui condamna pêle-mêle les imprudents et les coupables : les plus grands noms de Rome sortirent flétris de cette scandaleuse affaire. L’opinion ne se montra guère moins sévère pour les généraux qui se laissaient battre par les Cimbres (105). Il semblait qu’il n’y eût plus, dans les rangs de l’aristocratie, que des incapables ou des vendus, et le peuple était tout disposé à acclamer quelque homme nouveau qui ne fût pas simplement le fils de ses ancêtres. On sait comment C. Marius, qui avait gravi péniblement les degrés de la hiérarchie, fut porté au consulat par ce mouvement d’opinion ; comment ce soldat de fortune justifia la confiance du peuple en battant Jugurtha et exterminant les Cimbres ; comment il devint à son tour l’homme indispensable, l’homme insatiable aussi, qui, comblé de consulats et de triomphes, ne parut jamais se proposer d’autre but que de se perpétuer au pouvoir.

J’admirerais plus à l’aise la superbe tirade de Mirabeau, qui fait nature Marius de la poussière laurée comme une protestation vers le ciel par le dernier des Gracques expirant, si quelque chose de rame des Gracques avait passé dans la grossière et cauteleuse nature de celui qu’on nous donne comme leur vengeur. Marius était plus âgé que C. Gracchus, et j’ai peine à croire qu’il se soit assimilé quelqu’une des idées qui fermentaient dans le cerveau puissant de son illustre contemporain. Il n’avait de vigueur et d’initiative que sur les champs de bataille : dès qu’il reprenait la toge, amis et ennemis ne trouvaient plus en lui qu’un ambitieux vulgaire, hésitant, dissimulé, incapable de se rallier sans arrière-pensée-il un parti et d’obéir ù un autre mobile que son intérêt personnel. Il laissa le rôle de continuateur des Gracques à qui voulut le prendre, à L. Marcius Philippus, qui proposa en 101 une nouvelle loi agraire, à L. Appuleius Saturninus, qui, tribun de la plèbe en l’an 100, promulgua à la fois, comme C. Gracchus, une loi agraire, une loi frumentaire et songeait, lui aussi, à fonder de tous côtés des colonies on l’on installerait d’abord les vétérans de l’armée de Marins, puis des citoyens romains et des Italiens. Marius encourageait sous main Saturninus, mais uniquement afin d’obtenir plus facilement un sixième consulat pour lui et des terres pour ses soldats. Le jour où Saturninus, saisi d’une sorte de folie démagogique, alla jusqu’à appeler aux armes les esclaves. Marius se défendit d’avoir été son ami et se chargea lui-même, sur invitation du Sénat, d’écraser cette bande de factieux.

Marius garda une attitude aussi indifférente et aussi équivoque en face de l’honnête homme qui entreprit enfin de résoudre les problèmes sociaux agités par les Gracques. Le Sénat avait fini par comprendre qu’une transaction valait mieux qu’une révolution. Il ne vit pas de mauvais œil les premiers efforts du tribun M. Livius Drusus (91). Le nouveau réformateur appartenait a la noblesse : riche, éloquent, estimé pour ses vertus autant que pour ses talents, déjà membre du collège des Pontifes, Livius Drusus crut qu’il n’était pas impossible de rétablir la concorde entre les sénateurs et les chevaliers, de réconcilier le peuple avec les classes dirigeantes et de profiter de cet apaisement général pour faire droit aux justes réclamations des Italiens. Que d’illusions à la fois ! L’historien a besoin de se défendre contre le pessimisme qui l’envahit lorsqu’il est réduit à constater que les Mmes les plus loyales ; si elles commettent la faute de juger des autres par elles-mêmes, manquent de tact et de savoir-faire politique. En politique, la volonté qui ne sait pas, comme le rayon de lumière, dévier suivant les milieux qu’elle traverse, rebondir sur les obstacles, s’épanouir au besoin en ondulations multicolores où chaque œil trouve une nuance qui lui agrée, cette volonté-là, si énergique qu’on la suppose, sera brisée tôt ou tard. Elle doit l’être au premier choc, si elle n’a point à son service l’argument qui dispense momentanément de tous les autres, la force.

Livius Drusus commença par afficher, avec l’approbation avérée du Sénat, un projet de loi ordonnant la fondation de colonies en Italie et en Sicile, et un projet de loi judiciaire, qui partageait également entre les sénateurs et les chevaliers le droit de siéger dans les jurys. Il n’avait pas réfléchi que nième les indigents à Rome ne se souciaient aucunement d’aller mener au loin l’existence de petits propriétaires ruraux : aucun avantage n’était ponceux comparable aux distractions malsaines de la grande ville, au  plaisir de collaborer de leur personne au gouvernement du monde et de faire trembler, à l’occasion, les riches à qui ils portaient envie. Quiconque leur proposait de quitter Rome passait bien vite à leurs yeux pour un traître. La loi judiciaire non plus ne satisfaisait ni les sénateurs ; qui voulaient recouvrer tout entier leur ancien privilège, ni les chevaliers, qui n’entendaient pas laisser amoindrir leur conquête. En outre, Livius Drusus, par scrupule de conscience, avait eu la malencontreuse idée de déclarer les jurés responsables de leurs jugements, ce qui faisait du droit de rendre la justice un privilège dangereux et suspect. Les partis exhalèrent leurs récriminations eu longs discours : l’année se passa presque tout entière à discuter sans voter, le vote étant empêché pour les moyens légaux dont la constitution était amplement pourvue. Livius allait être obligé de sortir de charge sans avoir pu rien faire, et presque tous les magistrats désignés pour l’année suivante étaient hostiles à ses projets. Alors, lui aussi, le vertige le prit : il rompit avec la partie modérée du Sénat qui l’appuyait encore et se transforma du jour au lendemain en démagogue. Il annonça coup sur coup une loi agraire qui ne laissait plus à l’État la moindre parcelle du domaine public, une loi frumentaire qui élargissait encore le système en vigueur et autorisait l’État à altérer les monnaies pour suffire à la dépense. Le peuple commença à apprécier sa bonne volonté. il en profita pour faire voter ses lois au mépris de toute opposition légale. Le vote l’ut cassé pour vice de forme. Il ne tint aucun compte du sénatus-consulte et se prépara à frapper le grand coup, c’est-à-dire à conférer le droit de cité aux Italiens. Son projet de loi eut dans toute l’Italie un tel retentissement qu’à Rome tous les partis en furent intimidés. Les Italiens accouraient en foule pour aider et protéger leur sauveur : l’œuvre de justice allait enfin être consommée. Un coup de poignard, porté par une main inconnue, atteignit Livius derrière ce rempart de clients. L’infortuné s’écria, dit-on, avant d’expirer : Quand la République retrouvera-t-elle un citoyen tel que moi !

Il mourut la conscience tranquille, sans se rendre compte qu’il avait, lui aussi, contribué pour sa part au renversement de l’ordre social, et je ne nie sens pas le courage de récuser le jugement qu’il portait ainsi sur lui-même. S’il est aisé de rencontrer après lui des politiques plus habiles, on n’en voit guère qui aient cru encore à la puissance intrinsèque de l’idée de justice. La tradition des imprudences généreuses, qui commence aux Gracques, se termine avec l’insuccès éclatant de Livius Drusus. Ce qu’il faut remarquer, c’est, que tous les réformateurs échouent devant le même écueil, la courte durée et l’intermittence des magistratures. La longue patience qui seule pourrait mener à bonne fin leurs entreprises, ils ne peuvent pas l’avoir ; ils sont obligés de faire vite, de tout commencer et de tout achever à la fois. L’échéance qu’ils sentent approcher trouble leur vue et exalte leur nervosité : le souci de la -légalité finit par céder chez eux à cette obsession, et ils commettent tous cette inconséquence de vouloir faire des lois stables après avoir violé celles qui existent. Tous, qu’ils le veuillent ou non, sont les ennemis du régime républicain, dont l’essence est de limiter Faction directe de l’individu et de l’obliger à régler sa volonté sur la volonté générale. Tous ont ambitionné à un certain moment une autorité exceptionnelle, des pouvoirs longtemps continués, des moyens d’action autres que la persuasion.

III

Celte espèce d’incompatibilité qui éclate maintenant à tout propos entre les règles un peu étroites de la constitution et les visées des citoyens qui se succèdent clans les charges publiques ne tient pas seulement à ce que les ambitions sont devenues plus exigeantes et le désintéressement plus rare : c’est aussi que les institutions municipales de Rome ne suffisaient plus à assurer le gouvernement régulier d’un vaste empire. Toutes les questions sociales et autres s’étaient élargies ; il fallait plus de temps pour les étudier et les résoudre. De même que, pour des guerres lointaines, il fallait le plus souvent proroger les pouvoirs des généraux, de même les affaires intérieures, qui touchaient maintenant à des intérêts si complexes, réclamaient une direction plus suivie et souffraient du va-et-vient incessant produit par le renouvellement annuel des magistrats. Jadis, ce n’était là, pour ainsi dire, qu’un mouvement de surface ; le Sénat, gardien de toutes les traditions, constituait au gouvernement une assiette stable, mais son autorité était toute morale ; illimitée aux époques de concorde, elle était hors d’état, en cas de conflit, de triompher de la moindre résistance. Le premier tribun venu pouvait, en usant de son droit d’intercession, frapper de nullité n’importe quel sénatus-consulte. A plus forte raison le Sénat était-il impuissant contre une résistance soutenue par les masses popUlaires. Dès que l’harmonie était troublée au dedans, le Sénat ne pouvait que donner des conseils, heureux quand les dissensions ne pénétraient pas dans son sein et que la curie ne devenait pas le champ de bataille des partis. Enfin, le plus défectueux de tous les organes constitutionnels était encore le pouvoir législatif, exercé en fait, non pas par tous les citoyens, ni par une élite de citoyens, mais par les citoyens présents sur le lieu des comices au moment de la convocation. Tous ceux que leurs fonctions ou leurs affaires retenaient ce jour-là hors de Rome devaient renoncer à l’exercice de leur droit. de suffrage ; les lois risquaient d’être faites et l’étaient en effet par une minorité de prolétaires inoccupés, hôtes assidus du Forum, qui était pour eux le marché aux suffrages. Des lois votées dans ces conditions avaient quelque chose de fictif et de caduc ; au lieu d’être l’expression avérée d’une volonté nationale, elles ressemblaient à des jeux du hasard ou à des coups de force, et elles finirent par n’inspirer guère plus de respect.

Ainsi, l’antique organisme de la cité se délabrait de toutes parts : déjà trop mesquin pour régler les mouvements des forces démesurément, accrues qui s’agitaient dans son sein, il allait passer à l’état d’anachronisme lorsque la cité, brusquement élargie, aurait absorbé l’Italie entière.

Les Italiens, en effet, ne voulaient plus être, sous le nom d’alliés (socii), les sujets de Rome. Le meurtre de Livius Drusus avait fait éclater la guerre des alliés ou guerre Sociale. L’insurrection gagnait de proche en proche : les révoltés ne parlaient déjà plus de contraindre Rome à les adopter pour ses enfants, mais de la détruire. Les Romains, surpris au milieu de leurs discordes intestines par cet orage imprévu et battus dans les premières rencontres, se hâtèrent d’arrêter les progrès de l’insurrection en concédant le droit de cité aux alliés qui n’avaient pas encore pris les armes. Cependant, il fallut deux ans de guerre acharnée (90-88) pour comprimer ce formidable soulèvement qui renouvela à un certain moment les terreurs de la seconde guerre punique. Instruite par cette sanglante expérience, Ruine n’osa point tenir rigueur aux vaincus. Tous, les uns immédiatement, les autres après un certain délai, entrèrent dans la cité.

Dans celte guerre Sociale, nous retrouvons Marius tel qu’il avait coutume d’are quand il n’avait point en face de lui des Barbares, c’est-à-dire travaillé par une ambition inquiète et dissimulée, hanté de préoccupations inavouables, incapable d’un élan patriotique. Le vainqueur des Teutons et des Cimbres, à qui on avait confié une armée, ne sut pas ou ne voulut pas s’en servir, soit que, dit Plutarque, la vieillesse dû éteint en lui l’activité et la chaleur, car il avait alors plus de soixante-cinq ans ; soit que, comme il le disait, il souffrit d’une maladie de nerfs et de douleurs dans tous les membres. Si Marius, qui aimait à s’entendre appeler le Sauveur de Rome, attendait que ses concitoyens sentissent, le besoin d’être encore une fois sauvés par lui, il se trompait. Il eut le chagrin de voir se distinguer des généraux plus jeunes, et, au premier rang, son ancien questeur de Numidie, l’homme qui lui avait ravi l’honneur de prendre lui-même Jugurtha, le patricien L. Cornelius Sylla. Il est des noms que la haine a indissolublement rivés l’un à l’autre aussi bien que l’amour. Ceux de Marius et de Sylla forment une antithèse qui attire de loin le regard et qui domine l’histoire de toute cette génération.

A cinquante ans, Sylla n’était pas précisément un inconnu à Rome, mais il n’avait pas laissé deviner en lui — du moins pour l’œil distrait du vulgaire — l’homme qui allait inaugurer une nouvelle manière de panser les plaies sociales et. y appliquer résolument le fer et le feu. Il avait cependant montré en plus d’une occasion le trait dominant de son caractère, le mépris des hommes et en particulier de ses concitoyens. Issu de la noble gens Cornelia, mais d’une famille appauvrie, il partagea d’abord son temps entre l’étude des lettres grecques et des plaisirs vulgaires dont on ne dirait rien s’il n’avait pas accepté un legs fait en sa faveur par la courtisane Nicopolis. Il lui est plus honorable d’avoir été fait héritier par sa belle-mère, qui, au dire de Plutarque, l’aimait comme son propre fils. A trente ans, en 108, il songea à briguer la questure, et il eut le talent de se faire envoyer en Afrique avec Marius, qui ne voulait point, dit Valère Maxime, d’un efféminé de cette espèce. Sylla sut radoucir son général, plaire aux soldats, gagner l’amitié de Bocchus, le beau-père de Jugurtha, qui lui livra son gendre. Entre temps, il ne négligeait pas les occasions de s’enrichir. Il revint d’Afrique les mains pleines, fêté, vanté moins encore par ses amis que par les ennemis de Marius, qui se plaisaient à reporter sur Sylla tout l’honneur du succès. Sylla était modeste à sa manière. Il fit bien graver sur son anneau la scène de l’extradition de Jugurtha, — une coquetterie que Marius ne lui pardonna jamais, — mais il dédaignait le renom d’homme habile : il aimait mieux dire qu’il avait été servi par la chance et se donnait volontiers le titre d’Heureux (Felix), qui est resté attaché à son nom. Durant la guerre des Cimbres, il se montra bon patriote : il combattit, comme tribun militaire, sous Marius et Catulus et organisa, dit-on, en perfection le service des approvisionnements. S’il avait été ambitieux à la façon de tant d’autres, il n’avait qu’il se laisser porter par le courant. Le peuple était impatient de lui conférer l’édilité, parce que les édiles étaient chargés de donner des jeux et que l’ami de Bocchus était en mesure de faire venir des lions de Mauritanie. Sylla préféra se donner le malin plaisir de se dérober à la faveur intéressée du peuple. Il alla retrouver ses compagnons de plaisir et dépensa joyeusement avec eux l’argent qui eût payé les Pies du cirque.

Quand il se fut assez diverti, il se porta candidat à la préture ; mais le peuple lui gardait rancune. Il ne fut pas élu. Sylla ne s’en émut ni ne s’en étonna : il venait de l’aire une expérience de psychologie populaire. L’année suivante (93), il fit une expérience nouvelle : il acheta des voix et fut préteur. Il lui plut alors de donner au peuple, qui n’y comptait plus, la satisfaction qu’il lui avait jadis refusée : aux jeux Apollinaire, dont la charge incombait au préteur urbain, il lança dans le Cirque cent lions envoyés par Bocchus, et le peuple put s’extasier à son aise sur l’adresse des Mauritaniens qui les abattirent l’un après l’autre. Chargé du gouvernement de la Cilicie l’année suivante, il recueillit le bénéfice des honteuses intrigues que Marius était allé nouer en Asie avec Mithridate, dans le but de provoquer une guerre entre les Romains et le roi de Pont. Marius ne doutait point que, une fois la guerre reconnue inévitable, on ne le chargeât de la faire, et il employait ses loisirs à cette patriotique besogne. Tout tourna contre lui, au profit de l’heureux Sylla. Celui-ci reçut l’ordre de déloger de la Cappadoce les troupes de Mithridate et de replacer Ariobarzane sur son trône. Avec une petite armée hardiment conduite, il s’acquitta si bien de sa mission que Mithridate n’osa pas encore déclarer la guerre et que le roi des Parthes envoya une ambassade au propréteur romain. Il est probable que Sylla ne sortit point de Cappadoce les mains nettes et qu’il se paya lui-même de ses services. De retour à Rome, il fut menacé d’un procès en concussion, mais il connaissait les hommes : l’accusateur se désista et le procès ne vint point en justice. Durant la guerre Sociale, où il commandait en sous-ordre, comme légat des consuls, il fit preuve d’autant de capacité que de bravoure. Élu consul en 88, au moment où la guerre Sociale finissait, il fut — l’homme heureux — désigné par le sort pour aller faire la guerre contre Mithridate. Le sort, guidé ou non, ne pouvait mieux choisir.

Mais ce coup du sort frappait au cœur Marius. Le vieux capitaine, qui, trop pressé de s’être dit malade durant la guerre Sociale, faisait maintenant de la gymnastique au Champ de Mars pour montrer au peuple qu’il était encore valide, Marius résolut de provoquer plutôt une révolution que de laisser partir Sylla pour l’Asie. Un jeune tribun, P. Sulpicius Rufus, gagné par lui, jeta aussitôt dans la circulation des projets de loi démagogiques. Les têtes s’échauffèrent ; le tribun s’entoura d’une garde du corps, et Sylla dut quitter son camp pour venir aider son collègue, Q. Pompeius Rufus, à maintenir l’ordre dans la rue. Il y eut de scènes tumultueuses, dans lesquelles le fils de Pompeius Rufus, gendre de Sylla, fut tué. Pompeius s’enfuit, et Sylla lui-même dut capituler devant l’émeute. Il ne put sortir de Rome qu’en retirant les édits par lesquels il avait empêché jusque-là les comices de se réunir. A peine était-il parti que Sulpicius fit voter ses lois, en y ajoutant une loi spéciale par laquelle Sylla était destitué et Marius chargé à sa place du commandement de l’armée d’Asie.

Sylla dut se dire que, pour la première fois de sa vie peut-être, il avait fait preuve de naïveté. Il avait sous la main un instrument dont les démagogues n’avaient point encore senti la puissance, une armée dévouée à sa personne et qui lui prouvait, à’ ce moment même son dévouement en massacrant les officiers envoyés par le nouveau général. Il marcha avec ses six légions sur nome, franchit sans être écrasé par les foudres divines le pomerium, l’enceinte consacrée par les rites de l’ait augural, lança ses colonnes dans les rues et fit passer au fil de l’épée quiconque lui résista. Cela fait, il réunit le Sénat, fit déclarer Marius et ses adhérents ennemis de la patrie et casser les lois Sulpiciennes ; puis il convoqua les comices, leur lit voter deux lois destinées à prévenir le retour de semblables excès, veilla aux élections, et, quand il eut fait le possible pour rétablir l’ordre, il partit avec son armée pour l’Orient (87).

Ainsi se produisit, pour la première fois, l’immixtion de l’armée dans les affaires intérieures de la République. Naturellement, la méthode parut bonne aussi au parti adverse. Dès que Sylla fut éloigné, Marius rentra dans Roule par la force des armes et se rua comme une bête sauvage sur ceux qui l’avaient mis hors la loi. Sylla, informé de tout ce qui se passait à Rome, eut le courage de résister pendant quatre ans aux supplications des proscrits et à sa propre impatience. Il prit le temps de vaincre l’ennemi, de lui imposer une paix avantageuse pour Rome et de réorganiser les provinces asiatiques. Une fois sa tâche terminée, il revint en Italie, la reconquit pied à pied sur les armées régulières que les Marianistes, maîtres du pouvoir, avaient mises en campagne, rentra victorieux clans Rome et put enfin savourer sa vengeance. La guerre qu’il venait de faire en Italie était une guerre d’extermination. Il restait des prisonniers, de 6 à 8000, dit-on : il donna froidement l’ordre de les massacrer, et les historiens racontent que les cris de cette tuerie épouvantèrent le Sénat pendant que Sylla, de l’air le plus calme du monde, parlait à l’assemblée. Puis, à heure fixe, commencèrent des proscriptions méthodiques, faites d’après des listes officielles, qui parurent plus horribles encore que celles de Marius. Tout cela entrait dans le plan de Sylla : c’était sa façon de déblayer le terrain où il allait reconstruire. Il se préparait, en effet, à refaire la constitution, Pour cela, il avait besoin d’une fonction publique, qui lui permit de convoquer légalement le Sénat et les comices. Il se fit conférer celle oui lui parut la plus commode et la plus expéditive, la dictature.

C’est ainsi que se mit à l’œuvre le nouveau législateur, avec la prétention de consolider le régime républicain et d’opposer des barrières durables à l’anarchie. Le dictateur L. Cornelius Sylla Felix n’eut peut-être en sa vie qu’une illusion, celle de se croire infaillible.

 

 

 



[1] Leçon du 7 décembre 1883.

[2] HS pour IIS (duo semis) signifie sesterce (semi-as-tertius), monnaie de compte valant 2 ½ as.