LA FIN DU PAGANISME

 

LIVRE TROISIÈME — Conséquences de l’éducation païenne sur les auteurs chrétiens

CHAPITRE II — L’OCTAVIUS DE MINUCIUS FÉLIX.

 

 

— I —

Le dialogue intitulé Octavius. - Les interlocuteurs. - Le lieu de la scène. - Les préliminaires.

L’influence des études classiques est bien plus visible encore chez Minucius Félix que chez Tertullien. Nous n’avons de lui qu’un tout petit livre, qui même dans le manuscrit unique qui nous l’a conservé, ne porte pas son nom[1]. Mais cet ouvrage a toujours fait le charme des délicats. Halm l’appelle un livre d’or, et M. Renan la perle de l’apologétique chrétienne.

C’est un dialogue cicéronien, où figurent seulement trois interlocuteurs, Minucius et deux de ses amis. Cicéron, qui a souvent emprunté le fond de ses dialogues philosophiques aux stoïciens, s’éloigne d’eux en ce qu’il n’y fait pas disputer les héros de la vieille mythologie, mais des Romains illustres, ou même des gens de sa famille et de son intimité. Minucius a suivi son exemple. Ses personnages sont réels : nous le savons parfaitement pour deux d’entre eux, et nous devons le présumer du troisième. L’auteur d’abord, qui s’est donné dans son œuvre un rôle assez effacé, était un avocat qui, nous dit-on, ne manquait pas d’une certaine réputation[2]. Quoiqu’il exerçât sa profession à Rome, il n’était pas Romain de naissance ; il venait de l’Afrique, où vraisemblablement il avait passé sa jeunesse[3]. Pourquoi l’avait-il quittée, et quelle ambition le conduisit un jour dans la capitale de l’empire ? Nous ne le savons pas. Peut-être a-t-il été tenté par la brillante fortune de son compatriote, l’orateur Fronton, devenu le maître, puis l’ami d’un empereur, et l’un des premiers personnages de son temps. L’Afrique s’était mise à pratiquer l’art de la parole ; les écoles de Carthage produisaient des rhéteurs habiles, dont la renommée s’étendait au loin, et dans ce pays, où la civilisation était si récente, il commençait à se former une littérature africaine. On peut donc imaginer que des succès obtenus chez lui ont engagé Minucius Félix, comme plus tard saint Augustin, à chercher un plus grand théâtre et des récompenses plus dignes de son talent. Si vraiment il avait rêvé d’obtenir la grande situation de Fronton, nous ne voyons pas que son espérance se soit réalisée ; il ne fut ni préteur, ni consul, comme lui, mais il ne chercha pas non plus à l’être. Devenu chrétien, il se tint loin des l’onctions publiques : c’était son opinion qui un chrétien doit refuser les honneurs et qu’il ne lui convient pas de se vêtir de la robe à bande de pourpre[4]. Voilà ce que nous savons de Minucius. Un hasard heureux nous a conservé quelques renseignements Mur un autre des interlocuteurs du dialogue, Cæcilius Natalis, celui qui défend le parti des païens. Il était de Cirta[5], la ville la plus importante de la Numidie, qui prit plus tard le nom de Constantine ; or à Constantine on a trouvé toute une série d’inscriptions qui très vraisemblablement le concernent[6] ; elles nous apprennent que c’était un homme riche, qui fut revêtu des plus hautes magistratures dans son pays et dans les villes voisines, et qui, pour reconnaître les honneurs qu’il avait reçus, se montra fort généreux pour ses compatriotes. Il ne se contenta pas de verser soixante mille sesterces, en échange des dignités municipales (on sait qu’alors c’étaient les fonctionnaires qui payaient les administrés) ; il y ajouta des statues en l’honneur de l’empereur, un édifice tétrastyle, quelque temple sans doute, des jeux scéniques, qui durèrent sept jours, enfin un arc de triomphe, dont il est resté quelques pierres. A ce moment, Cæcilius était encore païen, puisqu’il donnait des jeux au peuple ; on remarque pourtant que les statues qu’il élève ont un caractère singulier : la première représente la Sécurité du siècle (Securitas sæculi) ; une autre, l’Indulgence du maître (Indulgentia domini nostri) ; la troisième, sa Vertu : c’est le triomphe de l’abstraction. Ne dirait-on pas qu’avant de se faire chrétien Cæcilius avait traversé une de ces sectes philosophiques auxquelles il répugnait de trop individualiser les dieux, et qui se réfugiaient dans le vague de l’allégorie pour éviter de leur donner des traits personnels et de leur faire une figure humaine ? Ce prince, dont Cæcilius glorifie l’indulgence et la vertu, était Caracalla, qu’on ne détestait pas dans les provinces autant qu’à Rome, ce qui nous donne la date approximative du dialogue : il a dû être écrit vers l’an 215. Le troisième et le plus important des interlocuteurs, Octavius Januarius, qui donne son nom à l’ouvrage, est aussi celui que nous connaissons le moins. Tout ce que nous savons de lui, c’est qu’il était Africain, comme ses deux amis[7], marié, père de famille, et qu’il venait à Rome pour les intérêts de son commerce. On nous dit aussi qu’il a embrassé le premier le christianisme, qu’il jouit d’une grande autorité dans sa secte[8], et l’on nous laisse entendre qu’il n’a pas été inutile à la conversion de Minucius Félix. C’est lui qui se charge de répondre aux objections de Cæcilius, resté païen, et qui finit par le conquérir à sa foi.

Les personnages étant réels, on est tenté de croire que les circonstances pourraient bien n’être pas imaginaires. Rien n’empêche que les choses se soient passées à peu près comme Minucius les présente. La conversion d’un homme riche et considéré, d’un magistrat de grande ville, comme Cæcilius, devait être un événement dans une petite communauté, où les puissants de la terre n’étaient pas en grand nombre, on comprend que Minucius Félix s’en soit souvenu volontiers et qu’après la mort de son ami il ait pris plaisir à la raconter.

L’occasion de l’entretien est un voyage d’Octavius à Rome. Minucius et lui, qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps, passent deux jours entiers à se dire tout ce qu’ils ont fait dans l’intervalle ; puis, comme les vacances de septembre arrivent, et que les tribunaux sont fermés, ils se décident à se diriger vers Ostie, la charmante Ostie, comme ils l’appellent, où ils pourront se délasser à prendre des bains de mer et continuer en paix leurs conversations infinies. C’est une idée qui ne viendrait aujourd’hui à personne. La plage d’Ostie est un désert empesté, où règne la fièvre ; les voyageurs ne s’y hasardent plus pendant l’automne. C’était alors un lieu de plaisir où les avocats et les professeurs venaient se reposer des fatigues de la grande ville. Nous savons que, vers le temps de Marc-Aurèle, le philosophe Favorinus y était venu avec quelques amis, et que c’était leur plaisir, quand le soir tombait, de reprendre les arguties des vieilles écoles, qu’ils se demandaient, par exemple, s’il est vrai de dire que, puisqu’une amphore de vin n’est pas complète quand il lui manque un congius, c’est le congius qui fait l’amphore[9]. — Les questions que Minucius et ses amis allaient agiter sur cette plage étaient d’une autre importance.

Voici comment la discussion s’engage. Octavius et Minucius ont amené avec eux, à Ostie, Cæcilius, qui partageait leur intimité, mais qui était toujours païen. Pendant qu’au lever du jour ils suivent le bord de la mer, caressés par l’air frais du matin qui ranime leurs forces et joyeux de fouler le sable humide qui cède sous leurs pas, Cæcilius, ayant aperçu une statue de Sérapis, la salue, selon l’usage, en approchant sa main de ses lèvres et lui envoyant un baiser. Octavius, qui le voit faire, se retourne vers Minucius et lui dit : Vraiment, ce n’est pas bien, mon cher ami, d’abandonner un homme qui vous aime et ne vous quitte jamais dans les égarements d’une vulgaire ignorance, de lui permettre, en un si beau jour, d’adresser des hommages à des pierres, surtout quand vous savez que vous n’êtes pas moins responsable que lui de sa honteuse erreur. La promenade continue ensuite sur ces bords charmants ; on va et l’on vient entre tous ces vaisseaux tirés sur le sable, qui font un spectacle animé ; on regarde les enfants qui s’amusent à faire ricocher des cailloux sur les flots ; mais Cæcilius ne prend plus part à la conversation, il reste sérieux et préoccupé. Est-ce déjà la grâce qui pénètre son cœur en silence, ou éprouve-t-il seulement quelque tristesse de ne plus se sentir d’accord avec ses amis ? Il veut enfin qu’on s’explique ; il faut qu’il leur dise toutes les raisons qui l’attachent à ses anciennes croyances et qu’il sache d’eux pourquoi ils les ont quittées. Arrivés au bout du môle, les trois amis s’assoient sur les blocs de pierre qui protègent le port, et la discussion commence.

— II —

Discours de Cæcilius. - Est-il une reproduction de celui de Fronton ? - Le personnage de Cotta dans le De Natura Deorum de Cicéron. - En quoi Cæcilius lui ressemble. – Cæcilius est à la fois sceptique et dévot.

Cæcilius prend la parole le premier pour défendre l’ancienne religion et attaquer la nouvelle. Il parle avec une force et un éclat qui nous surprennent un peu quand nous songeons que son discours, où le christianisme est fort maltraité, est l’œuvre d’un chrétien. C’est un acte d’impartialité, dont il faut savoir gré à Minucius. D’ordinaire, quand on se fait adresser des objections avec la pensée d’y répondre, on a soin de se ménager un triomphe facile. Sans le vouloir, on est tenté d’affaiblir les arguments qu’on doit réfuter pour en avoir plus aisément raison. Minucius est plus généreux : son païen n’a pas cette attitude ridicule qu’on donne quelquefois aux personnages qu’on imagine pour exprimer les idées qu’on vent combattre ; c’est un homme de sens et d’esprit, dont les préventions mêmes partent de motifs très honorables. Aussi s’est-on demandé, en lisant ce discours où les arguments sont exposés avec tant de force, si l’on ne se trouvait pas en présence d’un acte d’accusation véritable, qui aurait été dressé contre les chrétiens par un de leurs ennemis, et si Minucius ne s’est pas contenté d’en transcrire les principaux griefs, au lieu de se donner la peine de les inventer. C’est ainsi qu’Origène a reproduit exactement, dans sa réfutation, l’ouvrage de Celse, et saint Cyrille celui de Julien. Précisément, nous savons par le dialogue même que quelque temps auparavant l’orateur Fronton avait attaqué les chrétiens avec violence. Ne peut-on pas soupçonner que Cæcilius, qui s’appuie sur son témoignage, n’a fait que reproduire ses paroles, et qu’il nous a ainsi conservé une des oeuvres du maître de Marc-Aurèle ?

Si Minucius Félix n’avait pas pris la peine deux fois de nous le dire, nous n’aurions jamais imaginé qu’un homme comme Fronton, qui nous semble si occupé de sa rhétorique, si noyé dans les soucis futiles du beau langage, eût pris quelque part à des débats aussi sérieux. Il n’est pas vraisemblable qu’il ait jamais composé contre le christianisme un long ouvrage de polémique, comme celui de Celse. Minucius dit positivement que c’était un discours (Cirtensis nostri oratio[10]), ce qui ne doit pas surprendre, quand on se souvient que Fronton n’a jamais été qu’un orateur. Quant aux circonstances pour lesquelles ce discours fut écrit, il me semble qu’on n’en peut raisonnablement imaginer que deux : ou bien il fut prononcé dans le sénat pour appeler la sévérité de l’empereur sur les chrétiens, ou il fut composé simplement pour quelque débat judiciaire. II se peut que Fronton, rencontrant un chrétien parmi ses adversaires, les ait tous attaqués afin d’atteindre plus sûrement son ennemi. C’était une pratique familière à Cicéron, qui n’hésitait pas à malmener les Gaulois, les Alexandrins, les Asiatiques ou les Juifs, quand il pouvait en tirer quelque profit pour sa cause. Cette dernière hypothèse me parait la plus vraisemblable. On ne peut s’expliquer le peu de bruit qu’a fait le discours de Fronton qu’en supposant qu’il ne s’occupait des chrétiens que par hasard et dans une cause privée ; si un personnage de cette importance, qui garda toute sa renommée jusqu’à la fin de l’empire, avait consacré tout un discours à les combattre devant le sénat, il me semble qu’on en aurait parlé davantage et qu’il en resterait plus de traces. Quoi qu’il en soit, Fronton n’avait pas pris la peine d’étudier la doctrine des chrétiens avant de les attaquer. Nous savons qu’il se contentait de répéter ce que leur reprochait la foule. Il y avait alors comme aujourd’hui, comme toujours, tout un répertoire d’accusations banales, à l’usage de tous les partis, au service de toutes les haines, qu’on répétait depuis des siècles, sans qu’elles se fussent jamais discréditées ; c’est ainsi que, pendant toute l’antiquité, on a reproché la vénalité aux hommes d’État ou la trahison aux généraux malheureux et qu’on a prétendu que les philosophes étaient des impies et les savants des magiciens. Ce furent des accusations de ce genre qu’on tourna contre les chrétiens, après les avoir employées contre beaucoup d’autres. On les appela des athées : c’était le nom qu’on donnait à tous ceux qui refusaient de reconnaître les dieux officiels. On raconta que, dans leurs agapes, où ils assistaient avec leurs mères et leurs saurs, les lumières s’éteignaient à un signal convenu, et que des adultères ou des incestes se commettaient dans l’ombre : cinq siècles auparavant on avait reproché le même crime aux fana-tiques réunis pour célébrer les Bacchanales[11]. Enfin on prétendit que les chrétiens avaient coutume de couper un enfant par morceaux et de le donner à dévorer à tous ceux qu’ils admettaient à leurs mystères : c’était encore une vieille fable et bien souvent employée ; Salluste, raconte à peu près la même histoire de Catilina et de ses complices[12]. Voilà pourtant les calomnies qu’un sénateur, un consulaire, ne craignit pas de répéter, sans prendre soin d’en vérifier l’exactitude. Il ne parle pas, dit très justement Minucius [31], avec la gravité d’un témoin qui vient affirmer un fait ; il lui suffit de nous injurier comme un avocat. Il est sûr qu’en parlant ainsi Fronton suivait encore les traditions de l’ancienne rhétorique. Cicéron recommande à ceux qui veulent réussir au barreau d’embellir leurs plaidoyers de quelques petits mensonges agréables, causam mendaciunculis adspergere. Ces mensonges, il n’eut même pas la peine de les imaginer ; il les trouva dans la bouche de tout le monde[13]. En recueillant avec soin et reprenant pour son compte des calomnies qui pouvaient servir à déconsidérer un adversaire, il était fidèle aux leçons de ses maîtres.

Le discours de Fronton devait exister encore à l’époque où le dialogue fut composé. Est-il vraisemblable, comme on l’a dit quelquefois, que Minucius Félix en ait mis l’essentiel dans la bouche de Cæcilius ? L’hypothèse est séduisante, mais voici les raisons qui m’empêchent de la croire vraie. D’abord le style des deux écrivains n’est pas le même. Je retrouve beau-coup moins, dans l’Octavius, ces affectations d’archaïsme, ces imitations des vieux auteurs, qui étaient la manie de Fronton et de son école. Quoique la langue de Minucius soit toute nourrie des auteurs classiques, il s’y glisse des expressions qui sentent la décadence[14] ; on y trouve des tournures qui n’étaient que des singularités et des exceptions chez les bons écrivains, et qui sont devenues chez lui une habitude[15]. Fronton se piquait d’être un puriste, un délicat, un artiste en beau langage, et ces négligences l’auraient scandalisé. Mais ce n’est pas seulement par le style que Cæcilius et Fronton diffèrent ; ils se ressemblent encore moins par les opinons. Nous allons voir que Cæcilius traite fort honorablement les anciens sages et imite Sénèque à l’occasion, tandis que Fronton avait horreur de la philosophie et se moquait volontiers de Sénèque. Tout apologiste qu’il prétend être du paganisme, Cæcilius est en somme une sorte de sceptique, qui ne croit guère à cette religion qu’il défend, qui ne s’y rattache que faute de mieux et pour couper court à des discussions inutiles. Au contraire, Fronton était un dévot sincère et un païen pratiquant. Il raconte qu’il sacrifiait à tous les autels, quand un de ses amis était malade, qu’il visitait toutes les chapelles et faisait ses dévotions à tous les arbres des bois sacrés. Fronton ne peut donc pas être le modèle sur lequel Minucius Félix a formé son personnage. Ce n’est pas qu’il l’ait imaginé tout à fait à sa fantaisie ; nous savons au contraire qu’il est allé le prendre chez un écrivain autorisé. M. Ebert a montré qu’il ressemblé au principal interlocuteur du dialogue de Cicéron sur la Nature des dieux, au pontife Aurelius Cotta[16]. C’est donc à Cotta que songeait Minucius en faisant parler son païen, ou plutôt à Cicéron lui-même, car Cicéron s’est représenté sous les traits de Cotta ; et, comme à la fin de son ouvrage, l’auteur du dialogue montrait Cæcilius convaincu par les arguments de son adversaire et promettant d’embrasser la foi qu’il vient de combattre, il devait lui sembler que c’était Cicéron lui-même qu’il amenait au christianisme. Convertir Cicéron, quelle joie et quel triomphe pour un chrétien ami des lettres !

Cotta est un grand seigneur et un homme d’État, qui a rempli des fonctions politiques et religieuses, et qui est membre du collège des pontifes. Il appartient par sa naissance au parti du passé, toutes les innovations lui répugnent et l’effrayent. Cependant il a reçu l’éducation que donnent les professeurs grecs, et, comme il est du grand monde, il n’a pu se dispenser d’étudier la philosophie qu’il est à la mode de connaître ; mais il a choisi, parmi les sectes philosophiques, celle qui lui permet de combattre toutes les autres : il est académicien, et, en cette qualité, il professe que s’il y a quelques opinions probables, il n’en est pas de certaine ; ce qui l’autorise à contester toutes les solutions qu’on a données des grands problèmes. Il se sert ainsi de la philosophie contre la philosophie même. Comme il n’y a rien de plus impatientant pour un homme qui nie qu’un homme qui affirme, il maltraite de préférence les écoles les plus dogmatiques. A ce titre, les stoïciens lui sont particulièrement insupportables ; c’est surtout contre eux qu’il dirige ses coups, et, en les frappant, il se trouve atteindre les grandes vérités qu’ils ont essayé d’établir, notamment l’existence de Dieu et son action sur le monde. Pour un pontife c’est aller loin que de douter de Dieu et de nier la Providence ; ses adversaires ne manquent pas de le lui faire remarquer. Cotta répond que, tout en attaquant les opinions religieuses des philosophes, il entend défendre et conserver la religion de son pays. Si j’abandonne, dit-il[17], Zénon, Cléanthe ou Chrysippe, je veux suivre Ti. Coruncanius, P. Scipion, P. Scævola, qui ont été grands pontifes. La religion nationale est une institution comme les autres, il faut la respecter au même titre. Les philosophes, en prétendant l’expliquer, l’ébranlent[18]. Un bon citoyen l’accepte et la pratique, parce qu’elle est le fondement de la cité[19]. Il n’a pas besoin qu’on vienne lui rendre compte de ses croyances ; il les tient de ses pères, cela lui suffit[20] : voilà toute la doctrine de Cotta.

Tel est le personnage sur lequel Minucius Félix a les yeux fixés, quand il fait parler Cæcilius. Entre Cæcilius et Cotta il n’y a que les différences qu’explique la diversité des temps ; pour l’essentiel leur attitude est semblable, et ils s’expriment de la même façon. Cæcilius est un académicien, comme Cotta, et c’est par erreur qu’on le qualifie quelquefois d’épicurien. Il expose clairement, dès le début de son discours, quels sont ses principes philosophiques, lorsqu’il dit [5, 2] que tout, dans les choses humaines, est incertain et douteux, et qu’il peut y avoir des vraisemblances, mais qu’il n’y a pas de vérités. Son école est donc celle d’Arcésilas et de Carnéade, dont il loue quelque part le doute prudent, Arcesilæ et Carnædis et academicorum plurimorum tuta dubitatio [12 et 13] ; et, si le doute est quelque part légitime, c’est surtout quand on agite ces questions obscures, sur lesquelles il est si malaisé de se satisfaire. Que ne fait-on comme Simonide, quand Hiéron l’interrogea sur l’existence des dieux et sur leur nature ? Il demanda un jour pour y réfléchir, puis un autre, puis un troisième ; et comme Hiéron voulait savoir la cause de ces retards, il lui répondit que plus il y songeait, moins il y voyait clair [13, 4]. Il faut donc que l’homme s’habitue à regarder à ses pieds plutôt que de se perdre dans les nues. Socrate avait bien raison de dire que ce qui est au-dessus de nous ne nous regarde pas[21] ; laissons dormir ces grands problèmes que la philosophie se pose depuis des siècles et dont elle n’a pas trouvé la solution. Cæcilius pense que c’est perdre son temps que de les agiter et qu’on n’arrivera jamais à les résoudre ; ce sont pour lui des mystères qui doivent toujours rester obscurs. Toutes les preuves qu’on a tenté de donner de l’existence de Dieu lui paraissent faibles, et, si l’on a réuni un certain nombre d’arguments qui semblent établir que Dieu veille sur le monde, il en énumère d’autres qui laissent croire qu’il ne s’en occupe pas [5].

Mais cette profession de foi, qui semble aussi nette que possible, est suivie d’une volte-face inattendue. Ce sceptique va devenir tout d’un coup un croyant ; et, ce qui est le plus curieux, ce sont ses doutes mêmes sur Dieu et sur la Providence qui le ramèneront à la religion de son pays. Plus le hasard est aveugle, nous dit-il, plus la nature est cachée, et plus il convient de rester fidèle aux traditions de nos aïeux. Puisque toutes les recherches que nous essayons de faire sur l’existence et la nature de Dieu ne nous mènent à rien, que nous reste-t-il de mieux que d’accepter aveuglément ce qu’ont établi ceux qui vivaient avant nous[22] ? C’est bien à peu près ainsi que raisonne Cotta ; seulement il y a cette différence entre Cæcilius et lui qu’il reste toujours un homme politique et ne devient pas un dévot. On sent qu’il joue un rôle lorsqu’il célèbre les pratiques instituées par Numa Pompilius, et l’on soupçonne qu’il se moque au fond du cœur de ce qu’il défend en public. Cæcilius est plus sincère ; il appartient à une époque croyante. Si les superstitions le blessent, en sa qualité d’homme éclairé, il ne croit pas qu’on puisse se passer d’une religion [13, 15]. Puisqu’il en faut une à l’homme, celle qui a donné tant de gloire à son pays lui paraît préférable aux autres. On voit bien que, malgré son scepticisme apparent, il ne demande qu’un prétexte pour suivre la foule dans ces temples qui rappellent tant de beaux souvenirs. Une fois qu’il en a franchi le seuil, il est repris par toutes les croyances de sa jeunesse. Il accepte toutes les fables, il croit à tous les prodiges, il glorifie les oracles, il regarde les devins comme les bienfaiteurs de l’humanité[23] ; il attribue à la piété des Romains toute leur grandeur : C’est parce qu’ils ont attiré chez eux tous les dieux de l’univers qu’ils sont devenus les maîtres du monde[24]. Ces opinions sont bien d’un homme de ce temps. Il y avait alors fort peu d’incrédules véritables, et Cæcilius a raison de nous dire que ceux mêmes qui passaient leur journée à nier les dieux croyaient les voir et les entendre pendant leur sommeil [7, 6].

La sévérité de Cæcilius contre le christianisme s’explique aisément. Nous venons de voir qu’il y a chez lui à la fois un sceptique et un dévot ; le dévot et le sceptique s’entendent pour être également hostiles aux chrétiens. On comprend, qu’en sa qualité d’académicien, comme Cotta, il soit, comme lui, l’ennemi acharné des dogmatiques. Il ne peut pas souffrir des gens qui ne doutent jamais de rien, et qui, par exemple, paraissent si certains de l’existence d’une autre vie. Ils en parlent, dit-il[25], avec tant d’assurance, que vous diriez qu’ils en reviennent. Ce qui augmente sa colère, c’est que la plupart d’entre eux n’ont jamais étudié et ne sortent pas des écoles. Peut-on voir sans douleur, sans indignation, des ignorants, des illettrés, décider souverainement des choses divines et trancher des questions sur lesquelles les philosophes ne sont pas d’accord ! Voilà les reproches que leur adresse le sceptique ; le dévot est plus rigoureux encore : il déclare, avec une violence qui surprend chez ce sage désabusé, qu’il est impossible de souffrir des audacieux, des impies, qui essayent d’affaiblir ou de détruire une religion si vieille, si utile, si salutaire ; il les traite de sacrilèges, de va-nu-pieds [Seminudi], de misérables, qui sortent de la lie du peuple. Ce sont des gens de ténèbres, qui se taisent devant le monde et ne deviennent bavards que lorsqu’ils vous tiennent seuls dans un coin, latebrosa et lucifuga natio, in publicum mata, in angulis garrula[26]. Il en vient aussi à ces accusations abominables de débauche, d’assassinat, d’inceste [9] qu’on s’étonne de trouver dans la bouche d’un homme comme Cæcilius ; il connaît de longue date Octavius et Minucius, il les aime, il les estime : comment a-t-il pu un moment supposer que d’aussi honnêtes gens pouvaient s’être affiliés à une secte qui commettrait tant d’horreurs ?

— III —

Discours d’Octavius. - Comment il se sert des philosophes anciens pour réfuter Cæcilius. - Sa défense du christianisme. - Il ne parle pas du Christ ni de l’Évangile. - De quelle manière on a expliqué ce silence. - Était-il un nouveau converti qui connaissait mal sa religion ? - Il n’a pas voulu tout dire. - Pourquoi ? - Quels sont les gens auxquels il s’adresse ? - Ses efforts pour gagner les gens du monde. - Christianisme de Minucius.

Cæcilius ne peut s’empêcher d’être fort satisfait de lui-même, et plein de confiance dans la force de ses arguments. Que va répondre Octavius ? dit-il en achevant de parler. Octavius, qui ne paraît pas fort troublé par cette assurance, prend la parole et la garde longtemps. Son discours est la partie importante de l’ouvrage ; il mérite d’être étudié avec soin.

Il faut avouer que des gens comme Cæcilius et Cotta, qui tiennent à être à la fois dévots et sceptiques, prennent une situation qu’il n’est pas aisé de défendre, et que leurs raisonnements ne peuvent pas toujours être très logiques. Octavius ne manque pas d’en profiter dans sa réponse. Il est étrange, en effet, qu’on doute de l’existence de Dieu en général, et qu’on affirme avec acharnement celle des dieux particuliers d’un pays ; qui après qu’on a nié l’intervention divine dans les affaires humaines, on soutienne l’efficacité d’un culte, et qu’on, en recommande la pratique, c’est-à-dire qu’on exige des gens qu’ils se tournent vers le ciel, quand on vient de leur dire qu’il est vide, et qu’ils adressent des prières à des divinités qui ne peuvent pas les entendre. Octavius a quelque droit de se demander si ceux qui raisonnent ainsi sont des trompeurs ou des dupes [16, 1]. Par malheur, c’est quand il s’agit de choses religieuses, c’est-à-dire lorsqu’on devrait chercher surtout à voir clair dans sa pensée, qu’on se pique le moins d’être d’accord avec soi-même. On cherche, de la meilleure foi du monde, des compromis impossibles entre des opinions contraires ; on essaye de concilier ensemble les doutes que nous suggère notre raison avec les croyances que l’habitude et la tradition nous imposent.

Octavius commence par défendre contre Cæcilius l’existence de Dieu et la Providence, et il le fait avec les preuves dont on s’est servi de tout temps dans les écoles. Il cite Thalès, Anaximène, Xénophane, Zénon, Chrysippe, Platon, et même les beaux vers de Virgile, dans le sixième livre de son poème. Après avoir prouvé qu’il y a un Dieu, il établit qu’il n’y en a qu’un. Pour démontrer que les divinités populaires n’existent pas, que ce sont des abstractions sans réalité ou des hommes auxquels la reconnaissance ou la peur ont attribué les honneurs divins, il invoque l’autorité de Prodicus, de Diodore, surtout le roman sacré d’Évhémère, dont les pères de l’Église ont tiré tant de profit dans leur polémique. Cæcilius a cru faire merveille, pour le triomphe de sa cause, d’insister sur les miracles que les dieux ont accomplis en faveur de Rome, sur les prédictions des devins qui se sont réalisées, sur les succès qu’ont obtenus les généraux qui se sont conformés aux avis du ciel interprétés par les augures, et les infortunes de ceux qui les ont négligés. L’argument parait faible à Octavius, qui commence par nier la plupart des miracles que Cæcilius vient d’énumérer avec complaisance. Ce sont pour lui des contes de vieilles femmes. Si ces merveilles s’étaient jamais accomplies, dit-il, elles s’accompliraient encore de nos jours ; puisqu’il n’y en a plus de semblables, c’est qu’il n’y en a jamais eu[27]. Quant aux miracles qui lui semblent mieux attestés, ils ne le troublent guère. Il en rend compte le plus facilement du monde en disant qu’ils sont l’œuvre des démons, et cette théorie de l’intervention des démons, qui permet aux chrétiens d’expliquer tous les faits extraordinaires de la mythologie, les dieux qui apparaissent, les statues qui parlent, les devins qui prédisent, etc., il l’appuie sur le témoignage de toute l’antiquité. Comment pourrait-on douter de leur existence ? Les poètes en parlent, les philosophes s’occupent d’eux, Socrate les a connus, les magiciens et surtout leur chef Hostanes distinguent les bons des mauvais. Que dire de Platon, qui, dans son Banquet, a essayé de déterminer leur nature ? [26, 9]

Dans tous ces raisonnements, que j’ai fort abrégés, l’artifice de Minucius est facile à saisir. Il consiste à invoquer, à l’appui des idées nouvelles, des autorités antiques. Nous avons vu plus haut, que, parmi les apologistes du christianisme, il y avait deux écoles. Les uns, plus audacieux, plus sincères aussi, insistaient de préférence sur les côtés nouveaux de la doctrine ; il leur plaisait de montrer qu’elle rompait avec les traditions anciennes et qu’elle travaillait à changer le monde. Les autres, au contraire, des politiques, des mondains, des lettrés, des gens d’école, voulaient à toute force la rattacher au passé. Ils recueillaient avec soin tout ce qui, chez les philosophes, ressemblait aux dogmes de l’Église, pensant que c’était un coud de maître de réfuter les païens par eux-mêmes [20, 2]. Minucius est pour nous le type des théologiens de cette école. Tout son travail consiste à chercher dans les livres des anciens sages des précédents au christianisme ; et, quand il y trouve des opinions qui lui paraissent se rapprocher des siennes, il le constate d’un air de triomphe : Eadem fere sunt ista quæ nostra sunt [10, 15].

La seconde partie du discours d’Octavius est la plus intéressante. Après avoir attaqué la religion de son adversaire, il faut bien qu’il en vienne à défendre la sienne. Elle a été, on vient de le voir, fort maltraitée, et Cæcilius en est venu, dans l’excès de son zèle, jusqu’à ramasser toutes les infamies dont on se servait à Rome, depuis des siècles, pour flétrir les associations politiques ou religieuses qu’on ne voulait pas se donner la peine de connaître. A ces accusations banales d’inceste et d’assassinat Octavius ne répond qu’un mot : Ceux-là seuls, dit-il[28], pourront croire à ces horreurs, qui seraient capables de les commettre. Les honnêtes gens n’auront pas besoin qu’on en dise davantage. Quant aux autres reproches, ce sont encore les philosophes païens qui lui fournissent des armes pour les réfuter : la méthode est bonne, il persiste jusqu’au bout à l’employer. On raille les chrétiens parce qu’ils ne doutent pas que l’âme ne survive au corps ; on ne peut pas souffrir que ces présomptueux, comme on les appelle, parlent avec une assurance insolente des châtiments et des récompenses de l’autre monde ; mais ces récompenses et ces punitions ne sont pas des inventions nouvelles ; les vieilles religions ne les ont-elles pas figurées déjà dans le Styx et les Champs Élysée ? Pythagore et Platon ont entrevu la croyance à l’immortalité de l’âme, et il suffit que leur doctrine s’accorde sur ce point avec celle de l’Église pour qu’on ne se permette plus de se moquer des chrétiens[29]. Il en est de même de ces prédictions de la fin du monde et de l’embrasement universel, qui sont pour les ennemis du christianisme un sujet éternel de raillerie ou de colère. Ils ont bien tort d’en plaisanter, puisque les stoïciens annoncent qu’un moment doit venir où le feu consumera la voûte du ciel avec tout ce qu’elle enferme [34, 2]. Les chrétiens disent-ils autre chose ? On leur reproche aussi quelquefois leur pauvreté ; on s’étonne que ces favoris du ciel manquent de tout sur la terre, et que leur Dieu, qui leur promet une immortalité de délices après leur mort, ne puisse pas leur donner du pain pendant leur vie. L’objection n’est guère sérieuse ; Octavius y répond en empruntant les idées et quelquefois même les expressions de Sénèque. Celui-là seul est pauvre, dit-il, qui manque des choses dont il a besoin ; or le vrai chrétien possède tout ce qu’il désire. Les biens du monde n’ayant aucun prix pour lui, il lui est indifférent d’en être privé. On ne doit pas les railler non plus, ni même affecter ironiquement de les plaindre, parce qu’ils s’exposent volontairement pour leurs croyances à être brûlés vifs ou mis en croix. Comment les païens, qui comblent d’éloges, qui élèvent jusqu’aux nues un Scævola, un Regulus, osent-ils insulter les martyrs qui se sont offerts, comme eux, à la mort, et avec plus de courage ? Il ne faut pas prétendre que Dieu les abandonne. En les laissant souffrir, il les éprouve, et il les couronne quand ils résistent. N’est-ce pas le plus beau des spectacles, et le plus digne de Dieu, de voir un chrétien aux prises avec la douleur, braver la mort et les bourreaux, rester maître de lui en face des rois et des princes, et triompher du juge même qui vient de prononcer la sentence ? [37, 1].

C’est ainsi qu’en s’aidant des philosophes antiques, Octavius réfute tous les arguments de son adversaire ; il se met à sa suite, sur ses pas, reprenant tour à tour toutes ses objections, et semble tenir à n’en laisser aucune sans la relever. Il y en a une pourtant à laquelle il n’a pas répondu, et ce silence nous cause d’autant plus de surprise qu’elle nous paraît plus importante : Cæcilius a reproché durement aux chrétiens d’adorer un homme crucifié pour ses crimes ; ils honorent la croix, dit-il, parce qu’ils la méritent, id colunt quod morentur [9, 4]. L’insulte est cruelle ; elle aurait dû révolter Octavius. D’ailleurs l’occasion était bonne pour lui de faire connaître aux païens ce Christ qu’ils outragent. On s’attend qu’il sera heureux de la saisir. Au contraire, il tourne court, et se contente d’une phrase brève et obscure, qui semble dire quel si c’était un homme comme les autres et s’il avait commis quelque crime, on ne l’honorerait pas comme un Dieu[30]. Voilà tout. Pourquoi donc s’est-il refusé à donner des explications sur lesquelles on comptait ? Comment peut-il se faire que, dans une apologie du christianisme, il n’ait pas voulu prononcer le nom du Christ ? Et non seulement le Christ est absent de l’ouvrage de Minucius, mais il n’y parle ni de la Bible, ni de l’Évangile, ni des apôtres. Parmi les dogmes essentiels de l’Église, il n’est question que de ceux qui ressemblent aux opinions des philosophes. La doctrine de la grâce non seulement n’est mentionnée nulle part, mais elle semble même formellement contredite. Pour répondre aux plaisanteries de son adversaire qui se moque de ces ignorants, de ces gens de rien, qui osent disputer sur Dieu et sur le monde, Octavius lui dit [16, 5] : Sachez que tous les hommes, sans distinction d’âge, de sexe, de position, sont capables de raison et de bon sens, et n’ils peuvent arriver d’eux-mêmes à la sagesse. Si la nature les y conduit toute seule, s’ils n’ont pas besoin de l’aide de Dieu pour l’obtenir, que devient la nécessité de la grâce ? Il ajoute un peu plus loin, que, pour connaître Dieu, au lieu d’écouter les erreurs de ceux qui nous entourent, il suffit de nous interroger nous-mêmes et de croire en nous, sibi credere[31]. C’est tout à fait ainsi que s’exprime Sénèque[32] ; mais l’apologiste Athénagore, un contemporain de Minucius, parle bien autrement. Il attaque ces sages du monde qui prétendent que la raison toute seule peut les conduire à la vérité, et se flattent de connaître Dieu par leurs propres lumières. Nous autres, dit-il[33], quand nous cherchons ce qu’il nous faut croire, nous nous fions au témoignage des prophètes, lesquels, étant inspirés de Dieu, nous parlent de lui en son nom. Voilà un langage vraiment chrétien et qui semble une réponse directe aux paroles de Minucius.

Si nous nous en tenons à ces déclarations de Minucius, sa religion ne paraît être qu’un monothéisme rigoureux, quelque chose comme l’islamisme ; et non seulement elle n’a pas de dogmes, mais il semble même qu’elle se passe de culte. On reproche aux chrétiens, comme une sorte de sacrilège, de ne posséder ni autels ni temples. Octavius ne s’émeut guère de cette accusation : Est-il besoin, dit-il, d’élever à Dieu des statues, si l’homme est son image ? Pourquoi lui bâtirait-on des temples, puisque l’univers, qu’il a formé de ses mains, ne suffit pas pour le contenir ? Comment enfermer cette immensité dans une petite chapelle ? C’est notre âme qui doit lui servir de demeure, et il demande que nous lui consacrions notre crieur. A quoi sert de lui offrir des victimes, et ne serait-ce pas une ingratitude, après qu’il nous a donné tout ce qui naît sur la terre pour notre usage, de lui rendre les présents qu’il nous a faits ? Sachons qu’il ne réclame de nous qu’un cœur pur et une conscience honnête. C’est prier Dieu que de conserver son innocence ; c’est l’honorer que de respecter la justice. On se le rend favorable en s’abstenant de toute fraude, et quand on sauve un homme d’un danger, on lui fait le sacrifice qu’il préfère. Ce sont là les victimes, c’est le culte que nous lui offrons. Chez nous, celui-là est le plus religieux qui est le plus juste [32, 3]. Voilà sans doute une belle profession de foi, mais Sénèque l’aurait signée aussi bien que Minucius. Si c’est là toute la doctrine des chrétiens, ils ne sont qu’une secte philosophique comme les autres.

Comment donc se fait-il que Minucius, qui parle en leur nom, nous les ait si mal présentés ? Quelques savants supposent, pour l’expliquer, que c’était un nouveau converti, qui, dans l’ardeur de sa foi, entreprit de défendre une religion qu’il n’avait pas en le temps de bien connaître[34]. C’est ce qui arriva, dit-on, pour Arnobe : saint Jérôme raconte que, lorsqu’il composa ses sept livres contre les païens, il n’était pas encore admis parmi les catéchumènes, et qu’il fit une apologie du christianisme pour mériter l’honneur d’être reçu dans l’Église. On comprend qu’il ne fût pas très au courant d’une doctrine qu’il venait d’embrasser. Mais Minucius ne se trouvait pas dans la même situation qu’Arnobe. Quand il écrivit son ouvrage, l’entretien qu’il rapporte était déjà vieux de quelques années, puisque Octavius était mort dans l’intervalle ; or, à l’époque où l’entretien se passait, Minucius était déjà chrétien. On ne peut donc pas prétendre que ce soit un nouveau converti et que le temps lui ait manqué pour s’instruire. Du moment que ses erreurs ou ses omissions ne viennent pas d’une instruction incomplète, elles doivent être volontaires, et s’il n’est pas un ignorant, il faut qu’il soit un hérétique. On l’a quelquefois soutenu, mais, je crois, sans aucune vraisemblance. S’il l’avait été, Lactance et saint Jérôme l’auraient-ils mis, sans faire quelque réserve, au rang des défenseurs du christianisme ? Lactance surtout lui est très favorable : il regrette qu’entraîné vers d’autres travaux, il n’ait pas donné tout son temps à l’apologétique, et déclare qu’il aurait pu rendre de grands services à l’Église s’il s’était uniquement occupé à la défendre[35]. Cette estime et ce regret montrent clairement qu’il ne le regardait pas comme un hérétique.

Quant à moi, comme il a surtout péché par omission[36] et qu’en général ce qu’il dit du christianisme est vrai, mais qu’il n’a pas dit toute la vérité, il me semble plus simple de supposer qu’il avait ses raisons pour se taire et qu’il en sait plus long qu’il n’en a dit. C’est du reste ce qu’il laisse entendre lui-même à la fin de son ouvrage. Quand Octavius a fini de parler, Cæcilius se déclare convaincu par les paroles de son ami. Il ne doute plus de l’existence de Dieu ou de la Providence, il reconnaît l’injustice de ses préjugés contre les chrétiens. Cependant il a besoin, avant de se décider, de quelques éclaircissements encore. Ce ne sont plus des objections qu’il veut présenter, c’est un complément d’instruction qu’il réclame, et comme le soleil s’approche de son coucher, la conversation est remise au lendemain. On peut donc admettre que ce qui n’a pas été dit ce jour-là est réservé pour les jours suivants. Ainsi l’auteur reconnaît lui-même qu’il n’a pas exposé toute la doctrine chrétienne dans son ouvrage, et il n’y a aucune conclusion grave à tirer des lacunes qui s’y trouvent, puisqu’il annonce qu’il ajoutera plus tard ce qui manque.

Je vais plus loin ; il me semble que, même s’il ne se donnait pas la peine de nous apprendre qu’il n’a pas voulu ou n’a pas pu tout dire, s’il ne nous laissait pas entrevoir qu’il compte ajouter certains compléments à l’exposition de sa doctrine, qui pourront bien la présenter sous un jour nouveau, il serait possible de le deviner à quelques contradictions, qui lui échappent. Je remarque que sa manière de concevoir le Dieu unique et tout-puissant parait au début beaucoup plus abstraite et philosophique qu’elle ne l’est à la fin. Il déclare d’abord qu’il ne veut pas l’appeler un père, de peur d’en faire un être charnel, ni un roi ou un maître, ce qui lui donnerait l’air d’un homme. Il l’appellera seulement Dieu, et cela suffit. Loin d’ici, dit-il[37], tous ces abus de noms inutiles ! Ce qui n’empêche pas que ces noms qu’il blâme,. il n’hésite pas, un peu plus loin, à les lui donner. Quand il se fâche contre ceux qui ne reconnaissent pas sa puissance, il l’appelle sans scrupule, parentem omnium et omnium dominum [33, 4]. Mais voici ce qui paraît plus grave. Pendant tout le cours de son ouvrage, il se montre plein de respect et d’admiration pour les philosophes ; il leur emprunte leurs raisonnements, il s’appuie de leur opinion, il va jusqu’à dire que la doctrine de Platon est divine [19, 14] ; puis tout d’un coup, dans un des derniers chapitres, il change de ton, sans qu’on sache pourquoi ; il appelle Socrate, le maître de tous ces sages, le bouffon d’Athènes[38] ; il traite ses disciples de corrupteurs et de débauchés, qui ne peuvent pas tonner contre les vices sans s’attaquer eux-mêmes[39]. N’est-ce pas l’indice qu’il a volontairement dissimulé quelques aspects du christianisme et qu’il n’a voulu le faire voir que d’une certaine façon, mais que par moments il oublie le rôle qu’il s’est donné et que la vérité lui échappe ? Remarquons que c’est à la fin de son discours que ces contradictions se trouvent. On dirait qu’à mesure qu’il avance, il se sent plus maître de celui qui l’écoute et qu’il ne se croit plus tenu à prendre autant de précautions.

Pourquoi donc s’est-il cru obligé d’user de ces artifices ? La réponse est aisée : c’est qu’il voulait amener au christianisme des gens qui lui étaient fort contraires, et dont l’esprit en avait été jusque-là très éloigné. Il a craint de les en détourner pour jamais, s’il le leur montrait d’abord dans toute sa rigueur, et il lui a semblé utile, pour désarmer leurs préjugés, de commencer par le leur présenter sous les couleurs qui pouvaient le plus leur plaire[40].

Cæcilius avait dit à plusieurs reprises que les chrétiens ne sont qu’un ramassis de pauvres et d’illettrés, de gens sans naissance et sans instruction[41] ; Octavius relève très vivement ces insultes. Il proclame, nous l’avons vu, que tous les hommes, sans distinction de rang et de fortune, peuvent avoir accès à la vérité, et que beaucoup de philosophes, avant le s’être fait un grand nom, ont été traités d’ignorants et de gens de rien. Il n’en est pas moins vrai que cette accusation le touche plus qu’il ne veut bien le dire. Il laisse entendre que, même pour le présent, elle n’est pas entièrement juste et qu’il est faux que les chrétiens ne se composent que de la lie du peuple [31, 6]. Dans tous les cas il désiré qu’elle cesse tout à fait d’être méritée dans l’avenir. Il comprenait que la victoire du christianisme ne serait complète et sûre que ; s’il parvenait à s’attacher les classes dirigeantes et lettrées, qui, à la longue, entraînent les autres. Mais on ne pouvait les gagner qu’en commençant par dissiper leurs préventions. Il fallait leur prouver d’abord qu’un chrétien n’est pas, comme on se le figurait ordinairement, une sorte de sauvage prêt à détruire cette civilisation qui craint de l’accueillir ; qu’au contraire il est capable de la comprendre et de s’accommoder avec elle, si elle veut bien lui faire une place. La bonne société leur reprochait de ne pas partager ses goûts et de vivre autrement qu’elle : c’est un crime qu’elle ne pardonne guère. Quand on les voyait s’isoler du monde et ne pas prendre part aux plaisirs communs, comment ne pas les soupçonner d’être des ennemis du genre humain ? Minucius est bien forcé de reconnaître qu’ils ne fréquentent pas les théâtres, qu’ils s’éloignent des fêtes où la religion est mêlée. Il avoue aussi, ce qui est plus grave, qu’ils se refusent aux dignités publiques, qu’ils ne veulent être ni fonctionnaires de l’État, ni magistrats dans les municipes. Mais il veut prouver au moins que, pour ce qui est des devoirs ordinaires de la vie, les chrétiens ne les désertent pas, et il le démontre d’une façon fort ingénieuse, par des faits plus que par des raisonnements. M. Ebert fait remarquer que lorsqu’il montre les trois amis attendant, pour quitter Rome, que les vacances d’automne aient commencé, il nous laisse entendre, sans en avoir l’air, que leur religion ne force pas les chrétiens à rompre avec les emplois qu’ils exercent, qu’ils ont leurs occupations aussi, qu’ils les prennent au sérieux, comme tout le monde, et que lorsqu’ils sont causidici, comme était Minucius, ils ne s’éloignent du forum que quand les tribunaux ont congé. C’est justement le stratagème auquel Cicéron a recours, dans ses dialogues, pour rassurer les gens sévères à qui la science grecque est suspecte ; il affecte de ne s’en occuper que pendant les jours de repos, pour leur faire voir qu’elle ne détourné pas des affaires sérieuses, qu’elle n’empiète pas sur le temps qui leur est réservé, et qu’elle est compatible avec elles. Minucius montre de la même manière, sans aucune apparence de démonstration, que les chrétiens ne sont pas étrangers aux affections humaines, et que par la manière dont ils les éprouvent, ils ressemblent à tout le monde. Octavius et lui sont tendrement liés ensemble, et, pour caractériser la force du sentiment qui les unit, il emploie les termes mêmes par lesquels Salluste définit la véritable amitié[42]. La phrase mignarde qui dépeint le plaisir que ressent un père à entendre ses enfants quand ils s’essayent à parler [2, 1], n’est pas une vaine coquetterie de langage, comme on pourrait bien le croire ; elle nous fait voir l’intensité de l’amour paternel d’Octavius, et que cet amour est chez lui ce qu’il est chez tout le monde. Par cette habile mise en scène Minucius veut montrer, sans le dire, que les chrétiens, qu’on met hors l’humanité, sont des gens comme les autres, occupés des mêmes affaires, sensibles aux mêmes affections, et que la société peut les accueillir sans péril.

Mais le chef-d’œuvre en ce genre, ce qui occupe Minucius plus que tout le reste, c’est la peine qu’il s’est donnée pour montrer que les croyances chrétiennes, qu’on accuse d’être nouvelles, se retrouvent en partie dans la philosophie antique. Aujourd’hui ce sont les ennemis du christianisme qui étalent ces ressemblances pour l’attaquer ; Minucius s’en sert pour le défendre. Nous savons qu’il n’était pas un chrétien de naissance, mais un lettré converti. Il connaissait donc à merveille, et par son expérience personnelle, d’où venait la résistance que la société lettrée opposait à la doctrine du Christ : c’était, n’en doutons pas, de la peine qu’éprouvaient ces gens d’esprit à se séparer des admirations de leur jeunesse, à renoncer à l’étude de la philosophie, à la pratique des lettres, au culte des arts, à dire adieu à tous ces nobles divertissements, qui semblaient seuls donner du prix à la vie. On les croyait incompatibles avec le christianisme, qui paraissait les condamner rigoureusement ; et plutôt que de se résigner à les abandonner pour toujours, beaucoup refusaient de devenir chrétiens. Minucius voulut prouver que ce sacrifice n’était pas nécessaire. Au lieu d’insister, comme faisaient tant d’autres, sur les différences qui séparent la sagesse antique de la doctrine chrétienne, il fait voir que souvent elles s’accordent. On veut faire des philosophes d’autrefois des adversaires irréconciliables des disciples du Christ ; quelle erreur ! Leurs opinions sont tellement semblables qu’il est forcé de croire ou que les chrétiens d’aujourd’hui sont des philosophes, ou que les philosophes d’autrefois étaient des chrétiens [20, 1]. Et le voilà qui fouille Platon, Aristote, Zénon, Cicéron, Sénèque ; il les cite, il les commente, il les imite ; et toutes les fois qu’il trouve chez eux quelque opinion qui s’accorde avec les siennes, il semble se retourner vers les détracteurs dédaigneux du christianisme et leur dire d’un air de triomphe : Vous voyez bien que nous ne sommes pas des barbares ! Ces philosophes dont vous êtes si fier, nous pouvons invoquer aussi leur autorité. Loin de nous condamner, comme on le prétend, ils avaient pressenti nos croyances, ils étaient déjà chrétiens sans le savoir. Et vous aussi, vous pouvez le devenir sans vous mettre en contradiction avec eux, sans craindre qu’il vous blâment, sans être forcés de renoncer à les lire et à les admirer.

C’est ce qui fait pour nous l’intérêt principal de l’Octavius. Quand on lit ce charmant ouvrage, qui, par les Tusculanes, remonte jusqu’au Phèdre, et semble éclairé d’un rayon de la Grèce, on voit bien que l’auteur imaginait. une sorte de christianisme souriant et sympathique, qui devait pénétrer dans Rome san6 faire de bruit et la renouveler sans secousse, qui serait heureux de garder le plus possible de cette société brillante, qui n’éprouverait pas le besoin de proscrire les lettres et les arts, mais les emploierait à son usage et les sanctifierait en s’en servant, qui respecterait enfin les dehors de cette vieille civilisation, en faisant circuler en elle la sève de l’esprit nouveau. Tel était sans doute le rêve que formait Minucius, et avec lui tous ces lettrés incorrigibles, qui s’étaient laissé toucher par la doctrine du Christ, mais conservaient an fond de leur âme les souvenirs et les admirations de leur jeunesse, et qui, tout en lisant l’Évangile, ne pouvaient entièrement oublier qu’ils avaient commencé, par lire Homère et Cicéron.

 

 

 

 



[1] Ce manuscrit se trouve à la Bibliothèque nationale. L’ouvrage de Minucius y forme le huitième livre du traité d’Arnobe intitulé Adversus nationes.

[2] Lactance, Inst. div., V, 1. 2.

[3] On a trouvé une inscription d’un Minucius Félix à Tebessa (Corp. inscr. lat., VIII, 1964) et une autre tout récemment, à Carthage (Bull. arch. du Comité des trad. hist., 1886,12, p. 205).

[4] Octavius, 31 : Honores vestros et purpuras recusamus.

[5] En parlant de Fronton, qui était né dans le territoire de Cirta, Comilius dit Cirtensis noster (Oct., 9), et Octavius Fronto tuus (Oct. 31).

[6] Corp. inscr. lat., VIII, 6996 et 7094-7098. M. Dessau me semble avoir montré que le Cæcilius des inscriptions est le même que celui du dialogue (Hermes, 1880, p. 471). Une seule raison pourrait empêcher de le croire, c’est si l’on était forcé de placer l’Octavius avant l’Apologie de Tertullien. M. Ebert a soutenu cette opinion, et M. Renan la partage. Mais les arguments de M. Ebert me semblent fort ébranlés dans un mémoire intéressant de M. Massebiau (Revue de l’histoire des religions, t. IV, mai 1887).

[7] On a retrouvé le nom d’un Octavius Januarius parmi les inscriptions de Bougie (Corp. insr. lat., VIII, 1962).

[8] Je crois qu’il faut corriger, avec Stieber et Halm, les mots pistorum præcipuus (au chap. 14), qui ont pas de sens, en chriatianorum præcipuus, changement que la paléographie autorise.

[9] Aulu-Gelle, XVIII, 1.

[10] Oct., 9.

[11] Tite-Live, XXXIX, 13 et sq.

[12] Catilina, 22.

[13] Aubé, Hist. des perséc. de l’Église, II, 83.

[14] Par exemple l’emploi de quisque pour quisquis, 13, 1.

[15] Emploi très singulier de l’infinitif, 1, 3 ; 17, 2 ; 20, 11. Emploi de la préposition de, 7, 2 ; 19, 4.

[16] Hist. de la littérature latine chrétienne, p. 57 (traduction française).

[17] De Nat. deorum, III, 2.

[18] Id., 4 : Rem mea sententia minime dubiam argumentando dubiam facis.

[19] Id., 2 : Mihi ita persuasi Romulum auguriis, Numam sacris constitutis fundamenta jecisse nostræ civitatis.

[20] Id., 4 : Mihi enim unum satis erat ita nobis majores nostros tradidisse.

[21] 13, 1 : Quod supra nu nihil ad nos.

[22] 6, 1 : Nec de numinibus ferre sententiam sed prioribus credere.

[23] 7, 6 : Dant cautelam periculis, morbis medelam, spem edflictis, opera miseris, solacium calamitatibus, etc.

[24] 6, 3 : Sic dum universarum sacra suscipiunt, etiam regna meruerunt.

[25] 11, 2 : Putes eos jam revixisse. C’est ainsi que Cicéron représente un philosophe exposant sa doctrine avec une confiance ridicule, taquam modo ex deorum concilio descendisset (De Nat. deorum, 1, 8).

[26] 8, 4. Celse leur fait le même reproche avec encore plus de violence. On ne voit pas, dit-il, les coureurs de foire et les charlatans ambulants s’adresser aux hommes de sens et oser faire leurs tours devant eux ; mais s’ils aperçoivent quelque part un groupe d’enfants, d’hommes de peine ou de gens sans éducation, c’est là qu’ils plantent leurs tréteaux, exhibent leur industrie, et se font admirer. De même, quand les chrétiens peuvent attraper en particulier des enfants de la maison ou des femmes, qui n’ont pas plus de raison qu’eux, ils leur débitent leurs merveilles.

[27] 20, 4 : Quæ, si essent facta, fierent ; quia fieri non possunt, ideo nec facta sunt. Il est assez piquant que ce raisonnement ait été emprunté à Minucius pour être tourné contre les miracles chrétiens. Voyez Renan, Vie de Jésus, Introd. : Nous repoussons le surnaturel par la même raison qui nous fait repousser l’existence des centaures et des hippogriffes : c’est qu’on n’en a jamais vu.

[28] 30, 2 : Nemo hoc potest credere, nisi qui pausit audere. Tertullien s’exprime tout à fait de la même façon. Apologie, 8 : Qui ista credis de homine, potes et facere.

[29] 34, 9 : Salis est etiam in hoc sapientes vestros in aliquem modum nobiscum consonare.

[30] 39, 2 : Longe de vicinia erratis, quii putatif Deum credi aut meruisse noxium, aut potuisse terrenum.

[31] 24, 2. Voyez aussi la passage suivant, où la nécessité de la grâce pour arriver à la vérité ne semble pas admise : Cum sit veritas obvia, sed requirentibus, 23, 2.

[32] Sénèque, Epist., 31, 3 : Cum bonum est, sibi federe.

[33] Kühn, Der Octavius, etc., p. 50.

[34] Voyez notamment Kühn, dans le mémoire que je viens de citer, p. 30 et sq.

[35] Lactance, Inst. div., V, 1.

[36] Quelques savants, notamment M. Kühn, ont cru trouver dans Minucius des erreurs graves de doctrine. Mais, outre que les dogmes n’étaient pas alors aussi arrêtés, aussi précis qu’ils le devinrent dans la suite, plusieurs de ces erreurs tiennent à l’effort que fait l’auteur pour n’employer que les termes de la langue ordinaire. En cela il forme un parfait contraste avec son compatriote Tertullien, qui parle hardiment le latin de l’Église et n’hésite pas à créer des tours et des expressions qui rendent l’originalité de ses idées. Minucius tient à rester plus classique ; il ressemble quelquefois à ces humanistes du XVIe siècle, employés par la chancellerie pontificale, qui écrivaient les brefs du pape avec des phrases de Cicéron (voyez, par exemple, 1, 4 et 16, 1). Il est bien possible que plusieurs des erreurs qu’on lui reproche viennent de ce qu’il s’est servi d’expressions élégantes, qui ne rendent pas exactement sa pensée.

[37] 18, 10 : Aufer additamanta nominum.

[38] 35, 5 : Scurra atticus.

[39] Semper adversus sua vitia facundos.

[40] Minucius félicite Octavius d’avoir rendu la vérité si facile à accepter et si agréable à croire, tam facilent et tam favorabilem (39). C’est ce que dit d’une autre façon M. Renan, quand il compare l’auteur du dialogue au prédicateur de Notre-Dame, se faisant tout à tous, étudiant les faiblesses, les manies des personnes qu’il veut convaincre, faussant son symbole pour le rendre acceptable. Faites-vous chrétien sur la foi de ce pieux sophiste, rien de mieux ; mais souvenez-vous que tout cela est un leurre. Le lendemain, ce qui était présenté comme accessoire deviendra le principal. L’écorce amère qu’on a voulu vous faire avaler sous un petit volume et réduite à sa plus simple expression. retrouvera toute son amertume. Marc-Aurèle, p. 403.

[41] 5, 4 : Studiorum rudes, litterarum profanos, expertes artium etiara sordidarum ; 6, 4 : De ultima fæce collectas imperitioribus ; 12, 7 : Indoctis, imperitis, rudibus, agrestibus. Ce reproche se retrouve plusieurs fois aussi chez Celse.

[42] Catilina, 20.