LA GAULE INDÉPENDANTE ET LA GAULE ROMAINE

DEUXIÈME PARTIE. — LA GAULE ROMAINE

LIVRE II. — L’HISTOIRE ET LE GOUVERNEMENT DE LA GAULE DU IIe AU IVe SIÈCLES AP.  J.-C.

CHAPITRE II. — LE GOUVERNEMENT DE LA GAULE AU IVe SIÈCLE DEPUIS LA RÉFORME DE DIOCLÉTIEN. LE GOUVERNEMENT CENTRAL

 

 

I. — LA MONARCHIE DU BAS-EMPIRE. LE SYSTÈME DE LA TÉTRARCHIE. LES NOUVELLES CIRCONSCRIPTIONS PROVINCIALES[1]

LA réforme attribuée à Dioclétien a été préparée avant lui et complétée après. Néanmoins, comme il est le premier qui l’ait conçue à l’état de système, il parait juste de la placer sous son nom. Elle comprend d’ailleurs deux parties : le gouvernement de la tétrarchie, qui a été organisé par Dioclétien et ne lui a pas survécu, et la réforme administrative, qui a été conservée et continuée par Constantin.

[PARTAGE DE L’AUTORITÉ IMPÉRIALE] Les compétitions des prétendants avaient causé tous les désastres des cinquante dernières années. Il fallait prévenir le retour de ce fléau. L’Empereur ne pouvait être partout. Il ne pouvait tenir tète à la fois aux Germains et aux Perses. Il était donc obligé de s’en remettre à des généraux qui ne tardaient pas à devenir des usurpateurs. De ces rivaux éventuels Dioclétien imagina de faire ses collègues et ses successeurs. Il désarmait leur ambition par cette combinaison et il assurait l’avenir en même temps que le présent. Il supprimait en effet la crise ouverte par la vacance du pouvoir, ou plutôt il empêchait que le pouvoir fût jamais vacant.

Le partage de l’autorité impériale n’était pas une nouveauté. Mais la conception de Dioclétien était originale à beaucoup d’égards. Il renonça à l’hérédité et substitua aux droits de la naissance ceux que créait l’adoption. Il établit entre les divers titulaires de la suprême puissance une hiérarchie savamment graduée. Il délimita leurs champs d’action tout en maintenant l’unité de l’Empire. Enfin il fixa la date où les alliés devaient se retirer pour passer la main à leurs cadets.

[DYARCHIE] Il ne semble pas d’ailleurs que ses idées se soient formées d’un  seul coup. Il commença par faire de Maximien un César. Ce fut quelques mois après son avènement, en 285. En 286 seulement il le proclama Auguste. Les deux Augustes eurent leur domaine distinct, Maximien l’Occident, Dioclétien l’Orient. Le premier, installé à Milan, surveilla les Alpes et le Rhin. Le second, à Nicomédie, en Asie Mineure, se trouva à égale distance de l’Euphrate et du Danube. Leur communauté de vues était attestée par leur double signature au bas des actes publics. Elle était sauvegardée par la prééminence reconnue au plus ancien. Par leur titre ils étaient censés égaux. Mais Dioclétien avait pris le surnom de Jovius ou fils de Jupiter, tandis qu’il donnait à Maximien celui d’Herculius ou fils d’Hercule. Ce langage symbolique était très clair pour les contemporains. Il traduisait la situation respective des deux collègues, l’un étant présenté comme la pensée qui commande, l’autre comme la force qui exécute.

[TÉTRARCHIE] La dyarchie devint la tétrarchie en 203 par la nomination des deux Césars, Constance Chlore et Galère. Les Césars étaient des empereurs en sous-ordre, dépendant chacun de l’un des deux Augustes et préposés à une portion du territoire administré par ce dernier. Constance, qui releva de Maximien, eut la Gaule, la Bretagne, l’Espagne, avec Trèves pour capitale ; Galère, qui fut attaché à Dioclétien, résida à Sirmium et eut la péninsule balkanique et la frontière danubienne. Dioclétien et Maximien s’étaient réservé, celui-ci l’Italie et l’Afrique, celui-là l’Asie et l’Égypte, mais ils restaient les maîtres dans toute l’étendue de leur gouvernement et y disposaient des Césars comme ils l’entendaient. Galère fut employé par Dioclétien dans les guerres contre les Perses, Maximien remplaça Constance sur le Rhin quand il l’envoya en Bretagne pour combattre Allectus[2].

Dioclétien adopta Galère et Maximien Constance. Ils désignaient ainsi les deux Césars comme leurs héritiers, et pour que l’héritage fût recueilli sans secousse, ils décidèrent qu’il s’ouvrirait de leur vivant. L’abdication simultanée des deux Augustes et leur remplacement par les deux Césars devaient être comme un phénomène régulier et prévu. Les deux Augustes, aussitôt installés, devaient choisir à leur tour, pour leur succéder comme Césars, ceux qui leur paraîtraient les plus dignes.

[CHUTE DE LA TÉTRARCHIE. CONSTANTIN] Lorsque Dioclétien abdiqua, en 305, de concert avec Maximien, il put se féliciter des résultats obtenus. Sous ce gouvernement à quatre le monde avait joui d’une sécurité qu’il ne connaissait plus depuis longtemps. La promotion de Constance et de Galère au rang d’Auguste, la proclamation des deux nouveaux Césars, Sévère et Maximin Daia, s’étaient effectuées sans obstacle. Le régime paraissait solidement assis. Et pourtant il ne fallait pas beaucoup de perspicacité pour en prédire la chute. L’accord entre les empereurs ne s’était maintenu que par l’ascendant incontesté de Dioclétien. Il tenait à des circonstances qui probablement ne se renouvelleraient pas. D’un autre côté, si l’adoption avait réussi aux, Antonins, c’était grâce au hasard qui avait fait passer sur le trône une série de quatre souverains sans héritier m81e. Constance et Maximien avaient chacun un fils, Constantin et Maxence. Combien de temps durerait la résignation des princes évincés ?

De sa retraite de Salone, Dioclétien put assister encore à la mêlée des ambitions déchaînées. Elle se prolongea dix-sept ans (306-323), puis enfin Constantin, vainqueur successivement de tous ses rivaux, se trouva seul maure de l’Empire.

[EMPIRE D’ORIENT ET EMPIRE D’OCCIDENT] La tétrarchie fut la partie chimérique et caduque dans l’œuvre de Dioclétien. Toutefois elle ne s’écroula pas sans laisser des traces dans les institutions et les idées. Elle se survécut dans les grandes préfectures qui, ainsi qu’on le verra plus loin, ne firent que reproduire les circonscriptions assignées aux deux Césars et aux deux Augustes. Mais surtout elle familiarisa les esprits avec la perspective d’un démembrement. Elle continua ainsi et accéléra le mouvement commencé au siècle précédent. L’unité rétablie en 323 par Constantin ne lui inspirait à lui-même que peu de confiance. Il la brisa de ses propres mains en partageant par son testament l’Empire entre ses trois fils (337). Elle ne fut plus restaurée dés lors qu’à de rares intervalles pour être abolie sans retour en 393, à la mort de Théodose. A plusieurs reprises déjà le divorce entre les provinces grecques et latines s’était accusé par la formation d’un empire d’Orient et d’un empire d’Occident. La séparation, à dater de ce jour, fut consommée. En théorie les deux empires n’en faisaient qu’un. En réalité ils eurent leurs destinées distinctes, et le premier put se maintenir debout alors que l’autre avait succombé depuis des siècles.

[DÉCHÉANCE DE ROME COMME CAPITALE] Un fait qui se trouve lié à l’organisation de la tétrarchie, ce fut la déchéance de Rome comme capitale. L’assimilation de l’Italie aux provinces, réalisée définitivement sous Dioclétien, Galère et Constantin, par l’introduction de l’impôt foncier dans la péninsule, était le dernier terme d’une longue évolution où la déchéance de Rome marque une étape décisive. Dans l’Empire tel qu’il se transformait depuis une centaine d’années, la prééminence de la vieille cité italienne apparaissait comme une sorte d’anachronisme. Les soldats à demi barbares qui venaient s’y montrer avec la pourpre s’y sentaient dépaysés et comme étrangers. Elle était de plus trop loin des frontières menacées, trop loin des Francs, des Alamans, des Goths et des Perses. Toujours grande par ses souvenirs, elle resta la ville sainte. Elle conserva son administration spéciale, mais elle ne fut plus le siège des pouvoirs publics. Le rétablissement de l’unité en 323 ne lui rendit pas sa prérogative. Constantinople devint la résidence de Constantin pour demeurer après lui la capitale de l’Orient. Quant aux empereurs d’Occident, leurs séjours à Rome ne furent jamais qu’intermittents. Leur résidence ordinaire fut à Milan ou dans les deux nouvelles capitales gauloises, à Trèves ou à Arles

[DÉCADENCE DU SÉNAT] La déchéance de l’Italie et de Rome consomma celle du Sénat. Le dualisme institué par Auguste avait reçu les coups mortels dans le courant du me siècle. Les fonctions réservées aux sénateurs avaient été envahies parles fonctionnaires de l’ordre équestre. Les revenus de l’aerarium étaient allés au fisc. Les provinces sénatoriales avaient passé à l’Empereur. Il ne restait plus qu’à transporter loin du Sénat le centre du gouvernement. Il cessa dès lors d’être une assemblée politique. En principe il était considéré encore comme la source du pouvoir. En fait il n’eut plus à intervenir ni dans la manière dont il était transmis, ni dans la manière dont il était géré.

[LA MONARCHIE DU BAS-EMPIRE] Alors s’éleva la monarchie du Bas-Empire. Pour s’en faire une juste idée, il ne faut pas oublier quelle a été la préoccupation constante des empereurs dans cette période. Les révolutions et les invasions avaient conduit la société romaine vers sa ruine. Pour la préserver de ces maux, ils avaient imaginé la tétrarchie. Ils ont poursuivi le même but par une refonte générale de l’administration. Ils ne renforcèrent pas l’autorité impériale. Elle ne pouvait être rendue plus absolue. Mais ils la relevèrent par les formes serviles empruntées au cérémonial de l’Orient. Ils la reculèrent dans un lointain inaccessible, comptant qu’elle y paraîtrait plus vénérable et plus terrible. Tout ce qui touchait au prince, au service de sa personne comme au service de l’État, fut sacré. Ses dépenses publiques ou privées furent les largesses sacrées. Sa chambre à coucher fut sacrée comme son palais. Ses ordres, quel qu’en fût l’objet, furent les ordres célestes, les oracles. On ne lui parla plus qu’avec ces formules : Votre Majesté, Votre Sérénité, Votre Éternité. Il ne se montra plus que revêtu d’un brillant costume, gardé par une nombreuse escorte, soustrait par une étiquette rigoureuse au contact de ses sujets.

[LA HIÉRARCHIE DES FONCTIONNAIRES] Des hauteurs où il planait descendait par degrés la hiérarchie des fonctionnaires, avec leurs titres pompeux et leurs uniformes éclatants. Ils n’étaient plus, comme autrefois, classés en deux séries parallèles. L’opposition entre les fonctionnaires sénatoriens et équestres s’était effacée en perdant sa raison d’être. Ils formaient un corps homogène distribué en plusieurs catégories : au premier rang les illustres, au second les spectabiles, à l’étage inférieur les clarissimes. Il y avait un autre titre, celui de comes ou compagnon, d’où est venu, dans notre langue, celui de comte. Il avait désigné primitivement les courtisans admis à composer la suite de l’Empereur. Il fut attaché désormais à certaines fonctions ou conféré par faveur à certains individus.

[SÉPARATION DES FONCTIONS MILITAIRES ET CIVILES] Le trait à noter, du haut en bas de l’échelle, c’est la démarcation nettement tracée entre les fonctions militaires et civiles La civilisation antique n’avait pas connu ce partage. Il était dû à la complexité croissante du gouvernement, mais plus encore aux légitimes méfiances des gouvernants. La concentration des deux pouvoirs avait facilité les usurpations. On espéra, en les séparant, barrer la route aux ambitieux. Nous avons dû précédemment les réunir dans une même étude. Il nous faut maintenant les distinguer en considérant à part, dans les provinces, ce qui concerne l’administration et ce qui concerne le commandement des armées.

[PRÉFECTURES, DIOCÈSES ET PROVINCES] La mesure décisive, dans ce sens, fut la mutilation de la préfecture du prétoire. Le commandant de la garde impériale était devenu le chef de l’armée, du palais, de la justice, de la police. Il était devenu une sorte de vice-empereur, redoutable à son maître et qui lui faisait la loi. La sûreté de l’État n’était pas compatible avec cette puissance démesurée. Dioclétien l’affaiblit une première fois en la divisant entre quatre titulaires, attachés chacun à l’un des Césars ou des Augustes. Quand la tétrarchie ; s’effondra, les quatre préfets restèrent préposés aux circonscriptions où ils avaient précédemment gouverné en sous-ordre. Ils avaient encore à cette époque leurs attributions militaires. Ce fut Constantin qui les leur enleva. N’ayant plus de troupes à leur disposition, ils cessèrent d’être dangereux malgré l’étendue de leurs ressorts qui ne comprirent d’ailleurs ni Rome ni Constantinople, ces deux villes formant avec leurs alentours deux préfectures urbaines, indépendantes des préfectures du prétoire où elles étaient enclavées.

L’Empire se trouva divisé, abstraction faite des deux préfectures urbaines, en quatre préfectures du prétoire, deux pour l’Orient, deux pour l’Occident. Ces deux dernières étaient la préfecture d’Italie, comprenant l’Italie, l’Illyrie occidentale et l’Afrique, capitale Milan, et la préfecture des Gaules, comprenant les Gaules, la Bretagne, l’Espagne, la Maurétanie Tingitane, capitale Trèves, plus tard, depuis le début du Ve siècle, Arles. Chaque préfecture comprenait un certain nombre de diocèses, comprenant eux-mêmes plusieurs provinces. Les diocèses étaient administrés par des vice-préfets ou vicaires. Les gouverneurs des provinces reçurent, suivant l’importance de leur gouvernement, les noms de consularis, corrector, praeses. Le titre générique était rector.

[LE PRÉFET DES GAULES. INSIGNES ET EMBLÈMES] Le préfet des Gaules (vir illuster praefectus Galliarum) est le plus haut fonctionnaire de l’empire d’Occident, après son collègue de Milan  qui a sur lui cet unique avantage d’être in praesentia, c’est-à-dire de résider à la cour, auprès de l’Empereur. Dans sa capitale de Trèves, puis d’Arles, il mène un train royal. Il est revêtu d’une chlamyde, espèce de manteau richement brodé et recouvrant une paragaude ou tunique de pourpre, avec un large baudrier en cuir d’un rouge éclatant et rehaussé par des ornements en or. Sur le codicille lui signifiant sa nomination, sur les pièces émanées de son bureau et revêtues de sa signature, sont représentés, d’un côté, des figures de femmes au nombre de deux, symbolisant chacune l’un des diocèses de la préfecture et tenant des corbeilles remplies de monnaies, par allusion aux impôts dont elles enrichissent le Trésor ; d’autre part, un char sculpté tramé par quatre chevaux blancs, une table recouverte d’un tapis et portant, entre deux flambeaux allumés, un livre avec, sur le plat, le portrait de l’Empereur ; enfin une sorte de meuble en hauteur, supporté par un socle et garni des bustes de la famille impériale. Les emblèmes du vicaire se réduisent au meuble en question et à la table, avec le livre et sans les flambeaux, plus des bustes correspondant chacun à une des provinces placées sous son autorité.

[POUVOIRS DU PRÉFET] Le préfet reste en fonctions très peu de temps, un ou deux ans généralement, rarement davantage. Il propose à la nomination impériale, mais il ne nomme pas lui-même les gouverneurs des provinces. Il ne fait pas les lois qu’il promulgue, applique et interprète au besoin. Il ne fixe pas le montant de l’impôt dont la répartition et la perception lui sont confiées. Il est, plus qu’un fonctionnaire de nos jours, sous la tutelle de ses bureaux. La bureaucratie a pris sous ce régime un très grand développement. Les gens de bureau, officiales, forment dans l’Empire une armée. Ce personnel n’est pas seulement très nombreux. Il a des privilèges qui lui assurent la sécurité, et, dans une certaine mesure, l’indépendance. Le préfet ne nomme ni ne révoque ses employés. Il ne peut que les suspendre et les punir, et encore sauf appel à l’Empereur. Les employés des gouverneurs n’ont pas une situation moins solide. Ils sont attachés pour la vie à leur province dont ils sont censés défendre les intérêts.

La règle qui écartait les fonctionnaires de leur pays d’origine n’est plus observée. Si nous parcourons la liste des préfets des Gaules au IVe et au Ve siècles, nous en trouvons plusieurs qui sont gaulois[3]. Il en est de même des fonctionnaires d’un ordre moins élevé[4]. Ces habitudes nouvelles s’expliquent par la puissance croissante des aristocraties locales[5]. Elles sont un effet de cette puissance et elles contribuent encore à ses progrès.

Par l’institution des préfets et de leurs vicaires, la distance est devenue très grande entre l’Empereur et les gouverneurs des provinces. Ces derniers sont d’ailleurs des personnages moins importants depuis que les provinces, s’étant morcelées, sont devenues plus petites.

[MORCELLEMENT DES PROVINCES] La tendance au morcellement des provinces commence à poindre dès le IIe siècle. Elle s’accuse nettement au IIIe et se poursuit dans le courant du IVe. La pensée dont elle s’inspire est la même qui préside à toute la réorganisation de l’Empire : affaiblir les agents du pouvoir par la mutilation de leurs compétences ou la limitation de leurs circonscriptions territoriales. Les empereurs qui ont procédé à ces remaniements ne se sont pas proposé un autre but. Ils se méfiaient de leurs fonctionnaires, non de leurs sujets. Ils n’ont rien fait pour mêler les populations, pour combattre les affinités créées par la race ou par l’histoire. Souvent, au contraire, ce sont des groupements très anciens qui reparaissent dans les provinces nouvelles. Et même il est à remarquer que beaucoup d’entre eux n’avaient point tout à fait disparu dans l’intervalle. Ils subsistaient où s’étaient reformés à l’état de circonscriptions financières ou militaires, avant de devenir des provinces au vrai sens du mot.

Ces observations, qui ont une portée générale, s’appliquent très bien à la Gaule. La Belgique seconde, issue du démembrement de la grande Belgique, est identique au Belgium de César. Les peuples qui la composent sont les mêmes que l’on trouve énumérés au deuxième livre des Commentaires comme ayant formé la coalition de l’an 58 av. J.-C.[6] La Lyonnaise seconde équivaut aux trente cités qui, dans la Gaule indépendante, étaient classées sous le nom d’armoricaines[7]. Enfin la Novempopulanie n’est autre que l’Aquitaine ibérique qui, depuis longtemps, avait été, au point de vue militaire, peut-être aussi au point de vue fiscal et religieux, détachée de la grande Aquitaine, constituée artificiellement par Auguste.

[NOVEMPOPULANIE ET INSCRIPTION D’HASPARREN] A la création de la Novempopulanie se rattache la fameuse inscription découverte au village d’Hasparren, dans le département des Basses-Pyrénées. Ce texte a donné lieu à de longues discussions[8]. On se contentera de résumer ici les conclusions qui paraissent acquises. Il nous apprend, en assez mauvais vers, qu’un certain Verus, personnage considérable dans sa localité, fut député à Rome auprès d’Auguste et obtint de lui pour les Neuf peuples leur séparation d’avec les Gaulois. L’Aquitaine ibérique ne comptait dans l’organisation décrétée entre les années 16 et 13 av. J.-C. que cinq peuples ou cités (Convenae, Tarbelli, Ausci, Elusates, Vasates). C’est plus tard seulement que ce chiffre fut porté à neuf par la création des cités des Consoranni, des Lactorates, des Boiates et des Iluronenses[9]. L’Auguste mentionné dans ce document n’est donc pas le premier de ce nom, le fondateur de l’Empire. Et de même la séparation à laquelle il est fait allusion n’est pas la disjonction réalisée tout au début de l’ère impériale en ce qui concerne le recrutement et l’impôt. Ajoutez que ni la langue ni la gravure de l’inscription ne conviennent à cette époque non plus qu’à celle des Antonins. C’est donc du divorce définitif qu’il s’agit. Il fut prononcé sans doute par quelque empereur du me siècle, et antérieurement à Dioclétien. Nous voyons en effet que la mission de Verus l’avait conduit à Rome. Or Rome n’était plus sous Dioclétien la résidence de l’Empereur. La Novempopulanie compta au Ve siècle, ainsi qu’on le verra plus loin, douze cités. Elle n’en garda pas moins le nom qui lui avait été attribué au temps où, n’en comprenant que neuf, elle avait été érigée en province distincte.

La Novempopulanie est, en Gaule, la seule parmi les provinces nouvelles qui paraisse avoir été détachée des anciennes avant Dioclétien. A partir de ce règne nous pouvons suivre, non sans quelques incertitudes, le morcellement progressif des circonscriptions tracées par Auguste.

[MORCELLEMENT PROGRESSIF DES PROVINCES GAULOISES] Les deux Germanies ne furent point démembrées par Dioclétien ni par aucun de ses successeurs. Elles subsistèrent, la Germanie supérieure sous le nom de Germanie première, la Germanie inférieure sous le nom de Germanie seconde.

La Belgique, la Lyonnaise et la Narbonnaise furent démembrées sous Dioclétien.

La Belgique forma trois provinces : 1° Belgique première, capitale ou métropole Trèves ; 2° Belgique seconde, métropole Reims ; 3° Séquanie, métropole Besançon.

La Lyonnaise forma deux provinces : 1° Lyonnaise première, métropole Lyon ; 2° Lyonnaise seconde, métropole Rouen.

La Narbonnaise forma deux provinces : 1° Viennoise, métropole Vienne ; 2° Narbonnaise, dite plus tard Narbonnaise première, métropole Narbonne.

L’Aquitaine, démembrée avant Dioclétien, formait deux provinces : 1° Aquitaine, dite plus tard Aquitaine première, métropole Bourges ; 2° Novempopulanie, métropole Eauze[10].

Les provinces détachées ultérieurement furent, avant 369, l’Aquitaine seconde, métropole Bordeaux ; avant 381, la Narbonnaise seconde, métropole Aix[11] ; vers 385, la Lyonnaise troisième, métropole Tours ; la Lyonnaise quatrième, ou Sénonaise, métropole Sens.

Les provinces alpestres cessèrent de former une zone indépendante entre l’Italie et la Gaule. Les Alpes Cottiennes furent rattachées à l’Italie. Restèrent les Alpes Grées et Poenines, métropole Moutiers en Tarentaise, et les Alpes Maritimes, métropole Embrun.

En tout dix-sept provinces, dont six gouvernées par des consulares, savoir : les deux Germanies, les deux Belgiques, la Viennoise, la Lyonnaise première, et les autres par de simples praesides.

[LES DEUX DIOCÈSES DE LA GAULE] Les dix-sept provinces étaient partagées en deux diocèses correspondants, d’une part aux anciennes provinces de la Narbonnaise et de l’Aquitaine, de l’autre aux anciennes provinces de la Lyonnaise, de la Belgique et des deux Germanies. Ainsi l’on voit se dessiner dans la nouvelle géographie politique de la Gaule la grande division historique entre la France du Midi et la France du Nord. Elle répond déjà à certaines dissemblances que nous aurons à constater[12] et qui iront s’accusant dans la suite, par des causes diverses.

Le diocèse du Midi, diocèse de Vienne, du nom de sa capitale, s’appela d’abord diocèse des cinq provinces, puis des sept, lorsque, à la Viennoise, à la Narbonnaise première, à l’Aquitaine première, à la Novempopulanie, aux Alpes Maritimes se furent ajoutées la seconde Narbonnaise et la seconde Aquitaine.

Le diocèse du Nord s’appela diocèse des Gaules parce que, au lieu d’être placé sous l’autorité d’un vicaire, il était administré directement par le préfet résidant à Trèves. A la fin du IVe siècle le diocèse des Gaules, s’annexant celui des sept provinces, fut placé sous l’autorité du vicaire de Vienne, qui devint dès lors, sous la haute surveillance du préfet, le gouverneur de la Gaule entière[13].

Nous donnons d’autre part le tableau des provinces de la Gaule, vers l’an 400, avec l’énumération de leurs cités respectives[14].

TABLEAU DES PROVINCES ET CITÉS DE LA GAULE VERS L’AN 400.

DIOCÈSE DE TRÈVES OU DES GAULES

I. Lyonnaise première, 3 cités : 1° Lyon (civitas Lugdunensium), métropole ; 2° Autun (civitas Aeduorum) ; 3° Langres (civitas Lingonum).

II. Lyonnaise seconde, 7 cités : 1° Rouen (civitas Rotomagensium), métropole ; 2° Bayeux (civitas Baiocassium) ; 3° Avranches (civitas Abrincatum) ; 4° Évreux (civitas Ebroicorum) ; 5° Séez (civitas Sagiorum) ; 6° Lisieux (civitas Lexoviorum) ; 7° Coutances (civitas Constantia).

III. Lyonnaise troisième, 9 cités : 1° Tours (civitas Turonum), métropole ; 2° Le Mans (civitas Cenomannorum) ; 3° Rennes (civitas Redonum) ; 4° Angers (civitas Andecavorum) ; 5° Nantes (civitas Namnetum) ; 6° Quimper [?] (civitas Coriosolitum) ; 7° Vannes (civitas Venetum) ; 8° Cos-Casteil-Ach [?] (civitas Ossismorum) ; 9° Jublains (civitas Diablintum).

IV. Lyonnaise Sénonaise (Senonia), 7 cités : 1° Sens (civitas Senonum), métropole ; 2° Chartres (civitas Carnutum) ; 3° Auxerre (civitas Autessiodurum) ; 4° Troyes (civitas Tricassium) ; 5° Orléans (civitas Aurelianorum) ; 6° Paris (civitas Parisiorum) ; 7° Meaux (civitas Meldorum).

V. Belgique première, 4 cités : 1° Trèves (civitas Treverorum), métropole ; 2° Metz (civitas Mediomatricorum) ; 3° Toul (civitas Leucorum) ; 4° Verdun (civitas Verodunensium).

VI. Belgique seconde, 12 cités : 1° Reims (civitas Remorum), métropole ; 2° Soissons (civitas Suessionum) ; 3° Châlons-sur-Marne (civitas Catuellaunorum) ; 4° Saint-Quentin (Vermandois) [?] (civitas Veromanduorum) ; 5° Arras (civitas Atrabatum) ; 6° Cambrai (civitas Camaracensium) ; 7° Tournai (civitas Turnacensium) ; 8° Senlis (civitas Silvanectum) ; 9° Beauvais (civitas Bellovacorum) ; 10° Amiens (civitas Ambianensium) ; 11° Thérouanne (civitas Morinorum) ; 12° Boulogne-sur-Mer (civitas Bononiensium).

VII. Germanie première, 4 cités : 1° Mayence (civitas Mogontiacensium), métropole ; 2° Strasbourg (civitas Argentoratensium) ; 3° Spire (civitas Nemelum) ; 4° Worms (civitas Vangionum).

VIII. Germanie seconde, 2 cités : 1° Cologne (civitas Agrippinensium), métropole ; 2° Tongres (civitas Tungrorum).

IX. Séquanie. Grande province des Séquanes (Maxima Sequanorum), 4 cités : 1° Besançon (civitas Vesontiensium), métropole ; 2° Nyon (civitas Equestrium) ; 3° Avenches (civitas Helveliorum) ; 4° Bâle (civitas Basiliensium).

X. Alpes Grées et Poenines, 2 cités : 1° Moutiers-en-Tarentaise (civitas Centronum), métropole ; 2° Martigny-en-Valais (civitas Vallensium).

DIOCÈSE DE VIENNE OU DES SEPT PROVINCES.

XI. Viennoise, 14 cités : 1° Vienne (civitas Viennensium), métropole ; 2° Genève (civitas Genavensium) ; 3° Grenoble (civitas Gratianopolitana) ; 4° Aps (civitas Albensium) ; 5° Die (civitas Deensium) ; 6° Valence (civitas Valentinorum) ; 7° Saint Paul-Trois-Chàteaux (civitas Tricastinorum) ; 8° Vaison (civitas Vasiensium) ; 9° Orange (civitas Arausicorum) ; 10° Cavaillon (civitas Cabellicorum) ; 11° Carpentras (civitas Carpentoractensium) ; 12° Avignon (civitas Avennicorum) ; 13° Arles (civitas Arelatensium) ; 14° Marseille (civitas Massiliensium).

XII. Aquitaine première, 8 cités : 1° Bourges (civitas Biturigum), métropole ; 2° Clermont (civitas Arvernorum) ; 3° Rodez (civitas Rutenorum) ; 4° Albi (civitas Albigensium) ; 5° Cahors (civitas Cadurcorum) ; 6° Limoges (civitas Lemovicum) ; 7° Javols (civitas Gabalum) ; 8° Saint-Paulien-en-Velay, anciennement Ruessium (civitas Vellavorum).

XIII. Aquitaine seconde, 6 cités : 1° Bordeaux (civitas Burdigalensium), métropole ; 2° Agen (civitas Agennensium) ; 3° Angoulême (civitas Ecolisnensium) ; 4° Saintes (civitas Santonum) ; 5° Poitiers (civitas Pictavorum) ; 6° Périgueux (civitas Petrocoriorum).

XIV. Novempopulanie, 12 cités : 1° Eauze (civitas Elusatium), métropole ; 2° Dax (civitas Aquenatum) ; 3° Lectoure (civitas Lactoratium) ; 4° Saint-Bertrand-de-Comminges (civitas Convenarum) ; 5° Saint-Lizier-de-Conserans (civitas Consorannorum) ; 6° La Teste-de-Buck (civitas Boatium) ; 7° Lescar-en-Béarn (civitas Benarnensium) ; 8° Aire (civitas Aturensium) ; 9° Bazas (civitas Vasatica) ; 10° Tarbes (civitas Turba) ; 11° Oloron (civitas Iloronensium) ; 12° Auch (civitas Ausciorum).

XV. Narbonnaise première, 5 cités : 1° Narbonne (civitas Narbonnenstum), métropole ; 2° Toulouse (civitas Tolosatium) ; 3° Béziers (civitas Beterrensium) ; 4° Nîmes (civitas Nemausensium) ; 5° Lodève (civitas Lutevensium).

XVI. Narbonnaise seconde, 7 cités : 1° Aix (civitas Aquensium), métropole ; 2° Apt (civitas Aptensium) ; 3° Riez (civitas Riensium) ; 4° Fréjus (civitas Fora juliensium) ; 5° Gap (civitas Vappincensium) ; 6° Sisteron (civitas Segestericorum) ; 7° Antibes (civitas Antipolitana).

XVII. Alpes maritimes, 8 cités : 1° Embrun (civitas Ebrodunenstum), métropole ; 2° Digne (civitas Diniensium) ; 3° Chorges [?] (civitas Rigomagensium) ; 4° Castellane (civitas Saliniensium) ; 5° Senez (civitas Sanitiensium) ; 6° Glandèves (civitas Glannateoa) ; 7° Cimiez (civitas Cemenelensium) ; 8° Vence (civitas Vintienstuin).

 

II. — LA JUSTICE. L’IMPÔT[15]

DIVERSES réformes furent introduites dans le service de la justice et de l’impôt.

[SUPPRESSION DE LA PROCÉDURE FORMULAIRE] La procédure formulaire fut supprimée. Désormais le magistrat jugea non seulement du droit, mais du fait, par cognitio extraordinaria[16]. Il le faisait autrefois, exceptionnellement, quand il le trouvait bon, mais cette dérogation à la règle était une complication nouvelle dans un système déjà compliqué par lui-même. D’autre part il arrivait au judex en possession de la formule de recourir néanmoins, pour le point de droit, au magistrat qui la lui avait délivrée. L’usage à peu près exclusif de la cognitio extraordinaria coupa court à ces difficultés. Sans doute le magistrat ne pouvait pas plus qu’avant juger toutes les causes en personne. Il dut, comme autrefois, en renvoyer une partie à des juges délégués par lui. Mais ces juges étaient compétents eux-mêmes sur la question de droit comme sur la question de fait. Les progrès de la codification contribuèrent pour beaucoup à rendre cette réforme possible.

[SUPPRESSION DES CONVENTUS. RÉGLEMENTATION DE L’APPEL] La province étant moins étendue, le gouverneur n’eut plus à transporter ses assises successivement dans les principales villes. Il ne jugea plus que dans sa résidence. Les plaideurs y gagnèrent une justice plus rapide au prix de quelques déplacements.

Le mécanisme de l’appel se modela sur la nouvelle hiérarchie administrative. Les affaires, jugées en première instance par le gouverneur de la province, allèrent aboutir, non plus à Rome, mais au chef-lieu du diocèse, entre les mains du vicaire ou, si le diocèse était régi directement par le préfet du prétoire, entre les mains du préfet. Le préfet et le vicaire jugeaient au même titre, en dernier ressort. Il n’y avait pas appel de l’un à l’autre et, pour la plupart des cas, il n’y eut plus de l’un ni de l’autre appel à l’Empereur. La juridiction spéciale en matière de fisc fut maintenue. Il en fut de même des privilèges de juridiction attribués soit aux militaires, soit à certaines classes de la noblesse.

Les règnes de Dioclétien et de Constantin furent marqués par de grandes innovations en matière financière. Les causes qui motivèrent ces changements furent de nature diverse. La principale fut la détresse amenée par les désastres du siècle précédent. Pour suffire aux frais nécessités par la réorganisation de l’Empire, il fallut demander à l’impôt tout ce qu’il pouvait donner.

[IMPÔTS INDIRECTS] On demanda peu de chose, relativement, aux impôts indirects. L’impôt sur les affranchissements rapportait moins depuis que le nombre des esclaves allait diminuant. L’impôt sur les successions qu’Auguste avait établi pour les citoyens, comme compensation aux immunités dont ils jouissaient d’autre part, n’avait plus sa raison d’être depuis l’extension à tous du droit de cité. Ils furent abolis tous les deux. On conserva les douanes, octrois et péages, ainsi que l’impôt sur les ventes. On maintint aussi le monopole du sel, l’exploitation des mines et du domaine.

La ressource la plus abondante fut l’impôt direct, impôt personnel et impôt foncier.

[RÉFORME DE L’IMPÔT FONCIER] L’assiette de l’impôt foncier fut changée. II avait eu pour base jusque-là le jugère qui était l’unité agraire des Romains. Chaque propriétaire était taxé suivant le nombre et la qualité des jugères qu’il possédait. Dioclétien imagina de partager le sol en portions de valeur équivalente, et dont l’étendue par conséquent variait suivant la valeur de la terre. Chacune de ces portions, partagée ou non entre plusieurs propriétaires, forma une unité foncière imposable, le jugum ou le caput, et c’était cette unité qui payait l’impôt. Les décurions répartissaient entre les co-propriétaires du jugum la charge commune. Nous retrouvons dans cette réforme cette tendance à la simplification que nous avons constatée déjà dans la réforme judiciaire. On savait le nombre des unités imposables dans tout l’Empire, dans chaque cité, dans chaque province. Le total de l’impôt ayant été fixé, on savait du même coup ce que chaque unité devait payer. Le rendement de l’impôt foncier ne devait comporter ainsi aucun mécompte, aucun déchet.

[L’IMPÔT PERSONNEL] La même méthode fut appliquée à l’impôt personnel. Il reposa également sur une unité de perception qu’on appela aussi tête ou  caput et qui comprit un ou plusieurs individus. Ce fut la capitation humaine (capitatio humana) opposée à la capitation du sol (capitatio terrena[17]).

C’est une question de savoir si la capitation humaine s’ajoutait par surcroît à celle du sol. Il est vrai qu’elle n’offre plus à la longue qu’un intérêt purement théorique. Car les petits propriétaires disparaissent de plus en plus à l’époque où nous nous plaçons[18], et pour ce qui est des grands et même des moyens, ils appartiennent à une classe que la capitation humaine ne touche pas.

Un principe en effet domine l’organisation de l’impôt personnel. Il diffère suivant les catégories sociales. Il ne s’agit ni de dégrever les pauvres ni de charger les riches. Le but est de saisir partout le point par où chaque classe donne prise aux atteintes du fisc.

[CAPITATION PLÉBÉIENNE. CHRYSARGYRE] La capitation humaine est devenue ainsi la capitation plébéienne (capitatio plebeia). Elle retombe uniquement sur la plèbe, c’est-à-dire sur quiconque n’est pas au moins décurion, en d’autres termes sur quiconque n’est pas propriétaire, puisqu’il n’y a plus guère de propriétaire qui ne fasse partie au moins de la noblesse municipale. Par une restriction nouvelle, elle cesse de peser sur la plèbe urbaine. Cet élément de la population est soumis maintenant à un impôt spécial, le chrysargyre, appelé de ce mot parce qu’il se paye en or et en argent, par opposition aux autres qui admettent pour la plupart le paiement en nature. Le chrysargyre est un impôt prélevé sur l’industrie et le commerce, l’ancien aurum negotiatorium, établi ou développé par Alexandre Sévère et qui a fini par s’étendre à toutes les formes du travail, jusqu’aux plus infimes, le travail agricole excepté. La capitation plébéienne, expulsée des villes, est reportée en effet sur les travailleurs des champs et, comme les petits propriétaires ont fait place à cette classe de fermiers héréditaires qu’on appelle les colons[19], elle ne frappe somme toute que ceux-ci, et aussi par contrecoup leurs maîtres, tenus de faire l’avance en leur nom, sauf à s’arranger pour rentrer dans leurs frais.

[IMPÔTS SPÉCIAUX AUX CLASSES SUPÉRIEURES] Si les classes supérieures sont dispensées de la capitation humaine, elles n’en sont pas moins astreintes à certaines contributions personnelles en sus de la contribution foncière. Les décurions payent l’or coronaire qui a été à l’origine une offrande, censée volontaire, des provinciaux aux généraux victorieux, puis aux gouverneurs et qui est devenu finalement un impôt d’État obligatoire et régulier. Les clarissimes ou membres de l’ordre sénatorial paient l’aurum oblatitium, qui est un impôt analogue au précédent, plus une contribution foncière supplémentaire, la follis ou gleba senatoria, dont le montant comporte plusieurs degrés. Les clarissimes promus à la préture sont fortement taxés. Ils doivent célébrer des jeux publics dans la capitale de l’Orient ou de l’Occident. La même dépense incombe, dans leur ville, aux magistrats municipaux. En général, il n’est pas de haut fonctionnaire qui ne doive payer le prix de son élévation. La vénalité des charges est une source de revenus pour le trésor et, dans beaucoup de cas, la contrainte intervient où la vanité ne suffit point.

[PRESTATIONS] Les prestations tiennent dans ce système une place énorme, si bien qu’on peut se demander si elles ne représentent pas dans l’impôt la part la plus lourde. Nous nous contenterons de mentionner les corvées pour l’entretien des routes et autres travaux de ce genre, les fournitures pour la poste, les fournitures pour l’armée, fournitures de chevaux, de vivres, de vêtements, de matières premières pour les manufactures d’armes, sans compter la fourniture des conscrits, et avec cela l’obligation de loger les troupes, de défrayer l’Empereur et sa suite ou toute personne voyageant par son ordre. Toutes ces prestations sont dues par la propriété foncière qui, étant le principal facteur de la richesse, est grevée à proportion. Il y a aussi des services exigés de certaines corporations d’industriels et d’artisans. La corporation des bateliers (navicularii) est tenue de procurer les convois par eau ayant un motif d’utilité publique.

[ADMINISTRATION FINANCIÈRE] L’administration financière centrale est entre les mains du comte des largesses sacrées (vir illuster comes largitionum sacrarum) et du comte de la fortune privée (vir illuster comes rerum privatarum). Ils disposent chacun d’un personnel provincial distinct.

Du comte des largesses sacrées dépendent, en Gaule, l’intendant du diocèse des Gaules ou diocèse de Trèves (rationalis summarum Galliarum) et l’intendant du diocèse de Vienne, appelé intendant des cinq provinces (rationalis summarum quinque provinciarum), en souvenir du temps où le diocèse ne comptait que cinq provinces, avant la création de l’Aquitaine et de la Narbonnaise secondes. Puis viennent les quatre préposés des trésors (praepositi thesaurorum) résidant à Lyon, à Arles, à Reims, à Trèves. Dans le même service sont compris les procurateurs ou directeurs des manufactures impériales et notamment des hôtels monétaires de Trèves, d’Arles, de Lyon.

Le comte de la fortune privée a sous son autorité, dans chacun des deux diocèses, un intendant de la fortune privée (rationalis rei privatae per Gallias et rationalis rei privatae per quinque provincias), un préposé de la fortune privée dans la Germanie première et la Séquanie, où l’Empereur avait de vastes domaines (praepositus rei privatae per Sequanicum et Germaniam primam), et enfin les procurateurs des fabriques qui se rattachent à ce service.

Les fonctionnaires de l’ordre financier, intendants et préposés des trésors, ne sont chargés ni de la confection du cadastre, ni de la répartition, ni de la perception de l’impôt. C’est le préfet, ce sont les vicaires et les gouverneurs qui directement ou indirectement président à ces opérations. Ils n’ont, quant à eux, qu’à encaisser les fonds qui sont versés en partie dans la caisse centrale, en partie dans celle du préfet (arca praefecturae), car le préfet règle directement, sauf approbation supérieure, les dépenses de son administration, et pourvoit en outre, dans toute l’étendue de son ressort, à l’entretien et à la solde des troupes.

[BUDGET DES DÉPENSES] Les charges du gouvernement étaient légères, comparées à ce qu’elles sont de nos jours. Sans doute il fallait suffire au luxe des deux cours, et il était excessif. Il fallait nourrir la plèbe des deux capitales. Il fallait semer l’or chez les Barbares. Mais l’armée en revanche était loin d’atteindre à nos effectifs, et le fonctionnarisme, bien qu’il se fût beaucoup développé, ne comportait pas un personnel dépassant le nôtre. Il n’y avait à rétribuer ni un corps diplomatique, ni un corps enseignant, et de plus il n’existait pas une dette publique dont il y eût à payer les intérêts. Si donc il est permis de juger du budget des recettes par celui des dépenses, il ne semble pas que le premier ait dû paraître trop lourd. Il l’était pourtant, à en croire les écrivains contemporains[20]. Et l’on fera tant qu’on voudra la part de la déclamation dont la littérature de cette époque est comme infestée, on ne peut méconnaître dans ces témoignages une large part de vérité.

[MALAISE ÉCONOMIQUE] Il faut renoncer, avec les données dont nous disposons, à fixer le montant de l’impôt dans la Gaule et ailleurs. Il se peut qu’en principe il n’ait pas excédé les facultés du contribuable, mais diverses causes contribuaient à aggraver le poids de la fiscalité. D’abord les troubles, les invasions, le malaise économique qui en était la conséquence. Constantin, de passage à Autun en 311, remit aux Éduens l’arriéré de leurs contributions depuis cinq ans et les réduisit du quart pour l’avenir[21]. Ce peuple venait de traverser une crise terrible. Il avait soutenu quarante ans plus tôt une lutte désespérée pour l’unité de l’Empire, et ses blessures n’étaient pas encore fermées. Mais combien d’autres avaient subi les mêmes désastres et appelaient le même remède. Gratien (367-383) fit remise de l’impôt à la Gaule entière[22]. Les faveurs de ce genre étaient devenues fréquentes. Elles attestent le mal dont elles sont le correctif nécessaire et insuffisant.

[RAPACITÉ DES FONCTIONNAIRES] Une autre plaie, favorisée par la faiblesse du pouvoir central, était la rapacité des fonctionnaires. Lorsque Julien arriva dans la Gaule, en 356, il la trouva écrasée, haletante sous son fardeau. Lorsqu’il la quitta après quatre ans d’un gouvernement réparateur et glorieux, il la laissa dégrevée dans une forte proportion[23]. Mais il avait dû briser l’opposition du préfet Florentius. Ce dernier proposait d’ajouter aux recettes normales des taxes additionnelles. La mesure était d’un usage courant et produisait partout les mêmes mauvais effets. Julien la repoussa énergiquement. Il démontra par des calculs qu’elle était inutile, et comme le préfet tenait bon et lui présentait l’édit tout rédigé et prêt pour la signature, il s’empara du papier dans un mouvement de colère et le jeta à ses pieds.

Ce qui plus que tout le reste rendait l’impôt intolérable, c’est la manière dont il était établi et perçu. A y regarder de près, les plaintes portent là-dessus presque exclusivement.

Une première observation est à faire. Les sujets de l’Empire, en payant l’impôt, n’avaient pas, comme les peuples modernes, la satisfaction d’en fixer le chiffre, d’en régler et d’en surveiller l’emploi. Il leur apparaissait, non comme une juste dette, mais comme une exigence tyrannique. Ils étaient d’autant plus portés à s’en plaindre qu’ils ne pouvaient apprécier dans quelle mesure il était utile.

[INCONVÉNIENTS DES PRESTATIONS ET CORVÉES] Une bonne partie de l’impôt se payait en nature, c’est-à-dire en prestations et en corvées. L’État aujourd’hui ne veut des contribuables que leur argent. Il leur réclamait alors quelque chose de plus. Il leur demandait de pourvoir avec lui aux services publics, soit en lui fournissant les denrées dont il avait besoin, soit en exécutant les travaux dont il avait la charge. Aux agriculteurs il demandait une part de leur récolte, de leur bétail, aux artisans de leurs produits, à d’autres le concours de leurs bras, de leur matériel pour ses constructions, ses convois. La rareté du numéraire avait fait imaginer ce système, et l’administration dont il simplifiait la besogne y avait pris goût. Elle s’y était attachée de plus en plus, à mesure que s’introduisait et se développait la détestable pratique des falsifications monétaires. Car la valeur de la monnaie tombait souvent fort bas, tandis que l’utilité des denrées et la somme du travail humain restaient les mêmes, et ainsi la différence se soldait par un gain pour l’État et une perte pour les particuliers. La corvée avait un autre inconvénient qui lui était propre. Elle était vexatoire en même temps qu’onéreuse, elle enlevait l’homme à ses occupations, à ses habitudes, elle l’exposait aux abus de pouvoir des fonctionnaires. Et comme les prestations n’allaient pas sans corvées, toute fourniture exigeant un transport, l’impôt en nature pesait sur les populations de tout son poids. Pour toutes ces raisons il paraissait intolérable, et l’on considérait comme une faveur qu’il fût remplacé par l’impôt en espèces.

[INCONVÉNIENTS DE LA DÉCLARATION] La déclaration obligatoire mettait aux prises le contribuable et les agents du fisc, le premier s’appliquant à déprécier son avoir, les autres s’ingéniant pour l’estimer à sa valeur, et trop souvent même au-dessus. Dans ce duel ils étaient soutenus par la dureté des lois romaines. Non seulement ils étaient armés contre les fraudeurs d’une pénalité qui allait jusqu’au dernier supplice, mais de plus, pour obtenir des déclarations conformes ou supérieures à la vérité, ils pouvaient employer la torture. Ils en usaient, sinon contre les propriétaires qui pour la plupart y échappaient, grâce à leur condition, du moins contre leurs serviteurs, leurs esclaves, leurs colons cités en témoignage. A plus forte raison y avaient-ils recours quand il s’agissait des impôts directs pesant sur les classes inférieures, sur la plèbe agricole ou urbaine, la capitation humaine ou le chrysargyre. L’opération du cens devenait ainsi l’occasion de scènes odieuses qui expliquent les haines qu’elle a soulevées.

[MOYENS DE CONTRAINTE] Les moyens employés contre le contribuable récalcitrant, si toutefois il n’y était pas soustrait par sa place dans la hiérarchie sociale, n’étaient pas moins barbares. C’est en vain que Constantin interdit la prison, la flagellation et les autres sévices de ce genre pour ne plus admettre que les arrêts forcés (custodia militaris) et le séquestre. II n’empêcha pas le renouvellement de ces cruautés.

Les rigueurs déployées dans la perception tenaient à deux causes : à un abus qui rejetait sur les classes les moins capables de le supporter le principal fardeau de l’impôt, et à une législation qui rendait responsables de l’impôt ceux mêmes qui étaient chargés de le recouvrer.

La formation d’une puissante aristocratie foncière, comprenant les clarissimes, les spectabiles, les illustres, et l’affaiblissement progressif de l’autorité publique, il y a là deux faits qu’on ne peut séparer et qui comptent parmi les plus importants de cette époque. Nous aurons à y revenir[24]. Mais il faut dès à présent en signaler une conséquence.

[L’ARISTOCRATIE SE DÉROBE À L’IMPÔT] Les grands propriétaires ne négligeaient rien pour se dérober à l’impôt. Les crises incessantes où se débattait l’Empire, la fréquence des compétitions pour le souverain pouvoir rendaient leur concours précieux. Ils obtenaient en échange des immunités collectives ou individuelles dont le nombre allait croissant et tarissait une bonne part des revenus de l’État. Quand néanmoins il fallait s’acquitter, ils le prenaient de haut. Avec les petites armées qu’ils pouvaient lever sur leurs vastes domaines, ils repoussaient les envoyés du gouvernement par la force. Le plus souvent ils s’entendaient avec eux sans trop de difficulté. Le registre des contributions devenait ainsi ce tissu de fraudes dont parle Ausone[25]. S’il s’agissait de nouvelles charges, ils s’arrangeaient pour les faire retomber sur d’autres. Si l’Empereur accordait un dégrèvement, ils trouvaient moyen de s’en réserver le bénéfice. Les gouverneurs et fonctionnaires de tout grade n’osaient entrer en lutte avec ces personnages, qui occupaient dans leur pays une situation éminente et dont beaucoup avaient exercé les premiers emplois dans l’administration ou à la cour. Et puis, ils appartenaient eux-mêmes à la caste sénatoriale et n’étaient que trop intéressés à fermer les yeux sur ses méfaits.

[L’IMPÔT REJETÉ SUR LES PAUVRES] Le résultat, c’est que les pauvres payaient pour les riches, et, comme il fallait à tout prix regagner d’un côté ce qu’on avait perdu de l’autre, plus on était facile aux seconds, plus on se montrait impitoyable aux premiers. Il faut lire sur ce sujet les tirades enflammées de Salvien. Elles sont confirmées de tout point par les Codes et les historiens. Ce ne fut pas là une des moindres causes parmi celles qui amenèrent la disparition de la petite propriété. Le petit propriétaire, en cédant sa terre au grand pour la cultiver en son nom, à titre de colon, se trouvait affranchi de l’impôt foncier, et quant à la capitation personnelle, qu’il devait subir en retour, l’intervention du maître lui en rendait le poids plus léger. Le travailleur des villes n’avait pas cette issue, bien que lui aussi recourût volontiers au patronage pour se défendre contre les exigences du fisc. C’est pour cela que le chrysargyre a été peut-être de tous les impôts le plus exécré.

[LES CURIALES RÉPARTITEURS ET PERCEPTEURS RESPONSABLES] Au-dessous des sénateurs de l’Empire, des clarissimes, venaient  les membres des sénats municipaux, les décurions ou curiales, qui  étaient des propriétaires moyens. Cette classe était proprement la  chose du fisc. Les curiales ne payaient pas seulement, outre l’or coronaire, l’impôt foncier, chacun pour son compte. Ils le supportaient pour tous leurs concitoyens, à titre de répartiteurs, de collecteurs et de garants. Le chiffre de l’impôt une fois fixé pour la cité dans son ensemble, ils commençaient par le diviser entre les contribuables. Puis ils tiraient de la curie même des exacteurs chargés de le faire rentrer. Puis enfin ils étaient tenus d’en verser intégralement le montant. En les soumettant à ces obligations, le gouvernement se débarrassait de beaucoup de soins et de frais, et surtout il s’assurait d’un gage pour sa créance. Il n’avait pas vu que ces avantages étaient minces auprès des maux dont il fallait les acheter. Il avait ouvert ainsi, sans s’en douter, une des plaies par oh s’écoulèrent les forces vives, matérielles et morales, de la société romaine.

[EXACTIONS ET RUINE DES CURIALES] Il y avait un premier danger à laisser une partie des contribuables régler la quote-part de tous. La tentation était trop forte de s’exonérer ou de se soulager aux dépens d’autrui. Les curiales se soulagèrent, non aux dépens des gros propriétaires, des sénateurs — de ce côté ils trouvaient à qui parler —, mais aux dépens des petits. Le pire, c’est qu’ils étaient responsables en cas de déficit, les exacteurs d’abord, puis à leur défaut ceux qui les avaient cautionnés, puis en dernier lieu la curie tout entière qui les avait nommés et était solidaire. En poursuivant les débiteurs de l’État, c’était donc leur propre fortune qu’ils mettaient à l’abri, et l’on devine à quel point cette pensée stimulait leur ardeur. Autant de curiales, a dit Salvien, autant de tyrans[26], et il était impossible qu’il n’en fût pas ainsi, mais l’âpreté même qu’ils apportaient à cette besogne tournait à leur perte. La petite propriété s’épuisant sous leurs coups, c’était la leur qui était menacée et finalement dévorée. C’était, en d’autres termes, la propriété moyenne qui succombait après la petite. Pour se soustraire à la ruine, ils n’avaient qu’une idée : sortir de la curie. Quelques-uns y arrivaient par une faveur exceptionnelle. II fallait pour cela que l’Empereur les fit entrer dans l’ordre sénatorial. Pour le plus grand nombre, la curie était une geôle qui ne les lâchait plus.

[LES CURIALES OTAGES DU FISC] L’intérêt du fisc était trop évident. Il n’avait pas mis la main sur ces otages pour les laisser s’échapper. De là toutes les lois qui pesaient si lourd sur les curiales, interdiction d’habiter en dehors de la ville, d’aliéner leurs propriétés par vente ou par testament, obligation pour les fils de succéder à la charge du père, etc. La curie ne veillait pas à l’exécution de ces lois moins strictement que l’État. Elle intervenait énergiquement pour ramener à sa chaîne le collègue dont la défection aggravait d’autant le fardeau commun.

[CONSÉQUENCES DU SYSTÈME. STAGNATION SOCIALE] Les curiales n’étaient pas les seuls qui fussent rivés de père en fils à leur condition. En frappant d’un impôt spécial chaque classe de citoyens, l’État s’était condamné à une tâche ingrate. Il lui fallait tenir la main à ce que chacune fût en mesure de payer son dû. Et comme, d’autre part, il exigeait de certains groupes des services qu’aujourd’hui il obtient de ses entrepreneurs, ce n’était pas seulement la fortune du groupe, c’était son effectif qu’il lui fallait maintenir au même niveau. Les navicularii ou bateliers, qui convoyaient les transports publics, les ouvriers des arsenaux et des fabriques impériales, les employés de l’administration (officiales), les boulangers (pistores), les marchands de porcs et de bestiaux (suarii, pecuarii) qui fournissaient le pain et la viande pour les distributions de Rome et de Constantinople, formèrent comme des castes héréditaires dont on ne devait distraire ni un homme ni un denier. Des raisons du même ordre enchaînèrent le soldat à l’armée, le colon à la glèbe. L’homme, enfermé dans une destinée sans issue, sentit son énergie décroître. Il ralentit son travail et rétrécit sa pensée. II perdit le sens des intérêts généraux sans lequel il n’est plus de patriotisme. Il ne chercha plus à améliorer son sort. Un poison mortel se répandit dans le corps social, engourdit les intelligences et les volontés. Le mal avait bien des causes, mais quand on veut expliquer cette sorte de stagnation générale qui caractérise la fin de l’Empire, il ne faut pas oublier qu’elle tient, pour une part, à une mauvaise conception du régime fiscal.

 

III. - LE SERVICE MILITAIRE ET LE NOUVEAU SYSTÈME DÉFENSIF[27].

LE système d’Auguste n’avait pas empêché les invasions. On employa, pour les prévenir, des moyens nouveaux. L’armée fut divisée en deux groupes, l’un sur la frontière, l’autre à l’intérieur, ce dernier servant de soutien au précédent, et de plus fournissant aux villes les garnisons dont le manque s’était fait sentir si cruellement au nie siècle.

[L’ARMÉE DE LA FRONTIÈRE] L’armée des frontières était sédentaire, fixée au sol, intéressée à le défendre parce qu’elle en avait la propriété. Elle avait pris Ce caractère depuis un siècle environ, quand Septime Sévère eut installé les soldats en dehors des camps, avec leurs femmes et leurs enfants et quand Alexandre Sévère eut accordé un lot de terre à chacun d’entre eux. La terre ainsi concédée était franche d’impôts, mais elle entraînait à tout jamais, pour le bénéficiaire, l’obligation du service. Aussi ne pouvait-elle être transmise qu’à un héritier mâle, et si elle tombait en déshérence, elle devait passer à quelqu’un qui pût en assumer la charge. Ce fut une organisation analogue à celle qui fut établie en Autriche, sur les confins danubiens, pour faire face aux invasions des Turcs.

[L’ARMÉE DE L’INTÉRIEUR] Aux troupes de la frontière, aux limitanei ou riparienses, s’opposent les palatini, les comitatenses, les pseudo-comitatenses, les deux derniers corps ainsi appelés parce qu’ils formaient ou étaient censés former le cortège de l’Empereur (comitatus), les autres parce qu’ils étaient attachés à son palais (palatium), ce qui les faisait placer en tête de la hiérarchie, avant les comitatenses et, à plus forte raison, avant les pseudo-comitatenses. C’était l’armée de campagne, plus nombreuse, plus solide, plus considérée aussi que l’armée de la frontière laquelle n’était qu’une armée de couverture, destinée à subir le premier choc. Les palatini et les comitatenses ne se confondaient pas avec la garde impériale au sens étroit, c’est-à-dire avec les scolares, les domestici, les protectores, qui avaient remplacé les prétoriens et n’étaient guère qu’une troupe de parade.

[INFANTERIE ET CAVALERIE] L’infanterie et la cavalerie étaient nettement séparées. L’infanterie comprenait des légions, des cohortes, des auxilia. La cavalerie des vexillations, des ailes, des equites et des cunei equitum. Le nombre des légions avait été augmenté et leur effectif réduit de cinq mille hommes à mille ou deux mille. Contre un ennemi opérant par petites bandes, on avait jugé qu’il fallait des corps plus mobiles, plus alertes. Ce fut la même raison qui fit donner plus d’importance à la cavalerie.

[MAÎTRES DE LA MILICE. DUCS ET COMTES] Si l’on excepte les scolares, les domestici, les protectores qui, par une précaution trop justifiée, dépendaient d’un fonctionnaire civil, le maître des offices, chef de la maison de l’Empereur, toutes les forces de l’Empire, dans l’Occident, étaient placées sous les ordres de deux commandants supérieurs, concentrant dans leurs mains les attributions du généralissime et du ministre de la guerre, les deux maîtres de la milice dits praesentales, parce qu’ils résidaient à la cour, et préposés l’un à l’infanterie, l’autre à la cavalerie (vir illuster magister peditum, vir illuster magister equitum). C’était encore une pensée de méfiance qui avait fait imaginer ce partage, malgré les inconvénients qu’il offrait au point de vue militaire. Toutefois il pouvait arriver que le commandement des deux armes fût attribué à un seul homme qui prenait alors le titre de maître des deux milices (magister utriusque militiae). Au-dessous des maîtres de la milice venaient les généraux ou duces, les ducs, dont le commandement embrassait une ou plusieurs provinces. Ils étaient au rang des spectabiles et quelques-uns recevaient le titre de comte.

[L’ARMÉE DE LA GAULE] La Notice des Dignités nous fait connaître l’état militaire de la Gaule à la fin de la domination romaine. Nul autre pays n’était plus garni de troupes. On n’y rencontrait qu’une légion palatine, les légions de cette catégorie étant attachées par définition au quartier général, c’est-à-dire à l’Italie. Mais tous les autres corps y étaient largement représentés. Sur douze légions palatines dont se composait l’armée de l’Occident, la Gaule en possédait donc une ; sur trente-deux légions comitatenses, neuf ; sur dix-huit légions pseudo-comitatenses, dix ; sur soixante-cinq auxilia palatina, seize ; sur trente-deux vexillations palatines, cinq ; sur trente-deux vexillations comitatenses, sept. C’était plus du quart de l’armée totale. Et nous ne comptons pas les corps de lètes et de gentiles dont il sera question plus loin, et l’on sait d’ailleurs que le texte de la Notice présente des lacunes qui laissent ces chiffres au-dessous de la réalité.

[LE MAÎTRE DE LA MILICE POUR LA GAULE] L’importance de la Gaule au point de vue militaire explique une mesure dont la Notice témoigne, au moins pour la date où elle fut rédigée, et dont il n’y a point d’autre exemple dans aucune partie de l’Occident, l’institution d’un maître de la milice placé, sous l’autorité suprême des deux magistri praesentales, à la tête de toutes les forces accumulées entre les Pyrénées et le Rhin. Il s’intitulait maître de la cavalerie dans les Gaules (vir illuster magister equitum Galliarum ou per Gallias), mais il commandait aussi à l’infanterie. Sa résidence était à Trèves, capitale de la préfecture et métropole de la Belgique première. C’est pourquoi cette province, placée sous son autorité immédiate, n’est point comprise dans les commandements en sous-ordre qui se partageaient le pays.

Ces commandements étaient au nombre de six, dont un confié à un comte et les cinq autres à des ducs.

[COMMANDEMENTS SUR LA FRONTIÈRE] Le comte de Strasbourg ou du territoire de Strasbourg (cornes Argentoratensis ou tractus Argentoratensis) était le plus élevé en dignité parmi ces généraux. Son ressort était pourtant des plus restreints. Resserré d’une part entre les Vosges et le Rhin qui marquait à cette époque la limite des possessions romaines, c’est tout au plus s’il couvrait, du nord au sud, la superficie de l’Alsace actuelle. Au nord il s’arrêtait à la garnison de Saletio (Seltz), comprise dans le domaine du due de Mayence, et au sud il ne semble pas qu’il dépassât Brisach. Mais les pouvoirs du comte de Strasbourg n’étaient pas renfermés dans ces bornes étroites. II avait sur ses collègues chargés de la défense de la frontière germanique une suprématie analogue à celle qu’avaient autrefois les légats consulaires sur les légats prétoriens. On remarque que la Notice ne mentionne aucun corps de troupes comme étant directement sous sa main, ce qui tient peut-être à ce qu’il disposait des troupes de ses voisins. Peut-être aussi n’y a-t-il pas là autre chose qu’une omission.

Le duc de Séquanie (dux provinciae Sequanici), à Besançon, ne dispose, d’après la Notice, que d’un corps de troupes dont le nom ni la garnison n’ont pu être déterminés avec certitude. Cette fois encore nous sommes en droit de soupçonner une erreur dans la rédaction ou la copie du document.

Le duc de Mayence (dux Mogontiacensis) dispose de onze corps cantonnés à Saletio (Seltz), à Tabernae (Saverne), à Vicus Julius (Gemersheim ?), à Nemetes (Spire), à Altaripa (Altrip), à Vangiones (Worms), à Mogontiacum (Mayence), à Bodobrica (Bopport), à Confluentes (Coblenz), à Antonacum (Andernach).

Le duc résidant à Cologne n’est mentionné qu’à la table des matières de la Notice. Le feuillet qui le concerne a disparu[28].

[COMMANDEMENTS MARITIMES. FLOTTES] Les pirateries des Saxons, préludant à celles des Normands, avaient nécessité la création de grands commandements le long de l’Océan. Déjà le duc résidant à Cologne avait sous sa dépendance la tête de la mer du Nord jusqu’au Pas-de-Calais. Le duc de la Belgique seconde, entre le Pas-de-Calais et l’embouchure de la Somme, disposait de trois corps cantonnés à Marci ? (Marck ? Pas-de-Calais), à Quarte (?) sur la Sambre (locus Quartinus) ou à Hargnies ?, arrondissement d’Avesne (locus Horniensis), à Blankenberg (?) (portus Aepatiacus). Le duc du territoire Armoricain et Nervien (dux tractus Armoricani et Nervicani) était celui qui avait le gouvernement le plus étendu. Il commandait sur tout le littoral depuis l’embouchure de la Somme jusqu’à celle de la Gironde et disposait de dix corps cantonnés à Grannona (Port-en-Bessin ?), à Blabia (Blaye ?), à Veneti (Vannes), à Ossismi (dans le Finistère), à Manatias ? ou Namnetes (Nantes), à Aleto (Guich-Alet, Côtes-du-Nord), à Constantia (Coutances), à Rotomagus (Rouen), à Abrincati (Avranches), à Grannono ? (identique peut-être à Grannona).

La flotte de Bretagne créée par Claude et dont le point d’attache était encore sous Dioclétien le port de Gesoriacum, devenu plus tard Bononia (Boulogne), n’est plus citée dans la Notice. Elle est remplacée par la classis Sambrica in loco Quartensi sine Horniensi, autrement dit par la flotte de la Somme (Samara), stationnée très vraisemblablement à l’embouchure de cette rivière et relevant du duc de la Belgique seconde.

La flottille du Rhin n’avait pas cessé d’exister et de coopérer à la défense de la frontière[29].

[COMMANDEMENTS À L’INTÉRIEUR. SURVEILLANCE DES FLEUVES] Les fleuves étaient attentivement surveillés à l’intérieur. Comme au VIIIe siècle de notre ère, ils étaient la grande route d’invasion pour les pirates du Nord, ce qui ne les empêchait pas d’ailleurs d’être préférés par les populations aux chemins de terre, car les belles chaussées romaines avaient beaucoup souffert des guerres civiles et des incursions germaniques. Une escadre était stationnée à Andresy (classis Anderelianorum), au confluent de la Seine et de l’Oise. Elle nous est donnée comme relevant directement du maître de l’infanterie attaché à la résidence impériale (magister peditum praesentalis), mais il n’est pas douteux qu’elle ne fût placée en fait sous les ordres du duc d’Armorique (dux tractus Armoricani et Nervicani). L’autorité de cet officier général ne s’étendait pas seulement sur les trois provinces côtières, la Lyonnaise seconde, la Lyonnaise troisième et l’Aquitaine seconde. Il commandait encore dans les deux provinces éminemment continentales de l’Aquitaine première, métropole Bourges, et de la Lyonnaise Sénonaise, métropole Sens, et c’était dans cette dernière précisément qu’évoluait l’escadre de la Seine. Il tenait ainsi sur tout leur parcours les deux grandes voies fluviales de l’Ouest. La Loire et la Gironde n’avaient pas d’escadres qui leur fussent propres, mais elles étaient gardées à leur embouchure par les garnisons de Nantes et de Blaye. La Garonne, qui séparait l’Aquitaine première de la Novempopulanie, était aussi très probablement surveillée par le duc d’Armorique.

[GARNISONS DU SUD-OUEST ET DU SUD-EST] Les grands commandements que nous venons d’énumérer embrassaient la majeure partie de la Gaule, l’Est, le Nord, le Centre et l’Ouest. Ils enveloppaient et excluaient les provinces du Sud-Ouest et du Sud-Est, la Novempopulanie, les deux Narbonnaises, la Viennoise et la Lyonnaise première. Ces provinces, pour être moins menacées et par conséquent moins fortement occupées, n’étaient pourtant pas dépourvues de troupes, mais ces troupes dépendaient du maître de l’infanterie praesentalis en résidence à Milan. Elles se composaient de deux cohortes, l’une dans la Novempopulanie, à Lapurdum (Bayonne), l’autre dans la Viennoise, à Cularo (Grenoble). Les autres corps appartenaient à la marine. C’étaient, dans la Lyonnaise première, la flotte de la Saône à Cabillonum (Chalon) ; dans le bassin rhodanien, appelé par la Notice la Gaule riveraine (Gallia ripensis), la flottille du Léman, à Ebrodunum, près Villeneuve, la flottille du Rhône, à Vienne et à Arles, et enfin, à Marseille, les soldats dits Muscularii, du mot musculus, bateau. Nous ne connaissons point de garnison dans les deux provinces alpestres. L’ordre y était maintenu par des troupes détachées de la Gaule, de l’Italie, de la Rétie.

Les arsenaux et fabriques d’armes de Strasbourg, de Mâcon, d’Autun, de Soissons, de Trèves, de Reims, d’Amiens, étaient sous la direction du maître des offices.

Depuis trois siècles l’armée romaine tendait à devenir une armée barbare. Cette évolution se trouva accélérée par les lois sur le recrutement.

[RECRUTEMENT. FOURNITURE DES CONSCRITS] Le métier de soldat était devenu, comme tant d’autres, héréditaire. Ce n’étaient pas seulement les soldats laboureurs des frontières, c’étaient tous les vétérans dont les fils se voyaient enchaînés à la condition paternelle. Toutefois l’armée ne pouvait suffire à s’alimenter elle-même. Les sujets de l’Empire ne furent donc pas plus qu’autrefois dispensés du service. La différence c’est que le service pesa, non plus sur l’individu, mais sur la terre. Il eut pour base, comme l’impôt foncier, l’unité cadastrale appelée jugum ou caput. Chaque propriétaire ou chaque groupe de propriétaires eut à fournir un nombre d’hommes en rapport avec l’étendue et la valeur de la propriété. Les grands propriétaires durent en fournir plusieurs. Les petits ou les moyens durent s’associer pour en fournir un. Ils n’étaient pas tenus de servir eux-mêmes ; ils n’y étaient même pas autorisés pour peu qu’ils appartinssent à la classe des curiales. Ils livraient des conscrits qu’ils recrutaient parmi leurs colons, leurs affranchis, leurs esclaves, à condition, pour ces derniers, de les affranchir préalablement.

[L’IMPÔT EN ARGENT SUBSTITUÉ À L’IMPÔT EN HOMMES] Quelquefois, au lieu d’hommes, l’État leur demandait de l’argent, et alors c’était lui qui, avec cet argent, achetait les hommes dont il avait besoin. Il se borna de plus en plus à cette exigence, et il avait à cela un double intérêt. Il réalisait un bénéfice en détournant de leur emploi une partie des sommes versées. Il se procurait aussi, à meilleur compte, des éléments supérieurs. La qualité des recrues fournies par les propriétaires laissait très souvent à désirer. Comme ils étaient surtout préoccupés de faire fructifier leurs domaines, ils tâchaient de ne céder que les moins bons de leurs serviteurs, les moins bien doués physiquement et moralement. Ce rebut était avantageusement remplacé par les soldats que l’État choisissait lui-même et qu’il allait prendre pour une bonne part à l’étranger. Et c’est ainsi que l’impôt dit aurum tironicum ne contribua pas peu à multiplier les Barbares dans l’armée.

[L’ARMÉE ENVAHIE PAR LES BARBARES] La légion restait en principe, sinon toujours en fait, le corps essentiellement romain, mais outre qu’elle se composait en majeure partie d’esclaves et d’affranchis, dont beaucoup étaient d’origine étrangère, elle se recrutait exclusivement parmi les populations les plus imparfaitement romanisées. Il s’en faut d’ailleurs qu’elle représente, comme autrefois, le noyau et l’élite de l’armée. Le premier rôle sur le champ de bataille revient à l’infanterie légère des auxilia, à la cavalerie des vexillations, des ailes, des cunei equitum. La plupart de ces corps portent des noms ethniques, rappelant soit les demi-Barbares de l’intérieur, soit les Barbares du dehors. Il n’y a pas jusqu’à la garde personnelle de l’Empereur qui ne soit ainsi formée. Les chefs sont Barbares comme les soldats. La répugnance de l’aristocratie et des Romains en général pour le métier des armes a laissé envahir les grades les plus élevés par des Goths, des Vandales, des Francs. Et comme, en dépit de toutes les réformes, le pouvoir n’a pas cessé d’appartenir à l’épée, ce sont ces hommes qui désormais disposent des destinées de l’Empire, pour le déchirer ou le défendre. Il suffit de citer, parmi tant d’autres, un Sylvanus, un Mérobaude, un Arbogast, un Magnence, un Alaric, un Stilicon.

[CONTINGENTS GALLO-GERMANIQUES] On remarque dans cette période, comme dans la précédente, l’appoint énorme fourni à l’armée par le Nord de la Gaule. Sur soixante-deux légions de toute catégorie figurant dans l’armée  d’Occident, il en est trente-six dont le nom décèle l’origine. Sur ces trente-six il y en a quatorze qu’on peut considérer comme gallo-germaniques. Et sur ces quatorze il n’y en a pas une qui soit tirée des régions du Midi ou du Centre. Les escadrons de cavalerie offrent un aspect plus composite. L’élément danubien, africain, oriental y est fortement représenté. Mais sur quarante auxilia environ qui ont été dénommés d’après leur nationalité, il y en a bien vingt-six qui sont germains ou gaulois. Sur ces vingt-six, onze au moins ont été recrutés dans les limites de l’Empire, et parmi ces onze les seuls dont la provenance soit indiquée avec précision sont des corps de Séquanes, de Tongres, de Nerviens. La vertu militaire du vieux Belgium n’était donc pas épuisée. Les mêmes populations qui avaient opposé une si énergique résistance à César étaient encore celles qui soutenaient, au déclin de la domination romaine, le renom de la valeur gauloise. C’est à elles que s’adressent les éloges décernés à notre race par le plus compétent des juges, l’historien Ammien Marcellin[30]. Les quinze autres auxilia, sur les vingt-six, étaient formés de Barbares d’outre-Rhin, Bataves, Mattiaques, Bructères, Tubantes, Ampsivariens, Hérules, Francs Saliens.

La plupart des troupes levées en Gaule ou dans le voisinage servaient dans ce pays. L’armée gallo-romaine maintint donc jusqu’au bout son même caractère. Sur ce point encore rien ne vaut les chiffres. Légions cantonnées en Gaule : vingt. Avec ethnique gaulois, onze. Avec ethnique breton, une. Auxilia : seize. Avec ethnique gaulois ou germain, huit ; avec ethnique breton, trois. Escadrons de cavalerie, douze. Avec ethnique, six ; avec ethnique gaulois, trois[31].

Les Barbares entraient au service de Rome par des voies et à des titres différents. Ils pouvaient être recrutés individuellement et servir dispersés. Ils pouvaient aussi être enrôlés par masses, en vertu d’un contrat, comme fédérés, ou à la suite d’un acte de soumission, comme déditices, et dans ces deux cas, ils étaient groupés par nations.

[BARBARES FÉDÉRÉS] Les peuples fédérés, qui avaient conservé une existence indépendante, s’engageaient à fournir des soldats en nombre déterminé, et sous certaines clauses dont la plus ordinaire était qu’ils ne seraient pas employés trop loin de leur pays. C’est ainsi que les Germains servant dans la Gaule avaient stipulé qu’ils ne seraient pas appelés au delà des Alpes.

[BARBARES DÉDITICES. GENTILES ET LAETI] Les déditices étaient des vaincus, le plus souvent transplantés sur le sol romain. Ils se divisaient alors en deux classes, les gentiles ou étrangers et les laeti, ce dernier mot emprunté à la langue germanique où il désignait vraisemblablement les hommes de la classe inférieure. Leur condition était analogue à celle des troupes de la frontière, c’est-à-dire qu’ils étaient, moyennant une concession de terres, obligés au service, eux et leurs enfants, à perpétuité. Ils ne formaient pourtant ni des garnisons locales ni des corps spéciaux, mais des espèces de colonies moitié agricoles moitié militaires, où le gouvernement puisait quand il avait besoin de soldats. Chacun de ces groupes était placé sous les ordres d’un préfet et régi d’ailleurs par ses coutumes nationales. Il est difficile de dire en quoi les deux catégories des gentiles et des laeti se distinguaient l’une de l’autre. Ce qu’on voit de plus clair, c’est que les premiers étaient moins considérés que les seconds, et la preuve en est qu’ils sont placés quelquefois à la suite, sous le même chef. De plus les gentiles appartiennent à des nationalités variées : Sarmates, Suèves, Taifales, etc., tandis que les lètes ne se recrutent que parmi les peuples les plus voisins du Rhin.

[GENTILES ET LAETI EN GAULE] C’est apparemment cette raison qui a fait restreindre à la Gaule les établissements létiques, sans préjudice des colonies de gentiles qui s’y rencontrent également, mais qui existaient ailleurs. Il y avait  des lètes Teutons à Chartres, des lètes Francs à Rennes, des lètes Bataves à Arras, à Noyon. D’autres étaient désignés, non d’après leur nationalité, qui était peut-être mêlée, mais d’après leur résidence. Tels étaient les lètes Lingons, disséminés dans diverses localités de la Belgique première ; les lètes Lagenses (de Lagium, Lugige, sur la voie de Bavay à Tongres), près de Tongres ; les lètes Nerviens, à Famars (Fanum Martis), près de Valenciennes ; les lètes Acti (?) à Epusum (?), dans la Belgique première. A Bayeux et à Coutances les lètes Bataves étaient flanqués de gentiles Suèves. Le texte de la Notice, qui est fort altéré en cet endroit, nous fait connaître d’autres gentiles associés à des lètes dont le nom ne nous est pas donné. Ce sont les gentiles Suèves au Mans, à Clermont-Ferrand, les gentiles de Reims, de Senlis. Le même document nous signale plus loin les gentiles cantonnés isolément, les Sarmates avec les Taifales à Poitiers, les Sarmates près de Paris, entre Reims et Amiens, dans le Forez et le Velay, à Langres.

[TRACES LAISSÉES PAR LES GENTILES ET LES LAETI] Ces étrangers finirent par se fondre avec les indigènes. Déjà Zosime, qui écrivait dans la deuxième moitié du Ve siècle, pouvait voir en eux des Gaulois[32]. Ils ont conservé pourtant leur individualité bien après les invasions. Aujourd’hui encore leur souvenir revit sur plus d’un point dans notre toponymie. Les Taifales, signalés par Grégoire de Tours cent cinquante ans après la rédaction de la Notice, possédaient toujours les terres qui leur avaient été concédées par le rescrit impérial. Le pays où ils habitaient portait alors le nom de Theiphalia. Il avait pour centre la petite ville de Tiffauges, dans les Deux-Sèvres. Les noms de Sermaise (Loiret, Marne, Oise, Seine-et-Oise), de Sermoise (Nièvre, Aisne, Yonne), de Sermizelles (Yonne), dérivés de Sarmatia, Sarmatiolae, rappellent un établissement de Sarmates. Ceux de Marmagne (Côte-d’Or, Cher, Saône-et-Loire), d’Allemagne (Calvados) dérivés de Marcomannia, d’Alamannia, un établissement de Marcomans et d’Alamans[33].

[CONCLUSION SUR LA RÉFORME MILITAIRE] La réforme qu’on vient de décrire a suscité, de la part des contemporains et des historiens modernes, beaucoup de critiques qui ne paraissent pas toujours très justifiées. On a critiqué la dislocation des légions, comme si cette mesure n’était pas imposée par les nouvelles nécessités tactiques. On a critiqué la dispersion des troupes à l’intérieur, comme si le contact avec la population civile était fatalement destructif de l’esprit militaire. La vérité c’est que la faiblesse de Rome, en face des envahisseurs, tenait à des causes indépendantes de cette réforme. Nous les avons vues à l’œuvre antérieurement, et elles ne cessèrent pas d’agir après. Dioclétien avait fait effort pour augmenter la puissance numérique de l’armée, mais ni lui ni ses successeurs ne purent triompher des difficultés financières. Les gros effectifs n’existaient que sur le papier. L’armée gallo-romaine, à s’en tenir aux chiffres officiels, devait compter un minimum de cinquante à soixante mille combattants. Julien ne put en amener que treize mille sur le champ de bataille de Strasbourg. Encore ne faut-il pas oublier que les guerres civiles, non moins fréquentes au IVe siècle qu’au IIIe, ne laissaient pas plus qu’autrefois ces forces intactes.

La mainmise des Barbares sur l’armée n’était pas non plus un fait nouveau. S’il y avait là un danger, les empereurs étaient excusables de ne plus s’en rendre compte. Ils avaient besoin de soldats et en cherchaient où ils en pouvaient trouver. Sans doute les mercenaires qu’ils recrutaient au delà des frontières ne se pliaient qu’avec peine à la discipline. Ammien Marcellin nous raconte qu’en 337 des lètes essayèrent un coup de main sur Lyon dont ils saccagèrent les environs, et il ajoute que cet acte de brigandage n’était pas un fait exceptionnel. Mais depuis longtemps l’indiscipline sévissait dans les rangs et, somme toute, les étrangers n’y étaient pas plus enclins que les nationaux. Le grand malheur, c’est que le rôle de l’armée était retourné. Elle avait été pour la civilisation romaine le plus puissant agent de propagande, et elle contribuait maintenant, pour une large part, à introduire les Barbares dans l’Empire. Et à cela encore on peut répondre que la pénétration de l’Empire par la barbarie était un phénomène général, irrésistible, dont nous ne saisissons ici qu’une manifestation. Comment d’ailleurs les empereurs, à demi barbares eux-mêmes, auraient-ils fait pour réagir contre le mouvement qui les avait portés ?

[FORTIFICATION DES VILLES] La réforme militaire fut complétée par la mise en état de défense des villes de l’intérieur. Elles ne pouvaient plus rester ouvertes impunément. Une enceinte fortifiée les abrita désormais contre les surprises. Le travail, entrepris par Aurélien et poursuivi par ses successeurs de la tétrarchie, fut exécuté sur toute la surface de l’Empire. En Gaule, nous voyons par le récit des campagnes de Julien (336-360) qu’il était achevé au milieu du IVe siècle. Nulle part il ne fut conçu dans de plus vastes proportions. Jusqu’alors ce pays n’avait eu de places fortes qu’au sud-est et au nord-est, dans les bassins du Rhône et du Rhin. Il en est maintenant tout hérissé. On n’évalue pas à moins d’une soixantaine les villes où l’on a pu étudier les ruines, plus ou moins apparentes, des remparts élevés à cette époque. Et aux villes il faut ajouter la multitude des châteaux forts, des burgi, des castella.

[ASPECT DES REMPARTS] La décadence de l’art est manifeste dans ces constructions. Nous sommes loin des remparts du Ier siècle, tels qu’on peut les étudier dans les colonies de la Narbonnaise, à Fréjus, à Nîmes, à Arles, avec leur tracé savant, leur appareil régulier, leurs proportions élégantes, leur décoration fine et sobre. L’aspect général des nouvelles enceintes est lourd, disgracieux. Les portes écrasées, trapues, ressemblent à des poternes. Le soubassement est formé de blocs énormes, mal assortis, reposant directement, sans fondations, sur le sol. La partie supérieure seulement trahit une certaine recherche dans les rangées de pierres alternant, suivant la mode du temps, avec de larges assises de briques. Le mur, flanqué de tours arrondies, se développe en ligne droite, défendu uniquement par sa masse. Elle est d’ailleurs d’une solidité à toute épreuve. Elle résistera à l’usure des siècles et ne cédera qu’après de longs efforts au pic des démolisseurs modernes.

Nous avons signalé précédemment[34], dans les fortifications élevées à cette époque, l’emploi de nombreux fragments d’inscriptions, de statues, de bas-reliefs, de fûts de colonnes, de chapiteaux, de frises, d’entablements, tous antérieurs au début du IVe siècle et dont beaucoup portent encore la trace de l’incendie allumé par les Barbares. Il était naturel sans doute d’utiliser de cette manière les débris accumulés par les invasions. Ils formaient comme une carrière où l’on pouvait puiser à pleines mains, pour travailler plus vite et à moindres frais. Il ne parait pourtant pas que cette raison ait été la seule, à en juger du moins par les précautions prises dans l’usage qu’on a fait de ces matériaux. Ils étaient disposés à l’intérieur, protégés par un double revêtement, séparés par un vide du bain de ciment suspendu au-dessus et qui devait s’appuyer primitivement sur une charpente. Évidemment c’est dans une pensée pieuse qu’on les a recueillis et conservés avec tant de soin. Cette préoccupation s’imposait tout particulièrement pour les morceaux d’architecture funéraire et religieuse qu’il importait de préserver contre toute atteinte sacrilège et qui trouvaient dans les flancs de ces murailles un asile respecté. Car les murs des villes participaient du même privilège que les temples et les cimetières : ils étaient considérés au même titre comme des objets sacrés. Et c’est ainsi qu’ils sont devenus, pour notre épigraphie gallo-romaine, une mine dont on n’a pas encore exploité toutes les richesses.

[ASPECT DES VILLES FORTIFIÉES] Il semble que les Barbares, en se retirant, aient laissé comme une table rase, tant le contraste est frappant entre les villes des trois premiers siècles et celles qui s’élevèrent à leur place. Jamais pays ne changea d’aspect si rapidement et si complètement. Par le fait, ce furent autant de villes nouvelles qui surgirent tout à coup sur tous les points de la Gaule, et combien différentes des anciennes, avec leur contour rigide et leur physionomie sévère ! Plus de jour ouvert sur le dehors. Plus de faubourgs débordant librement dans les campagnes. Plus d’air ni de lumière. Des maisons entassées, des rues petites, sombres, encombrées, une enceinte rectangulaire et réduite par les nécessités de la défense à son minimum de développement, tels sont les traits essentiels qui les caractérisent partout. Les plus grandes, comme Poitiers, Bordeaux, Sens, Bourges, ont de 2.000 à 2.600 mètres de tour. D’autres, comme Périgueux, Saintes, n’en dépassent pas ou n’en atteignent pas 1.000. A l’extérieur s’étend, comme un glacis, la portion abandonnée de la ville d’autrefois. Les édifices publics, les théâtres, les amphithéâtres s’y dressent au milieu des ruines, ruinés eux-mêmes le plus souvent et laissés dans cet état, à moins qu’on n’ait pu les comprendre dans l’enceinte où ils font office de bastions.

Pour la population abritée dans ces étroits espaces, derrière les hautes murailles qui l’enserrent et l’étouffent, c’est la vie du Moyen âge qui commence, vie d’isolement et de perpétuelles alarmes. L’unité romaine succombe avec la paix romaine. La grande guerre se désapprend en même temps que la grande politique. La défense, au lieu de se concentrer à la frontière et dans de puissantes armées, se localise et se disperse en luttes partielles. Les hommes voient leur horizon se restreindre avec leur champ d’action. En l’absence d’un gouvernement fort et tutélaire, la Gaule retourne petit à petit à l’état de morcellement d’où Rome l’avait tirée.

 

 

 



[1] SOURCES. Voir chap. I, § 1 et 2, chap. III, § 3 et livre III, chap. II, § 2. Pour l’histoire administrative : I. Code Théodosien, recueil des constitutions impériales à partir de Constantin. Edition avec commentaire, par Godefroy (Lyon, 1665), rééditée par Ritter (Leipzig, 1738-1745). Nouvelle édition du texte, par Hanel, Bonn, 1842. Corpus juris Civilis (codification de Justinien), édit. Krueger, Berlin, 1877. II. Notitia dignitatum et administrationum omnium tam civilium quam militarium in partibus Orientis et Occidentis (Notice des dignités et fonctions tant civiles que militaires en Orient et en Occident), tableau de l’administration de l’Empire rédigé vers 400. Edition avec commentaire par Böcking, Bonn, 1832-1853. Nouvelle édition du texte par Seeck, Berlin, 1876. III. Pour l’organisation provinciale, outre la Notitia dignitatum et les données fournies par le Breviarium de Rufus Festus (vers 369) et par l’histoire d’Ammien Marcellin (vers 390) : 1° le tableau des provinces dressé vers 297 et connu sous le nom de manuscrit de Vérone (laterculus Veronensis) ; 2° le tableau des provinces dressé vers 385 et annexé au calendrier de Polemius Silvius ; 3° la Notitia Galliarum, tableau des provinces et cités de la Gaule, contemporain de la Notitia dignitatum. Ces trois documents sont reproduits dans l’édition de la Notitia dignitatum de Seeck ; 4° les documents ecclésiastiques, et notamment les Actes des Conciles (Sirmond, Concilia antiqua Galliae, 1629. Supplément de Lalande, 1666).

OUVRAGES À CONSULTER. Voir chap. III, § 3. Pour l’histoire administrative : Naudet, Des changements opérés dans toutes les parties de l’administration de l’empire romain sous les règnes de Dioclétien, de Constantin et de leurs successeurs, 1817. Amédée Thierry, Mémoire sur l’organisation de l’administration provinciale dans l’empire romain et particulièrement en Gaule. Séances et travaux de l’Académie des Sciences morales et politiques, 1849. Serrigny, Droit public et administratif romain du IVe au VIe siècle, 1862. Sur l’organisation provinciale Mommsen, Verzeichniss der römischen Provinzen aufgesetzt um 297, Abhandlungen de l’Académie de Berlin, 1862. Trad. par Picot, Revue archéologique, 1866-1867. Brambach, Notitia provinciarum et civitatum Galliae, Rheinisches Museum, 1866. Kuhn, Die Städtische und bürgerliche Verfassung des römischen Reichs, 1865, II, p. 201 et suiv. Ueber das Verzeichniss der römischen Provinzen aufgesetzt um 297, Jahrbücher für classische Philologie,1877. Czwalina, Ueber das Verzeichniss der römischen Provinzen vom Jahre 297, 1881. Jullian, De la réforme provinciale attribuée à Dioclétien, Revue historique, 1882. Duchesne, Les documents ecclésiastiques sur les divisions de l’empire romain au IVe siècle, Mélanges Graux, 1884. Ohnesorge, Die römische Provinz-Liste von 297, 1889. La liste des préfets des Gaules est donnée dans le tome X des œuvres de Borghesi, 1897.

[2] En 296. Voir chap. IV.

[3] Ausone (378-379). Siburius (379). Apollinaris, grand-père de Sidoine Apollinaire (entre 407 et 413). Eparchius Avitus, beau-père de Sidoine (439). Apollinaris, fils du précédent Apollinaris et père de Sidoine (448-449). Tonantius Ferreolus (453). Priscus Valerianus (455-456). Eutropius (470). Polemius (495-477 ?). Voir, sur ces personnages : Borghesi, ouvr. cité.

[4] Aprunculus, gouverneur de la Narbonnaise (Ammien Marcellin, XXII, 1). Voir aussi dans les lettres de Sidoine Apollinaire, IV, 21 ; V, 9, 10, 18, VIII, 6.

[5] Sur ce fait, voir § 2 et livre III, chap. III, § 2.

[6] II, 4.

[7] Ibidem, VII, 75. C’est la Belgique océanienne de Strabon, IV, 4, 1.

[8] Corpus inscript. latin., XIII, 412. Voir Allmer, Revue épigraphique, 1886, p. 109. 1897, p. 295. Sacaze, Inscriptions antiques des Pyrénées, 1892, p. 542-554. Mommsen, cité par Bladé, Géographie politique du Sud-Ouest de la Gaule, Annales du Midi, 1898, p. 456. Hirschfeld, Aquitanien in der Römerzeit, Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1898, p. 6.

[9] Liv. I, chap. II, § 2 et plus loin, chap. III, § 2.

[10] Plus tard seulement, à la fin du VIe siècle, Auch. Corpus inscript. latin., XIII, p. 57.

[11] Ohnesorge soutient contre Kuhn (ouvr. cités) que l’Aquitaine seconde et la Narbonnaise seconde ont été détachées déjà par Dioclétien.

[12] Voir liv. III, chap. I.

[13] L’édit d’Honorius, en 418, nous montre qu’à cette époque le diocèse du Midi tendait de nouveau à se détacher de celui du Nord. Voir chap. III, § 3.

[14] Sur les cités au IVe siècle, voir chap. III, § 9.

[15] SOURCES : Voir § 1.

OUVRAGES À CONSULTER : Sur la justice, liv. I, chap. I, § 4. Sur l’impôt, liv. I, chap. I, § 5. Voir en plus : Giraud, Essai sur l’histoire du droit français, 1846, p. 95 et suiv. Baudi di Vesme, Des impositions de la Gaule dans les derniers temps de l’empire romain, traduit dans la Revue historique de droit français et étranger, 1861. Levasseur, De pecuniis publicis quomodo apud Romanos quarto post Christum saeculo ordinarentur, 1854. Serrigny, ouvr. cité, § 1. Lecesne, De l’impôt foncier dans les derniers temps de l’empire romain, 1868. Bouchard, Etude sur l’administration des finances de l’empire romain dans les derniers temps de son existence, Paris, Guillaumin (pas d’indication de date). Humbert, CAPITATIO et CAPUT dans le Dictionnaire des antiquités de Saglio. Thibault, Les impôts directs sous le Bas-Empire romain, Revue générale de droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1899 et 1900. Platon, La démocratie et le régime fiscal à Athènes, à Rome et de nos jours, p. 72 et suiv., 1899. Pour ce qui concerne les curiales, chap. III, § 2.

[16] Sur le sens de ces expressions, voir liv. I, chap. I, § 4.

[17] Il faut signaler la théorie d’après laquelle la capitation humaine ne serait autre que l’impôt foncier évolué, non plus d’après la mesure et la qualité des terres, mais d’après le nombre d’esclaves ou de colons établis sur les fonds. Sur cette théorie et ce mode d’évaluation, voir Thibault, ouvr. cité.

[18] Livre III, chap. III, § 2.

[19] Livre III, chap. III, § 2.

[20] Voir notamment Lactance, De mortibus persecutorum, 7 et 23. Pour la Gaule du Ve siècle, Salvien, De gubernatione Dei, liv. V.

[21] Panegyrici latini. Gratiarum actio Constantino Augusto, 11-14. Voir Fustel de Coulanges, L’invasion germanique, p. 51, n. 1.

[22] Ausone, Gratiarum actio, 16.

[23] Ammien Marcellin, XVI, 5. Ce texte, très obscur, a été souvent commenté. La seule chose certaine est le dégrèvement. Seeck, Die gallischen Steuern bei Ammian, Rheinisches Museum, 1894.

[24] Liv. III, chap. III, § 2.

[25] Gratiarum actio, 16.

[26] V, 4. Quae enim sunt non modo urbes, etiam municipia atque vici, ubi non quot curiales fuerint, non tot tyranni sint ?

[27] SOURCES : Voir § 1 et, en outre, Végète, Epitoma rei militaris.

OUVRAGES À CONSULTER : Godefroy, Code Théodosien, notamment liv. VII. Böcking, Notitia dignitatum, p. 1044 et suiv., Serrigny, I, p. 300 et suiv., ouvr. cité, § 1. Roulez, Du contingent fourni par les peuples de la Belgique aux armées de l’empire romain, Mémoires de l’Académie de Belgique, 1852. Léotard, Essai sur la condition des Barbares établis dans l’empire romain au IIIe siècle, 1873. Geffroy, Rome et les Barbares, 2e édit., 1874. Mommsen, Das römische Militärwesen seit Diocletian, Hermes, 1889. Fustel de Coulanges, L’invasion germanique, p. 385 et suiv. Humbert, DEDITICII, FŒDUS, GENTILES, dans le Dictionnaire des Antiquités de Saglio. Lécrivain, Laeti, ibidem. — Sur la fortification des villes : Caumont, Abécédaire ou rudiment d’archéologie. Ere gallo-romaine, 2e édit., 1870, p. 817 et suiv. De la Noé, Principes de la fortification antique, 1890. Jullian, Inscriptions de Bordeaux, II, p. 295 et suiv. Schuermans, Remparts d’Arlon et de Tongres. Bulletin des commissions royales d’art et d’archéologie (Bruxelles), à partir de 1877, XVI, XXVII, XXVIII, XXIX. Remparts romains d’Arlon, Publications de l’Institut archéologique du Luxembourg, t. XXVII des Annales, 1893. Blanchet, Les trésors de monnaies romaines et lu invasions germaniques en Gaule, 1900, p. 91 et suiv.

[28] Il y a une difficulté relative à ce personnage. Il est intitulé, à la table des matières de la Notice, duc de la Germanie première. Or la Germanie première a Mayence pour métropole. On est donc amené à se demander en quoi ce duc de la Germanie première pouvait se distinguer du duc de Mayence nommé plus haut. Le plus simple serait de corriger le texte et de lire duc de la Germanie seconde. Mais la leçon de la Notice ne fait pas de doute. On a donc supposé que le duc de la Germanie première tirait ce titre d’une distribution antérieure et l’avait conservé, bien que préposé depuis à la Germanie seconde et chargé de surveiller de Cologne le cours inférieur du Rhin.

[29] Elle n’est pas mentionnée dans la Notice sans doute parce qu’elle relevait du duc résident à Cologne.

[30] XV, 12. Les Gaulois sont soldats à tout âge. Jeunes, vieux courent au combat avec la même ardeur. Jamais on ne les voit, comme les Italiens s’amputer le pouce pour échapper au service. L’épithète de murcas (poltron), qui vient de là, est inconnue dans ce pays.

[31] La répugnance des corps gallo-romains à combattre loin de leur pays se manifeste clairement dans les faits qui amenèrent l’élévation de Julien à l’Empire (chap. IV).

[32] II, 54.

[33] Longnon, Géographie de la Gaule au VIe siècle, p. 176. D’Arbois de Jubainville, Recherches sur l’origine de la propriété foncière et des noms de lieux habités en France, p. 413-415.

[34] Chap. I, § 2.