LA RÉPUBLIQUE ROMAINE - LES CONFLITS POLITIQUES ET SOCIAUX

 

LIVRE I — LE PATRICIAT ET LA PLÈBE

CHAPITRE I — Le patriciat.

 

 

§ 1. - La famille romaine.

La constitution sociale et politique de la Rome primitive se dérobe à l’observation directe. Pour essayer de s’en faire une idée il faut prendre une voie détournée, aller de ce qui est connu à ce qui l’est moins, remonter d’un passé plus récent à un passé plus lointain. Le point de départ de cette recherche devra être la notion de la famille, telle qu’elle se présente à nous trois siècles plus tard environ, à l’aurore des temps historiques, dans la législation des Douze Tables.

La famille a pour objet essentiel la perpétuité du culte héréditaire. Dans la pensée des anciens l’homme, seul apte à transmettre la vie, est aussi seul apte à transmettre le culte. La famille se compose donc exclusivement des personnes avant reçu du même ancêtre, de mâle en mule, le même sang et le même culte. Ce sont les agnats.

La famille est gouvernée par le père, le pater familias, maître absolu des gens et des biens, car tel est le sens très large du mot familia qui ne comprend pas seulement les êtres humains, mais encore les choses. Seul il est en possession d’une personnalité juridique indépendante : seul il est sui juris. Sa femme, ses enfants, ses petits-enfants, toute sa lignée directe, sont placés, tant qu’il vit, bous son autorité, la femme dans sa main, in manu, les enfants dans sa puissance, in potestate, deux termes qui d’ailleurs ne représentent pas une condition différente. Ils n’ont rien qui leur appartienne en propre. Le père peut déléguer à un fils la gestion et la jouissance d’une partie de son bien : il peut lui attribuer un pécule, mais c’est à titre de concession bénévole et toujours révocable. Il est le propriétaire unique, comme il est le prêtre et le juge.

Sa puissance n’est dissoute qu’à sa mort. A ce moment la famille se fractionne en autant de familles nouvelles qu’il y a eu de personnalités juridiques soumises à cette puissance. Chaque fils, chaque petit-fils, si toutefois le petit-fils n’a pas un père encore vivant sous la puissance duquel il tombe nécessairement, devient à son tour un pater familias, et cela quand même il serait encore mineur, ou non marié, ou sans enfants, car le mot pater exprime l’idée de puissance, non de paternité, et au cas où il serait incapable d’exercer ses droits, parce que trop jeune ou infirme d’esprit, il est pourvu de tuteurs ou de curateurs qui les exercent à sa place et en son nom. L’héritage, conformément aux règles de la succession ab intestat, la seule en vigueur, sauf en certaines circonstances exceptionnelles, est partagé également entre tous ceux qui ont été sous la puissance ou sous la main du défunt. La loi les appelle héritiers siens, expression remarquable que les jurisconsultes expliquent de la manière suivante. Les héritiers siens, nous disent-ils, sont ainsi appelés parce qu’ils héritent en quelque sorte d’eux-mêmes, parce que, du vivant du pater familias, ils sont virtuellement copropriétaires, et qu’en réalité il y a non mutation, mais continuité de propriété. Ainsi le père ne dispose pas arbitrairement du patrimoine : il n’en est que l’usufruitier ; il en a reçu le dépôt des générations qui l’ont précédé, et il en doit compte moralement à celles qui le suivront. A défaut d’héritiers siens ce sont les agnats qui recueillent la succession. On distingue en effet entre les héritiers siens qui sont les agnats les plus proches, les descendants directs, et les collatéraux auxquels cette dénomination d’agnats a été plus spécialement réservée, encore qu’elle soit commune aux deux catégories, les agnats constituant le genre dont les héritiers siens sont l’espèce.

Puisque l’on tenait pour souhaitable le maintien du patrimoine, dans son intégrité, entre les mains des agnats, il fallait veiller à ce qu’il ne fût point entamé par le fait des femmes. Les filles, ainsi que la veuve qui leur était assimilée, comptaient parmi les héritiers siens, et il était à craindre que leur part ne fût détournée par le mariage au profit d’une famille étrangère. La femme en effet, mariée sous le régime de la manus, apportait son bien à son mari en toute propriété ; elle rompait tout lien de droit avec sa famille naturelle en entrant dans sa famille légale, de telle sorte que la première n’avait rien à prétendre sur la seconde ni la seconde sur la première. Le danger n’existait pas en ce qui concernait la fille déjà mariée et dont la dot évidemment avait été calculée de manière à ne pas compromettre le fonds ; elle était une donation dont le père fixait le montant et qui très vraisemblablement ne consista d’abord qu’en objets mobiliers. Il en était autrement des filles non mariées encore et qui recueillaient leur part d’héritage sur le même pied que les héritiers mâles. A plus forte raison, s’il n’y avait qu’une fille héritière du tout. Les Grecs, chez qui la famille était fondée sur les mêmes principes qu’à Rome, et pour qui en conséquence la question se posait dans les mêmes termes, l’avaient résolue très simplement en excluant les femmes de la succession, sous cette réserve que les fils étaient obligés de pourvoir à l’entretien de leur mère et de leurs sœurs et de constituer une dot à celles-ci. Quant à la fille enfant unique, elle était considérée comme faisant partie de l’héritage, comme lui étant surajoutée, en ce sens que l’héritier désigné par la loi, celui que les Romains appelaient le plus proche agnat, était tenu de l’épouser, et cela quand même cette obligation devait entraîner pour lui le divorce, s’il était marié, et quel que fût son âge. Par cette combinaison on assurait la subsistance de la femme en même temps que le maintien du bien familial dans la lignée masculine.

A Rome, on arrivait aux mêmes fins par d’autres moyens. Le cas de la fille héritière unique devait se présenter rarement. Le père qui n’avait point de fils pouvait en adopter un qui recevait de ce fait tous les droits conférés, par le sang, et cette coutume de l’adoption, qui a toujours tenu une grande place dans la vie des Romains, devait en tenir une plus grande encore dans le temps où les règles présidant à la constitution de la famille en avaient fait une nécessité.

L’adoption[1] n’était pas toujours possible. Le père pouvait mourir sans avoir pris cette précaution, d’autant plus qu’il n’y était autorisé qu’à un âge assez avancé, et alors qu’il était supposé ne pouvoir plus avoir d’enfants. Il pouvait arriver aussi qu’il ne trouvât personne à adopter. Tout le monde n’était pas disposé à renoncer à sa famille naturelle, à son nom, à son culte, à ses biens, à son indépendance, car l’adopté devait être en possession de sa personnalité juridique ; il devait être sui juris, et par l’adoption il tombait sous la puissance paternelle de l’adoptant. Enfin l’acte lui-même était contrôlé par les pouvoirs publics, veillant à ce que l’adopté ne compromit point par sa désertion l’avenir de sa famille naturelle.

Il y avait la ressource du testament. Le testament n’apparaît qu’assez tard dans le monde grec, mais rien ne prouve qu’il n’ait pas existé à Rome dès une très haute antiquité, et même de tout temps. C’est qu’en Grèce il a été une institution révolutionnaire, tandis qu’à Rome il a eu un caractère essentiellement conservateur. Dans un système où tout était combiné pour empêcher en quelque sorte mécaniquement la dispersion du patrimoine, le testament ne pouvait s’introduire que comme un élément perturbateur, de manière à permettre les infractions qui étaient comme le premier coup de hache porté à l’édifice. Là où tout au contraire subsistaient certaines fissures, certaines lacunes, il avait pour objet de suppléer aux dispositions légales reconnues insuffisantes par le jeu des volontés individuelles. On conçoit très bien le père choisissant un héritier mâle parmi les agnats à défaut d’un fils selon la nature ou la loi. On le conçoit aussi réduisant testamentairement en faveur du fils ou des fils la part des filles, si celles-ci étaient trop nombreuses. Les Romains, nous dit-on, considéraient comme une honte de mourir intestat, ce qui veut dire, dans les -temps les plus anciens tout au moins, qu’on était blâmable de ne pars intervenir testamentairement quand, paille fonctionnement de la succession ah intestat, les principes fondamentaux du droit familial se trouvaient menacés. Le testament était fait, pour préserver ces principes, non pour les ébranler, et c’est pourquoi, comme l’adoption, il n’était valable qu’après l’approbation du peuple et des plus hautes autorités de l’Etat.

Enfin, à côté du testament, il y avait la tutelle. La femme qui, par la mort du mari ou du père, était entrée en possession de sa personnalité juridique, ne l’exerçait pas pour cela librement. Elle était traitée comme une mineure, non, comme on l’a cru plus tard, parce qu’on l’estimait incapable, mais dans l’intérêt même des tuteurs qui n’étaient autres que les mêmes personnes appelées à lui succéder si elle venait à décéder, à savoir les agnats, suivant leur degré de parenté et, s’ils étaient plusieurs du même degré, à ceux-là ensemble, Intéressés les premiers. à la conservation des biens qui devaient leur revenir un jour, à plus forte raison ne pouvaient-ils pas ne pas répugner à tout mariage qui eût eu pour résultat de les leur soustraire définitivement, et comme la femme lie pouvait se marier sans leur consentement, il est à croire qu’ils ne l’accordaient qu’à bon- escient, après avoir pris leurs garanties, soit en l’obligeant à contracter mariage au sein de la collectivité des agnats, soit en lui imposant certaines renonciations qui, sous la forme d’une donation, avec l’autorisation des tuteurs eux-mêmes, étaient légalement possibles.

Les mêmes raisons qui s’opposaient au transfert du patrimoine par le mariage devaient en interdire la vente. Nous trouvons cette interdiction nettement formulée dans les plus vieilles législations de la Grèce. Il n’en est pas ainsi à Rome où le code des Douze Tables représente un stade plus avancé. Le seul terrain dont la, vente restait interdite, parce qu’elle eût été impie, c’était le tombeau. II faut mentionner toutefois la distinction classique entre les res, les choses dites mancipi, et les choses nec mancipi. On sait que la première catégorie, comprenant les biens-fonds avec l’instrument nécessaire à l’exploitation, bêtes et esclaves, était celle qui tombait sous le mode d’aliénation appelé mancipatio et désigné de ce nom parce que I’acquéreur devait prendre en main l’objet lui-même s’il était mobilier ou, s’il s’agissait d’un domaine, d’un champ, une motte de terre qui en était détachée et était censée le représenter. Mais la saisie matérielle, effective ou symbolique ; n’était qu’une des formalités dont l’ensemble constituait l’opération. Elle ne requérait pas moins de six acteurs, en outre des deux intéressés, cinq citoyens servant de témoins et un libripens, un porte-balance, chargé de vérifier le poids du lingot stipulé comme prix, dans le temps où l’on ne connaissait pas la monnaie. Ce luxe de garanties, ce cérémonial compliqué en usage encore sous l’Empire, sans en excepter le rite archaïque de la pesée, tout cela attestait aux yeux des générations successives la sollicitude de l’ancien droit pour la conservation de la propriété foncière, et si ce n’est pas là la preuve demandée, nous n’en tenons pas moins un indice. Au surplus, nous verrons plus loin que la terre du débiteur insolvable était intangible, et c’est encore une présomption que longtemps la terre ne fut pas susceptible d’être vendue.

L’interdiction de la vente du patrimoine nous ramène en arrière de plusieurs siècles. Le régime de la famille, tel qu’il est constitué vers le milieu du ve siècle avant notre ère, est en effet relativement moderne. Il a ses racines dans un régime plus ancien qui est celui de la gens.

 

§ 2. - La Gens.

Ce qu’était la gens dans ces âges reculés, nous ne pouvons que l’entrevoir en la considérant dans sa décadence, dans les traits plus ou moins effacés qui rappellent encore à cette époque son organisation première. En opérant sur ces données, nous sommes conduits à reconnaître dans la gens la famille, non pas la famille se démembrant incessamment à la mort de son chef, mais la famille maintenant ion unité de génération en génération. Et nous n’avons pas à rechercher si elle était ou non une famille réelle, c’est-à-dire unie par le lien du sang. C’est un fait connu que, dans les plus vieilles civilisations, les liens sociaux sont toujours censés être des liens de parenté, de consanguinité. Quand donc on veut se constituer en groupe, on commence par se créer un ancêtre commun dont on est supposé descendre. Il est très probable que la gens romaine, dont l’origine se perdait dans la nuit des temps légendaires et dérivait d’un personnage fabuleux, mythique, était une de ces familles conventionnelles ; mais peu nous importe : il suffit que la fiction soit devenue réalité dans la pensée des hommes qui l’avaient conçue.

Que la gens soit la famille, cela est démontré parle mot lui-même dont l’étymologie n’est pas douteuse, et attesté par l’opinion unanime des Anciens. Mais il y a une autre preuve que l’on peut tirer du droit.

Les jurisconsultes nous parlent fort peu de la gens pour cette raison que la partie du droit qui la concernait n’avait plus d’intérêt actuel. Néanmoins ils nous donnent un renseignement précieux. Ils nous apprennent qu’à défaut des héritiers siens et des agnats, ce sont les membres de la gens qui héritent. De même, et en conséquence, c’est à eux, aux gentiles que, dans le même cas, la tutelle est déférée. Or, nous savons que la règle, en matière de succession et de tutelle, c’est qu’elles reviennent l’une et l’autre aux parents suivant leur degré de parenté, aux héritiers siens qui sont les agnats les plus proches, puis aux collatéraux qui sont des agnats du second degré. Les gentiles ne peuvent donc être que des agnats plus éloignés encore ; la famille avec eux nous apparaît dans toute son extension, au complet. Mais en quoi cette troisième catégorie se distinguait-elle des deux précédentes ? Les Romains reconnaissaient les membres d’une même gens à la communauté du nom qu’ils appelaient le gentilice. S’ils se contentaient de ce critérium tout extérieur, c’est qu’il était très souvent le seul, en l’absence d’une filiation constatée. En effet, du jour où le démembrement de la gens avait commencé, les divers groupes qui la composaient perdaient peu à peu la notion exacte de leur rapport au tronc commun. Ils formaient toujours la masse des agnats si l’on entend par là, au sens large, les parents par les mâles. Mais ces agnats ne l’étaient plus au sens étroit du mot. Agnat vient de ad nasci, naître auprès, dans un même groupe ou dans un groupe voisin. Tel n’était pas le cas des gentiles que leur naissance plaçait si loin les uns des autres qu’ils n’avaient plus, pour se reconnaître, d’autre signe de ralliement que le nom.

La gens formait un tout indivisible. C’est un fait qui ressort des considérations suivantes.

La gens, à l’époque où elle est divisée en familles distinctes, indépendantes, forme encore une collectivité unie par les liens d’une étroite solidarité. Cette solidarité est attestée par la communauté du culte qui est le ciment de toute association dans l’antiquité. Tite-Live nous raconte l’entreprise de Fabius Dorso qui traversa les lignes gauloises pour accomplir le sacrifice de sa gens sur le Quirinal. Cicéron reproche à Claudius d’avoir compromis la perpétuité du culte de sa gens en passant à la plèbe. La solidarité de la gens se traduit encore par des réunions où l’on prend des résolutions qui l’engagent tout entière. Les Fabii se présentent devant le Sénat pour prendre à leur compte la guerre contre Véies. Après l’attentat de M. Manlius Capitolinus, les membres de la gens Manlia décident qu’aucun d’entre eux ne portera dorénavant le prénom de Marcus. Et enfin cette solidarité comporte des obligations réciproques. Lorsque M. Furius Camillus est condamné à une amende, les Furii se cotisent pour l’aider à la payer.

La gens eut longtemps un tombeau commun. Nous savons que celui de la gens Valeria était situé au pied de la Velia, celui de la gens Claudia au pied du Capitole. Mais elle avait en outre des propriétés, ou terres d’exploitation.

Le souvenir de cet état de choses est inscrit en caractères lisibles sur le sol même de la ville de Rome et de ses environs. Il y avait différents quartiers de la ville qui portaient des noms de gentes, le Cælius, l’Oppius, le Cispius, le mont Tarpeius, la colline Mucialis ; les prata (prés) Mucia, Quinctia, Flaminia. Tous ces noms représentent une propriété non pas individuelle, mais collective, gentilice. Les tribus qui se constituèrent dans le voisinage portaient aussi des noms de gentes, tribus Claudia, Papiria, Cornelia, Lemonia, etc. La tribu empruntait son nom à un de ses cantons, à un pagus, celui où avait dominé une gens plus puissante sans doute et plus riche que les autres. Avant que la tribu Lemonia ne se fût constituée, il y avait eu un pagus Lemonius. Les historiens qui nous racontent l’immigration de la gens Claudia nous disent qu’on lui attribua un territoire qui devint le noyau de la tribu plus tard désignée de son nom.

Il va de soi que les terres attribuées à la gens Claudia ne pouvaient pas être affectées uniquement à l’élève des troupeaux. Nous lisons d’autre part dans Tite-Live que le domaine des Tarquins, confisqué après leur chute, était alors couvert d’un blé mûr pour la récolte, et ce détail, bien qu’inauthentique, nous renseigne du moins sur l’idée qu’on se faisait d’un domaine gentilice. On ne dira donc pas que le bien de la communauté ne consistant qu’en pâturages, chaque famille devait avoir en terres de culture ce qui lui était nécessaire pour subsister. Il semble au contraire que la propriété individuelle, quand elle naquit, se réduisait à fort peu de chose, s’il est vrai, comme le rapporte une certaine tradition, que chaque citoyen ne possédait d’abord en propre qu’un lot héréditaire, un heredium de deux jugères, deux arpents ou un demi-hectare ; notoirement insuffisant pour l’entretien d’une famille, même très peu nombreuse. Aussi a-t-on pensé qu’il ne s’agissait que d’un enclos comprenant une habitation et un jardin, et ce qui tend à justifier cette interprétation, c’est qu’en effet le mot heredium a ce sens dans le vieux latin.

Ce qui prouve plus sûrement encore le caractère collectif de la propriété gentilice, c’est l’institution de la clientèle. La notion de la clientèle est inséparable de la notion de la gens, et c’est par la première de ces deux notions que nous entrons plus avant dans la seconde.

Chaque gens a sous sa dépendance un certain nombre d’hommes que l’on appelle des clients, d’un vieux mot qui signifie obéir. Il est plus facile de définir la nature de la clientèle que d’en déterminer l’origine. On a supposé qu’elle s’était recrutée tout d’abord parmi les populations autochtones, subjuguées lors de l’invasion des Italiotes. Cela est possible, mais sans essayer de remonter jusqu’à un point de départ aussi lointain, on comprend que, dans une société où le pouvoir central était encore très faible, l’individu isolé n’ait pu faire autrement que de se rattacher à ces corporations puissantes où il était sûr de trouver appui et protection, en échange de la sujétion acceptée. Elles étaient le seul groupe organisé, en dehors duquel il se sentait comme perdu dans un monde indifférent ou hostile. Une autre source de la clientèle, c’était l’affranchissement des esclaves. Les esclaves étaient peu nombreux alors, et pourtant il semble que la condition du client ait été comme un prototype pour celle de l’affranchi, telle que nous la voyons réglée par la suite. Entre les deux les analogies sont frappantes, sauf une différence capitale qui tient à la diversité des milieux. La tare de l’affranchi s’efface à la troisième vénération. La condition du client est héréditaire indéfiniment. C’est que la société où l’affranchi se meut connaît une loi laïque. Celle où est née la clientèle ne connaît encore que la loi religieuse. Tout lien de droit y procède de la communauté du culte, et la communauté du culte ne peut jamais être rompue. Or, le client participe au culte de la gens. Cela ne veut pas dire qu’il fasse partie de la gens. Il participe au culte à titre passif ; il y assiste, mais ne le pratique point et n’est pas apte à le continuer. Il n’en reste pas moins que le lien ainsi contracté est sacré, avec les obligations qu’il comporte réciproquement.

Quand on veut se rendre compte de la situation des clients, on s’aperçoit qu’ils appartiennent à la fois à un homme qui est le patron, et à une collectivité qui est la gens.

Les textes qui décrivent les obligations réciproques du client et du patron ne parlent jamais de ce dernier qu’au singulier. Le patron et le client se doivent assistance l’un à l’autre. Le client accompagne son patron à la guerre. Il contribue à la dotation de ses filles, à sa rançon s’il est fait prisonnier, il l’aide à payer ses amendes, etc. Les obligations de cette dernière sorte supposent qu’il possède un certain avoir. Il tient, en effet, de son patron un lot de terre, à charge, on peut du moins le conjecturer, de payer une redevance. Les historiens qui mentionnent ce fait partent de là pour assimiler les rapports du patron et des clients et ceux du père et des enfants. Le lot attribué au client est, en effet, comme le pécule attribué au fils, un don gratuit et révocable, avec cette différence, bien entendu, que le fils est virtuellement copropriétaire du père, tandis que le client n’est copropriétaire du patron ni actuellement ni virtuellement. Le même mot a servi pour traduire cette similitude ou cette analogie. Les Anciens ne s’y trompaient pas. Ils voyaient dans le mot patronus un dérivé, une sorte de doublet du mot pater. C’est ainsi que le mot matrona n’est qu’une autre forme du mot mater, et comme ces deux mots sont restés synonymes, il est permis de croire qu’il en avait été de même à l’origine pour les mots pater et patronus. La différenciation ne se serait introduite que plus tard. Elle n’était pas nécessaire pour la mère ; dont les clients ne dépendaient pas. Mais elle s’imposait pour le père en raison de son personnage double,’père dans ses rapports avec ses enfants, et patron dans ses rapports avec ses clients.

Ainsi les clients ont un patron qui n’est autre que le pater familias, et ils n’en ont qu’un. Mais en même temps ils appartiennent à la gens. Ils lui empruntent leur nom, ce qui pourrait entraîner une confusion si les juristes, en adoptant l’identité du nom pour critérium de la gentilité, n’avaient eu soin d’exclure tous ceux qui ne comptaient pas uniquement dans leur ascendance des hommes libres. Et surtout le patron n’est et ne peut être, dans ses rapports avec ses clients, que le représentant de la gens. Ce n’est pas sur son propre fonds qu’il pouvait les établir, ce fonds fut-il plus étendu que les deux jugères du lot primitif. Ce ne pouvait être que sur le fonds commun, et c’est là, soit dit en passant, une raison de plus pour affirmer le caractère inaliénable de la propriété gentilice, puisqu’on ne pouvait la restreindre par la vente qu’au détriment des clients et en réduisant leur nombre, qui importait à la puissance et au prestige de la collectivité. Les clients sont donc obligés envers la gens non moins qu’envers le patron, ou plutôt ces deux obligations n’en font qu’une. Cicéron raconte un procès où l’on exhuma, l’ancien droit gentilice[2]. C’est un procès entre les Claudii et les Claudii Marcelli, qui avaient été jadis les clients des Claudii. Ces derniers veulent faire valoir les droits qu’ils tiennent de ce fait. Ce que nous remarquons ici, c’est que tous les Claudii entrent en cause. Preuve que le lien de la clientèle existe entre les clients et la gens dans son ensemble.

De ce qui précède, il résulte que la gens est une famille qui a un pater, Autrement dit, la gens est la famille dans son état primitif d’indivision.

Les historiens se souvenaient du temps où la gens avait un chef. Lorsque la gens Claudia obtient l’entrée dans la cité, c’est son chef (dux, princeps) qui va la représenter dans le Sénat. Il est vrai que, ni à ce propos ni jamais, les textes n’appellent ce chef le père de la gens. La cause en est qu’il n’y avait point et qu’il ne pouvait y avoir de personnage ainsi dénommé. La gens, c’est l’ensemble des individus. La famille, ainsi qu’on l’a vu, comprend les individus et les biens. Le chef de la gens, au temps où elle était la, famille, était le pater familias, et c’était le seul titre qui lui convint. Plus tard, quand il se forma au sein de la gens des groupes distincts ayant leur propriété particulière, le mot familia ne put caractériser que ces divers groupes, de même que le mot pater familias ne put s’appliquer qu’à leurs chefs respectifs. Quant au mot gens, il désigna la collectivité dont le lien n’était plus celui d’une propriété commune, mais celui d’une commune origine. Et c’est ainsi que l’on fut conduit à opposer les deux mots de gens et de famille.

Il reste un point obscur. Qui était le chef de la gens ? Comment était-il désigné ?

On a pensé au droit d’aînesse, et l’on s’est figuré ce droit s’exerçant au profit d’une branche, et dans cette branche au profit d’un individu. Mais il n’y a pas trace du droit d’aînesse dans la législation ni dans la tradition des Romains. On peut penser aussi au testament et imaginer le chef de la gens instituant testamentairement un héritier de son choix. On se rappelle qu’il y avait certaines circonstances oit le testament s’imposait dans la famille, telle qu’elle nous apparaît constituée ultérieurement. C’est une hypothèse un peu mieux fondée que la précédente, mais ce n’est encore qu’une hypothèse.

Il y a une école d’après laquelle la gens aurait été un clan, gouverné démocratiquement, en ce sens que l’autorité y appartenait à tous. La puissance paternelle, dans sa rigueur, serait née plus tard, quand le clan se fractionna en groupes plus restreints, plus aptes à subir un pouvoir despotique dont ne s’accommodait pas un agrégat plus vaste.

Cette théorie invoque d’une part certaines données fournies par l’histoire comparée, et de l’autre l’ignorance où nous sommes en ce qui concerne le mode de désignation du chef de la gens. Mais les conclusions tirées de l’histoire comparée risquent de nous induire en erreur toutes les fois qu’elles osent attribuer à des institutions issues du même point de départ une évolution semblable, et pour ce qui est de notre ignorance sur un des éléments du problème, il ne semble pas que cet argument doive prévaloir contre l’ensemble des faits présentés plus haut. Somme toute le différend se ramène à ceci le chef de la gens était-il ou non investi de la puissance paternelle ? était-il ou non le pater familias ? Mais que la gens eût un chef, que la gens fût une collectivité familiale ou censée telle, ayant en commun le nom, le culte, les biens, rien de tout cela, ni dans l’une ni dans l’autre doctrine, n’est et ne saurait être contesté.

 

§ 3. - La cité patricienne.

Nous ne saisissons la gens qu’encadrée dans un système politique. Les organes du système sont le Sénat, l’assemblée curiate et la royauté.

Le Sénat est la représentation des gentes. Quand la gens Claudia entre dans la cité, elle prend place aussitôt dans le Sénat. De même les gentes albaines transférées à Rome, après la destruction d’Albe. Quand Tarquin l’Ancien crée des gentes nouvelles, il crée du même coup des sénateurs nouveaux.

La gens est représentée dans le Sénat par son chef, son pater, et ne l’est que par lui, à condition toutefois qu’il compte parmi les seniores, c’est-à-dire qu’il ait atteint l’âge de quarante-cinq ans. Ces deux points ressortent des termes mêmes de la langue. Senatus ne veut pas dire autre chose qu’assemblée de seniores. Et si les sénateurs sont intitulés Pères, Patres, — l’appellation de Pères conscrits, Patres conscripti, ne s’est introduite que plus tard, on verra pour quelles raisons, — c’est que tout sénateur est un Pater et réciproquement, sans quoi ce titre eût prêté à des confusions incompatibles avec les habitudes de langage des Romains. C’est le chef de la gens Claudia, Attus Clausus, qui est admis à siéger dans le Sénat quand sa gens est reçue dans la cité.

Les gentes, au nombre de trois cents environ, sont réparties entre les trois tribus des Ramnes, des Tities, des Luceres, subdivisées elles-mêmes en trente curies. Les curies sont le cadre de l’assemblée populaire. Le cadre, parce que les Romains n’ont jamais admis dans leurs assemblées populaires le suffrage individuel. Les suffrages individuels se totalisaient dans une unité votante où ils formaient un suffrage unique. Ces unités, dans les comices curiates, étaient les curies. Il va de soi que les comices curiates ne pouvaient être composés à l’origine que des citoyens, c’est-à-dire des patriciens. Les patriciens, patricii, étaient, ainsi que le mot l’indique, ceux qui étaient issus d’un pater, qui tenaient à un pater par les liens de la parenté, en d’autres termes les membres des gentes. Tous ces termes, citoyens, patriciens, gentiles, ingenus ou hommes de naissance libre, qui ont fini par se différencier, ont commencé par être synonymes. Les patriciens votant dans les comices curiates constituaient donc le corps civique. Il est vrai que, si l’on met à part les pères de famille à qui leur âge interdisait pour le moment l’accès du Sénat, le corps civique ne pouvait comprendre que des personnes soumises à la puissance paternelle. Mais la majorité politique n’attendait pas la majorité civile, et rien ne nous autorise à croire que la maxime : Dans les affaires publiques, le fils de famille est considéré comme étant un père de famillefilius familias in publicis causis loto patris familias habetur — n’ait pas été en vigueur dès les temps les plus reculés.

Les comices curiates n’en étaient pas moins subordonnés au Sénat. Plus tard, quand s’établit le principe de la souveraineté du peuple, les rapports de subordination entre les comices et la haute assemblée ont été par le fait intervertis, mais ils n’ont pas cessé de se traduire dans la formule bien connue Senatus populusque romanus, toujours inscrite en tête des actes officiels et où la mention du Sénat en première ligne témoignait encore de son éminente dignité. Au surplus, pour le fond, ces rapports se manifestèrent longtemps dans une des prérogatives les plus précieuses du Sénat et une de celles qui lui furent le plus vivement disputées, à savoir l’auctoritas. Le mot auctoritas, dont nous avons fait autorisation, a une acception très précise. Il vient du verbe augere signifiant augmenter. Celui qui a l’auctoritas est celui qui augmente, donc qui complète la valeur d’un acte en complétant, par son approbation la capacité juridique de l’agent. Le tuteur a l’auctoritas sur son pupille. Le Sénat l’exerce sur le peuple. L’acte du peuple votant dans ses comices est incomplet, dépourvu de valeur légale si le Sénat ne le ratifie pas, s’il n’en est pas, au sens latin, l’auteur, l’auctor. Ainsi le Sénat nous apparaît comme le tuteur du peuple votant dans les comices curiates.

Rome, comme toutes les cités antiques, a d’abord été gouvernée par des rois, mais la royauté s’y présente sous un aspect très particulier et singulièrement complexe. Elle est élective et de droit divin. Elle est absolue et limitée. Ces traits contradictoires sont importants à démêler parce qu’ils ont survécu à la royauté et sont restés parmi les éléments fondamentaux de la constitution républicaine.

La royauté doit tirer sa légitimité de la volonté des hommes et de la volonté des dieux. La violenté des hommes se manifeste par l’élection, la volonté des dieux par les auspices.

La théorie des auspices est à la base du droit public. On appelle de ce nom certains phénomènes naturels dont l’observation et l’interprétation font l’objet de la science augurale. Il fallait que les auspices se fussent montrés favorables pour que l’élu du peuple parût en même temps l’homme agréé par les dieux. Mais les auspices favorables ne sont pas seulement nécessaires pour l’élection du roi. Ils le sont pour tous les actes de la vie publique. Aucun acte de ce genre ne doit être accompli sans la consultation des auspices. Or le droit de consulter les auspices au nom de la cité n’appartient pas à tout le monde. Il est réservé à celui qui, une première fois, a été désigné par la faveur divine, c’est-à-dire au roi. Le collège des augures, qui l’assiste dans cette opération, n’est qu’un corps de spécialistes versés dans les arcanes de la science augurale et dont il peut et doit réclamer les lumières, mais le droit de consulter les auspices, le jus auspiciorum, n’appartient qu’à lui. Le jus auspiciorum ou les auspicia tout court, la possession, la maîtrise des auspices, tel est donc-le signe du pouvoir ou, pour mieux dire et pour rendre plus exactement la pensée des Romains, il est le pouvoir même.

Quand le roi meurt, les auspices dont il est détenteur meurent avec lui. Il s’agit de les faire renaître. Nous touchons ici au premier des actes dont la série est nécessaire pour la création d’un roi. Ces actes nous sont connus parce qu’ils se sont répétés régulièrement pour la création des consuls, à part quelques modifications imposées par les changements survenus dans la constitution, et notamment parla transformation de la royauté en une magistrature annuelle.

La mort du roi ouvre un interrègne. Les auspices ne sont plus, mais on peut les ranimer en les évoquant à leur point de départ, dans le milieu où ils ont pris naissance, oit ils ne cessent de résider à l’état latent, au sein de la cité, dans la communauté des Patres qui, en fondant la cité ont reçu le dépôt des promesses divines, en d’antres termes dans le Sénat. On dit alors : les auspices reviennent au Sénat auspicia ad Patres redeunt, ou bien, le gouvernement revient au Sénat res ad Patres redit ; ce qui est d’ailleurs la même chose puisque les auspices et le gouvernement ne font qu’un. Le Sénat procède à la nomination d’un interroi avant mission de convoquer le peuple pour l’élection du roi. Mais l’interroi doit, au préalable, consulter les auspices, et s’ils ne se montrent pas favorables, il passe la main à un autre et ainsi de suite, jusqu’à ce que le choix des dieux s’étant fixé, l’opération puisse commencer.

Il ne faut pas se figurer que l’élection soit libre. En premier lieu le peuple ne peut voter que sur les noms proposés par l’interroi. L’interroi, qui a consulté les auspices, sait quels sont les candidats que les dieux agréent et quels sont ceux qu’ils repoussent. Il ne présentera donc, il ne nommera que les premiers et si, par hasard, le peuple en choisissait un parmi les seconds, il ne le proclamera pas, et le candidat qui n’est pas proclamé suivant certains rites n’est pas élu. En deuxième lieu, conformément au principe posé plus haut, l’élection n’est valable que si elle est approuvée par le Sénat.

Le roi élu dans les comices curiates et agréé par le Sénat n’est pas encore roi. Il a reçu l’investiture des hommes ; il lui reste à recevoir celle des dieux. Tel est le but de l’inauguration. L’inauguration est la cérémonie par laquelle une personne ou un lieu est consacré suivant les règles de la science augurale. Par l’inauguration, le roi est investi du jus auspiciorum. La cérémonie est solennelle, et le peuple attend en silence le résultat de la consultation.

Les Romains se sont toujours fait une très haute idée de la magistrature suprême. Ils l’ont toujours considérée comme absolue et intangible, et si, dans la suite des temps, ils ont pu, par des moyens détournés, battre en brèche cette conception primordiale, ils ne l’ont jamais attaquée de front ni contestée théoriquement. Elle dérive de cette idée que l’origine du pouvoir est divine. Comment porter atteinte au pouvoir d’un homme désigné par les dieux ? Le magistrat, même quand la magistrature a cessé d’être viagère, ne peut être contraint de renoncer à son mandat ; il abdique ou est censé abdiquer spontanément. Dans un seul cas, il peut être déposé : c’est quand on a découvert après coup dans son élection un vice de forme, une contravention aux règles de l’auspication, mais c’est qu’alors il n’est plus qu’un faux magistrat, créé par surprise et dépourvu de son caractère sacré.

Le roi est donc le maître. Il est le chef militaire, le juge, le prêtre. Il a des auxiliaires dans ces diverses fonctions, mais ils sont nommés par lui et dépendent de lui. Et pourtant cette royauté absolue n’est pas une royauté sans limites, sans frein. Car si la royauté est sainte, la cité l’est également. La famille, qui a pour raison d’être le culte, est sainte. De même, sainte est la cité qui n’est qu’un agrégat de familles associées dans un culte commun. Saintes sont ses divisions consacrées par les auspices, et saint tout l’ensemble de ses rites. La royauté coexiste donc avec des institutions aussi vénérables qu’elle-même, et qui s’imposent à son respect. Elles sont garanties par la coutume des ancêtres, par le mos majorum qui est la forme la plus ancienne du droit, un droit non écrit, traditionnel, religieux. Le roi est lié par le mos majorum.

La cité est, à beaucoup d’égards, l’image de la famille comme le roi est l’image du père. Or, pas plus que le père ne peut s’affranchir des lois constitutives de la famille, le roi ne peut s’affranchir des lois constitutives de la cité. Et comme le père doit, dans les circonstances graves, prendre l’avis d’un conseil composé de parents ou d’amis, le roi, dans le même cas, doit prendre celui du Sénat. Ils sont libres l’un et l’autre de ne pas suivre l’avis, mais ils ne sont pas dispensés d’y recourir.

Nous saisissons maintenant la cause initiale qui a assuré la future grandeur du Sénat. Alors même qu’il était devenu le premier pouvoir de l’Etat, il n’a jamais été en principe qu’une assemblée consultative, ainsi qu’en témoignent son règlement intérieur, la forme et jusqu’au nom de ses sénatus-consultes, mais une assemblée qui représentait la tradition de la vie nationale, qui associait à la fonction de l’interrègne celle de l’auctoritas, qui était à la fois la tutrice du peuple et la source où se retrempaient les auspices, tenait de ces prérogatives un prestige et une force qui ne pouvaient manquer de s’affirmer à la longue.

L’histoire des rois de Rome, est fabuleuse ou légendaire. Nous ne pouvons donc nous faire de la royauté qu’une idée abstraite, et cela par une sorte d’induction rétrospective, en nous aidant des données historiques fournies par la continuité du conservatisme romain. Ce que nous voyons toutefois assez clairement, c’est qu’elle s’est transformée au cours de son existence, qu’elle a tendu à devenir une tyrannie, autrement dit qu’elle a fait effort pour se mettre au-dessus de la coutume, au-dessus du mos majorum, et que par là elle est entrée en conflit avec le Sénat, devenu son antagoniste naturel. Il se peut que des circonstances accidentelles aient contribué à cette crise. Il n’est pas douteux en effet que Rome, à cette époque, ne soit tombée sous la domination de maures étrangers, de nationalité étrusque. Mais elle tenait plus encore à une cause interne, à la formation, à l’avènement d’un peuple nouveau s’agglomérant autour de la cité patricienne, et dont la pression devait faire éclater les cadres anciens et bouleverser de fond en comble tout l’ordre politique et social.

 

 

 



[1] Pour simplifier nous disons adoption, bien que le terme exact soit adrogatio quand l’adopté est sui juris et qu’il y a intervention des pouvoirs publics.

[2] De Oratore, I, 39.