LES ORIGINES DU SÉNAT ROMAIN

SECONDE PARTIE — La dissolution du Sénat patricien

CHAPITRE PREMIER. — LA PREMIÈRE ATTEINTE PORTÉE À L’ORGANISATION DU SÉNAT PATRICIEN. LES PATRES MINORUM GENTIUM.

 

 

I. — La réforme de Tarquin l’Ancien. - Les patres minorum gentium.

A une date que l’on ne peut préciser, dès les premiers jours de la république, et plus tôt, dès les derniers temps de la royauté, le Sénat entre dans une série de transformations qui l’éloignent de plus en plus de son type primitif. Ce sont les effets d’une vaste révolution, à la fois politique et sociale, qui, en même temps qu’elle change la nature du pouvoir, substitue aux formes usées de la cité patricienne des cadres moins étroits et mieux appropriés aux besoins d’un Etat grandissant par la conquête. Il y a là une longue période de transition qui s’ouvre par la création d’un deuxième patriciat, se poursuit par le démembrement de la gens, S’achève par l’institution des magistratures annuelles et l’introduction des sénateurs plébéiens.

La société romaine se trouvait partagée entre deux peuples qui vivaient l’un près de I’autre et ne se connaissaient pas. La question était de savoir comment on ramènerait ce dualisme à l’unité. Servius Tullius y réussit en offrant à la plèbe et au patriciat un terrain commun où ils pouvaient se rencontrer sans se confondre, mais où le rapprochement ne devait pas manquer de se faire tous les jours plus intime. Cette réforme fut précédée d’une tentative moins heureuse. Avant de résoudre l’opposition des deux ordres dans un système nouveau d’association politique, on essaya de faire servir I’ancien au même but. En d’autres termes, on essaya d’incorporer la plèbe dans le patriciat, ou tout au moins ce qu’il y avait dams la plèbe de meilleure Ce fut l’objet de la mesure attribuée à Tarquin l’Ancien.

Il semble qu’il y ait sur ce sujet deux versions. Cicéron nous dit que Tarquin voulut changer les noms des Ramnes, des Tities et des Luceres[1]. Ce changement dans les noms n’avait aucune raison d’être s’il n’était pas le signe d’un changement dans les choses, d’une refonte générale des institutions patriciennes. C’est ce que laissent entendre Festus (p. 169) et Zonaras (VII, 8), quand ils disent que Tarquin voulut transformer les tribus établies par Romulus. Mais une pareille mesure était trop radicale pour qu’il prît en être question à cette époque, et d’ailleurs il n’était point dans les habitudes des Romains de rompre aussi violemment avec le passé. Les projets attribués à Tarquin par Tite-Live et par Denys sont plus modestes et plus vraisemblables. Ce dernier rapporte qu’il prétendit former trois tribus nouvelles[2]. Tite-Live (I, 36), il est vrai, dit seulement qu’il se proposait d’ajouter trois centuries portant son nom à celles que Romulus avait instituées. Mais on comprend que Tite-Live, qui ne fait pas mention des tribus au début de son histoire, et ne cite leurs noms qu’à propos des centuries auxquelles elles ont donné naissance, réduise la réforme à une augmentation du corps équestre. En réalité, former trois centuries nouvelles sur le modèle des trois de Romulus, c’était former trois tribus nouvelles équivalentes aux anciennes. C’était, en conservant des formes politiques, en dehors desquelles on ne concevait encore rien, faire une part égale aux deux éléments de la population. Ramenés à ces proportions, les desseins de Tarquin parurent encore assez hardis pour échouer devant la résistance du patriciat.

On sait quelle solution fut adoptée. Tarquin éleva au patriciat un certain nombre de gentes qui prirent rang à la suite des anciennes. On vit, dans le Sénat, les pères des gentes nouvelles (patres minorum gentium, par opposition aux patres majorum gentium), comme on vit, dans les centuries, les chevaliers Ramnes, Tities, Luceres de création récente (secundi, posteriores, par opposition aux primi, priores). Ces expressions, patres minorum gentium, equites secundi, posteriores, s’appliquent aux représentants des mêmes familles[3]. Si l’on ne dit pas chevaliers des gentes nouvelles, c’est uniquement parce que le principe de la représentation des gentes n’était pas accusé dans la centurie, où chaque gens put toujours avoir plusieurs de ses membres, comme dans le Sénat, où elle ne put longtemps déléguer que son chef[4]. Ainsi les trois tribus se trouvèrent scindées, en même temps que les corps qui en étaient issus, en deux fractions de dignité inégale. Ce fut dans la cité un dédoublement général dont on a montré le contrecoup dans les corps sacerdotaux[5].

On se demandera ce que le patriciat gagnait à cet arrangement, et en quoi le dédoublement des trois tribus existantes lui paraissait préférable à la création de trois tribus nouvelles. La question est d’autant plus légitime, que nous voyons les trois demi-centuries créées par Tarquin devenir bientôt trois centuries distinctes, en possession chacune d’un suffrage dans l’assemblée centuriate. Mais nous connaissons trop peu la réforme projetée par Tarquin et celle qui fut exécutée pour répondre autrement que par des conjectures. Il est possible que les patriciens se soient contentés d’une victoire plus apparente que réelle. La constitution restait debout. On cédait sur le fond, mais la forme était sauvée. Il convient d’ajouter que, en pareille matière, la forme emportait le fond. Au lieu de deux cités en présence, avec leur organisation indépendante, on avait un patriciat nouveau, subordonné à l’ancien, et, somme toute, ne faisant qu’un avec lui. Dans ces conditions, on comprend que le premier, fort de sa situation acquise, de sa primauté, de sa cohésion, de ses traditions, ait dû bientôt absorber le second. Il y avait encore autre chose à considérer. La réforme de Tarquin était rendue nécessaire, non pas seulement par l’accroissement de la plèbe, mais aussi par la diminution du patriciat. Si on laissait subsister les trois tribus et les trente curies, il n’y avait qu’à reporter le nombre des gentes au chiffre normal de trois cents. Ainsi le nombre des gentes nouvelles était déterminé d’avance. Nous avons vu qu’il devait être égal à celui des anciennes survivantes[6]. C’était quelque chose encore, pour ces dernières, d’être sûres de conserver dans le Sénat la moitié des voix, à défaut de la majorité. Le danger eût été bien plus grand si l’on avait créé trois tribus étrangères à celles de Romulus, étrangères aussi aux idées qui les fixaient dans leurs cadres immobiles. Ces patriciens de fraîche date, à peine sortis de la plèbe, soustraits à l’influence de leurs aînés, désireux de commander à leur tour, n’allaient-ils pas laisser la porte ouverte à tous les envahissements, de manière à écraser sous la supériorité du nombre leurs maîtres de la veille ? Il n’est pas défendu de chercher dans des appréhensions de ce genre une des raisons qui décidèrent les patriciens à accepter de préférence la deuxième combinaison proposée par Tarquin.

 

II. - Le dédoublement des cadres patriciens correspondant à l’annexion du Quirinal et du Viminal.

Nous n’aurions de la réforme de Tarquin qu’une idée très insuffisante, si nous ne cherchions à discerner les éléments qu’elle introduisit dans le patriciat. Malheureusement, c’est une question encore plus obscure que la précédente. Quelles étaient les gentes minores, et d’où venaient-elles ? Le silence de l’histoire, sur ce sujet, ne peut pas tenir seulement à la rapide fusion des deux éléments à opposés. Il doit avoir une autre cause dans la vanité des familles nouvelles empressées d’oublier et de faire oublier leur origine. Car la même raison qui poussa plus tard certaines familles plébéiennes à s’insinuer, par une véritable fraude historique,  dans le groupe des gentes minores, devait engager celles qui réellement avaient fait partie de ce groupe, à se glisser dans les rangs de l’ancien patriciat. On connaît, grâce à Suétone, le conte forgé par les Octavii de Velitres et popularisé par leurs flatteurs, après leur grande fortune. Admise au droit de cité par Tarquin l’Ancien, et reçue dans le patriciat par Servius, comme si, à cette époque, le droit de cité n’était pas inséparable du patriciat, la gens Octavia se serait retirée volontairement dans la plèbe, pour n’en sortir que par la faveur de César[7]. De même les Claudii, dont la noblesse, relativement récente, n’était un mystère pour personne, avaient essayé de s’en faire une plus respectable, en reculant la date de leur entrée dans la cité[8].

Un des grands services rendus à la science par l’ouvrage déjà cité plusieurs fois de M. Belot, c’est d’avoir remis dans son jour la vraie nature du patriciat, également méconnue par les théories des modernes et des anciens. M. Belot a montré dans le patriciat romain, contrairement à l’idée qu’on s’en fait très souvent, une noblesse éminemment urbaine[9]. Bien que les propriétés de chaque patricien pussent s’étendre fort loin dans la campagne, c’était dans la ville qu’il avait ses habitudes, ses goûts, sa demeure, son foyer, son autel ; c’était là qu’il avait transporté, s’il était venu du dehors, le tombeau et le centre religieux de sa race[10]. La raison en est simple. C’était la religion des trois tribus et des trente curies qui rattachait les gentes patriciennes entre elles, et les rassemblait en un même corps politique. Or cette religion était localisée dans l’enceinte du pomerium. Cette limite sacrée était celle des quatre tribus instituées par Servius. A plus forte raison avait-elle été celle des trois tribus auxquelles ces dernières avaient succédé[11], et des trente curies comprises dans ces trois tribus. Ainsi les nouveaux patriciens ne le devenaient qu’à la condition de s’établir dans la ville, ou d’être englobés par elle, d’où il suit que chaque extension de la ville a pu être accompagnée d’une extension du patriciat. La conséquence, sans doute, n’était pas forcée, puisque la population annexée pouvait rester plébéienne, et le restait certainement en majeure partie ; mais, du moins, les familles les plus distinguées se trouvaient dans les conditions requises pour s’élever plus haut, et cet espoir ne leur était pas interdit, à l’époque où les rangs du patricial n’étaient pas encore irrévocablement fermés.

Ceci posé, il est difficile de se soustraire à un rapprochement dont on ne paraît pas avoir jusqu’à présent saisi toute la portée[12]. La même période qui vit s’opérer le dédoublement des cadres patriciens vit aussi s’opérer l’annexion du Quirinal. Il n’importe guère que la première de ces deux mesures soit attribuée à Tarquin l’Ancien, tandis que l’on attribue d’ordinaire la seconde à son successeur Servius Tullius. Ces objections chronologiques ont peu de valeur. Les anciens comprenaient fort bien qu’une histoire proprement dite des rois de Rome était .impossible. Seulement, sous le nom de chacun de ces rois, ils avaient dei grouper un certain nombre de faits, sans autre préoccupation que d’y mettre de la vraisemblance et de la suite. Même pour les rois de la dynastie étrusque, qui n’appartiennent déjà plus à l’âge exclusivement mythique, ils n’avaient pu procéder différemment. C’est pour cette raison qu’ils placent le dédoublement de la cité patricienne avant l’établissement des classes et des centuries, parce qu’en effet cette première atteinte à la constitution, beaucoup moins grave que la seconde, lui est logiquement, et doit lui être chronologiquement antérieure. Mais il ne résulte pas de là que ce dédoublement ait précédé l’agrandissement de la ville. Il semble bien plutôt qu’il en a dû être une conséquence plus ou moins prochaine. Les textes ne sont pas contraires à cette manière de voir. L’extension de la ville du Septimontium par les trois derniers rois est la seule donnée incontestable. Quant à la part prise par chacun d’eux à cette œuvre, elle varie au gré des historiens. Tarquin l’Ancien[13], Servius Tullius[14], Tarquin le Superbe[15], et même, avant eux déjà, Ancus Marcius[16], apportent l’un après l’autre leur pierre à la grande muraille désignée communément par le nom du sixième roi. La date de la promotion des gentes minores n’était pas mieux fixée. Le grammairien Servius la met au temps de Servius Tullius (En., I, 426). Tacite la porte plus bas encore, jusqu’à la première année de la république (Ann., XI, 25). Rien n’empêche donc, s’il y a lieu, de reconnaître, dans l’annexion du Quirinal et du Viminal, la cause déterminante de cette vaste réforme dont les anciens n’ont eu et ne nous ont donné qu’une vue incomplète et, pour ainsi dire, fragmentaire. Or, précisément, il y a trois faits qui présentent cette réforme sous une face nouvelle, et la rattachent, par une liaison visible, à la formation de la Rome historique. C’est l’adjonction des Luperci Fabiani, recrutés dans la gens Fabia, laquelle habitait sur le Quirinal, aux Luperci Quinctiales, tirés de la gens Quinctia, et dont le culte avait pour siège le Palatin[17]. C’est l’apparition des Salii Collini, venant s’ajouter aux Salii Palatini, deux collèges dont le nom indique assez la destination et la provenance[18]. C’est enfin, à côté du Flamen Martialis, qui dessert le temple de Mars sur le Palatin, l’institution d’un Flamen Quirinalis, consacré au temple du même dieu sur le Quirinal[19]. Cette triple création n’est qu’un détail détaché de l’ensemble. Elle correspond à des faits déjà connus : à l’introduction, dans le Sénat, des patres minorum gentium et, dans les centuries équestres, des Ramnes, des Tities, des Luceres secundi ou posteriores ; à l’élévation du nombre des vestales, des augures, des pontifes, porté tout à coup et en même temps de trois à six. Dans le collège des Saliens, comme dans les autres corps sacerdotaux, comme dans le corps sénatorial et le corps équestre, les nouveaux venus sont en nombre égal aux anciens[20]. On ne sait rien du nombre des Luperci. Mais les Fabiani passaient après les Quinctiales, témoin la légende qui fait de ceux-ci les compagnons de Romulus et de ceux-là les compagnons de Remus[21]. Il est à peine besoin de remarquer que cette légende ne prouve nullement que les Fabiani fussent aussi anciens que les autres. Elle atteste seulement le désir qu’ils avaient de le paraître. Quant aux Salii Collini, ils sont, de l’aveu même des auteurs, plus récents que les Palatini[22]. Enfin, il est constant que le Flamen Quirinalis avait un rang inférieur au Flamen Martialis[23].

C’est ainsi qu’en réunissant en un faisceau tous ces renseignements épars et sans lien apparent, on arrive à embrasser d’un coup d’œil la transformation la plus profonde qui se soit accomplie dans les institutions de la Rome royale, avant que l’initiative hardie dont on fait honneur à Servius Tullius ne fût venue les ébranler jusque dans leur base. Est-ce tout cependant, et le mouvement qu’on vient de décrire s’arrête-t-il là ? On peut affirmer, en tout cas, qu’il n’est pas allé beaucoup plus loin ; car, tel qu’il se présente, il s’étend, sauf quelques exceptions peut-être, à tous les corps politiques et religieux dont l’ensemble constitue la cité primitive, les tribus, les curies, le Sénat, les centuries, les pontifes, les vestales, les augures, les Salii, les Luperci. Il ne peut être question des XVviri, d’abord IIviri, puis Xviri sacris faciundis. On n’ignore pas en effet que ce collège, fondé seulement par Tarquin le Superbe sous l’influence des idées grecques, est tout à fait en dehors du vieux cycle patricien[24]. Il en est autrement des Féciaux, dont les uns attribuent la création à Ancus[25], les autres à Numa[26], mais qui, certainement, remontent aussi haut que la cité même, car on les retrouve chez tous les peuples italiens, organes et garants des relations internationales[27]. L’exclusion de ce collège, celle des frères Arvales, qui ne sont pas moins anciens[28], celle des Sodales Titii ne s’explique pas bien. On remarquera toutefois que les Féciaux sont au nombre de vingt[29], les Arvales au nombre de douze[30], et que, ces nombres étant divisibles par deux, l’hypothèse d’un dédoublement antérieur, pour aventurée qu’elle soit, n’est point en elle-même impossible. Elle n’a contre elle que le silence des auteurs dont on tonnait l’extrême réserve touchant la réforme de Tarquin et ses conséquences. On ne sait presque rien du collège des Sodales Titii[31]. Au reste, il y a des points qu’il faut se résigner à laisser obscurs. Pourquoi, par exemple, les Luperci ont-ils été compris dans la réforme si les Arvales ne l’ont pas été ? Ceux-ci, comme ceux-là, remplissaient des sacra publics[32]. La cause en est peut-être dans la nature des devoirs qui incombaient aux premiers. La cérémonie de la lustratio autour de l’ancien pomerium avait en effet un caractère plus particulièrement public, et l’Etat s’y trouvait plus directement intéressé.

 

III. - La population du Quirinal et du Viminal. - Si elle formait une ville sabine. - Retour sur la légende de l’élément sabin.

Le dédoublement des cadres patriciens, coïncidant avec l’annexion du Quirinal et du Viminal, suppose l’entrée dans la cité d’une population établie sur ces hauteurs et à peu près aussi nombreuse que l’ancienne, d’autant plus que ces hauteurs offraient elles-mêmes une superficie à peu près équivalente à celle du Septimontium. On admet généralement que cette population constituait une ville contemporaine de celle du Palatin et qui, avant de se fondre avec elle, aurait commencé par être sa rivale. Le plus souvent on ajoute que cette ville a été fondée par des envahisseurs sabins. Ce sont deux hypothèses distinctes et qu’il faut examiner à part, en finissant par la première qui est indépendante de l’autre, et peut rester debout dans la ruine de celle-ci.

On se rappelle la conclusion à laquelle on est arrivé à la fin du deuxième chapitre de la première partie de cet ouvrage. On a démontré que, s’il est entré dans la composition du peuple romain un groupe de nationalité sabine, ce groupe ne peut se confondre en tout cas avec la tribu des Tities, attendu que les anciens comme les modernes s’accordent à le localiser sur le Quirinal, dont l’annexion est de beaucoup postérieure à la formation du système des trois tribus. Mais, ce point acquis, il reste à rechercher ce qu’il y a de vrai dans cette théorie de l’élément sabin, abstraction faite du rapport qu’il est censé soutenir avec une des tribus génétiques, et si, demeuré extérieur à la Rome de Romulus, il ne s’est pas introduit plus tard dans la Rome agrandie des Tarquins et de Servius. Reprenons donc la question là où nous l’avons laissée, et essayons d’apprécier à leur valeur les faits sur lesquels on s’appuie pour signaler dans les quartiers ajoutés par les trois derniers rois la trace de l’influence ou de la domination étrangère.

Au fond, on n’en produit qu’un : c’est l’existence sur le Quirinal de certains sanctuaires consacrés à des divinités sabines, les dieux Quirinus[33], Sol[34], Semo Sancus[35], les déesses Salus[36], Fortuna[37], Flora[38]. Mais le caractère exclusivement sabin de ces divinités n’est rien moins que prouvé. C’est Varron qui l’affirme[39], en invoquant des étymologies sur lesquelles il ne s’explique pas, mais dont on ne peut s’empêcher de douter quand on se rappelle les ressources inépuisables que sait déployer à l’occasion sa science philologique. Lui-même, il ne paraît pas très convaincu, car il avoue que quelques-uns de ces noms, sentant le sabin[40], tiennent également des deux langues, comme des arbres plantés sur les confins de deux propriétés mêlent et entrelacent leurs racines[41]. C’est dire, en d’autres termes, la même chose que M. Mommsen pour qui ces divinités, à la fois latines et sabines, représentent des conceptions antérieures à la séparation des deux peuples[42]. Bien différents des Grecs, et comme s’ils avaient eu le sentiment de leur impuissance spéculative et de leur génie pratique, les Romains ne prétendaient pas à la gloire de l’invention. Ils se contentaient d’avoir fait à l’étranger des emprunts heureusement adaptés à leur nature et à leurs besoins. En matière religieuse, moins encore qu’en toute autre, ils ne se piquaient pas d’être originaux. Mais cette idée, juste en elle-même et qui, fécondée par des recherches plus étendues, pouvait aboutir aux larges vues des modernes, ne les conduisit qu’à des conclusions incomplètes et erronées. Car, dans le cercle étroit où ils enfermaient leurs observations, se bornant à un coup d’œil jeté sur leurs voisins, dès qu’ils avaient retrouvé chez ces derniers leurs institutions et leurs croyances, ils se figuraient que, venues de là, elles y étaient nées, et ne songeaient pas à en suivre la trace plus loin. C’est ainsi qu’ils se croyaient redevables de l’appareil de leur culte aux Etrusques et de leurs dieux aux Sabins. Il semble, à les entendre, que tout l’Olympe romain soit descendu des hauteurs d’Amiternum et de Réate. Etaient d’origine sabine, suivant Varron[43], Vesta, l’Έστία grecque, dont l’image plane sur toute la race aryenne, depuis les bords du Gange jusqu’à ceux de la Méditerranée[44], Vesta, adorée depuis les temps les plus reculs à Albe[45] et à Lavinium[46] ; Jupiter, le grand dieu pélasgique, symbole de la lumière, dont l’autel, situé au sommet du mont Albain, servait de point de ralliement, bien avant la fondation de Rome[47], à toute la race latine ; Diana, dont le temple, élevé sur l’Aventin par Servius Tullius, succéda à l’importance politique du sanctuaire de Jupiter Latiaris[48] ; Janus, expression masculine du même principe que Diana[49], et dans lequel Denys reconnaît une divinité nationale des Romains[50] ; Junon, la Junon de Laurentum[51], de Gabies[52], la Junon Caprotina dont Varron nous dit lui-même qu’elle était particulièrement en honneur auprès des femmes du Latium[53] ; Minerve qui, avec Jupiter et Junon, forme la triade capitoline dont les rituels étrusques déclarent qu’aucune ville ne saurait se passer[54] ; Védius, auquel rendaient hommage les Julii de Bovillæ[55] ; Mars, si étroitement lié à la légende de Romulus et de Remus[56] ; Saturne enfin, qui régna sur les Latins dans la période de l’âge d’or[57] et qui donna son nom à tant de villes de la vieille Italie[58], et à une bonne partie de l’Italie elle-même[59]. Et l’on ne parle pas de la déesse Ops[60], du dieu Vulcain[61], des Lares[62], d’Hercule, un nom sabin à en croire Varron[63] ! La vérité est que tous ces dieux, grands ou petits, sortis de la même pensée religieuse, exprimant, sous une forme abstraite, une force du monde physique ou moral, ont leur place plus ou moins large dans le panthéon commun des nations italiques[64]. Pour en revenir à ceux qui avaient un sanctuaire dans le quartier prétendu sabin, on n’ignore pas qu’ils en avaient d’autres en dehors de ce quartier, en dehors même de la ville, dans tout le pays latin, et ailleurs. A Rome, sans compter celui du Quirinal, on ne montrait pas moins de trois temples de la Fortune, tous trois construits par Servius Tullius, l’un sur le Forum boarium[65], l’autre sur la rive droite du Tibre[66], le troisième sur le Capitole[67]. La même divinité était adorée par les Etrusques, qui lui avaient élevé des autels à Volsinies[68], à Faléries[69], à Ferentium[70] et qui la plaçaient au nombre des Pénates[71]. Mais nulle part ce culte ne prit de plus grands développements que dans les villes latines d’Antium[72] et de Préneste[73]. La réputation des sortes Prænestinæ, qui était ancienne, a duré jusqu’au triomphe du Christianisme[74]. On ne voit pas que la déesse Salus, souvent invoquée dans les prières publiques des Romains[75], ait eu chez eux une deuxième résidence, mais on a découvert des monuments qui lui sont dédiés dans le Latium[76] et dans le Picenum[77]. En revanche, il y avait près du grand Cirque un second temple du Soleil dont l’antiquité est attestée par Tacite[78]. Dans le même voisinage, il y en avait un autre, plus récent il est vrai, consacré à Flora[79]. On trouve un temple de Semo Sancus dans l’île Tibérine[80]. Tite-Live en mentionne un autre à Velitres (XXXII, 1). Une inscription publiée par M. Henzen nous en fait connaître un à Marino (6999). Les Semones, génies qui présentent quelque analogie avec les Lares[81], sont nommés dans le fameux chant des Arvales[82]. Quelle que soit l’étymologie de ce mot, qu’il vienne du se privatif et d’homo, ainsi que le pense M. Mommsen[83], ou de la racine serere, suivant l’opinion de M. Preller[84], il n’y a pas lieu, pour l’expliquer, de faire intervenir un autre dialecte que le latin, ou, pour mieux dire, une autre langue que celle d’où émanent tous les dialectes italiens. L’étymologie du mot Sancus, que l’on ne manquera pas de rapprocher des mots sanctus, sancio[85], n’offre rien de plus particulier. Ce n’est pas que l’on entende méconnaître le caractère propre de cette dernière divinité. Il est certain qu’elle a été adoptée de préférence par les races sabelliques. On sait le rôle important qui lui a été prêté dans leurs traditions nationales. Sancus est leur premier roi, en même temps que le père de leur héros éponyme Sabus[86]. D’autre part, un texte de Paul Diacre (p. 23) nous apprend que les Aurelii, plus correctement Auseli, originaires de la Sabine, avaient obtenu du peuple romain un emplacement pour y desservir le culte du Soleil, car ils étaient voués à cette divinité, et même, ils tiraient leur nom de celui qu’elle portait dans leur langue. Il est donc possible que les deux sanctuaires de Sol et de Semo Sancus sur le Quirinal aient été fondés par des familles sabines descendues le long de la vallée du Tibre et établies sur ces hauteurs, en face de leur pays. Rome était hospitalière aux étrangers et accueillait volontiers les colonies et les cultes des peuples environnants[87]. De même qu’on y voyait une rue des Toscans (Vicus Tuscus)[88], on y rencontrait une rue des Sabins, Vicus Cyprius, ainsi appelée en signe d’heureux augure, car, dit Varron, cyprins dans leur langue signifie bon[89]. Il est assez difficile de fixer au juste la position du Vicus Cyprius. Ce qui est hors de doute, c’est qu’il n’était pas sur le Quirinal ni sur le Viminal, mais dans la proximité de l’Esquilin, non loin de la Subura[90]. Au reste, il semble que les immigrants sabins se sont répandus dans plus d’un sens. Servius leur fait habiter le quartier des Carènes, peu distant du Vicus Cyprius[91]. Mais Varron les retrouve sur l’Aventin où l’on vénérait le tombeau de Tatius[92]. Une tradition mieux autorisée plaçait le domicile des Claudii au pied du Capitole[93]. Cette dispersion est une raison de plus pour ne pas attribuer à la nationalité sabine la possession exclusive de la ville annexée par les Tarquins. La seule présence des temples de Semo Sancus et du Soleil ne suffit pas pour justifier une théorie aussi hardie et aussi grosse de conséquences.

Il reste, il est vrai, l’argument considéré comme le plus puissant, celui que fournit l’existence du temple de Mars Quirinus ou Quirinus tout court. Notre intention n’est pas de renouveler à ce propos les controverses depuis si longtemps engagées sur l’origine de ce mot Quirinus et des mots Quirinal, Quirites, auxquels il se rattache. Nous acceptons, comme la plus vraisemblable, l’étymologie curis ou quiris, lance, proposée par les anciens[94], sans même rechercher pour l’instant si effectivement ce mot est particulier aux Sabins, ou s’il n’y faut pas voir plutôt un terme commun aux deux langues, et tombé en désuétude d’abord dans la latine. Nous remarquons seulement que cette épithète Quirinus[95], armé de la lance, n’est nullement propre au Mars du Quirinal. On la retrouve associée au nom d’autres divinités, et non pas seulement à Rome, mais aussi au dehors. Macrobe nous apprend que les Romains invoquaient Janus Quirinus : Quirinum, quasi bellorum potentem (Sat., I, 9). Ils adoraient de même une Juno Quiris, Quiritis ou Curitis[96], à laquelle les curies paraissent avoir rendu un culte spécial. On voit par Denys (II, 50) et Paul Diacre[97] qu’elles dressaient en son honneur des tables pour les sacrifices, et que cet usage subsistait encore au temps d’Auguste. Deux inscriptions de Faléries[98], une inscription de Tibur[99], toutes trois de l’empire, montrent que la Juno Curis avait un sanctuaire et des prétres dans l’une et l’autre localité. On a conservé, grâce à Servius, non sans de graves altérations de texte, la prière que lui adressaient les Tiburtins[100]. Un détail à noter, c’est que l’emplacement consacré à Rome à la Juno curie n’était point sur le Quirinal, mais au Champ de Mars. On eu a la preuve dans un fragment des Fastes d’Ostie[101], confirmé par la découverte d’un autre fragment emprunté aux actes des frères Arvales[102]. Il y a là de quoi dérouter bien des idées reçues. Mais elles le seront davantage si l’on s’arrête à une observation très simple et dont l’importance n’a pas toujours été saisie. C’est que la colline du Quirinal ne s’est pas appelée ainsi à l’origine, et que ses habitants n’ont jamais eu en propre le nom de Quirites. Elle n’a été désignée d’abord que sous le nom indéterminé de Collis ou Colles, d’où la tribu Colline, la porte Colline[103], les Salii Collini. C’est sous ce nom qu’elle figure dans le document pontifical relatif à la procession des Argées[104]. En effet, le nom de Collis Quirinalis ne s’applique, dans le même document, qu’à l’endroit qui porte le nom de Quirinus[105] : ob Quirini fanum, dit Varron (L. L., V, 51) ; c’est donc plus tard seulement qu’il s’est étendu au plateau tout entier. On se demandera pourquoi cette épithète de Quirinus a été employée de préférence pour le Mars du Quirinal. La question, on n’essaiera pas de le nier, est embarrassante. Ce qu’on peut dire tout au moins, c’est, qu’à s’en tenir aux témoignages épigraphiques, la distinction entre le Mars qu’on appellera Palatinus et le Mars Quirinus n’est point très ancienne. Il y a deux inscriptions du temps de la république dont la provenance ne permet pas de douter qu’elles ne soient dédiées à ce dernier. M. Mommsen place l’une entre les années 426 u. c. = 328 et 518 u. c. = 236[106], l’autre entre 549 u. c. = 205 et 564 u. c. = 190[107]. C’est la plus récente qui donne le nom de Quirinus. La première donne celui de Mars sans autre qualificatif. S’il nous était permis de hasarder ici une hypothèse, nous croirions volontiers que, de mémé que le Quirinal a reçu son nom du dieu Quirinus, de même ce dieu a reçu le sien du Quirinal. Cette action réflexe s’explique sans difficulté. Les deux temples du Palatin et du Quirinal étaient également consacrés au Mars porteur de la lance ; mais, comme le Palatin était connu sous ce nom dès la plus haute antiquité, il n’y avait pas lieu de lui en chercher un autre emprunté au dieu qu’on y adorait. Il n’en était pas ainsi de la Colline, qui, n’ayant pas d’abord de nom qui lui fait propre, dut prendre celui du plus auguste de ses sanctuaires[108]. Mais, en même temps, il arriva que, pour distinguer les deux Mars, on donna à l’un d’eux le nom du quartier où s’élevait son temple, de telle sorte que ces deux figures, exactement semblables à l’origine, se présentèrent à la longue sous un aspect différent. En d’autres termes, l’épithète Quirinus finit par supplanter entièrement le nom de Mars pour le dieu du Quirinal, tandis qu’au contraire elle finit par tomber hors d’usage pour celui du Palatin.

Nous pourrions nous arrêter là, car il suffit à notre but d’avoir prouvé que les Quirites, Sabins ou non, ne sont pas exclusivement cantonnés sur le Quirinal, et, par conséquent, que les familles introduites dans le patriciat par Tarquin l’Ancien n’appartiennent pas nécessairement à la nationalité sabine. Toutefois, quelques observations de plus ne paraîtront pas déplacées. Que les citoyens de Rome aient adopté bénévolement ce nom de Quirites apporté par une troupe d’étrangers, c’est un fait que les moins incrédules se refuseront à admettre. Il faut donc qu’il leur ait été imposé par la force, ou, ce qui revient au même, que les Sabins aient emporté et occupé, non pas un quartier de Rome, mais Rome tout entière. On demandera comment un nom, emprunté à la langue sabine, au lieu de désigner les peuples qui parlaient cette langue, a été porté précisément par un peuple qui ne la parlait point. Car on ne voit pas que ce nom de Quirites soit employé ailleurs qu’à Rome. Les habitants de Cures s’appelaient non Curites, mais Curenses, au dire de Festus (p. 254), M. Belot, qui résiste jusqu’au bout à la tradition de la conquête sabine, conclut de là qu’elle repose uniquement sur des conjectures de grammairiens en détresse. Une école s’était formée qui, à l’aide de quelques étymologies plus ou moins plausibles et ingénieuses, prétendait résoudre les problèmes les plus ardus de l’histoire romaine primitive. C’est ainsi qu’on était parti d’une consonance purement fortuite entre les deux mots Cures et Quirites pour découvrir dans les Quirites des envahisseurs venus de la ville sabine de Cures[109]. A cette hypothèse hardie du savant historien des Chevaliers, on répondra que le mot Quir, Quiris, est identique au mot Curis, que la racine de ce dernier, tout débat sur la provenance étant mis à part, se retrouve sans le moindre effort dans le nom de Cures, dont la première syllabe est brève ; que les habitants de Cures pouvaient fort bien, sans contredire aucunement au texte de Festus, s’appeler Curites, Quirites, aussi bien que Curenses ; qu’enfin la tribu Quirina, formée en 513 u. c. = 241 et nommée ainsi ab Curensibus Sabinis, dit le même Festus (p. 254), comprend le pays d’Amiternum, de Nursie, de Réate, c’est-à-dire en somme tout le pays sabin[110]. D’autre part, on hésite à rejeter une tradition consacrée par tous les auteurs anciens et qui, prise en elle-même, dégagée des détails et réduite à l’essentiel, n’a rien que de vraisemblable. De tous temps les tribus sabelliques se sont trouvées à l’étroit dans leurs pauvres montagnes et ont jeté un regard d’envie sur la plaine[111]. Au cinquième siècle avant J.-C., on les voit se précipiter sur la Campanie, alors possédée par les Etrusques[112]. Mais longtemps avant, dans leur marche du Nord au Sud, sur la crête des Apennins, elles avaient rencontré et convoité les campagnes moins riches et pourtant désirables encore du Latium. L’histoire de Rome naissante et celle des premiers siècles de la république sont toutes pleines des guerres soutenues contre ces pillards. S’il en est ainsi, ne se peut-il pas qu’à une époque aussi reculée que l’on voudra, une bande plus heureuse que les autres ait réussi à s’emparer de la ville, et à la garder contre celles qui suivaient ? Mais à ce compte, répondra-t-on, le grand Etat latin n’est donc au fond qu’un Etat sabin ? D’où vient alors que la métropole de Rome ne soit pas la ville sabine de Cures’, localité insignifiante et délaissée, mais au contraire la ville latine par excellence, Albe, dont Rome ne cesse d’honorer la mémoire et de revendiquer l’héritage, après l’avoir détruite ? N’est-ce pas là qu’elle va chaque année, en grande pompe, sacrifier au Jupiter latin[113] ? Dira-t-on que les Latins sont les plébéiens, et les patriciens les conquérants sabins ? Mais les vainqueurs se seraient-ils assez identifiés avec les vaincus pour rompre ainsi tous les liens qui les rattachaient à leur ancienne patrie ? Ne sait-on pas d’ailleurs que la plèbe ne comptait pour rien, et que toutes les institutions politiques et religieuses étaient purement patriciennes ? Une dernière remarque : les gentes qui, à notre connaissance, se disent issues de la Sabine ne sont pas plus de deux[114]. Leur petit nombre et une certaine affectation qu’elles mettent à rappeler cette origine nous autorisent à voir en elles des exceptions. On a essayé de sortir d’embarras en étendant l’invasion sabine à tout le Latium, Albe comprise. Dans ce cas, on comprendrait que Rome fût entre les mains des Sabins, et en même temps procédât d’Albe, la capitale du pays latin. Nous n’avons pas ici à exposer, encore moins à apprécier cette théorie imaginée et soutenue par des historiens de talent[115]. Mais il était bon de la signaler, afin de constater que nos conclusions n’en sont pas atteintes. Que les premiers Romains soient des Sabins latinisés ou des Latins purs, les conditions dans lesquelles Rome a été fondée et a grandi ne sont pas changées.

 

IV. — La population du Quirinal et du Viminal. - Si elle formait une ville indépendante.

S’il est douteux que la ville du Quirinal ait été sabine, est-il sûr, du moins, que cette ville ait existé ?

On trouve à cela de grandes difficultés. D’abord la situation du vieux Capitole sur le Quirinal[116]. Ce boulevard de la Rome du Septimontium se serait donc trouvé égaré au milieu d’une ville étrangère, et au besoin ennemie. On peut soutenir, il est vrai, que cette citadelle était celle du Quirinal, et non du Septimontium. On peut supposer aussi que, placée sur la pointe extrême du Quirinal, elle figurait un avant-poste poussé par les Montani contre les Collini[117]. Mais que penser de ce nom de Collis qui, à parler exactement, n’en est pas un, et ne rappelle en rien le souvenir d’un établissement quelconque, encore moins d’une ville proprement dite, d’un centre politique et religieux[118] ? Niebuhr sentait la force de cette objection et il allait au-devant avec sa ville de Quirium[119]. Qui prétendra cependant qu’il y ait répondu ?

Quand on examine de prés les preuves sur lesquelles on se fonde pour affirmer l’existence de la ville du Quirinal, on s’aperçoit bientôt qu’elles se réduisent, elles aussi, à une seule. La légende de Titus Tatius ne compte pas[120]. L’hypothèse de Niebuhr au sujet du Janus Geminus est abandonnée par les plus fervents partisans de la théorie des deux villes. On sait en quoi elle consiste. La double porte Janualis, avec la statue de Janus bifrons ou geminus, ouverte, depuis Numa, pendant la guerre, et fermée pendant la paix, devient l’ancienne porte de communication établie entre les gens du Palatin et ceux du Quirinal, depuis qu’ils ont cessé d’être ennemis pour former deux cités indépendantes mais alliées. Ce passage est libre en temps de guerre, afin qu’elles puissent se prêter un appui réciproque ; il est barré dans les circonstances ordinaires, soit pour empêcher des relations trop fréquentes qui pourraient compromettre les bons rapports, soit pour exprimer symboliquement ce caractère d’un Etat où la dualité ne nuit pas à l’unité[121]. Cette explication ne vaut pas, dans sa subtilité, celle d’Ovide, pour qui la porte était ouverte afin d’offrir un refuge aux soldats en campagne, et fermée afin de prévenir une surprise en temps de paix[122]. Mais la vérité, déjà mise en lumière par M. Becker, c’est d’abord que la porte Janualis, étant tournée de l’est à l’ouest, ne faisait pas communiquer le Quirinal et le Palatin, comme si elle l’avait été du midi au nord ; c’est ensuite que cette porte est en réalité la porte d’un temple, du temple de Janus, au pied du Capitole, sur le Forum[123]. Après M. Becker, M. Preller, dans une fine analyse, a donné le vrai sens de cette cérémonie fameuse par où le consul signifiait au monde que Rome était en guerre ou en paix. Janus, le dieu du jour, et dont la face, pour cette raison, regarde à la fois le levant et le couchant, est aussi, par une conséquence naturelle, le dieu de tout ce qui commence et de tout ce qui finit, celui que l’on invoque au début de toute entreprise. Or le Janus du Forum est le même que le Janus Quirinus, le Janus armé de la lance, dont il a été question plus haut. C’est donc lui que l’on doit invoquer au début de toute entreprise guerrière. Par les portes ouvertes de son sanctuaire, il suit d’un œil protecteur les efforts de l’armée combattant pour la patrie, car c’était une croyance des Romains que la divinité, résidant dans le temple, s’échappait par les portes pour accompagner et soutenir ses dévots[124].

Ainsi nous sommes ramenés à cet argument unique, la triple opposition du Flamen Martialis et du Flamen Quirinalis, des Salii Palatini et des Salii Collini, des Luperci Quinctiales et des Luperci Fabiani. Mais, pour qu’il fait valable, il faudrait prouver que ces derniers, au lieu de prendre part à la course expiatoire autour du pomerium du Palatin, faisaient de leur côté le tour d’un autre pomerium sur le Quirinal. M. Mommsen le suppose, ou du moins il suppose que les rites des Fabiani se célébraient sur l’autre colline[125]. Hypothèse toute gratuite. Il n’y a pas de trace que ce deuxième collège ait eu aucune cérémonie distincte de celles qu’accomplissait le premier. Au fond, les deux collèges n’en formaient qu’un. Bien que très probablement ils eussent chacun leur magister particulier, ils étaient soumis à l’autorité d’un magister commun[126]. Si l’on se demande néanmoins comment il se fait que la fusion n’ait pas été aussi complète que pour les augures, les pontifes, les vestales, on trouvera la cause de cette singularité dans le caractère propre du collège des Luperci du Palatin. Les liens de gentilité étaient la loi de cette confrérie et de toutes les autres qui, comme elles, nous reportent à l’âge pastoral, antérieurement à la constitution d’une société politique fortement organisée. C’est par ce trait qu’elles diffèrent des corps sacerdotaux, où se traduit une idée plus récente, celle de l’Etat, gardien et régulateur de la religion nationale. Quand donc il fut question de faire participer au culte des Luperci les nouveaux citoyens, on dut prendre parmi eux une geins pour en former un collège semblable à celui des Quinctiales et qui s’y rattachât sans s’y absorber. On choisit la gens Fabia. Parce qu’elle habitait sur le Quirinal et y célébrait son culte domestique[127], on a pu croire que là aussi était le siège des Luperci Fabiani. Mais la gens Fabia, outre les devoirs publics qui lui incombaient, avait sans doute aussi, comme les autres gentes, ses devoirs privés.

A la vérité, la séparation entre les Salii Palatilri et les Salii Colliui était plus tranchée. Tout ce qui touche à ces deux collèges est fort obscur[128]. On ne voit clairement ni l’objet de leur culte, ni les cérémonies qui leur étaient communes, ni celles qui leur étaient particulières. Cependant le qualificatif Agonales, qui remplace quelquefois celui de Collini, donne à penser que ces derniers avaient des sacrifices (agonia) spéciaux, et, d’un autre côté, le nom de Collis Agonius pour Quirinalis permet de supposer que ces sacrifices se célébraient sur le Quirinal. On sait du reste qu’ils y avaient un local particulier[129], et se serraient de rituels qui leur étaient propres[130]. Cette opposition des deux collèges pourrait s’expliquer par le développement parallèle du culte de Mars sur le Quirinal et sur le Palatin. Elle est la conséquence d’un fait qui n’a rien d’exceptionnel. Il n’était pas rare de voir une même divinité adorée en divers quartiers sous des noms et peut-être sous des formes différentes. On en a cité des exemples tout à l’heure. Ce ne sont pas les seuls. On comptait à Rome un Jupiter Capitolinus, un Jupiter Fagutalis[131], un Jupiter Viminus ou Viminius[132], un Jupiter Stator[133], etc.[134] Il n’y a donc rien de surprenant à ce que le Mars Quirinus, le grand dieu des Romains, ait eu un temple au milieu de la Rome ancienne et un autre au milieu de la Rome nouvelle. Ce deuxième sanctuaire était le signe visible du dédoublement opéré dans la cité.

La conclusion de ce qui précède ressort d’elle-même. Ce n’est pas un groupe politique indépendant qui s’est fondu avec Rome lors de l’annexion du Quirinal : c’est un faubourg qui est devenu un quartier de la ville. Sur le plateau auquel aboutissent les deux vallées du Tibre et de l’Anio, une population s’était formée qui, laissée d’abord en dehors du pomerium, mais devenue tous les jours plus compacte, avait fini par en forcer les portes. La réforme de Tarquin l’Ancien équivaut à une extension du pomerium, c’est-à-dire de la zone du patriciat.

 

V. - Quelles étaient les gentes minores ? - Les gentes patriciennes d’après leur domicile.

Il y a moyen maintenant de reconnaître les gentes anciennes et nouvelles. Il faut chercher celles-ci dans la partie de la ville annexée par Tarquin.

Malheureusement les résultats auxquels on arrive par ce moyen sont très pauvres. Nous avons des notions fort incomplètes sur le domicile des familles patriciennes, et la plupart de celles qui nous sont parvenues se rapportent à une époque où elles n’ont guère d’importance pour l’objet qui nous occupe.

Après ce qui a été dit, il devient presque inutile de classer la gens Fabia parmi les minores, mais il faut ranger dans la même catégorie la gens Claudia.

On a vu qu’il y a deux versions sur l’entrée des Claudii dans la cité. La plus répandue est celle qui place l’immigration d’Attus Clausus en l’an 250 U. c. = 504, six ans après la chute clé la royauté[135]. Une autre, mentionnée par Suétone[136], fait du chef sabin un contemporain de Romulus. Il est clair qu’il s’agit d’un événement très ancien et dont le souvenir s’est conservé en dehors de toute indication chronologique. Mais les annalistes, obligés de lui faire une place dans la suite de leur récit, l’ont rattaché, soit à l’invasion de Titus Tatius, soit aux guerres soutenues contre les Sabins dans les premières années de la république. Les deux dates, également vraisemblables, avaient toutes deux des chances pour être agréées, car, si l’une intéressait la vanité des Romains en leur montrant l’attraction exercée sur les nations voisines par leur liberté naissante, l’autre n’était pas moins flatteuse pour l’amour-propre des Claudii, qui pouvaient ainsi se croire aussi anciens que la cité. M. Mommsen penche pour la dernière[137], mais les raisons qu’il donne n’ont pas toutes la même valeur. On ne voit pas pourquoi la gens Claudia, introduite à Rome en 250 u. c. = 504, n’aurait pu donner son nom à une des tribus rustiques créées neuf ans plus tard, en 259 u. c. = 495. Il n’y a rien non plus d’impossible à ce que cette même gens soit arrivée au consulat quelques années seulement après avoir été admise dans le patriciat. C’est le fait même de cette admission qui ne se conçoit pas à une époque où le patriciat était devenu un corps fermé, moins encore par l’effet de sa propre volonté que par suite des changements survenus dans la composition de l’assemblée ayant seule qualité pour conférer le titre de patricien[138]. Voilà l’argument décisif et qui paraît sans réplique. S’ensuit-il que les Claudii aient été établis à Rome depuis que Rome existait ? En aucune façon. Ils avaient gardé un souvenir trop net de leur arrivée pour qu’elle puisse remonter à une date aussi lointaine. Il n’en était pas d’eux comme des Valerii qui se disaient également originaires de la Sabine, mais dont la tradition, perdue dans la nuit des temps, était loin d’être aussi précise et vivante[139]. D’ailleurs on ne se serait pas avisé de cette date de 250 u. c. = 504 si elle n’avait été autorisée jusqu’à un certain point par ce que l’on savait de la noblesse récente des Claudii. Enfin Suétone nous apprend qu’Attus Clausus obtint un lieu de sépulcre au pied du Capitole (sub Capitolio)[140]. Le tombeau à cette époque était commun à tous les membres de la gens, et il était compris dans l’habitation au même titre que l’autel domestique. Or, il est acquis que le Capitole ne faisait point partie de la ville du Septimontium, c’est-à-dire de la Rome patricienne telle qu’elle était délimitée avant les agrandissements attribués aux trois derniers rois. Une gens habitant sur le Capitole ou au pied ne pouvait donc être inscrite dans les trois tribus et les trente curies avant que cette hauteur n’eût été comprise dans le pomerium, et l’on sait qu’elle le fut en même temps et par la même mesure que le Quirinal et le Viminal[141].

Si nous reportons nos regards vers l’ancien Septimontium, parmi les familles qui depuis longtemps y étaient établies, nous trouvons au premier rang celle où se recrutaient les Lupercales Palatins. Il ne peut y avoir de doute sur le véritable nom de cette gens, aussi vieille que la Rome carrée dont elle a vu la fondation et dont elle perpétue le souvenir à travers les siècles. C’est la gens Quinctia, ainsi que l’atteste, outre une inscription du temps de l’empire[142], le prénom Kæso, propre aux Quinctii comme aux Fabii, et qui rappelle une des particularités de la fête des Lupercales (cædere)[143] (?). Tite-Live s’est donc trompé en comptant la gens Quinctia au nombre des familles albaines (I, 30). Il a confondu avec la Quinctilia, rangée dans cette catégorie par Denys[144]. Ces familles, installées sur le Cælius[145], après l’ex-tension de la Rome du Palatin et avant la formation de la Rome des Tarquins, sont d’une noblesse moins ancienne que la gens Quinctia, mais doivent néanmoins, si la tradition qui les concerne est fondée, être classées parmi les majores. Ce sont, au dire de Tite-Live, avec les Quinctilii, les Tullii, les Servilii, les Geganii, les Curiatii, les Clœlii. La liste de Denys est un peu différente. Il supprime les Tullii et ajoute les Metilii[146] et les Julii, à moins que, dans le texte de Tite-Live, un copiste maladroit n’ait mis Tullii pour Julii[147]. Cette hypothèse est assez probable. Il serait singulier en effet glue Tite-Live eût oublié ces derniers au moment où leurs origines albaines avaient été mises dans un nouveau jour depuis leur élévation à l’empire. Un curieux monument nous apprend du reste que ces origines n’étaient pas un jeu d’érudits, et tous les Julii reconnaissaient vraiment dans la vieille cité latine le berceau de leur race. C’est un autel trouvé sur le sol de Bovillæ, au pied de la montagne sur laquelle Albe s’était élevée, et consacré, conformément au rite albain, à Jupiter Vediovis par les membres de la gens Julia[148]. L’inscription est en caractères du septième siècle. La gens Julia pratiquait donc un culte domestique dans cette petite ville de Bovillæ dont les habitants avaient pris le nom de Albani Longani Bovillenses, comme pour signifier qu’ils recueillaient l’héritage religieux de la métropole détruite[149]. On ne peut citer aucun témoignage de ce genre touchant les autres familles dites albaines. Encore moins peut-on prouver qu’aucune d’entre elles, sans excepter la Julia, ait eu jamais sa demeure sur le Cœlius[150]. En revanche, cette hauteur était occupée par la gens Cœlia, qui lui a donné son nom. De même, les gentes Oppia et Cispia, qui ont donné leur nom à deux des sommets du Septimontium, sur l’Esquilin, y habitaient certainement dans un temps très reculé. On a donc quelque raison de les mettre au nombre des majores avec la Cœlia.

On racontait que Valerius Publicola s’était fait construire, sur le sommet de la Velia, un palais où le peuple avait vu une menace pour sa liberté. Sur l’emplacement de ce palais, qu’il fit démolir pour prouver l’inanité de ces soupçons, la reconnaissance publique lui accorda un tombeau pour lui et pour sa gens[151]. Plus tard, quand il fut défendu d’enterrer dans la ville, les Valerii gardèrent l’habitude de déposer leurs morts en cet endroit avant de les porter hors des murs[152]. Cet usage persistant montre qu’il y avait dans cette histoire un fond de vérité. Il est sûr au moins que le tombeau de la gens Valeria se trouvait au centre même de la ville du Septimontium. Ainsi, il faudrait voir dans cette gens une des plus illustres de l’ancien patriciat. Mais la question est de savoir si elle avait pris possession de ce terrain depuis les origines, et non pas seulement depuis les premières années de la république.

On comprend en effet que les indications de cette nature, qui ne remontent pas à une époque tout à fait primitive, ne sont d’aucun secours pour nos recherches. Cette raison suffirait, tout débat sur l’authenticité étant écarté[153], pour nous faire négliger une série de cognomina qui se rencontrent assez fréquemment dans les Fastes du troisième et du quatrième siècle de Rome. Ce sont les cognomina tirés des noms de rue ou de quartier. En y regardant d’un peu près, on voit mieux encore combien cette abstention est justifiée. Aucune des gentes dont nous avons pu déterminer le domicile dans les temps les plus anciens n’y fait allusion dans son surnom. Ni les Fabii ne s’intitulent Quirinales ou Collini, ni les Quinctii Palatini, ni les Claudii Capitolini. En revanche, ce dernier surnom est adopté par les Quinctii, non point par tous, mais par une des deux branches entre lesquelles se divise la gens[154]. Ainsi, non seulement les gentes se déplacent, mais elles se dispersent. M. Jordan fait cette remarque que si tous les Quinctii avaient habité sur le Capitole, la branche des Capitolini ne se serait pas appelée ainsi à l’exclusion des Cincinnati[155]. La même remarque peut s’appliquer aux Manlii, chez qui les Capitolini se détachent des Cincinnati Vulsones. Un cas assez curieux est celui des Sestii, dont l’unique représentant a le double cognomen de Capito ou Capitolinus et Vaticanus[156]. Nous n’avons rien à dire de A. Aternius Varus Fontinalis[157], sinon qu’il y avait une porte Fontinalis sur le Quirinal, dans l’enceinte dite de Servius[158]. Son collègue dans le consulat est Sp. Tarpeius Montanus Capitolinus, dont la réalité a été à tort contestée par M. Mommsen[159]. Mais, que ce personnage soit historique ou non, on ne niera pas l’existence d’une gens Tarpeia, ayant donné son nom à une partie du Capitole ou au Capitole tout entier, avant que cette hauteur n’eût mérité de s’appeler ainsi en devenant la citadelle de la Rome des Tarquins. Si elle lui a donné son nom, c’est que probablement elle y habitait. Cette gens ira donc s’ajouter à la Claudia dans la liste des familles nouvelles, si toutefois elle ne s’est pas transportée dans la ville du Septimontium avant les agrandissements décrétés par les Tarquins[160].

Une inscription publiée par Grüter (621, 4), où est mentionné un vicus Cornelii, a été rapprochée par M. Ampère[161] d’un passage de Blondus qui nous fait connaître une via ou un vices Corneliorum près des Thermes de Constantin[162]. Dans le même voisinage il y aurait eu une église du Saint-Sauveur appelée de Corneliis. L’ingénieux auteur de l’Histoire romaine à Rome conclut de là que les Cornelii avaient leur demeure sur le Quirinal. Mais, quand même ces réminiscences antiques, si fréquentes dans la Rome du moyen âge, auraient quelque valeur, et le nom de thermes des Cornelii, donné par le peuple, suivant le même Blondus, aux thermes de Constantin, montre assez que, dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, elles n’en ont aucune, — quand même l’église du Saint-Sauveur aurait été vraiment appelée de Corneliis[163], quand même enfin le virus Cornelii de Grüter ne différerait pas de la via Corneliorum de Blondus, la conclusion de M. Ampère serait encore trop prompte, car, si nous consultons l’analogie, le vicus Cornelii portait ce nom tout simplement parce qu’il avait été bâti par les soins d’un Cornelius. Nous voyons en effet que plusieurs rues de Rome portaient des noms gentilices pour une raison du même genre[164]. N’est-il pas bien téméraire d’ailleurs de tirer du nom d’une rue de la Rome impériale la moindre induction sur la demeure d’une gens patricienne au temps des Tarquins ?

 

VI. — Quelles étaient les gentes minores ? - Les cognomina patriciens formés avec des noms de lieux.

On le voit, en dehors de cinq ou six faits positifs, il n’y a que des conjectures sans fondement. On voudrait en savoir davantage. Puisque cette méthode ne conduit pas à plus de résultats, il faut en essayer une autre.

Il y a un certain nombre de gentes dont les cognomina sont dérivés, non plus de noms de localités situées dans Rome même, mais de noms de villes ou de nations voisines : les Papirii Mugillani[165], les Claudii Sabini Regillenses[166], les Postumii Tuberti[167] Regillenses, les Furii Medullini[168], les Sulpicii Camerini[169], les Marcii Coriolani[170], les Tarquinii Collatini[171], les Volumnii Amintini[172] Galli, les Sergii Fidenates[173], les Servilii Fidenates, les Clœlii Siculi, les Cominii Aurunci, les Cornelii Maluginenses[174], les Cassii Vecellini, les Hermenii Coritinesani, les Fabii Vibulani Sabini, les Romilii Vaticani. Les Fastes Capitolins de l’an 296 u. c. = 458 donnent le cognomen Carventanus à un inconnu[175].

On a cru que ces surnoms faisaient allusion à quelque ville prise, à quelque bataille livrée. Nous apprenons des anciens eux-mêmes que le surnom de Marcius Coriolanus lui venait de la ville de Corioli, emportée d’assaut par sa valeur[176]. Tite-Live suppose que L. Sergius cos. en 317 u. c. = 437 fut appelé Fidenas à cause de la guerre qu’il avait soutenue contre Fidènes[177]. C. Servilius Priscus, dictateur en 319 u. c. = 435, qui s’illustra dans la même guerre, porte le même surnom[178]. A. Postumius Regillensis n’est autre que le héros de la grande victoire du lac Régille[179]. Pourtant cette explication est loin d’être certaine. A la vérité, les difficultés ne viennent pas, comme on l’a prétendu, des contradictions des anciens[180]. Quand Tite-Live remarque, à propos de Scipion l’Africain, qu’il fut le premier général ayant ajouté à son nom celui de la nation qu’il avait vaincue[181], il ne parle que des cognomina rappelant la conquête d’un grand pays, tels que Africanus, Asiaticus, Achaicus. Son observation prise au pied de la lettre ne concerne nullement les personnages dont il vient d’être question. Le texte de Sénèque, que l’on cite d’ordinaire, ne dit pas non plus ce qu’on lui fait dire. Sénèque raconte que M’. Valerius cos. en 491 u. c. = 263 fut le premier des Valerii surnommé Messana, du nom de la ville de Messine dont il s’était emparé[182]. Il ne prétend en aucune manière que ce fait fût sans précédents dans d’autres familles. Si tel était le sens de sa phrase, elle ne serait pas exacte, car dès 425 u. c. = 329 les Fastes triomphaux, nous font connaître un L. Æmilius Mamercinus Privernas qui triompha des Privernates[183]. Les deux frères L. et P. Cornelius Lentulus, consuls, le premier en 517 u. c. 237.1 le second en 518 u. c. = 236, portent tous deux dans les Fastes Capitolins le deuxième cognomen de Caudinus. Ils l’ont reçu en héritage, ou bien de L. Lentulus, dictateur en 434 U. c. = 320, qui passait pour avoir battu les Samnites à Caudium, ou plutôt de L. Lentulus, consul en 479 u. c. = 275, vainqueur du même peuple, peut-être au même endroit[184]. Ce qu’il faut noter, c’est que ces deux exemples, celui de L. Æmilius Mamercinus Privernas et celui de L. et P. Cornelius Lentulus Caudinus, sont les premiers qui appartiennent à l’histoire. Les autres relèvent plus ou moins de la légende. On sait toutes les invraisemblances dont fourmille le roman de Coriolan, et notamment la prétendue expédition de Corioli qui en forme le prologue[185]. Il est inutile d’y insister, mais il paraît bon de rappeler un principe oublié par Tite-Live et les autres historiens, bien qu’il résulte assez clairement de l’usage des temps postérieurs. Pour se parer d’un surnom consacrant le souvenir d’une victoire, il ne suffisait pas d’avoir pris à cette victoire la part la plus brillante, il fallait l’avoir remportée commandant en personne, par la vertu de ses propres auspices. Quand donc l’exploit de Marcius serait de tout point véridique, il ne s’ensuivrait pas encore que son surnom tirât de là sa raison d’être. C’est du reste une chose digne de remarque que la seule fois où les historiens proposent hardiment cette explication d’un surnom formé avec un nom de lieu, le fait sur lequel ils s’appuient soit apocryphe. Tite-Live est bien moins affirmatif à propos de L. Sergius. Il se borne à une conjecture, laissant entendre qu’elle n’est autorisée en rien par les anciens textes. Et cette conjecture est d’autant moins admissible que Sergius, dans le récit même de l’historien, ne sort nullement vainqueur de cette guerre. A la suite de sa prétendue victoire, il faut nommer un dictateur[186]. Quant à Servilius Fidenas et à Postumius Regillensis, aucun auteur n’a établi de rapport entre leur surnom et le fait de guerre auquel il paraît se rapporter. Ainsi, dans l’incertitude où l’on est sur les événements de cette période, on est amené à se demander si ces deux personnages sont appelés Fidenas et Regillensis parce qu’ils ont en effet vaincu à Fidènes et à Régille, ou bien s’ils sont censés avoir vaincu là parce que leur surnom est formé avec le nom de l’une ou l’autre de ces localités. Si l’on ajoute à ces observations cette dernière remarque que les cognomina de cette catégorie sont extrêmement nombreux, et le plus souvent, Sans aucun rapport avec un événement quelconque accompli sur les lieux dont ils évoquent le souvenir, on ne pourra s’empêcher de conclure que l’interprétation proposée ne répond pas à la multiplicité des cas et qu’il faut l’abandonner pour en chercher une autre[187].

Il s’en présente une qui semble toute simple : ces surnoms rappellent une origine étrangère[188]. S’il en est ainsi, les gentes qui les ont adoptés peuvent être considérées comme faisant partie du patriciat nouveau, soit qu’elles aient émigré à Rome volontairement, soit qu’elles y aient été transportées de force, après les conquêtes des quatre ou trois derniers rois. Malheureusement pour cette hypothèse, les surnoms des familles patriciennes sont loin de répondre toujours à l’origine vraie ou supposée de ces familles. Les seules pour lesquelles on puisse constater un rapport sont les gentes Claudia et Romilia. La première, qui a le cognomen Regillensis Sabinus, était, comme on le sait, venue de Régille en Sabine ; la seconde avait sa patrie sur le territoire de la tribu Romilia, sur la rive droite du Tibre, dans la direction de Véies[189]. Cette tribu s’était formée autour du pagus Romilius dont la situation exacte est donnée sans doute par le deuxième cognomen du consul de 299 u. c. = 455, T. Romilius Rocus Vaticanus[190]. Ces deux exceptions mises à part, on ne rencontre que des incertitudes, des contradictions ou des impossibilités. Ne parlons point, si l’on veut, des familles dont la nationalité, telle que les modernes ont cru la deviner, n’est point prouvée. Ne disons rien des Furii, dont le nom se retrouve dans les inscriptions archaïques de Tusculum[191] et qui s’appellent Medullini, des Lartii, dont le gentilicium dérive du mot étrusque Lar et qui s’appellent Flavi et Rufi[192]. Prenons les gentes albaines. Elles ont la plupart des cognomina qui ne font aucune allusion à leur provenance. Les Quinctilii s’appellent Vari, les Geganii Macerini, les Curiatii Fisti Trigemini, les Julii, dont on a vu tout à l’heure les relations persistantes avec Bovillæ, Juli, Mentones, etc. Les Clœlii pourtant s’appellent Siculi, ce qui permet à M. Willems d’imaginer une localité répondant à ce surnom, et dépendant de la civitas Albana[193] ; mais que penser des Servilii qui s’intitulent Fidenates[194] ? Ce n’est pas tout. Ces surnoms, tirés de noms de lieux, ne sont pas toujours communs à tous les membres de la gens : quelquefois ils ne désignent qu’une branche. Les Papirii Crassi sont contemporains des Papirii Mugillani ; les Postumii Tuberti, des Regillenses[195]. Il est clair cependant que tous les membres de la gens avaient le même berceau. Enfin le premier en date des Sergii a le cognomen Esquilinus, tandis que ceux qui lui succèdent prennent le cognomen Fidenas. Cette observation est importante. En effet, si les Sergii étaient originaires de Fidènes, et s’ils avaient voulu consacrer ce souvenir par leur surnom, ils n’auraient pas commencé par s’appeler Esquilini. Si, au contraire, leur première résidence était sur l’Esquilin, le surnom Fidenas n’a pas pour objet d’indigner leur extraction. M. Willems, il est vrai, essaie de démontrer que le cognomen Fidenas est antérieur à l’autre, d’où il suivrait que le premier indique la nationalité des Sergii, et le second le domicile qu’ils se sont choisi, une fois entrés dans le patriciat romain. Mais on a montré plus haut que son raisonnement est purement hypothétique[196].

 

VII. - Quelles étaient les gentes minores ? - Des tribun rustiques qui portent le nom d’une gens patricienne.

On sait que les plus anciennes des tribus rustiques, au nombre de seize, portaient chacune le nom d’une gens patricienne. Ce sont l’Æmilia, la Camilia, la Claudia, la Cornelia, la Fabia, la Gale-ria, l’Horatia, la Lemonia, la Menenia, la Papiria, la Pollia, la Pupinia, la Romilia, la Sergia, la Voltinia, la Veturia. Ces gentes ne seraient-elles pas originaires de ces mêmes tribus ou cantons rattachés au territoire de la ville par les rois conquérants ? Et, dans ce cas, ne faudrait-il pas les compter parmi les dernières venues du patriciat ?

Il est remarquable qu’on ne trouve parmi ces gentes aucune de celles que nous avons cru pouvoir, avec plus ou moins de raison, ranger parmi les majores, ni la Quinctia, ni la Cœlia, ni la Cispia, ni l’Oppia, ni la Julia, ni les autres familles issues d’Albe, ou à qui la tradition prête un rôle quelconque sous les quatre premiers rois. On ne voit d’exception que pour la gens Horatia. Au contraire, on rencontre dans le nombre, outre la Fabia et la Claudia, la seule gens dont les anciens nous disent qu’elle était dans les minores, la Papiria[197]. Peut-être la Menenia doit-elle être mise dans la même catégorie. Tite-Live dit que Menenius Agrippa fut délégué par le Sénat auprès des insurgés du Mont-Sacré, parce qu’il avait les sympathies de la plèbe dont il était sorti (II, 32).

Ce sont des faits particuliers. Est-il permis d’en tirer une conclusion générale ? La question n’est pas aussi simple qu’elle le paraît. Tous les historiens nous apprennent que la tribu Claudia fut ainsi nommée, parce qu’une partie de son territoire avait été assignée aux clients d’Attus Clausus[198]. Ce renseignement ne peut être isolé. La même relation qui existait entre la tribu Claudia et la gens Claudia devait exister entre les autres tribus et les gentes dont elles tiraient leurs noms. Ces tribus étaient donc les territoires où les gentes correspondantes avaient leurs propriétés et leurs clients. Doit-on ajouter qu’elles y avaient aussi leur berceau, comme on vient de le supposer ? Ne peut-on croire tout aussi bien qu’elles s’y étaient établies par droit de conquête ? Il faut se rappeler ce qu’était la conquête chez les Romains. Ils enlevaient aux vaincus une portion de leur sol et la transformaient en ager publicus. Mais cet ager publicus finissait par devenir privatus, grâce aux usurpations des détenteurs patriciens[199]. Quant aux habitants, il est difficile sans doute de déterminer la condition qui leur était faite, à cette époque reculée surtout. Mais comme ils étaient dépouillés d’une partie de leurs biens, il est probable qu’il ne restait aux plus pauvres d’autre ressource que de se mettre dans la clientèle des grandes familles patriciennes, locataires du domaine public, quitte à faire leur possible plus tard pour secouer cette chaîne. Les patriciens, de leur côté, les poussaient de toutes leurs forces dans cette voie. Une lutte s’ouvrit entre l’indépendance de la plèbe et l’esprit d’envahissement du patriciat. Les détails en sont mal connus. On voit seulement que les patriciens cherchaient par tous les moyens à absorber dans leurs domaines les petites propriétés voisines[200]. En vertu du même calcul, ils devaient s’efforcer d’attirer dans leur clientèle les propriétaires eux-mêmes. La question des dettes, qui troubla si profondément Rome dès les premières années de la république, s’explique peut-être par là[201]. Où trouve dans l’histoire du procès de Coriolan, telle qu’elle est racontée par Denys, un détail curieux et qui montre quelle était encore, après la création du tribunat de la plèbe, la puissance du patriciat au sein des populations rurales. Malgré l’acharnement des tribuns et les justes rancunes de la plèbe, Coriolan est condamné, dans l’assemblée tribute, à une très faible majorité, par onze tribus contre neuf[202]. Sur ces neuf, cinq au moins étaient rustiques. C’étaient celles où les patriciens avaient le plus de clients fidèles. Nous cherchions tout à l’heure le sens de certains surnoms patriciens formés avec des noms de lieux. Ne voudraient-ils pas dire que les gentes ou les familles qui s’en paraient étaient les propriétaires du pays ? Et ne serait-ce pas pour la même raison que certaines gentes donnaient leur nom à des tribus entières ? Ainsi ces gentes ne seraient pas sorties du territoire de la tribu pour se faire recevoir à Rome dans le patriciat. Elles seraient sorties de Rome pour prendre possession de ce territoire par les armes.

Cette opinion est spécieuse, mais elle ne se soutient pas, considérée de près. Les tribus portant des noms de gentes patriciennes sont au nombre de seize. Or, on ne saurait admettre que seize gentes seulement aient eu des clients et des propriétés en dehors de la ville. On dira que ces seize tribus étaient formées de vingt-six cantons de moindre étendue ou pagi[203], lesquels portaient aussi des noms de gentes patriciennes. Cette dernière affirmation, bien qu’elle soit souvent reproduite[204], est loin d’être prouvée dans sa généralité. S’il y a un pagus Claudius[205], un pagus Lemonius[206], qui donnèrent leur nom à la tribu Claudia, à la tribu Lemonia, en revanche une inscription nous fait connaître un pagus Amintinus[207], du nom de la ville d’Amintinum, dans le Latium. Mais il n’importe. Vingt-six gentes propriétaires en dehors de la ville, sur trois cents, c’est peu. On dira encore qu’il y en avait davantage, que ces vingt-six pagi, institués par Servius Tullius en vue des besoins administratifs, étaient formés eux-mêmes de la réunion de pagi préexistants, portant eux aussi des noms de gentes. On peut l’inférer d’un texte de Caton, cité par Denys, où il est dit que le nombre de ces districts ruraux était indéterminé (IV, 15). D’autre part on voit que la tribu Romilia en comptait à elle seule sept[208]. Mais ceci nous ramène au temps où Rome faisait ses premiers progrès en dehors de ses murs. Ces districts, avant que leur groupement eut constitué les vingt-six pagi, n’étaient donc pas alors pour la plupart dépendants de Rome, et, par conséquent, les gentes qui y avaient leurs propriétés et dont ils tenaient leurs noms ne faisaient pas à la même époque partie du patricial romain. Au reste, la question se présente sous une autre face. Nous reconnaissons que les gentes qui ont laissé leurs noms aux seize tribus n’y étaient pas seules propriétaires, qu’il y avait à côté d’elles place pour beaucoup d’autres possédant dans les mêmes cantons des terres et des tenanciers. C’est ce fait que paraissent exprimer tous ces surnoms patriciens empruntés à des noms de lieux. Mais alors il reste à expliquer pourquoi telle gens plutôt que telle autre a donné son nom à la tribu, d’où lui vient cet honneur qui ne pouvait être conféré arbitrairement. On est porté à croire que la gens privilégiée était la plus importante de la tribu, celle qui y possédait le territoire le plus étendu. Qu’on examine cependant la liste des seize gentes, on sera étonné de n’y voir figurer ni la Valeria, ni la Verginia, ni la Servilia, ni la Furia, ni la Julia, ni la Postumia, ni d’autres qui, marchant à la tête du patriciat, lui fournissant ses généraux et ses politiques, ont dû avoir la plus large part des fruits de la victoire. A la vérité, on y rencontre la Claudia, la Fabia, la Cornelia, la Veturia, qui vont de pair avec les précédentes[209], mais avec elles des gentes dont le rôle est peu considérable, les Papirii, qui n’arrivent au consulat que très tard, les Lemonii, les Camilii, les Pollii, les Pupinii, les Voltinii, qui n’y arrivent jamais ni, autant que nous pouvons en juger, à aucune autre fonction publique, et sont pour l’histoire comme s’ils n’existaient pas.

En présence de ces difficultés, nous estimons qu’il vaut mieux s’en tenir à notre première hypothèse, et voir, dans les gentes qui ont donné leurs noms aux seize tribus et aux pagi dont ces tribus ont été formées, celles qui dominaient autrefois dans le pays. La conquête romaine les y laissa, puissantes et riches malgré leurs pertes, jusqu’au jour où elles allèrent s’établir dans l’enceinte du pomerium et furent inscrites dans une des trente curies. Mais dans ce pays qu’elles abandonnaient, il leur restait des terres, des clients, peut-être même quelques familles parentes de race libre qui, demeurées fidèles au sol natal, ne purent être admises dans le patriciat[210]. C’est ainsi que leur nom se perpétua dans leur première patrie.

Est-ce à dire que ces seize gentes doivent être toutes rangées parmi les minores ? Et s’il y a des exceptions, quelles sont-elles ? Pour répondre, il faudrait avoir une idée exacte de la topographie des tribus et surtout des pagi, ainsi que des agrandissements successifs de l’ager romanus sous les rois. Il est clair, en effet, que telle gens, dont le canton était situé dans la proximité de la ville, a pu se faire ouvrir les portes de la cité patricienne avant la période des Tarquins, tandis que telle autre, originaire d’un pays plus éloigné et atteint plus tard par la conquête, a nécessairement une noblesse plus récente. Malheureusement l’un et l’autre élément de la question nous échappent à peu près complètement. On ne peut songer à retracer dans leur détail et leur suite les conquêtes des rois, et, quand on le pourrait, on n’en serait pas plus avancé, attendu que l’on sait fort peu de chose sur l’emplacement des papi. Il y en a cinq seulement pour lesquels il peut être déterminé. Le pagus Claudius, que l’on appelait aussi l’ancienne tribu Claudia, vetus Claudia tribus, par opposition aux cantons qui y furent ajoutés par la suite. Il était situé sur la rive droite de l’Anio, entre Fidènes et Picetia[211]. Puis le pagus Lemonius, qui commençait au dehors de la porte Capène, le long de la voie latine[212]. C’est un de ceux qui ont été rattachés de bonne heure à Rome et dont la gens pourrait faire partie de l’ancien patriciat. On en dira autant du pagus Romilius, s’il est vrai qu’il faille le placer sur le Vatican. Au contraire, on ne sera pas surpris de voir Cicéron mettre la gens Papiria dans le patriciat nouveau, si l’on considère que l’ager Papirius était dans les environs de Tusculum[213]. Il aurait pu y mettre aussi la gens Pupinia dont le domaine touchait à celui des Papirii[214].

 

VIII. - Des effets produits sur l’organisation du Sénat par l’introduction des gentes minores.

On entrevoit les conséquences que put avoir pour l’organisation du Sénat la présence des gentes minores. Il se partageait en dix décuries, comprenant trente sénateurs, dix de chacune des trois tribus, ou, ce qui revient au même, un sénateur de chacune des trente curies. Chacune des trente curies envoyait donc au Sénat dix sénateurs, un pour chaque décurie. Soit par exemple la décurie n° 1. Elle comprend un sénateur de la curie A appartenant à la tribu des Ramnes ; un sénateur de la curie B, appartenant à la même tribu, et ainsi de suite jusqu’à la dixième curie I de ladite tribu. Puis vient un sénateur de la curie A’, appartenant à la tribu des Tities, et la série continue jusqu’à la curie I’. Elle recommence à partir de la curie A’’ de la tribu des Luceres. Il n’est pas douteux que les curies de chaque tribu ne fussent rangées dans un ordre déterminé. Nous en avons pour preuve l’analogie des quatre tribus urbaines qui, bien qu’instituées simultanément et sur un pied d’égalité, n’en étaient pas moins classées hiérarchiquement[215]. Si nous passons à la deuxième décurie, à la troisième, à la quatrième, etc., nous retrouvons toujours la succession de trente curies fournissant chacune un sénateur. Inversement, en prenant le tableau dans un autre sens, nous voyons que la curie A envoie dix sénateurs, un pour la décurie n° 1, un autre pour la décurie n° 2, etc., et ainsi des suivantes, jusqu’à la décurie I’’, la dernière de la troisième tribu.

Ce classement symétrique n’était plus possible depuis les remaniements opérés par Tarquin. Tant que le Sénat n’avait connu d’autre cause de désorganisation que la disparition graduelle des gentes, rien n’avait été changé. La curie n’envoyait plus ses dix sénateurs, la décurie ne comptait plus ses trente membres au complet, mais les cadres, plus ou moins remplis, étaient demeurés intacts. Il n’en allait plus de même, maintenant que d’autres gentes avaient succédé aux gentes éteintes sans pouvoir prétendre à les remplacer. Il n’est pas besoin d’une longue démonstration pour être assuré que dès ce moment l’ordre antique fut pour jamais bouleversé. Un texte de Cicéron, celui qui nous apprend que les gentes minores votaient, c’est-à-dire étaient classées les dernières, suffit[216]. Car chaque curie, suivant les pertes qu’elle avait dû réparer, contenait un nombre plus ou moins grand de gentes majores et de gentes minores qui ne pouvaient être placées sur la même ligne. Supposez la curie B de la première tribu. Si les gentes minores succédant dans cette curie à celles qui avaient disparu avaient aussi hérité ale leur place, si elles avaient figuré au même rang sur la liste, fidèle tableau de la hiérarchie sénatoriale, elles auraient passé avant les gentes majores des curies C, D, E, etc., de la même tribu, avant les gentes majores des tribus suivantes. Or nous savons qu’il n’en était rien et qu’au contraire les gentes minores se trouvaient, par rapport à toutes les autres, dans une situation inférieure. Il est donc évident que les sénateurs ont dit être groupés suivant des combinaisons nouvelles.

Il faut partir de deux faits : 1° Les gentes majores de n’importe quelle curie passaient avant les minores, quelle que fût la curie de ces dernières. 2° Malgré ce bouleversement, l’ordre des curies et des décuries fut maintenu. On le verra plus loin[217]. Ainsi l’on est amené à se représenter de la manière suivante l’organisation nouvelle du Sénat. Le Sénat, comme le corps équestre, se partage en deux groupes numériquement égaux, ou à peu près, celui des gentes majores et celui des gentes minores, le premier comprenant les débris des anciens Ramnes, Tities, Luceres, que leur commune opposition au patriciat nouveau porte de plus en plus à se rapprocher et à se confondre. Cependant les sénateurs du premier groupe sont toujours rangés comme autrefois, alors qu’ils constituaient le Sénat tout entier. Les trente curies depuis la curie A jusqu’à la curie I’’ continuent à être représentées dans les dix décuries. Il y a cette seule différence que les représentants ne sont pas toujours au nombre de dix, de sorte que les décuries, telles qu’elles sont formées par les gentes majores, n’arrivent pas à leur effectif de trente sénateurs. Mais elles sont complétées par les gentes minores. En effet, la série des trente curies, épuisée pour les unes, reprend pour les autres dans le même ordre, et les lacunes sont comblées. Pour être clair, considérons encore une fois la curie B. Sur dix gentes majores qu’elle fournissait, supposons qu’il lui en reste cinq dont les cinq représentants gardent leurs places dans les décuries n° 1, 3, 5, 7, 9. Supposons, d’autre part, que les décuries restantes, n° 2, 4, 6, 8, 10, après avoir reçu le contingent complet de toutes les autres curies, arrivent ail total respectif de vingt-neuf sénateurs. Il manque à chacune de ces cinq décuries un trentième membre qui sera fourni par les cinq gentes minores de la curie B, lesquelles, dans le tableau formé par le deuxième groupe sur le modèle du premier, prennent, dans les décuries n° 2, 4, 6, 8, 10, les places laissées vacantes.

 

IX. - L’absorption des gentes minores par les majores. - Si les gentes minores avaient une politique distincte. D’une hypothèse de M. Mommsen sur la gens Claudia.

Cette infériorité des gentes minores dut disparaître en même temps et pour les mêmes causes que l’ancienne hiérarchie sénatoriale. Dès les premières années de la république, on voit à la tête du Sénat des membres des gentes minores. Les Menenii (si tant est qu’ils appartiennent à cette classe) arrivent au consulat en 251 u. c. = 503, les Claudii en 259 u. c. = 495, les Fabii en 269 u. c. = 485. Il est vrai que la Papiria est, de toutes les gentes patriciennes, la dernière arrivée à la souveraine magistrature. Le premier Papirius dont les Fastes consulaires fassent mention est L. Papirius Mugillanus cos. en 310 u. c. = 444 et appelé, l’année suivante, avec son collègue L. Sempronius Atratinus, à inaugurer la censure[218]. Encore l’existence de ce personnage a-t-elle soulevé des doutes qui s’étendent à un autre Papirius dont Tite-Live fait un interroi en l’an 333 u. c. = 421[219]. Toutefois nous aimons mieux nous ranger à l’opinion de M. Boor[220], qui tout en abandonnant le consulat de L. Papirius croit à la réalité de sa censure. Les Papirii apparaissent plus tôt dans les Fastes sacerdotaux. Asconius connaît un M. Papirius grand pontife à l’époque de la deuxième sécession, en 305 u. c. = 449[221]. Un autre Papirius portant le prénom de Caïus fut, d’après Denys, le premier grand pontife après la chute de la royauté (III, 36). Le même Denys nous apprend qu’un M’ Papirius ouvrit la série des rois des sacrifices (V, 1). Enfin, le jurisconsulte Pomponius mentionne un Sex. Papirius contemporain de Tarquin le Superbe[222]. Ce Sextus devient ailleurs un Publius[223]. M. Mommsen tient ces traditions pour apocryphes[224]. Humiliés d’avoir été si longtemps écartés du consulat, les Papirii se seraient dédommagés en mettant leur nom en tête des listes des prêtres comme de la liste des censeurs. Sans doute, tous ces Papirii ont été multipliés sans raison. Ainsi les deux dont il est question dans Pomponius n’en font évidemment qu’un, et celui-ci reste encore plus que suspect. De même le premier grand pontife est peut-être identique à cet autre Papirius dont Denys fait le roi des sacrifices et auquel Festus substitue un Sulpicius (p. 318). Mais il n’en est pas moins certain que la gens Papiria a tenu de bonne heure une place importante dans l’histoire religieuse de Rome. La preuve en est dans l’existence du recueil désigné sous le nom de code Papirien. La date et l’auteur de cette première codification des lois romaines ne sont pas bien connus. Il est acquis cependant qu’elle était l’œuvre d’un Papirius ou de plusieurs, et, quant à l’époque de la rédaction, on s’accorde généralement à ne pas la considérer comme postérieure au décemvirat[225].

Si l’on ne considérait que la brillante et rapide fortune des Claudii et des Fabii, on serait tenté de croire que l’avènement du patriciat nouveau eut pour résultat final l’effacement ou la subordination de l’ancien ; mais l’élévation bien plus lente de la gens Papiria, la destinée tout à fait obscure de la Pupinia, la place qu’occupent encore dans les annales de la république des gentes appartenant plus ou moins notoirement à la vieille noblesse, la Quinctia, la Julia ; enfin l’impossibilité où nous sommes de faire entre les diverses gentes une classification assez complète pour servir de base à une théorie générale, tout nous avertit que cette conclusion serait sans aucun fondement.

Deux familles, malgré leur admission récente dans le patriciat, arrivent rapidement à s’y créer une situation prépondérante. C’est un fait que nous devons constater, mais dont les causes nous échappent. Il n’en a d’autre peut-être que la valeur des hommes, ou la richesse des ressources dont ils disposaient. La clientèle des Claudii, celle des Fabii était considérable. Ce qu’il faut remarquer, c’est que rien dans l’histoire de ces deux familles ne décèle leur origine plébéienne ; que rien non plus dans cette histoire ne nous autorise à soupçonner chez les gentes minores une politique commune opposée à celle des majores.

Loin de témoigner la moindre complaisance pour la plèbe, les Fabii, sitôt qu’ils commencent à figurer dans les Fastes, se montrent à nous comme les chefs de la réaction patricienne qui suit le meurtre de Sp. Cassius. Durant sept années, de 269 u. c. = 485 à 275 u. c. = 479, ils se succèdent dans le consulat. Il est vrai que, la sixième année, ils passent tout à coup dans l’autre camp. Les historiens ne s’expliquent pas sur les causes de ce revirement. Comme il précède de peu la fameuse campagne sur le Crémère (275 u. c. = 479), on a supposé que les patriciens, se révoltant à ; la longue contre l’ascendant des Fabii, avaient fini par les contraindre à une sorte d’exil. Les Fabii auraient dû chercher dans la plèbe un point d’appui contre les attaques venues de leur caste[226]. On pensera ce qu’on voudra de cette conjecture. Il est certain seulement que les Fabii ne furent pas les seuls à prêcher la modération au patriciat. Ils partagèrent ces sentiments, non seulement avec les Menenii[227], mais avec les Valerii[228], et, ce qui est plus remarquable, avec des membres de la gens Julia[229] et de la gens Quinctia[230]. Ce n’est donc point par là que les familles nouvelles se distinguaient des anciennes.

On connaît le rôle prêté par les historiens anciens aux Claudii. En eux s’incarnent toutes les résistances du patriciat. M. Mommsen rejette cette tradition. Pour lui, les Claudii sont victimes d’une calomnie. C’est l’annaliste Licinius Macer qui les a dépeints sous ces couleurs odieuses par haine pour C. Claudius Pulcher cos. en 662 u. c. = 92, un des représentants notables du parti sénatorial. Nulle injustice plus grande dans l’histoire. Ces esprits étroits sont ouverts à toutes les nouveautés. Ces aristocrates superbes ont toujours favorisé les progrès de la démocratie. Ces conservateurs sont des révolutionnaires[231].

Il ne peut entrer dans notre pensée de traiter à fond une question qui ne touche qu’indirectement à notre sujet. Quelques observations suffiront.

Est-il vraisemblable que l’esprit de parti ait pu travestir à ce point les actes d’une famille dont le nom remplit l’histoire romaine depuis les origines de la république jusqu’à sa fin et au delà ? Comment se fait-il que personne n’ait protesté, ou que les réclamations n’aient point empêché le mensonge d’étouffer la vérité ? Car enfin, quand Tite-Live écrivait, la famille Claudia était plus florissante que jamais son chef était le beau-fils de l’empereur, bientôt son fils adoptif et son héritier[232]. D’autre part, les faits falsifiés ne se perdaient pas tous dans un passé fabuleux. Il y en avait qui se trouvaient placés en pleine lumière historique, ou à peu prés, dans le milieu du cinquième siècle de Rome.

Il y a une double erreur au fond du paradoxe de M. Mommsen. D’abord, il n’est pas vrai que les goûts raffinés, que l’activité intellectuelle dont il fait avec raison honneur aux Claudii soient un indice de leurs tendances plébéiennes. C’est là, au contraire, un trait commun à la plupart des patriciens. L’étroitesse d’esprit, la grossièreté des mœurs, le mépris pour les délicatesses de la vie, pour les lettres et les arts, sont le propre de la plèbe. Scipion est patricien de même que Flamininus ; Caton et Mummius sont plébéiens[233]. Puis, de ce que les Claudii sont des démagogues, il ne s’ensuit pas qu’ils soient des amis de la plèbe et des ennemis du patriciat.

L’alliance du patriciat et de la populace de Rome, ligués contre la plèbe rustique, remontait aux débuts de la lutte entre les deux ordres[234]. Elle fut reprise avec une audace extraordinaire par App. Claudius Cæcus, censeur en 442 u. c. = 312. On l’a comparé à César. Il serait plus juste de voir en lui un précurseur de Sylla. Il n’avait pas seulement, au plus haut degré, l’orgueil de son nom, ainsi que le prouve l’anecdote des boucliers suspendus au temple de Bellone[235]. Il fut l’adversaire passionné de cette noblesse mixte, patricienne et plébéienne, qui, depuis les lois de Licinius, s’était substituée au patricial pur[236]. Il combattit la loi Ogulnia[237]. Il essaya même de rendre au patriciat la possession exclusive de la magistrature consulaire[238]. Le même homme cependant relevait les affranchis de leur déchéance, les poussait dans le Sénat[239], leur ouvrait l’accès de toutes les tribus[240]. Mais ces actes n’étaient nullement en contradiction avec les précédents. Ils se rapportaient les uns et les autres à un plan très arrêté et qui peut se définir en deux mots : la restauration de la caste patricienne, soutenue par un peuple de clients. Ces clients, depuis la ruine de l’ancienne clientèle, on ne pouvait les demander qu’au prolétariat urbain composé en grande partie d’affranchis. Répandre les affranchis dans les trente et une tribus rustiques, au lieu de les tenir parqués dans les quatre urbaines, c’était donc en réalité leur livrer les comices, car, tandis que les habitants de la campagne venaient très rarement à Rome, les affranchis s’y trouvaient en grand nombre et l’emportaient dans les tribus où ils votaient. Les admettre dans le Sénat, c’était ajouter leurs voix à celles des patriciens survivants, et reformer avec cette coalition une majorité hostile à la fraction plébéienne[241]. Ainsi faisait Sylla quand il peuplait la curie de gens de rien dans le moment où il écrasait la noblesse équestre[242]. Pour ces aristocrates de vieille roche, il était moins dur de voir siéger à leurs côtés des humbles humiles leurs créatures, que ces parvenus insolents qui osaient se prétendre leurs égaux. Si, lancé sur cette pente, Appius finit par dépasser le but, la faute en est aux patriciens eux-mêmes qui refusèrent de le suivre dans cette aventure et dont l’opposition l’exaspéra.

Chose singulière ! Deux siècles et demi plus tard, au plus fort de la lutte entre la noblesse sénatoriale et les populations italiennes conduites par les chevaliers des municipes, quelques traits de cette grande figure semblent revivre dans celle d’un autre Claudius, agitateur médiocre, sans convictions et sans idées, mais resté fidèle, dans une carrière bien différente, à l’esprit de sa race. C’est avec les bandes recrutées sur le pavé de Rome que P. Claudius, l’élégant patricien, devenu tribun de la plèbe, fait voter la loi d’exil contre le plus illustre des hommes nouveaux, l’homme d’Arpinum[243], Cicéron.

La personnalité d’App. Claudius le décemvir a paru également faussée par les anciens. Son histoire, telle qu’ils la retracent, peut se résumer ainsi : il commence par courtiser la multitude pour en devenir ensuite le tyran, puis il succombe dans un soulèvement où les plus modérés des patriciens tendent la main aux plébéiens. M. Mommsen signale dans ce caractère des contradictions où il retrouve le mélange de deux traditions opposées, là plus ancienne qui voit en Appius ce qu’il était réellement ; un fauteur de la plèbe, l’autre qui veut à tout prix le ramener au type classique des Claudii. Si Appius Claudius périt de mort violente, ce fut de la main des patriciens[244]. Plus tard, ceux-ci ne furent pas fâchés de faire retomber sur la plèbe la responsabilité de ce meurtre, et, en même temps, de l’instruire, par cet exemple, à se défier de ses flatteurs et à reconnaître dans les nobles ses véritables amis.

Il faut convenir que l’histoire du deuxième décemvirat, avec les incidents dramatiques dont, elle est surchargée et qui dissimulent mal l’insuffisance des documents, fait la part belle au scepticisme. Pourtant on ne voit pas de raison pour contester le fond même du récit de Tite-Live, de Denys, de Diodore, et surtout pour le mutiler d’une manière aussi arbitraire. Car il importe de ne pas l’oublier, si, dans le personnage de Claudius le décemvir, on ne veut tenir pour authentique que le démocrate du début, c’est en vertu d’une opinion préconçue, laquelle se fonde principalement sur une interprétation erronée du rôle de Claudius le censeur. Cette opinion étant écartée, le portrait bien que dessiné avec trop peu de netteté, n’a rien de choquant. On dit qu’Appius admit des plébéiens au partage du décemvirat. M. Willems a montré que cela n’est pas[245]. Mais quand cela serait, il faudrait encore savoir de quels plébéiens il s’agit. Tite-Live nous apprend qu’il choisit pour collègues des hommes obscurs dont il pût faire ses instruments (III, 35). On reconnaît les procédés du censeur. On ajoute qu’il n’aurait pas été assez fou pour s’aliéner à la fois les patriciens et les plébéiens. Singulière théorie qui ne veut pas qu’un homme d’Etat puisse commettre une faute sans mentir à la vraisemblance. On insiste sur le fait même de la promulgation des Douze Tables. Etait-il donc l’ennemi des plébéiens, l’homme qui rédigea ce code si longtemps réclamé par leurs tribuns et si obstinément refusé par leurs oppresseurs ? Mais on oublie que les dix premières tables furent l’œuvre du premier décemvirat[246]. Les deux dernières, si l’on en croit Diodore (XII, 26), furent publiées après la chute d’Appius, par les consuls Valerius et Horatius. D’ailleurs la suppression du tribunat se prolongeant autant que le décemvirat était pour les patriciens un avantage tel qu’il ne paraissait peut-être pas acheté trop cher par la concession de l’égalité civile et la publication d’une loi écrite. Enfin, cette loi même, qui leur maintenait la propriété exclusive des magistratures, qui interdisait aussi formellement que jamais les mariages entre les deux ordres, leur réservait quelques compensations dans leur défaite. Qu’était-ce donc au juste qu’App. Claudius ? Un simple ambitieux ? Un oligarque, dont le joug a, été trouvé trop lourd, même par son propre parti ? Le problème est difficile ; mais, puisque rien ne l’empêche, pourquoi ne pas l’accepter dans les termes où les anciens l’ont posé f

Au reste, il n’est pas nécessaire d’asservir tous les Claudii à une même politique traditionnelle. Si, en l’an 585 u. c. = 169, le censeur C. Claudius Pulcher reprend contre sou collègue Ti. Sempronius Gracchus le patronage des affranchis[247], en revanche on trouve le consul de l’an 611 u. c. = 143, Appius, parmi les partisans de la loi agraire de Ti. Gracchus[248], laquelle n’était pas, comme on sait, très favorablement accueillie du prolétariat de Rome. Quand une famille a une histoire plusieurs fois séculaire, il serait étonnant de ne pas rencontrer ses membres dans les camps les plus divers. La vérité, qu’il était important de rétablir, c’est que la gens Claudia, au lieu de se distinguer par ses sympathies pour la plèbe, ainsi que le prétend M. Mommsen, s’est, au contraire, signalée plus d’une fois par l’ardeur de ses passions patriciennes. Car la plèbe, dont elle a si souvent recherché les suffrages, était une fausse plèbe qui n’avait de l’autre que le nom.

Il n’est fait mention que dans deux circonstances d’un antagonisme entre les familles anciennes et les nouvelles. C’est quand Tite-Live dit que les patres minorum gentium formaient dans le Sénat le parti de Tarquin l’Ancien[249], et quand il les représente concourant à l’usurpation de Tarquin le Superbe[250]. Mais il est à peine besoin de noter que ces détails, assez bien inventés du reste, sont purement imaginaires. Il n’est plus question de rien de semblable après la chute de la royauté. Ce n’est pas à dire que très probablement les deux fractions du patriciat n’aient pas été pendant un certain temps opposées l’une à l’autre ; mais leur opposition s’est effacée assez tôt pour que le souvenir même en ait péri. Ce prompt rapprochement fut facilité sans doute par l’épuisement progressif de la noblesse patricienne, par la désorganisation du Sénat primitif, et aussi par l’apparition d’un ennemi commun, la plèbe. Mais il y a une autre cause toute générale dont on constate les effets à chaque période du développement de Rome. L’histoire du peuple romain est celle d’une aristocratie qui n’a jamais cessé de s’ouvrir à des éléments étrangers, mais qui en même temps a su les intéresser à l’ordre de choses où ils entraient comme s’ils en avaient de tout temps fait partie. C’est ainsi que les chefs de la plèbe, devenus les égaux des patriciens, finirent par former avec eux une noblesse nouvelle, non moins dédaigneuse que l’ancienne. C’est ainsi que plus tard on vit tous les Italiens, admis enfin au droit de cité, en revendiquer le privilège avec un orgueil jaloux[251], non moins exclusifs dans leurs prétentions à l’égard des provinciaux que les Romains l’avaient été jadis à l’égard de leurs propres ancêtres. C’est cette puissance d’assimilation qui est déjà sensible dans l’absorption du deuxième patriciat par le premier. C’est elle qui caractérise la race et qui fera sa fortune, car elle la rendra capable de garder l’empire après l’avoir conquis.

 

 

 



[1] De Republ., II, 20.

[2] III, 71. Cf. Florus, I, 5.

[3] V. 1re partie, ch. III, § 4.

[4] Ibid.

[5] V. 1re partie, ch. III.

[6] V. 1re partie, ch. III, § 4.

[7] Suet., Aug., 2.

[8] Suet., Tib., 1. V. plus loin.

[9] Cheval. rom., II, p. 33-80.

[10] V. la tradition des familles albaines admises dans le patriciat et transportées à Rome. V. la tradition de l’immigration d’Attus Clausus, obtenant pour sa gens un tombeau au pied du Capitole. Sans doute les gentes immigrées pouvaient avoir encore des devoirs religieux à remplir au lieu de leur origine. On sait que les Julii pratiquaient un culte domestique à Bovillæ (v. plus loin). Mais c’est ainsi que Rome elle-même allait encore sacrifier sur le mont Albain. L’interdiction d’enterrer dans la ville, bien qu’on la trouve déjà dans la loi des Douze Tables (Cie., De leg., II, 23), n’a pas toujours existé. Il fut un temps ois les Romains enterraient leurs morts dans leur maison (V. Marquardt, Privatleben, I, p. 350, n. 5. Nissen, Das Templum, p. 147). Ce qui prouve que l’interdiction portée par les Douze Tables se heurtait à des usages invétérés, c’est qu’on fut obligé de la renouveler (Marquardt, l. c.). Dans les municipes, ces usages résistaient encore au temps des Antonins (Nissen, l. c.).

[11] Denys, IV, 14. Sur le sens de πόλις, urbs, v. Belot, Cheval. rom., II, p. 55. L’Aventin qui était en dehors du pomerium, était en dehors des quatre tribus. Le Capitole, où habitaient beaucoup de familles patriciennes, était en dehors des quatre tribus, mais non pas en dehors du pomerium, v. plus loin.

[12] V. pourtant Mommsen, Hist. rom., trad. Alex., I, p. 72-77 et p. 112-115. V. aussi Belot, o. c., I, introd., p. XX.

[13] T. L., I, 36. Denys, III, 37.

[14] T. L., I, 44. Denys, IV, 13. Strabon, V, III, 7.

[15] Pline, H. N., III, 5, édit. Detlefsen.

[16] T. L., I, 33. Denys, III, 43. Florus, 4. Strabon, l. c.

[17] Marquardt, Staatsverw., III, p. 421-426. Sur la demeure des Fabii, v. Belot, Cheval. rom., II, p. 56-58.

[18] Marquardt, ibid., p. 410-411, Preller, Röm. Mythol., p. 314.

[19] V. Preller, o. c., p. 327. Les Salii consacrés à Mars s’appelaient Palatini, et avaient leur curia sur le Palatin, v. Marquardt, l. c.

[20] Les Palatini étaient au nombre de douze (T. L., I, 20 ; Denys, II, 70). Les Collini également (T. L., I, 27. Denys, III, 32).

[21] Marquardt, Staatsverw., III, p. 423, n. 1.

[22] Ils attribuent l’institution des Salii Palatini à Numa (T. L., 1, 20. Denys II, 70. Cic. De Rep., II, 14. Plut. Numa, 13, etc.), et celle des Collini à Tullus Hostilius (T. L., I, 27. Denys, III, 32 etc.). V. Marquardt, ibid., p. 410-411. Est-il besoin d’insister sur l’inexactitude de ce dernier renseignement ? Il est clair que les Collini n’ont pu être institués avant l’annexion de la Collis.

[23] V. Festus, p. 135, V. Ambrosch, Studien und Andeutungen, p. 191, n. 160.

[24] V. Marquardt, ibid., III, p. 42 et 336-381. Il ne peut pas davantage être question des IIIviri puis VIIviri epulones, qui datent de 558 u. c. = 196 (T. L., XXXIII, 42). V. Marquardt, ibid., p. 333.

[25] T. L., I. 32, etc. V. Marquardt, ibid., p. 400, n. 4.

[26] Denys, II, 72. Plut. Numa., 12. Camill., 18.

[27] V. Marquardt, l. c., n. 2.

[28] Aul. Gell., VII, 7. Pline, H. N., XVIII, 2, édit. Detlefsen.

[29] Varro apud Nonium, p. 529, p. 618 de l’édit. Quicherat.

[30] Aul. Gell., l. c., Pline, l. c.

[31] Marquardt, Staatsverw., III, p. 427-428.

[32] Varr., L. L., V. 85.

[33] Becker, Alterth., I, p. 569-573.

[34] Ibid., p. 587-590.

[35] Ibid., p. 575-577.

[36] Ibid, p, 578-579.

[37] Ibid., p. 579-581.

[38] Ibid., p. 577-578. V. Schwegler, Röm. Gesch., I. p. 480-481, Marquardt, Staatsverw, III, p. 26-28.

[39] L. L., V, 74.

[40] L. c., Sabinam linguam olent.

[41] L. c., E quis nonnulla nomina in utraque lingua habent radices, ut arbores quæ in confinio natæ in utroque agro serpunt.

[42] Hist. rom., trad. Alex., I, p. 75, n. 1.

[43] L. L., V, 74.

[44] V. Fustel, Quid Vesta cultus in institutis veterum privatis publicisque valuerit. 1858. Cf. Cité antique, l. I, ch. III.

[45] T. L., I, 20 ; Denys, II, 65. Juvénal, IV, 61.

[46] Serv., En., II, 296. V. Ambrosch, Studien und Andeutungen, p. 142 ; Preller, Röm. Mythol., p. 536-539.

[47] V. Preller, o. c., p. 186. Ambrosch, o. c.. p. 144-145.

[48] Preller, o. c., p. 282. Ambrosch, o. c., p. 161. Cf. Varron lui-même, L. L., V. 68, qui dit de ce nom qu’il est latin.

[49] V. Preller, o. c., p. 149 et 277.

[50] III, 22. V. Ambrosch, o. c., p. 143.

[51] Macrob., Saturn., I, 15. V. Ambrosch, o. c., p. 146, n. 64.

[52] Serv. En., VII, 682.

[53] L. L., VI, 18. V. Preller, Röm. Mythol., p. 255-256, Ambrosch, Studien und Andeutungen, p. 146.

[54] Serv., En., I, 422.

[55] C. I. L., I, 807. V. Preller, o. c., p. 235-236.

[56] V. Preller, o. c., p. 295-296. Ambrosch, o. c., p. 150.

[57] V. Schwegler, Röm. Gesch., I, p. 212-214.

[58] Denys, I, 34.

[59] Denys, ibid. V. Schwegler, l. c. Preller, o. c., p. 409. Ambrosch, o. c., p. 148.

[60] V. Ambrosch, ibid.

[61] Epoux de la Déesse latine Maia. V. Preller, o. c., p. 527.

[62] Leur nom est étrusque. V. Preller, o. c., p. 487.

[63] L. L., V, 74. Preller montre qu’il est grec, o. c., p. 640.

[64] V. Schwegler, Röm. Gesch., I, p. 248-250.

[65] Denys, IV, 27. V. Becker, Alterth., I, p. 478, n. 998. Preller, o. c., p. 553.

[66] Varr., L. L., VI, 17. Plut., de fort. Roman., 5. T. L., X, 46. V. Becker et Preller, l. c.

[67] Plut., o. c., 10. Ce dernier est contesté par Becker, ibid., p. 404.

[68] T. L., VII, 3.

[69] Id., XXII, 1. Cf. Plut., Fab., 1.

[70] Tac., Ann., XV, 53. V. la note de Nipperdey.

[71] Serv., En., II, 325.

[72] Horace, Odes, I, 29. Tac., Ann., III, 71.

[73] V. Fernique, Etude sur Préneste, p. 74, etc.

[74] Cie., de divin., II, 41. II y avait un fanum Fortunæ en Ombrie. V. Front., de limitibus, Lachmann, Gromatici veteres, p. 30.

[75] V. Preller, o. c., p. 601.

[76] C. I. L., I, 49.

[77] Ibid., 179.

[78] Ann., XV, 74. Vetus ædes apud Circum. A V. Becker, Alterth., I, p.469. Est-il besoin de rappeler que le culte du Soleil est répandu dans toute l’antiquité ?

[79] Il avait été bâti en 514 u. c. = 240 ou 516 u. c. = 238 par les édites L. et M. Publicius, fondateurs des ludi florales. V. Marquardt, Staastverw., III, p. 481. Becker, ibid., p. 472.

[80] Becker, ibid., p. 652.

[81] V. Preller, o. c., p. 79, et Mommsen, C. I. L., I, 28.

[82] C. I. L., l. c.

[83] Ibid.

[84] O. c., p. 80.

[85] Preller, o. c., p. 634.

[86] V. Denys, II, 48 et 49. S. Augustin, Civ. Dei., XVIII, 19.

[87] V. Marquardt, Staatsverw., III, p. 32-34.

[88] V. Becker, Alterth., I, p. 487-489.

[89] L. L., V, 159. Vicus Cyprius a cypro, quod ibi Sabini cives additi consederunt, qui a bono omine id appellarunt, nam cyprum sabine bonum.

[90] V. Becker, ibid., p. 525-528. Cf. Smith, Dictionary of Greek and Roman Geography, II, p. 823-824.

[91] En., VIII, 361. Sur les Carènes, Becker, ibid., p. 522 etc.

[92] Cité par Servius, En., VII, 657. Cf. Festus, p. 360.

[93] Suet., Tib., 1. V. plus loin, § 5.

[94] Paul. Diac., p. 49, p. 62, 63. Serv., En., I, 292. Ovide, Fastes, II, 477, Plut., Rom., 29. Quæst. rom., 87. Macrobe, Saturn., I, 9, etc. V. Willems, Sénat, I, p. 132, n. 6.

[95] Sur le sens de Quirinus, v. Plut., Quæst. rom., l. c.

[96] La lance était un des emblèmes de Junon, v. Plut., l. c.

[97] P. 64. — C’est en se fondant sur ce fait que quelques historiens ont cru pouvoir rattacher à la même origine les mots quiris, quirites et curia. V. notamment Belot, Cheval. rom., I, p. 312 et note. Malheureusement, cette étymologie parait plus conforme à la logique qu’à la grammaire. V. sur ce point Jordan, Hermes, 1874, VIII, p. 221.

[98] Orelli, 1304. Henzen, 5659.

[99] Orelli, 1303. Nous n’osons citer l’inscription de Bénévent (I. R. N., 1381), dont l’authenticité parait plus que douteuse. V. Henzen, p. 135.

[100] En., I, 17. V. Jordan, l. c., p. 219-221, et Willems, Sénat, I, p. 132, n. 6.

[101] C. I. L., I, p. 322, XI.

[102] Ephem. epigr., vol. I, p. 39.

[103] Becker, Alterth., I, p. 171.

[104] Varr., L. L., V, 51 et 52.

[105] 52. Collis Quirinalis terticeps cis ædem Quirini. Parmi les colles dont l’ensemble constitue la Collis, le document pontifical cite aussi la colline Latiaris (ibid.), qui paraît singulièrement déplacée sur un territoire sabin.

[106] C. I. L., I, 41.

[107] Ibid., 630.

[108] Quirinus, Quirinal ; comme Vuleanus, Vuleanal (v. Becker, Alterth., I, p. 287) ; Lupercus, Lupercal (Ibid., p. 418).

[109] Cheval. rom., I, p. 27 et p. 312.

[110] V. Beloch, Der Italische Bund, p. 32.

[111] V. Schwegler, Röm. Gesch., p. 24t-243. Ihne, Forschungen auf dem Gebiste der Römischen Verfassungsgeschichte, p. 32.

[112] La prise de Capoue est de 330 u. c. = 424, T. L., IV, 37.

[113] Preller, Röm. Mythol., p. 186-192.

[114] Les Claudii et les Valerii (?). V. sur ces derniers Pauly, Encykl., VI, p. 2322. Quand Niebuhr prétend que les Fabii étaient Sabins parce qu’ils habitaient sur le Quirinal, il fait un cercle vicieux (Hist. rom., trad. Golbéry, II, p. 15, n. 24.) Les Fasti Hisp., donnent à K. Fabius cons. en 273 u. c. = 481 le cognomen Sabinus, mais est-ce une raison ? V. plus loin le paragraphe relatif aux cognomina patriciens formés avec des noms de lieux.

[115] Notamment par Ihne, o. c., et Zœller, Latium and Rom.

[116] Becker, Alterth., I, p. 577-578.

[117] Elle était voisine de la colline Latiaris, dont il a été question plus haut. V. Becker, ibid., p. 578.

[118] Le nom de Collis Agonus ou Agonius a, peut-être, en effet, ainsi que le pense Festus (p. 254. Cf. Paul Diac., p. 10, et Denys, II, 37), précédé celui de Quirinalis, mais ce n’est pas un nom de ville, et d’ailleurs, il n’est pas antérieur à la fondation du collège des Salii Collini, c’est-à-dire à l’annexion de la Colline par les Tarquins. Il provient de l’épithète Agonales, Agonenses, donnée quelquefois aux Salii Collini (Denys, II .70. Varr., L. L., VI, 14), et cette épithète rappelle elle-même la fête des Agonia célébrée par les Saliens (v. Marquardt, Staatsverw., III, p. 417, et p. 310, n.’5). Comme elle est attribuée aux Collini par opposition aux Palatini (v. Denys, II, 70), on est en droit de supposer que cette fête était célébrée exclusivement par les premiers. V. sur toute cette question Jordan, Topogr., I, 1, p. 180. Il reste un problème qui, à notre connaissance, n’a été abordé de personne et dont la solution nous échappe : c’est de savoir pourquoi les Colles sont opposés aux Montes, le sens des deux mots étant ou paraissant identique.

[119] Hist. rom., trad. Golbéry, I, p. 406.

[120] V. 1re partie, ch. II, § 3.

[121] Hist. rom., trad. Golbéry, I, p. 410.

[122] Fastes, I, 277, etc.

[123] Alterth., I, p. 118-119, et 254-260.

[124] Röm. Mythol., p. 153-156. Il n’est question nulle part de l’opposition signalée par M. Mommsen (Hist. rom., trad. Alex., p. 74), entre les Collini et les Montani, Ce sont les pagani que l’on oppose à ces derniers. On a vu (1re partie, ch. II, § 3), ce que cela signifie.

[125] Ibid., p. 73.

[126] V. Marquardt, Staatsverw., III, p. 424.

[127] T. L., V, 46, et 52. V. Belot, Cheval. rom., II, p. 56-58.

[128] V. Marquardt, Staatsverw., III, p. 410-421.

[129] Denys, II, 70.

[130] Varr., L. L., VI, 14.

[131] Ibid., V, 152.

[132] Ibid., 51. Festus, p. 376.

[133] T. L., II, 12 ; X, 37.

[134] V. Smith, Dictionary of Greek and Roman Geography. Index (Jupiter).

[135] T. L., II, 16. Cf. IV, 3 ; X, 8. Denys, V, 40. App., De reg., fr. 11, Didot. Plut., Public., 21. Suet., Tib., 1, etc.

[136] L. c.

[137] Röm. Forsch., I, p. 72.

[138] V. 1re partie, ch. V, § 7, et 2e partie, ch. II, § 5.

[139] Volesus Valerius, compagnon de T. Tatius, V. Pauly, Encykl., VI, p. 2322.

[140] L. c.

[141] Le Capitole était comme l’Aventin, pour des causes difficiles à pénétrer et que nous n’avons pas à rechercher ici, en dehors des quatre tribus urbaines (Varron, L. L., V, 46-55. V. Jordan, Topogr., I, I, p. 279-281). Mais ce n’est pas une raison pour le mettre en dehors du pomerium de la ville de Servius, ainsi que le fait M. Kiepert (Atlas antiquus). Le texte d’Aulu-Gelle (XIII, 14) n’exclut du pomerium que l’Aventin, et l’on sait les raisons de cette exclusion qui ne sont pas applicables au Capitole. L’Aventin était un quartier plébéien par où le patriciat urbain se mettait en communication avec la plèbe rustique du Latium. Le temple de Diana Aventinensis n’avait pas d’autre objet. Mais à quelle époque le Capitole est-il entré dans le pomerium Y Ce ne peut être qu’à la même époque où s’est opérée l’annexion de la Collis. En effet, depuis cette époque jusqu’à Sylla, le pomerium reste immobile (Aul. Gell., l. c.), et antérieurement, il a dû nécessairement s’arrêter aux limites de la ville du Septimontium oh le Capitole n’était pas compris.

[142] Orelli, 2253.

[143] V. Mommsen, Röm. Forsch., I, p. 17.

[144] III, 29. V. Marquardt, Staatsverw., III, p. 422. Mommsen, Hist. rom., trad. Alex., I, p. 73, n. 2.

[145] T. L., et Denys, l. c.

[146] Le patriciat des Metilii est très contestable.

[147] Tacite (Ann., XI, 24) dit que les Julii étaient originaires d’Albe, ou plutôt il le fait dire à Claude.

[148] Vediovei patrei genteiles Juliei... [A]ara leege Albana dicata. C. I. L., I, 807.

[149] C. I. L., I, l. c., commentaires. Sous l’Empire, d’autres monuments rappelèrent le souvenir de la gens Julia dans la même localité. V. Tac., Ann., II, 41 ; XV, 23.

[150] La tradition n’est même pas toujours d’accord avec elle-même. Elle fait figurer un Proculus Julius dans la légende de Romulus (T. L., I, 16. Denys, II, 63. Plut., Rom., 28, etc.).

[151] T. L., II, 7, 16. Denys, V, 19, 48. Plut., Public., 10, 2.3, etc.

[152] Plut., Public., l. c. Quæst. rom., 79. Cie., De Leg., II, 23.

[153] Disons néanmoins que les doutes émis par M. Mommsen (Röm. Forsch., I, p. 57-58, 65-68) sur l’authenticité des cognomina patriciens relatés dans la partie la plus ancienne des Fastes ne nous paraissent pas justifiés dans leur généralité. Sur l’argument tiré de l’absence du cognomen pour les Duilii du cinquième siècle, v. Willems, Sénat, I, p. 56. Il démontre que ces Duilii sont des plébéiens. Sur le cognomen Augurinus des gentes Minucia et Genucia.

[154] Pourtant le cognomen Capitolinus, d’abord exclusif aux Capitolini Barbati, est porté ensuite par les Cincinnati.

[155] Topogr., I, I, p. 192.

[156] Cos., en 302 u. c. = 452.

[157] Cos., en 300 u. c. = 454.

[158] Jordan, Topogr., I, I, p. 210, n. 17.

[159] Röm. Forsch, I, p. 112.

[160] Sur l’identité possible de ces deux noms Tarquinius et Tarpeius, V. Zœller, Latium und Rom, p. 178, n. 2.

[161] Histoire romaine à Rome, I, p. 403. Suivi par M. Belot, Cheval. rom., II, p. 58. M. Ampère, ne citant pas les textes, nous avons dû refaire son raisonnement.

[162] In Romam instauratam, l. I, LXXXXVII, LXXXXVIII. V. Jordan, Topogr., II, p. 526, 527.

[163] V. les doutes émis par M. Jordan, l. c.

[164] V. Jordan, Topogr., I, I, p. 518, 519, et notes.

[165] Mugilla, dans le Latium. V. Ernest Desjardins, Essai sur la topographie du Latium, p. 217.

[166] Régille ou Inrelligum dans la Sabine. T. L., II, 16. Suet., Tib., 1. Denys, V, 40, etc.

[167] Tubertus est sans doute équivalent à Tiburtinus.

[168] Medullia dans le Latium. Desjardins, o. c., p. 15.

[169] Cameria dans le Latium. Ibid., p. 14.

[170] Corioli dans le pays des Volsques. Ibid., p. 35, 36.

[171] Collatia dans le Latium. Ibid., p. 24.

[172] Amitinum dans le Latium. Pline, H. N., III, 5, édit. Detlefsen.

[173] Fidenæ dans le Latium. Desjardins, o. c., p. 11.

[174] Ce cognomen et les trois suivants doivent répondre à des noms de lieux. La forme de la désinence permet de le supposer. Mais ces lieux ne sont pas connus. V. Mommsen, Röm. Forsch., II, p. 290, etc. Dans ces pages, M. Mommsen étudie les surnoms patriciens tirés de noms de lieux, mais à un point de vue différent du nôtre.

[175] Carventum, une des trente villes de la confédération latine. Denys, V, 61.

[176] T. L., II, 33. Denys, VI, 92, etc. Les autres textes dans Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 350.

[177] T. L., IV, 17.

[178] Ibid., IV, 21.

[179] Ibid., II, 21. Denys, VI, 10-12. On peut ajouter un autre Postumius cos. en 249 u. c. = 505, qui remporta une victoire sur les Sabins (T. L., II, 16. Denys, V, 37-39. Plut., Public., 20. Zonaras, VII, 13), et que Denys, Plutarque et le Chron. de 354 appellent Tubertus. Tibur était aux portes de la Sabine.

[180] V. Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 200.

[181] XXX, 45 : Primus cette hic imperator nomine victæ a se gentis est nobilitatus. Cf. Silius Italicus, Punica, XVII, 627.

[182] De brev. vit., 13 : Valerius Corvinus primus Messsanam vicit et primus ex familia Valeriorum, urbis captas in se translato nomine, Messana appellatus est. Cf. Macrobe, Saturn., I, 6.

[183] C. I. L., I, p. 455. Peut-être, dès 416 u. c. = 338, C. Mænius avait-il pris le cognomen Antiaticus pour avoir triomphé des Antiates, car ce cognomen est porté par un de ses descendants. Il se peut pourtant que celui-ci l’ait imaginé uniquement en souvenir de l’exploit de son ancêtre.

[184] V., sur cette question, Mommsen, Röm. Forsch., II, p. 295, n. 118.

[185] V. la critique de Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 363, etc.

[186] V. Schwegler, ibid., p. 365, n. 1.

[187] Nous ne croyons pas nécessaire de discuter l’hypothèse de Niebuhr qui voit dans ces surnoms l’expression des rapports de patronage ou de proxénie des familles patriciennes avec les villes sujettes ou indépendantes (Hist. rom., trad. Golbéry, III, p. 234, n. 553). M. Mommsen se demande avec raison comment le patron de Cales aurait pu s’appeler Calenus, c’est-à-dire habitant de Cales (Röm. Forsch., II, p. 293, n. 112).

[188] V. Fustel, Cité antique, l. V, c. II. § 1. Willems, Sénat, I, p. 11-14.

[189] Varr., L. L., V, 55. Festus, p. 270. Paul Diac., 271. Denys, II, 55. Plut., Rom., 25.

[190] Le territoire de la tribu Romilia s’étant appelé primitivement les sept pagi (v. note précédente), on peut supposer l’existence d’un pagus Romilius.

[191] C. I. L., I, 63, 64, 67, 69-72. Ces Furii étaient peut-être d’anciens clients de la gens Furia ou une fraction die cette gens qui, n’ayant pas immigré à Rome, n’était pas entrée dans le patriciat romain. La position de Medullia est douteuse, mais cette ville devait être au Nord de l’Anio. V. Desjardins, o. c., p. 15.

[192] Sur l’origine étrusque des Lartii, v. Pauly, Encykl., IV, p. 788. Le nom des Volumii Amintini se retrouve aussi dans le Nord de l’Etrurie à Pérouse. V. Bull. dell’ Inst., 1841, p. 13. C’est de là peut-être que leur est venu plus tard le surnom de Galli.

[193] Sénat, I, p. 13. Il attribue une origine analogue au cognomen Macerinus porté par les Geganii. Cette hypothèse parait encore plus risquée que la précédente.

[194] Fidènes est d’un tout autre côté qu’Albe, au Nord de Rome, sur le Tibre. V. Desjardins, o. c., p. 11.

[195] Il est vrai que les seconds sont détachés des premiers.

[196] Nous ne citons pas les Hermenii, dont le premier en date s’appelle Aquilinus et le second Coritinesanus, parce que nous n’avons peut-être, sur les cognomina de ces deux personnages, que des renseignements incomplets.

[197] Cie., Ad famil., IX, 21. Réponse à Papirius Pœtus. Ce Papirius Pœtus, qui parait avoir été un homme d’esprit se moquant assez volontiers des autres et de lui-même (Cf. Ad fam., IX, 15), prétendait qu’il n’y avait jamais eu de Papirii patriciens. Cicéron relève assez vivement ce paradoxe oui il n’y a peut-être qu’une satire à l’adresse de ces plébéiens vaniteux qui voulaient à tout prix se trouver des ancêtres patriciens. A l’époque de Cicéron, tous les Papirii étaient plébéiens, mais il y avait eu des Papirii patriciens. L’examen des Fastes ne permet pas d’en douter.

[198] T. L., II, 16. Denys, V, 40. Plut., Public., 21. Suet., Tib., 1, etc.

[199] App., B. c., I, 7.

[200] Ibid.

[201] V. Fustel, Cité antique, l. III, c. VII, § 3.

[202] VII, 64. Sur ce texte de Denys, v. Mommsen, Röm. Trib., p. 9, et Röm. Forsch., II, p. 138, 140. Belot, Cheval. rom., I, p. 422, 424. Bloch, Quelques mots sur la légende de Coriolan, dans les Mélanges de l’École française de Rome. 1881. Rubitschek, De Romanarum tribuum origine ac propagation. Abhandlungen des archäologisch-epigraphischen Seminares der Universität Wien. 1882.

[203] Denys, IV, 15. V. Belot, Cheval. rom., I, p. 394-404.

[204] V. Mommsen, Röm. Trib., p. 6-7. Lange, Alterth., I, § 63.

[205] Un pagus Claudius parce que, à l’époque où les historiens placent l’immigration d’Attus Clausus, il n’y avait pas encore de tribus rustiques. Ce qu’ils appellent la velus Claudia tribus n’était donc autre que le pagus Claudius.

[206] Paul Diac., p. 115.

[207] Orelli, 3796. V. les pagi urbains Sucusanus, Aventinensis, etc., énumérés au ch. II, § 2 de la première partie.

[208] Festus, p. 270, et Paul Diac., p. 271, disent qu’elle était formée du territoire que Romulus avait conquis sur les Véiens, et Denys (II, 55 ; V, 36), ainsi que Plutarque, Rom., 25, dit que ce territoire était appelé les sept pagi.

[209] Sur l’importance respective des gentes patriciennes dans le premier siècle de la république, v. Willems, Sénat, I, p. 69-82.

[210] C’est une hypothèse de M. Belot, Cheval. rom., II, p. 52-54.

[211] T. L., II, 16, etc. V. p. 229, n. 1. Beloch (Der Italische Bund, p. 29), met pour Picetia Ficulea.

[212] Paul Diac., p. 115.

[213] Festus, p. 233, et supplém., p. 394. V. Desjardins, Essai sur la topographie du Latium, p. 169.

[214] Festus, ibid. ; Desjard., ibid.

[215] V. Becker, Alterth., II, 1, p. 165, n. 55. Mommsen, Röm. Trib., p. 100, n. 78.

[216] De Rep., II, 20.

[217] V. ch. II, § 5.

[218] T. L., IV, 7, 8. Cie., Ad famil., IX, 21. Denys, XI, 63. Zonar., VII, 19.

[219] IV, 43. V. Mommsen, Chronol., p. 93. Staatsr., II, p. 323, n. 4.

[220] Fasti censorii, p. 36, etc. Cf. Schwegler, Röm. Gesch., III, p. 117, etc.

[221] In Cornelianam, Orelli, p. 77.

[222] Dig., I, de origine juris, 2.

[223] Ibid., 36.

[224] Röm. Forsch., I, p. 116.

[225] Bouché-Leclercq, Les pontifes de l’ancienne Rome, p. 191-154.

[226] V. Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 494-529.

[227] T. L., II, 32.

[228] Le personnage de Valerius Publicola est connu. Sur son frère, Marius, v. Denys, V, 50 ; VI, 39, 83. T. L., II, 30. Sur le fils de Publicola, Publius, v. Denys, IV, 49, etc., etc.

[229] Denys, VIII, 90.

[230] T. L., II, 56, 57, 60. Denys, IX, 43.

[231] Mommsen, Die patricitehen Claudier. Röm. Fortch., I, p. 287-318.

[232] Les neuf premiers livres de Tite-Live ont été écrits entre 727 u. c. = 27, et 734 u. c. = 20 (V. Teuffel, Litt. Lat.), bien avant la disgrâce de Tibère.

[233] V. Belot, Cheval. rom., II, ch. 2 : La noblesse urbaine du patriciat.

[234] T. L., II, 56.

[235] Plin., H. N., XXX V, 3, édit. Detlefsen.

[236] V. Lange, Alterth., II, § 97.

[237] T. L., X, 7.

[238] Id., X, 15. M. Mommsen conteste sans aucune raison ces deux faits, dont le dernier est rapporté aussi, avec des détails différents, il est vrai, par Cicéron, Brutus, 14.

[239] Diod., XX, 36. T. L., IX, 46. Suet., Claud., 24. V. Willems, Sénat, I, p. 184.

[240] Diod. et T. L., l. c.

[241] De 442 u. c. = 312 (date de la censure de Claudius) à 538 u. c. = 216, le nombre des sénateurs curules plébéiens dépasse légèrement celui des patriciens. V. Willems, Sénat, I, p. 267-282.

[242] V. Sall., Catilin., 37. Denys, V, 77. V. Willems, Sénat, I, p. 407.

[243] Cie., Ad Attic., I, 16.

[244] V. Ihne, Röm. Gesch., I, p. 166. Cet historien pousse jusqu’à ses dernières conséquences la critique de M. Mommsen.

[245] Sénat, I, p. 51-58.

[246] T. L., III, 34. Denys, X, 57. Zonar., VII, 18.

[247] T. L., XLV, 15.

[248] App., B. c., I, 13. Plut., Tib. Grach., 9.

[249] I, 35.

[250] 47.

[251] V. Tac., Ann., XI, 23.