HISTOIRE DES LAGIDES

TOME TROISIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE XXIII. — LE RÉGIME DE LA PROPRIÉTÉ.

 

 

Lorsque les légistes romains s’avisèrent, au temps des Gracques, de fonder sur un principe juridique le droit que s’arrogeait l’État romain de lever des impôts sur les propriétés particulières dans les provinces, ils n’en trouvèrent pas d’autre que le droit de conquête. Ils soutinrent que, maîtres des personnes qu’ils auraient pu réduire en esclavage, les Romains l’étaient à plus forte raison des propriétés, et que les provinciaux, légalement dépossédés, ne conservaient leurs biens qu’à titre de possession précaire concédée par le peuple romain[1]. L’impôt foncier était le prix de cette faveur et la marque de servitude imprimée au sol conquis. Ils avaient besoin de ce détour pour ne pas porter atteinte au caractère intangible de la propriété privée, laquelle, comme propriété ex jure Quiritium sur sol romain appartenant à des citoyens romains, échappait par définition à l’impôt.

En Égypte, la question ne se posait même pas. Le dieu-roi était maître des biens comme de la personne de ses sujets. En levant des impôts sur leurs propriétés, non seulement il ne dépassait pas, mais il n’atteignait pas les limites de son droit. Ce qui paraissait évident à Bossuet, en plein XVIIe siècle, ne risquait pas d’être contesté en Égypte, où le roi, par sa vertu divine, était le véritable auteur de la prospérité publique et la providence universelle. A ce point de vue théorique, l’Égypte tout entière était domaine royal, peuplé de serfs travaillant pour le roi et vivant de la part qu’il veut bien leur abandonner sur son revenu[2].

Les Lagides se gardèrent bien de laisser réviser, au nom d’un régime nouveau, une théorie si commode[3]. Ils prirent même soin de la formuler en termes exprès et de lui infuser une autorité rajeunie par un pacte conclu soi-disant entre les dieux de l’Égypte et le fondateur de la dynastie. Une inscription hiéroglyphique gravée sur les murs du temple d’Edfou raconte comment livraison officielle fut faite à Horus, c’est-à-dire à l’Horus vivant Ptolémée, des terres cultivées de toute l’Égypte, d’Éléphantine à la mer de Bouto, avec titres de propriété en bonne forme, inventaire descriptif, actes d’établissement, rédigés par le greffier divin Thot, qui est représenté tenant en main un rouleau de papyrus. En bon notaire, Thot a eu soin de faire enregistrer les titres au cadastre[4]. On voit que, si la construction du temple et la dotation du sacerdoce furent pour le Trésor royal une grosse dépense, les prêtres ne furent pas ingrats.

Mais la pratique n’applique jamais à la lettre les théories absolues[5]. En fait, il y avait un domaine royal proprement dit[6], cultivé par des βασιλικοί γεωγοί ; des biens divins (noutir hotpou) ou terre sacrée appartenant au clergé ; et, à côté de ces deux catégories soustraites aux mutations, des tenures ou possessions particulières qui, sans avoir l’assiette fixe et les garanties de la propriété au sens juridique du mot, n’en étaient pas moins transmissibles par hérédité et par aliénation. Cette division tripartite passait pour avoir été instituée par le grand Sésostris, type légendaire et idéalisé du roi législateur. Elle fut maintenue par les Lagides et les Romains, et j’entends dire qu’elle subsiste encore de nos jours. Seulement le domaine royal, dont la terre sacrée était censée faire partie, envahissait encore par ses monopoles la part laissée au droit commun ; et la majeure partie — pour ne pas dire la totalité — des possessions particulières dont s’occupent nos documents étaient des terres prélevées sur le domaine royal et concédées, à titre de lots, à des tenanciers ou colons, généralement des vétérans, qui ne peuvent ni aliéner cette dotation, ni la transmettre à leurs descendants qu’à des conditions spéciales, exclusives du droit de propriété[7]. L’obsession de l’omnipotence royale, amenant partout l’ingérence de ses représentants, repayait ainsi jusque dans le détail de la pratique et tend à effacer les lignes de démarcation par lesquelles on voudrait séparer des idées perpétuellement confondues. Il vaut mieux dire une fois pour toutes, au lieu de le répéter constamment, que les règles suivies pour l’exploitation du domaine royal et de ses monopoles, — estimation des surfaces et des produits d’après la qualité des terres, surveillance des assolements, comptes et décomptes de fournitures, etc., — s’appliquaient sans doute aussi bien aux possessions et industries particulières, toutes soumises à l’impôt et aux investigations, déclarations, sujétions de toute sorte que suppose l’impôt prélevé sur le revenu. Il n’y a pas de différence sensible dans la condition de ceux qui cultivent les terres du roi ou travaillent dans ses ateliers, et de ceux qui, sans être au service du roi, doivent rendre compte au fisc du produit de leur labeur.

 

§ I. — LE DOMAINE ROYAL.

Nous n’avons pas à rechercher comment s’est formé le domaine royal sous les Pharaons, aux dépens sans doute de la féodalité disparue, et comment se réparaient les brèches qu’y faisaient de temps à autre les libéralités royales. On sait vaguement qu’il pouvait s’élargir tantôt par des reprises sur les biens du clergé, tantôt par des confiscations ordonnées à titre de pénalité, et peut-être aussi — quoique le fait ne soit certain que pour l’époque romaine — par la dévolution des successions en déshérence[8]. Sous les Lagides, le dessèchement du lac Mœris ajouta un large appoint aux terres domaniales[9].

L’exploitation du domaine royal par les βασιλικοί γεωγοί était minutieusement réglementée d’après des habitudes qui dataient du temps des Pharaons[10]. Les cultivateurs royaux n’étaient pas précisément des serfs. Ils n’étaient pas attachés à la glèbe, et leur condition ; ni héréditaire ni inférieure à celle des autres Égyptiens, était celle de tous les hommes libres ; si bien que de petits propriétaires ou même des membres du clergé ne croyaient pas déchoir en se faisant par surcroît cultivateurs royaux, c’est-à-dire en affermant des terres domaniales. Cependant, la terre royale devait être cultivée, et les paysans n’étaient pas tout à fait libres de refuser leurs bras au service du roi. Le prix des loyers n’était pas non plus librement débattu[11], et ni la nature ni le roulement des cultures n’était laissé au choix des cultivateurs. Les intendants classaient les diverses espèces de cultures de façon à maintenir la proportion voulue entre les produits. Environ les deux tiers du sol étaient semés en blé et orge, auxquels s’ajoutaient, pour compléter la catégorie des céréales, le dourah ou sorgho et les lentilles. Le reste du terrain était laissé aux petites cultures, comme fenugrec, nigelle, féverolles, ail, gesse ; aux prairies et pâturages artificiels ou naturels, et aux jachères, qui laissaient reposer le sol en moyenne un an sur trois[12].

La surface des cultures était toujours estimée en aroures d’environ 2,756 mètres carrés[13], et le produit, quel qu’il fût, en artabes de blé, l’artabe de froment étant prise comme unité de valeur[14]. Les Lagides avaient conservé le système du recouvrement en nature, seul usité sous les Pharaons, au temps où la monnaie était inconnue en Égypte, mais en le simplifiant, c’est-à-dire en substituant l’artabe de blé à toutes les autres espèces de produits et se réservant la faculté de substituer à l’artabe de blé sa valeur en monnaie[15]. Les administrateurs disposaient évidemment de barèmes fixant la valeur relative des divers produits par rapport à celle du blé, qui devenait ainsi le régulateur universel[16].

Ils tenaient compte aussi de la qualité des terres, qui n’étaient pas toutes taxées de même et louées aux mêmes conditions. Défalcation faite des terres non cultivables en l’état, comme terre sèche[17] ou salée[18], ou provisoirement sans culture, catégorie qui était mise en décompte ou sous-ordre[19], la terre arable pouvait être de plein rapport au taux normal, constituant la partie fixe et cotée séparément des revenus du Domaine ; ou bien, par suite de circonstances variées, la rente exigée des cultivateurs était susceptible soit de réduction, soit d’augmentation[20]. Le motif ordinaire de réduction était l’insuffisance de la crue du Nil, cas de force majeure facile à prévoir et parfois prévu dans les contrats de location[21].

Les termes techniques concernant les variations du loyer des terres domaniales abondent dans les rapports du comogrammate de Kerkéosiris sous le règne d’Évergète II. Un passage du rapport de l’année 118/7 a. Chr. nous fournit des exemples avec motifs à l’appui[22]. En l’an XXX (141/0 a. C.), un lot de 251 aroures, cultivé jusque là par l’hipparque Proclès, fut réaffermé à d’autres cultivateurs, à un taux plus élevé et avec obligation pour eux de rembourser les avancés de semences qu’ils croyaient probablement avoir reçues à titre gratuit. Aussi, l’année suivante, ceux-ci quittèrent la place et allèrent chercher fortune ailleurs, si bien que la terre resta en friche. Ce que voyant, l’épimélète Ptolémée se hâta de traiter avec d’autres cultivateurs, en les dispensant de la surimposition et leur fournissant gratuitement la semence. Mais ces marchandages avaient fait perdre du temps. Les semailles ayant été faites trop tard et les cultivateurs d’un village voisin ayant retenu l’eau d’irrigation, la récolte s’annonça si mal que les paysans renoncèrent à couper ce blé encore vert et adressèrent une pétition au stratège. Le stratège et surintendant des revenus Phanias vint lui-même sur les lieux, fit faire la moisson quand même et constata alors qu’un dégrèvement était nécessaire. Seulement, il parvint à combler le déficit en prenant sur des cautionnements dont le comogrammate n’indique pas la provenance, de façon que le Trésor eut son compte[23]. Le susdit lot de terre resta ainsi en dégrèvement jusqu’en l’an XLVII (124/3 a. C.) et ne fut loué avec augmentation que l’année suivante.

Le revenu fiscal ou loyer de la terre variait aussi suivant l’espèce de culture. Le taux normal, fixé une fois pour toutes, allait de 2 à 5 artabes par aroure. Il pouvait : monter, et même atteindre 10 artabes pour des terres frappées exceptionnellement d’augmentation ; mais ces hautes taxes au-dessus de 5 artabes ne paraissent pas avoir été maintenues d’une année à l’autre. La rente la plus ordinaire du Domaine, à la fin de l’époque ptolémaïque et sous l’Empire romain, était de 4 artabes 11/12 par aroure[24]. La fixité théorique des fermages n’empêchait pas les agents du fisc de proportionner chaque année leurs exigences au rendement présumé ou constaté de la terre, en tenant compte des assolements de l’année précédente[25]. Dans la même exploitation et pour la même espèce de culture, les terres ne sont pas toutes taxées au même prix. Le bilan d’une ferme de 17 aroures montre que, en l’an 116/5 a. C., 13 aroures ont été semées en blé, 2 en lentilles et 2 en fenugrec. Sur les 13 aroures emblavées, 8 étaient des άναπαύματα, c’est-à-dire des terres qui s’étaient reposées l’année précédente ou n’avaient produit que des fèves. Celles-ci sont taxées à 68 artabes, soit 8 ½ artabes par aroure ; tandis que les autres, semées sur chaume, c’est-à-dire sur une précédente récolte de céréales, ne sont taxées qu’à 25 artabes, soit 5 artabes par aroure[26]. Les pâturages, dont le produit ne variait guère, étaient régulièrement taxés à une artabe de blé par aroure. La rente pouvait être abaissée jusqu’à ¼ d’artabe par aroure pour les terrains pauvres ou récemment conquis sur la lande, incapables de produire autre chose que des herbages ou verdures, et encore, à condition de les ensemencer tous les ans[27].

Le Domaine royal, à la fois producteur et commerçant, avait surtout besoin de blé, qui s’exportait par quantités énormes dans le bassin de la Méditerranée. Une bonne partie des approvisionnements servait à l’alimentation de l’armée active et des équipages de la flotte ou à des traitements en nature alloués aux fonctionnaires. Aussi les fermages étaient-ils tous, comme nous l’avons dit, estimés en artabes de blé, et le fisc n’acceptait d’autre denrée qu’à titre de concession, dont il avait reconnu la nécessité, mais dont il avait aussi fixé la limite. Toutes les terres emblavées payaient naturellement la rente en blé ; les terres à orge et à lentilles dont la rente ne dépassait pas la valeur de 500 artabes de blé étaient autorisées à fournir en orge et en lentilles l’équivalent des artabes de blé stipulées dans la location. Au-dessus de ce maximum, la rente de l’excédent devait être acquittée en blé. Pour les fourrages verts, notamment la gesse, culture qui ne couvrait jamais de grandes surfaces, le maximum était abaissé à 39 5/12 artabes, chiffre au-dessous duquel la rente devait être acquittée en monnaie de cuivre, et en blé au-dessus[28]. Pour les petites cultures, la règle du paiement en blé paraît avoir été appliquée sans exception.

Ce système devait amener dans les greniers royaux la presque totalité du blé produit par le sol égyptien[29], et l’on comprend que le paysan ait dû le plus souvent demander à l’administration le grain nécessaire pour les semailles. Ce grain lui était fourni à titre d’avance, récupérée sur la récolte et s’ajoutant ainsi à sa dette.

Le roi disposait à son gré du domaine royal : du capital, qu’il pouvait aliéner par des donations, et des revenus, dont il attribuait des parts arbitraires aux divers articles de son budget des dépenses. En dehors d’un impôt spécial dont nous aurons à parler plus loin, l’άπόμοιρα affectée aux frais du culte de la déesse Philadelphe, et de quelques taxes levées sous prétexte de suffire à certains besoins, il n’y a pas trace, dans l’administration des finances égyptiennes, de corrélation prévue entre les espèces de revenus et les espèces de dépenses. Par exemple, il n’est dit nulle part que les dépenses de la cour fussent défrayées par les revenus du Domaine, ou qu’il y eût — avant une époque que nous aurons à déterminer[30] — une distinction entre le Trésor et la cassette royale, distinction que les monarques absolus ont toujours voulu ignorer.

Cependant, des textes récemment découverts donnent à penser que, si le roi n’avait pas de liste civile, il avait jugé à propos de constituer des apanages aux princes de sa famille. Telle serait, d’après l’exégèse de Grenfell et Hunt, la catégorie des revenus classée sous la rubrique κεχωρισμένη πρόσοδος dans les papyrus de Tebtynis[31]. On savait déjà que, sous le régime pharaonique, le revenu des pêcheries du lac Mœris était alloué à la reine pour sa toilette. On peut supposer que Philadelphe avait largement doté princes, princesses et courtisans, et que les villes appelées Arsinoé et Bérénice, ou quelques-unes d’entre elles, étaient attribuées aux princesses éponymes. Il est à croire aussi que la première Cléopâtre avait une part déterminée sur les revenus de sa fameuse dot. Le système que nous font entrevoir les textes nouveaux aurait été, dans l’hypothèse, quelque peu différent. Il s’agit de parcelles disséminées, cataloguées sous la rubrique précitée par les agents du Trésor, terres dont le revenu est perçu par eux, sous le contrôle d’administrateurs spéciaux appelés προστάται, et mis à part pour une affectation spéciale. Cette affectation parait indiquée par un document datant du règne d’Épiphane, où figurent, à. la suite d’un inventaire de terres sacrées, un certain nombre d’aroures données comme τής έν προσόδωι τών τέκνων τοΰ βασιλέως[32]. Des découvertes futures nous apprendront peut-être si cette conjecture se vérifie, si ces apanages étaient transitoires ou viagers, et s’il s’est formé ainsi un patrimoine particulier de la famille royale distinct du Domaine proprement dit et converti plus tard en ίδιος λόγος[33].

 

§ II. — LES BIENS DU CLERGÉ (ίερά γή - neter hotep)[34].

En vertu de sa divinité et de son sacerdoce universel, le roi était le légitime propriétaire, ou, si l’on veut, le seul gérant des propriétés divines. Celles-ci appartenaient aux dieux, dont le roi était l’unique représentant sur terre, mais non pas aux prêtres, qui en avaient seulement la jouissance, dans la mesure déterminée par le roi. Les prêtres n’entendaient sans doute pas pousser jusqu’à ses conséquences extrêmes la stricte application de la théologie monarchique qu’ils avaient eux-mêmes forgée. En tout pays et quelle que soit la religion qu’il serve, le clergé émet la prétention de communiquer à sa propriété un caractère intangible, auquel nul ne peut attenter sans sacrilège. Les prêtres égyptiens assuraient qu’Isis elle-même leur avait donné le tiers du pays pour l’entretien du culte et des sacrifices et en toute propriété franche d’impôt[35]. Mais la volonté d’Isis, représentée par la volonté d’une foule de donateurs désireux de s’assurer la protection divine en ce monde et en l’autre, n’avait pas été respectée à la lettre, ni par les Pharaons, ni par les rois perses ; elle ne le fut pas davantage par les Lagides. Les Pharaons avaient un moyen de disposer des biens sacrés sans se les approprier ; c’était de conférer les sacerdoces les plus lucratifs à leurs fils ou favoris. Ils en usèrent surtout à Thèbes, dont le sacerdoce était le plus important et le plus opulent de toute l’Égypte. Nous avons déjà vu comment Amasis et Takhos avaient fait aux temples des emprunts forcés ; comment le roi Khabbash, affranchi un instant de la domination perse, réparait les spoliations commises par Xerxès au détriment des prêtres de Pe et de Tep, et comment Ptolémée Soter, pour se concilier le clergé indigène, confirmait les donations du roi Khabbash. Nous ne saurions dire si le premier Lagide, une fois qu’il se sentit bien le maître, se montra toujours aussi complaisant. On voit bien qu’il se garda de mécontenter le clergé, mais il n’est pas probable qu’il ait travaillé à l’enrichir[36]. La politique des Lagides à l’égard du clergé national commence à se dessiner à partir du règne de Philadelphe.

Elle fut d’abord un mélange de respect extérieur et de dédain, onctueuse et agressive. Pendant que Philadelphe, au lendemain de la mort de sa sœur Arsinoé, portait ses hommages aux temples et y introduisait, à titre de fondation perpétuelle, le culte de la Philadelphe, ses bureaux préparaient une sorte de petit coup d’État financier, qui devait procurer des ressources, perpétuelles aussi, au nouveau culte, et non seulement dépouiller le clergé d’une partie de ses revenus, mais mettre l’administration des temples sous le contrôle des intendants royaux. Six ans après la mort d’Arsinoé, en l’an XXI de son règne (265/4 a. C.), Philadelphe revendiqua pour le Trésor la perception d’un impôt levé jusque là par le clergé sur les cultures de luxe, qui devaient, à cette époque, se développer tout particulièrement dans la nouvelle colonie de Fayoum. Il décida qu’un prélèvement de 1/6 serait fait sur le produit des vignobles et jardins ou vergers, et que le montant de cette taxe, perçue par les agents du Trésor, serait par eux affectée au culte de la Philadelphe, la taxe sur les jardins étant payée en argent pour les sacrifices, le vin fourni en nature pour les libations. Le prélèvement devait être fait à partir de l’an XXII (264/3 a. C.)[37]. Mais en même temps, il cherchait à persuader aux prêtres qu’ils ne perdraient rien au nouveau régime. Il inaugurait le système des subventions et se montrait généreux envers les temples dans lesquels il introduisait le culte de sa sœur. Au cours des années précédentes, il avait alloué au clergé une somme de 150.000 deben (environ 625 talents d’argent), sur laquelle le T. de Pithom reçut pour sa part 950 deben, à prélever sur la capitation et l’impôt des maisons. Au moment où il mettait la main sur l’άπόμοιρα, il faisait don aux temples de 750.000 deben (3.135 talents d’argent), et les prêtres, charmés de pareilles largesses, pouvaient croire qu’elles se répéteraient d’année en année, compensant et au-delà la perte d’un revenu qui, du reste, s’il n’était plus perçu par le clergé, ne cessait pas d’être affecté au culte.

Nous reviendrons plus tard sur le mode de perception de l’άπόμοιρα, minutieusement réglé par Philadelphe. Il suffit maintenant de signaler l’équivoque habile inaugurée par le nouveau régime. La culture de la vigne, ainsi que la plantation d’arbres fruitiers, étaient des exploitations de luxe, qui n’étaient pas à la portée des petits cultivateurs. Elles n’avaient pu être essayées avec succès que sur les domaines du roi ou ceux des temples[38]. Le vin était une boisson réservée aux prêtres[39], et les raisins frais une offrande réservée d’ordinaire aux dieux. Les prêtres en avaient sans doute gardé le monopole, même hors de leurs propriétés, en ce sens qu’ils concédaient aux particuliers le droit d’avoir des vignobles et vergers moyennant une redevance. C’est le revenu, ou une part de ce revenu, que le roi leur enlevait, sous couleur d’en préciser simplement la destination. Théoriquement, l’άπόμοιρα était toujours une dîme sacrée et figurait comme telle à côté des ίεραί πρόσοδοι, à titre de chapitre spécial formant le budget du culte dynastique égyptien[40]. En réalité, le roi en dispose à son gré : c’est aux banques royales que l’argent est versé, aux celliers royaux que le vin est convoyé, et nous ignorons quelle part il daignait en faire aux corporations sacerdotales. Philadelphe s’inspirait de l’exemple des Pharaons, qui s’assuraient un culte posthume en y affectant une rente perpétuelle : seulement, au lieu d’aliéner une partie de son domaine pour perpétuer le culte de sa sœur et le sien, il prélevait la rente sur les revenus du clergé, en vertu d’un droit dont les rois ne s’étaient jamais dessaisis, et il avait soin qu’elle fût surabondante.

L’άπόμοιρα était donc une partie des revenus du clergé mise en réalité à la disposition du roi, mais non pas un impôt sur la terre sacrée. Le fisc prétendait respecter la tradition en vertu de laquelle les biens-fonds du clergé étaient exempts de taxes[41]. Mais, précisément pour cette raison, les intendants royaux avaient besoin de connaître exactement la contenance du domaine sacré, de façon à ne pas dépasser la limite de leurs droits. Au moment où il institue le nouveau régime, Philadelphe a bien soin de recommander à ses agents le triage des propriétés, pour ne pas violer l’immunité de la terre sacerdotale.

Les basilicogrammates des nomes, dans tout le pays, devront enregistrer, chacun dans le nome où il exerce, à la fois la quantité d’aroures de vignes et vergers et les produits qui en proviennent, cultivateur par cultivateur, depuis l’an XXII, en mettant à part la terre sacrée et ses produits, afin que le reste de la terre sur laquelle il faut prélever le sixième pour la Philadelphe [soit bien déterminé]. Pour tout cela, ils auront à faire un rapport par écrit aux employés de Satyros. De même, les clérouques possédant des parts de vignes ou vergers dans les lots qu’ils ont reçus du roi, et tous les autres possesseurs de vignes ou vergers, soit qu’ils les aient reçus en don, soit qu’ils cultivent à un titre quelconque, devront indiquer par écrit, chacun pour soi, l’étendue de la terre et les produits d’icelle, et donner le sixième des produits à Arsinoé Philadelphe pour sacrifices et libations[42].

Plus loin, le roi ordonne de faire le relevé de ce que les possesseurs de vignes et jardins ont payé aux temples, et à quels temples, à titre d’έκτη, de l’an XVIII à (l’an XXI ?). Leurs déclarations écrites sont contrôlées par celles des prêtres, qui devront déclarer de quelle propriété chacun d’eux a reçu et combien de vin ou d’argent chaque année[43]. Le roi, faisant montre de grand respect, se met en mesure de connaître au plus juste l’étendue des propriétés et le montant des revenus du clergé. Cette statistique était nécessaire pour que, en cas d’insuffisance, le roi, zélé pour la religion et protecteur du clergé, pût combler le déficit par des subventions opportunes. C’est ainsi qu’en fait, une bonne part des revenus des temples alla directement au Trésor, et que la perception et l’emploi du reste furent placés sous le contrôle de ses agents[44].

Les corporations, êtres perpétuels, et surtout les corporations religieuses, d’institution divine, ne cèdent jamais de leurs droits qu’avec l’espoir de les reprendre. Ptolémée III Évergète, au dire des prêtres réunis au synode de l’an 238, se montra libéral envers les temples, et on peut croire qu’il paya largement l’apothéose de sa fille Bérénice ; mais on ne voit pas qu’il soit revenu sur les mesures décrétées par son prédécesseur. Il a pu seulement élargir la part faite aux temples sur le revenu de l’άπόμοιρα. Cependant, sous le pieux Philopator et le gracieux Épiphane, le réveil du patriotisme égyptien se manifestant par des révoltes et des troubles incoercibles fit sentir au gouvernement le besoin de rechercher la faveur du clergé, dont on avait peut-être estimé trop bas l’influence politique. Ce fut évidemment un acte significatif, une sorte d’amende honorable, que le sacre du jeune Épiphane à Memphis. Le décret rédigé à cette occasion par les prêtres constate que le revenu des temples se compose des revenus de la terre sacrée et de subventions annuelles en blé et en argent allouées par le Trésor : mais il ajoute, en termes vagues et d’une obscurité peut-être voulue, que le présent roi a maintenu sur le même pied, parmi les recettes des temples, les parts équitables assignées aux dieux sur les vignobles, les jardins et sur les autres terrains qui appartenaient aux dieux sous le règne de son père. Sur la foi de ce texte entortillé, on pourrait supposer qu’une partie ou la totalité de l’icr6p.ot.pu réclamée pour le Trésor par Philadelphe avait été restituée aux temples par Philopator ; ou même, que l’άπόμοιρα tout entière, bien que perçue par les collecteurs royaux, n’avait jamais cessé d’appartenir aux temples[45]. Philadelphe aurait simplement repris, pour cette taxe spéciale, le système déjà appliqué sous Darius, dont les agents percevaient la δεκατή ou έγκύκλιον sur le domaine sacré (neter-hotep) d’Amon pour le compte des prêtres[46].

C’est une question qui ne peut être résolue avec le seul secours des textes : il faut recourir à des considérations historiques. On sait que les trois premiers Ptolémées ont dû chercher à affaiblir l’influence du clergé national et qu’ils ont adopté envers lui une attitude respectueuse, bienveillante et libérale même à l’occasion, mais ferme. On ne saurait douter que Philadelphe, en s’emparant de la gestion du produit de l’άπόμοιρα, sous prétexte de doter le culte de la Philadelphe adjointe comme σύνναος aux dieux nationaux dans les principaux temples de l’Égypte, n’ait eu l’intention de réaliser des bénéfices sur les revenus du clergé. Il se réservait de faire la part réellement destinée aux frais du nouveau culte, et il entendait bien que l’excédent profiterait au Trésor, ce trésor proverbialement riche, qui était son instrument de règne et lui valait le plus clair de sa renommée. Mais, par la suite, l’institution d’une cinquième classe de prêtres en l’honneur de la jeune Bérénice sous Ptolémée III, l’organisation du culte dynastique égyptien, confié à cette même classe de prêtres par Philopator, durent augmenter la dépense et accroître les parts convenables allouées par le fisc aux temples sur le revenu de l’άπόμοιρα. L’expression discrète employée par les prêtres dans le décret de Memphis indique bien, ce semble, que les caisses sacerdotales ne reçoivent pas la totalité du produit de l’άπόμοιρα, mais que les parts sont devenues plus larges sous le très pieux Philopator[47]. Les prêtres se gardent bien de rappeler le temps où le fisc était plus avare : ils souhaitent que les choses restent sur le même pied et se déclarent satisfaits. Un texte antérieur de quelques années au décret de Memphis dit expressément, à propos d’un fermier de l’άπόμοιρα, que le produit de la taxe revient à la Philadelphe et aux dieux Philopators, c’est-à-dire, en somme, aux cultes dynastiques défrayés par le trésor royal[48]. Il est possible que, la liste des cultes dynastiques s’allongeant de règne en règne et les rois recherchant de plus en plus la faveur du clergé, les allocations régulières faites sur l’άπόμοιρα et les subventions éventuelles qui formaient dans la comptabilité un chapitre distinct soient allées croissant. Mais le point sur lequel il faut insister, c’est que le régime institué par Philadelphe n’a jamais été aboli. L’État a toujours conservé l’administration et la libre disposition du produit de l’άπόμοιρα transformée en monopole royal[49]. On sait qu’à la fin du règne d’Évergète II, le roi protecteur et fauteur par excellence du clergé indigène, l’άπόμοιρα était toujours perçue par les collecteurs royaux[50], bien que le produit fût expressément reconnu comme appartenant au budget sacré, lequel recevait en outre, comme par le passé, des subventions du Trésor[51].

En présence de ces textes, nullement inconciliables, il y a lieu de penser que le régime inauguré par Philadelphe a toujours été appliqué après lui ; que le gouvernement a pu sans inconvénient laisser dire et dire lui-même aux prêtres que l’άπόμοιρα appartenait aux temples, comme destinée aux frais du culte, ce qui était la vérité officielle, le roi, maître de la comptabilité, restant libre d’en attribuer au culte telle part qu’il lui plairait ; enfin, que cette part restituée au clergé put être de plus en plus large, mais ne se confondait pas avec les subventions prélevées sur le domaine royal.

Il y avait telle circonstance où les rois se faisaient un devoir, et, depuis Évergète II, une obligation, de manifester leur respect pour la religion nationale en allouant au clergé des subventions extraordinaires. La sépulture des animaux sacrés était une véritable apothéose, entourée d’une pompe des plus dispendieuses. On a vu plus haut que Ptolémée Soter avait prêté ou donné 50 talents pour les funérailles d’un Apis. D’après Plutarque[52], tous les Égyptiens, sauf ceux de la Thébaïde, contribuaient à la dépense, et il paraît bien que ces contributions, peut-être volontaires de la part des simples mortels, étaient obligatoires pour les prêtres des autres temples. L’abstention de leur part eût été d’un fâcheux exemple, comme impliquant un certain dédain — celui que Plutarque prête aux habitants de la Thébaïde — pour les cultes rivaux. Le roi, chef de la religion, était moralement plus obligé que personne à délier les cordons de sa bourse. La Pierre de Rosette n’oublie pas de mentionner, à l’éloge d’Épiphane, que le roi a donné largement et noblement ce qui était nécessaire pour la sépulture des animaux sacrés[53]. Évergète II, toujours aimable et libéral envers le clergé, prit à sa charge, vers la fin de son règne, les frais de sépulture de tous les animaux sacrés, et il alla jusqu’à l’extrême limite de la complaisance en assimilant leurs funérailles à l’apothéose des rois défunts, dont les frais étaient naturellement supportés par le Trésor[54].

Pour les deux sources de revenus précitées, l’άπόμοιρα et les συντάξεις, le clergé dépendait absolument du bon plaisir du roi. Par contre, les πρόσοδοι τών ίερών devaient être perçus directement et employés par les prêtres. Mais, là encore, il faut distinguer entre la théorie et la pratique. Le recouvrement des taxes et redevances était une opération douloureuse, qui exigeait souvent l’intervention de la courbache pour vaincre la résistance du patient[55]. C’était une tâche à peu près inexécutable pour qui ne disposait pas de la force publique. Les prêtres eux-mêmes trouvaient donc avantage à se reposer de ce soin sur les agents du fisc, qui, par pure complaisance tournée en habitude et bientôt en règle, leur assuraient la paisible jouissance de leurs prébendes[56]. Il leur eût été, du reste, impossible d’agir autrement là où les biens des temples, accrus par de petites donations particulières, se composaient de parcelles enclavées dans des lots et disséminées sur le territoire de plusieurs villages[57]. A Kerkéosiris, la terre sacrée était partagée entre les temples de premier et de second rang, assez nombreux pour que les reliquats laissés aux petites divinités fussent réduits à quelques aroures.

Dans le nome Arsinoïte, terre neuve assignée soit aux temples, soit aux particuliers, par l’État, il n’y a pas de différence sensible, au point de vue administratif, entre les divers genres de possession. En dépit des décrets royaux ordonnant que l’administration de la terre sacrée et la perception de ses revenus fussent laissées aux prêtres ou à leurs agents, sans ingérence des fonctionnaires du gouvernement, nous trouvons la rente de la ίερά γή à Kerkéosiris comprise dans les rôles officiels de taxes, et la situation d’un cultivateur de la terre sacrée semble avoir été peu différente de celle d’un βασιλικός γεωργός[58]. On voit qu’il avait pratiquement les mêmes taxes à payer, sauf peut-être le στέφανος[59], et lu terre sacrée, indemne en principe, n’en était pas moins soumise à un impôt foncier, réduit au taux moyen d’une ½ artabe par aroure de terre cultivée. Cet impôt, levé également sur les lots des clérouques, n’était pas seulement ni principalement une taxe fiscale : il attestait le droit de propriété éminente que le roi conservait sur les terres assignées aux dépens du Domaine. Il était, du reste, facile de sauver le principe de l’immunité pour les biens du clergé, soit en considérant l’impôt comme une aide volontaire, soit en le disant levé sur les cultivateurs et non sur la terre elle-même, soit plutôt en le qualifiant indemnité allouée au fisc pour les frais de perception des revenus sacerdotaux[60].

Il devait en être à peu près de même partout. Les prêtres, comme on le voit par les ordonnances rendues pour les protéger, avaient besoin du roi pour assurer leurs rentrées, et il était inévitable que, en pratique, l’administration royale substituée leur fît payer ses services.

Le revenu de la terre sacrée n’était pas la seule source de bénéfices pour les temples. Ils possédaient aussi, au moins un certain nombre d’entre eux, des esclaves sacrés de l’un et l’autre sexe, dont le travail profitait à leurs maîtres. Les temples prêtaient des portefaix au commerce, des ouvriers aux manufactures[61], et ne dédaignaient pas l’immonde produit de la prostitution des hiérodules femmes dans les άφροδίσια, un métier dont ils prétendaient même s’arroger le monopole[62]. Les grands temples étaient aussi des lieux de pèlerinage : outre les άφροδίσια susnommés, ils avaient des auberges ou relâches, généralement tenues par des pastophores, pour recevoir leur clientèle, et on peut penser qu’ils en tiraient de beaux bénéfices. Le Sérapeum de Memphis, agrégat de temples associés, était comme une ville pourvue de tous ses organes[63]. Les malades allaient chercher des cures miraculeuses à l’Asklépiéon (T. d’Imouth ou Imhotep) ; les gens d’affaires trouvaient un bureau d’enregistrement et un poste de police à l’Anoubiéon. Les temples acceptaient aussi en dépôt les objets mobiliers que les gens prudents voulaient mettre à l’abri des mésaventures, et ce service — qu’il ait été rendu au nom de la corporation ou sous la garantie particulière de tel prêtre[64] — n’était sans doute pas tout à fait gratuit. La mention fréquente de mesures de capacité à l’étalon de tel temple — par exemple, du δρόμος d’Ammon — indique que les marchés se tenaient aux abords des sanctuaires, dans des espaces libres où les prêtres devaient faire payer la location des boutiques et l’usage des mesures. Certains temples jouissaient du droit d’asile, un droit qui les mettait hors de pair et rehaussait utilement leur prestige. On connaît, par une liasse de documents, les reclus du Sérapeum de Memphis, qui s’y étaient réfugiés en temps de troubles, dans les premières années du règne de Philométor, et y trouvaient la sécurité à l’abri de leur vœu. Tous n’étaient pas pauvres comme le reclus Armaïs, qui vivait du produit de ses quêtes ; le plus connu d’entre eux, le Macédonien Ptolémée fils de Glaucias, était même riche pour l’époque et en état de reconnaître le bienfait qu’il était venu chercher[65]. On voit un de ses confrères, le reclus Héréios, fonder à ses frais une rente perpétuelle d’une barrique d’huile de kiki par an pour l’entretien des quarante-deux luminaires de l’Asklépiéon[66]. Le Sérapeum servait aussi de refuge à des malandrins moins intéressants. Dans une lettre en date du 4 Phaophi an XXVI de Philométer (3 nov. 456 a. C.), adressée à un Apollonios qui doit être le reclus frère du reclus Ptolémée, des policiers demandent à Apollonios de les aider à mettre la main sur des malfaiteurs réfugiés dans l’établissement. Surveille-les, écrit le correspondant, et, s’ils s’enhardissent à sortir de l’asile, fais-le moi savoir : je me trouverai là, de compagnie avec toi, et nous ferons quelque chose. Il y aura une gratification de 3 talents, que tu toucheras comme pour affaire personnelle, et tu nous auras fait grand plaisir[67]. Nous ne savons pas si Apollonios, dédaignant la prime, a conseillé aux intéressés d’entrer en religion pour être définitivement libérés des poursuites[68]. Le droit d’asile fut confirmé d’une manière générale par ordonnance d’Évergète II défendant d’arracher des asiles reconnus et violenter qui que ce soit, sous aucun prétexte[69]. Le roi connaissait bien sans doute un prétexte dû à l’esprit inventif de ses agents, qui, pour tenir les cultivateurs royaux à leur discrétion, leur faisaient jurer de ne pas recourir à la protection d’un temple divin, autel ou statue, comme font des compagnons s’appuyant sur les temples[70]. Évergète assagi faisait de son mieux pour que son surnom ne fût plus un euphémisme.

Enfin, les taxes pour exercice du culte, consultations des dieux, dispenses de certaines observances rituelles, les dons, ex-votos et autres pieuses offrandes[71], devaient former une partie notable des revenus du clergé. Nous ignorons s’il y avait des tarifs pour l’eau lustrale et autres moyens de purification placés généralement à l’entrée des temples[72] ; mais nous savons qu’il fallait un pentadrachme pour faire fonctionner le distributeur automatique d’eau bénite inventé par Héron d’Alexandrie[73], et que, à Ptolémaïs, on ne laissait entrer les personnes impures que moyennant paiement d’une taxe, tarifée de 2 à 60 dr. d’argent selon les cas[74]. Dans un pays où la préoccupation obsédante des gouvernants était de rechercher des matières imposables, les prêtres devaient être de dignes émules des administrateurs royaux. Du reste, ils n’étaient pas retranchés de la société laïque et confinés dans leurs offices religieux. Les spéculations lucratives que nous avons attribuées en bloc aux corporations étaient le plus souvent peut-être des entreprises particulières de prêtres qui se faisaient industriels, commerçants ou même fermiers du Domaine, et ajoutaient leurs bénéfices à leur prébende[75].

Nous ne saurions dire si l’État intervenait dans l’emploi de tous les revenus sacrés et s’il en fixait lui-même la répartition entre les différentes classes de prêtres. Le décret de Canope nous apprend que les corporations sacerdotales étaient organisées en tribus et avaient un Conseil central pour prendre des décisions collectives. Elles étaient donc capables de s’administrer elles-mêmes ; mais, d’autre part, l’État, maître des subventions, s’arrogeait le droit de contrôler l’ensemble du budget sacerdotal. La Pierre de Rosette montre jusqu’où allait cette ingérence. Le roi fixait le tarif des ordinations (τελεστικόν)[76], exigeait des manufactures installées dans les enclos des temples des fournitures pour la marine, des toiles de lin, et s’arrangeait de façon que les prêtres, endettés envers le Trésor, lui fussent reconnaissant de les décharger de temps à autre d’un arriéré dont la remise passait pour une subvention. Enfin, l’affaire des Jumelles du Sérapeum de Memphis, insignifiante en son temps, célèbre aujourd’hui, nous permet de suivre jusque dans l’infime détail le contrôle exercé par l’autorité royale sur la gestion et la comptabilité à l’intérieur des temples. L’État, en allouant des subventions, se réservait le droit de vérifier l’emploi de ses libéralités. Les Jumelles, entretenues sur les fonds d’une σύνταξις perpétuelle, se trouvaient frustrées par les employés du temple des rations auxquelles elles avaient droit. C’est au roi lui-même que ces servantes finissent par adresser leurs réclamations. L’affaire met en branle toute une série de bureaux, depuis le gouverneur et le sous-diœcète de Memphis jusqu’à l’inspecteur des magasins, en passant par le principal intéressé, le curateur du temple, dont l’incurie ou la mauvaise volonté était la cause première de tout cet émoi. Tout cela pour arriver à régler l’arriéré et assurer la fourniture de rations montant ensemble à douze miches de pain de mil par jour, un peu plus de trois litres d’huile de sésame et autant d’huile de ricin par mois[77].

Cet exemple suffirait à montrer que la distinction entre le domaine royal et les biens du clergé ne subsistait plus qu’en théorie, et que l’ingérence du fisc dans l’administration des revenus des temples réduisait à bien peu de chose l’autonomie des corporations sacerdotales.

La moisson de papyrus sortie de la terre d’Égypte au cours des vingt dernières années — le Papyrus des Revenus une fois mis à part — n’a pas notablement ajouté à ce que nous savions sur la condition du clergé au temps des Lagides. On voit seulement apparaître des cultes locaux dont les uns pouvaient être d’institution ancienne, les autres, surtout dans la province du Fayoum, de création récente. Le contact des deux races provoque des combinaisons ou associations entre les divinités indigènes et les dieux grecs introduits par des colons. L’association est la première étape du syncrétisme ; l’identification, la seconde ; la fusion complète sous un nom nouveau, la dernière. L’association, comme on l’a vu, a été la soudure ordinaire employée pour l’apothéose familière aux cultes dynastiques[78]. L’identification, qui laisse reconnaître l’apport des religions composantes, a laissé des traces dans les inscriptions et les papyrus. Les officiers tenant garnison à Syène, sur la frontière d’Éthiopie, qui ont rédigé une dédicace aux dieux Philométors et à leurs enfants, s’adressent à Ammon qui est aussi Chnoubis, à Héra qui est aussi Satis, à Hestia qui est aussi Anoukis, à Dionysos qui est aussi Pétempamentès[79]. Quelques années plus tard, ce groupe, constitué en confrérie de Basilistes, adresse de nouveaux ses vœux pour les dieux Évergètes aux mêmes divinités, en renversant l’ordre des noms doubles et ajoutant à la liste Pétensétès qui est aussi Kronos, Pétensénès qui est aussi Hermès[80]. Le rédacteur de ces dédicaces, Hérode fils de Démophon[81], fait évidemment étalage d’érudition. Lui qui a été prophète de Chnoubis et archistoliste des sanctuaires d’Éléphantine, d’Abaton et de Philæ[82], il tient à faire savoir que Chnoubis est non pas l’Amonrâ des Égyptiens, mais le Zeus Ammon des Hellènes. Il aurait bien dû se montrer plus exact encore en donnant au grand dieu d’Éléphantine son titre complet, Chnoubo ou Chnoumo Nébiéb, plusieurs fois répété dans l’inscription d’Assouan[83]. A Ombos, l’Haroéris égyptien était pour les Grecs Apollon[84]. Le nome Pathyrite était la demeure d’Hathor (Pi-Hathor) ; aussi, vu l’identité de Hathor et d’Aphrodite, Pathyris était aussi Aphroditespolis, et la ville jumelle de Crocodilopolis associait au culte de son dieu-crocodile Sobk le culte d’Hathor sous le nom d’Aphrodite[85]. Les noms des villes égyptiennes transformés en noms grecs, Diospolis, Héracléopolis, Hermoupolis, Apollinopolis, Latonpolis, Panopolis, etc., témoignent d’identifications devenues officielles[86]. En revanche, des villes toutes grecques, comme Ptolémaïs, accueillaient des divinités égyptiennes, Isis, Harmachis, Horus sous le nom du faucon[87].

Un certain nombre de divinités peuvent avoir été d’infimes petits fétiches locaux promus par une population récemment accrue à la dignité de grands ou très grands dieux. Il n’y a pas un intérêt de premier ordre à savoir ce qu’était le grand dieu Nechtharaus ou Isis Némétis à Pathyris[88], ou le dieu Arsemthis qui avait un domaine sacré dans le nome Latopolite[89]. S’il est un lieu où le syncrétisme dut se donner libre carrière, c’était le nome Arsinoïte, placé officiellement sous le patronage de l’Aphrodite qui s’appelait de son vivant Arsinoé et voué par la tradition indigène au culte du crocodile adoré sous divers noms, Sebek ou Sobk à Crocodilopolis, Souchos (forme grecque de Sobk) ou Pétésouchos, Seknebtynis, Soknebnéis, Sokanobkoneus, Soukeabonthis, Soknopaios, en divers lieux, associé à Isis Néphersès, à [Isis ?] Néphrommis, Isis Nanaia, Isis Sononaïs, à Mestasutmis, à Pnéphéros, à Prémarrès, à Phembroéris, c’est-à-dire à des divinités hybrides dans lesquelles on devine un mélange d’idées apportées de pays étrangers par la foule bariolée des colons[90]. Qu’était au juste le grand dieu Héron de Magdola (Medinet-en-Nahas), une divinité qui apparaît tout à coup au temps d’Évergète II et d’Alexandre ter, nous serions fort embarrassés de le dire[91]. Sous ce nom grec, attribué au titulaire d’un temple de style égyptien, se cache une divinité qui n’était probablement ni grecque, ni tout à fait égyptienne. L’explication proposée par les explorateurs qui ont exhumé les ruines du temple, c’est-à-dire l’assimilation à un dieu thrace, est admissible, mais ne nous dit pas ce qu’on avait ajouté aux attributs de ce héros cavalier pour en faire un grand dieu. Étant donné que Souchos était le plus riche propriétaire de Magdola et que le comogrammate du bourg ne parle pas du dieu Héron, mais d’un sanctuaire appelé Héroon (Ήρώον[92]), il se pourrait que cet Héroon eût été quelque succursale du temple de Crocodilopolis, ainsi appelée par les Grecs du lieu, lesquels auraient ensuite créé le dieu Héron par dérivation étymologique, en l’assimilant au dieu solaire Toum, mis à cheval pour mieux combattre les puissances des ténèbres.

Pour nous donner une idée de la place que tenait la religion, une religion mixte, dans les bourgades du nome Arsinoïte et des revenus affectés au culte, il n’est pas inutile de revenir sur des textes indiqués tout à l’heure en passant : les rapports du comogrammate de Kerkéosiris sur la répartition des -terres et des récoltes dans les années 116/5 et 115/4 a. C. Un de ces rapports vise la terre sacrée, la clérouchique et autres mises en séparation, c’est-à-dire distraites du domaine royal[93] : le second, exclusivement consacré aux revenus et au personnel des fondations religieuses, donne la liste des temples, des offices de prophètes et des jours de corvée ou service gratuit, appartenant au bourg[94].

Le premier rapport indique nettement que tous les biens-fonds possédés par les temples ou les particuliers ont été prélevés sur le domaine royal, celui-ci comprenant en entier, à l’origine, le sol neuf de la nouvelle province. Le roi avait dû doter tout d’abord les cultes principaux, les grands temples du nome. Aussi, le dieu du chef-lieu et patron de la province, Sebk dit Souchos, avait eu partout la plus grosse part. A Kerkéosiris, sur 291 7/8 aroures de terre sacrée, il en possédait 141 ½ ; à Magdola, la proportion était encore plus forte, 150 sur 170[95]. Après lui venait son hypostase Soknebtynis, le Sobk de Tebtynis, dont le lot, fondé une quinzaine d’années auparavant par des donations des cavaliers de Choménios et autres militaires égyptiens, était de 130 aroures à Kerkéosiris[96]. Les dieux réputés les plus puissants sont ceux dont la protection s’achète à plus haut prix. Les libéralités des fidèles allaient moins volontiers aux petites divinités de village. Kerkéosiris ne possédait pas de temples de première classe, mais quantité de petits temples d’autant plus mal pourvus, comme revenus et comme personnel, qu’ils étaient plus nombreux. Il n’y en avait pas moins de treize, et quinze en comptant deux sanctuaires de culte purement grec, le Διός ίερόν[97] et le Διοσκουρεΐον[98].

Parmi les treize de culte égyptien ou gréco-égyptien, cinq possèdent quelques parcelles de terre (20 3/8 aroures en tout) : les autres n’ont aucun revenu. Les cinq temples pourvus d’un domaine sont celui du dieu-crocodile Pétésouchos, avec un tombeau pour les momies divines, celui d’Orsénouphis et les trois Έρμαΐα consacrés à Thot, le dieu-ibis identifié à Hermès, avec autant d’ίβιοτάφια. Le culte de Pétésouchos est le mieux renté. Les cultivateurs royaux lui donnent 5 artabes de blé pour les sacrifices, l’allumage des lampes et l’huile de cèdre : son domaine, terre sacrée non pas franche d’impôts comme celle des grands temples, mais à taxe réduite, était de 5 3/8 aroures[99]. Enfin, la famille Marrès et frères lui doit 30 jours de corvée, c’est-à-dire de service au temple. Chacun des treize sanctuaires a ainsi une famille chargée de vaquer au culte, et le nombre des jours de service est uniformément de 30, ce qui fait 390 jours par an pour l’ensemble. Cet office sacerdotal était une charge, héréditaire ou acquise, qui donnait droit au titre de prophète et à une part du revenu fixe ou casuel assigné au temple[100]. L’Orsénouphiéon ne possède qu’une aroure de terre sacrée ; mais les Hermæons de Thot en ont 14 à eux trois. Les huit autres temples ou chapelles, à savoir, deux consacrés à Thoéris, deux à Isis, un à Harpsénésis (Horos fils d’Isis), un à Anoubis, un à Boubastis et un à Ammon, n’ont droit qu’aux jours de service. Le comogrammate dit expressément qu’ils n’ont pas de revenu. Il entend par là absence de revenu fixe auquel devait suppléer la piété des fidèles[101].

A Magdola, la part du grand Souchos de Crocodilopolis une fois faite, il ne reste aux cultes locaux que 20 aroures : 10 assignées au patron du bourg, Orsénouphis, et 5 à chacune des deux nourriceries de Thot-Hermès[102]. L’Héroon n’y figure pas comme terre sacrée, mais comme un lieu dit, une région du terroir comprenant des lots de clérouques allant jusqu’à 20 et 50 aroures[103].

La plupart des renseignements que nous possédons sur le bourg de Soknopaiou Nésos (Dimeh), au nord du Fayoum, datent de l’époque romaine ; mais nous savons que son dieu possédait au moins quelques aroures au temps des Lagides[104].

Les desservants des temples précités ne sont évidemment pas des prêtres vivant de leur prébende. Les Lagides n’ont sans doute pas laissé se constituer dans la nouvelle province des corporations religieuses pareilles à celles qui leur donnaient tant de souci en Thébaïde, des congrégations de prêtres voués à la vie religieuse par fonction héréditaire et soumis aux observances de la cléricature, comme l’interdiction des vêtements ou aliments impurs, la circoncision et la tonsure[105] Nous avons affaire à des gens chargés d’un office religieux, à des espèces de marguilliers qui s’étaient engagés à consacrer au culte, en dehors de leurs propres affaires, une part fixe de leur temps, mais qui peuvent être en même temps commerçants ou agriculteurs[106]. Cela ne veut pas dire qu’ils n’aient pas imité dans une certaine mesure les corporations sacerdotales et que ces desservants de village n’aient pas formé une association municipale groupée sous la présidence de quelque dignitaire. Pour Kerkéosiris et Magdola, nous n’avons aucune indication de ce genre ; mais on rencontre à Soknopaiou Nésos des prêtres agissant en corps pour se plaindre au stratège d’extorsions commises à leur détriment par Pétésouchos, un fonctionnaire ou dignitaire dont ils appellent la fonction λεσωνεία et qui pourrait être le président ou curateur des temples de la bourgade[107]. Un chef exploitant ses subordonnés n’était pas chose rare en Égypte. En tout cas, cette λεσωνεία parait avoir été un office annuel conféré par les prêtres ou en vertu d’un contrat passé avec eux.

Le clergé de Soknopaiou Néos avait l’œil à ses affaires. Il tirait tout ou partie de ses revenus fixes de la terre sacrée qui lui était attribuée par le domaine royal. Des révisions du cadastre pouvaient lui faire perdre ou gagner sur la contenance, et il était bon d’y veiller. Une lettre adressée aux prêtres de Soknopaiou Nésos par un certain Épiodore nous édifie sur les moyens employés. Épiodore écrit qu’il a réussi à faire rapporter une décision prise par Areios (peut-être le basilicogrammate) et à obtenir une répartition plus favorable des terres en donnant huit écus d’argent au topogrammate et au comogrammate et aux autres[108]. Il était plus malaisé, j’imagine, d’esquiver les décisions prises en haut lieu lorsque le roi, se souvenant trop que les revenus étaient prélevés sur les siens, levait sur le clergé doté par lui, sous forme de στέφανος ou aides quelconques, des contributions plus ou moins forcées[109].

Il ne faudrait pas toutefois juger de la situation du clergé en général par celle des desservants du nome Arsinoïte ou même par celle des prêtres du Sérapeum de Memphis, mis en tutelle, eux aussi, par le pouvoir royal. Quelque application qu’aient mise les Lagides à dompter le clergé de la Thébaïde, ils avaient dû lui laisser une bonne part de ses richesses et de ses anciens privilèges. Nous savons que jadis, au temps des Pharaons, le puissant sacerdoce thébain d’Amonrâ possédait à lui seul le dixième de la terre d’Égypte[110]. Les Ptolémées lui avaient suscité de redoutables concurrents en comblant de leurs faveurs les cultes de la Haute-Égypte, dans les villes échelonnées le long du Nil, depuis Hermonthis (Erment) jusqu’à Pselchis (Dakkeh), par delà la première cataracte. Il est probable que les desservants des magnifiques temples de Latopolis (Esneh), d’Apollinopolis Magna (Edfou), d’Ombos (Kôm Ombo), d’Éléphantine et de Philæ, pour ne citer que ceux-là, furent dotés d’une façon convenable et qu’ils le furent aux dépens de la grande corporation thébaine[111]. Là, les prébendes étaient plus grasses, et les jours de service, au lieu d’être des corvées, étaient payés à un tarif rémunérateur. A Hermonthis, par acte notarié du 18 Choiak an XLIII (9 janv. 127 a. C.), Psentothès, isionome d’Isis, lègue à sa fille Tasémis, outre des immeubles avec leur mobilier, une part des revenus de son canonicat, à savoir : le 1/7 des indemnités à lui dues pour les 120 jours consacrés chaque année au service d’Isis Némétis, soit 17 jours 1/7 ; plus, le 1/7 du produit des cinq jours épagomènes ; plus, le 1/7 de ce que lui rapporte l’Isiéon de Tmontménibitis[112]. Sans doute, ces parts devaient être prélevées sur les honoraires de son successeur, les offices sacerdotaux étant assimilés à des propriétés particulières, aliénables et transmissibles à titre onéreux[113]. Pour les revenus des temples de Thèbes et de leur sacerdoce, nous avons admis, sur de fortes présomptions d’ordre historique, qu’il y eut déchéance et spoliation progressive ; mais nous n’avons pas, que je sache, de renseignements nous permettant d’estimer, même à peu près, ce qui leur restait. En fait de dîmes ou prélèvements distincts de la rente de la terre sacrée, neuf quittances délivrées par les magasins royaux de Thèbes pour livraison de grains soldant l’impôt foncier en nature permettent de conclure qu’un 1/10 de cet impôt était réservé aux temples. Les percepteurs royaux mentionnent, en effet, à la suite de la somme totale d’artabes livrées, une fraction de cette somme équivalant en moyenne au dixième, sous la rubrique ίεροΰ (πυροΰ) ou ίεράς (κριθής)[114]. Le sacerdoce thébain avait même, semble-t-il, le droit de prélever une dîme sur les revenus de temples qui, comme succursales des mêmes cultes, étaient sous sa dépendance. C’est ainsi que, sur une livraison de 50 artabes destinées au temple d’Ammon dans l’île de Poanemounis, une ½ artabe est mise à part comme ίερός πυρός[115].

Puisque nous sommes en face de questions dont les données même sont hypothétiques, usons en toute liberté des conjectures pour comparer et peut-être assimiler dans une certaine mesure à la catégorie de la terre sacrée un genre de propriété qui paraît avoir été artificiellement détaché soit de la terre sacrée elle-même, soit du Domaine royal, d’où, en fait de propriété foncière, tout part et où tout aboutit. Il s’agit de domaines particuliers pouvant comprendre des villages entiers qui sont dits έν δωρεά, c’est-à-dire concédés à titre de don gracieux, ou έν συντάξει, c’est-à-dire grevés d’une contribution ou subvention dont la nature n’est pas définie. Cette contribution ne doit pas aller au Trésor royal, car le Papyrus des Revenus range dans la même catégorie ceux qui sont exempts de taxes dans le pays ou possèdent des villages et de la terre, soit en don, soit en contribution[116], tous étant dans une condition privilégiée à l’égard du fisc.

L’expression en δωρεά ne peut guère avoir dans la langue administrative un sens autre que l’expression courante έν δωρεάν ou δωρεάν tout court, qui signifie « gratis[117]. Pour limiter le problème, remarquons d’abord que — à part une exception sur laquelle nous reviendrons tout à l’heure —l’on n’a pas rencontré jusqu’ici de terres έν δωρεά en dehors de la Thébaïde et même de l’ancien terroir de la ville de Thèbes, découpé en deux nomes, le nome de Périthèbes et le nome Pathyrite[118]. Une autre remarque non moins significative, c’est que les vignobles et vergers έν δωρεαΐς ne sont pas exemptés par Philadelphe de l’άπόμοιρα, c’est-à-dire d’une taxe de 1/6 de la récolte, taxe perçue sur des plantations longtemps monopolisées par les temples et dont le produit doit être affecté au culte[119]. C’est dans le voisinage de Thèbes que se trouvait le lot de δωρεαίας γής conféré, apparemment à titre précaire, à Dorion ancien toparque de Périthèbes, et dont l’ίβιοταφεΐον géré par une famille d’ibiobosques possédait la moitié en l’an XXXI de Philadelphe (254 a. C.)[120]. C’est à la banque de Thèbes qu’est enregistré, le 4 Tybi an XIII de Philopator (15 févr. 209), un acte de vente pour lequel le trapézite a perçu, en sus du décime de droit commun, un minime supplément de taxe (1 triobole), sous la rubrique τέλος δωρεάς, le terrain vendu étant qualifié dans l’acte démotique neter-hotep ou terre sacrée d’Amon[121]. Enfin, dans une correspondance administrative entre agents du fisc, dont le texte est malheureusement très mutilé, il est question d’un certain Arendotès, fils de Nechthénabys, qui paraît être propriétaire d’un domaine privilégié situé dans la toparchie en aval d’un nome de la Thébaïde[122]. Le sens des instructions données à son sujet reste énigmatique. Les mots γράψον  οΰν αύτώι σύμβολον (lig. 14), suivis à distance de σιτολόγου (lig. 18) et ίεροΰ (lig. 19), indiquent qu’il s’agit d’un recouvrement en nature, qui pourrait être considéré comme dû au temple ou perçu sur un sol sacré ; et le cas doit être litigieux, puisqu’il donne lieu à consultation. Supposons qu’Arendotès, invité à payer une redevance qu’il ne doit pas, ait invoqué son privilège de propriétaire έν δωρεά et que son bon droit ait été reconnu par un fonctionnaire supérieur. Celui-ci écrit à un subordonné : Envoie à l’intéressé un laissez-passer[123], qu’il présentera au sitologue chargé de percevoir le froment sacré, attestant ainsi qu’il est dispensé de la taxe. Il y a là, d’après ces indices, un lien quelconque, communauté d’origine ou similitude de condition juridique, entre la terre έν δωρεά et la terre sacrée.

Tout bien considéré, il me semble que les faits constatés et les conjectures de détail pourraient se grouper d’une façon plausible dans l’hypothèse suivante. Les premiers Lagides, résolus pour bien des raisons, politiques et économiques, à morceler et laïciser une bonne part des domaines du sacerdoce thébain, ont cherché les moyens de déguiser cette spoliation par divers procédés. Ils durent être aidés en cela par les usurpations des familles sacerdotales elles-mêmes, qui avaient depuis longtemps, conformément aux coutumes de l’Égypte féodale, converti en fiefs héréditaires des domaines appartenant au grand dieu Amonrâ, autrement dit à la corporation de ses prêtres[124]. Les Ptolémées n’eurent qu’à transformer cette tenure féodale en propriété franche d’impôts, propriété octroyée par mesure gracieuse, en pur don[125], au profit soit des bénéficiaires actuels, soit de Gréco-Macédoniens substitués ; et cela, sans enlever expressément à ces fiefs leur caractère de terre sacrée exempte d’impôt par définition, mais en réduisant les obligations envers le temple à l’άπόμοιρα, perçue d’ailleurs par le fisc et n’appartenant au temple que par fiction légale.

Comme on vient de le dire, le caractère sacré attaché à la γή έν δωρεά est accidentel et dû à des circonstances particulières. S’il n’a pas été complètement effacé pour les fiefs royaux de la Thébaïde, c’est parce que les rois ont voulu, en dépouillant le clergé, déguiser dans une certaine mesure la vérité sous la fiction. Ailleurs, ils ont pu considérer comme des concessions royales les domaines qu’ils voulaient bien ne pas enlever aux grands propriétaires indigènes[126], débris de l’ancienne féodalité, qu’ils étaient censés investir à nouveau. Enfin, la rubrique terre en pur don convenait à plus forte raison aux domaines privilégiés qu’ils constituaient à nouveau et à leurs frais, pour récompenser le mérite ou l’habileté de personnages bien en cour[127]. C’est ainsi que, sur les terres neuves du nome du Lac, nous voyons, au temps de Philopator, un certain Chrysermos, sans doute un favori du moment, posséder une δωρεά que cultivent des fermiers. Nous connaissons le fait par une pétition d’un de ces cultivateurs, un Grec, Idoménée, du bourg de Kamini, lequel se plaint d’avoir perdu sa récolte de gesse par le fait de deux voisins, deux Égyptiens du même village, Pétobastis et Horos, qui ont inondé son champ et l’ont mis par là hors d’état de payer le fermage de ses deux aroures au dit Chrysermos. Il veut que le stratège mande les délinquants à Crocodilopolis et les force à rembourser la semence, à remplacer la récolte perdue et à servir la rente de l’année au propriétaire[128]. Le fief de Chrysermos comprenait sans doute tout le bourg de Kamini et parait même s’être étendu au delà.

Nos textes ne permettent pas d’établir la condition juridique de ces propriétés, de savoir si elles étaient aliénables et héréditaires ou simplement viagères, si le Roi concédait la propriété du sol ou seulement la jouissance des revenus. Peut-être est-ce là, sur ce dernier point, qu’il faut chercher la distinction entre les terres έν δωρεά et les possessions έν συντάξει, sur lesquelles nous sommes encore moins renseignés. On n’a essayé de répondre à ces questions que par des conjectures reposant elles-mêmes sur un premier postulat, à savoir que tous les biens compris dans chacune de ces deux catégories étaient soumis au même régime[129] S’il est vrai, comme nous l’avons admis, que les terres concédées έν δωρεά étaient de provenance diverse, rien n’empêche de supposer que ces concessions de faveur étaient faites à des conditions diverses, le caractère commun étant la franchise à l’égard de l’impôt. Celles qui étaient simplement la confirmation d’un droit antérieur ont dû rester à l’état de propriété complète, aliénable et héréditaire ; celles qui, prélevées sur la terre sacrée, restaient terre sacrée par fiction légale et celles qui étaient détachées du Domaine royal gardaient la marque d’origine, le caractère de propriété précaire et révocable, soit comme dotation viagère, soit comme bien de famille, analogue de tout point, sauf le privilège fiscal, aux lots des clérouques.

Quant aux possessions dites έν συντάξει, la question se simplifie si l’on en élimine, comme on en a parfaitement le droit, l’élément perturbateur qui y a été arbitrairement introduit, le sens étroit de σύνταξις entendu comme subvention au clergé. Le mot signifie allocation quelconque de la part du Trésor, et notamment allocation constituant tout ou partie du traitement des fonctionnaires[130]. Dès lors, la terre έν συντάξει, terre concédée par le Domaine avec les mêmes privilèges que la terre έν δωρεά, a pu être affectée à des destinations diverses ayant pour caractère commun de remplacer une allocation en argent ou en nature, comme capital mis aux mains soit des prêtres, soit des particuliers, à titre précaire ou perpétuel selon les cas ; capital dont le revenu servait soit de subvention aux temples, soit de traitement aux fonctionnaires. La franchise à l’égard de l’impôt était ici parfaitement justifiée, l’État ne voulant pas retenir (l’une main une partie de ce qu’il donnait de l’autre. Ce privilège constitue la différence spécifique entre la γή έν δωρεά d’une part, la γή έν συντάξει d’autre part, — deux espèces assimilables aux biens du clergé, — et les lots plus modestes dont il nous reste à parler, ceux qui ont été prélevés sur le domaine royal pour être distribués, contre obligations définies, aux clérouques.

 

§ III. — LA DOTATION DES CLÉROUQUES.

A côté du domaine royal exploité directement par des cultivateurs royaux et de la terre sacrée figure sous une rubrique spéciale, dans la comptabilité financière, la terre allotie et détachée du Domaine (έν άφεσει)[131], c’est-à-dire assignée par l’État, qui en garde la nue propriété, à des bénéficiers, lesquels appartiennent ou sont censés appartenir à la milice sédentaire et à la police. En l’an LI d’Évergète II (120/19 a. C.), il y avait à Kerkéosiris 101 de ces clérouques, possédant ensemble 1,564 aroures sur 4.700, soit environ le tiers du terroir de la commune[132]. Sur ces 101 bénéficiers, 29 sont des colons proprement dits, vétérans retraités ou fils de vétérans ; 55 sont des miliciens, pourvus chacun de 7 aroures, Égyptiens pour la plupart. Les 8 cavaliers adjoints à cette milice ont des lots montant à 15 aroures, et les agents de la police locale sont encore mieux pourvus, leur dotation allant de 24 à 34 aroures.

La distinction de ces différentes catégories intéresse surtout l’administration militaire, et nous y reviendrons à propos de l’armée. Ici, nous nous bornerons à indiquer les caractères généraux de ce genre de propriété ou de tenure conférée par l’État, et la prise qu’a sur elle le droit retenu par le véritable propriétaire.

Dans l’Égypte pharaonique, au dire d’Hérodote et de Diodore, une tierce partie du sol appartenait à la classe des guerriers qui n’exerçaient pas d’autre profession que le métier des armes, devenu héréditaire dans leurs familles. Hérodote estime leur nombre maximum à 410.000 hommes, pourvus chacun d’un lot de 12 aroures en terres de choix exemptes d’impôt. Cette armée sédentaire fournissait au roi, en tout temps, une garde de 2.000 hommes (1.000 Calasiries et 1.000 Hermotybies) qui étaient relevés tous les ans par des remplaçants, et, en temps de guerre, les contingents exigés par les circonstances[133]. La domination persane avait dû s’attacher à détruire cette organisation de la défense nationale : en tout cas, les Lagides, installés par la conquête et ne voulant à leur service que des Macédoniens et des mercenaires étrangers, jugèrent imprudent de laisser des armes aux mains des Égyptiens. On n’entend plus parler de μάχιμοι sous les premiers Ptolémées. Mais le système pratiqué par les Pharaons fut repris par eux lorsqu’ils songèrent à se créer, eux aussi, une armée permanente et à retenir à leur service des mercenaires, en leur assurant une dotation suffisante pour leur permettre de fonder une famille et de transmettre à leurs fils, avec le lot qui leur avait été attribué, leurs obligations militaires. Ainsi se forma une catégorie de clérouques, intermédiaire entre les paysans ou serfs du Domaine et les propriétaires libres, s’il en restait encore[134]. Le terme choisi pour désigner les colons de race étrangère, dotés par le domaine royal, avait déjà un sens très précis, qui suffisait à définir leur condition. Il était emprunté au droit public des Athéniens, qui avaient déjà pratiqué le système de la colonisation militaire en pays étranger, dans le double but de donner des terres aux citoyens pauvres et de les employer à défendre leurs conquêtes ou leur hégémonie[135]. Ils avaient ainsi installé des clérouques sur le territoire de Chalcis en Eubée et à Salamine au temps des Pisistratides. Plus tard, Périclès sema par milliers les clérouques, organisés en communes de citoyens athéniens, en Chersonèse de Thrace, à Lemnos, à Imbros, à Samos, Scyros, Naxos, Andros, enfin, dans le pays des Bisaltes thraces, où fut fondée la ville neuve de Bréa (entre 444 et 440 a. C.). Durant la guerre du Péloponnèse, des clérouques furent encore installés à Égine, à Potidée, à Lesbos, Torone, Skione, Mélos, jusqu’au jour où la chute de l’hégémonie athénienne mit fin à ces entreprises. Les Athéniens, qui rompaient par cette nouvelle méthode avec l’ancien droit international, avaient fixé par une législation spéciale la condition juridique des clérouques et de leurs descendants. D’abord, ils restaient — et c’est là l’innovation caractéristique — ils restaient citoyens athéniens en pays étranger et obligés au service militaire dans l’armée athénienne. Les terres distribuées aux clérouques appartenaient à l’État, et celui-ci en conservait la nue propriété, non pour se réserver le droit d’en partager le revenu ni pour en interdire la transmission héréditaire, mais pour empêcher les colons d’échapper à l’obligation de la résidence en aliénant ou affermant leur lot. Cette clause fut formellement imposée, sous peine de confiscation et d’amende, aux clérouques de Salamine[136], et il est probable qu’il ne fut dérogé que par exception à cette règle fondamentale[137].

Ptolémée Philadelphe, si c’est bien à lui qu’il faut attribuer les premiers essais du système en Égypte[138], paraît avoir importé, avec le nom de clérouques, une partie du code athénien, allégé des clauses inutiles, comme la défense d’affermer[139], et adapté aux préoccupations fiscales de tous les gouvernements égyptiens. Les κλήροι détachés du domaine royal et généralement prélevés sur les terres encore incultes[140], étaient conférés à titre individuel et précaire, mais avec certains caractères de la propriété, notamment la faculté de louer les terres alloties[141] : ils devenaient héréditaires et même aliénables par consentement tacite de l’État[142], à la condition pour le nouveau possesseur d’assumer les obligations imposées à son prédécesseur, c’est-à-dire l’obligation du service militaire et le paiement de certaines taxes. Mais, à la moindre infraction, le κλήρος pouvait être confisqué et retournait au Domaine[143].

Ces taxes — sauf l’άπόμοιρα pour les vignobles et jardins compris dans certaines tenures[144] — n’affectaient pas tout d’abord et en principe le caractère de redevances permanentes. En prenant possession de son lot, le clérouque devait un cadeau soi-disant volontaire, une couronne, au Trésor. C’était, du reste, un usage général, qui obligeait aussi les fonctionnaires nouvellement promus et que les rois exploitaient en multipliant les occasions de se faire offrir ce genre d’actions de grâces et de félicitations, plus lucratives pour eux que spontanées de la part de leurs sujets. Le versement de la couronne devint si obligatoire, que, au cas où le bénéficier négligeait de s’en acquitter, son κλήρος était mis sous séquestre jusqu’à ce qu’il eût payé, et finalement, s’il demeurait insolvable, transféré à un autre[145]. Le στέφανος était dû encore par le clérouque qui obtenait de l’avancement et passait dans une classe supérieure, et il prenait la forme d’un droit de mutation quand le lot était transmis par hérédité au fils du bénéficier. Ce n’était pas le seul impôt levé sur les clérouques, sous divers prétextes qui conservent encore aux taxes exigées un caractère accidentel. Ainsi les clérouques achetaient la dispense de certaines corvées ou prestations en payant un λειτουργικόν annuel, soit en blé, soit en argent[146] ; ils payaient pour l’entretien des digues, pour la gendarmerie et la batellerie, pour le salaire d’employés de bureaux qui étaient peut-être le greffe d’associations particulières, autorisées moyennant le paiement d’un droit annuel[147]. Enfin, une taxe qui parait avoir été universelle, payable à titre d’impôt foncier par tous les possesseurs de terres royales, sacrées ou alloties, s’appelait άρταβιεία ou, au pluriel, τά άρταβιεία. Elle était en moyenne d’une artabe de blé par aroure de terre ensemencée en céréales, les terres pauvres pouvant être dégrevées et les autres surchargées[148]. L’ingéniosité du fisc savait allonger la liste des taxes extraordinaires. Nous ne savons pas au juste ce qu’était l’έπιγραφή et l’είσφορά, deux mots dont on est tenté de faire deux synonymes, applicables à toute espèce d’impôts[149]. Ils ont pour caractère commun de désigner des taxes ou réquisitions exceptionnelles, visant soit la bourse, soit la personne même des contribuables. En revanche, le mot άνιππία est tellement spécial qu’on a peine à tirer de l’étymologie une explication plausible. On rencontre un clérouque qui paie une taxe sur les chevaux (φόρος ΐππων) et qui est taxé aussi pour άνιππία[150], de sorte qu’on hésite à traduire ce dernier terme par manque de chevaux. Il se pourrait qu’il s’agit d’une dispense de service militaire effectif dans la cavalerie, — sur deux contribuables άνιπποι, l’un étant réellement, l’autre officiellement et par erreur, un όρφανός, — et que la taxe dite άνιππία fût, comme l’æs hordearium des Romains, une taxe de remplacement[151].

Bref, la tenure du sol obligeait le clérouque à payer l’impôt foncier sous toutes ses formes : ce qui ne lui était pas imputé directement était payé par les rom : qui cultivaient sa propriété. La terre allotie n’est séparée que pour la forme du domaine royal, auquel nous allons retourner pour en dénombrer les monopoles.

 

 

 



[1] Ils ont appliqué, non inventé, un principe que Xénophon considère presque comme une loi naturelle (Xénophon, Cyropédie, VII, 5, 73).

[2] C’est à l’Égypte et à la Perse, bien connues de son temps, que pense Euripide quand il fait dire à Hélène : τά βαρβάρων γάρ δοΰλα πάντα πλήν ένος (Helen., v. 276).

[3] Lumbroso (Rech., pp. 76 sqq.) proteste énergiquement contre cette thèse. Il affirme, avec raison d’ailleurs, que les Lagides n’ont pas supprimé la propriété privée. Sans doute : mais ils n’ont pas davantage réformé la théorie préexistante, constituée, d’après Révillout (Précis, p. 28), sous la XIIe dynastie. On peut même dire que les idées grecques s’en accommodaient assez bien. Non seulement le système des κλήροι, qui réservait à l’État la propriété théorique, fonctionnait à Sparte ; mais les Grecs, philosophes et historiens, ont toujours cru que la propriété privée avait été constituée à l’origine par l’État. Lors de la fondation d’une colonie, l’œkiste distribuait les terres. De là l’idée que la propriété foncière avait la même origine dans toutes les cités. A plus forte raison les Grecs n’étaient-ils point choqués de voir cette théorie appliquée en Égypte. Hérodote (II, 109) est persuadé que le sol de l’Égypte avait été alloti par Sésostris en parts égales, contre une redevance annuelle. Les Romains ont été seuls à concevoir la propriété privée comme antérieure et supérieure à l’État, et l’impôt foncier comme une marque de servitude. Cf. P. Guiraud, La propriété en Grèce, Paris, 1893. Nous attendons du savant auteur une étude parallèle sur la propriété à Rome.

[4] A la suite de Die Schenkungs-Urkunde von Edfu, texte publié, traduit et commenté par H. Brugsch, Thesaurus, pp. 531-607. Cf. Al. Moret, Royauté pharaonique, p. 15.

[5] L’ancienne féodalité aussi reconnaissait sans difficulté la fiction d’après laquelle Pharaon se proclamait le maître absolu du sol et ne concédait à ses sujets que l’usufruit de leurs fiefs ; mais, le principe admis, chacun des barons se proclamait souverain dans son domaine et y exerçait en petit la plénitude du pouvoir royal (Maspero, Hist. anc., I, p. 296).

[6] Le Domaine royal est assez souvent appelé τό βασιλικόν, expression qui signifie aussi, dans un sens un peu plus restreint, le fisc ou Trésor royal.

[7] A Kerkéosiris (Gharaq), en l’an LII d’Évergète II (119/8 a. C.), plus de la moitié du terroir appartenait au roi, un tiers aux clérouques, un treizième seulement au clergé ; le reste en jardins, pâture ou jachère.

[8] Lumbroso (pp. 284-286) cite des exemples de confiscations ordonnées contre les rebelles du temps de Philopator et rapportées en partie par Épiphane (Inscr. Rosett., lig. 20), et les spoliations décrétées par Évergète II (Diodore, XXXIII, 6 a), par Ptolémée Aulète (Dion Cass., XXXIX, 58) et par la grande Cléopâtre (LI, 6. Joseph., C. Apion, II, 5). Ces confiscations achevaient de ruiner ce qui pouvait rester encore de l’ancienne aristocratie égyptienne. Nous ne savons pas s’il y avait sous les Ptolémées un fonctionnaire chargé, comme l’ίδίόλογος de l’époque romaine, τών άδεσπότων καί τών είς Καίσαρα πίπτειν όφειλόντων (Strabon, XVII, p. 797) ; mais la caducité des κλήροι à la moindre négligence tenait amplement lieu des lois juliennes sur les bona vacantia et caduca. Sur l’ίδιος λόγος ptolémaïque, voyez ci-après, ch. XXVI.

[9] Sur le dessèchement progressif et les courbes de niveau, voyez, après Robiou (pp. 18-32) et Baedeker-Eisenlohr, Ober-Ægypten (1891), pp. 5-17, P. Grenfell, in Fayûm Towns, Introd., pp. 1-17.

[10] G. Lumbroso, Recherches, ch. V, p. 89-100. Je renvoie pour les détails et la presque totalité des références aux commentaires publiés par P. Grenfell, S. Hunt et G. Smyly, dans les Tebtunis Papyri (I, London, 1902) qui ont fourni une masse énorme de relevés agronomiques, dressés pour la plupart dans le bureau du κωμογραμματεύς de Kerkéosiris, localité du nome Arsinoïte (Fayoum) entre 118 et 111 a. C. (The Land survey, n. 60-88). Le n. 60 a et b comprend à lui seul 651 lignes de texte. C’est le plus ample document ptolémaïque qui ait été découvert après le célèbre papyrus des Revenus, qui compte 107 colonnes de texte, dont 72 en état relativement satisfaisant. Les éditeurs ont condensé les résultats acquis dans l’Appendix I, intitulé The Land of Kerkeosiris and its holders (pp. 538-580), une étude dont je me reconnais largement tributaire. Toutes les questions traitées d’ici à la fin du volume relèvent de l’administration financière, et je puis encore, au dernier moment, utiliser le livre tout récent de Henri Maspero (Les finances de l’Égypte sous les Lagides, Paris, 1905), le premier travail d’ensemble, sobre et précis, sur la matière. Cf. C.-R. de l’Acad. d. Inscr., 20 oct. 1905.

[11] Le système de l’adjudication au plus offrant (voyez ci-après, ch. XXVI) était appliqué aussi à la location des terres domaniales (cf. le κωμομισθωτής, dans Tebt. Pap., n. 183) ; mais, les loyers étant tarifés d’après la qualité des terres, la surenchère devait sans doute atteindre le prix fixé pour une classe supérieure à celle de la terre mise en adjudication (cf. H. Maspero, op. cit., pp. 56-67). Sur la culture des terres domaniales par location forcée ou corvée (d’après Pap. Par., n. 63), voyez ci-après, ch. XXV.

[12] Voyez le tableau des cultures dans Tebt. Pap., p.562. Sur une contenance moyenne de 1,198 aroures, taxées à 4,684 artabes, le froment occupe à lui seul 630 aroures et fournit 2,963 artabes ; les lentilles, à 202 aroures, 920 artabes ; l’orge, à 115 aroures, 423 artabes ; la gesse, à 64 aroures, 261 artabes, etc. Cf. χόρτος άδιοίκητος (Pap. Petr. II, n. 7. III, n. 71), pré sans culture (?).

[13] L’άρουρα (un mot d’origine perse ?) est un peu plus grande que le jugerum romain (2518 mètres carrés) et qu’un quart d’hectare. C’était, d’après Hérodote (II, 168), un carré de 100 coudées égyptiennes de côté. Sur la contenance de l’ancienne aroure, réduite à 2,623 m. carrés à l’époque romaine, voyez Fr. Hultsch, Metrologie, 2e éd., pp. 356, 621 sqq.

[14] L’ancienne artabe (άρτήβη, du perse ertob), quart du cube de la coudée, avait une contenance de 36 lit. 45. L’artabe ptolémaïque officielle, pour égaler 36 chœnices attiques, fut haussée à 39 lit. 39, et l’artabe de l’époque romaine baissée à 29 lit. 2 pour correspondre à 3 1/3 modii (Hultsch, Metrol.2, pp. 623-625. Beitr. z. Aeg. Metrologie, in Archiv f. Ppf., II, pp. 87-93. 273-293. 521-528. III, pp. 425-442). L’étude des papyrus et ostraka a montré qu’il y avait en Égypte au moins une douzaine d’artabes de contenance diverse, allant de 24 à 40 ou même 42 cho3nices (voyez Grenfell-Hunt, in Tebt. Pap., I, pp. 43-44, 232-233. H. Maspero, op. cit., p. 31,, ce qui prêtait aux confusions et malversations. Le fisc a pu permettre l’usage des mesures locales, à la condition de les convertir ensuite en mesures officielles.

[15] Sur l’estimation des volailles en canards, l’oie cendrée valant 8 canards, l’oie commune (torpou) 4 canards, la grue 2 canards, etc., à l’époque pharaonique, voyez Maspero, Journal des Savants, 1897, pp. 219-220.

[16] La valeur du blé était généralement à celle de l’orge comme 5 : 3 ; à celle de l’όλυρα comme 5 : 2. Les lentilles avaient même valeur que le blé (Tebt. Pap., p. 560). Les estimations sont toujours faites au volume, non au poids. L’estimation en argent (adæratio) offre des écarts tels qu’il est à peu près impossible de déterminer la valeur réelle ou puissance d’achat de la monnaie (voyez ci-après). Sur la tendance croissante à substituer l’adæratio à la perception en nature, voyez Wilcken, Ostraka, I, pp. 665-681.

[17] La γή άβροχος (shu), par opposition à la γή έμβροχος ou κατάβροχος, est celle qui dépasse en tout temps le niveau de l’inondation et ne peut être arrosée que par des moyens artificiels. A défaut de machines appartenant au propriétaire, il y avait des entrepreneurs d’irrigation, percevant une taxe pour l’eau (shelh) de telle année. Révillout (Précis, pp. 1280-3, 1288) cite une quittance de cette espèce et des baux où est spécifiée l’obligation d’irriguer. Cf. l’étude assez sommaire de M. Magnien, Quelques reçus d’impôts agricoles écrits en langue démotique au temps des Lagides et des Romains, Paris, 1902.

[18] Location de terrain marais (mer) pour 1/10 de la récolte, dans Révillout (Précis, p. 1279).

[19] La terre έν ύπολόγω était άφορον έκτός μιθώσεως, si elle était absolument incultivable par nature ou par autre destination (routes, canaux et digues) ; έν μισθώσει, si elle avait été et pouvait être encore cultivée, auquel cas elle était sinon louée actuellement, du moins taxée d’une rente théorique et maintenue au tableau des terres de rapport. Au cas où la terre, quoique irriguée, serait restée άσπορος par la faute du cultivateur, le fisc exige la rente sans déduction.

[20] A consulter, pour les trop nombreuses références, l’Appendix I des Tebt. Papyri. La classification en six catégories proposée par Grenfell pourrait être simplifiée par élimination de deux rubriques. La 2e catégorie, ou terre arable distraite du domaine moyennant le fermage d’un an une fois payé (?), ne vise qu’un mode d’investiture des κλήροι et devrait figurer comme produit de l’aliénation de parcelles du Domaine : la 3e ou revenu à destination spéciale, probablement affecté comme apanage aux princes royaux, n’intéresse que l’emploi des fonds, et non la condition des fermiers. Les expressions ύπόλογου, άπολογισμός, σύγκρισις, έπίστασις, supposent un taux normal, au-dessus et au-dessous duquel oscillent les exigences du propriétaire. Il semble que l’administration estimait d’abord tous les loyers à plein tarif et pratiquait ensuite sur ce revenu hypothétique les décharges et surcharges reconnues opportunes. De même, elle maintenait au tableau, sous la rubrique έν ύπολόγω, des terres domaniales cédées ou aliénées à terme, sans doute en vue de reprises ultérieures.

[21] Cf. Révillout, Précis, p. 1284.

[22] Tebt. Pap., n. 61 b, l. 351-378.

[23] Phanias réussit à τά άπολ[είποντα άπό ένεχ]υρασιών [πρ]άξαντ[α μόλι]ς συνπληρω[θήναι], d’après les restitutions des éditeurs. Il y eut toutefois de la peine, ce qui prouve qu’il ne puisait pas dans une réserve assurée. Je suppose que cette réserve pouvait être constituée par le στεφανός γεωργών (cf. Tebt. Pap., n. 95, l. 9), ce don soi-disant volontaire étant considéré connue une garantie en cas de déficit.

[24] Grenfell, in Tebt. Pap., p. 564. Voyez le tableau par espèces de cultures à Kerkéosiris, avec contenances en aroures et montant des fermages en artabes, pour cinq années différentes, entre 121 et 111 a. C. (p. 562).

[25] Si je comprends bien la comptabilité débrouillée avec une patience méritoire par les éditeurs, le comogrammate faisait d’abord, au commencement de l’année, une estimation au juger, aussi conforme que possible aux exigences du barème fixe : plus tard, au moment de la récolte, il évaluait le γενισμός έκ τοΰ σπόρου, assiette réelle de l’impôt (Tebt. Pap., n. 67). D’après Hérodote (II, 109), le fisc avait toujours tenu compte des réclamations justifiées. Cf. Maspero, Hist. anc., I, p. 330. Dans son édit (68 p. C.), le préfet Ti. Julius Alexandre promet aussi que l’άπαίτησις fiscale sera toujours réglée πρός τό άληθές τής οΰσης άναβάσεως καί τής βεβρεγμέης γής (CIG., 4957, l. 55-58).

[26] Le compte se poursuit, avec variations d’assolements et de taxes, durant trois années (Tebt. Pap., n. 115, pp. 481-483). Grenfell fait observer que ce sont là des taux exceptionnels, et que la ferme susdite n’était peut-être pas du Domaine royal. La part du propriétaire est ici de 93 artabes ou près de 37 hectolitres de blé — presque la moitié de la récolte — sur une surface de 4 2/3 hectares. En France, le rendement d’un hectare en blé est, en moyenne, de 16 hectolitres pesant 77 kilog. à l’hectolitre, soit 12 1/3 quintaux métriques, au prix moyen de 20 francs le quintal. On l’estime à 22 hectolitres en Égypte (cf. Lombroso, p. 293). Sur les autres récoltes, le fermage est prélevé en nature, à raison de 5 artabes par aroure, sans être évalué en artabes de blé.

[27] Il nous est impossible d’évaluer mathématiquement la moyenne des fermages ; mais on a des raisons de penser qu’elle équivalait à peu près au dixième du produit brut pour les cultures libres et à 5/10 ou moitié environ sur le Domaine royal. Mommsen (R. G., V3, p. 573, 1) est tenté de majorer ces fractions, au moins pour l’époque romaine : alors, dit-il, die Domanial-rente kann nicht unter der Hälfte betragen haben. Les tarifs édictés pour les grands domaines impériaux de l’Afrique étaient plus modérés. L’inscription d’Henchir Mettich, rédigée sur le modèle de la lex Manciana, exige des colons le 1/3 de la récolte pour le blé, l’orge, le vin, l’huile ; le ¼ pour les fèves, et un setier de miel par ruche. Si l’on veut apprécier par comparaison les charges du fellah égyptien, il est bon de rappeler que le paysan français, avant la Révolution, payait à ses trois créanciers, l’État, le clergé et la noblesse, de 60 à 80 % de son maigre revenu. Cf. H. Taine, Les Origines de la France contemporaine. — L’Ancien Régime, liv. V, ch. 1-2. M. Marion, État des classes rurales au XVIIIe siècle dans la généralité de Bordeaux, Paris, 1902.

[28] P. Grenfell, in Tebt., Pap., pp. 565-566. Ces règles sont fondées principalement sur le rapport de Menchès, comogrammate de Kerkéosiris, daté de 118/7 a. C., rapport bourré de chiffres et d’une arithmétique peu sûre (Tebt. Pap., n. 67). Le maximum, en ce qui concerne les prés et fourrages, est de 39 5/12 artabes (autrement dit, à la mode du pays, 1/3 + 1/12) : lig. 49-50, lig. 66. 69, — chiffre répété, n. 61 a, l. 212 ; 67, l. 57 ; 68, l. 60. 66. 78. 81 ; 70, l. 48. 55 ; 72, l. 308. La somme de monnaie exigée devait être calculée d’après le prix courant de l’artabe de blé. Cette adæratio était une opération qui prêtait singulièrement à l’arbitraire, aux faveurs comme aux extorsions. Les prix de l’artabe de blé mentionnés dans les papyrus varient de 250 à 2.000 drachmes de cuivre, sans qu’on puisse vérifier quelle part revient dans ces écarts formidables aux cours réels ou à l’altération des monnaies, qui changeait la proportion de la valeur du cuivre à celle de l’argent. Cf. Lumbroso, Recherches, ch. I, Des prix enregistrés dans les papyrus (pp. 1-25) : P. Grenfell, op. cit., p. 584. Paolina Salluzzi, Sui prezzi in Egitto nell’ età tolemaica (Riv. di Storia antica, VI, 1 [190f], pp. 9-57). H. Maspero, op. cit., pp. 31-34. On sait qu’a partir de Dioclétien et pour parer aux mécomptes produits par l’altération des monnaies, l’administration financière du Bas-Empire, calquée sur celle de l’Égypte, perçut les tributs et fixa les traitements en nature (annona - indictio), et que l’adæratio donna lieu à des abus contre lesquels les édits impériaux furent impuissants.

[29] Hérodote est persuadé que le paysan égyptien vit de dourah par goût, et qu’il considérerait comme une grande honte de consommer du froment et de l’orge (II, 36). Le premier mot que le collecteur de l’époque pharaonique avait à la bouche était : Çà, le blé ! La parole était ensuite au bâton (Maspero, Hist. anc., I, p. 331).

[30] Sur l’ίδιος λόγος ptolémaïque, voir ci-après, ch. XXVI.

[31] Voyez Tebt. Pap., Append. I, § 7, pp. 569-570.

[32] Pap. Petr., III, n. 97, lig. 10. L’expression τά τέκνα βασιλέως, que nous avons rencontrée à propos d’un roi qui n’avait pas encore d’enfants, devait être une formule de style s’appliquant à toute la famille royale, sauf le roi et la reine.

[33] Le patrimoine de César étant appelé ίδιος λόγος en Égypte, H. Maspero (op. cit., pp. 24-28) conjecture que l’expression γή έν ίδιόκτητος ne signifie pas propriété privée, mais est synonyme de γή έν προσόδω ou κεχωρισμένη. Le postulat délibérément accepté est qu’il n’y a pas de propriété privée en Égypte, et que les individus dits ίδιοκτήμονες (Tebt. Pap., n. 124, 38) sont simplement des tenanciers non clérouques. Le texte invoqué par H. Maspero est : τήν ίδιόκτηιτον καί τ[ήν ίεράς καί τήν κληρουχική]ν καί τήν άλλην τήν έν άφέσει (Tebt. Pap., n. 5, lig. 111). Mutilé de la sorte, il est insuffisant comme preuve, et on ne voit même pas que έν άφέσει se rapporte nécessairement à toute l’énumération.

[34] Voyez, dans le récent ouvrage de W. Otto, Priester und Tempel u. s. w., I Bd. (1905), le ch. IV : Besitz und Einnahmen der Tempel (pp. 258-405).

[35] Diodore, I, 21. Diodore dit ailleurs (I, 13) que la première portion du sol, affectée au clergé et exemptée de l’impôt, était la plus considérable. La division tripartite n’était donc pas en tiers également partagés entre les prêtres, le roi et les guerriers. Quand on lit, au Grand Papyrus Harris, l’énumération des biens que le seul temple d’Anion Thébain possédait par toute l’Égypte sous Ramsès III, on se persuade bien vite que la tradition d’époque grecque n’a rien d’exagéré (Maspero, Hist. anc., I, p. 303, 5). Cf. le résumé avec chiffres dans Al. Moret, Royauté pharaonique, p. 195. A. Erman, Zur Erklürung des Papyrus Harris (SB. d. Berlin. Akad., 1903, pp. 456-474), qui évalue à une proportion moins forte (1/8 environ de la terre arable) les propriétés du clergé au temps de Ramsès III. Cette dotation devait être notablement amoindrie au temps des Lagides : les rois philhellènes des dernières dynasties, besogneux et sceptiques, avaient aussi rançonné le clergé.

[36] W. Otto (op. cit., I, pp. 262-278) essaie de calculer la surface des biens-fonds constituant la dotation des temples égyptiens sous les Lagides. Il arrive au chiffre de 12.700 aroures (environ 30 kil. carrés) de terre arable pour le T. d’Horus à Apollinopolis Magna (Edfou), l’œuvre de prédilection des Lagides, au sortir du règne d’Évergète II ; et plus tard, d’après l’inventaire dressé par les prêtres eux-mêmes, à 18.336 aroures (plus de 50 kil. carrés), répartis dans les nomes circonvoisins. Les autres divinités de la Haute-Égypte, notamment la déesse de Pathyris, Hathor, le Chnoum de Latopolis (Esneh) et celui d’Éléphantine, étaient aussi, quoique moins richement, apanages ; si bien qu’on peut évaluer l’ensemble, pour une douzaine de dieux et divers animaux sacrés, à près de 59 kil. carrés. Une bonne part de ce domaine avait été, je suppose, enlevée au sacerdoce d’Amon à Thèbes, qui expiait ainsi son opposition constante à la dynastie. L’Isis de Philæ, favorite des Lagides et des rois nubiens depuis le temps de Philadelphe, possédait la Dodécaschcenos, de Syène à Tacompso, c’est-à-dire environ 1.000 aroures. On connaît par la stèle précitée de 311 a. C. les restitutions faites par Ptolémée Soter aux divinités de Bouto dans la Basse-Égypte, et l’on sait que la dotation de la Philadelphe à Boubastos en Fayoum comprenait 2.210 aroures (Otto, p. 276, 5).

[37] Voyez Mahaffy et Grenfell, Revenue Laws, pp. XIX-XXVII. 92. 114-115. 119-121. 123. Tebt. Pap., p. 37. Wilcken, Ostr., I, pp. 157-161. 615. W. Otto, op. cit., pp. 340-357. Le Papyrus comprend des copies d’ordonnances et de prescriptions de dates diverses, échelonnées depuis le mois de Dios (col. 37) et Daisios (col. 36) an XXIII, jusqu’en Loïos an XXVII (col. 38 et 24) de Philadelphe, toutes relatives aux monopoles royaux. Les parties les plus récentes sont celles qui ont été rectifiées par le diœcète Apollonios. Bien que l’édit principal porte la date de l’an XXIII (263/2 a. C.), la disposition qui ordonne de faire le prélèvement à partir de l’an XXII, c’est-à-dire sur la récolte de l’an XXII (cf. Pap. Leid., Q), fait supposer que l’ordre avait été déjà signifié antérieurement, au plus tard avant la récolte ainsi taxée. Une application rétroactive (comme l’admet Grenfell, p. 115) se fût heurtée à des difficultés de toute sorte : ou les contribuables auraient payé deux fois, ou le Trésor aurait dû réclamer aux prêtres ce qu’ils avaient déjà perçu ; soit en nature, soit, s’ils l’avaient consommé ou vendu, l’équivalent en argent. Il est donc probable que le Papyrus ne donne pas le πρόσταγμα initial, mais les règlements indiquant les moyens d’exécution, des détails qui purent être précisés après le premier prélèvement fait sur des données moins exactes.

[38] Révillout (Précis, p. 408) cite un document du temps d’Amasis, où il est question de vignes cultivées sur le neter-hotep de Mont en Thébaïde.

[39] Plutarque (Is. et Osir., 6) dit que les prêtres, sauf ceux d’Héliopolis, en usaient, mais modérément, et que les rois ne commencèrent à en boire — en leur qualité de prêtres — qu’a partir de Psammétique.

[40] Voir dans la Pierre de Rosette ou décret de Memphis, la décomposition du budget des temples (l. 14-15). Les prêtres ont soin de signaler comme leur appartenant le revenu de l’άπόμοιρα, et ils semblent dire qu’il leur était versé en entier sous Philopator. Jusqu’à quel point faut-il les en croire, c’est ce qui se discute.

[41] In universa terra Ægypti regibus quinta pars solvitur abaque terra sacerdolati, quæ libera ab hac condicione fuit (Genèse, XLVII, 26). Texte maintes fois invoqué depuis pour justifier les immunités ecclésiastiques.

[42] Revenue Laws, col. 36. Satyros est évidemment le diœcète.

[43] Revenues Laws, col. 37. C’est une enquête rétrospective, qui permettra aux basilicogrammates d’établir des rôles définitifs.

[44] Ce n’était pas là, du reste, une innovation. Sous la XVIIIe dynastie, c’est le ministre du Pharaon qui administre les biens des temples. Les textes de Rekhmara sont on ne saurait plus formels à cet égard (Révillout, Précis, p. Depuis, les prêtres avaient recouvré quelque autonomie, notamment sous Ramsès II (ibid., p. 83), mais sans échapper complètement à la tutelle des scribes royaux (ibid., pp. 107-111. 586-587). On sait que, dans le décret de Canope, figure au premier rang de la hiérarchie ό δ' έν έκάστω τών ίερών καθεστηκώς έπιστάτης καί άρχιερεύς (lig. 62) ; et c’est une question de savoir si l’épistate est distinct du grand-prêtre, auquel cas il pourrait être un fonctionnaire royal, un curateur primant l’άρχιερεύς égyptien. Les égyptologues (Lepsius, Reinisch, Rösler, Spiegelberg), d’après les versions hiéroglyphique et démotique, tiennent pour la distinction ; les hellénistes (Gutschmid, Dittenberger, Otto) font observer qu’il faudrait pour cela ό έπιστάτης καί [ό] άρχιερεύς et que la taxe dite έπιστατικόν [τών ίερών], attestée à partir d’Évergète II (Tebt. Pap., n. 5, lig. 63), indique bien une investiture donnée par le roi à un président pris dans la corporation sacerdotale. Mais, précisément dans ce texte, qui fait remise de l’arriéré de la taxe pour τούς έπιστάτας τών ίερών καί τούς άρχιερεΐς καί ίερεΐς (lig. 62), la distinction contestée est évidente. Étant donné la politique cléricale d’Évergète II vers la fin de son règne, on aurait tort de penser qu’il n’a rien changé au régime antérieur. Il est fort possible que Philadelphe ait résolument confié la tutelle de chaque temple à un fonctionnaire royal, qui était à la fois έπιστάτης καί άρχιερεύς, et qu’Évergète II ait concédé aux corporations sacerdotales (contre redevance sauvegardant les droits de la couronne) le droit de choisir leurs chefs, après avoir pris la précaution de partager l’autorité entre l’administrateur et le chef spirituel. Sous Philométor, dans les documents relatifs à l’affaire des Jumelles, on rencontre au Sérapeum de Memphis un έπιμελητής doublé d’un contrôleur, qui doit être un curateur royal (Pap. Par., n. 22, etc.).

[45] Cf. Wilcken, Ostraka, I, p. 615, 1. Wilcken revient ici sur l’opinion qu’il avait d’abord partagée avec Mahaffy, Grenfell, Strack, etc. W. Otto (pp. 344 sqq.) abonde dans le même sens. Il croit aussi que Philadelphe a voulu seulement séculariser la perception de l’άπόμοιρα, mais qu’il était trop fin diplomate pour mécontenter les prêtres en rognant leurs revenus. Il va même, cette fois contre l’opinion de Wilcken, jusqu’à affirmer que les subventions énormes allouées par Philadelphe étaient une contribution annuelle, allouée en dédommagement d’une perte que lui-même déclare à peu près nulle. Il enseigne de plus (pp. 351 sqq.) que le produit de l’άπόμοιρα n’allait qu’aux temples dédiés uniquement ou principalement à la Philadelphe, et non pas à ceux dans lesquels elle n’était que σύνναος θεά. C’est le contre-pied de l’opinion que j’estime la plus probable. A mon sens, l’άπόμοιρα, affectée d’abord au culte égyptien de la Philadelphe parèdre des dieux nationaux, a servi par la suite à défrayer le culte dynastique dans les temples égyptiens, où les rois étaient aussi σύνναοι θεοί.

[46] Cf. Révillout, Précis, pp. 517. 1286. Cf. (pp. 647. 663 du même ouvrage) la singulière interversion des rôles entre Philadelphe (qui faisait payer l’έκτη, aux prêtres), et Philopator (qui la perçut à son propre bénéfice). Révillout pense que la confiscation de l’άπόμοιρα fut étendue par Philopator aux terres des temples qui d’abord n’y étaient pas soumises, et qu’Épiphane supprima cette usurpation.

[47] Dans les Demot. Inschr. de Spiegelberg (n. 31088, pp. 14-20), les prêtres se louent des libéralités de Philopator, en vantant aussi ses victoires et le mérite d’avoir rapporté les images des dieux nationaux (comme ses prédécesseurs), tout à fait dans le style des panégyriques de 311, de Pithom et de Canope.

[48] Pap. Petr., II, n. 46 c. III, n. 57 b. Voyez ci-après, ch. XXVI. Les dieux Philopators, récemment décédés, sous-entendent toute la série qui les précède dans le protocole.

[49] En louant Épiphane d’avoir maintenu les καθηκούσας άπομοίρας au même taux, les prêtres reconnaissent qu’il aurait pu les diminuer. C’est, du reste, ce qu’il dut être tenté de faire plus tard, lorsqu’il eut besoin d’argent pour payer les mercenaires employés contre les rebelles, et surtout lorsque ses amis défendirent leur bourse, dit-on, en l’empoisonnant.

[50] Wilcken, Ostraka, II, n. 354, 1234, 1235, 1518.

[51] Édit de 118 a. C. (Tebt. Pap., n. 5, lig. 50-55). Exemple d’une très modeste σύνταξις (7020 dr. de cuivre), payée par la banque de Thèbes au T. d’Amonrasonther, le 28 Pharmouthi an XXXVI d’Évergète II (21 mai 134 a. C.), sur ordonnance du diœcète en date du 24 avril (Révillout, Mélanges, p. 321).

[52] Plutarque, Is. et Osir., 21. Les manuscrits donnent ici είς τάς γραφάς τών ζώων, leçon rectifiée soit en τροφάς, soit plutôt, comme l’indique évidemment le contexte, en ταφάς. L’expression συντεταγμένα τελεΐν, montre qu’il s’agit non pas de collectes ad libitum, mais, comme le fait observer Wilcken (in Archiv. f. Ppf., III, 3 [1905], p. 395), d’une obligation. Seulement, cette obligation n’a guère pu être imposée qu’aux prêtres. Cf. le fait relevé par Wilcken, la fourniture de 10 aunes de byssos par les prêtres de Soknopaios pour la sépulture de l’Apis memphite en 170 p. Chr. Il est fort possible que ceux d’Anion, orgueilleux et jaloux, aient manifesté leur mépris pour une zoolâtrie qu’ils ne partageaient pas à ce degré, en refusant de contribuer aux funérailles des animaux fétiches.

[53] Inscr. Rosett., l. 31.

[54] Édit de 118 e. C. (Tebt. Pap., n. 5, l. 77-79). On ne peut guère entendre l’allusion discrète ώς καί έπί τών άποτεμέθεωμένων, autrement que des rois défunts. Le doute est cependant permis, car la sépulture des animaux sacrés était bien une apothéose. Le mot est en toutes lettres dans le texte visé par Wilcken , et Plutarque (loc. cit.) dit aussi que, suivant la doctrine des prêtres, les âmes des dieux, une fois dégagées du corps enseveli, brillent au ciel, le catastérisme étant de son temps la forme normale de l’apothéose. Les Égyptiens d’antan ne visaient pas si haut ; ils multipliaient les hommages au dieu sorti de son enveloppe animale pour l’engager à se réincarner dans une autre. Les empereurs romains montrèrent pour la zoolâtrie le même respect que les Lagides. Titus coiffa le diadème pour assister à la consécration, c’est-à-dire à la sépulture d’un Apis, de more quidem rituque priscæ religionis (Suétone, Titus, 5. Cf. Wilcken, op. cit., p. 395).

[55] Ammien Marcellin, XXII, 16, 23) dit, en parlant des Égyptiens : erubescit apud eos si qui non infitiando tributa plurimas in corpore vibices ostendat. Il parait que le caractère du fellah contemporain n’a pas beaucoup changé (cf. Maspero, Hist. anc., I, p. 314).

[56] On voit, par exemple, un sitologue royal délivrer reçu de 20 artabes de blé pour la nourriture des ibis (Pap. Reinach, n. 40).

[57] C’était le cas précisément dans le Fayoum, où l’habitude de consacrer de la terre aux temples parait avoir été très répandue parmi ceux qui avaient eux-mêmes reçu des lots de la Couronne. Mais nous soupçonnons que la donation n’était qu’à moitié volontaire et que le bienfaiteur réel du temple était le roi, qui était le propriétaire de toute la terre donnée aux clérouques et qui faisait de l’entente avec le clergé un des pivots de sa politique (Grenfell, in Tebt. Pap., p. 543).

[58] Grenfell-Hunt-Smyly, in Tebt. Pap., pp. 544-545. Les décrets visés sont ceux de Philométor et d’Évergète II. En l’an 140/39 a. C., sur plainte des prêtres d’un temple inconnu, le roi ordonne à ses agents de prêter main-forte aux percepteurs des revenus sacrés (Tebt. Pap., n. 6, lig. 40-41). De même, en l’an 118, il défend de grever de taxes les revenus des temples et veut qu’on en laisse l’administration aux prêtres (ibid., n. 5, lig. 57-61). Ces décrets constatent les usages qu’ils réprouvent et qu’ils ont probablement laissé subsister, les agents sachant le roi intéressé à les maintenir et libéral surtout en promesses.

[59] Le στέφανος (χρυσικός exprimé ou sous-entendu, aurum coronarium), sur lequel nous aurons souvent à revenir, est un cadeau supposé volontaire de la part de gens censés reconnaissants d’une faveur. Évergète II défend de lever sur les revenus sacrés (Tebt. Pap., n. 5, lig. 59). Néanmoins, on voit la ½ artabe levée, vers 112 a. C., sur la terre sacrée (ibid., n. 98). Cf. Grenfell, ibid., pp. 228. 430. L’impôt était même de 1 artabe par aroure de terre sacrée et 1 kéramion de vin par aroure de vignoble sacerdotal avant l’exemption accordée par Épiphane (Inscr. Rosett., lig. 30-31).

[60] Il est, du reste, fort possible que ce régime ait été appliqué seulement aux terres consacrées par les clérouques et non pas aux anciens domaines sacerdotaux. Les clérouques n’avaient pas le droit d’aliéner leurs lots, et le Domaine ne pouvait leur permettre ces libéralités envers les temples qu’à la condition de garder sur les terres consacrées les mêmes droits que sur les κλήροι. Les prêtres eux-mêmes distinguent entre la ίερά γή et la γή άνιερωμένη, et on trouve sur les rôles de contributions la mention de terres consacrées par tels à telle date (par ex. Tebt. Pap., n. 60, 4.10-11 ; 63, lig. 19- 20 ; 187. 209, n. 62, lig. 9).

[61] Les temples avaient aussi des manufactures — moulins à huile, ateliers de tissage, etc. — exemptées, par tolérance spéciale, des monopoles royaux (cf. ci-après, ch. XXIV), où ces ouvriers pouvaient apprendre leur métier.

[62] Dans la pétition à laquelle répond l’édit royal de 149/30 a. C., (Tebt. Pap., n. 6), les prêtres énuméraient les sources de revenus à défendre contre les usurpations et la concurrence : 1° le revenu de la ίερά γή, et des terres consacrées par les clérouques ; 2° le produit de la collation des divers emplois dans les temples ; 3° le produit d’immeubles divers (ούσίαι, ou peut-être οίκίαι, au sens de maisons de rapport ou d’auberges et boutiques ?) : 4° les salaires des hiérodules ; 5° les collectes pour offrandes ; 6° τά έκ τών άφροδισίων. Il y avait de ces lupanars au Sérapeum de Memphis, à côté de l’auberge des Arsinoïtes (Pap. Par., n. 34). On sait que l’usage des prostitutions sacrées fut importé en Grèce avec le culte d’Aphrodite, notamment à Corinthe, où il y avait plus de mille ίερόδουλοι έταΐραι (Strabon, VIII, p. 378), sans compter celles qui étaient de condition libre (Athénée, XIII, p. 574 b). Les dieux complaisants mettaient leurs harems à la disposition de leurs fidèles. W. Otto (op. cit., p. 316) ne veut pas que les ίερόδουλοι soient des Tempelsklaven, ni surtout des prostituées. Ce sont, suivant lui, des prêtresses de classe inférieure, en dehors des cinq tribus. Il songe surtout aux célèbres Jumelles, dont nous aurons à parler plus d’une fois. Cependant, il convient que les άφροδίσια supposent des Tempelhetäre. Sur les immunités des hiérodules d’Abydos, exemptés de toute corvée gratuite par les Pharaons, voyez la charte de Neferkara, de la VIe dynastie (Maspero, in Recueil de travaux, XXVI [1904], pp. 236-238).

[63] Révillout (Précis, p. 493) la compare à l’abbaye de Saint-Germain dans l’ancien Paris.

[64] Pap. Grenf., I, n. 14 : inventaire d’un dépôt de meubles, marchandises diverses, bottes et flacons de parfums, etc., fait dans un temple de la Thébaïde, à la date du 23 Phaophi an XXXIII (de Philométor = 21 nov. 150 a. C., ou d’Évergète II = 18 nov. 139 a. C.). On peut sans doute supposer que ce dépôt était un nantissement gageant un prêt fait par le temple ou par le prêtre Patoûs au déposant (W. Otto, p. 319). Peu importe : c’est toujours une affaire impliquant un bénéfice. La présomption qui résulte de ce document est corroborée par ce que nous savons des temples grecs, qui faisaient office de dépôts et de banques. En Égypte, les magasins royaux et banques royales faisaient, à ce point de vue, concurrence aux temples.

[65] L’histoire des reclus du Serapeum, intimement liée à celle des Jumelles et connue par une soixantaine au moins de papyrus, serait ici un hors-d’œuvre. Il suffit de renvoyer à la bibliographie concernant le culte de Sérapis, en y ajoutant les commentaires de B. Peyron (Papiri greci), de Brunet de Presle (Pap. Paris) et le mémoire spécial de Révillout (Rev. Égyptol., I, pp. 160 sqq. II, pp. 143 sqq.). Le débat accessoire sur le sens de κάτοχοι — reclus ou possédés — est étranger à notre sujet. Si j’ai pu convaincre Dieterich (Berl. Phil. W., 1904, pp. 13-19), Wilcken et Otto tiennent toujours avec Preuschen pour les possédés.

[66] Voyez la traduction de l’άντίγραφον τών λύχνων démotique dans Révillout, Revue Égyptol., II, p. 78-83. Précis, p. 1251.

[67] Pap. Par., n. 42.

[68] Je ne puis qu’indiquer ici, même en les restreignant à l’époque ptolémaïque, les questions qui se posent à propos des hiérodules et les distinctions à introduire entre les esclaves nés et les esclaves volontaires, gens qui se sont liés par des vœux diversement conditionnés, depuis les κάτοχοι qui aliènent momentanément leur liberté personnelle jusqu’aux pères de famille qui engagent avec eux, dans une mesure variable, leurs biens et leur descendance. Pour les esclaves réfugiés, comme ceux qui, cherchant asile au T. d’Héraklès (Chonsou) à Canope, recevaient les stigmates divins et se donnaient (Hérodote, II, 113), nul doute : ils échangent la condition d’esclaves privés contre celle d’hiérodule. Mais Révillout cite des documents démotiques dont le sens est assez énigmatique. Un certain Hor, en l’an XXII d’un des derniers Ptolémées, se dit esclave de Sérapis et autres divinités, en s’engageant à payer une dîme (10 %) de ses biens au temple (Révillout, Mélanges, p. 185. Précis, pp. 493/4). C’est peut-être un fermier qui introduit de la rhétorique onctueuse dans son bail. Tel autre (Précis, p. 1278, 4) se déclare esclave d’Atenra en son cœur, par amour (sous réserves, Spiegelberg [Pap. dem. Strassb., n. 41] donnant de ce document une interprétation assez différente). Ptolémée fils de Glaucias est-il un hiérodule à temps, et les Jumelles des hiérodules à temps ou à vie, ou κάτοχοι et Jumelles sont-ils à classer en dehors des hiérodules ? Faut-il prendre pour des hiérodules ces légataires qui, à l’âge de 46 et 60 ans, sont sous la tutelle d’un κύριος (Révillout, Précis, p. 786, 1) ? D’après Révillout, ce seraient des hommes libres qui avaient consenti à être pour ce temple (un ίερόν οίκεΐον appartenant au testateur) loco servi. Enfin, W. Otto (pp. 315-316) oppose ici une négation radicale : il ne connaît, en fait d’esclaves dans les temples, que des domestiques (Haussklaven, οίκέται) au service particulier des prêtres, comme les δούλοι τών ίερέων τών ίερέων τοΰ Άμμωνος (Pap. Taur., VIII).

[69] Tebl. Pap., n. 5, lig. 83-84. Le droit d’asile finit par être accordé à la plupart des temples, si l’on en juge par ceux d’Evhéméria. Le statut du Sérapeum était le type de ce genre de privilèges. Ptolémée Alexandre concède l’άσυλία au T. de Horus à Athribis (Spiegelberg, Demot. Inschr., p. 22).

[70] Document démotique, du 21 Mésoré an XXXVII (10 sept. 133 a. C.), dans Révillout, Précis, pp. 659-660.

[71] Dans la pétition (Tebt. Pap., n. 6) relatée plus haut, les prêtres signalent à Évergète II comme leur appartenant des espèces de tirelires, et des troncs remplis, à Alexandrie et en province. Cf. W. Otto, p. 396, 2.

[72] Par exemple, des anneaux de bronze que l’on faisait tourner à titre de lustration (Heron., Pneumat., II, 32, p. 298 Schmidt).

[73] Heron., Pneumat., I, 21, p. 110 Schmidt. Cf. W. Otto, p. 396, et ci-dessus, chapitre XVIII, les vases à libations.

[74] Stèle de Menschieh (Rev. Archéol., 1883, II, p. 181 ; cf. 1889, I, p. 70 sqq. : règne de Trajan). Comme un malade est impur par définition, la taxe pouvait être exigée de tous les consultants. A Ptolémaïs, il s’agit de cultes (Asklépios et Hygie) et prêtres grecs, sur lesquels on sait fort peu de chose.

[75] Les prêtres de Soknopaiou Nésos sont βασιλικοί γεωργοί είς τόν τοϋ θεοΰ λόγον (Pap. Amherst, II, n. 35), c’est-à-dire pour le compte de la corporation : mais il est d’autres cas où l’on ne saurait dire si les prêtres spéculent pour le temple ou pour leur propre compte (cf. W. Otto, p. 281). Ils peuvent évidemment cultiver eux-mêmes les terres sacrées, ordinairement louées à des γεωργοί. Je ne crois pas cependant que le texte allégué comme preuve (Tebt. Pap., n. 63, lig. 18. Cf. n. 84, l. 93) doive être entendu dans ce sens. Menchès veut dire que la terre consacrée par les cavaliers a été attribuée διά τών ίερέων au grand dieu Soknebtynis, qui jouissait en plus d’une taxe sur les colombiers de Kerkéosiris.

[76] Sur le τελεστικόν ou droit de validation des offices sacerdotaux, voyez ci-après, ch. XXV.

[77] Sur l’affaire des Δίδυμαι, voyez ci-après, au chapitre XXX, traitant de la Juridiction. W. Otto (p. 318-379) estime le traitement annuel des Jumelles à environ 60 dr. d’argent par tête et le juge triple de celui des soldats appartenant à l’έπιγονή κατοίκων de Memphis, qui reçoivent 350 dr. de cuivre par mois (ci-après, ch. XXVII).

[78] Dédicace au dieu Séménouphis et aux dieux Épiphanes (Archiv f. Ppf., I, p. 207). Rappelons que, dans les temples égyptiens, les dieux-rois étaient σύνναοι des divinités indigènes.

[79] Strack, n. 95.

[80] Letronne, Recueil, I, pp. 389-406. Strack, n. 108. Letronne remarque que les trois premiers dieux ont leurs noms propres en égyptien, tandis que les autres n’ont que des qualificatifs ; Peten-p-Amentès (dieu de l’Amenti), Peten-setes (de l’Île de Sétis [Sehêl], d’où vient la stèle), Pelen-senes (de l’île du même nom, aujourd’hui Bigeh). Cf. table votive d’Edfou à Πτενσήνει θεώ μεγίστω, de l’an XXXV (de Philométor ou d’Évergète II, 147/6 ou 136/5 a. C.), dédiée par un greffier de la garnison d’Éléphantine, qui, moins savant, n’a pas reconnu en Ptensenes le dieu Hermès (Letronne, op. cit., I, p. 408). Inscription du temps d’Évergète II (CIG., 5073. Strack, n. 110. Dittenberger, OGIS., n. 131), provenant de Pselchis (Dakkeh).

[81] Il se dit [Περγαμ]ηνός de son lieu d’origine (Strack, n. 95) et plus tard Βερενικεύς (Strack, n. 108), comme démote de Ptolémaïs ; mais c’est bien le même personnage monté en grade, de diadoque et phrourarque devenu archisomatophylaque et stratège.

[82] C’est, comme le fait observer W. Otto (p. 43), un indice de fédération entre ces trois temples. Par contre, je ne crois pas que, comme le veut Otto (p. 224), Hérode ait été prêtre égyptien, et même de haut rang, avant d’être militaire. Les prêtres ont pu lui conférer, honoris causa, des titres dont il est assez fier tant qu’il n’est que commandant, et qu’il supprime quand il est stratège.

[83] Strack, n. 140. Nebieb = Magnus.

[84] Letronne, Recueil, I, p. 40. Strack, n. 88 : inscription du temps de Philométor. Apollon (Haroéris) associé au dieu-crocodile Souchos à Koptos (BCH., XX [1896], p. 169), ou Sobk à Ombos. Apollon était Horus le jeune à Edfou (Apollinopolis Magna), Horus l’ancien (Hor-ouer ou Haroéris) à Koûs (Apollinopolis Parva) et à Ombos. Thoéris assimilée à Athéna, que l’on reconnaissait aussi dans Neith, homonyme à nom renversé ; Maut = Héra ou Déméter ; Thot = Hermès ; Ptah = Héphæstos ; Imhotep = Asklépios, etc.

[85] Cf. Les prêtres Σούχου θεοΰ μεγίστου καί Άφροδίτες (Pap. Genf., I, n. 25, 27, 44. II, n. 33, 35). Pastophore τών έν Κροκοδίλων πόλει τοΰ Παθυρίτου Σούχου ίροΰ (ibid., I, n. 38). Cf. νήσος Άφροδίτης [Hathor] τής έν Παθύρει καί νήσος Λητοΰ [Nout] (Pap. Grenf., II, n. 15, col. 2). Assimilations diverses, d’Arsaphès-Héraklés, Geb-Kronos, etc. Cf. Wilcken in Archiv f. Ppf., II, p. 317. On rencontre même des combinaisons entre dieux grecs, ou plutôt dieux égyptiens déguisés, comme Hermès-Héraklès (Archiv f. Ppf., II, p. 519), probablement Thot-Chonsou. Il y avait longtemps que les philosophes grecs avaient essayé de simplifier le polythéisme en identifiant des divinités de nom différent, Hadès et Dionysos (Xénophane), Dionysos et Apollon (Eschyle), Zeus et Hadès (Euripide). Eschyle reconnaissait dans plusieurs divinités la Terre, πολλών όνομάτων μορφή μία (Prométhée, 210). Hérodote avait ébauché tout un syncrétisme gréco-égyptien, assimilant Anion à Zeus, Neith à Athéna, Horus à Apollon, la déesse de Boubaste à Artémis, Phtah à Héphæstos, Onouris à Arès, le bouc de Mendès à Pan, Apis à Épaphos, Isis à Déméter, Ouat déesse de Bouto à Léto, Osiris à Dionysos.

[86] Cf. l’ouvrage déjà cité de G. Colin.

[87] Inscription d’époque incertaine (an XXXIII), publiée par Maspero-Miller, Revue Archéol., 1883, p. 171, n. 1. Dittenberger, OGIS, n. 52.

[88] Pap. Grenf., II, n. 33 (ann. 100 a. C.) : n. 21, de l’an 113 a. C. BGU., n. 993, de l’an 128,1 a. C. Isis est partout : à Tehnéh (l’ancienne Akoris), elle était Isis Μωχιάς ou Λοχιάς Σώτειρα (Strack, n. 73), associée à Osiris, à Ammon, à Sobk (cf. G. Lefebvre, Inscriptions grecques de Tehnéh, in BCH., XXVII [1903], p. 341-390).

[89] Pap. Grenf., II, n. 33.

[90] Cf. C. Wessely, Die Stadt Arsinœ (Krokodilopolis) in griech. Zeit (SB. d. Wien. Akad., 1902, 4, pp. 1-58) ; Grenfell, in Fayûm Towns, Introd., p. 22, et l’Index VII des Tebt. Papyri. Sur l’Isis Nephersès (nefr-s = εΰθρονος) et Mestasutmis (dont les oreilles entendent), voyez W. Spiegelberg, in Rec. de travaux, etc., XXVI [1901], pp. 55-57. Temple Άγδίστει au temps de Philadelphe (P. Jouguet, in BCH., XX [1896], p. 398). En l’an XXXV de son règne, le 25 Thoth (18 nov. 251), Philadelphe alloue une subvention aux ίερεΐς Σούχου καί τής Φιλαδέλφου (Pap. Petr., I, n. 25, 2. III, n. 126).

[91] Voyez P. Jouguet, in C.-R. de l’Acad. des Inscr., 1902, pp. 352-339. L’identification avec le κύριος Ήρως ou Ήρων (BCH., XXIV [1900], p. 374), deo sancto Heroni (CIL., VI, 2803-2807), honoré par des cavaliers thraces, est de G. Lefebvre. Puis vient, à l’époque romaine, l’association aux Dioscures, et peut-être l’assimilation de Héron à Horus, le S. Georges antique (cf. M. Collignon, in C.-R. Acad. Inscr., 1903, pp. 446-118). Dans la Revue des Études anciennes, VI (1901), p. 159, P. Perdrizet trouve des arguments ingénieux en faveur de l’assimilation de Héron au dieu Toum. Ramsès II Si-Thom (fils de Toum) est appelé υίός Ήρωνος dans la traduction d’Horapollon (ap. Ammien Marcellin, XVII, 4, 18-23), et la ville de Toum (Pi-thom) s’est appelée Héroonpolis. Toum avait l’avantage d’être complètement anthropomorphe.

[92] Tebt. Pap., an. 82, l. 35 ; 83, l. 79, 83 ; 132.

[93] Tebt. Pap., n. 63.

[94] Tebt. Pap., n. 88.

[95] Tebt. Pap., n. 62, l. 5. 26 ; 82. A l’époque romaine, une διδραχμία τοΰ Σούχου, surtaxe de l’έγκύκλιον, était prélevée au nom et profit du Souchos du Fayoum (BGU., n. 748 III). En Thébaïde, une dîme proportionnelle était due au clergé à l’époque ptolémaïque.

[96] A savoir (n. 63, l. 18-21), 100 aroures consacrées en l’an XLI (130/29 a. C.) et 30 en l’an XLII (129/8 a. C.). Soknebtynis avait encore droit au tiers du produit de la taxe sur les colombiers de Kerkéosiris (Tebt. Pap., n. 84, l. 9-10, rapport de Menchès, de l’an LIII = 118 a. C.). Par des rapports et comptes de comogrammates, à peu près de la même époque (Tebt. Pap., n. 62, 63, 89, 98, 114, 115), on voit que, comme le Sobk de Crocodilopolis, le Sobk de Tebtynis avait des rentes en divers lieux. Dans un village où le dieu local Soukéabonthis a 4 aroures 1/4 de terre, des versements annuels sont faits Σοκνεβτύνει et είερεΐ Σουκνεβτύνιος, ίερεΐ Τεβτύνεως (Tebt. Pap., n. 115).

[97] Tebt. Pap., n. 39, l. 22.

[98] Tebt. Pap., n. 14, l. 18.

[99] Grenfell, in Tebl. Pap., p. 544. La fraction δ' η' (1/4 + 1/8) est, comme celle de 5/12, une des plus employées dans les comptes (cf. n. 63, l. 26 ; 88, l. 14).

[100] Marrès et frères ont acheté leur charge au Trésor le 18 Phaophi an III (7 nov. 115 a. C.). Pétosiris et frères, desservants du second Thoériéon, ont hérité la leur παρά πατρός. Ils ont droit, les uns et les autres, au 1/5 du revenu. Un certain Héros possède le 1/6 du Διοσκουρεΐον. Tous les desservants des temples égyptiens du bourg paraissent avoir le titre de prophètes (Tebl. Pap., n. 88).

[101] Dans un compte (de l’an 61 a. C. ? Tebl. Pap., n. 120) figurent des contributions έκ Κερκεθοήρεως (l. 70) et είς Κερκεθοήριν (l. 24), είς Κερκεθοήριν.... είς τό Ίσιήον (l. 80-82), mentions suivies de noms de particuliers, δι' Άμμωνίου, δι' Έρμίου, etc. Les textes concernant les collectes pour les prêtres sont de l’époque romaine (Wilcken, Ostr., I, pp. 253-256). Voyez le paragraphe consacré par W. Otto (p. 391-403) aux contributions des particuliers. La plupart des textes sont de l’époque romaine. De l’époque ptolémaïque sont relatés des sacrifices, des dépenses pour le deuil de Mnévis, des dons d’huile, pour les lampes, encens, bois à brûler (p. 392, 3).

[102] Voyez les quatre rapports du comogrammate de Magdola (Tebt. Pap., n. 80-83), dont le plus important pour notre sujet (n. 82) est daté du 15 Pharmouthi an II (3 mai 115 a. C.).

[103] Tebt. Pap., n. 83, l. 75-83.

[104] Pap. Amh., II, n. 40. Il s’agit de 25 aroures, qui pouvaient n’être qu’une fraction du domaine. Cf. la monographie de C. Wessely, Karanis und Soknopaiou Nesos.

[105] Sur la circoncision dans l’un et l’autre sexe, cf. B. Peyron, Pap. XV (du Sérapeum de Memphis) : Wilcken, Die Aegyptischen Beschneidungsurkunden (de l’époque romaine), in Archiv f. Ppf.. II, pp. 1-13. Discussion sur le caractère exclusivement sacerdotal de cette pratique, thèse soutenue par Reitzenstein, combattue par H. Gunkel et P. Wendland (ibid., p. 13-31), auxquels se rallie W. Otto (p. 214). Les règlements concernant les habits de lin et la tonsure (Hérodote, II, 36) sont encore maintenus à l’époque romaine, comme le montre une enquête concernant un prêtre du T. de Soknopaios, en l’an 159/60 p. Chr. (BGU., n. 16. Cf. W. Otto, p. 63).

[106] A Kerkéosiris, si la rente du domaine sacré de Soknebtynis est servie διά τών ίερέων (?), ces prêtres ont des γεωργοί pour le travail matériel (Tebt. Pap., n. 63, l. 18-23).

[107] Pap. Amherst, II, n. 35, du 22 Épiphi an XXXVIII (12 août 132 a. C.). Ils accusent le λεσώνις d’un détournement de 225 artabes de blé, et ils invoquent auprès du stratège la reconnaissance que celui-ci doit au dieu Soknopaïs et à Isis Néphorsès pour sa guérison. Sur la λεσωνεία et le titre de λεσώνις ou λεσώνης, mr šn en démotique (Pap. Amh., II, n. 35, 40-41), rapproché de celui de λασάνι (Lepsius, Denkm., Ahth. VI, Inscr. gr., n. 349 = CIG., 5033), voyez Spiegelberg, Der Titel ΛΕΣΩΝΙΣ, in Rec. d. travaux, XXV (1902), pp. 187-189 ; Wilcken, in Archiv f. Ppf., II, pp. 122-123 ; W. Otto, op. cit., pp. 39. 49. 238-9. Niloupolis était sur la limite S.-E. du Fayoum.

[108] Pap. Amherst, II, n. 40, du IIe siècle a. C. Cf., de la même époque, ibid., n. 41 : Diodore avertit les prêtres de Soknopaiou Nésos qu’il a envoyé un agent pour mettre le grenier sous scellés. Fragments de pétitions (ibid., n. 34) provenant (des prêtres ?) de Soknopaiou Nésos, adressées à l’épimélète, au basilicogrammate et au roi, en l’an XXV (de Philométor ?). Sur le clergé de Soknopaiou Nésos à l’époque romaine, voyez Wessely, Karanis, pp. 67-11. Cf. la fondation d’Anicétos, économe, et de ses employés, rente annuelle de 182 ½ artabes de blé, soit ½ artabe par jour, rente qui sera servie par ses successeurs, au tarif indiqué par Anicétos (Strack, n. 115, du 7 Athyr an XX de Ptolémée Alexandre = 21 nov. 95 a. C.). Il est assez singulier, que l’économe Anicétos s’arroge le droit d’engager ses successeurs, comme s’il était propriétaire de sa charge. Fondation identique d’Apollonios, pour l’an XIX (Strack, n. 141).

[109] C’est l’interprétation conjecturale que me suggère un reçu de la banque (de Crocodilopolis ?) de l’an IX (Fayûm Towns, n. 18). Cet an IX pourrait bien appartenir au règne de Ptolémée Aulète, qui fut toujours à court d’argent et en prenait partout où il savait en trouver.

[110] Avec d’immenses richesses mobilières, esclaves, têtes de bétail, vases sacrés et lingots d’or et d’argent, etc. Cf. A. Erman, op. cit.

[111] On sait que les Lagides, durant plus d’un siècle, ont englouti des sommes énormes dans la construction du T. d’Edfou. Aux prêtres d’Éléphantine, Ptolémée Soter II assigne une subvention annuelle de 200 artabes de blé à prendre sur les confins de l’Éthiopie (Strack, n. 140 : stèle d’Assouan). Les Ptolémées ont fait étalage de zèle religieux partout, excepté à Thèbes, à qui ils ont même enlevé son nom glorieux, remplacé par Diospolis la Grande. Il y avait en Égypte quatre autres Διοσπόλεις (Steph. Byz., s. v.), dont Diospolis la Petite (Hôu).

[112] BGU., n. 993. En général, les prêtres étaient de service à tour de rôle durant un mois : le tour de Psentothès revenait donc tous les trois mois. Άγνεύειν est le terme technique pour qualifier le service religieux, accompagné de purifications par jeûne et continence. Cf. W. Otto, p. 25.

[113] Il y avait là matière à abus signalés dans l’ordonnance d’Évergète II (Tebl. Pap., n. 5). Aux prêtres qui ont acheté aux temples des charges comme celles de prophète et de scribe, le roi défend de les céder à d’autres (lig. 80-82). Sur les prébendes et rations sacerdotales dans l’ancienne Égypte, voyez Borchardt, Besoldungsverhältnisse von Priestern im mittleren Reiche (Z. f. Aeg. Spr., XL [1903], pp. 113-117).

[114] Wilcken, Ostr., I, pp. 221-223, du IIe siècle a. C. De même, à Thèbes, reçu de 300 dr. d’argent [ύπέρ] Ίσιδος (ibid., p. 223).

[115] Wilcken, Ostr., I, pp. 146-147, 223 : cinq quittances du IIe siècle a. C. C’était une sorte de censive ou redevance pour investiture autorisant à pratiquer le culte d’Ammon. On se demande quel pouvait bien être l’effectif du personnel des grands temples, quand on voit le temple de Soknopaiou Nésos, une simple bourgade, compter, à l’époque romaine, 31 prêtres dans une seule des cinq tribus sacerdotales (W. Otto, p. 36).

[116] Col. 43, l. 11-12 ; col. 44, l. 3.

[117] Cf. Pap. Petr., II, n. 15, 1 a, l. 4. Tebt. Pap., n. 5, l. 187, 250.

[118] Cf. Paul M. Meyer, Heerwesen, pp. 55-57.

[119] Revenue Laws, col. 36, l. 15.

[120] Voyez les textes (Brit. Mus., 5849. Berl. Mus., 8131) dans Wilcken (Ostr., I, p. 65, 1). Le premier, déjà publié par E. Révillout, porte la date du 18 sept. 254 a. C.

[121] Papyrus bilingue, publié par Révillout en 1891, et en dernier lieu par L. Griffith (1901), dans les Proceed. Soc. Bibl. Arch., XIV et XXIII : voyez ci-après, chap. XXVIII. Ce τέλος δωρεάς est si minime qu’il semble réduit à un pur symbole, comme l’achat nummo uno. Wilcken (Ostr., I, p. 362) n’y veut voir que le coût des frais de bureau, les honoraires du τελώνιον. Ce serait, pour un fait qui devait être commun, une mention bien rare et même unique jusqu’ici. W. Otto (p. 268, 2) rejette la théorie de P. Meyer sur la ίερά γή origine de la γή έν δωρεά, mais approuve, contre Wilcken, son interprétation symbolique du τέλος δωρεάς.

[122] BGU., n. 1010. La lettre est datée de Phaophi an XXIX, date que l’éditeur du texte (Schubart) interprète comme pouvant correspondre à déc. 219 a. C. Il oublie que Ptolémée III n’a régné que 26 ans. Si l’on ne veut remonter jusqu’à Philadelphe (251/6 a. C.), il faut descendre au moins au règne de Philométor (153 a. C.) ou d’Évergète II (142/1 a. C.).

[123] Le sens d’acquit-à-caution ou laissez-passer pour σύμβολος est d’usage courant dans les Revenue Laws (col. 52. 53. 89. 91. 99).

[124] W. Otto (p. 286) signale l’existence de propriétés laïques dans les domaines de divers temples, notamment des παστοφόρια, probablement convertis en propriétés privées par des familles sacerdotales. Au temps de Ramsès II, d’après Révillout (Précis, p. 103), il y avait sur les neter hotep trois degrés de possession : d’abord, celle du dieu propriétaire ; puis, celle du prêtre qui percevait le produit de son lot contre une redevance au temple ; enfin, celle du tenancier ou cultivateur. On rencontre des domaines individuels de prêtres ainsi dotés sur les terres des temples dès la nie dynastie.

[125] Le domaine de Ptolémée de Telmesse, visé dans les traités comme une sorte de petit État souverain, pourrait avoir été constitué de cette façon et être un type de ce genre de propriété, dont l’inviolabilité ne se comprendrait pas sans le caractère sacré.

[126] Voyez, dans les inscriptions hiéroglyphiques réunies par K. Sethe, le prince d’Héracléopolis, contemporain d’Alexandre le Grand (n. 1), et ce prince de Koptos, chambellan de la reine Arsinoé Ire (?), qui était assez riche pour agrandir le T. de Min à Koptos et faire exécuter des travaux dans d’autres sanctuaires, notamment à Koûs (Apollinopolis Parva), où il offrit une chapelle monolithe en basalte vert à Harsiésis (n. 14, 18). Une inscription du temps de Ramsès II, découverte en 1899 par V. Loret, nous a conservé l’histoire des débats relatifs à la propriété d’un fief concédé par Ahmosis Ier à un certain Neshà près de Memphis (Al. Moret, Un procès de famille sous la XIe dynastie, in Z. f. Aeg. Spr., XXXIX [1901], pp. 11-39).

[127] Cf. Diodore, I, 13, 6.

[128] Pap. Magdola, n. 28. La pétition est adressée au roi, mais destinée en réalité au stratège. L’apostille du stratège est datée du 13 janvier 218 a. C.

[129] Déjà les éditeurs des Revenue Laws, qui ont été les premiers à proposer des solutions, en ont proposé de sensiblement divergentes. Pour Mahaffy, la δωρεά est une possession non héréditaire d’une partie des revenus d’un bourg ou du produit d’une seule taxe, la σύνταξις comprenant tout le revenu. P. Grenfell pense, avec Lombroso, que la δωρεά emporte la possession et administration du sol ; la σύνταξις, la jouissance de tout ou partie du revenu. Paul M. Meyer fait valoir coutre eux le caractère d’ίερά γή primitivement attaché à ces concessions et le sens spécifique de σύνταξις — allocation au clergé — dans la pierre de Rosette. Il définit la γή έν δωρεά une terre jadis sacrée, confisquée par l’État et distribuée par lui à des vétérans, comme les κλήροι du Fayoum ; tandis que la γή έν συντάξει serait une terre sacrée concédée à des particuliers contre une σύνταξις annuelle à payer aux prêtres du dieu qui en avait été le propriétaire. En somme, il efface à peu près toute distinction entre la δωρεά et le κλήρος, entre la γή έν συντάξει et les biens du clergé. Il ne reste que la marque d’origine, et, sur ce point, le papyrus de Magdola, qu’il ne connaissait point encore, montre que la 8toped ne provenait pas partout du démembrement d’un domaine sacré. Il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas ici de la 8oped en général, mais de la γή έν δωρεά. La δωρεά peut être un privilège quelconque. Ainsi, le Pseudo Callisthène, après avoir énuméré les privilèges des prêtres d’Alexandre, ajoute : καί μένει αΰτη ή δωρεά αύτοΐς τε καί τοΐς έγγόνοις. De même, dans une lettre en date du 4 Gorpiteos ou 11 Choiak an XVI (d’Évergète = 28 janv. 231 a. C.), le diœcète (?) avertit que, par édits royaux, un 1/5 des droits à percevoir sur la rédaction des contrats égyptiens a été cédé τοΐς έχουσι τήν δωρεάν (Pap. Petr., III, n. 57 s). C’est une δωρεά comme l’entend Mahaffy. Mais quand le roi concède la terre, il concède la propriété — temporaire ou non — du sol, avec l’immunité qu’implique le droit de propriété complète.

[130] Voyez les textes cités par W. Otto (p. 368, I) et par Smyly dans les Pap. Petr., III, pp. 219-220 : v. g., Athénée, XI, p. 494 e. Diodore, I, 75, 4. Pap. Oxyr., I, n.167. Fayûm Towns, n. 302, etc. Cf. Révillout, Précis, pp. 664-5. Nous rencontrerons même plus loin σύνταξις au sens de contribution collective.

[131] Sur le sens de cette expression, sens très discuté, voyez Grenfell-Hunt (Tebt. Pap., ad n. 5, lig. 36, pp. 34-36), qui proposent avec hésitation l’opinion adoptée ci-dessus. Lumbroso (p. 90) considère les terres en rémission (έν άφεσει) comme déchargées de tout ou partie de l’impôt foncier. E. Révillout (Cours de droit égyptien, p. 137) est tenté de les comparer aux fundi derelicti du Bas-Empire. P. Meyer (p. 42) entend par άφεσις l’inondation artificielle (Pap. Petr., II, n. 13, 37, 42) et traduit γή έν άφεσει par Land das künstlich zur Zeit der Nilüberschwemmung durch Oeffnen der Schleusen unter Wasser gesetzt ist. Mais άφεσις est aussi employé au sens de permission de récolter (Pap. Petr., II, n. 2, 1, l. 9-10. Pap. Amherst, n. 43, l. 7-8), et on ne rencontre, en fait de terres έν άφεσει, que des terres théoriquement domaniales ou sacrées.

[132] D’après le rapport détaillé (340 lignes) du comogrammate Menchès (Tebt. Pap., 62). En comparant divers rapports allant de 120 à 111 a. C., P. Grenfell (p. 538) établit le cadastre de Kerkéosiris.

[133] Hérodote, II, 166-168 (160.000 Hermotyhies et 250.000 Calasiries). Cf. Diodore (I, 27. 54. 73) et les chiffres formidables (624.000 hommes et plus de 1.700 officiers supérieurs) qu’il donne pour l’armée de Sésostris.

[134] La majeure partie de nos papyrus provenant du Fayoum, c’est-à-dire d’un nome où le sol, conquis sur le lac Mœris par des travaux publics, avait été d’abord par cela même γή βασιλική, on n’y rencontre que rarement des expressions d’où l’on puisse inférer qu’il y existait des propriétaires, au sens vrai du mot, par ex. dans Tebt. Pap., n. 5, lig. 111 ; BGU., n. 94. 139. 163 etc., ép. rom. Cependant, dans d’autres édits de la même année 118 a. C. (Tebt. Pap., n. 124, lig. 32 et 39), il est question de propriétaires obérés qui se sont faits colons. Le terme de κύριοι, qui parait bien désigner des propriétaires libres, se rencontre dans une ordonnance de Philadelphe, en date de 272/1 a. C. (Pap. Petr., II, n. 8, 1 b. III, n. 20, 3 v.), qui défend de les violenter, c’est-à-dire de les exproprier. Enfin, Évergète II (Tebt. Pap., n. 5, lig. 99-101) reconnaît formellement comme propriétaires ceux qui ont acheté au Domaine royal des maisons ou des vignobles ou des jardins, ou autre chose quelconque. Tout cela doit rester leur propriété, et les maisons notamment sont exemptes de réquisitions pour logement de soldats. La difficulté de s’orienter dans ces questions de propriété vient de ce qu’il n’y a point de différence, en pratique, entre la possession ou location héréditaire (Tebt. Pap., n. 5, lig. 12) et la propriété, du moment que celle-ci est également grevée d’une redevance à l’État. Cf. L. Mitteis, Z. Gesch. der Erbpacht im Alterthum (Abh. d. K. Sächs. Ges., XX, 4 [1903], p. 10 sqq.), et S. Waszynski, Die Bodenpacht, agrargesch. Papyrusstudien (Leipzig, 1905), qui se prononce nettement (pp. 51-57) pour la propriété privée. On a mentionné plus haut l’opinion négative de H. Maspero. En tout cas, le régime  égyptien de la propriété ne s’appliquait ni à la γή έν δωρεά, ni aux villes grecques, qui jouissaient sous ce rapport d’une sorte d’exterritorialité.

[135] Voyez l’exposé et la bibliographie du sujet dans G. Busolt, Griech. Gesch., pp. 415 sqq. III, 1, pp. 411-418. A comparer la colonisation romaine ou latine, régie par les mêmes principes.

[136] CIA., IV, I, n. 1 a, p. 57. P. Foucart, in BCH., XII (1888), pp. 1-8.

[137] Les clérouques de Lesbos furent autorisés à louer leurs lots, qui leur rapportaient 200 dr. de fermage (Thucydide, III, 50).

[138] P. Meyer (p. 28) fait dater la première clérouchie au Fayoum de la fin de la première guerre de Syrie (214/3), date que nous avons reportée en 211. Le plus ancien document qui y fasse allusion (Pap. Petr., II, n. 8, 1 b. III, n. 20, p. 41) date de l’an XIV (272/1). Sur les κάτοικοι dans les États des Séleucides et Attalides, colons enrôlés dans l’armée active, voyez P. Ghione, I Comuni del regno di Pergamo (Mem. d. R. Accad. di Torino, 1904), p. 98.

[139] P. Meyer affirme (p. 42) que les clérouques du temps de Philadelphe n’avaient pas le droit de louer leurs terres, mais qu’Évergète Ier convertit les κλήροι en propriété légitime, ce que Schubart (Quæst., p. 6, 1) nie formellement, et avec raison, à mon sens. En tout cas, les règlements concernant les attaches du clérouque à sa patrie d’origine, la vie politique et la juridiction dans les communes des clérouques, n’avaient plus de raison d’être, sauf pour les clérouques Macédoniens qui sont inscrits dans les tribus et dèmes d’Alexandrie et de Ptolémaïs.

[140] Des textes discutés par P. Grenfell (pp. 567-569), ce savant conclut que, pour les terres arables alloties contre la règle, qui est de ne concéder que de la terre à défricher, le clérouque devait payer une année de revenu.

[141] Cf. Pap. Petr., II, n. 38 a. — Sosibios, Macédonien τών ύπό Φυλέα, possesseur de 30 aroures, en loue les 2/3 et cultive le reste.

[142] P. Meyer admet la libera testamentifactio pour les clérouques, à partir du temps d’Évergète II (p. 43) ; Schubart (p. 24) la nie, le κλήρος devant aller nécessairement au fils acné, ou, à défaut d’héritier, retourner au Domaine. L’opinion moyenne est que c’était la coutume, sinon le droit (Révillout, Mélanges, p. 370). La défense ne porte pas sur le σταθμός (ci-après, ch. XXVII).

[143] Cf., dans Pap. Petr., III, n. 104-106, des conventions en vertu desquelles la rente d’un lot confisqué doit être désormais payée à l’État par le γεωργός actuellement locataire.

[144] Philadelphe exige la taxe de tous ceux qui en possèdent ou en exploitent à un titre quelconque, clérouques, acheteurs ou bénéficiers à privilège (Rev. Laws, col. 36).

[145] Voyez Tebt. Pap., n. 61 b, lig. 254, et le commentaire de P. Grenfell (ibid., p. 224). L’épithète χρυσικός ou χρυσοΰς dans Tebt. Pap., n. 60, l. 102, 104 ; 72, l. 297 ; 101, l. 5 ; 124, l. 14 (στεφανικός χουσός, trad. de aurum coronarium à l’époque romaine : cf. Wilcken, Ostr., I, p. 299). Cet adjectif est de nature décorative, comme le substantif στέφανος (Suidas, s. v.) ; la couronne pouvait être acquittée en argent ou en blé. On rencontre encore un impôt qualifié στέφανος κατά κοινόν (Tebl. Pap., n. 99, lig. 59, de l’an 148 a. C.), qui est payé par le cavalier Irénée, taxé à 58 artabes de blé pour la couronne de l’an XXIV (de Philométor). Il s’agit probablement d’une souscription en commun pour une couronne offerte au roi en 158/7 a. C., souscription à laquelle Irénée devait depuis dix ans sa quote-part.

[146] Voyez Petr. Pap., II, n. 39 e. III, n. 109-110. Tebt. Pap., n. 5, lig. 49 ; 102. Wilcken (I, p. 382) constate que la taxe était ordinairement payée en blé. Mais un reçu atteste que Mélas, clérouque de Tebtynis, a versé 8 dr. d’argent et 1,200 dr. de cuivre pour une année (Tebt. Pap., n. 102). Sur le sens controversé du travail en corvée appelé ναύβια (Pap. Par., n. 66. Petr., I, n. 22. III, n. 37. Tebt., n. 5, 76, 119. Oxyrh., II, pp. 296-7), voyez Wilcken, I, pp. 259-263 ; Smyly, in Pap. Petr., III, pp. 339-347, et ci-après, ch. XXV.

[147] Tebt. Pap., n. 5, 100, 119 : ci-dessus, p. 169. Il va sans dire que l’interprétation est conjecturale. Voyez les comptes rangés sous la rubrique Military Taxes dans les Pap. Petr., III, n. 108-112, pp. 263-290. L’άλική, le χωματικόν et le φυλακιτικόν sont les plus fréquentes, avec le φόρος χήνων τοκάδων. Nous aurons occasion de revenir, au ch. XXV, sur ces taxes.

[148] Voyez Tebt. Pap., n. 5, 61, 119. P. Grenfell (ad loc., p. 39-40) se prononce contre l’opinion de Wilcken, qui considère l’έπιγραφή comme l’impôt foncier permanent, ce titre convenant mieux à l’άρταβιεία. D’autre part, l’έπιγραφή ne peut pas être identifiée avec l’άρταβιεία, car les deux taxes sont mentionnées séparément dans le Tebt. Pap., n. 99, où l’έπιγραφή est payée en argent. Le taux de l’artabe par aroure était connu comme le tarif des κάτοικοι encore à l’époque romaine (Pap. Bruxell., I, in Musée Belge, VIII, 2 [1904], pp. 101-117).

[149] L’είσφορά est à Athènes le nom du tribut ou impôt de guerre levé, à titre exceptionnel, sur les citoyens. Le terme apparaît dans les Tebt. Pap. (n. 36, 89, 98, 99, 105, 124, 232) et désigne un impôt de ½ artabe ou 1 artabe par aroure, analogue aux άρταβιεία et à l’έπιγραφή et levé par occasion (Tebt. Pap., n. 124, lig. 35), même sur la terre sacrée. Cf. P. Grenfell, op. cit., pp. 39-40. 431. Nous verrons plus loin, au ch. XXV, l’έπιγραφή synonyme (dans le Pap. Par., n. 63) de surcharge ou corvée.

[150] Petr. Pap., II, n. 39 e. III, n. 110 a. 54 b. Il s’agit de versements successifs, mentionnés deux fois pour άνιππία (col. a, lig. 15 ; col. b, lig. 9), et une fois comme φόρος ΐππων (col. b, lig. 2). L’autre clérouque n’est taxé que pour άνιππία.

[151] Quant à l’άνιππία, les Tebt. Pap. (n. 99, lig. 56-61) n’ont pas éclairci le problème posé par les Par. Pap., II, n. 39 e. Du même texte d’Hérodote disant que, depuis les travaux d’irrigation, Αΐγυπτος έοΰσα πεδιάς άνιππος καί άναμάξευτος γέγουε (II, 108), Wilcken (Ostr., I, p. 345) et Lumbroso (Rendic. d. R. Accad. dei Lincei, XI [1903], p. 584) tirent des conclusions inverses. L’άνιππία serait une taxe employée à rendre la πεδιάς άνιππος praticable pour la cavalerie (Wilcken), ou à faciliter les transports par eau pour supprimer les transports par chevaux (Lumbroso). Smyly (in Pap. Petr., III, pp. 277-8) suppose que l’άνιππος est un cavalier incapable de monter à cheval, qui paie à la fois une taxe et une sorte d’amende pour son incapacité. H. Maspero (op. cit., pp. 110-1) propose de considérer le φόρος ΐππων comme une taxe sur les chevaux de ferme (ou plutôt de trait : explication plausible), et l’άνιππία comme une restitution (partielle) à l’État de l’ίπποτροφικόν fourni pour le cheval de guerre que devrait avoir l’άνιππος. On ne sait pas davantage ce que pouvait être la taxe dite (ibid.) βύρσα (cf. Wilcken, I, p. 352).