HISTOIRE DES LAGIDES

TOME DEUXIÈME. — DÉCADENCE ET FIN DE LA DYNASTIE (181-30 avant J.-C.)

 

CHAPITRE XIV. — PTOLÉMÉE XIII PHILOPATOR II PHILADELPHE NÉOS DIONYSOS [AULÉTÈS] (80-51). BÉRÉNICE IV (58-55).

 

 

Le roi improvisé par les Alexandrins pouvait avoir alors une quinzaine d’années. Il avait probablement été élevé, ainsi que son frère, le roi de Cypre, en Syrie[1]. Si leur père, Ptolémée Lathyros, ne les avait pas introduits dans sa famille légitime, il ne les avait pas non plus délaissés. En tout cas, leur existence ne devait pas être inconnue des Alexandrins, qui surent bien vite où les trouver. Il est possible, bien que ce genre d’interprétation inspire peu de confiance, que le Bâtard ait voulu se légitimer en prenant les titres de Philopator et de Philadelphe. Il affirmait par là sa filiation, en rappelant le souvenir de son père et de sa sœur assassinée.

Nous ignorons comment on compléta le couple royal exigé par la religion monarchique. Appien croit savoir que Mithridate avait fiancé deux de ses filles, Mithridatis et Nysa, aux rois d’Égypte et de Cypre[2], et il y a apparence que ces propositions ont été faites au temps où nous sommes, alors qu’il se préparait à reprendre la lutte contre Rome et se cherchait des alliés. On a vu, par la façon dont il en avait usé avec Alexandre II, qu’il devait suivre de près les affaires d’Égypte, et il ne fut sans doute pas le dernier informé de l’avènement des nouveaux rois. Ceux-ci se trouvaient, en fait et malgré qu’ils en eussent, menacés par l’hostilité probable des Romains, et l’occasion était bonne pour Mithridate de reprendre avec eux les projets qu’avait dérangés la fuite d’Alexandre II. Mais les Alexandrins, qui, pour sauver leur indépendance, avaient risqué une rupture avec Rome, n’entendaient pas la consommer de leur propre initiative, par une alliance avouée avec Mithridate. Ils jugèrent plus prudent, plus conforme aussi à une coutume à laquelle il n’avait pas été dérogé depuis le règne de Ptolémée Épiphane, de ne pas introduire de princesses étrangères dans la lignée dynastique. Un papyrus démotique nous apprend qu’en la troisième année de son règne (mai 78), le roi d’Égypte avait déjà une épouse-sœur, Cléopâtre surnommée Tryphæna, laquelle formait avec lui le couple des dieux Philopators Philadelphes[3]. On avait dû prendre, dans la descendance illégitime des Lagides, quelque sœur plus ou moins authentique pour jouer le rôle d’épouse de sang divin. Le roi fut couronné à Memphis, en mars 76, à l’équinoxe de printemps, par le grand-prêtre Paserenptah, qui a relevé le fait, glorieux pour lui, dans son épitaphe[4]. Toute satisfaction était donnée aux coutumes nationales, et ce n’est pas en Égypte que l’on contesta désormais les droits du Bâtard, appelé à régénérer la dynastie éteinte.

 

§ I. — PTOLÉMÉE ROI CONTESTÉ, INVESTI, DÉTRÔNÉ (80-58).

Mais ces droits, tantôt en raison de cette origine irrégulière, tantôt en conséquence du testament d’Alexandre II, tantôt pour cause d’indignité reprochée au monarque lorsqu’on le sut ou qu’on le dit libertin, ivrogne et oublieux de sa dignité jusqu’à jouer de la flûte, — ces droits, dis-je, allaient être perpétuellement remis en question à Rome. Le Sénat avait pris, dès le début, une attitude équivoque. Il affecta de considérer comme valable le testament du feu roi, dont on parla pendant vingt ans sans jamais en produire le texte : mais il se contenta de prendre livraison de la cassette royale déposée à Tyr et s’abstint provisoirement de toute ingérence à Alexandrie. Il avait laissé faire, mais n’avait rien approuvé officiellement. Au fond, comme on le vit par la suite, le parti aristocratique, alors au pouvoir, jugeait que l’heure n’était pas venue de prendre possession de l’Égypte, d’un royaume habitué de temps immémorial au régime monarchique et qui, sous un roi non reconnu, fournirait matière à des combinaisons lucratives. Le Sénat pouvait toujours se saisir ou être saisi de la question à laquelle étaient suspendus tant d’intérêts divers. Ptolémée Aulète a passé sa vie à plaider devant le Sénat, à acheter avocats et juges ; usant de la corruption pour prévenir de nouvelles chicanes, de la violence pour écarter les témoignages déplaisants ; toujours inquiet, toujours obéré, pressurant son peuple pour satisfaire ses insatiables protecteurs et multipliant ses exactions pour lutter contre l’impopularité que lui valaient ses exactions mêmes ; tout cela, sans venir à bout — du moins jusqu’en 59 — de convertir en propriété reconnue et garantie la souveraineté qu’on voulait bien lui laisser à titre de possession précaire.

Ce procès, sans cesse pendant, commença en 75 par les revendications de Cléopâtre-Séléné, fille de Ptolémée Évergète II, successivement mariée à son frère Ptolémée Lathyre, puis à trois Séleucides. De tous ces mariages, faits et défaits par la politique, il restait à Séléné deux enfants mâles, fils probablement de son dernier mari, Antiochos X le Pieux[5]. La Syrie s’étant donnée à Tigrane en 83, par lassitude des guerres civiles, ces jeunes prétendants, réfugiés avec leur mère en Cilicie[6], se trouvaient dans une situation humiliante et sans autre recours qu’à la providence romaine. Quand Séléné vit que les Romains ne se décidaient pas à prendre possession de l’Égypte et que, d’autre part, Tigrane, gendre de Mithridate, avait chance de devenir à leurs yeux suspect ou ennemi, elle s’enhardit à réclamer pour ses fils la Syrie et l’Égypte, l’héritage de deux dynasties dont l’une au moins, celle des Lagides, n’avait plus d’autre représentant légitime qu’elle-même. Elle envoya donc à Rome ses deux fils. Elle s’était procuré assez d’argent pour que les jeunes princes pussent faire figure dans la grande ville, offrir des présents aux dieux et sans doute quelques menus cadeaux aux hommes influents.

Le Sénat fut fort embarrassé de cette visite. Il ne lui en coûtait aucunement de reconnaître les droits des Séleucides sur le royaume de Syrie, à charge pour eux de les faire valoir d’une manière efficace. La question ne fut même pas posée, sous prétexte qu’il n’y avait pas lieu à discussion sur ce point[7]. On évita ainsi une séance dont Tigrane aurait pu entendre parler trop tôt, en un moment où Sertorius tenait deux armées en échec et où Mithridate épiait l’occasion de recommencer la guerre. Quant à l’Égypte, elle était aux mains d’un client docile, et le Sénat ne se souciait pas de préparer, par quelque vote inconsidéré, la réunion de l’Égypte et de la Syrie sous le sceptre d’une même famille. L’audience qu’attendaient les prétendants fut indéfiniment ajournée, si bien qu’au bout de deux ans, comprenant qu’ils n’obtiendraient rien des Romains occupés par trois guerres à soutenir en même temps contre Sertorius, contre Mithridate, contre Spartacus[8], ils prirent le parti de retourner chez eux. Nous ne saurions même rien de cet incident si l’un d’eux, Antiochos, n’avait eu la malencontreuse idée de passer au retour par la Sicile, où il fut indignement volé par le préteur C. Verrès (73). Mais, pour Ptolémée Aulète, la démarche des jeunes Séleucides dut être une sérieuse alerte. Ces rivaux n’étaient pas bien redoutables par eux-mêmes, mais leurs instances pouvaient amener le Sénat à supprimer l’objet du litige en réunissant l’Égypte aux possessions romaines. Précisément, comme pour montrer que les réflexions des hommes d’État s’engageaient dans cette voie, les Romains se décidaient en 74 à organiser la Cyrénaïque en province romaine[9]. Si, après avoir tergiversé durant vingt-deux ans, ils prenaient le parti de faire valoir le testament d’Apion, n’était-ce pas parce qu’ils se préparaient à appliquer aussi celui d’Alexandre II ? Comme par une sorte de fatalité, il ne fut question que de testaments royaux en cette année 74. C’est à ce moment que Nicomède III légua la Bithynie aux Romains[10], lesquels acceptèrent la donation précisément parce que le défunt ne laissait que des bâtards. Puisque, pour agrandir les possessions que leur avait jadis laissées Attale III de Pergame, les Romains n’hésitaient pas à braver le dépit de Mithridate, pourquoi eussent-ils résisté à la tentation de joindre à la Cyrénaïque le magnifique héritage dont ils prétendaient avoir le droit strict de disposer ? Ces réflexions, nul doute que Ptolémée les ait faites, et il est à présumer que ses alarmes se traduisirent par des libéralités bien placées. Il apprit dès lors ce qu’il sut mieux par la suite, le prix des consciences romaines.

Sept ou huit ans plus tard (65), nouvelle et non moins vive inquiétude. L’Égypte était décidément trop riche pour que la République romaine, qui dépensait des sommes énormes pour abattre Mithridate et pour faire la police de l’Archipel, — autant de services rendus aux peuples d’Orient, — s’abstînt d’exiger la moindre contribution des riverains du Nil. Si elle respectait leur autonomie, par discrétion pure, au moins pouvait-elle mettre un certain prix à ses faveurs. Le censeur L. Licinius Crassus, au moment de dresser l’état des finances, demanda que la République se procurât un supplément de recettes en imposant un tribut à l’Égypte[11]. Comme un pays ne pouvait être à la fois allié et tributaire, Crassus demandait purement et simplement la réduction de l’Égypte en province romaine. On vit bientôt qu’il s’agissait d’un plan concerté entre lui et l’édile Jules César, qui menait déjà le parti démocratique, se ruinait pour entretenir sa popularité et gagnait par surcroît, à s’endetter, l’appui de ses créanciers, intéressés dès lors à sa fortune politique. Une partie des tribuns de la plèbe, stylés par César, rédigèrent un projet de loi en vertu duquel César serait délégué, avec des pouvoirs extraordinaires, pour organiser la province d’Égypte. Le motif mis en avant par Suétone[12], à savoir que les Alexandrins avaient alors expulsé leur roi, ami et allié du peuple romain, doit être inexact. C’est un argument précieux pour ceux qui soutiennent l’existence d’un Alexandre III, rival d’Aulète ; mais il est plus simple d’admettre une erreur de mémoire chez Suétone. Les rois alexandrins ont été tant de fois expulsés que l’historien a pu aisément commettre une erreur de ce genre. Mais cette inexactitude n’est pas de nature à infirmer le témoignage précis qu’elle accompagne. Il s’agissait bien de mettre l’Égypte à la disposition du peuple romain et, provisoirement, à la discrétion de César.

La proposition de Crassus et le projet de loi des tribuns soulevèrent à Rome une agitation violente. On voyait où voulaient en venir les meneurs du parti démocratique : séduire le peuple par l’appât d’une riche proie, qui doublerait les rentrées du Trésor et permettrait d’élargir les distributions de blé à prix réduit[13] ; puis, à la faveur de cet engouement, se faire conférer, en qualité d’hommes de confiance du peuple, le droit de manipuler toutes les richesses de la nouvelle province, avec des pouvoirs inconstitutionnels, d’où ils tireraient honneur et profit. Le parti des optimates se serra autour du collègue de Crassus, Q. Lutatius Catulus, un conservateur opiniâtre, qui mena la résistance. Le conflit entre les deux censeurs fut si aigu, que, tenus en échec l’un par l’autre, ils furent obligés d’abdiquer sans avoir pu remplir aucun des devoirs de leur charge. Les tribuns de la plèbe furent paralysés de la même façon, par l’intercession de leurs collègues. Cependant, les promoteurs de cette tentative avaient été bien près de réussir, et ils escomptaient déjà leur succès. Déjà, si l’on prend à la lettre certaines expressions, peut-être métaphoriques, de Cicéron, leurs affidés et agents d’affaires partaient pour l’Égypte, afin d’être les premiers à la curée[14].

L’orage se dissipa ainsi ; mais Ptolémée sentait bien qu’il n’était pas hors de danger. Les démocrates l’avaient traité à leur aise de bâtard et d’intrus, et ceux qui l’avaient défendu n’avaient invoqué que l’intérêt de Rome. Cinq ans auparavant, Cicéron, déclarant Verrès indigne de rentrer au Sénat, s’écriait ironiquement : Mais, après tout, qu’il vienne ! Qu’il décide la guerre contre les Crétois, qu’il fasse Byzance libre, qu’il accorde à Ptolémée le titre de roi ! Ainsi, en 70, onze ans après la mort de son prédécesseur, Ptolémée n’avait pas encore été reconnu officiellement comme roi par la République romaine ; c’était une question pendante, et Cicéron insinue qu’il faudrait des gens de la trempe de Verrès pour la trancher dans un sens favorable au prétendant. Depuis lors, les faits le montrent assez, aucune solution n’était intervenue. Ptolémée pouvait être à chaque instant traité comme un bâtard incapable de succéder et, de plus, formellement déshérité par le testament d’Alexandre II. On devine par quelles angoisses il dut passer quand il vit un homme aussi considérable que Crassus s’allier contre lui avec le principal meneur du parti démocratique.

Par la force des choses, Ptolémée, protégé des optimates, devait être une victime désignée aux coups de la faction adverse. Deux ans après la tentative dont il vient d’être question, César essayait de prendre sa revanche en déguisant mieux ses manœuvres. A son instigation, le tribun P. Servilius Rullus et quelques-uns de ses collègues présentèrent, en entrant en charge, au mois de décembre 64, une loi agraire qui ordonnait l’aliénation de tous les domaines de l’État situés en dehors de l’Italie et acquis depuis le consulat de Sylla et de Pompée (88 a. Chr.). La commission de décemvirs instituée par cette loi et élue au suffrage restreint devait avoir, cinq années durant, tout pouvoir de revendiquer et de reprendre sur les particuliers les propriétés domaniales, de les vendre, d’affermer les parties invendues, de remployer l’argent en achats de terres propres à la colonisation et de diriger la répartition des lots entre les colons. En un mot, les commissaires de la République seraient investis d’une autorité et d’une juridiction discrétionnaires, qu’ils promèneraient avec eux dans tout le monde circum-méditerranéen. Il va sans dire que César comptait bien, avec le suffrage restreint habilement guidé, être élu membre de la commission. Il lui serait alors facile de faire déclarer l’Égypte entière propriété domaniale de l’État romain[15].

Ce sous-entendu n’échappa point à la perspicacité de Cicéron, qui mit son prestige de consul et son éloquence au service de la cause des conservateurs. C’est même le premier argument qu’il jette dans la discussion en séance du Sénat. Ce qu’on demandait ouvertement naguère, dit-il[16], on cherche maintenant à l’enlever sous main par la sape. En effet, les décemvirs diront ce qu’on a dit souvent et ce que beaucoup de gens répètent, à savoir que, à partir de ces mêmes consuls[17], de par le testament du roi Alexandre, le royaume d’Égypte est devenu propriété du peuple romain. Vous livrerez donc Alexandrie, maintenant qu’ils cachent leur convoitise, à ces mêmes hommes à qui vous avez résisté quand ils luttaient à découvert ! Et quelques jours après, s’adressant au peuple, Cicéron lui fait voir qu’on lui demande, au fond, le droit de disposer de royaumes entiers, comme, par exemple, celui de Bithynie. Que dirai-je, poursuit-il, d’Alexandrie et de l’Égypte entière ? Comme elle est bien cachée là-dessous ! Comme elle y est dissimulée ! Comme, à la dérobée, on la livre tout entière aux décemvirs ! Qui de vous ne sait que, au dire de certains, ce royaume est devenu, par le fait du testament d’Alexandre, propriété du peuple romain ? Ici, moi, consul du peuple romain, non seulement je n’ai pas de jugement à émettre, mais je ne manifeste même pas ce que je pense : car c’est une question qui me parait grave non seulement à décider, mais même à exposer. J’en vois qui affirment que le testament a bien été fait ; je sais qu’il existe un acte du Sénat constituant adition d’hérédité, du temps où, après la mort d’Alexandre, nous envoyâmes à Tyr des légats chargés de recouvrer l’argent mis par lui en dépôt. Je me souviens que L. Philippus a souvent insisté là-dessus dans le Sénat ; je vois que tout le monde est à peu près unanime à convenir que celui qui occupe en ce moment le trône n’est ni de sang ni de caractère royal. On dit, du côté opposé, qu’il n’y a pas de testament ; qu’il ne faut pas que le peuple romain se donne l’air de convoiter tous les royaumes ; que nos concitoyens émigreront dans ces régions, à cause de la fertilité du sol et de l’abondance de toutes choses[18]. Et c’est une affaire de cette importance que P. Rullus, assisté des autres décemvirs ses collègues, tranchera juridiquement et dans le bon sens ! Une solution, dans un sens ou dans l’autre, est de telle conséquence qu’on ne peut absolument pas admettre et supporter ici l’arbitraire. Il voudra être populaire ? Alors il adjugera l’objet du litige au peuple romain. Par conséquent, l’auteur de la loi, d’après sa loi même, vendra Alexandrie, vendra l’Égypte ; il se trouvera être le juge, l’arbitre, le maître d’une ville des plus populeuses, de terrains magnifiques, le roi enfin d’un royaume opulent entre tous. Admettons qu’il ne s’attribue pas un si gros morceau, qu’il n’en ait pas envie. En ce cas, il décidera qu’Alexandrie appartient au roi ; du coup, il l’enlèvera au peuple romain. — Ensuite, qui plaidera la cause du peuple romain ? Où aura lieu ce débat ? Quels sont ces décemvirs de qui nous serons assez sûrs pour garantir que, s’ils adjugent le royaume d’Alexandrie à Ptolémée, ils le feront gratis ? Si Alexandrie les attire tant, pourquoi ne recommencent-ils pas en ce moment les courses qu’ils ont faites sous le consulat de L. Cotta et L. Torquatus ? Pourquoi pas à visage découvert, comme auparavant ? Pourquoi pas de la même façon que quand ils sont allés dans ce pays tout droit et au su de tous ? Se sont-ils imaginé que, n’ayant pu mettre la main sur le royaume quand les vents d’été les y menaient en ligne droite, ils vont maintenant arriver à Alexandrie par la nuit noire et à la faveur du brouillard ?

Ces passages des discours de Cicéron contre la loi agraire de Rullus nous renseignent à merveille sur l’état de l’opinion à Rome relativement à la question d’Égypte. Personne n’admettait que le peuple romain renonçât formellement à ses droits et reconnût à Ptolémée la qualité de roi légitime. Seulement, les uns voulaient que l’équivoque fût dissipée et que la situation aboutît enfin à son dénouement naturel ; les autres estimaient qu’il valait mieux reculer l’échéance, et que, en attendant, Ptolémée tiendrait très utilement la place d’un gouverneur romain. Les uns voulaient l’annexion, les autres se contentaient du protectorat.

Il y avait cependant, dans les calculs du parti conservateur, une part laissée à l’imprévu. On n’avait pas tenu compte d’un élément perturbateur dont on connaissait cependant l’énergie. Les Romains, qui croyaient être seuls à décider de la destinée du roi d’Égypte, oubliaient un peu trop que leur client avait à compter aussi avec l’opinion du peuple alexandrin, d’une cité orgueilleuse et humiliée d’obéir à un esclave des Romains. Les Alexandrins s’indignaient que leur sort fût toujours à la merci d’un vote du Sénat ou du peuple romain, et leur dépit retombait sur le lâche souverain qui ne savait répondre aux insolences que par des prières ou des cadeaux. Au lieu de chercher un point d’appui dans cet instinct de résistance aux empiètements de l’étranger, Ptolémée n’imagina rien de mieux que de réclamer l’assistance de ses patrons contre ses sujets eux-mêmes. Il se disait sans doute, et avec raison d’ailleurs, que le soutenir serait une façon de reconnaître sa légitimité. Au cours de l’année 63, les discours prononcés pour ou contre Rullus avaient dû réveiller et entretenir la mauvaise humeur des Alexandrins. Ils voyaient leur roi, vilipendé à Rome, redoubler d’attention pour ses dédaigneux protecteurs et gaspiller l’argent du Trésor à entretenir un corps de 8.000 cavaliers qui aidaient Pompée à soumettre la Palestine. Aux yeux de tous, Hellènes, Égyptiens et Juifs, c’était une véritable trahison. Si l’Égypte collaborait au démembrement de la monarchie séleucide, ce devait être au moins pour en prendre sa part, et Ptolémée travaillait à rendre romaine cette Cœlé-Syrie que même les plus indolents de ses ancêtres avaient toujours revendiquée pour l’Égypte ! Une humeur séditieuse agitait la grande ville. Ptolémée, pris de peur, réclama l’assistance de Pompée. Il lui envoya de riches présents, de l’argent, des fournitures d’habillement pour toute l’armée, et l’invita à venir mettre les Alexandrins à la raison[19]. Pour des motifs qu’Appien se réservait d’exposer plus longuement dans un chapitre aujourd’hui perdu de son Histoire, Pompée accepta les présents, mais déclina l’invitation de Ptolémée. Il savait que les choses d’Égypte étaient délicates à manier, qu’aucun parti ne lui saurait gré de s’en mêler, et c’était, du reste, un rôle peu glorieux pour le vainqueur de Mithridate que d’aller faire la police à Alexandrie pour le compte d’un personnage aussi méprisé. Cependant, il est à croire que Ptolémée atteignit quand même son but immédiat, et que la seule crainte d’une intervention romaine suffit pour le moment à calmer les Alexandrins. Leur haine pour Ptolémée s’en accrut ; mais ils firent réflexion qu’ils n’avaient plus à choisir qu’entre le gouvernement du Lagide et la domination romaine. Diodore de Sicile, qui fit un voyage en Égypte vers cette époque, constate que les habitants recevaient avec le plus grand empressement les voyageurs d’Italie, de crainte de s’attirer la guerre[20]. C’était une consigne que les fanatiques oubliaient parfois. Diodore vit massacrer par la populace un Romain qui avait tué un chat, bien que son acte eût été involontaire et que le roi eût envoyé des magistrats pour le sauver.

Ptolémée, lui, avait les yeux constamment fixés sur Rome ; il y avait ses agents secrets, qui le tenaient au courant des opérations engagées sur le grand marché des votes et des influences. Il voyait avec inquiétude l’essor du parti démocratique, dont il connaissait l’opinion à son égard. Les élections consulaires de l’an 60 durent lui causer une véritable terreur. Le premier élu du collège consulaire pour l’année 59 était ce même César qui, par deux fois déjà, avait tenté de lui arracher l’Égypte. Cette fois, — symptôme menaçant entre tous, — César était soutenu non seulement par Crassus, mais même par Pompée, qui, se jugeant mal récompensé de ses services, voulait en appeler du Sénat au peuple. Ptolémée se hâta de parer au danger. S’il avait eu affaire à des patriotes, obstinés dans une conception étroite de l’intérêt de la République, il était perdu ; mais il avait devant lui des ambitieux sans scrupules, qui avaient besoin d’argent pour entretenir l’enthousiasme famélique de leurs électeurs. César posa lui-même, en son nom et au nom de Pompée, les conditions du marché. Il en coûta à Ptolémée la somme de 6.000 talents, — probablement des talents d’argent, ce que Suétone oublie de nous dire, — c’est-à-dire environ trente-six millions de francs[21]. Mais, à ce prix, il allait obtenir enfin ce qu’il réclamait en vain depuis plus de vingt ans. César s’engageait à le faire reconnaître officiellement comme roi d’Égypte et allié du peuple romain, non plus seulement par un sénatus-consulte toujours révocable, mais par une loi spéciale suivie d’un traité en bonne forme. César tint parole. Sans le moindre souci de son attitude antérieure, il proposa en même temps une loi agraire, où il n’était question ni directement ni indirectement des droits de Rome sur l’Égypte, et une loi de rege Alexandrine qui, en raison des services rendus par Ptolémée à l’armée d’Asie, lui conférait, avec le titre de roi, celui d’allié et ami du peuple romain (février 59). Il y eut, surtout à propos de la loi agraire, des débats orageux, qui inspirèrent soudain à Cicéron un goût très vif pour la campagne, les livres, la géographie et les projets de voyage à l’étranger[22]. Les conservateurs eurent beau s’agiter, employer les artifices les moins avouables de la procédure parlementaire, recourir à l’obnonciation perpétuelle ; les démocrates ripostèrent aux chicanes par des violences, et les lois juliennes furent votées. Comme le disait Pompée, avec sa façon équivoque d’approuver à demi : il fallait en finir une bonne fois avec la question du roi d’Alexandrie[23]. En exécution de la loi, un traité d’alliance fut rédigé avec les formalités accoutumées et déposé aux archives du Capitole[24]. C’est ainsi que le salut vint à Ptolémée du côté où il ne l’attendait pas, mais par des moyens dont il connaissait maintenant toute l’efficacité.

Enfin, Ptolémée était roi, et il allait pouvoir jouir, pensait-il, de la sécurité qu’il avait si chèrement achetée. Que lui importaient maintenant les murmures du peuple pressuré par ses ordonnances fiscales ! L’année suivante, en 58, il poussa la complaisance envers ses amis de Rome jusqu’à la trahison à l’égard de son pays et de sa dynastie. Le fameux P. Clodius était alors tribun de la plèbe. Dès son entrée en charge, en décembre 59, il avait affiché toute une série de projets de loi démagogiques auxquels César doit avoir collaboré. Une de ces lois clodiennes décidait que l’île de Cypre, gouvernée par l’autre Ptolémée, frère du roi d’Égypte[25], serait convertie en province romaine et les biens de la couronne confisqués au profit du Trésor de la République[26]. Cette loi était en son genre un chef-d’œuvre. Du même coup, Clodius indemnisait en quelque sorte le Trésor pour le sacrifice qu’il avait fait de ses droits sur les biens de la couronne d’Égypte et donnait ainsi satisfaction au parti démocratique ; il trouvait de l’argent pour assurer le fonctionnement de sa loi frumentaire[27] ; d’autre part, il comptait bien éloigner de Rome l’incommode Caton, en l’envoyant malgré lui à Cypre pour y faire le métier de recors ; et enfin, il vengeait ses propres injures. Depuis bientôt dix ans, en effet, il nourrissait une vieille rancune contre le roi de Cypre, qui, en 67, n’avait pas voulu lui avancer la somme nécessaire pour le tirer des mains des pirates. Ptolémée avait offert deux talents, dont les pirates ne s’étaient pas contentés, et ceux-ci n’avaient relâché Clodius qu’à l’approche de Pompée[28]. Maintenant, ce Ptolémée allait apprendre ce qu’il en coûte de ne savoir pas être généreux à propos, surtout quand on a la réputation d’être riche.

Clodius n’était pas embarrassé de trouver des prétextes pour cacher ses véritables raisons. Il accusa le roi de Cypre d’être un ingrat, un ennemi déguisé des Romains, et de s’entendre avec les pirates[29]. Quant au droit qu’avaient les Romains de l’exproprier, il reposait toujours, en dernière analyse, sur le testament du roi Alexandre, qui, annulé pour l’Égypte, restait valable pour Cypre. En effet, par une incurie qui montre bien et l’égoïsme de Ptolémée Aulète et l’indolence imprévoyante de son frère, il n’avait été nullement question de Cypre dans l’alliance conclue l’année précédente avec Ptolémée Aulète. Rome n’avait traité qu’avec le roi d’Alexandrie : celui-ci ne parait pas s’être autrement préoccupé de son frère, qui, probablement, crut avoir part à la garantie accordée à Ptolémée Aulète et s’applaudit d’avoir le bénéfice de cette transaction diplomatique sans en supporter les frais.

Il semble qu’au moins Ptolémée Aulète aurait dû chercher par tous les moyens à réparer cet oubli et tâcher de conserver à l’Égypte, à la dynastie des Lagides, une possession qui, depuis le temps du premier Ptolémée, était partie intégrante de la monarchie. Il devait alléguer que Cypre était un apanage, et non un royaume indépendant, et qu’il avait cru stipuler pour les possessions de l’Égypte aussi bien que pour l’Égypte elle-même. Tel était, à n’en pas douter, le sentiment du peuple alexandrin, qui vit avec dépit son roi se désintéresser de l’affaire de Cypre. Ptolémée n’eut garde de compromettre, par quelque récrimination intempestive, le repos que lui assurait son traité. Peut-être aussi n’eut-il pas le temps d’organiser un plan de défense et de se concerter avec son frère. Il y a loin de Rome à Alexandrie, surtout en hiver, et le projet de loi de Clodius, présenté en décembre, fut voté très probablement au mois de mars suivant. Quoi qu’il en soit, Ptolémée s’abstint de faire valoir, en faveur de son frère, des raisons que, à Rome même, les conservateurs eussent volontiers appuyées. C’est dans la bouche de Cicéron, plaidant deux ans plus tard pour P. Sestius, que se retrouvent les considérations dont il eût fallu jeter au moment opportun le poids dans la balance. Après avoir fait remarquer que le peuple romain a toujours laissé ou même rendu la couronne aux rois qui l’avaient combattu, à Antiochus le Grand, à Tigrane, à Mithridate lui-même, l’orateur s’écrie : Et ce malheureux roi de Cypre, qui a toujours été pour nous un allié, un ami, sur le compte duquel ni le Sénat, ni nos généraux n’avaient jamais rien ouï dire de suspect, on l’a confisqué, comme on dit, tout vif, et il s’est vu enlever jusqu’au vivre et au couvert[30]. Cicéron exagère un peu en faisant du roi de Cypre un allié du peuple romain ; mais c’est la thèse que les Lagides devaient soutenir, en invoquant au besoin leur solidarité avec des ancêtres qui, depuis le temps de Philadelphe, avaient toujours été ou amis discrets ou protégés reconnaissants des Romains. Il ne paraît pas, répétons-le, qu’aucune remontrance soit venue d’Alexandrie. Ptolémée ne vit peut-être dans l’expropriation brutale de son frère qu’une occasion de se féliciter de sa propre sagesse. Le sage, c’était le prodigue qui avait su sacrifier une partie de ses richesses pour sauver le tout ; l’imprévoyant, c’était l’avare, officiellement roi de l’île, en fait, misérable esclave de l’argent[31], qui allait tout perdre pour avoir voulu tout garder.

La loi de Clodius une fois votée, le facétieux tribun demanda au peuple d’envoyer Caton à Cypre en qualité de questeur, avec l’imperium prétorien, pour procéder sur place à la liquidation des biens du roi dépossédé. On avait besoin d’un fonctionnaire incorruptible, et il n’y avait à Rome qu’une vertu au-dessus du soupçon, celle de l’homme que, précisément pour ce motif, Clodius et César, déjà débarrassés de Cicéron, tenaient à éloigner de Rome le plus longtemps possible. Malgré qu’il en eût, Caton dut partir pour Cypre, et Clodius eut soin d’ajouter à sa mission une corvée supplémentaire en le chargeant de ramener à Byzance des exilés qui avaient su, par des moyens qu’on devine, intéresser le démagogue à leur cause. A son départ, dit Plutarque, Clodius ne lui fit donner ni troupes, ni appariteurs, mais seulement deux greffiers, dont l’un était un voleur et un scélérat, l’autre, un client de Clodius. Il fallait bien surveiller la vertu de Caton et, si faire se pouvait, jeter le désordre dans ses comptes. Grâce à cette admirable combinaison, Caton, acculé à une besogne répugnante dont les conservateurs ne lui sauraient aucun gré, risquait par surcroît de se heurter à une résistance du roi de Cypre et d’endosser la responsabilité de ce que pourraient faire à son insu ses acolytes.

Caton envoya devant lui, à Cypre, Canidius, un de ses amis, pour engager Ptolémée à se retirer sans combat, en lui promettant qu’il ne manquerait jamais, sa vie durant, ni de richesses ni d’honneurs, car le peuple romain lui conférerait le sacerdoce d’Aphrodite à Paphos. Quant à lui, il s’arrêta à Rhodes pour y faire ses préparatifs et attendre les réponses[32]. Le désespoir du malheureux roi de Cypre simplifia la tâche des spoliateurs. Valère Maxime raconte qu’il avait d’abord entassé ses trésors dans des navires, avec l’intention de les faire couler en haute mer, pour mourir à son gré et frustrer ses ennemis de leur butin, mais que, n’ayant pas le courage de noyer son or et son argent, il ramena chez lui ce salaire de ses bourreaux. Ce qui est certain, c’est qu’il aima mieux s’empoisonner que d’aller finir ses jours sous la robe de prêtre à Paphos[33].

Caton, informé de ce dénouement heureux pour lui, envoya à Cypre son neveu M. Brutus, pour empêcher que Canidius ne succombât à quelque tentation, et prit le temps de faire sa tournée de Byzance. Après quoi, s’étant rendu à Cypre, il trouva des richesses prodigieuses et vraiment royales en vaisselle, tables, pierreries, étoffes de pourpre. Il fallut tout vendre pour en faire argent. Caton, voulant mettre de l’exactitude en toutes choses et faire monter les objets à leur plus haute valeur, assista lui-même à la vente et porta en compte les moindres sommes. Il ne s’en fiait pas aux formes ordinaires des encans, mais il tenait pour suspects tout le monde, les appariteurs, les crieurs, les enchérisseurs et jusqu’à ses amis. A la fin, il s’adressait personnellement à chacun des acheteurs, les poussant à enchérir, et c’est dans ces conditions qu’il adjugea la majeure partie des objets vendus[34]. Caton surveilla avec le même soin l’expédition du produit de la vente, qui montait à près de 7.000 talents. Il fit faire de petites caisses contenant chacune 2 talents 500 drachmes, munies de flotteurs en liège, qui, en cas de naufrage, indiqueraient l’endroit où elles auraient coulé. Il ramena heureusement à Rome sa précieuse cargaison, avec un lot d’esclaves qui n’avaient sans doute pas trouvé acquéreur ; mais, par un singulier hasard, qui dut causer à Clodius plus de plaisir que de surprise, il perdit en route toutes ses pièces de comptabilité, le registre des recettes aussi bien que celui des dépenses, l’un dans un naufrage, l’autre dans un incendie. Il est vrai qu’il avait eu soin d’amener avec lui les comptables de Ptolémée, dont le témoignage pouvait au besoin le couvrir, notamment l’intendant Nicias, pour qui il demanda au Sénat la faveur de l’affranchissement. Ces modestes serviteurs purent assister à l’espèce de triomphe qui fut décerné à Caton et juger, par l’enthousiasme public, de la fascination qu’exerçait maintenant la vue de l’or sur les compatriotes des Fabricius, des Curius et des Cincinnatus[35].

Ptolémée Aulète pouvait être aussi parmi les spectateurs qui regardaient passer à travers le Forum les dépouilles de son frère. Si Plutarque n’a pas eu, à l’endroit de la chronologie, quelqu’une de ces distractions dont il est coutumier, le roi d’Alexandrie devait être arrivé à Rome avant Caton[36]. Il y venait en exilé, presque en fugitif, pour implorer de nouveau l’assistance des Romains contre les Alexandrins, qui l’avaient expulsé de leur ville, ou, ce qui revient au même, lui avaient interdit d’y rentrer. Les textes dont nous disposons nous permettent de deviner à peu près ce qui s’était passé. Dion Cassius rapporte que, déjà irrités par les exactions du roi, les Alexandrins — c’est-à-dire la soldatesque et les clubs — l’avaient sommé ou de redemander Cypre aux Romains ou de rompre avec de pareils amis, et que, ne pouvant ni leur persuader de se tenir en repos ni les y contraindre, faute de mercenaires, il s’était enfui et était allé porter ses doléances à Rome, où il accusa ses sujets de l’avoir expulsé[37]. Il avait fait voile d’abord pour Rhodes, non pas pour intercéder en faveur de son frère, mais pour prendre l’avis de Caton. Celui-ci, avec une grossièreté voulue, lui avait donné audience sur sa chaise percée[38] et lui avait conseillé de retourner en Égypte, au lieu d’aller se mettre à la merci des puissants de Rome, dont l’Égypte tout entière, fût-elle convertie en or, pourrait à peine assouvir la cupidité. Caton s’offrit même à l’accompagner, pour l’aider à se réconcilier avec ses sujets. Ces bons conseils, qui n’auraient rien perdu à être présentés sur un ton moins rogue, firent impression sur Ptolémée, mais ses amis le détournèrent de les suivre. Il parait donc avéré que Ptolémée ne fut pas précisément expulsé par les Alexandrins[39], mais qu’il prit prétexte de ses dissentiments avec eux pour envenimer le conflit, avec l’arrière-pensée de leur faire infliger par les Romains un châtiment exemplaire. Timagène d’Alexandrie, un contemporain, qui nous donne évidemment la version de ses compatriotes, affirmait que Ptolémée avait quitté l’Égypte sans y être contraint, à l’instigation de Théophane de Mitylène, l’âme damnée de Pompée, lequel cherchait à faire naître une guerre où son patron, déjà las du repos, pût récolter honneur et profit. Sans doute, il ne suffit pas que l’assertion de Timagène soit vraisemblable pour qu’elle soit vraie ; mais, d’autre part, nous n’en sommes plus à croire, avec Plutarque, le candide et loyal Pompée incapable de tremper dans de pareilles intrigues[40]. Cependant, il reste dans toutes ces combinaisons plus ou moins probables un point obscur. On ne voit pas bien pourquoi, si Ptolémée est sorti de sa capitale de son plein gré avec l’intention d’y rentrer de force, il s’en est allé seul, laissant aux mains de ses sujets toute sa famille. Il faut supposer qu’il est parti sans dessein bien arrêté, se croyant libre de rentrer quand il le voudrait, et qu’il n’eut l’idée de se faire réintégrer par force que quand il s’aperçut qu’Alexandrie lui était fermée.

 

§ II. — L’INTERRÈGNE (58-55).

Les Alexandrins furent d’abord stupéfaits du départ furtif de leur roi. Le détour qu’il fit par Rhodes fut cause qu’ils perdirent sa trace. Suivant Dion Cassius[41], ils ignoraient qu’il se fût réfugié en Italie, ou même ils le croyaient mort quand ils se décidèrent à mettre sur le trône sa fille Bérénice. Porphyre dit qu’ils ne prirent le parti de remplacer Ptolémée qu’au bout d’un certain temps, lorsque, le séjour du roi en Italie se prolongeant, ils furent persuadés qu’il ne reviendrait plus[42]. De toute façon, il faut constater une fois de plus les effets de la prévoyance avec laquelle les premiers Lagides avaient fondé sur l’hétérogénéité des races la stabilité de leur dynastie. Si turbulente que fût la grande cité alexandrine, l’élément hellénique, mêlé lui-même de sang grec et de sang macédonien, tenu en échec par la population égyptienne et juive, n’y était pas assez prépondérant pour que les Alexandrins pussent se déprendre de leurs habitudes monarchiques et songer à séparer leur destinée de celle des Lagides. C’était, du reste, moins que jamais le moment de l’essayer. La mort de la reine Cléopâtre Tryphæna, survenue dans le courant de l’année qui suivit le départ de Ptolémée[43], les obligeant à prendre un parti, et les enfants mâles de Ptolémée étant encore en bas âge, ils confièrent la régence ou la royauté à la fille aînée du roi, la reine Bérénice (IV), assistée de parents, c’est-à-dire de hauts fonctionnaires qui administraient le royaume en son nom.

Mais on se doutait bien à Alexandrie qu’on n’en avait pas fini par là avec Ptolémée et que le loyalisme témoigné à sa descendance n’était pas pour apaiser ses rancunes. On savait qu’il ne manquait pas de protecteurs. Plutarque laisse entendre que Ptolémée connut dans les antichambres des magistrats les amertumes du métier de solliciteur, et nous apprenons par Cicéron que Crassus considérait ou affectait de considérer l’arrivée du roi d’Égypte comme un contretemps fâcheux[44]. D’autre part, César, qui commençait alors la conquête des Gaules, était absent. Mais Ptolémée avait été accueilli avec une cordialité démonstrative par Pompée, qui l’avait installé dans sa villa d’Albanum et l’y laissait ourdir à son aise le réseau de ses intrigues. La maison était devenue une sorte de banque, où se faisait en grand le trafic des influences[45]. Ptolémée, dont la cassette de voyage avait dû être assez vite épuisée, négociait des emprunts, souscrivait des billets, donnait hypothèque sur le revenu de son royaume et répandait à pleines mains l’argent qu’il s’était procuré de cette façon. On put dire plus tard, au cours d’un procès célèbre, que Ptolémée avait acheté le Sénat tout entier[46]. Ceux qui hésitaient à vendre leur voix étaient relancés par les hommes d’affaires ; on supposait simplement que leur vertu attendait de nouvelles offres. Au bout d’un certain temps, Ptolémée eut pour lui et ceux qui avaient accepté son argent et ceux qui lui en avaient prêté, ceux-ci plus ardents que les autres, parce que la restauration du roi était la condition préalable du remboursement de leurs créances.

En même temps qu’il préparait l’attaque, Ptolémée ne reculait pas devant le crime pour fermer la bouche à la défense. En prévision du débat qui allait s’ouvrir, les Alexandrins avaient envoyé à Rome une délégation de cent de leurs concitoyens, présidée par l’académicien Dion, pour réfuter les accusations du roi et apporter les preuves des injustices dont ils avaient été victimes[47]. Ptolémée, informé par ses agents, résolut de ne pas les laisser arriver jusqu’à Rome. Il expédia à Pouzzoles[48], où ils devaient aborder, des spadassins qui les reçurent à coups de bâton et à coups de poignard. Ceux qui échappèrent à ce guet-apens — c’était, d’après Dion Cassius, le plus petit nombre — furent ou assassinés à Rome même, ou corrompus à prix d’argent, ou intimidés de telle sorte qu’ils n’osèrent plus faire la moindre démarche ni souffler mot des violences auxquelles leurs malheureux collègues avaient succombé. En philosophe prudent, Dion lui-même se tut.

Cependant, les machinations de Ptolémée ne purent avoir raison d’obstacles imprévus. Le Sénat décida que le consul P. Cornélius Lentulus Spinther, qui devait gouverner la Cilicie l’année suivante en qualité de proconsul, irait de sa province en Égypte pour y réintégrer Ptolémée[49]. Crassus s’était contenté de faire un semblant d’opposition[50], et Cicéron, qui, rappelé de l’exil sur la proposition de Lentulus, voulait payer au consul libérateur sa dette de reconnaissance, avait appuyé la motion par un discours (De rege Alexandrino) dont il nous reste quelques fragments. Mais, soit que l’affaire des ambassadeurs alexandrins fût survenue alors[51], soit plutôt que les langues se fussent peu à peu déliées et que le scandale eût enfin éclaté, le tribun M. Favonius, devenu pour le moment le chef de l’opposition des conservateurs contre le trio d’ambitieux (Crassus-Pompée-César) qui menait la République, se mit à agiter l’opinion. Il parlait tout haut des ambassadeurs assassinés et des vendus qui assuraient l’impunité aux assassins. Enfin, il proposa sans doute de faire une enquête, car le Sénat, inquiet de tout ce tapage, manda à sa barre Dion, le chef de l’ambassade alexandrine, pour apprendre de lui la vérité. Mais, à ce moment encore, Ptolémée avait de par son argent un tel pouvoir que Dion ne vint pas à la curie et qu’il ne fut fait aucune mention du meurtre des délégués tant que le roi fut là[52]. Pour être sûr que Dion ne parlerait pas plus tard, Ptolémée le fit assassiner chez son hôte L. Lucceius[53]. Ce nouveau crime resta impuni comme les autres. L’opinion s’en prit d’abord à un certain P. Ascitius, qui, mis en jugement et défendu par Cicéron contre un accusateur assez accommodant, le jeune L. Licinius Calvus, fut acquitté[54]. Puis on supposa que le coup avait été fait par les esclaves de Lucceius, à l’instigation de M. Cœlius Rufus, un brouillon, débauché et endetté, qui avait déjà joué un rôle suspect à Pouzzoles et qui peut-être ne dédaignait pas plus l’argent de Ptolémée que celui de Clodia, sa maîtresse. Mais Cœlius, accusé l’année suivante (56) de ce crime et de bien d’autres, défendu par Crassus et par Cicéron, fut acquitté. On savait bien qui était, en fin de compte, l’auteur responsable de tous ces méfaits. De peur de quelque nouvel encombre, qui pourrait obliger le Sénat à revenir sur son vote, Ptolémée jugea opportun de quitter Rome vers la fin de l’année 57 et d’aller attendre en Orient l’arrivée de Lentulus[55]. Il laissait à Rome son fidèle Ammonios pour surveiller ses intérêts, c’est-à-dire pour continuer son honnête négoce[56]. Rien ne semblait plus devoir retarder sa restauration prochaine : le sénatus-consulte était en règle, et Lentulus, qui comptait se faire payer largement ses services, n’était pas moins pressé que Ptolémée de courir à Alexandrie. Mais tout à coup le vent change. Parmi les nouveaux tribuns de la plèbe qui entrèrent en fonctions en décembre 57 se trouvait un jeune homme de tempérament bouillant, à la langue acérée, C. Caton, qui se mit à exciter le peuple et contre Ptolémée et contre Lentulus. Son but était d’empêcher la restauration du roi d’Égypte, et les fins politiques soupçonnèrent qu’il était stylé sous main par Crassus[57], lequel ne voulait faire les affaires ni de Lentulus ni d’un autre. Lentulus, en effet, avait maintenant un concurrent, masqué, mais d’autant plus redoutable qu’il affectait d’ignorer les intrigues de ses partisans, le grand Pompée lui-même.

Pompée avait été chargé, clans le courant de l’année 57, sur la proposition des consuls, de veiller à l’approvisionnement de Rome. On lui avait confié à cet effet, pour une durée de cinq ans, des pouvoirs extraordinaires — il n’en acceptait pas d’autres — et ouvert des crédits illimités ; il disposait de la flotte et avait sous ses ordres quantité de légats pour acheter de tous côtés des céréales et escorter les convois[58]. Mais cette besogne de pourvoyeur paraissait bien humble au vainqueur de Mithridate, qui regrettait le temps où il commandait non pas à des marchands, mais à des soldats. Pourquoi, sinon par pure jalousie, le Sénat ne lui confiait-il pas le soin de ramener à Alexandrie son ami Ptolémée ? N’était-il pas, s’il y avait résistance, mieux en mesure de la dompter que l’incapable Lentulus, qui n’avait jamais fait ni vu l’ombre d’une guerre ? C’était aussi, au fond, l’avis de Ptolémée. Le roi, n’ayant pas le choix, s’était résigné à subir le patronage de Lentulus ; mais il n’avait pas caché à son entourage que, et pour son trône et pour son trésor, il aurait eu plus de confiance en Pompée. Les amis de Pompée et les siens travaillaient sous main à discréditer Lentulus au profit de Pompée[59]. Maintenant que C. Caton avait réussi à rendre Lentulus suspect au peuple, le parti pompéien tout entier se hâta de mettre en avant le nom de son chef. Ammonios, l’agent égyptien, redoublait d’activité pour recruter des voix acquises non seulement à Ptolémée, mais à Pompée. Pendant ce temps, Pompée avait toutes sortes de raisons pour être absent et éviter les questions ; mais les naïfs seuls pouvaient se demander encore s’il approuvait les agissements de ses amis.

L’ambition tortueuse et hypocrite de Pompée avait le don d’exaspérer tout particulièrement les conservateurs. Pour parer le coup et déconcerter à la fois tous les intrigants, ils imaginèrent un expédient qui montre qu’en fait d’hypocrisie ils n’avaient rien à apprendre de personne. Dès les premiers jours de janvier 56, le bruit se répand que la statue de Jupiter Latiaris a été frappée de la foudre sur le mont Albain. Un pareil coup de foudre, en plein hiver, ne pouvait être qu’un avertissement du ciel, un prodige, et des plus sérieux. On consulte les livres sibyllins, et les Quindécemvirs y lisent en propres termes l’oracle suivant : Si le roi d’Égypte vient vous demander quelque assistance, ne lui refusez pas votre amitié, mais pourtant n’allez pas en force à son secours ; sinon, vous aurez peines et dangers. La sibylle avait pris soin, cette fois, de parler de façon à ne pas. laisser sa pensée à la merci des interprètes, et le tribun C. Caton ne lui fit certainement pas de déplaisir en ébruitant tout de suite le résultat de sa consultation, au mépris des règlements qui interdisaient de communiquer au peuple des secrets de ce genre sans l’autorisation expresse du Sénat. Il amena les Quindécemvirs eux-mêmes sur le Forum et les força à lire le texte de la prophétie au peuple enchanté d’apprendre ce qu’il n’avait pas le droit de savoir. Ledit texte fut ensuite traduit en latin, à l’usage de ceux qui n’entendaient pas le grec, lu à haute voix et affiché par les crieurs publics[60]. De cette façon, il n’était plus au pouvoir de personne de renvoyer la prophétie aux archives secrètes et d’étouffer la voix de la sibylle.

La précision et la rapidité de ces manœuvres rendaient la préméditation évidente. Tout le monde, dans les classes dirigeantes, savait à quoi s’en tenir là-dessus ; mais il fallait maintenant compter avec la foi populaire et la religiosité officielle. Les partisans de Ptolémée, de Lentulus, de Pompée, ne perdirent cependant pas courage. Au cours de janvier 56, on discuta de plus belle au Sénat, non pas précisément sur la question de savoir s’il fallait obéir à la révélation divine, — il y avait là une religio intangible, — mais sur les moyens de tourner l’obstacle. La sibylle défendait de restaurer Ptolémée par la force, mais elle n’interdisait pas de le faire par des moyens pacifiques. Un ordre signifié aux Alexandrins par un mandataire officiel de la République avait chance d’être obéi sans qu’il fût besoin de contrainte matérielle. En ce cas, l’effet de l’injonction gérait d’autant sûr que le fonctionnaire romain aurait personnellement plus de prestige. Pompée était bien l’homme qu’il fallait pour une telle mission. Ptolémée n’avait confiance qu’en lui ; il le fit savoir par une lettre que le tribun A. Plautius eut soin de lire à ses collègues[61]. Mais, d’autre part, l’honneur brigué à la fois par Lentulus et par Pompée perdait singulièrement de son prix s’il était absolument interdit de tirer l’épée ou de la montrer. L’expédition projetée n’était plus qu’une ambassade ordinaire. Cependant, à défaut de gloire, restaient les bénéfices de l’opération, et c’en était assez pour animer le zèle des partis.

Pompée, soit dans les conversations particulières, soit au Sénat, faisait semblant de soutenir Lentulus[62] ; mais ses amis se chargeaient de prévenir les méprises. Nous trouvons, dans la correspondance échangée à ce propos entre Cicéron et Lentulus[63], un compte rendu assez détaillé de la séance tenue par le Sénat le 12 janvier, sous la présidence du consul C. Cornélius Lentulus Marcellinus. Hortensius, Lucullus et Cicéron lui-même furent d’avis que l’on ne pouvait plus autoriser l’emploi de la force armée, mais que, pour tout le reste, le sénatus-consulte de l’année précédente devait être maintenu, Lentulus étant déjà sur les lieux, pour ainsi dire, et à même de remplir sa mission sans grand dérangement. Crassus proposa d’envoyer en Égypte, non pas un, mais trois délégués, à choisir soit parmi les particuliers, soit parmi les magistrats. C’était une façon d’amoindrir, en le partageant, un rôle déjà peu glorieux et d’en dégoûter Pompée sans l’en exclure. M. Bibulus, plus franc, voulait exclure Pompée aussi bien que Lentulus en proposant de décider que les trois légats sénatoriaux seraient pris parmi les particuliers. Il eut pour lui tous les consulaires, sauf P. Servilius Vatia Isauricus, qui ne voulait plus entendre parler du tout de restauration, L. Volcacius, qui, avec le tribun P. Rutilius Lupus, proposait hardiment Pompée, et L. Afranius, qui appuya l’avis de Volcacius. Le lendemain, 13 janvier, la plus grande partie de la séance fut occupée par une altercation entre le consul président et le tribun L. Caninius Gallus, l’un soutenant la thèse des consulaires, l’autre celle des Pompéiens. Cicéron assure qu’il se fit l’organe du tiers parti, et qu’il plaida longuement la cause de Lentulus Spinther. A la séance du 14, on alla aux votes sur les trois propositions en présence, toutes visant une restauration pacifique, mais opérée par des personnes différentes. Celle de Bibulus, mise aux voix d’abord, ne réunit point de majorité. Comme on allait passer à la seconde, celle d’Hortensius, le tribun P. Rutilius Lupus réclama la priorité pour la sienne. Le reste de la séance se passa à ergoter sur cette question de procédure parlementaire, et on se sépara sans avoir rien fait qu’approuver le principe de la restauration à l’amiable, voté tout d’abord comme première partie de la proposition de Bibulus[64]. Le lendemain, 15 janvier, on constata que l’affaire n’était pas mûre, qu’il était impossible de s’entendre, et, comme la seconde moitié de janvier était occupée tout entière par des jours comitiaux, le mois de février réservé tout entier aux audiences diplomatiques, les débats furent ajournés à plus tard[65].

Cet ajournement équivalait, pour les conservateurs, à une victoire. Leur joie eût été sans mélange s’ils n’avaient craint que le peuple, incapable de comprendre les finesses de la tactique parlementaire, ne fût saisi de la question par les intéressés. Un sénatus-consulte interdisant cet appel au peuple avait été frappé d’intercession par les tribuns Caton et Caninius, deux adversaires qui s’entendaient vraiment trop bien en l’occurrence[66]. Tout ce qu’on put obtenir d’eux fut la promesse de ne pas proposer de loi sur le sujet avant les comices qui allaient avoir lieu pour l’élection des édiles, élection retardée jusque-là par les violences du candidat P. Clodius. Mais les élections furent faites dès le 20 janvier, et aussitôt, luttant de vitesse, Caton afficha un projet de loi abrogeant l’imperium de Lentulus, et Caninius un autre projet chargeant Pompée de restaurer Ptolémée sans autre armée que deux licteurs[67]. Des compères n’auraient pas opéré avec plus d’ensemble, et on se demande ce que Caton, toujours si prompt à déblatérer contre Pompée, eût fait de plus s’il avait été enrôlé dans la clientèle du grand homme.

Les nouveaux projets de loi provoquèrent, comme bien on pense, une vive agitation. Le fils de Lentulus prit le deuil[68]. Cicéron, dans sa correspondance, crie à la scélératesse de Caton et traite les deux tribuns de brigands[69]. Il prévoit que, si le Sénat, pour empêcher les comices législatifs, recourt aux mesures accoutumées, Caninius emploiera de son côté la violence[70]. Pompée restait impénétrable ; mais ses amis et les agents de Ptolémée faisaient ouvertement campagne contre son rival. On semait sur le Forum et autour de la curie des copies d’un soi-disant message, vrai ou faux, de Ptolémée, demandant qu’on lui donnât pour général Pompée au lieu de Spinther[71]. Pourtant, Pompée n’était pas encore si près du but. Non seulement il se rendait suspect au Sénat, mais sa popularité baissait visiblement. Le favori du jour, P. Clodius, qui avait voulu l’assassiner dix-huit mois auparavant, ne perdait aucune occasion de l’insulter publiquement, surtout depuis que Pompée eut pris contre Clodius le parti de Milon. Le démagogue connaissait bien son majestueux adversaire et savait le toucher à l’endroit sensible. Parmi les sarcasmes auxquels répondaient en chœur les bandes clodiennes dans la scandaleuse scène du 6 février figure le refrain : Qui veut aller à Alexandrie ? Pompée ! Qui faut-il y envoyer ? Crassus ![72] Plus d’un ami de Pompée riait sous cape de voir l’hypocrite démasqué. Au Sénat, C. Caton accablait Pompée de reproches amers, et la haute assemblée l’écoutait en silence[73]. Harcelé par ces moucherons venimeux, le lion se tenait maintenant à l’écart. On ne le voyait que rarement à la curie, et il évitait tout à fait le Forum. C’est dans l’intimité qu’il exhalait ses plaintes, disant qu’on en voulait à sa vie, que Caton et Clodius étaient payés par Crassus et que les optimates étaient ses plus cruels ennemis[74]. Ceux-ci, enhardis par l’appui des démagogues, employèrent sans vergogne toutes les ressources de l’opposition légale. Le consul Marcellinus rendit impropre à la tenue des comices tous les jours comitiaux du mois de mars et du mois d’avril en surchargeant le calendrier de fêtes religieuses : féries latines célébrées d’abord, recommencées ensuite ; supplications ordonnées en l’honneur des victoires de César[75]. S’il restait quelque lacune, elle était sans doute comblée par l’obnonciation. Le tribun L. Racilius aidait de son mieux le consul[76]. C. Caton, exaspéré par cette obstruction malhonnête, déclarait qu’il ne laisserait pas faire les prochaines élections si on l’empêchait de tenir les comices législatifs[77]. Ce n’était pas dans sa bouche une vaine menace, car il tint parole et se fit anarchiste par rancune. L’aigreur des débats provoqués par les affaires d’Égypte s’ajouta ainsi aux nombreux fragments de discorde qui préparaient l’avènement du despotisme militaire. Le Sénat essaya bien d’enterrer la question en décidant que personne ne serait chargé de restaurer Ptolémée ; mais l’intercession annula le sénatus-consulte[78]. A plus forte raison n’est-il pas croyable que, comme le prétend Dion Cassius[79], le parti de l’abstention ait réussi à faire interdire par une loi la réintégration du roi exilé. L’historien ne se trompe pas sur le fond, en ce sens que le peuple, librement consulté, eût certainement préféré l’annexion de l’Égypte à la restauration du Lagide ; mais il doit avoir confondu les décrets du peuple et ceux du Sénat, dont la différence formelle n’était plus très sensible pour les hommes de son temps. L’obstination impuissante de C. Caton montre assez que la machine législative, arrêtée pour lui, ne put, dans le même temps, être mise en branle par d’autres.

L’impossibilité d’aboutir à une solution légale suggéra aux impatients des plans aventureux. Pompée, toujours figé dans son attitude équivoque, faisait parvenir à Lentulus des insinuations d’une sincérité suspecte. Au sortir d’une conversation avec lui, Cicéron écrit à Lentulus[80] : Considérez ce que je vais vous dire comme une chose dont j’ai souvent causé avec Pompée et que je vous écris de sa part, avec son autorisation. Il n’y a, en fait, aucun sénatus-consulte vous enlevant le droit de ramener le roi à Alexandrie. Le vœu exprimé par l’assemblée, que personne absolument ne restaurât le roi, a été, comme vous le savez, frappé d’intercession, et il représente plutôt un coup de tête de gens en colère que l’opinion réfléchie du Sénat. C’est à vous, qui avez en main la Cilicie et Cypre, de bien examiner ce que vous pouvez entreprendre et mener à terme. Si vous croyez être à même de vous rendre maître d’Alexandrie et de l’Égypte, voici ce qui conviendrait à votre dignité et à celle de notre empire. Après avoir installé le roi à Ptolémaïs ou dans quelque autre localité voisine, vous partiriez avec flotte et armée pour Alexandrie ; puis, une fois la ville pacifiée et tenue en bride par une garnison, Ptolémée rentrerait dans son royaume. De cette façon, il serait rétabli par vous, conformément à l’avis formulé par le Sénat, et il serait ramené sans le concours d’une multitude, suivant l’intention que les gens scrupuleux (religiosi) prêtent à la sibylle. Seulement, Pompée et moi sommes d’accord pour prévoir que votre résolution sera appréciée suivant le résultat. Si la chose tourne comme nous le voulons et souhaitons, tout le monde dira que vous avez fait preuve de sagesse et de courage ; s’il y a le moindre mécompte, les mêmes personnes crieront que vous avez agi par cupidité et à l’étourdie. C’est pourquoi il faut calculer vos chances de succès, et là-dessus nous sommes moins bons juges que vous, qui avez pour ainsi dire l’Égypte devant vos yeux. Pour nous, notre avis est celui-ci : s’il vous est démontré que vous pouvez vous emparer du royaume, il n’y a pas à hésiter ; si le succès est douteux, il ne faut pas essayer. On voit que Pompée était un casuiste assez subtil et qu’il connaissait la valeur du fait accompli. Sa consultation servira plus tard de guide à son ami Gabinius, qui, on le verra plus loin, sut rendre les dissertations inutiles. Le proconsul de Cilicie, plus timoré, jugea prudent de ne pas se risquer, et Cicéron fut plus tard le premier à faire valoir contre Gabinius le bel exemple de soumission donné par Lentulus. Sa conscience d’avocat lui permettait d’oublier qu’il avait joué auprès de Lentulus le rôle de tentateur.

Décidément, il fallait laisser sommeiller cette question d’Égypte et attendre que l’opinion publique, distraite par d’autres préoccupations, laissât plus de liberté aux amateurs de solutions imprévues. Ptolémée, découragé, s’installa définitivement à Éphèse, dans le téménos de la déesse Artémis, où il trouvait ce dont il avait besoin pour le moment : une hôtellerie et une banque[81]. A Rome, il ne fut plus fait mention qu’incidemment des affaires des Lagides, et presque avec le regret de s’en être trop occupé. On a vu plus haut comment déjà Cicéron, plaidant au mois de mars pour P. Sestius, avait déploré le triste sort du roi de Cypre, victime de Clodius. C’est encore une querelle entre Clodius et M. Caton, à propos de Cypre, qui rappela au public le souvenir de la confiscation ordonnée en 58. Clodius voulait que les esclaves ramenés de Cypre par Caton fussent appelés Clodii ou Clodiani, comme étant passés au service de l’État romain en vertu de la loi Clodia ; Caton n’insista pas pour leur donner son nom, mais il obtint qu’on les désignât par le nom de Cyprii[82]. Pour se venger, Clodius essaya d’empêcher la ratification des actes de Caton ; il demanda que celui-ci produisit ses pièces de comptabilité, sachant bien qu’elles étaient perdues et que l’honnête homme ne pourrait fournir les preuves écrites de sa vertu[83]. Le démagogue se donna ainsi le plaisir exquis de bafouer Caton tout en le gardant pour allié contre le parti des conservateurs. En effet, Caton ne voulait pas admettre que sa mission à Cypre eût été illégale, et il était par conséquent obligé de défendre la parfaite légalité des actes du tribunat de Clodius.

Pendant que toutes ces intrigues tenaient en haleine les ennemis de Ptolémée à Rome, les Alexandrins imaginaient de leur côté toutes sortes de combinaisons pour rendre impossible le retour de leur ancien maître. Ils avaient bien une reine, mais non pas le couple royal qu’exigeait la coutume nationale. Pour rentrer dans la pratique traditionnelle, il eût fallu marier Bérénice avec l’un de ses deux jeunes frères ; mais rainé de ces enfants n’avait guère plus de trois ans en 58. Poussée jusque-là, la fiction légale risquait de n’être pas prise au sérieux, et, au surplus, ils avaient besoin d’un roi qui fût capable de se défendre. Les Alexandrins, en quête d’expédients, eurent alors l’idée de chercher à leur reine un époux dans la famille déchue des Séleucides, qui, par suite d’alliances répétées, était étroitement apparentée à la dynastie des Lagides. Il y avait justement alors en Syrie plus d’un Séleucide en disponibilité. Les Alexandrins s’adressèrent d’abord au frère du dernier roi de Syrie, le cadet des deux jeunes princes que leur mère Séléné avait envoyés à Rome en 75. C’était un petit-fils de Ptolémée Évergète II. Ils lui députèrent trois ambassadeurs, Ménélas, Lampon et Callimaque, pour lui faire des offres officielles. Le prince était sans doute disposé à tenter l’aventure ; mais il mourut avant que le projet n’aboutit[84]. Les Alexandrins reportèrent alors leurs vues sur un autre Séleucide, Philippe, arrière-petit-fils d’Évergète II par sa grand’mère Tryphæna, femme d’Antiochos VIII Grypos. Le nouveau prétendant accepta avec empressement cette aubaine inattendue ; mais ses espérances se heurtèrent à un obstacle qu’il jugea insurmontable. Le proconsul de Syrie, A. Gabinius (57-55), qui recevait de Rome les instructions de Pompée, lui interdit de s’embarquer pour l’Égypte[85]. Comme Philippe n’avait pas assez d’argent pour essayer même d’intéresser Gabinius à sa cause, il rentra dans son obscurité.

L’intervention de Gabinius, quoique purement négative encore, ne fit que redoubler la hâte des Alexandrins. Ils sentaient approcher l’heure d’une ingérence plus décisive, dont la sibylle ne les sauverait pas, et ils voulaient mettre les Romains en présence d’une situation régularisée qui rendrait plus faciles soit les négociations, soit même la résistance. Ne trouvant plus de Séleucide authentique qui se prêtât à leurs desseins, ils se rabattirent sur les candidats d’origine douteuse. Ils découvrirent un certain Séleucos qui, spontanément ou sur leur conseil, se donnait pour un descendant des rois de Syrie[86]. On le fit venir à Alexandrie, où Bérénice, en l’épousant, l’associa au trône[87]. Mais c’était un grossier personnage, tout à fait digne du surnom de Poissard (Κυβιοσάκτης) que lui donna, sans doute à première vue, le peuple alexandrin[88]. Au bout de quelques jours, dit Strabon, la reine, qui n’avait pu se faire à ses manières basses et ignobles, s’en débarrassa en le faisant étrangler. Un remplaçant, Archélaos, se présenta. Il se disait, lui aussi, de sang royal et se faisait passer pour le fils de Mithridate Eupator ; en réalité, il était fils d’Archélaos, cet adversaire de Sylla que les Romains avaient plus tard comblé d’honneurs. Au lieu de rester dans la grasse sinécure que Pompée lui avait donnée en le nommant grand-prêtre de Comana dans le Pont, le jeune aventurier était venu en Syrie : il s’y était lié d’amitié avec Marc-Antoine, le futur triumvir, alors préfet de cavalerie dans l’armée de Gabinius[89], et il se préparait à faire campagne avec Gabinius contre les Parthes lorsqu’il disparut tout à coup. Il était à Alexandrie. Gabinius, qui s’occupait aussi beaucoup plus d’Alexandrie que des Parthes, était censé n’avoir rien su des projets de son hôte. C’est la version officielle, que Strabon accepte sans y regarder de plus près. Mais Dion Cassius affirme que Gabinius laissa volontairement échapper Archélaos, afin de compliquer la situation et de vendre à plus haut prix les services qu’il comptait rendre prochainement à Ptolémée. En attendant, Archélaos, présenté à Bérénice par des courtiers qui avaient négocié toute l’affaire, fut agréé comme époux et comme roi (hiver 56/5).

Il était temps maintenant pour Gabinius de gagner les 10.000 talents que lui promettait Ptolémée pour prix de sa restauration[90]. Il lui fallait pour cela violer tous les règlements, sortir sans autorisation de sa province, engager de son chef une guerre formellement interdite par un sénatus-consulte spécial, en un mot faire fi de tout scrupule et de toute légalité. Mais, après tout, les risques étaient médiocres, comparés aux bénéfices. Pompée, alors consul avec Crassus (55), était tout-puissant, et Gabinius, qui agissait de concert avec lui, pouvait compter sur sa protection, ou plutôt sur celle du « triumvirat » tout entier, dans le cas, d’ailleurs probable, où les adversaires des trois associés dénonceraient la haute trahison du proconsul de Syrie, créature et instrument de Pompée. Comme prétexte, il alléguerait qu’il redoutait pour sa province une attaque de la flotte d’Archélaos et des pirates dont on lui avait dit que la mer était pleine[91] ; qu’il se trouvait, par conséquent, dans le cas de force majeure prévu par la loi. A Rome, avec de bons amis et de l’argent, les plus mauvaises raisons pouvaient en valoir de meilleures.

Donc, au printemps de l’an 55, Gabinius, maintenu par la volonté des triumvirs dans son gouvernement de Syrie jusqu’à la prochaine arrivée de Crassus, s’achemina vers l’Égypte avec la presque totalité de ses forces disponibles et le roi Ptolémée dans ses bagages. La cavalerie marchait en tête, commandée par Marc-Antoine[92]. A Péluse, l’armée se trouva en face d’une garnison juive qui n’opposa aucune résistance, car l’Iduméen Antipater, le conseiller et tuteur des princes hasmonéens, pourvoyeur et intendant de Gabinius, parlementa avec ses coreligionnaires et les décida à passer du côté des Romains[93]. C’est ainsi qu’Antoine fit la garnison prisonnière, exploit facile et qui n’en fut pas moins glorieux pour le jeune préfet de cavalerie. Avant d’aller plus loin, Ptolémée voulait déjà satisfaire ses rancunes : il parlait de tout massacrer. Antoine s’y opposa. De Péluse, l’armée romaine, partagée en deux corps, marcha sur Alexandrie. Elle eut facilement raison des Alexandrins, qui, comme le remarque Dion Cassius[94], toujours prêts à risquer leur vie dans les émeutes, étaient poltrons devant l’ennemi. Archélaos avait bien essayé de barrer le passage aux Romains ; mais, refoulé en tête par le corps de Gabinius et pris à revers par la cavalerie d’Antoine, il périt en combattant, à moins que, comme l’insinue Dion Cassius, il n’ait été mis à mort par ordre de Gabinius. Le fait est qu’Archélaos, s’il avait été encouragé et dupé par Gabinius, pouvait devenir gênant. Plutarque assure que son corps fut retrouvé sur le champ de bataille et qu’Antoine lui fit des obsèques magnifiques. On racontait plus tard que le malheureux Archélaos n’avait pu obtenir le moindre effort du troupeau d’efféminés sur lequel il régnait depuis six mois. Comme il voulait établir un camp fortifié en avant d’Alexandrie, ses soldats avaient crié d’une voix unanime que creuser des fossés n’était pas leur affaire et qu’il fallait embaucher des terrassiers pour cette besogne[95].

 

§ III. — PTOLÉMÉE RESTAURÉ (55-51).

Les Alexandrins pouvaient cependant s’attendre à payer cher leurs fanfaronnades et leur lâcheté. Ptolémée rentra altéré de vengeance et d’autant plus redoutable que, ramené, on peut le dire, par une armée de créanciers, il avait encore plus besoin d’or que de sang. Il fit mettre à mort sa fille Bérénice et les partisans avérés de la jeune reine ; puis il tua pour confisquer, frappant sans ménagement les riches, qui, en effet, devaient s’être particulièrement réjouis de son expulsion[96]. Gabinius, pressé de retourner en Syrie où des troubles avaient éclaté en son absence, lui avait laissé un corps de garnisaires, composé principalement d’auxiliaires gaulois et germains, que nous retrouverons encore quelques années plus tard à Alexandrie[97]. Antoine s’était éloigné avec son chef de la ville où il devait un jour couronner une vie inimitable par une mort trop imitée. Appien a ouï dire qu’il en emportait comme un pressentiment des voluptés futures, ayant éprouvé une certaine excitation du regard à la vue de la jeune Cléopâtre, parée des charmes précoces de ses quatorze ans[98].

Gabinius s’était bien gardé, et pour cause, de faire un rapport au Sénat sur son expédition[99] ; mais il ne pouvait empêcher que la nouvelle ne parvint bientôt en Italie. Dès le mois d’avril, Cicéron écrit de sa villa de Cumes à Atticus : Il y a grande rumeur à Pouzzoles : on dit que Ptolémée est rentré dans son royaume. Si vous avez quelque information plus sûre, je serais bien aise de le savoir[100]. A Rome, quand la nouvelle fut confirmée, ce fut, :dans le camp des conservateurs, un concert de malédictions auxquelles se joignirent bientôt les plaintes des publicains et habitants de la province de Syrie, victimes des pillages commis dans le pays par des bandes de maraudeurs durant l’absence de Gabinius[101]. Pompée et Crassus firent de leur mieux pour étouffer ce bruit ; mais il eût fallu, pour éviter des explications publiques, fermer les portes de la curie. Cicéron, accablé de politesses par Pompée, mais poussé par une haine plus forte encore que sa vanité, ne put se contenir jusqu’au bout. Gabinius était toujours pour lui le consul de l’année 58, l’homme qui, avec la complicité de son collègue L. Calpurnius Pison, avait livré Cicéron à Clodius en lui ôtant tout moyen de défense et l’avait comme poussé sur la voie douloureuse de l’exil. Quand on délibéra, au milieu de l’année, sur la répartition des provinces consulaires, Cicéron, visant ses deux ennemis à la fois, demanda que Pison fût rappelé de Macédoine et Gabinius de Syrie. Va-t-on, s’écrie-t-il, laisser plus longtemps en Syrie cette Sémiramis ? Puis il flétrit l’impudeur, l’incapacité, l’avarice de Gabinius, énumérant les ruines qu’il a causées, les dénis de justice dont il s’est rendu coupable. Assassin et voleur, voleur surtout, tel est en raccourci le portrait du proconsul de Syrie, qui serait le plus vicieux des hommes si le proconsul de Macédoine n’avait en plus l’hypocrisie[102]. Cependant, l’orateur est bien maître de son indignation, car il laisse de coté son meilleur argument : il ne dit mot de l’expédition d’Égypte. Sans doute ce scandaleux silence lui fut reproché par ses amis, ou Pompée ne s’en montra pas assez reconnaissant. Lorsque, deux mois après, Cicéron rencontra Pison au Sénat et riposta à ses insinuations acrimonieuses par le violent réquisitoire que nous connaissons, il ne put se tenir de mettre une fois de plus Gabinius en parallèle avec Pison, et, cette fois, il n’oublia plus le voyage d’Alexandrie. Nous l’entendons dénoncer le crime de l’homme qui a vendu au roi d’Égypte sa personne, ses faisceaux, l’armée du peuple romain, la révélation et prohibition des dieux immortels, les réponses des prêtres, l’autorité du Sénat, les ordres du peuple, le nom et la dignité de l’empire. Gabinius n’avait pas le droit de mener ses soldats hors de sa province ; il en est sorti pour accompagner en mercenaire le roi d’Alexandrie. Il a fait la guerre sans que le Sénat ou le peuple l’ait ordonné, et il tombe ainsi sous le coup de lois précises, que l’orateur voudrait lui voir appliquer, si tant est que ce malfaiteur ose revenir. Gabinius, dit Cicéron en terminant sa digression, s’est fermé le retour à lui-même ; moi, cependant, je l’attends, curieux de voir le front de ce personnage[103]. Cicéron ne se doutait pas alors que l’on verrait, au retour de Gabinius, un spectacle plus rare encore : le front de l’avocat qui défendrait le coupable devant le jury après l’avoir si vertement malmené en plein Sénat !

En attendant, Gabinius ne revenait pas. Vers le milieu de novembre 55, Crassus, impatient d’ajouter à ses richesses et à l’or qu’il avait, lui aussi, reçu de Ptolémée par l’intermédiaire de Gabinius[104] quelques lauriers cueillis sur les Parthes, Crassus abandonna ses fonctions de consul pour aller prendre possession de son gouvernement de Syrie ; et pourtant, on ne vit pas reparaître Gabinius. Au mois de février 54, mois réservé aux affaires étrangères, on s’occupa enfin des affaires de Syrie. Des ambassadeurs tyriens furent admis à exposer leurs doléances contre les publicains, et les publicains firent leur apologie aux dépens de Gabinius, qui, comme l’écrit Cicéron à son frère, fut rudement malmené[105]. Cicéron garda le silence par lui promis aux triumvirs, espérant bien être vengé par ses amis. Mais, ce jour-là, on ne fit rien. Les tribuns menacèrent de porter l’affaire devant le peuple ; sur quoi le consul Appius Claudius déclara que la loi l’obligeait à convoquer le Sénat tous les jours de février, et que, par conséquent, il ne pourrait y avoir de comices avant le mois de mars. Dans l’intervalle, le zèle des tribuns se refroidit, et l’on pensa à autre chose. On revint sur l’affaire de Gabinius quand on apprit qu’il avait fait difficulté pour céder sa province à Crassus. Pour le coup, Cicéron s’enhardit. Malgré les objections de Pompée, il prononça un discours contre Gabinius, — discours aujourd’hui perdu[106], — et il demanda que l’on ouvrit de nouveau les livres sibyllins, pour y chercher quel châtiment il convenait d’appliquer à l’ex-proconsul de Syrie[107]. On ne trouva rien dans les livres sibyllins, mais un débordement du Tibre vint à point pour attester la colère des dieux. C’était là une preuve irrécusable, qu’on ne pouvait faire passer pour une supercherie, et le Sénat résolut de procéder avec la dernière rigueur contre Gabinius. On parlait de le mettre hors de la loi et de le condamner à mort par contumace[108].

On sait le reste. Gabinius, enfin rassuré par l’effet des largesses qu’il avait fait parvenir en bonnes mains[109] et par la protection active de Pompée, arriva le 19 septembre sous les murs de Rome, affectant de se croire irréprochable et même candidat au triomphe. Accusé de lèse-majesté et de concussion, il fut absous dans le premier procès, — ce qui légitimait définitivement la restauration de Ptolémée, — et condamné dans le second à une amende de 10.000 talents. Cicéron, qui s’était contenté de figurer à l’arrière-plan parmi les témoins à charge, lors du procès de majesté[110], prit peur quand il vit Gabinius absous, et, dans le procès de concussion, il défendit le client de Pompée. Il dut d’autant plus regretter cette inoubliable lâcheté qu’il en eut la honte sans le profit. Déçu par la sentence du premier jury, il le fut encore par celle du second, qui se vengea d’avoir été plus mal payé que l’autre. Gabinius, en effet, se croyant mis à l’abri par son acquittement sur le chef de majesté, s’était montré moins généreux cette fois, et il fut puni non pas tant pour avoir extorqué de l’argent que pour avoir fait mal à propos des économies. Malgré les témoignages écrits de Pompée, de César, de Ptolémée, malgré la complaisance des délégués alexandrins, qui vinrent certifier que Gabinius n’avait pas reçu d’argent, celui-ci fut condamné à restitution et s’exila comme insolvable[111].

Le procès de C. Rabirius Postumus (54)[112], qui termina provisoirement cette série de scandales provoqués par les affaires d’Égypte, nous renseigne sur ce qui s’était passé durant ce temps à Alexandrie. Aussitôt que Ptolémée eut remis le pied dans son royaume, la bande des créanciers s’était abattue sur leur proie. Un des premiers que l’on vit apparaître à Alexandrie fut C. Rabirius Postumus, neveu et fils adoptif du Rabirius accusé jadis de haute trahison et défendu par le consul Cicéron. Rabirius était un des gros financiers de l’époque. Avec ses fonds et ceux de ses amis, il brassait des affaires un peu partout, soumissionnant des fermes générales ou des travaux publics, prêtant aux villes et aux souverains. Naturellement, ce manieur d’argent était entré en relations avec Ptolémée, qui avait toujours besoin de prêteurs, de garants, d’entremetteurs. Déjà en 59, lorsque Ptolémée avait acheté de César son titre de roi et d’allié du peuple romain, Rabirius lui avait prêté une somme assez forte, qui n’avait pu être remboursée, car, l’année suivante, le roi était en fuite. Pour sauver cette première créance, Rabirius avait ouvert largement sa caisse à l’exilé, et il en savait long sur l’usage qui fut fait alors de son argent. Une fois Ptolémée restauré, le banquier alla surveiller ses rentrées. Il avait à se faire rembourser capital et intérêts, et, de plus, à encaisser pour le compte de Gabinius les 10.000 talents promis à celui-ci. Ptolémée le nomma surintendant des finances égyptiennes[113]. Soutenu par les garnisaires que lui avait laissés Gabinius sous prétexte de protéger la personne du roi, Rabirius se mit à pressurer le contribuable. Des plaintes s’élevèrent de toutes parts, si bien que Ptolémée, qui connaissait les Alexandrins, jugea opportun d’emprisonner Rabirius et ses agents, pour donner une certaine satisfaction à la colère du peuple tout en mettant Rabirius à l’abri des violences de la rue. Il est probable que les Alexandrins ne se contentèrent pas de ce semblant de sévérité et qu’ils menacèrent d’enfoncer les portes de la prison, car Rabirius, au dire de son avocat, s’enfuit nu et sans ressources, après avoir cru maintes fois toucher à sa dernière heure[114].

En somme, Rabirius, qui ne mérite d’ailleurs aucune sympathie, n’était pas si fort à. plaindre. L’habile homme avait déjà su mettre en lieu sûr de beaux bénéfices, — on le dit du moins à Rome, — et il prit prétexte de sa mésaventure pour ne pas payer ses propres créanciers ou co-associés, qui furent désintéressés par César. Mais César ne put le garantir aussi bien des conséquences de la condamnation de Gabinius. Celui-ci étant déclaré insolvable, l’accusateur C. Memmius, encouragé par le succès, se prévalut d’un article de la loi Julia de repetundis — une loi faite par César lui-même — pour rendre solidairement responsable l’homme d’affaires de Gabinius, celui qui avait dû partager avec lui l’argent extorqué au roi d’Égypte. Il intenta donc à Rabirius un nouveau procès, qui, les deux affaires étant connexes, fut plaidé devant les mêmes juges. Cicéron, qui avait défendu Gabinius pour plaire à Pompée, se résigna à défendre Rabirius pour être agréable à César. Il le fit sans conviction, pleurant par métaphore et aussi préoccupé d’excuser ses palinodies que de sauver son client. Il n’avait pas le droit d’être sévère pour les envoyés alexandrins qui, après avoir témoigné naguère en faveur de Gabinius, vinrent déposer contre Rabirius[115]. Chacun prenait conseil de son intérêt, sans nul souci de la vérité ; mais les Alexandrins avaient pour cela toutes sortes d’excuses que n’avait pas le moraliste nourri de Platon et occupé en ce moment même à écrire son traité De la République. Nous ne savons quelle fut l’issue du procès. Il est probable que le jury, présidé par M. Caton, condamna Rabirius pour mortifier César et que le financier était en exil quand, sept ans plus tard, César devenu dictateur le recueillit avec Gabinius dans son armée[116].

Tout ce bruit une fois apaisé, on n’entend plus parler de Ptolémée ; mais il est certain que ses faits et gestes n’avaient pas cessé d’intéresser les nombreux créanciers qu’il avait encore à Rome. En octobre 54, Cicéron, écrivant à Trébatius, qui s’impatientait de ne pas faire fortune assez vite en Gaule, l’engage à se calmer en songeant que d’autres, munis ceux-là de créances en bonne forme, n’ont pas encore pu tirer un écu d’Alexandrie[117]. Le berger à la flûte avait tellement tondu son troupeau, qu’il ne pouvait plus continuer l’opération sans risquer de faire couler le sang et crouler son trône. Au surplus, le procès de Rabirius avait dû le rassurer sur les chances qu’avaient ses créanciers de trouver appui à. Rome, et il est probable qu’une fois en règle avec les plus puissants, il se pressait moins de satisfaire les autres.

Cependant, la fin de ce lamentable règne approchait. Le 1er août de l’an 51, M. Cælius, le même qui avait été naguère accusé d’avoir trempé dans l’assassinat des députés alexandrins, écrit de Rome à Cicéron, alors proconsul de Cilicie[118] : On nous a annoncé, et la nouvelle parait certaine, que le roi d’Alexandrie est mort. Renseignez-moi par écrit et en détail ; dites-moi ce que vous me conseillez, en quel état se trouve actuellement ce royaume et qui l’administre. Nous n’avons plus, et c’est grand dommage, la réponse de Cicéron ; nous y perdons, sans aucun doute, les on-dit du moment sur cette mort, que l’âge du roi — quarante-quatre ou quarante-cinq ans — ne faisait pas prévoir. En tout cas, il est clair que les ministres alexandrins n’étaient pas pressés de notifier officiellement à Rome la mort de leur souverain, et que peut-être, comme il était arrivé lors du décès clandestin de Ptolémée IV Philopator, ils l’avaient cachée le plus longtemps possible pour se donner le temps d’aviser sans ingérence du Sénat romain. D’après la date de la lettre de Cælius, on peut supposer que Ptolémée était mort depuis deux mois environ, vers la fin de mai 51 ou dans le courant de juin.

Ce triste monarque, qui durant près de trente ans de règne avait été le fléau de ses sujets, laissait quatre enfants et un testament par lequel il réglait sa succession. Comme il se savait détesté des Alexandrins, c’est au peuple romain qu’il confiait le soin de surveiller l’exécution de ses dernières volontés. Il avait eu la précaution d’expédier ouvertement (per legatos) à Rome, pour y être déposé aux archives publiques, un exemplaire de son testament, exemplaire qui, en attendant l’enregistrement officiel, fut déposé chez Pompée. Au fond, il ne redoutait pas moins les caprices du peuple-roi que ceux de la populace alexandrine ; mais il jugeait habile d’intéresser l’amour-propre des Romains au maintien du régime légalisé par eux et d’avertir les Alexandrins qu’ils ne disposeraient pas du trône à leur gré. Le roi instituait pour héritiers l’aîné de ses fils et l’aînée de ses filles[119] lesquels, suivant la coutume nationale et en dépit de la disproportion des âges, devaient être les rois-époux. C’était, en somme, le droit commun en matière de succession dynastique, et il ne parait pas qu’il y ait eu réclamation ou opposition quelconque à l’avènement du nouveau couple. Ainsi fut introduite sur la scène de l’histoire, pour y jouer, avec les plus grands acteurs du siècle, un rôle terminé en tragédie, la célèbre Cléopâtre Philopator, épouse, à dix-sept ans, de son frère Ptolémée XIV, un enfant de dix ans, qui devait mourir adolescent en combattant César après avoir assassiné Pompée.

Les théoriciens modernes de l’hérédité ne manqueraient pas de prolonger jusque dans la biographie des enfants la responsabilité du père. Ils pourraient remonter plus haut et accrocher le bout de la chaîne aux premiers Lagides. Il suffit à l’histoire de charger Ptolémée Aulète de ses propres vices. Les auteurs anciens lui ont fait bonne mesure. A les entendre, son ambition n’allait qu’à mener joyeuse vie, à être un nouveau Dionysos[120], le plus grand buveur et le premier musicien de son royaume, associant la cruauté à la débauche, lâche par surcroît, tout préparé par la trivialité de ses goûts et la bassesse de ses inclinations au rôle abject de protégé, débiteur perpétuel et esclave rampant des Romains. Les écrivains qui le signalent comme le plus méprisable des Lagides sont vraiment bien indulgents pour les crimes et les orgies des Philopator et des Physcon. C’est en lui le virtuose, et peut-être aussi le bâtard, qui indigne Strabon. Passé le troisième des Ptolémées, dit-il, tous les Lagides, perdus de vices et de débauches, furent de très mauvais rois ; mais les pires de tous furent le quatrième, le septième, et le dernier, Aulétès. A la honte de ses autres déportements, celui-ci ajoutait celle de professer pour la flûte une véritable passion, se montrant si fier de son talent qu’il ne rougissait pas d’établir dans son palais des concours de musique et de se mêler aux concurrents pour disputer le prix[121]. Et pourtant, Strabon n’a pas connu Néron, qui a porté à sa perfection et rendu à jamais haïssable le type de prince artiste ébauché par Ptolémée Aulète. Plutarque, traitant de l’adulation, rapproche les noms de Ptolémée Aulète et de Néron, deux victimes des flatteurs. On sent que lui aussi pardonnerait plutôt à Ptolémée sa dévotion bachique, ses accès de fanatisme, ses hurlements, ses danses, ses roulements de tambourin, qu’il ne lui passerait cette muselière des joueurs de flûte qui déshonorait la face royale[122]. Ce grief nous touche moins aujourd’hui. Nous sommes devenus plus indulgents pour les princes artistes, si d’aventure il s’en rencontre, pourvu qu’ils nous laissent le droit de les trouver ridicules quand ils font parade de leurs talents. Voltaire n’avait pas les scrupules de Strabon et de Plutarque quand, dans un article sur les Arts, il adressait à Frédéric II ce compliment un peu gros : Nous entendons par beaux-arts l’éloquence dans laquelle vous vous ôtes signalé en étant l’historien de votre patrie... ; la poésie, qui a fait vos amusements et votre gloire quand vous avez bien voulu composer des vers français ; la musique, où vous avez si bien réussi que nous doutons fort que Ptolémée Aulète eût osé jouer de la flûte après vous, ni Achille de la lyre[123].

Toute la vie privée de Ptolémée Aulète tient dans quelques anecdotes sans saveur destinées à prouver une vérité trop banale, à savoir, que les rois les moins respectables prétendent imposer le respect et l’imitation de leurs manies. Jadis, dit Lucien, on accusa auprès de Ptolémée Dionysos le philosophe platonicien Démétrios de boire de l’eau et d’être le seul en Égypte qui ne portât pas de vêtements de femme pendant les Dionysies. Si Démétrios, cité au tribunal de Ptolémée, n’avait pas bu dès le matin, au vu de tout le monde, et s’il n’avait pas dansé au son des cymbales, vêtu d’une robe tarentine, c’en était fait de lui, sous prétexte qu’il blâmait par sa sagesse et par ses doctrines les débauches de Ptolémée[124]. Bref, un roi sans dignité, non pas un homme, mais un flûtiste et un mage, un prodigue qui dissipa toutes les richesses conservées depuis Philadelphe[125], un tyran ignoble et grotesque, tel est le portrait peu flatté que les auteurs anciens nous ont laissé de Ptolémée Aulète.

On hésite à faire des retouches à cette oraison funèbre, surtout quand on songe que les numismates ajouteraient à tant de titres fâcheux celui de faux monnayeur. Pourtant, il est juste de faire observer que les dérèglements comme les richesses des Lagides étaient devenus un thème littéraire, un lieu commun de morale, et que l’impartialité ou le sens critique des auteurs n’est pas au-dessus de tout soupçon. Ils auraient bien dû nous avertir que Ptolémée ne fut pas tel dès le premier jour, et que le tableau de vices ou de méfaits répartis sur trente années de règne devient plus sombre par le raccourci. Quant aux prodigalités d’Aulète, il y a vraiment quelque injustice à le représenter comme ayant dilapidé pour son seul plaisir les économies accumulées ou conservées durant deux siècles. Il n’est, pour ainsi dire, pas un Lagide après Philadelphe qui n’ait été accusé de gaspillage, et il n’est pas difficile de deviner que Ptolémée Aulète fut souvent prodigue malgré lui. Il achetait tous les jours le droit de régner, et c’est un droit que les sénateurs de Rome lui faisaient payer très cher. L’histoire de son règne nous a montré d’une façon assez nette où allait une bonne partie de l’argent qui passait par les mains de ce dissipateur. La postérité ne peut lui accorder son estime, mais elle doit réserver une part de son mépris pour ces glorieux Romains qui l’ont si impudemment exploité.

En outre, Ptolémée Aulète eut, autant et plus qu’aucun de ses prédécesseurs, la coûteuse manie de bâtir, entretenue chez lui à la fois par goût héréditaire et par le désir de plaire au clergé. On retrouve de tous côtés ses cartouches et ses images ; à Edfou, dont il acheva en 58, l’année même de son expulsion, la décoration extérieure ; à Kôm Ombo, où il érigea l’énorme pylône de l’entrée et le grand pronaos hypostyle[126] ; à Philæ, où il est figuré en proportion colossale, terrassant ses ennemis ; dans les cryptes de Denderah ; sur les murs des temples de Karnak, où il pansait les blessures faites par son père Lathyros au prestige du sacerdoce thébain. Il se souvenait trop de sa tare originelle ; il voulait se réhabiliter, se grandir, s’imposer au respect, faire étalage de sa piété envers les dieux nationaux. Il eût fait meilleure figure devant la postérité en se montrant plus humain envers ses sujets qu’en méritant, avant l’empereur Trajan, un surnom qui manque à sa collection, celui de pariétaire.

 

 

 



[1] Conjecture fondée sur une phrase mutilée de Cicéron : quum Ille rex (Alexandre II ?) sit interfectus, hunc (le roi actuel, en 56 a. C.) puerum in Syria fuisse (Cicéron, fr. de reg. Alex.). Puerum indique un âge de quinze ans au plus, d’où la date de 95 au plus tôt pour la naissance (Strack, p. 209). [Le présent chapitre XIV reproduit en substance, mutatis mutandis, l’article publié dans la Revue Historique (LXXIX et LXXX, 1902) sous le titre : La Question d’Orient au temps de Cicéron].

[2] Appien, Mithridate, III. Appien parle de ces filles au moment de leur mort, en 63. Letronne (Recueil, II, p. 74) supposait qu’elles étaient alors de jeunes fiancées. Mais le texte dit qu’elles étaient encore demoiselles, et qu’elles avaient été autrefois fiancées. Th. Reinach (Mithridate Eupator, p. 313) met, avec raison, ces fiançailles au début du règne des deux frères. C’est par deux autres filles que Mithridate s’était déjà allié avec les rois d’Arménie et de Cappadoce.

[3] Pap. dem. Leid. 374, in Rev. Égyptol., II, p. 91, 2. Tryphæna, probablement sœur de Ptolémée, portait le même nom que sa tante, la fille d’Évergète II, mariée à Antiochos VIII Grypos.

[4] Stèle Harris, au British Museum, traduite par Brugsch, Révillout, Birch. Cf. Strack, pp. 163-164, 208. Il y est dit que le roi entra dans le temple de Qe avec ses grands, ses femmes et ses enfants. Mahaffy (History, p. 225, 2) tire de cette phrase, qui peut être une formule banale, la conclusion singulière que Ptolémée n’avait pas encore d’épouse légitime. Il trouve aussi extrêmement improbable le délai de quatre ans entre l’avènement et le couronnement. Ce délai prouve qu’il y eut des hésitations de divers côtés, même dans l’Égypte égyptienne.

[5] P. Guiraud pense que les prétendants étaient fils d’Antiochos VIII Grypos, mort en 96. Ils auraient eu alors plus de vingt ans, et on les dit très jeunes (Antiochi filios pueros, Cicéron, In Verr., IV, 27). Le mariage d’Antiochos X avec Séléné a duré de 95 jusque vers 83 (les auteurs, Josèphe, Appien, Eusèbe, ne s’accordent pas sur la date de la disparition, par mort ou exil, d’Antiochos X. Cf. Bevan, The House of Seleucus, II, p. 263, 1).

[6] Justin (XL, 2, 3) dit de l’aîné, qui fut roi de 69 à 65 (Antiochos XIII, dit l’Asiatique), qui decem et quatuor annos, quibus Tigranes Syriam tenuit, in angulo Ciliciæ latuerit.

[7] Nam id [sc. Syriæ regnum] sine controversia obtinebant, ut a patre et a majoribus acceperant (Cicéron, In Verr., IV, 27).

[8] La guerre contre Sertorius dura de 78 à 72 ; Mithridate reprit les armes en 74 pour arracher la Bithynie aux Romains, et Spartacus lutta en Italie de 73 à 71. Verrès fut propréteur de Sicile durant trois ans, de 73 à 71. C’est probablement en 73 qu’il dépouilla Antiochos de sa magnifique vaisselle (Cicéron, In Verr., IV, 27-30). J’ignore pourquoi Mahaffy (History, p. 227) retarde jusqu’en 72 l’arrivée des princes à Rome.

[9] La date de 74 résulte du synchronisme fourni par Appien (B. Civ., I, 111).

[10] Entre oct. et déc. 74, d’après Th. Reinach, Mithridate Eupator, p. 318, 2.

[11] Plutarque, Crassus, 13.

[12] Suétone, Cæsar, 11.

[13] Elles avaient été rétablies, après Sylla, par la loi Terentia Cassia (19).

[14] En 63, Cicéron (Leg. agr., II, 17) s’écrie : Quod si Alexandria petebatur (actuellement, par la loi de Rullus), cur non eosdem cursus hoc tempore quo. L. Cotta L. Torquato consulibus (65 a. C.) cucurrerunt ? Cur non aperte, ut antea ? Cur non item, ut quum decreto et palam regionem illam petierunt ?

[15] Même annexée, l’Égypte fut toujours considérée comme telle : elle fut réunie au domaine impérial (voyez ci-après, chap. XVI).

[16] Cicéron, Leg. agr., I, 1.

[17] Cicéron avait évidemment nommé ces mêmes consuls, ceux de 88, dans le début, aujourd’hui perdu, de son discours. C’est à cause de cette lacune que se perpétuent les discussions sur la date du testament et l’identité du testateur.

[18] Il est curieux de constater que, une fois maîtres de l’Orient, les Romains ont été hantés par la crainte d’y voir transporter le siège de leur empire. Cette crainte fut exploitée par la suite (voyez ci-après, chap. XV) contre César et contre Antoine. Il semble que Rome pressentait Constantinople. Elle avait redouté jadis pour la même raison et détruit Capoue d’abord, Corinthe ensuite.

[19] Appien, Mithridate, 114.

[20] Diodore, I, 83. Cf. l’obséquieuse réception préparée (en 112) au sénateur L. Memmius voyageant en touriste (Tebt. Pap., n. 33).

[21] Suétone, Cæsar, 54. Le talent dit égyptien est d’ordinaire le talent d’argent, valant 60 talents de cuivre (Hultsch, Metrologie, § 54, 3). Dans les conversions en monnaie actuelle, on ne considère, bien entendu, que le poids du métal, non sa valeur réelle ou puissance d’achat, variable aux diverses époques et beaucoup plus considérable alors qu’aujourd’hui.

[22] Cicéron, Ad Att., II, 5-16.

[23] De rege Alexandrino placuisse sibi aliquando confici (Cicéron, Ad Att., II, 16, 2).

[24] Au cours du procès de C. Rabirius Postumus (ci-après), Cicéron dit (Pro Rab. Post., 3) que son client avait prêté de l’argent non à un roi ennemi de Rome, sed ei quicum fœdus feriri in Capitolio viderat. César, en 47, estime qu’il lui appartient de régler les affaires d’Égypte, quod superiore consulatu [en 59] cum patre Ptolemæo [le père des souverains actuels] et lege et SCto societas erat facta (Cæsar, B. Civ., III, 108).

[25] On ne lui connaît pas de surnom royal.

[26] Tite-Live, Epit., CIV. Dion Cassius, XXXVIII, 30.

[27] Jusque-là, les lois frumentaires avaient baissé le prix du blé ; la loi Clodia le distribuait gratis, ut remissis semissibus et trientibus (5/6 d’as par boisseau) quinta prope pars vectigalium tolleretur (Cicéron, Pro Sest., 25).

[28] Strabon, XIV, p. 684. Appien, B. Civ., II, 23. Cf. G. Lacour Gayet, De P. Clodio Pulchro, Paris, 1888. César aussi avait été prisonnier des pirates en 74, et sa rançon lui avait été avancée par les Milésiens (Suétone, Cæsar, 4. Plutarque, Cæsar, 1. Val. Maxime, VI, 9, 15. Polyen, VIII, 23).

[29] Strabon, loc. cit. Cf. les accusations vagues et odieuses de Velleius Paterculus contre Ptolémée, omnibus morum vitiis contumeliam meritum (II, 45), finissant par une mort quam ille conscientia acciverat (II, 38).

[30] Cicéron, Pro Sest., 27. Cf. Ammien Marcel., XIV, 8, 15. Cicéron, traqué par Clodius et exilé en 58, venge aussi ses propres injures en attaquant la loi de Clodius.

[31] Val. Maxime, IX, 4, 3. Ext., 1. Valère Maxime trouve risible non pas que Ptolémée ait gardé son argent pour lui, mais qu’il ne l’ait pas coulé en mer avec lui pour en frustrer ses spoliateurs. Nous ne connaissons l’avaritia risu prosequenda du roi que par le témoignage de gens qui, l’ayant dévalisé, ont prétendu qu’il méritait ce traitement sommaire.

[32] Plutarque, Cato minor, 34.

[33] Plutarque, op. cit., 36. Velleius, II, 38. 45. Florus, III, 9. Ammien Marc., XIV, 8, 15.

[34] Plutarque, loc. cit.

[35] Plutarque et Florus, op. cit. Lucain, Pharsale, III, 164 (César tire du Trésor quod Cato longinquo vexit super æquora Cypro).

[36] D’après le contexte dans Plutarque, c’est à Rhodes qu’eut lieu l’entrevue avec Caton, et Ptolémée a dû aller tout droit de là à Rome.

[37] Dion Cassius, XXXIX, 12. Dans son discours aux Alexandrins (Orat., XXII, p. 383), Dion Chrysostome dit que Ptolémée fut chassé par les Σειμαριστοί καί τοιαΰθ' έτερα έταιρειών όνόματα. La fréquence et la soudaineté des émeutes à Alexandrie ne s’expliquent que par l’organisation des hétæries. Ptolémée n’avait plus de mercenaires, parce qu’ils avaient fait cause commune avec la population.

[38] Plutarque, op. cit., 35 : à peu près, dit Drumann (III, p. 536), comme un noble de Venise recevait, au moyen âge, un César de Byzance.

[39] A Rome, Ptolémée passa évidemment, et avec raison, pour avoir été expulsé : pulsus regno (Cicéron, Pro Rabir. Post., 2. Tite-Live, Epit. CIV) ; seditione flagitatus Alexandreæ Romam profugit (Trogue-Pompée, Prol. XL) ; ύπό τών Αίγυπτίων έκβαβλημένος (Strabon, XII, p. 558. XVII, p. 796).

[40] Plutarque, Pompée, 49.

[41] Dion Cassius, XXXIX, 13. Dion oublie le court règne de Cléopâtre Tryphæna, inexactitude vénielle comparée aux erreurs, confusions et incertitudes dont fourmille l’histoire des Lagides et Séleucides, obscurcie par l’homonymie des souverains.

[42] Porphyre ap. Eusèbe, I, p. 168 Schœne = FHG., III, p. 723.

[43] Il y a là un enchevêtrement de problèmes insolubles autrement que par conjectures, dont aucune ne respecte intégralement des textes inconciliables. On connaît, de science certaine, cinq enfants de Ptolémée Aulète : trois filles, Bérénice († 55), la célèbre Cléopâtre Philopator († 30), Arsinoé († 31), et deux fils, Ptolémée XIV († 47) et Ptolémée XV († 44). Porphyre (loc. cit.) est seul à mentionner une fille aînée, appelée Cléopâtre Tryphæna comme sa mère, laquelle aurait régné conjointement avec sa sœur Bérénice en 58 et serait morte bientôt après. Strabon (XVII, p. 796) dit que, Ptolémée une fois expulsé, les Alexandrins firent reine rainée de ses trois filles, la seule qui fût légitime. Il pense évidemment à Bérénice, et Dion Cassius ne connaît non plus que Bérénice comme reine durant l’interrègne de 58 à 55. Ni Strabon, ni Dion, ni Porphyre ne disent mot de la reine mère, qui, dès lors, est supposée morte, morte assez tôt pour que Ptolémée ait eu, depuis, le temps de procréer quatre bâtards, implicitement qualifiés tels par Strabon. A part R. Lepsius (Abhandl. d. Berl. Akad., 4852, p. 478) et U. Wilcken s. v. Berenike), tons les érudits, de Vaillant à M. L. Strack, ont admis que la reine mère Cléopâtre Tryphæna était morte avant 58, et ils en citent comme preuve le fait (arbitrairement placé en 63) que les deux Ptolémées étaient fiancés aux filles de Mithridate. Strack reporte même la mort de Cléopâtre à la fin de l’année 69, attendu que le nom de la reine ne figure plus après cette date ni sur les monuments ni sur les actes notariés. Ceci posé, ceux qui ne veulent récuser ni Strabon ni Porphyre admettent que la Cléopâtre Tryphæna qui fut intronisée en 58 avec Bérénice — ou plutôt avant elle (Strack, p. 68) — était une fille aînée, homonyme de sa mère, et que les quatre autres enfants, nés de Ptolémée veuf, étaient des bâtards. Mais comment concevoir que, durant les conflits qui préparèrent l’annexion (de 47 à 30 a. Chr.), les Romains, vingt fois tentés de balayer les restes de la dynastie, n’aient pas songé à disqualifier Cléopâtre Philopator et ses deux frères comme bâtards, fils de bâtards ? Et le Nothus, qui avait tant souffert de son illégitimité, aurait replacé dans la même situation ses successeurs ! Pour admettre cette énormité, il faudrait que Strabon fût infaillible, et il est précisément fort suspect en cet endroit de s’être trompé de Bérénice, car Pausanias applique la même expression seule légitime, et avec juste raison, à une autre Bérénice (III), la sœur, et non plus la fille, de Ptolémée Aulète. Aussi, récusant Strabon, les uns (Vaillant, Saint-Martin) supposent que l’Aulète s’est remarié après 63 (avec une inconnue) ; d’autres (Letronne), que ses enfants étaient tous nés avant cette date (ce qui est contredit par l’âge de ses fils) ; et tous s’accordent à penser que le roi était encore veuf lors de son départ, en 58, persuadés par Appien qu’il l’était dès 63 et par Porphyre que la Cléopâtre Tryphæna de 58 était sa fille, et non sa femme. Or, Appien dit simplement qu’en 63, les filles de Mithridate, qui avaient été fiancées aux deux Ptolémées (et non pas qui l’étaient à ce moment), étaient encore demoiselles. Cet obstacle écarté, il y a lieu de se demander si Porphyre est plus infaillible que Strabon et s’il n’a pas pu, travaillant sur des textes encombrés d’homonymes, dédoubler indûment la personnalité de Cléopâtre Tryphæna, dédoublement que ne connaissent ni Strabon ni Dion Cassius. Reste l’objection victorieuse de Strack, à savoir que le nom de la reine Cléopâtre, déesse Philopator Philadelphe, disparaît dès 69 des monuments et de la datation des papyrus. Ce constat do carence n’est qu’une preuve négative, qui peut être infirmée demain par la découverte d’une preuve contraire et qui peut aussi — Strack en convient lui-même — s’expliquer autrement. Encore n’est-elle pas complète. Strack (p. 210, 43) est obligé de déclarer inexacte une inscription, datée du 5 décembre 57, qui mentionne l’achèvement des pylônes du T. d’Edfou par Ptolémée Méos Dionysos et sa sœur-épouse la reine Cléopâtre Tryphæna. Inexacte, soit : mais l’erreur commise, vénielle si Cléopâtre n’est morte qu’en 58, devient énorme si elle était décédée onze ans plus tôt. Il est probable que, hors d’Alexandrie, Ptolémée était toujours considéré comme régnant et qu’on ne savait pu à Edfou, en décembre 57, si la reine mère était morte, faute de nouvelles ou par défiance des nouvelles d’Alexandrie. L’existence de la reine mère prolongée jusqu’en 57 résout tous les problèmes à la fois, sans supprimer des textes autre chose que leurs contradictions.

[44] Cicéron, Pro Cælio, 7.

[45] Strabon, XVII, p. 796. Dion Cassius, XXIX, 14. Cicéron, Pro Rabir. Post., 3. Cf. Drumann, IV, p. 512.

[46] Corruptum senatum esse dicunt. C’est un propos des adversaires que combat Cicéron. Son client était de ceux qui avaient prêté à Ptolémée et qui lui faisaient de nouvelles avances pour sauver leur première mise, ne quod crediderat perderet, si credendi constituisset modum.... suppedita pecunia a Postumo est, factæque syngraphæ sunt in Albano Cn. Pompeii, quum ille Roma profectus esset (Cicéron, Pro Rabir. Post., 3).

[47] Strabon, XVII, p. 796. Dion Cassius, XXXIX, 13-14. Cent délégués, c’est beaucoup. Les Alexandrins voulaient faire une manifestation éclatante, représentant l’unanimité des partis.

[48] Cicéron (Pro Cælio, 10) parle de Alexandrinorum pulsatione Puteolana, sur laquelle il n’insiste pas après la plaidoirie de Crassus.

[49] Dion Cassius, XXXIX, 12. Cf. J.-B. Mispoulet, La vie parlementaire à Rome sous la République (Paris, 1899), chap. XII.

[50] Cf. Schol. Bob., p. 349 sqq.

[51] C’est l’opinion de Lange (Röm. Alt., III2, p. 320), fondée sur le contexte de Dion Cassius. Mais Dion ne s’astreint pas à l’ordre rigoureusement chronologique, et il n’est pas probable que les Alexandrins aient attendu, pour envoyer leur ambassade, la fin de l’année 51 (Cicéron n’était rentré que le 4 septembre).

[52] Dion Cassius, XXXIX, 14.

[53] Habitabat is apud Lucceium, ut audiatis, et le meurtre fut perpétré chez Lucceius, in Urbe ac suæ domi (Cicéron, Pro Cælio, 10 et 22).

[54] Cicéron, Pro Cælio, 10. L’auteur du Dial. de oratoribus (§ 21) mentionne le discours Calvi in Ascitium.

[55] Il se rendit dès janvier (?) 56, à Éphèse (Dion Cassius, XXXIX, 16). Peut-être avait-il séjourné quelque temps à Athènes, l’hôtellerie cosmopolite.

[56] Cicéron écrit à Lentulus, qui était déjà parti à la date du 13 janvier 56 : Ammonius, regis legatus, aperte pecunia nos oppugnat ; rea agitur per eosdem creditores per quos, cum tu adoras, agebatur ; regis causa si qui sunt qui velint, qui pauci sunt, omnes rem ad Pompeium deferri volunt (Cicéron, Ad Fam., I, 1, 1).

[57] Pompeius hæc intellegit... C. Catonem a Crasso sustentari (Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 3, 4).

[58] Cicéron, Ad Att., IV, 1, 7 (septembre 57).

[59] Cicéron, Ad Fam., I, 1, 4.

[60] Dion Cassius, XXXIX, 15-16.

[61] Dion Cassius, XXXIX, 16.

[62] Cicéron, Ad Fam., I, 1, 2.

[63] Cicéron, Ad Fam., I, 1-9 (de janvier 56 à déc. 54). Nous n’avons pas les lettres de Lentulus, dont Cicéron indique parfois brièvement le sens.

[64] Cicéron, Ad Fam., I, 2. Cf. les corrections de détail au texte de Cicéron proposées par W. Sternkopf, Die Senatssitzung des 14 Jan. 56 (Hermès, XXXVIII [1903], p. 28-38).

[65] Cicéron, Ad Fam., I, 4.

[66] Cicéron, Ad Fam., I, 2, 4.

[67] Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 2-3. Ad Fam., I, 5.

[68] Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 3, I.

[69] Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 2, 3. Ad Fam., I, 5.

[70] Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 2.

[71] Plutarque, Pompée, 49. In ea re quid Pompeius velit, non dispicio ; familiares ejus quid cupiant omnes vident ; creditores vero regis aperte pecunias suppeditant contra Lentulum (Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 2, 3).

[72] Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 3, 2. Plutarque, Pompée, 48.

[73] Auditus est magno silentio malevolorum (Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 3, 3). Il est difficile de juger du degré de sincérité de cet adolescens nullius consilii, qui, dès 59, appelait Pompée privatum dictatorem (Cicéron, Ad Quint. fr., I, 2, 15). Il en voulait à Lentulus plus qu’à Pompée, avec lequel il se réconcilia bientôt.

[74] Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 3, 4.

[75] Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 4, 4 (numérotage C. F. W. Müller).

[76] Cicéron, Ad Fam., I, 7, 2.

[77] Cicéron, Ad Quint. fratr., II, 4, 6 (C. F. W. Müller).

[78] Cicéron, Ad Fam., I, 7, 4.

[79] Dion Cassius dit que les puissants et l’argent de Ptolémée finirent par prévaloir contre τά τε τοΰ δήμου καί τά τής βουλής (XXXIX, 55), et qu’il fut réintégré par Gabinius (XXXIX, 56). Il a pris au sérieux les jussa populi de Cicéron (In Pison., 21), argument d’avocat glissé par l’orateur dans une série d’arguments vrais.

[80] Cicéron, Ad Fam., I, 7, 4-5. La lettre est de fin juillet 56.

[81] Dion Cassius, XXXIX, 16. Ές Έφεσον έλθών semble indiquer qu’il n’y arriva qu’a ce moment, mais Dion n’est pas un annaliste à cadres rigides.

[82] Dion Cassius, XXXIX, 23.

[83] Sénèque, Controv., V, 30. Plutarque, Cat. min., 38 et 45. Dion Cassius, loc. cit.

[84] D’après Porphyre (FHG., p. 716 = Eusèbe, I, p. 261-262 Schœne), seul garant du fait, ce premier candidat était le roi détrôné par Pompée, Antiochos XIII l’Asiatique. Mais Diodore (XL, 1 b) affirme que ce roi fut assassiné, peu après sa déchéance (avant 63), par l’émir Sampsikeramos d’Émèse. Porphyre doit avoir confondu entre deux Antiochos ; mais la mention précise de l’ambassade et de la mort du prétendant invité par les Alexandrins ne permet pas de récuser tout à fait son témoignage. La moins aventureuse des hypothèses émises à ce sujet est de substituer à Antiochos XIII son frère, qui a pu prendre, comme prétendant au trône de Syrie, le nom dynastique d’Antiochos. R. Bevan (The House of Seleucus, II, p. 268) revient encore à l’idée qu’il s’agit ici du Kybiosactes.

[85] Toujours d’après Porphyre (loc. cit.), qui l’identifie avec Philippe fils d’Antiochos Grypos, lequel, de 95 à 83, avait disputé le trône de Syrie à la branche cadette et fut mis à la porte par ses sujets, en 83, avec les autres artisans de guerre civile. Il s’agit évidemment de son fils Philippe II, qui, lui aussi, avait été un instant roi de Syrie et avait été détrôné, avec son compétiteur Antiochos XIII, par Pompée.

[86] Vaillant, Grævius, Kuhn, etc., veulent que ce soit le frère cadet d’Antiochos XIII, celui qui nous parait avoir été, sous le nom d’Antiochos, le premier candidat à la main de Bérénice. Séleucos peut bien avoir été un autre frère, de naissance illégitime. On ne saurait faire ici que des hypothèses.

[87] Strabon, XVII, p. 796. Dion Cassius, XXXIX, 57.

[88] Ce sobriquet fut plus tard appliqué à Vespasien : Alexandrini Cybiosacten eum vocare perseveraverunt, cognomine unius e regibus suis turpissimorum sordium (Suétone, Vespasien, 19).

[89] Plutarque, Anton., 3.

[90] Cicéron, Pro Rabir. Post., 8 et 11. Plutarque, Anton., 3.

[91] Cicéron, Pro Rabir. Post., 8.

[92] Cicéron, Pro Rabir. Post., 8. 11. Phil., II, 19. Plutarque, Anton., 3. Cf. Appien, B. Civ., V, 8.

[93] Joseph., Ant. Jud., XIV, 6, 2.

[94] Dion Cassius, XXXIX, 58.

[95] Val. Maxime, IX, 1 : Ext., 6. Le petit-fils (homonyme) de cet Archélaos fut fait roi de Cappadoce par Antoine. Sur la date de la restauration de Ptolémée, voyez Strack (p. 209, 42), qui la place en avril 55. En effet, le bruit qui courut à Pouzzoles à la fin d’avril pouvait être un faux bruit (Clinton) ; mais il est évident, d’autre part, que Gabinius a dû se bâter avant la saison de la crue. Même si la rumeur était quelque peu prématurée et se rapportait au départ plutôt qu’à l’arrivée de Gabinius, comme le calendrier romain était à l’époque en avance d’une vingtaine de jours sur le soleil (W. Soltau, Chronol., p. 49), la restauration a pu avoir lieu réellement en avril.

[96] Dion Cassius, XXXIX, 58. Il doit s’être associé, d’une façon quelconque, son fils aîné, ou avoir fait porter à ses enfants les prédicats royaux ; car, dans un papyrus du 24 juin 55 (BGU., 1002), il est appelé πρεσβύτερος Νέος Διόνυσος Φιλοπάτωρ Φιλάδελφος, et, dans une inscription du 31 mai 52, à côté du βασιλεύς Πτολεμαΐος θεύς Νέος Διόνυσος figurent τά τέκνα αύτοΰ θεοί Νέοι Φιλάδελφοι (P. M. Meyer, in Beitr. z. alt. Gesch., II [1902], p. 479, et Strack, Archiv f. Papf., II, 4 [1903], p. 558). Strack estime, vu l’absence du titre de βασιλεΐς, que les enfants n’étaient pas associés au trône. En ce cas, on ne voit pas pourquoi les τέκνα seraient Ptolémée XIV et Cléopâtre VI (dite communément Cléopâtre VII), à l’exclusion des autres.

[97] Ces Gabiniani milites assassinent, en 50, deux fils de M. Bibulus, alors proconsul de Syrie (Val. Maxime, IV, 1, 15), et César eut ensuite affaire à eux (Cæsar, B. Civ., III, 4. 103. 110 ; voyez ci-après, ch. XV, § 1). Leur chef était L. Septimius (Dion Cassius, XLII, 5).

[98] Appien, B. Civ., V, 8.

[99] Cicéron, In Pison., 21. Dion Cassius, XXXIX, 59.

[100] Cicéron, Ad Att., IV, 10 (du 23 avril 55).

[101] Cicéron, Prov. consul., 5.

[102] Cicéron, Prov. consul., 2-7. La question la plus importante du jour était celle du rappel de César.

[103] Cicéron, In Pison., 21.

[104] Dion Cassius, XXXIX, 60.

[105] Cicéron, Ad Q. fratr., II, 11, 2 C. F. W. Müller (vehementer vexatus Gabinius).

[106] Mentionné avec le Pro Gabinio par Quintilien (XI, I, 73).

[107] Dion Cassius, XXXIX, 59-61.

[108] Dion Cassius, XXXIX, 61.

[109] Dion Cassius, XXXIX, 62.

[110] Cicéron, Ad Q. fratr., III, 4. Dion Cassius, XXXIX, 62. Déjà, il se fût fait défenseur pour plaire à Pompée, s’il n’avait craint d’encourir infamiam sempiternum.

[111] Cicéron, Pro Rabir. Post., 8. 11-13. Pompée, n’osant pas certifier en son nom l’innocence de Gabinius, s’en rapportait à Ptolémée, disant regem ad se scripsise, nullam pecuniam Gabinio, nisi in rem militarem, datam. Il citait aussi des lettres à lui écrites par César sur le sujet (Dion Cassius, XXXIX, 63).

[112] Cf. P. Guiraud, Histoire d’un financier romain (Rev. de Paris, 15 janv. 1903, pp. 355-378).

[113] Diœcetes fuit regius : hoc enim nomine utitur qui a rege esset constitutus (Cicéron, op. cit., 8 et 10). Le διοικητής était le chef suprême de l’administration financière (voyez ci-après, tome III). On reprochait à Rabirius d’avoir forfait à son honneur de citoyen romain en allant in eum locum ubi parendum alteri et serviendum sit, en acceptant le titre et portant le costume de fonctionnaire égyptien (palliatum fuisse, aliqua habuisse non Romani hominis insignia). Nos contemporains n’ont plus de ces scrupules.

[114] P. Guiraud (op. cit., p. 374) préfère s’en tenir à la version de l’avocat. Rabirius aurait été victime d’une intrigue de cour et disgracié par le roi, qu’il volait ou condamnait à l’économie. Ce fut une chute de grand-vizir. Il me parait impossible que l’Aulète en ait pris aussi à son aise avec un Romain, qui était par surcroît un protégé de César, tandis que le Romain inspirait plus de haine que de peur aux Alexandrins. Cf. Drumann, VI, p. 13.

[115] Cicéron bafoue cruellement ces malheureux legati Alexandrini. Hi nihil in Gabinium dixerunt. Immo hi Gabinium laudaverunt. Et maintenant, quel front ! Quod habent os ! quam audaciam ! On n’a pas cru comme apologistes, va-t-on maintenant croire comme accusateurs ces farceurs, des Grecs, et des Grecs d’Alexandrie ! Illinc omnes præstigiæ ; illinc, inquam, omnes fallaciæ ; omnia denique ab his mimorum argumenta nata sunt. Il avait jadis (en 69) accommodé de la même façon les Gaulois qui accusaient M’. Fonteius.

[116] (Cæsar), B. Afric., 8. Pour Gabinius, cf. B. Alex., 42. Dion Cassius, XXXIX, 63.

[117] Cicéron, Ad Fam., VII, 17.

[118] Cicéron, Ad Fam., VIII, 4, 5.

[119] Hæc uti fierent, eodem testamento Ptolemæus P. R. obtestabatur (Cæsar, B. Civ., III, 108) — reges, quos Ptolemæus testamento scripserat atque obtestatus erat P. R. ne mutarentur ([Cæsar], B. Alex., 33). Un autre exemplaire, déposé à Alexandrie (B. Civ., III, 108), servait aussi de garantie, d’autre part, contre l’arbitraire des Romains. Les Romains pouvaient revenir à l’idée d’annexer l’Égypte, mais n’avaient pas intérêt à changer les rois. L’expression ne mutarentur me donne à penser que la reine future, Cléopâtre, si impopulaire par la suite, l’était déjà à l’époque, et que son père craignait de la voir écarter par les Alexandrins au profit de sa cadette Arsinoé, mieux assortie, comme reine-épouse, à l’âge de Ptolémée XIV. On s’explique mieux ainsi le rôle d’Arsinoé dans la guerre alexandrine (ci-après, chap. XV, § 1) et la haine meurtrière que lui voua Cléopâtre.

[120] Ce titre est placé dans le protocole tantôt avant, tantôt après les autres. Le premier Dionysos était Ptolémée IV Philopator.

[121] Strabon, XVII, p. 795. Le septième Lagide est Ptolémée Évergète II, auquel nous avons conservé, pour rester dans la tradition ancienne, le numéro VII.

[122] Plutarque, De adulat., 19. C’est cette muselière (φορβειά), qui, d’après la légende, avait dégoûté de la flûte la déesse Athéna. On a trouvé à Philæ un proscynème d’un certain Τρύφων κίναιδος Διονύσου τοΰ νέου (Letronne, Recueil, II, n° 91), titre qui ne laisse pas d’étonner, même sous ce règne.

[123] Voltaire, Dict. philosophique, s. v. Arts.

[124] Lucien., De calumn., 16.

[125] Athénée, V, p. 206 d.

[126] Il avait là un assortiment complet de 14 statues de son double (J. de Morgan, Kom Ombos, I [1895], p. 187).