LA GAULE INDÉPENDANTE ET LA GAULE ROMAINE

DEUXIÈME PARTIE. — LA GAULE ROMAINE

LIVRE PREMIER. — LE GOUVERNEMENT DE LA GAULE AU Ier ET AU IIe SIÈCLES AP. J.-C.

CHAPITRE PREMIER — LE GOUVERNEMENT CENTRAL

 

 

I. — LA MONARCHIE IMPÉRIALE[1]

[LA MONARCHIE NON HÉRÉDITAIRE. LE SÉNAT. SOURCE DE L’AUTORITÉ] LA conquête de la Gaule coïncide avec la révolution qui aboutit à  l’établissement de la Monarchie impériale. Ce gouvernement a été le nôtre durant plusieurs siècles. Il a façonné nos esprits et laissé une empreinte ineffaçable sur nos mœurs et nos lois. Il importe donc d’exposer brièvement en quoi il consistait.

Le principe fondamental du droit public à Rome était la souveraineté populaire incarnée dans les comices et dans le Sénat. L’Empire supprima les comices, et le Sénat, devenu seul dépositaire de la souveraineté, resta la source unique de l’autorité légitime. Les empereurs ne furent jamais considérés que comme ses délégués et, par son intermédiaire, comme les délégués du peuple dont il demeurait le représentant. L’idée d’hérédité se trouva par là nettement séparée de l’idée de monarchie. Elles purent se confondre dans la pratique. L’Empereur régnant put s’arranger pour laisser sa succession à son fils, mais ce ne fut jamais sans y être autorisé par un vote du Sénat. Jusqu’aux derniers jours de l’Empire, alors que depuis longtemps l’hérédité était entrée dans les faits, la théorie fut la même, et Justinien la professe encore dans la préface du Digeste.

[LA MONARCHIE ABSOLUE] Si rien dans les doctrines politiques des Romains ne les conduisait à la monarchie héréditaire, tout leur ouvrait la voie vers la monarchie absolue. La souveraineté déléguée restait la souveraineté. Exercée par le peuple ou confiée par lui à un homme, elle ne souffrait ni restrictions ni limites. Les consuls, héritiers de la royauté, avaient été aussi puissants que les rois. La différence, c’est que le pouvoir était annuel et partagé entre deux titulaires. Par cette méthode le Sénat s’était assuré la direction des affaires. La constitution républicaine n’est autre chose, en effet, à la bien considérer, qu’un conflit savamment organisé, par les soins de la haute assemblée et à son profit, entre des magistratures multiples et, dans chaque magistrature, entre deux ou plusieurs collègues. Que ce jeu de bascule vienne à cesser, que ces pouvoirs dispersés se concentrent en une main, que cette délégation de la souveraineté se pose sur une, tête, on aura le despotisme, on aura l’empire.

La magistrature impériale n’était pas faite, comme on l’a dit quelquefois, de toutes les magistratures accumulées. L’Empereur n’était pas consul ou il ne l’était qu’à de rares intervalles, et le consulat, quand il daignait le revêtir pour quelques mois, ne lui apportait qu’une dignité de plus. Il est vrai que la plupart de ses attributions, sinon toutes, peuvent se déduire de trois titres dont la série, toujours reproduite dans les documents publics, représente l’ensemble ou l’essence de ses pouvoirs. Il est Grand Pontife, Pontifex maximus, et, comme tel, chef de la religion nationale. Il est investi de la puissance tribunicienne, c’est-à-dire inviolable et armé du droit d’initiative législative et de veto. Il est Imperator, c’est-à-dire en possession de l’imperium qui comprend la plénitude de la puissance militaire et judiciaire. Ajoutons qu’il s’appelle Auguste, un nom dont l’usage est réservé aux dieux et qui donne à sa personne un caractère divin. Mais le Sénat ne se bornait pas à lui décerner ces titres en sous-entendant ce qu’ils impliquaient. II énumérait, il spécifiait dans un acte formel les pouvoirs qu’il lui conférait et dont il suffira de dire qu’ils s’étendaient, avec une autorité souveraine, à toutes les branches du gouvernement.

[L’ÉQUIVOQUE DU RÉGIME. LE SÉNAT ET LES ARMÉES] Ce régime, très simple en apparence, reposait sur une équivoque. La révolution d’où il était sorti s’était faite contre le Sénat et elle ne pouvait, sans son concours, aboutir à un établissement régulier. L’élection de l’Empereur par cette assemblée était donc une formalité nécessaire, mais une formalité. Le mal vint de là. Détenteur de la souveraineté en droit, le Sénat ne l’était pas, ne pouvait l’être en fait. Comme elles avaient fait l’empire, les armées continuèrent à faire les empereurs, les soutenant ou les renversant à leur gré. Le Sénat assistait à ces catastrophes. Il en enregistrait et en ratifiait les résultats. Mais lui-même il s’agitait dans le sentiment de son impuissance et le souvenir de son passé. Entre les intrigues de la curie et les émeutes de la caserne, ce qui manqua à cette monarchie, ce fut la fixité et la sécurité dans la transmission du pouvoir. Ce fut le vice originel, la maladie chronique qui parut enrayée quelquefois, mais que rien ne put guérir et dont les accès éclataient avec un redoublement de violence quand on croyait avoir tout fait pour en prévenir le retour.

[LE DUALISME ADMINISTRATIF] Le Sénat ne se bornait pas à installer ou à déposer les empereurs. Il avait, dans l’intervalle, sa part du gouvernement. Il paraissait trop redoutable encore, il conservait trop de prestige pour qu’on osât le réduire à l’inaction. L’Empire n’avait pas d’ailleurs la prétention de rompre avec le passé. II affectait au contraire de s’en écarter très peu. Ce furent les raisons qui firent inventer cette espèce de dyarchie, de dualisme administratif où il s’embarrassa et se débattit pendant trois siècles.

[LES PROVINCES IMPÉRIALES ET LES PROVINCES SÉNATORIALES] Le 13 janvier de l’an 27 av. J.-C., Octave, qui n’était pas encore Auguste, remit ses pouvoirs au Sénat. Son père était vengé ; la République restaurée. II demandait, pour prix de ses services, le repos. Cette comédie ne trompa personne, mais tout le monde fit semblant d’en être dupe. On se jeta à ses pieds. Il consentit à se charger des provinces les plus menacées, les plus difficiles à gouverner. De là la distinction entre les provinces de l’Empereur et celles du Sénat, distinction observée pendant plus de deux siècles.

Les premières étaient en général celles où stationnaient les armées. L’Empereur les régissait en qualité de proconsul. C’était le seul titre en vertu duquel on pût régir une province. Il ne figure pourtant que rarement dans la série des titres impériaux. L’idée qui s’y attachait n’était pas en rapport avec la situation réelle du chef de l’Empire. Le titre d’Imperator parut la traduire plus pleinement, avec plus de majesté. L’Empereur, comme tout proconsul, avait ses lieutenants, ses légats. Mais les proconsuls ordinaires résidaient dans leurs provinces respectives où leurs légats les assistaient (legati pro praetore provinciae...). Le proconsul impérial expédiait les siens de Rome pour gouverner en son nom. Les gouverneurs effectifs des provinces de l’Empereur eurent donc le titre de légats d’Auguste (legati Augusti pro praetore provinciae...). Ils étaient choisis par lui, suivant l’importance de la province, parmi les anciens consuls ou les anciens préteurs.

La classification en provinces consulaires et prétoriennes s’appliqua aux provinces sénatoriales. Mais les fonctionnaires qui leur étaient préposés étaient intitulés, comme autrefois, proconsuls. Ils étaient tirés au sort parmi les ex-consuls ou les ex-préteurs, conformément à la tradition, et étaient considérés comme les agents du Sénat. Comme leurs provinces étaient dégarnies de troupes, leurs attributions se trouvaient être purement civiles, tandis que les légats de l’Empereur exerçaient de plus un commandement militaire. De cette manière l’Empereur était sûr d’avoir la force armée placée directement sous sa main.

[LE TRÉSOR DE L’EMPEREUR ET LE TRÉSOR DU SÉNAT] Cette administration double exigeait des ressources distinctes. L’Empereur eut son trésor qui s’appela le fisc. Le Sénat eut le sien qui garda son vieux nom d’aerarium. A ces deux caisses correspondirent un personnel et des revenus spéciaux. Les revenus des provinces sénatoriales allaient, en partie du moins, à la caisse du Sénat. Ils étaient administrés, dans chaque province, par un questeur qui fut au proconsul comme un collaborateur en sous-ordre pour le département des finances. Les revenus des provinces impériales étaient gérés par un procurateur qui occupait la même situation près du légat. Il serait trop long de suivre ce dualisme dans tous les domaines. Le seul qui nous intéresse est celui du gouvernement provincial.

[FICTION DU DUALISME. OMNIPOTENCE DE L’EMPEREUR] Tout cela n’était que mensonge. Les proconsuls étaient tirés au sort, mais l’Empereur intervenait dans l’opération quand il le jugeait bon. Il désignait les candidats qui devaient participer au tirage. Au besoin il supprimait le tirage pour imposer les hommes de son choix. Le Sénat n’avait ni le courage de résister ni même les moyens légaux. Il avait pris soin de s’en dépouiller expressément au début du règne. Il avait conféré du reste à l’Empereur des pouvoirs qui le mettaient au-dessus des proconsuls. L’Empereur était donc, de par la loi, maître des provinces du Sénat aussi bien que des siennes.

Le Sénat ne pouvait se faire illusion sur sa déchéance, sur son impuissance complète. Mais l’apparence était quelque chose à défaut de la réalité, et il y tenait. Il faut ajouter que l’intervention des empereurs n’était pas continue. Il bénéficiait de leur tolérance et jouissait d’une certaine liberté, dans le cercle qui lui était tracé. Il arriva seulement que ces fictions perdirent du terrain, à mesure que le régime dont elles conservaient l’image reculait dans un passé plus lointain. Dès la mort d’Auguste, et l’on peut dire de son vivant même, un travail commença pour mettre en harmonie la forme et le fond en absorbant dans la compétence impériale tout ce qu’on avait laissé d’activité à la vieille assemblée républicaine. Ce n’est pas que ce reste de vitalité opposât la moindre entrave à la volonté du souverain, mais le mouvement était à la monarchie, et il devait tout emporter.

[ATTEINTES AU DUALISME. L’ORDRE EQUESTRE] Le principal instrument de cette évolution fut l’ordre équestre. L’Empereur prenait ses hauts fonctionnaires dans le Sénat et ne pouvait guère les prendre ailleurs. Lui enlever cette dernière prérogative après tant d’autres eût été la plus folle des politiques. Mais ce grand corps avait trop perdu à la chute de la République pour n’être pas suspect. L’ordre équestre, n’entretenant pas les mêmes regrets, n’était pas l’objet des mêmes méfiances. C’était une aristocratie inférieure qui s’était formée dans les deux derniers siècles avant J.-C., et dont l’activité s’était portée spécialement vers les entreprises commerciales. L’Empereur était sûr d’y trouver des serviteurs dévoués sans arrière-pensée. Il en tira d’abord ses agents financiers, ses procurateurs. Il confia même, on le verra, à ces procurateurs le gouvernement de certaines provinces. Il alla chercher dans les mêmes rangs le commandant de sa garde, le préfet du prétoire, dont il fit en plus un fonctionnaire d’ordre judiciaire et qui devint le second personnage de l’Empire. Enfin et surtout il organisa, avec l’ordre équestre, les bureaux de sa chancellerie, ce qu’on pourrait appeler ses ministères. Les hommes préposés à ces services furent très souvent de condition médiocre. Leur dignité en tout cas était assez mince. Mais leurs volontés étaient l’émanation de la volonté impériale. Les plus haut placés, les plus illustres par la naissance ou le rang n’avaient qu’à s’incliner. Ainsi se rétrécit peu à peu, par une série d’empiétements successifs, le champ réservé à l’action du Sénat. Il se réduisit à rien le jour où les revenus de l’aerarium se furent détournés tous du côté du fisc. En même temps s’effaça, par une conséquence inévitable, la distinction entre les provinces de l’Empereur et du Sénat. Il n’y en a plus trace dans le système de Dioclétien.

[LES PRÉROGATIVES DU SÉNAT ET LES PRIVILÈGES DE L’ITALIE. LEUR FIN] Les prérogatives du Sénat étaient liées à ce qu’on appelait les libertés de l’Italie. L’Italie n’était pas une province. Elle était une extension de la cité, le domaine réservé aux anciens pouvoirs républicains, le sol où ils avaient leurs racines et d’où ils tiraient leur force. Au lieu d’obéir, comme les pays sujets, à un proconsul ou à un légat, elle relevait du Sénat et des magistrats, des consuls, des préteurs. N’étant pas une province, elle ne payait pas l’impôt foncier qui était un signe de sujétion. Et comme elle ne comptait que des citoyens, tandis que le droit de cité était encore très peu répandu en dehors de la Péninsule, elle avait ce privilège de recruter exclusivement la légion et tous les corps où le service était le plus lucratif et le plus honoré.

L’assimilation de l’Italie aux provinces par la propagation du droit de cité, par l’égalisation des droits et des charges, ne pouvait s’effectuer qu’au détriment du Sénat. Le Sénat et l’Italie se trouvèrent d’accord pour la repousser. Mais le mouvement était fatal. Il se poursuivit pendant les trois premiers siècles et aboutit au commencement du quatrième. Ce fut le dernier coup pour l’assemblée sénatoriale, la fin de son existence politique.

 

II. — LES CIRCONSCRIPTIONS PROVINCIALES[2]

L’ORGANISATION de la Gaule fut l’œuvre d’Auguste. Ce fut une œuvre complexe, multiple, sur laquelle il nous faudra revenir bien des fois pour l’examiner sous toutes ses faces et dans toutes ses conséquences.

[LA GAULE JUSQU’À LA MORT DE CÉSAR] Il divisa la Gaule en plusieurs circonscriptions provinciales. Elle avait formé d’abord une province unique comprenant, sous le nom de Gaule transalpine ou ultérieure, la future Narbonnaise, c’est-à-dire l’ancienne Province constituée depuis 121 av. J.-C., et, en plus, les pays nouvellement conquis par César. La Narbonnaise, que nous appellerons ainsi dés à présent, nous autorisant du même anachronisme commis déjà par les écrivains anciens, ne reçut ce nom qu’à partir de l’an 27 avant J.-C., quand elle fut détachée définitivement des territoires récemment annexés. Bien qu’antérieurement déjà, à deux reprises, elle eût été traitée comme une province à part, nous ignorons comment, dans cette période, la langue administrative distinguait entre ces deux parties de la Gaule. Le nom de Gaule chevelue (Gallia comata), appliqué à l’Aquitaine, à la Celtique et au Belgium, par allusion à la mode des cheveux flottants qui caractérisait les habitants de ces contrées, n’avait point de valeur officielle. Il est probable que la Narbonnaise, toutes les fois qu’il y avait lieu de distinguer, s’appelait Gallia tout court ou Gallia transalpina à titre exclusif, tandis que la Gaule de César prenait dès lors le nom de tres Galliae, les trois Gaules, qu’elle devait garder sous l’Empire.

Le premier démembrement de la Transalpine fut décidé par le Sénat pour le 1er janvier 49 av. J.-C. Il resta à l’état de projet.. Les pouvoirs de César expiraient à cette date. On lui avait désigné deux successeurs, Ni. Considius Nonianus pour les trois Gaules, et L. Domitius Ahenobarbus pour la Narbonnaise. C’étaient les gouverneurs légaux. Mais Considius ne chercha même pas à prendre possession de son gouvernement et quant à Domitius, il ne put que se jeter dans Marseille pour tenter une diversion malheureuse en faveur de Pompée[3]. Le véritable maître était et resta César. Il disposait des provinces comme du reste. Contrairement à la décision prise par le Sénat, il maintint l’unité de la Gaule transalpine et s’y fit représenter par un lieutenant auquel il laissa prendre néanmoins le titre de proconsul. Ce fut, de 49 à 46, D. Junius Brutus et, de 46 à 44, Ti. Claudius Nero, qui n’étaient que des questoriens. A. Hirtius, qui remplaça Claudius Nero en 44, avait rang d’ancien préteur.

[LA GAULE JUSQU’À AUGUSTE] César fut assassiné le 13 mars 44 av. J.-C. Un de ses derniers actes avait été de rattacher la Narbonnaise à l’Espagne citérieure, attribuée à Lépide. Il semblait revenir ainsi, d’une façon assez inattendue, à la vieille théorie d’après laquelle la Gaule méridionale devait être considérée comme un chaînon intermédiaire entre l’Italie et la Péninsule Hispanique. L. Munatius Plancus fut préposé à l’Aquitaine, à la Celtique et au Belgium, conformément aux dispositions testamentaires publiées après la mort du dictateur. La fondation de Lyon a immortalisé le nom de Plancus[4], mais ce ne fut pour lui qu’un incident au milieu des soucis plus graves qui l’assiégeaient. Il était, ainsi que Lépide, à la tête de forces importantes. Leur intervention à tous deux pouvait être décisive dans la lutte soutenue en ce moment par le Sénat contre Antoine, avec le concours d’Octave. Plancus, le premier, se prononça pour la légalité. Lépide le suivit. La République triomphait, Antoine semblait perdu. Il s’était fait battre à Modène et il fuyait maintenant vers la frontière de la Gaule, où l’attendait, avec l’hostilité de Lépide, la menace d’une nouvelle défaite. C’est alors que se produisit le coup de théâtre qui, du jour au lendemain, retourna la situation. Les deux chefs se rencontrèrent aux confins de la Narbonnaise, sur les bords de l’Argens, et s’entendirent au lieu de se combattre (mai 43). Plancus resta isolé et perplexe. Quand il apprit qu’Octave, à son tour, avait fait volte-face, il n’hésita plus et alla du côté où était la force.

Quelques semaines après, en novembre, Octave, Antoine et Lépide formèrent le Triumvirat. Les triumvirs se partagèrent le monde romain. Lépide garda l’Espagne avec la Narbonnaise pour annexe. Antoine prit le reste de la Gaule. Un deuxième accord, conclu bientôt après, dans le courant de 42, attribua la Narbonnaise à Antoine et rétablit ainsi, à son profit, l’unité de la Transalpine. Elle lui obéit pendant deux ans. En 40, nouveau changement. Antoine se repliait sur l’Orient et laissait le champ libre à Octave dans l’Occident. L’autorité d’Octave se substitua de cette manière, dans la Gaule, à celle de son rival. Le traité de Brindes, conclu à la fin de la même année, ratifia cette usurpation. La Gaule, cette fois, avait trouvé l’homme qui devait fixer ses destinées comme celles de l’Empire.

[SÉJOURS D’AUGUSTE EN GAULE] Elle occupa toujours dans ses préoccupations le premier rang. Il ne se contenta pas d’y envoyer les plus éminents de ses collaborateurs et les princes de sa famille. Il y fit lui-même de longs et fréquents séjours. Il n’avait fait que s’y montrer en 40, pour y lever des troupes en prévision d’une guerre qu’il jugeait imminente avec Sextus Pompée et que le traité de Brindes ajourna de deux ans. La Gaule d’ailleurs ne lui appartenait encore que de fait. Elle était censée dépendre d’Antoine. Il y revint, avec un titre mieux établi, pour y passer l’hiver de 35 à 34. Il y résida à la fin de 27. Il y demeura trois ans, du milieu de l’an 16 au milieu de l’an 13. Il y reparut en l’an 10, et une dernière fois en l’an 8.

Il ne changea rien d’abord au système de César et d’Antoine. Les gouverneurs qu’il nomma administrèrent la Gaule dans son ensemble et continuèrent à porter le titre de proconsuls. Ils avaient eux-mêmes des lieutenants intitulés légats. En 38 il donna la mesure de ses projets en déléguant Agrippa. Le gouvernement d’Agrippa ne dura qu’un an. Il fut interrompu brusquement, ainsi qu’on l’a vu plus haut, par la menace d’une guerre avec Sextus Pompée. Il devait heureusement avoir une suite.

L’année 27 av. J.-C. est une grande date dans l’histoire de l’Empire. La Monarchie entre dans sa période régulière, organique. Octave est devenu Auguste. Il a institué avec le Sénat ce partage des pouvoirs qui sera la loi ou la formule du régime. La même année a vu célébrer le triomphe de Valerius Messala. La Gaule est pacifiée. Le moment est venu de lui donner son organisation définitive.

[ORGANISATION DE LA NARBONNAISE] Auguste s’installa à Narbonne vers la fin de cette année 27 et y convoqua une assemblée de notables. Il constitua la Narbonnaise en province distincte et lui donna le nom que, par anticipation, nous lui avons donné précédemment. Cinq siècles d’influence grecque, deux siècles et demi de domination romaine avaient, par la force des choses, malgré l’incurie du Sénat et la politique exclusivement maritime de Marseille, comme creusé un abîme entre cette portion de la Gaule et le reste. Et l’on verra plus loin[5] comment la colonisation, ébauchée par le dictateur et poursuivie après lui, sur ses plans, avait transformé déjà cette contrée et commencé à lui imprimer cette physionomie latine qu’elle a gardée jusqu’à nos jours. On comprend qu’Auguste n’ait pas cru devoir soumettre des populations si profondément différentes à une administration commune. Le seul lien qui subsista entre elles fut celui que créa le même réseau douanier[6].

[LA NARBONNAISE PROVINCE SÉNATORIALE] La Narbonnaise, bien que parfaitement tranquille, ne passa pas tout de suite entre les mains du Sénat. La délimitation de la province n’était qu’un détail dans le programme conçu par l’Empereur et qui comprenait les opérations du cadastre, la fondation des colonies, la distribution et l’organisation des cités, l’aménagement et l’embellissement des villes. Il voulut, après l’avoir mis en train pendant un séjour de quelques mois, en surveiller l’exécution de loin par lui-même. C’est au bout de cinq ans seulement, en 22, que la Narbonnaise, de province impériale prétorienne, devint une province sénatoriale du même degré. Elle ne devait plus changer de condition jusqu’à la réforme du quatrième siècle ap. J.-C.[7]

[ORGANISATION DE L’AQUITAINE, DE LA LYONNAISE, DE LA BELGIQUE] Les circonscriptions provinciales dans l’autre partie de la Gaule  furent arrêtées plus tard, au quatrième voyage d’Auguste, de 16 à  13, pendant le séjour qu’il fit à Lyon. Elles reproduisirent les divisions  tracées par César dans ses Commentaires, mais avec d’importants  remaniements. Le Belgium que César limitait à la ligne de la Seine  et de la Marne, forma la province Belgique s’étendant, du côté de  l’Est, à toute la région comprise entre la Saône, le Rhône et le Rhin. L’accroissement de l’Aquitaine fut plus notable encore. Ce nom ne s’applique dans César qu’aux Ibères du sud de la Garonne. Il désigna maintenant tous les peuples établis depuis les Pyrénées jusqu’à la Loire[8]. Entre ces deux provinces enrichies à ses dépens, la Celtique, devenue la Lyonnaise, se réduisit à une bande fort longue et relativement étroite de l’Océan à la Saône.

[RAISONS DE CETTE ORGANISATION] Les raisons de cette organisation sont de nature diverse. Il est certain que les divisions de César étaient trop inégalement étendues pour servir de cadres administratifs. Entre l’Aquitaine ibérique et le Belgium, la Celtique occupait une place démesurée. Ces divisions étaient d’ailleurs purement ethnographiques, et peut-être y avait-il quelque inconvénient à grouper les peuples suivant les affinités de race. En ce qui concerne la Belgique, il était naturel aussi de prolonger la même province d’un bout à l’autre de la frontière. Mais la raison décisive ou tout au moins prépondérante, ce fut le rôle réservé à la colonie de Lyon, fondée en l’an 43, au confluent du Rhône et de la Saône, par Munatius Plancus.

[RÔLE DE LYON] Si l’on jette un coup d’œil sur la carte de la Gaule, telle qu’elle a été dessinée par Auguste, on s’aperçoit tout de suite que les trois provinces, et l’on peut dire les quatre, car la Narbonnaise est dans le même cas, touchent chacune par une de leurs extrémités à Lyon. On peut les comparer à quatre triangles disposés en éventail et dont les sommets viendraient se rencontrer en un même point. La ville de Lyon ne se trouve pas au centre de la province dont elle est le chef-lieu immédiat et à laquelle elle donne son nom. Elle est placée à l’entrée, de manière à exercer sa surveillance dans toutes les directions. Le territoire qui lui est attribué est des plus restreints. Il suffit d’en faire le tour pour passer en très peu de temps de la Narbonnaise dans l’Aquitaine, de l’Aquitaine dans la Lyonnaise et de la Lyonnaise dans la Belgique. On coupe, dans ce trajet circulaire, les grandes routes qui, du fond de ces provinces, convergent vers la capitale, comme converge à Paris le réseau de nos voies ferrées.

[LES GRANDS COMMANDEMENTS] La pensée d’Auguste se révèle dans l’histoire des trois Provinces, sous son règne et au début du règne suivant. Il n’entendait pas qu’elles fussent chacune un tout indépendant. Pour cela il les groupa sous l’autorité d’un gouverneur général résidant à Lyon et portant le titre de légat des trois Gaules. Les rapports de ce haut fonctionnaire avec les légats de l’Aquitaine, de la Lyonnaise, de la Belgique ne nous sont pas très bien définis. Nous ignorons s’il les nommait lui-même ou s’il les recevait investis de la délégation impériale. Dans ce dernier cas, il n’est pas douteux qu’ils fussent, par une disposition spéciale, placés sous sa dépendance, soumis à ce que la langue du droit public appelait son imperium majus. Ce qui est positif, c’est que, de toute manière, ils étaient ses subordonnés.

[LES TITULAIRES DES GRANDS COMMANDEMENTS] La liste des personnages qui se sont succédé dans ce poste éminent est significative. Il faut placer en tête Agrippa, dont le deuxième gouvernement, de 22 à 21 ne fut guère plus long que le premier (38). C’est à peine si en tout il passa deux années au delà des Alpes. Mais ce furent deux années fécondes. Il réprima les insurrections au Sud-Ouest et au Nord-Est, fortifia la frontière germanique où il fonda les places de Mayence et de Cologne, prévit, assura l’avenir de Lyon et fixa, dans ses grandes lignes, le système routier qui devait changer la face du pays. M. Vinicius, qui le remplaça, était une personnalité secondaire, mais il fut remplacé à son tour, en 15, par Ti. Claudius Nero, beau-fils d’Auguste, destiné lui-même à régner un jour et connu dans l’histoire sous le nom de Tibère. Au bout d’un an Tibère passa la main à son frère Drusus, et quand Drusus mourut, en 9, ce fut encore lui qui prit sa place. Il se démit de son commandement en 6, à la suite de ses différends avec Auguste, pour le reprendre, une fois rentré en grâce, en 4 ap. J.-C., et le conserver deux années. P. Quinctilius Varus qui lui succéda était, lui aussi, apparenté à l’Empereur dont il avait épousé la nièce. Le désastre où il trouva la mort, en 9 ap. J.-C., nécessita le rappel de Tibère. Il ne rentra à Rome qu’en 13, pour recueillir, l’année suivante, l’héritage d’Auguste. Son successeur fut Germanicus, fils de Drusus, neveu et fils d’adoption de Tibère, héritier présomptif de l’empire.

On devine l’éclat que jetait sur Lyon la présence de ces hôtes illustres, rehaussée de temps en temps par celle de l’Empereur. Ils ne résidaient pas dans leur gouvernement d’une façon continue. Ils y venaient quand les affaires du pays les réclamaient. Le plus souvent, dans ce cas, ils allaient se mettre à la tête de l’armée, sur le Rhin. Mais leur résidence officielle était Lyon. Ils y faisaient de fréquents séjours avec leur famille. La colonie de Plancus nous apparaît donc, dans cette période, comme la deuxième ville de l’Empire. Seule avec Rome, elle pouvait se flatter d’avoir une cour. C’est alors qu’elle vit naître le futur empereur Claude, le fils cadet de Drusus (10 av. J.-C.).

[FIN DES GRANDS COMMANDEMENTS] La mission confiée au représentant de l’Empereur était double. l’intérieur il devait compléter dans les détails l’organisation ébauchée entre les années 16 et 13 av. J.-C. Au dehors il devait conquérir la Germanie. Mais les plans sur la Germanie furent abandonnés au début du règne de Tibère, et l’organisation de la Gaule était achevée à cette époque. Ce fut la fin des grands commandements. Ils avaient perdu leur raison d’être et ne laissaient pas de présenter quelque danger. Ils plaçaient trop haut, ils exposaient à trop de tentations l’homme qui en était investi. Germanicus est le dernier qui ait tenu sous ses ordres l’Aquitaine, la Lyonnaise et la Belgique avec les armées opérant contre les Germains. Son rappel, en l’an 17 ap. J.-C., eut pour effet de faire rentrer les trois Provinces dans le droit commun. Leurs gouverneurs, rendus indépendants chacun dans sa sphère, ne relevèrent plus que de l’Empereur. Le pays était trop récemment soumis pour qu’il partit prudent de le remettre à la garde du Sénat. D’autre part il était assez bien surveillé par les armées du Rhin pour n’exiger point d’occupation militaire permanente. Les légats qui lui étaient préposés se trouvèrent donc, contrairement à l’usage suivi pour les gouverneurs des provinces impériales, réduits à des fonctions purement civiles, et c’est pourquoi, malgré l’importance de leur gouvernement, ils ne durent pas dépasser le rang prétorien. Quant à la frontière et à l’armée, elles formèrent un commandement spécial[9].

[LYON RESTE LA CAPITALE DE LA GAULE] Ce fut une diminution pour Lyon de ne plus posséder qu’un gouverneur égal à tant d’autres pour la dignité et la compétence. La chute ne fut pourtant qu’apparente. Lyon restait à beaucoup d’égards une capitale. Ce qui, plus que tout le reste, lui maintint la prééminence, ce fut la religion nouvelle dont le dépôt lui était commis[10]. A la jonction de ses deux fleuves s’élevait, comme le symbole de la domination romaine, l’autel de Rome et d’Auguste. Là se donnaient rendez-vous, pour prêter hommage à l’Empire, avec les députations de la Lyonnaise, celles de l’Aquitaine et de la Belgique. Lyon apparaissait dans ces panégyries annuelles comme le centre politique et moral des trois Gaules. Cette expression même, les trois Gaules, passée dans l’usage, montre bien que les trois Provinces ne cessèrent pas de former un tout animé d’une vie commune.

[LES PROVINCES ALPESTRES] Les provinces alpestres, bien qu’elles ne fussent pas considérées comme faisant partie de la Gaule, ne peuvent pas en être séparées, celles du moins qui se succédaient depuis la source du Rhône jusqu’à l’embouchure du Var. L’organisation de ces territoires fut tardive, comme l’avait été leur conquête.

Les Romains, maîtres de la Gaule, ne l’étaient pas des chemins qui y conduisaient. Leurs communications n’étaient assurées que par la Méditerranée et par la route qui la côtoyait. Les cols de Tende, de l’Argentière, du mont Genèvre, du Grand et du Petit Saint-Bernard, étaient connus sans doute et pratiqués de longue date. Mais ils s’ouvraient difficilement. Les individus, les détachements isolés étaient exposés, de la part des montagnards, à mille vexations. Des troupes, même assez nombreuses, étaient réduites à se frayer un passage par la force. Les soldats engagés dans les défilés voyaient pleuvoir les quartiers de roches que des ennemis invisibles faisaient rouler sur leurs têtes. La première année de la guerre des Gaules, César avait été arrêté dans la vallée de la Durance. Trois ans plus tard, il avait essayé en vain d’occuper solidement le Valais. Sur ce point, comme sur tant d’autres, le loisir lui avait manqué pour aborder sérieusement une entreprise dont il laissa l’honneur à son héritier.

[LA GUERRE DANS LES ALPES] Les premiers coups furent portés contre les Salasses. Ce peuple occupait la vallée de la Dora Baltea et gardait, par les cols du Petit et du Grand Saint-Bernard, les deux routes qui menaient soit dans le centre de la Gaule, soit vers les régions du Rhin. Le gouvernement de la République ne s’était pas avancé, dans cette direction, plus loin que la limite extrême de la plaine piémontaise. Il avait fondé, en 100 av. J.-C., au débouché de la vallée, la colonie d’Eporedia (Ivrée). C’était un poste purement défensif. En 25, une expédition décisive fut confiée à Terentius Varro. Il s’acquitta de sa tâche avec une énergie impitoyable. Quarante mille Salasses furent vendus à l’encan, et trois mille soldats prétoriens allèrent s’installer au centre du pays, dans la nouvelle colonie d’Augusta Praetoria (Aoste).

Dix ans après, en 15, les opérations prirent une envergure plus vaste. Cette fois, les Alpes étaient prises à revers, et le mouvement tournant qui les enveloppait, depuis l’Adige jusqu’aux sources du Danube, n’était lui-même qu’un prélude aux guerres entreprises, un peu plus tard, pour la conquête de la Germanie. Drusus et Tibère firent leur jonction sur la rive droite du Rhin, au nord du lac de Constance. Ils rattachèrent à l’Empire, par une brillante victoire, les contrées qui correspondent au Tirol, à la Suisse orientale, à la Bavière du Sud. L’année suivante, en 14, ce fut le tour des peuplades voisines de la Méditerranée.

La pacification des Alpes italo-gauloises était achevée. En souvenir de ce grand fait, un monument fut élevé, vers l’an 8, au point où vient mourir la chaîne, au-dessus de Monaco, sur une hauteur dont le nom actuel, la Turbie, rappelle le vieux nom des Trophées d’Auguste. C’était un immense édifice, construit en marbre blanc, entouré de colonnes, décoré de scènes militaires, surmonté d’une statue colossale de l’Empereur et portant une inscription dont Pline l’Ancien nous a conservé le texte[11].

[RÉGIME DES PROVINCES ALPESTRES] Les pays conquis étaient trop étrangers à la civilisation romaine pour être annexés à l’Italie ou même à la Narbonnaise. Ils ne formèrent pas non plus un gouvernement unique. Ils exigeaient la présence de nombreuses garnisons, et Auguste ne se souciait pas d’installer trop près de Rome un grand commandement qui, en raison de son importance, n’eût pu être confié qu’à un sénateur. II divisa ces territoires en districts dont il remit l’administration à des fonctionnaires d’un rang moins élevé, choisis dans l’ordre équestre et n’ayant sous leurs ordres que des contingents auxiliaires, car on n’admettait pas qu’un chevalier fût un personnage assez considérable pour commander le corps proprement romain, la légion. Ils avaient le titre de préfet qui fut remplacé, depuis Claude et Néron, par celui de procurateur. Parmi ces provinces d’un nouveau genre, les plus vastes furent celles de la Rétie et du Norique, organisées en 16 et 15 av. J.-C., et qui s’étendaient, la première jusqu’à l’Inn, la seconde jusqu’au coude du Danube. Les provinces échelonnées sur la frontière de la Gaule avaient un ressort beaucoup plus restreint.

[LES ALPES MARITIMES ET COTTIENNES] Au Sud étaient les Alpes Maritimes, dont le territoire s’arrêtait à quelques kilomètres de la côte mais embrassait, à l’intérieur, à peu près dans leur ensemble, les bassins du Var et du Verdon. Le chef-lieu était Cemelum (Cimiez). Les autres villes étaient Vintium (Vence), Salinae (Castellane), Senifium (Senez).

Au nord des Alpes Maritimes se trouvaient les Alpes Cottiennes, ainsi appelées du nom de leur roi Cottius. Le souvenir de Cottius est resté longtemps vivant à Segusio (Suse), sa capitale. On y vénéra son tombeau jusqu’au ive siècle après J.-C. On y peut voir encore, presque intact, le bel arc de triomphe qu’il érigea en l’honneur d’Auguste, avec l’inscription dédicatoire où sont mentionnés les quatorze peuples dont il était le chef. Son père, Donnus, avait obtenu de César, en récompense de ses services, le droit de cité et le nom de Julius. II semble que le fils ait eu d’abord quelque velléité de rompre avec la politique paternelle, mais il ne tarda pas à y revenir et se signala par sa fidélité lors de la mémorable campagne de Tibère et de Drusus. L’amitié de ce portier des Alpes était précieuse en ce moment. Il reçut, vers l’an 8 av. J.-C., le titre de préfet. Ce n’était pas une déchéance, mais une faveur insigne : un roitelet barbare était peu de chose auprès d’un préfet romain. Le titre ainsi que la fonction resta héréditaire dans la dynastie, et c’est seulement quand elle s’éteignit, sous Néron, que l’ancien royaume de Cottius, bien que portant toujours ce nom dans la langue courante, devint une province procuratorienne, placée exactement dans les mêmes conditions que ses voisines. Elle s’étendait, sur le versant italien, le long de la Dora Ripaire, jusqu’aux environs de Turin. Elle confinait, de l’autre côté, au pays des Voconces et occupait la vallée supérieure de la Durance, avec les villes de Brigantio (Briançon), Eborodunum (Embrun) et Caturiges (Chorges).

[LES ALPES POENINES] Les vallées de l’Arc, de l’Isère, du Rhône, en d’autres termes, la Maurienne, la Tarentaise, le Valais formèrent une troisième province, celle des Alpes Poenines. Toute cette contrée aurait fait partie d’abord de la grande province de Rétie. Elle en fut détachée seulement dans le cours du n° siècle ap. J.-C. Elle était divisée par la nature en deux portions. Au Nord, la vallée Poenine (Vallis Poenina), ou la Vallis tout court, d’où le nom de Valais, était trop nettement circonscrite pour ne pas constituer moralement un tout. Aussi rencontre-t-on, associées sur le même monument, les quatre cités qui se partageaient ce territoire et dont les trois principales étaient groupées autour des villes de Drusomagus Sedunorum (Sion), Octodurus Varagrorum (Martigny) et Tarnaiae Nantuatium (Saint-Maurice). La région des Alpes Grées, habitée par les Ceutrones, avait pour villes Tarantasia (Moutier en Tarentaise) et Axima (Aime). C’est dans cette dernière que résidait le procurateur.

 

III. — LES CIRCONSCRIPTIONS PROVINCIALES (Suite). LA FRONTIÈRE GERMANIQUE[12]

[LA BELGIQUE ET LA GERMANIE] LES circonscriptions provinciales tracées par Auguste subsistèrent plus de deux cents ans. Il y eut pourtant, au cours du Ier siècle ap. J.-C., quelques changements introduits dans le régime de la Belgique. Cette province a son histoire particulière qui est étroitement liée à celle des rapports de Rome avec les Germains. La Belgique faisait face aux Germains sur toute la ligne du Rhin. En arrière de ce premier front s’étendait une région plus paisible, adossée à la Saône et à la Marne. Par là s’explique la distinction établie de bonne heure entre ces deux zones, distinction qui aboutit finalement à une séparation à peu près complète.

[LA POLITIQUE IMPÉRIALE EN GERMANIE] La politique impériale en Germanie a passé, durant le Ier siècle, par plusieurs phases. Envahissante d’abord, elle s’est enfermée bientôt après dans une stricte défensive. Puis, redevenue plus hardie, elle a repris la marche en avant, sans la pousser toutefois jusqu’au but qu’elle s’était primitivement assigné. Les deux pointes de César au delà du Rhin n’avaient été que des démonstrations sans lendemain. Les circonstances ne permettaient pas de faire mieux. Ces expéditions servirent du moins à montrer le chemin, et les projets qu’elles annonçaient pour l’avenir, les événements se chargèrent de les justifier. L’obstacle opposé par le fleuve était trop faible pour arrêter les pillards. Leurs incursions de plus en plus fréquentes entretenaient chez les Gaulois, encore mal pliés au joug, l’esprit de révolte. En 16 av. J.-C., les bandes germaniques se trouvèrent assez fortes pour mettre en déroute une légion. C’en était trop. Les difficultés intérieures avaient pu retarder, ici comme ailleurs, l’exécution du programme ébauché par le divin Jules. Il était temps maintenant d’achever son œuvre en procurant, par la soumission de la Germanie, la pacification définitive de la Gaule.

[CAMPAGNES DE DRUSUS ET DE TIBÈRE] Quatre années pourtant s’écoulèrent avant l’ouverture des opérations. Il fallait en finir d’abord avec la guerre engagée dans les Alpes et, la guerre terminée, régler le sort des pays conquis depuis le Danube jusqu’à la Méditerranée. C’est vers l’an 12 av. J.-C. seulement que Drusus et Tibère, libres de ce côté, osèrent transporter leurs armes en dehors du voisinage immédiat de l’Italie. Pendant que Tibère était occupé en Pannonie, Drusus entamait le monde germanique par le bout opposé. L’attaque commença par mer. Les tempêtes de l’Océan paraissaient moins redoutables que les forêts du continent. Une flotte s’avança jusqu’à l’embouchure du Weser. L’armée marchait du même pas en longeant la côte. Les peuples, pris à revers par ce mouvement, furent, l’année suivante (11), abordés de front. Une troisième campagne, en 10, fut employée à réprimer les révoltes inévitables, après la surprise de la défaite. Une quatrième, en 9, conduisit les légions jusqu’aux bords de l’Elbe. En cette année mourut Drusus. Il succombait à une chute de cheval, en pleine jeunesse, en plein triomphe.. Sa mort fut un deuil public, mais elle ne compromit pas le fruit de ses victoires. Tibère, appelé en toute hâte, prit le commandement. Il le garda de 9 à 6 av. J.-C., pour l’exercer de nouveau, de 4 ap. J.-C. à 6, après un intervalle de près de dix ans qui fut comme un temps d’arrêt dans l’activité conquérante de Rome. Ses services ne furent pas moins éclatants que ceux de son cadet. Il consolida par une double action, politique et militaire, les résultats obtenus et imposa à tous les peuples vaincus la reconnaissance formelle de leur sujétion.

[SOUMISSION DE LA GERMANIE. L’AUTEL DES UBIENS] La Germanie était soumise, ou le paraissait. Elle s’ouvrait aux mœurs romaines, bâtissait des villes, installait des marchés, se courbait devant la toge et les verges. Il ne semble pas qu’elle ait formé une province distincte. On se contenta de la rattacher à la Belgique, c’est-à-dire aux trois Gaules réunies alors sous un gouvernement commun. Mais la même pensée qui, en 12 av. J.-C., avait groupé à Lyon, autour de l’autel de Rome et d’Auguste, les représentants des cités gauloises, inspira, à une date qui ne doit pas être de beaucoup postérieure, la fondation de l’autel des Ubiens.

Les Ubiens s’étaient signalés déjà par leur dévouement à César. Par ces sentiments, comme par leur culture relativement avancée, ils tranchaient sur leurs compatriotes. Agrippa les avait transportés, en 38, sur la rive gauche du Rhin, sur l’emplacement où s’élève aujourd’hui la ville de Cologne, alors simple oppidum, mais destiné à une croissance rapide. Là ils montaient la garde au nom des Romains. Nul peuple ne semblait mieux qualifié pour devenir à la Germanie ce qu’était Lyon par rapport aux trois Gaules. Leur position géographique complétait l’analogie. Pas plus que Lyon, la ville des Ubiens n’était située au milieu des pays soumis à son influence. Appuyée à la Belgique, comme Lyon à la Narbonnaise, elle restait en contact direct avec la civilisation dont elle recevait et propageait les rayons. Le culte dont elle était le centre nous apparaît en 9 av. J.-C. desservi par un Chérusque, Sigmund, fils de Ségeste. Un autre autel, également consacré à Auguste, s’éleva plus loin, sur les bords de l’Elbe, vers 9 av. J.-C., par les soins du légat d’Illyrie, L. Domitius Ahenobarbus. Il devait servir de ralliement aux nations soumises dans le voisinage de ce fleuve.

[PEUPLES SUJETS] Les principaux peuples entrés dans l’Empire étaient, en première ligne, les Bataves dans le delta du Rhin, les Canninéfates, entre la mer du Nord et le Zuyderzée, les Usipiens sur la Lippe, les Sicambres sur la Sieg, les Teuctères sur la Lahn, les Mattiaques dans la région du Taunus, sur le Main. En arrière, dans le bassin de l’Ems, se succédaient les Frisons, dans le pays qui s’appelle encore la Frise, puis, en remontant le fleuve, les Ampsivares, les Tubantes, les Bructères. Au troisième plan, sur le Weser et sur l’Elbe, venaient les Chauques, les Longobards ou Lombards. Enfin au centre de l’Allemagne, dans la Hesse et la Saxe, se trouvaient les Cattes et les Chérusques.

[OCCUPATION MILITAIRE] Plusieurs de ces peuples, les Bataves, les Frisons, les Chérusques, fournissaient des auxiliaires aux légions. Partout, comme naguère en Gaule, Rome avait su se concilier des adhérents, se recruter un parti. Une puissante armée maintenait l’obéissance. Elle avait pour quartiers généraux les deux camps retranchés de Castra Vetera (Xanten), en face de la Lippe, et de Mogontiacum (Mayence), en face du Main. Le camp de Vindonissa (Windisch), sur l’Aar, surveillait la Germanie méridionale, alors médiocrement peuplée, et servait de lien avec les garnisons du Danube. Le Rhin n’avait pas cessé d’être la vraie ligne de défense. Mais des forts nombreux gardaient les points stratégiques dans les pays annexés. On s’était attaché surtout à garnir les deux grandes voies de pénétration, les vallées du Main et de la Lippe. Aux sources de cette dernière rivière, à l’entrée de la porte Westphalienne, s’élevait la forteresse d’Aliso (Elsen), le plus important de ces établissements, relié à Castra Vetera par une suite de postes, le long d’une double route sur les deux rives. Une autre chaussée en forme de digue courait sur la plaine marécageuse jusqu’à l’Ems. Les garnisons isolées étaient renforcées au printemps. Les campagnes, les promenades militaires remplissaient l’été. Puis les troupes revenaient passer l’hiver dans les cantonnements du Rhin.

[LES MARCOMANS] Le cercle qui étreignait la Germanie présentait encore une solution de continuité. Dans le quadrilatère des monts de Bohême s’était logée, sous son roi Marobod, la puissante nation des Marcomans. Il restait à la subjuguer pour former de la domination romaine une masse compacte du Jutland aux Alpes Styriennes. L’attaque fut engagée, en 6 ap. J.-C., de deux côtés à la fois, du côté du Main par le légat Sextius Saturninus, et sur le Danube par Tibère. Elle fut arrêtée dès les premiers pas et détournée de son but par le soulèvement subit des peuples de la Pannonie et de la Dalmatie. Aussitôt le mouvement gagna toute la région du nord des Balkans. Le danger était grand, et l’eût été plus encore sans les défaillances de Marobod. L’Italie, prise à l’improviste, se crut un instant à la merci des Barbares. Un effort énergique la préserva de l’invasion. La guerre n’en fut pas moins longue et pénible. Elle retint trois ans durant, de 6 à 9 ap. J.-C., la plus nombreuse armée que Rome eût concentrée depuis longtemps et, somme toute, elle ne donna qu’un demi-résultat, car, si la paix était rétablie dans les provinces danubiennes, Marobod était sauvé, et la conquête de la Bohême ajournée. On en était là quand éclata, comme un coup de foudre, la nouvelle du désastre de Varus.

[SOULÈVEMENT DE LA GERMANIE. ARMINIUS ET VARUS] La conquête de la Germanie n’avait jamais été que très superficielle. Les peuples les plus voisins de la Gaule s’étaient résignés. Les autres commençaient à relever la tète. Dès l’an 4 ap. J.-C., les révoltes plus fréquentes avaient nécessité de nouveau la présence de Tibère. En deux campagnes il remit sous le joug les Chérusques, les Chauques, les Canninéfates, les Bructères, les Longobards. Mais il se garda bien de ramener les troupes derrière le Rhin. Pour la première fois, en l’an 4, elles prirent leurs quartiers d’hiver en pays ennemi, à Aliso.

Le départ de Tibère, appelé en l’an 6 au commandement de l’armée du Danube, les nouvelles arrivées bientôt après de la Dalmatie et de la Pannonie, redoublèrent l’agitation. Ce qui rendait la situation critique, c’était l’insuffisance des soldats et de leur chef. Tout ce que Rome comptait de généraux habiles et de troupes aguerries était employé là où le péril paraissait le plus pressant. Les effectifs n’étaient pas réduits, mais ils ne se composaient guère que de recrues, et, pour comble de malheur, le commandant était P. Quinctilius Varus. Dans son entourage on distinguait un jeune et noble chérusque, Arminius ou Hermann. Comme tant d’autres parmi ses compatriotes, il gardait au cœur la haine des Romains tout en servant dans leurs rangs. Admis dans l’intimité du général, il put tout à son aise préparer sa trahison. L’armée active, forte de trois légions et de neuf corps auxiliaires, revenait sur Aliso. Il la détourna de son chemin sous prétexte de réprimer un soulèvement local, l’attira dans la forêt de Teutberg et la livra à l’ennemi qui l’attendait et l’anéantit (fin de l’été de l’an 9 ap. J.-C.).

[CAMPAGNES DE GERMANICUS] La défaite de Varus n’eut pas les conséquences qu’on lui a souvent attribuées. L’échec était grave, humiliant, mais non point irréparable et l’on ne voit pas qu’il ait en rien modifié les plans d’Auguste. Tibère fut rappelé une fois encore sur le théâtre de ses anciens exploits. A deux reprises, en l’an li et en l’an 12, à la tête de l’armée reconstituée, il reprit les marches victorieuses au delà du Rhin. Germanicus, qui le remplaça en 13, acheva de rétablir, par son offensive hardie, le prestige des armes romaines. I1 était fils de Drusus et héritier de ses talents. Son ambition était de continuer l’œuvre paternelle et de la mener à terme. Une première campagne, en 15, resta limitée au bassin de l’Ems ; une autre, en 16, le conduisit jusqu’à l’Elbe. Ce fut le moment choisi par Tibère, qui depuis l’an 14 avait succédé à Auguste, pour lui retirer son commandement et lui confier une autre mission à l’autre bout de l’Empire.

[RAPPEL DE GERMANICUS ET RECUL DE ROME] Du rappel de Germanicus date une ère nouvelle dans les rapports de Rome avec les Germains. Tacite, toujours défavorable à Tibère, ne trouve à ce revirement d’autre raison que l’humeur soupçonneuse de l’Empereur, et sans doute il n’a pas tout à fait tort. La popularité de Germanicus était inquiétante. Les forces concentrées sous sa main pouvaient devenir un danger. Il avait repoussé la pourpre offerte par les légions, mais il n’avait tenu qu’à lui de s’en emparer. La prudence conseillait, non seulement de le déplacer, mais aussi de supprimer le commandement dont un autre, moins scrupuleux, pouvait abuser. Pour cela il fallait renoncer aux vastes entreprises. On se tromperait pourtant si l’on expliquait par ce seul motif cette abdication subite. Les faits avaient démontré que, pour régner jusqu’à l’Elbe, ce n’était pas assez d’une armée sur le Rhin. L’occupation permanente s’imposait. Mais alors, c’était le Rhin dégarni et la Gaule livrée à elle-même. Car l’armée rhénane n’avait pas pour fonction unique de contenir la Germanie. Elle devait en même temps observer la Gaule. Ainsi c’étaient deux armées qu’il eût fallu, l’une sur le Rhin et l’autre sur l’Elbe. Tibère ne jugea pas que la Germanie valût ce qu’elle eût coûté. On peut l’en blâmer quand on pense à l’avenir, aux invasions, à leurs suites. Mais il agit, il faut le reconnaître, en souverain économe du sang et de l’argent de ses sujets. Ses successeurs pensèrent de même. Trente ans plus tard, sous Claude, en 47, Corbulon vint camper au milieu du pays des Chauques. Il s’apprêtait à franchir l’Ems sur les traces de Germanicus. Son initiative fut formellement désapprouvée et ordre lui fut donné de ramener ses troupes dans les limites assignées à l’Empire.

[LA NOUVELLE FRONTIÈRE ET LES CHAMPS DÉCUMATES] On évacua les territoires les plus distants du Rhin et l’on maintint une sorte de protectorat sur les peuples voisins, le long de la rive droite. Les Canninéfates, les Frisons, les Usipiens, les Sicambres continuèrent de figurer, à titre d’alliés, dans l’armée romaine. Ils formèrent en avant du fleuve comme un cordon de grand’gardes destiné à couvrir les têtes de pont. Cette bande assez étroite s’élargissait du côté de Mayence. Là s’ouvrait, par la vallée du Main, la voie d’invasion la plus directe vers l’intérieur de la Germanie. Les Mattiaques, sur le penchant méridional du Taunus, surveillèrent ce débouché. Plus au Sud, dans la Forêt-Noire, s’étendait le désert des Helvètes. Les Helvètes avaient occupé ce pays avant de passer dans la Suisse actuelle. Les Marcomans, qui s’y étaient installés après eux, l’avaient abandonné également pour se replier sur la Bohême. Il était donc à peu près dépeuplé et livré au premier occupant. Des aventuriers gaulois vinrent s’y établir. Ils s’avancèrent la hache à la main à travers les bois. Rome n’eut garde de négliger ces hardis pionniers. Elle les assura de sa protection, sauf à leur faire payer une redevance d’un dixième pour les terres qu’ils défrichaient. De là le nom de Champs Décumates attribué à cette contrée. On ignore à quelle époque au juste commença cette prise de possession. Elle était fort avancée déjà sous Vespasien (69-79).

[LES DEUX COMMANDEMENTS MILITAIRES EN GERMANIE] L’abandon de la Germanie fit perdre son importance à l’autel des Ubiens. Il subsista pour les Ubiens eux-mêmes, mais il ne semble pas qu’il ait été désormais le centre d’un culte plus étendu. Une autre conséquence de la politique nouvelle, ce fut, ainsi qu’on l’a vu précédemment, la fin du régime qui groupait en un même gouvernement la Lyonnaise, l’Aquitaine et la Belgique. A la même époque s’introduisit la distinction entre cette dernière province et cette zone limitrophe du Rhin à laquelle se réduisait maintenant la Germanie romaine. Elle forma un commandement militaire qui parut lui-même trop considérable pour n’être point démembré. C’est pourquoi l’on distingua la Germanie supérieure et la Germanie inférieure, chacune ayant son armée et son chef ou légat particulier.

Les documents font défaut pour délimiter avec certitude la Belgique et les deux Germanies. La Germanie supérieure a dû vraisemblablement embrasser le pays des Helvètes et des Rauraques jusqu’au temps où il cessa d’être occupé militairement, c’est-à-dire jusqu’à la fin du Ier siècle ap. J.-C. ou jusqu’au commencement du IIe. Elle comprenait en tout cas le pays des Triboques, des Némètes, des Vangions, sur le versant oriental des Vosges. A moitié chemin entre les villes de Coblenz et de Bonn, à la limite marquée par la petite rivière du Vinxtbach, commençait la Germanie inférieure qui paraît s’être étendue jusqu’à l’Escaut, et qui englobait, à ce compte, avec les territoires des Ubiens et des Bataves, celui des Ménapiens et peut-être aussi ceux des Tongres et des Nerviens.

[ORGANISATION DES DEUX GERNANIES] L’organisation de ces deux Germanies fut quelque chose de très particulier. Jamais, dans le cours du Ier siècle ap. J.-C., elles ne sont désignées comme étant des provinces. Ce n’est pas que les hauts fonctionnaires préposés à ces deux ressorts fussent exclusivement, malgré leur titre de légats d’armée, des chefs militaires. On ne séparait pas encore, à cette époque, les pouvoirs militaires des pouvoirs civils. Mais on avait trouvé ce moyen d’étendre leur action, en cas de besoin, en dehors des limites où elle s’enfermait dans les circonstances normales. Le légat de la Belgique était un simple prétorien comme ceux de l’Aquitaine et de la Lyonnaise, tandis que les légats des armées de Germanie étaient consulaires et par conséquent hiérarchiquement supérieurs. Cette supériorité pouvait s’affirmer utilement à certains moments. Que la guerre vînt à se propager jusqu’en Gaule, qu’une révolte y éclatât, ils étaient autorisés à intervenir, mais pour cela il valait mieux que leur autorité ne fût pas circonscrite d’avance dans une province proprement dite.

[RETOUR OFFENSIF DE ROME SOUS LES FLAVIENS] Le gouvernement impérial persista dans son attitude circonspecte jusqu’à l’avènement de la dynastie flavienne en 69. Les expéditions qu’il ordonna avant cette date n’eurent jamais qu’un caractère défensif. Il repoussait les attaques des peuples les plus turbulents et, par des rivalités habilement suscitées, les mettait aux prises les uns avec les autres, de manière à s’assurer le repos.

Il sortit de cette réserve après le soulèvement de Civilis. Les événements de l’an 70 avaient relevé l’audace des Germains. Il devenait urgent de les mettre à la raison. La campagne de 73-74, sous Vespasien, ne nous est connue que par quelques documents épigraphiques. Nous ne sommes pas beaucoup mieux renseignés sur la guerre que Domitien conduisit en personne contre les Cattes, en 83. Mais la politique des deux empereurs nous apparaît nettement. Ils ne rompirent pas avec le système de Tibère. La grande Germanie rêvée par Auguste avait vécu. 11 n’était plus question de la ressusciter. Seulement il parut sage de relier par le plus court la ligne du Rhin et celle du Danube. On rapprochait ainsi les armées établies sur ces deux frontières, on les mettait à même de se soutenir réciproquement, ce qui devait permettre plus tard de les réduire de moitié, de manière à alléger les charges du recrutement et de l’impôt, sans compromettre la sécurité publique. Dès l’an 74, une route, partant d’Argentoratum (Strasbourg) et passant par Offenburg, dans le grand-duché de Bade, se dirigeait vers la Rétie. Du même coup les Champs Décumates, incorporés à la Germanie supérieure, reportés jusqu’au delà du Neckar, et protégés désormais contre les incursions des Barbares, ouvrirent à la civilisation romaine un terrain nouveau où elle s’implanta et prospéra avec une merveilleuse rapidité.

[LE LIMES] Trajan (98-147) compléta l’œuvre de Vespasien et de Domitien. Il poursuivit, le long de la nouvelle frontière, la construction de ce rempart continu que des fouilles récentes ont permis de suivre sur toute l’étendue de son tracé, et qu’on appela le limes. Le limes n’était pas, au sens propre du mot, un mur, mais une route. Les Romains, appliquant à leur empire la même règle qu’à la propriété privée, avaient imaginé de laisser, entre leur domaine et celui de leurs voisins, une bande de terrain entièrement découverte et large ordinairement de un ou deux kilomètres. Ce chemin de ronde n’était pas nécessairement adossé à un ouvrage fortifié. Quand il longeait un cours d’eau, la barrière opposée par la nature était réputée suffisante. Aussi ne trouve-t-on de ligne de fortification ni sur le Rhin ni sur le Danube. Mais lorsqu’on se fut avancé entre les deux fleuves, on jugea utile de fermer l’ouverture par un obstacle artificiel. Le limes germanique se détachait à Lorch, dans le Wurtemberg, du limes rétique auquel il faisait suite et qui partait du Danube. De Lorch il se tournait vers le Nord pour atteindre le Main à Altstadt. Là il cessait et était remplacé par la rivière. Il reparaissait ensuite près de Nassau pour contourner la région du Taunus et finir au Rhin, à la limite des deux Germanies.

[UTILITÉ DU LIMES] Ce rempart, qualifié souvent de gigantesque, ne l’était que par l’immensité de son développement. Il consistait en une levée de terre, haute de trois à cinq mètres, précédée d’un fossé, lequel était lui-même précédé d’une palissade. A une courte distance en arrière se succédaient, tous les quinze kilomètres environ, des réduits ou castella, capables d’abriter une petite garnison. 11 n’y avait pas là de quoi arrêter un ennemi nombreux et résolu. D’ailleurs, ni le tracé du rempart ni la position des fortins qui le soutenaient ne dénotent une intention exclusivement ou essentiellement stratégique. Le rempart courait tout droit, par monts et par vaux, négligeant tout ce qu’un emploi judicieux du terrain aurait pu ajouter à sa force défensive. Quant aux fortins, il apparaît clairement qu’on avait tenu compte, pour le choix de leur emplacement, des agréments du site et de ses commodités au moins autant que de sa valeur au point de vue militaire. Les généraux romains savaient trop leur métier pour compter sur la protection d’une sorte de muraille chinoise. Ils n’ignoraient pas que le pire des calculs eût été d’attendre la bataille, l’arme au pied, derrière un retranchement, sur un front de deux cents lieues. Mais on ne prévoyait ni ne souhaitait une guerre. Le limes était conçu en vue de la paix, d’une paix inquiète et troublée, comme celle qui régnait sur ces frontières, car, alors même qu’il n’y avait pas à redouter une attaque d’ensemble, il restait à prévenir les incursions partielles, à repousser les bandes de pillards. Ce qu’il fallait c’était qu’ils ne pussent se glisser inaperçus. Pour cela un faible obstacle suffisait à condition qu’il se rencontrât partout. Les sentinelles, les patrouilles donnaient l’alarme. Les détachements casernés dans les forts accouraient et avaient facilement raison de l’envahisseur. La flottille commise à la garde du Rhin remplissait le même office le long du fleuve.

Le limes avait encore son utilité comme ligne de douane. Le gouvernement réduisait au minimum les relations avec les Barbares. Il voyait dans la rareté des communications une garantie de sécurité, en présence d’états mal ordonnés, où l’autorité publique avait peu de prise sur les individus. Les importations étaient peu considérables. L’Empire était assez vaste et assez riche pour se passer de ses voisins. Les produits de la Germanie notamment ne lui étaient nullement nécessaires. Quant aux exportations, elles étaient sévèrement limitées, pour ne pas fournir de ressources à l’ennemi. On prohibait la sortie des denrées alimentaires, des armes et des matières premières avec lesquelles on aurait pu en fabriquer. Le passage des personnes n’était pas sujet à de moindres restrictions. Nul ne pouvait entrer sur le territoire romain que de jour. Encore fallait-il acheter un permis, se présenter désarmé et se faire accompagner en tout lieu par un employé de police. Ces précautions n’étaient possibles qu’avec un système de clôture absolu.

[L’ARMÉE] Le gros de l’armée était massé en arrière, le long du Rhin. Nulle part Rome n’avait concentré des forces aussi imposantes. Elles ne comprirent pas, pendant presque tout le premier siècle, moins de huit légions, soit quarante mille légionnaires, en prenant pour chaque légion le chiffre moyen de cinq mille soldats. Si l’on compte en plus les corps auxiliaires, dont il est difficile de fixer exactement le nombre et l’effectif, mais qui, pour les quatre légions de la Germanie inférieure, paraissent avoir été d’environ dix mille hommes ; si l’on ajoute les équipages de la flottille qui croisait sur le Rhin, on arrive à un total qui ne doit pas avoir été inférieur à soixante mille combattants. C’était le quart à peu prés ou le cinquième de toute l’armée impériale. Plus tard, la conquête du bassin du Neckar, en raccourcissant la frontière, permit de réduire sensiblement les troupes employées à la défendre. Les huit légions que l’on rencontre encore sous Nerva se ramènent à cinq sous Trajan, et à quatre sous Hadrien. Le repos dont on jouissait alors sur le Rhin rendait ce demi-désarmement sans danger, du moins pour le moment.

[LES GARNISONS] L’armée était répartie dans des garnisons fixes, dans des camps permanents qui formaient des places fortes de premier ordre et sont devenus par la suite, pour le rester jusqu’à nos jours, des villes florissantes[13]. Sur les quatre légions dont se composait l’armée de la Germanie inférieure, deux furent établies sur le territoire des Ubiens, non loin de l’autel élevé par Auguste. La ville des Ubiens, devenue, dès l’an 50, en l’honneur d’Agrippine, la femme de Claude et la fille de Germanicus, née dans ses murs lors des campagnes paternelles, la colonie Agrippinensis (Cologne), ne cessa pas d’être la résidence du légat, mais elle vit s’éloigner les deux légions primitivement concentrées dans son voisinage, peut-être parce qu’on voulait éviter les conflits possibles entre les chefs militaires et les magistrats civils, peut-être aussi parce que le passage du fleuve sur ce point avait paru suffisamment gardé par ces anciens et fidèles alliés. De ces deux légions, l’une alla s’installer à Novaesium (Neuss), l’autre à Bonna (Bonn). Le camp de Castra Vetera, oh étaient casernées les deux autres légions complétant l’armée attribuée d’abord à la Germanie inférieure, conserva cette garnison plus longtemps, ce qui s’explique par l’importance de cette position, en face de la Lippe. Ce fut seulement à partir de Domitien qu’il perdit la moitié de son effectif, quand on eut décidé, pour prévenir le retour de pronunciamientos semblables à celui d’Antonius Saturninus (88-89), que dorénavant deux légions ne camperaient plus ensemble. Noviomagus (Nimègue) profita de ce dédoublement. Castra Vetera et Bonn restèrent les deux quartiers principaux pour les deux légions maintenues dans la Germanie inférieure, au IIe siècle ap. J.-C.

La capitale de la Germanie supérieure et sa première place de guerre était Mogontiacum (Mayence). Mayence garda son importance jusqu’à la fin, bien que sa garnison eût été, comme celle de Castra Vetera, à la même date et pour la même raison, réduite de deux légions à une. Nous trouvons les deux autres légions à Argentoratum (Strasbourg), dans le pays des Triboques, et à Vindonissa (Windisch), au confluent de l’Aar et de la Reuss, chez les Helvètes. Vindonissa fut évacué après la conquête définitive des Champs Décumates et, quand l’armée de la Germanie supérieure ne compta plus, comme sa voisine, que deux légions, ce fut à Mayence et à Strasbourg qu’elles demeurèrent cantonnées.

[LES CORPS DÉTACHÉS] L’armée n’était pas confinée dans les places que nous venons  d’énumérer. Les troupes auxiliaires campaient au dehors, et les légions elles-mêmes envoyaient dans tous les sens des détachements (vexillationes) tirés de leur sein. Ces divers corps ont laissé des traces de leur séjour, non seulement par les monuments funéraires élevés aux soldats, mais aussi par des objets moins intéressants en apparence et pourtant précieux pour l’historien. Comme ils ne s’arrêtaient nulle part, fût-ce pour quelques jours, sans se retrancher solidement, leurs travaux se révèlent par des briques estampillées que le hasard fait sortir du sol, et ces brèves inscriptions nous permettent de fixer l’emplacement et quelquefois la date de ces campements durables ou provisoires. Il n’y a guère de localité un peu importante dans la région rhénane ou dans le bassin du Neckar dont ces menus débris ne nous fournissent, pour ainsi dire, l’acte de naissance.

[LES DEUX GERMANIES ÉRIGÉES EN PROVINCES] Vers la fin du premier siècle il se fit, dans l’administration des deux Germanies, un changement qui d’ailleurs était dans la forme plus que dans le fond : c’est alors en effet qu’elles furent érigées en provinces. Cette mesure fut une conséquence de l’extension territoriale réalisée au profit de la Germanie supérieure. Mais on doit l’attribuer encore à une autre cause. La soumission de la Gaule du Nord, rendue définitive depuis 70, ne laissait plus prévoir l’intervention des armées du Rhin en dehors de leur domaine propre. Il n’y avait donc nul inconvénient à enfermer leurs chefs dans les limites d’un ressort déterminé. Il y avait avantage d’autre part à supprimer ce que leur situation offrait d’anormal et d’équivoque. On évitait par là certains démêlés, comme il s’en était produit avec le légat de la Belgique. Pour les finances, les deux Germanies restèrent, comme auparavant, dépendantes du procurateur de cette dernière province en résidence à Trèves.

 

IV. — LES GOUVERNEURS DES PROVINCES. LA JUSTICE[14]

[TITRES DES DIVERS GOUVERNEURS] LA Narbonnaise, en sa qualité de province sénatoriale, était administrée par un proconsul. L’Aquitaine, la Lyonnaise, la Belgique, les deux Germanies l’étaient par des légats d’Auguste. Le proconsul de la Narbonnaise, ainsi que les légats des trois provinces, étaient de simples prétoriens. Seules les deux Germanies avaient deux consulaires à leur tête. Au ne siècle, quand la frontière germanique, moins menacée, cessa d’être aussi fortement occupée, le légat de la Germanie inférieure ne fut plus lui-même qu’un ex-préteur, désigné toutefois, par ce commandement, pour un consulat prochain.

Une troisième catégorie était formée par les gouverneurs des provinces considérées comme faisant partie du domaine privé de l’Empereur. Ils s’appelaient intendants, procurateurs, et appartenaient à la noblesse équestre. Tel était, on l’a vu, le cas des gouverneurs des Alpes Maritimes, Cottiennes et Poenines.

Les légats d’Auguste et, à plus forte raison, les procurateurs préposés aux provinces alpestres étaient nommés par l’Empereur pour un temps indéterminé. En général il maintenait ses légats pendant cinq ans. Les proconsuls restaient en fonctions pendant une année, mais pouvaient être prorogés exceptionnellement.

[PERSONNEL ADMINISTRATIF] Le personnel administratif était peu nombreux. Dans la Narbonnaise, le proconsul avec un questeur et son légat, le premier désigné au sort, comme le proconsul lui-même et pour le même temps, le second choisi par lui, à son gré, parmi ses collègues du Sénat, de rang inférieur ou équivalent. Dans l’Aquitaine, dans la Lyonnaise, dans la Belgique, les trois légats d’Auguste et les procurateurs provinciaux[15]. Dans ces trois provinces, comme dans la Narbonnaise, quelques procurateurs en sous-ordre.

Les légats d’Auguste, gouverneurs des provinces impériales, ne pouvaient conférer à autrui le titre et les pouvoirs qu’ils tenaient eux-mêmes de l’Empereur. Ils ne nommaient donc point de légats, comme les proconsuls. Les légats gouvernant les deux Germanies avaient sous leurs ordres les chefs des légions qui portaient, eux aussi, le titre de légats, mais c’étaient les légats de l’Empereur, délégués par lui à ce commandement spécial (legati Augusti legionis), tandis que le légat, leur supérieur, l’était à la province entière avec une compétence à la fois militaire et civile.

Dans certaines provinces, pour laisser le légat à ses devoirs militaires, l’Empereur lui adjoignait un légat juridicus, c’est-à-dire chargé de rendre la justice. Ce fonctionnaire ne se rencontre pas dans la Gaule. L’Aquitaine, la Lyonnaise, la Belgique, bien que provinces impériales, étaient dégarnies de troupes. La mission de leurs gouverneurs était donc toute pacifique et ils pouvaient s’y consacrer tout entiers. Quant aux légats des deux Germanies, l’administration civile se réduisait à pou de chose sur leur territoire. Ils étaient d’ailleurs assistés par d’autres auxiliaires qu’on trouve partout autour des gouverneurs, légats ou proconsuls, et dont il faut dire quelques mots.

[ENTOURAGE DU GOUVERNEUR] De tout temps le gouverneur emmenait un certain nombre de jeunes gens appartenant aux plus grandes familles. Ils formaient autour de lui comme une cour, analogue à celle qui entourait l’Empereur. Le titre même qu’on leur donnait rappelait celui des courtisans du Palatin. Ils composaient, comme ces derniers, la troupe des amis, des compagnons (amici, comites). Leurs fonctions n’étaient pas de pure représentation. Ils s’instruisaient, sous les yeux de leur chef, à la pratique des affaires. Ils constituaient son conseil. Ils mettaient à son service leurs connaissances juridiques, d’où les noms de conseillers et d’assesseurs (consiliarii, assessores) qu’ils reçurent plus tard.

[EMPLOYÉS SUBALTERNES] Venait ensuite le groupe des employés subalternes, les licteurs, les appariteurs, les scribes, les archivistes, les hérauts, les interprètes, et d’autres encore dont on ne sait pas toujours s’il faut les ranger dans le cortège officiel ou dans la domesticité privée. Ces serviteurs divers portaient le titre commun d’officiales ou gens de bureau, et il va sans dire que les fonctionnaires en sous-ordre avaient les leurs, moins nombreux seulement et moins considérés que ceux du gouverneur.

[ÉMOLUMENTS] Tout ce monde, depuis le gouverneur jusqu’au plus modeste de ses collaborateurs, était salarié. On répète souvent que ce fut là une innovation d’Auguste, et l’on attribue à ce fait de grandes conséquences. Mais l’innovation ne fut pas aussi grave qu’on est porté à le supposer. Sous la République déjà les proconsuls recevaient un équipement et levaient des prestations qui finirent par être fournis en argent. Ils subvenaient là-dessus à l’entretien de leurs auxiliaires qui, de leur côté, avaient droit à des allocations en nature également convertibles en espèces. Auguste établit des traitements fixes, payés à tous les degrés par l’État. Les éléments nous font défaut pour en évaluer le montant, sauf en ce qui concerne les procurateurs, dont les émoluments variaient suivant leur grade entre 300.000 et 60.000 sesterces, c’est-à-dire, en notre monnaie, de 60.000 à 11.000 francs. Pour ce qui est des gouverneurs, nous n’avons qu’une indication relative au proconsul d’Afrique qui touchait un million de sesterces = 200.000 francs. Mais on n’oubliera pas qu’il, était placé au sommet de la hiérarchie. Ce qui paraît certain, c’est que ces sommes n’étaient pas supérieures à celles que les fonctionnaires provinciaux touchaient antérieurement sous une autre forme et par une autre voie. Elles n’excluaient pas d’ailleurs certaines prestations restées à la charge des administrés. Ce ne furent donc pas les traitements établis par Auguste qui détournèrent les gouverneurs des profits illicites. Les indemnités qui leur avaient été attribuées sous la République étaient assez élevées pour suffire à leurs besoins, sinon à leur avidité.

[CONTRÔLE DE L’EMPEREUR] L’amélioration incontestable survenue dans le sort des provinces était due au contrôle exercé par l’Empereur. Sans doute il s’en fallait de beaucoup que ce contrôle fût toujours sérieux. L’histoire de la Gaule, pendant le Ier siècle ap. J.-C., nous a montré qu’il laissa plus d’une fois à désirer. La différence était grande néanmoins entre le gouverneur de la République et celui de l’Empire. Le premier était comme un roi dans son gouvernement. Il ne relevait guère que du Sénat, c’est-à-dire de collègues parmi lesquels il trouvait moins des juges que des complices. Vers la fin, il n’eut plus à compter qu’avec son armée. Le second dépendait d’un homme plus intéressé, somme toute, à réprimer ses méfaits qu’à les encourager. La surveillance de l’Empereur fut rendue plus efficace par l’organisation des bureaux de la chancellerie sous Claude (41-54). Ils formaient de vrais ministères auxquels aboutissaient toutes les branches de l’administration.

[POUVOIRS DU GOUVERNEUR] Le gouverneur était lié par la loi qui avait organisé la province (lex provinciae). Elle réglait avec précision la condition et les droits des cités. II emportait en outre des instructions détaillées délivrées par l’Empereur (mandata principes) et il était tenu de recourir à lui pour les cas importants non prévus. Des précautions étaient prises pour protéger les provinciaux contre les abus de pouvoir, et aussi pour empêcher le gouverneur lui-même de prendre racine dans le pays et de s’y créer une situation personnelle menaçante pour l’État. Il ne fixait ni le chiffre du contingent ni le taux de l’impôt, et il ne pouvait élever l’un ni l’autre sans une autorisation expresse. Nommé, comme on l’a vu, pour un an au moins et cinq au plus, il ne devait ni se marier dans sa province, ni y faire le commerce, ni y prêter à intérêt, ni y acquérir des biens-fonds[16]. Il lui était interdit de donner des jeux, de recevoir des présents de ses administrés ou des distinctions honorifiques avant l’expiration de ses fonctions. Enfin on verra plus loin[17] que les moyens ne manquaient pas à ces derniers pour faire parvenir leurs plaintes au souverain. Tout cela ne coupa court — on ne le sait que trop — ni aux malversations ni aux usurpations. On peut croire seulement qu’elles eussent été plus fréquentes autrement. La Gaule a eu de mauvais gouverneurs. Mais elle en a eu aussi d’excellents. II suffit de citer des hommes comme Galba, Agricola et Septime Sévère[18].

Le légat et le proconsul étaient investis de l’imperium, le premier par délégation de l’Empereur, le second comme l’Empereur lui-même, mais en sous-ordre, par un acte du Sénat. C’est dire qu’ils concentraient en leurs mains tous les pouvoirs. Les Romains exigeaient de leurs hommes d’État les aptitudes les plus variées. Leurs gouverneurs étaient à la fois des chefs d’armée, des administrateurs et des juges. Il est vrai que le commandement militaire était devenu purement théorique pour les gouverneurs des provinces sénatoriales, et l’on a rappelé tout à l’heure que les légats des trois provinces de l’Aquitaine, de la Lyonnaise et de la Belgique étaient, à ce point de vue, sur le même pied que le proconsul de la Narbonnaise. Quant aux procurateurs des provinces équestres, ils étaient, de par l’Empereur, en possession de droits équivalents à ceux des proconsuls et des légats.

Les pouvoirs du gouverneur étaient limités, en principe, par la notion même de la Province. La Province ne comprenait pas, à strictement parler, les villes libres et alliées qui étaient considérées comme devant rester autonomes, c’est-à-dire indépendantes en ce qui concernait leur administration intérieure. Elles n’en étaient pas moins, comme les villes sujettes, soumises à la haute autorité de Rome, à sa majesté. Il n’y avait donc pas en réalité de ville soustraite à l’action du gouverneur.

Les fonctionnaires de toute catégorie lui étaient subordonnés. Les agents financiers, bien qu’ils eussent une compétence nettement déterminée, n’échappaient pas à son contrôle. Ceux mêmes qui étaient investis pour un temps d’une mission spéciale[19] se trouvaient placés sous sa surveillance. Le bon ordre de la province, la bonne gestion des affaires à tous les degrés, tout cela lui était commis directement ou indirectement, et il s’en sentait responsable devant l’Empereur.

[LA JUSTICE] La principale occupation du gouverneur, en dehors de ses fonctions militaires, quand il en avait, était de rendre la justice. C’est pourquoi il portait le titre de praeses qui signifiait proprement président du tribunal et qui, au me siècle ap. J.-C., quand on commença à séparer le commandement militaire et l’administration civile, fut appliqué de préférence et également aux proconsuls, aux légats et aux procurateurs.

[ÉVOLUTION DU DROIT ROMAIN] Lorsque le droit romain s’introduisit en Gaule, il avait accompli déjà la majeure partie de son évolution. Les lois d’une petite cité, étroite et exclusive, étaient devenues et devenaient de plus en plus le code commun des nations civilisées. Cette transformation s’était opérée par l’initiative des magistrats. Les Romains n’avaient connu d’abord que le jus civile, fait pour les citoyens. Quand ils virent les étrangers affluer sur leur territoire, il fallut bien créer un droit à leur usage. Ce soin fut confié au préteur pérégrin, chargé de juger les différends des étrangers avec les Romains et entre eux. Il avait, comme tous les détenteurs de la puissance publique, la faculté de promulguer un édit, c’est-à-dire une ordonnance valable pour la durée de sa magistrature. Il s’en servit pour faire connaître, dès son entrée en charge, les principes sur lesquels il comptait régler ses décisions et les formes de procédure qu’il entendait adopter. Ni ces formes ni ces principes ne pouvaient être les mêmes que pour les citoyens. Il était donc permis de simplifier les unes et de conformer les autres à l’équité naturelle, dont la notion se répandait et tendait à prévaloir sur des traditions surannées. Le travail du préteur pérégrin eut son contrecoup dans le jus civile, qui se modifia lui aussi, dans le même sens, par les édits émanés des préteurs urbains. On appelait urbain, par opposition au pérégrin, le préteur qui jugeait les Romains. L’édit survivait à son auteur. Il faisait autorité aux yeux de son successeur. Il était repris, remanié, complété par ce dernier. Ainsi se forma un droit nouveau, plus souple, plus large, plus humain que l’ancien. On distinguait encore entre le droit des citoyens et celui des étrangers, mais ils se rapprochaient et inclinaient à se confondre sous l’impulsion des mêmes idées.

[L’ÉDIT DU GOUVERNEUR] La même méthode fut employée dans les provinces. Le premier acte du gouverneur était de promulguer son édit. Comme il remplissait, dans son ressort, l’office des deux préteurs de la capitale, jugeant à la fois les citoyens et les pérégrins, l’édit provincial comprenait nécessairement deux parties, dont l’une ne faisait guère que reproduire I’édit du préteur urbain. L’autre, qui combinait les lois romaines et les lois indigènes, était beaucoup plus originale et plus intéressante, et il est infiniment regrettable qu’aucun document de cette nature ne nous ait été conservé pour la Gaule. Nous y trouverions sur le droit gaulois de précieux renseignements.

[LE DROIT ROMAIN EN GAULE] Le gouverneur appliquait les lois romaines aux villes romaines et latines. Il les appliquait aussi aux villes sujettes, en tenant compte de leurs coutumes locales, surtout en matière de droit privé, et dans les dispositions qui n’étaient pas contraires à l’ordre public. Les villes libres et fédérées furent celles qui conservèrent le plus longtemps les lois gauloises, mais elles étaient libres d’y renoncer et elles ne s’en firent pas faute. Les individus, de leur côté, pouvaient, à leur gré, porter leur cause devant le gouverneur. Ces villes étaient d’ailleurs peu nombreuses dans notre pays, et leur autonomie ne tarda pas à être réduite, en ce qui concerne la justice criminelle. Enfin la propagation du droit de cité romaine, finalement consommée par la fameuse constitution de Caracalla[20], acheva de balayer ce qui restait du droit celtique. Il ne disparut pas tout entier, même alors, puisque, à l’époque de Constantin, la coutume pouvait encore entrer en conflit avec la loi[21], mais son abolition totale et définitive ne fait pas de doute, et c’est en vain qu’on a essayé d’en trouver quelques vestiges dans nos usages ruraux.

[SUPÉRIORITÉ DU DROIT ROMAIN SUR LE DROIT DES GAULOIS] On s’explique aisément l’accueil empressé fait par les Gaulois à la loi romaine. En fait de lois, ils n’avaient connu encore que des coutumes, confiées à la mémoire, et livrées à l’interprétation des nobles et des prêtres. Pour la première fois ils étaient en présence d’un code écrit et soustrait par la publicité à l’arbitraire. Ce droit avait ses défauts. La pénalité y était fort dure et, ce qui nous choque encore davantage, il réservait ses rigueurs pour les classes inférieures de la société. Mais les Gaulois n’étaient pas habitués à voir régner l’égalité, et ils étaient blasés sur l’atrocité des supplices. En revanche ce droit n’était ni patriarcal ni sacerdotal. Il n’imposait la tyrannie ni d’un clergé ni de la famille. La conquête romaine avait brisé la domination des druides et dissous le régime du clan. Elle rendait l’individu à lui-même. Elle le dégageait des liens dont la théocratie enveloppait la vie privée. Elle assurait quelque indépendance à la femme, aux enfants. Elle établissait l’égalité dans l’héritage. Elle supprimait l’esclavage pour dettes. Elle adoucissait la condition des clients et des esclaves même. A la souveraineté des castes ou du père, du chef domestique, elle substituait celle de l’État, qui ne visait qu’à l’intérêt général et n’était fondée que sur la raison.

[SOURCES DU DROIT ROMAIN] La source du droit était dans la volonté des pouvoirs publics. Il s’élaborait et s’exprimait par les plébiscites, les sénatus-consultes, les constitutions impériales, les décisions des jurisconsultes autorisés, les édits des préteurs et aussi, pour les provinces, par la lex provinciae d’abord, et ensuite par les édits des gouverneurs. Il convient de noter que l’activité législative de ces derniers se ralentit de plus en plus, avec celle des préteurs eux-mêmes, en raison de l’initiative revendiquée et déployée par l’Empereur dans ce domaine. On put considérer leur œuvre à tous comme terminée, lorsque l’empereur Hadrien en ordonna une codification générale (131). En ce qui concerne les édits provinciaux, ils formaient alors un répertoire suffisamment complet, et d’ailleurs la disparition déjà fort avancée des coutumes nationales devait sous peu rendre inutile toute addition à ce travail.

[POUVOIRS JUDICIAIRES DU GOUVERNEUR AU Ier SIÉCLE] Nous prenons les pouvoirs judiciaires du gouverneur, tels qu’ils nous sont connus par les jurisconsultes de l’époque classique, c’est-à-dire à la fin du ne siècle ap. J.-C. et au commencement du me. A cette époque, les franchises des cités libres et fédérées n’étaient plus guère qu’un souvenir, et les droits des magistrats municipaux en général avaient été amoindris tant au criminel qu’au civil. Au civil, ils ne jugeaient que des causes sans importance. Au criminel, ils ne pouvaient que procéder à un commencement d’enquête et prendre des mesures de simple police[22].

Les Romains distinguaient entre l’imperium merum, comprenant le jus gladii ou droit du glaive et équivalant à ce que nous appelons la juridiction criminelle, et l’imperium mixtum, correspondant à notre juridiction civile. Le gouverneur seul possédait les deux juridictions dans toute leur étendue. Les autres fonctionnaires avaient la juridiction civile plus ou moins limitée. Les procurateurs des provinces équestres avaient pour la plupart et finirent par avoir tous le droit de glaive, à l’égal des proconsuls et des légats d’Auguste.

[ASSISES DU GOUVERNEUR OU CONVENTUS] Le gouverneur ne jugeait pas seulement dans sa capitale. Il allait au-devant des justiciables, dans des villes choisies à cet effet, à des jours fixés par lui. Ces assises s’appelaient des conventus, mot qui veut dire assemblée et qui désigna aussi les ressorts judiciaires dépendant du conventus. Elles attiraient une grande affluence. Le gouverneur en profitait pour se mettre en contact avec les populations, pour s’enquérir de leurs besoins, leur communiquer ses intentions, leur transmettre les instructions de l’Empereur. Les procès ne l’occupaient donc pas exclusivement en ces réunions solennelles. César avait tenu des assemblées de ce genre dans l’intervalle de ses Campagnes. Nous connaissons la délimitation des conventus pour l’Espagne. Aucun renseignement ne nous est parvenu pour ceux de la Gaule. Le proconsul pouvait se faire représenter par son légat pour la juridiction civile.

[CONSEIL DU GOUVERNEUR] Le gouverneur était le maître dans la judicature comme pour le reste. Mais il était de règle à Rome que tout magistrat, dans l’exercice de ses fonctions, fût assisté d’un conseil (consilium). Il s’éclairait de ses lumières et recueillait ses avis, sans être tenu d’ailleurs de les suivre. Le Sénat n’avait pas été autre chose primitivement que le conseil du Roi. L’Empereur lui-même, lorsqu’il rendait la justice, était entouré d’un conseil composé de sénateurs et de chevaliers. Le conseil du gouverneur et, à son défaut, de son légat, était formé des comites, des assesseurs, et aussi de quelques notables de la province. Ainsi l’usage tempérait ce que cette autorité pouvait avoir de trop absolu.

[LES JUGES] Une institution qui contribua au même résultat fut celle des judices ou juges. Il ne faut pas les confondre avec ceux que nous appelons de ce nom aujourd’hui. Leur rôle était tout différent.

Depuis longtemps, à Rome, le magistrat, faute de loisir pour suivre les affaires dans le détail, avait dû se borner à un examen préalable des faits allégués par le demandeur. Il n’examinait pas s’ils étaient vrais ou faux. Il recherchait simplement s’ils prêtaient à une solution juridique. Dans ce cas il renvoyait les parties devant un juge, avec une formule contenant la solution en question. La mission du juge tenait donc à la fois de celle du juge, au sens où nous l’entendons, et de celle du juré. Il vérifiait le point de fait et, le fait établi, il appliquait la loi. Ce fut la procédure dite formulaire qui partageait l’instance en deux phases : l’instance injure, devant le magistrat, et l’instance devant le juge, ou in judicio. Il va sans dire que le magistrat pouvait se réserver l’affaire tout entière, sans recourir à l’intervention du juge. Il pratiquait alors le système dit de la cognitio, mais il le faisait rarement et seulement pour certaines causes déterminées. Suivant les circonstances, le juge était unique, ou bien il y en avait plusieurs. Ils formaient alors le tribunal des récupérateurs. L’histoire de ce tribunal est fort obscure. Ce qu’on voit clairement, c’est qu’il était chargé, à l’origine, de trancher les contestations entre Romains et pérégrins. Très probablement les deux nationalités y étaient représentées, ce qui explique que, dès le principe, les juges y aient été au moins deux ou plutôt trois, car le nombre impair était de rigueur.

Les juges étaient pris sur une liste dressée tous les ans par le préteur et recrutée d’abord parmi les sénateurs, puis parmi les chevaliers, puis, après de nombreuses vicissitudes, dans les deux ordres simultanément. Auguste créa une catégorie nouvelle composée de juges qui possédaient la moitié du cens équestre. Les décuries ou groupes de juges ainsi constituées représentaient la noblesse et la haute bourgeoisie romaines.

[LES PROVINCIAUX ASSOCIÉS AU TRAVAIL JUDICIAIRE] La procédure formulaire, transportée dans les provinces, permit d’associer les provinciaux au travail judiciaire. Ils y coopéraient par leur présence dans le conseil du gouverneur, mais leur collaboration, en tant que juges, était plus active et plus générale. Nous sommes malheureusement très peu renseignés sur ce sujet. Une inscription de Narbonne, datée de l’an Il de notre ère, nous apprend qu’Auguste étendit à la plèbe de cette colonie, c’est-à-dire en dehors du Sénat municipal ou ordre des décurions, le droit de juger, qui avait été jusque-là réservé aux membres de cet ordre[23]. C’est ainsi qu’à Rome même il avait étendu la judicature en dehors de l’ordre sénatorial et de l’ordre équestre. Les deux mesures procèdent visiblement de la même pensée. Il est vrai que la première ne nous est signalée que pour Narbonne, en sorte que nous ignorons si elle constituait un privilège pour cette ville ou si elle était applicable aux autres colonies romaines et, à plus forte raison, aux communes de toute espèce. Elle ne concerne d’ailleurs que l’organisation de la justice municipale, à l’époque oh elle avait quelque vitalité. Toutefois il est légitime de supposer, d’après ce document, que la confection des listes s’inspirait en province, à tous les degrés, des mêmes principes qu’à Rome. Les juges étaient pris parmi les provinciaux élevés au rang de citoyens romains, mais il y a lieu de croire que les tribunaux pouvaient être mi-partie quand ils avaient à juger des pérégrins. Il est à noter enfin que la procédure formulaire ne parait avoir été de mise que pour les causes civiles.

[LE DROIT D’APPEL] Une nouveauté bienfaisante introduite par l’Empire fut le droit d’appel. Les Romains ne l’avaient pas connu jusqu’alors. Ils avaient, au début de l’ère républicaine, proclamé le droit d’appel au peuple, mais le tribunal populaire s’était transformé très vite en un tribunal de première instance dont les arrêts étaient définitifs. Il ne jugeait d’ailleurs que les causes criminelles. Le collège des tribuns était armé du veto, qui pouvait devenir entre ses mains un droit de cassation. Mais ses préoccupations étaient exclusivement politiques, et, de plus, il n’entrait en mouvement que de son propre gré. Le droit d’appel fut une conséquence de la subordination établie entre les pouvoirs publics. Il ne fut pas d’ailleurs organisé en une fois, de toutes pièces. L’Empereur fut d’abord le seul recours. Il déléguait sa juridiction, pour les appels formés contre les gouverneurs des provinces, à des commissaires spéciaux choisis parmi les consulaires. Il ne renonça jamais entièrement à cette pratique, mais le préfet du prétoire devint, avec le temps, son délégué ordinaire pour les causes de cette catégorie. Puis, les appels se faisant de plus en plus nombreux, on sentit le besoin de créer des intermédiaires. L’appel fut autorisé du magistrat municipal au gouverneur, du juge au magistrat, du légat au proconsul. Une affaire pouvait ainsi, en suivant la filière, arriver jusqu’au tribunal impérial. Plus tard elle dût s’arrêter à celui du préfet du prétoire statuant en dernier ressort, l’Empereur n’intervenant plus que facultativement. Les formalités pour l’appel étaient simples et ne suscitaient point de difficultés aux justiciables. La procédure aussi était simplifiée, la procédure formulaire étant remplacée, en deuxième instance, par la cognitio directe.

[PRIVILÈGES DES CITOYENS ROMAINS. HONESTIORES ET HUMILIORES] Les peines capitales comprenant la mort, la déportation, les travaux forcés à perpétuité ou à temps avec la confiscation totale pour conséquence, ne pouvaient être infligées par le gouverneur aux citoyens romains sauf, bien entendu, à ceux qui se trouvaient sous les drapeaux. Comme ils étaient toujours couverts par l’ancienne loi de l’appel au peuple, ils devaient être déférés aux tribunaux populaires siégeant dans la capitale ou aux commissions (quaestiones perpetuae) qui avaient été installées à leur place. Cette règle était observée encore au Ier siècle de notre ère, bien que l’on puisse constater déjà, à cette époque, quelques infractions motivées par la nécessité d’une rapide répression. Elle ne put subsister à mesure que le droit de cité romaine se répandit dans les provinces. Les citoyens ne conservèrent alors, en fait de privilège, que celui d’être soustraits aux formes les plus infamantes du supplice. Ce privilège lui-même dut disparaître quand la qualité de citoyen cessa d’être une distinction exceptionnelle. L’égalité devant la loi ne fut pas établie pour cela. A l’aristocratie des citoyens romains se substitua celle des honestiores, composée de tous ceux qui avaient exercé quelque dignité et jouissaient de quelque aisance, par opposition aux gens de rien, aux humbles, humiliores. Ils n’échappaient pas seulement à la peine de mort qui, en fait, fut remplacée pour eux par la déportation. La’ pénalité en général était fort adoucie à leur égard. Il va de soi qu’ils n’étaient pas, en matière criminelle, soumis à une juridiction spéciale et supérieure, comme autrefois les citoyens. Les décurions eux-mêmes ou sénateurs municipaux, qui étaient restés en possession de cet avantage, avaient fini par le perdre. Il fut réservé à la haute noblesse, et il ne put que se confirmer, en ce qui la concernait, avec la hiérarchie nouvelle du IVe siècle.

[JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES] Outre la juridiction du gouverneur, il faut mentionner, dans les provinces sénatoriales, celle du questeur. Les Romains estimaient qu’à chaque compétence administrative revenait sa part de compétence judiciaire. Les fonctions des questeurs provinciaux, en dehors et en sus de leur gestion financière, étaient analogues à celles qu’exerçaient à Rome les édiles curules. Elles se résumaient dans la police des jeux, de la rue, du marché. Elles impliquaient, comme pour les édiles, une juridiction qui ne se limitait pas d’ailleurs aux simples contraventions, mais s’étendait à tous les procès en matière de commerce. Cette juridiction spéciale était assez importante pour motiver, de la part des questeurs, comme des édiles de la capitale, la promulgation d’édits qui prirent place dans la collection formée par les ordres de l’empereur Hadrien.

Une autre juridiction, ayant un caractère plus particulièrement administratif, fut concédée par l’empereur Claude aux procurateurs financiers, dans les contestations relatives au fisc. Le gouverneur avait rigoureusement le droit d’intervenir, mais l’abstention lui est recommandée par un article du Digeste daté de la première moitié du IIIe siècle ap. J.-C.[24]

 

V. — L’IMPÔT[25]

ROME exigeait des Gaulois l’impôt direct (stipendium, tributum) et l’impôt indirect (vectigal).

Lorsque César quitta la Gaule, il la frappa d’un impôt de guerre dont chaque cité payait une part, en réunissant suivant ses moyens et ses convenances les fonds nécessaires. A cet impôt de répartition Auguste substitua un impôt de quotité, fondé sur l’estimation des terres et le dénombrement des personnes. Les terres et les personnes étaient mises à contribution d’après un tarif uniforme et constant dont le montant total n’était pas fixé d’avance.

[THÉORIE ROMAINE DE L’IMPÔT FONCIER] Nous trouvons chez les jurisconsultes une théorie de l’impôt foncier très différente de la nôtre et fondée sur l’idée qu’on se faisait du droit de la guerre dans le monde ancien. Le sol conquis devenait le domaine de l’État (ager publicus), la propriété du peuple romain. Il pouvait le confisquer en totalité ou en partie. Le plus souvent il le restituait presque en entier aux propriétaires, mais à titre de concession gracieuse et révocable, de jouissance de fait (possessio), la propriété véritable supposant deux conditions, la qualité de citoyen romain pour le propriétaire, et de terre romaine (ager romanus) pour la propriété. Ces deux conditions réunies constituaient la propriété quiritaire, le dominium ex jure Quiritium, ainsi nommé parce que le propriétaire était le maître (dominus) et parce qu’il l’était en vertu du droit des Quirites, c’est-à-dire du droit des citoyens.

[LA POSSESSION] On ne conclura pas de là que le simple occupant, le possesseur, fût réduit à une jouissance inquiète et sans cesse troublée. II vivait sous la sauvegarde des lois de son pays que Rome reconnaissait et dont elle assurait le fonctionnement. Il était de même protégé par la loi romaine, partout où elle avait remplacé la loi nationale. Car si les modes du droit civil ou droit des citoyens étaient inapplicables à la possession, le droit prétorien en avait imaginé d’autres qui en tenaient lieu. Par ce subterfuge bienfaisant, le possesseur put jouir de son bien en toute sécurité ; il put le défendre contre les usurpations ; il put le transmettre par vente, par donation, par héritage, par legs. A la vérité il restait sans défense contre le droit supérieur du peuple romain. Mais ce droit, le peuple romain se gardait bien d’en user. Il se contentait d’une redevance en guise de loyer. La seule différence, au fond, entre le possesseur et le propriétaire quiritaire, c’est que le premier payait l’impôt foncier dont le second était dispensé.

[LE SOL PROVINCIAL ET LE SOL ITALIQUE] A la fin de la période républicaine, l’Italie, ne comprenant plus que des citoyens romains, se trouva comme incorporée à la cité et fut, à ce titre, exonérée de la contribution foncière. Par là s’introduisit la distinction entre le sol italique et le sol provincial. Elle s’imposait si l’on ne voulait pas tarir à leur source les revenus de l’État. Non seulement le sol provincial, aux mains d’un propriétaire citoyen, fut sujet à l’impôt, mais les immeubles même situés sur le territoire des colonies romaines n’y échappèrent pas. Quelques-unes seulement parmi ces dernières reçurent l’immunité par un privilège spécial qu’on appela la concession du droit italique. Dans toute la Gaule on n’en cite que trois qui aient été ainsi favorisées : Lyon, Vienne et Cologne. Les cités libres et fédérées avaient été sous-traites à cette charge dans les premiers temps, conformément à une règle qui parait avoir été générale, mais elles ne tardèrent pas à y être soumises comme les cités stipendiaires. Les Éduens, qui étaient un peuple fédéré, la subissaient sous Tibère, et il se peut que cette obligation, encore récente, n’ait pas été étrangère à leur soulèvement, en 21 ap. J.-C.[26]

[LE RECENSEMENT]  L’impôt foncier avait pour base le cens, ou recensement des personnes et des propriétés. On a vu l’émoi que ces enquêtes minutieuses suscitèrent par toute la Gaule, au Ier siècle de notre ère, jusqu’à ce que les populations s’y fussent habituées[27]. Cet immense travail avait été préparé, dès l’an 44 av. J.-C., par les travaux de mensuration et de cartographie dont César confia l’exécution, pour l’Occident, au géomètre Didyme. En 27, l’année même où il régla la condition des provinces, et en particulier celle des provinces gauloises, Auguste ordonna un recensement général qu’il dirigea en personne pendant le séjour qu’il fit alors à Narbonne. L’opération fut poursuivie ou reprise, en 12 av. J.-C., par Drusus, de 14 à 16 ap. J.-C. par Germanicus, plus tard encore sous Néron en 61 et sous Domitien en 83. Il n’est pas probable qu’elle ait abouti, avant assez longtemps, à un cadastre proprement dit, c’est-à-dire à un inventaire complet et exact des immeubles, faisant connaître, avec leur contenance, la nature et la somme de leurs revenus. Une telle entreprise ne pouvait être menée à bonne fin qu’après de longues années, principalement dans les pays neufs comme la Gaule. Auguste se contenta du dénombrement des individus avec une évaluation plus ou moins sommaire des ressources disponibles pour le recrutement et l’impôt. Ces données lui suffirent pour le tableau statistique qui fut remis, en son nom, après sa mort, au Sénat. Quant au plan parcellaire de toutes les terres de l’Empire, on ne le posséda vraisemblablement qu’à dater de Trajan (98-117).

[LES AGENTS DU RECENSEMENT] Le cadastre une fois dressé, il fallait le tenir au courant. Il fut révisé à époques fixes, tous les quinze ans, depuis le IIe siècle ap. J.-C. L’assiette de l’impôt étant ainsi établie pour cette période, on fut conduit à en fixer, pour la même durée, le montant. De là les périodes trois fois quinquennales correspondant, à peu près, à ce que nous appelons une année budgétaire. Le point de départ de ces périodes variait dans les diverses parties du monde romain, car l’opération du cens ne s’effectuait pas partout en même temps. En ce qui concerne la Gaule, nous voyons qu’elle était ordonnée simultanément pour la Lyonnaise, l’Aquitaine, la Belgique, y compris les deux Germanies. Elle était confiée, dans chaque province, au gouverneur, proconsul ou légat. Dans ce cas, et en raison de cette mission extraordinaire, il était choisi parmi les consulaires, même quand il s’agissait d’une province prétorienne. Hadrien (117-138) dans les provinces sénatoriales, Septime Sévère (193-211) dans les autres, détachèrent des attributions du gouverneur l’opération du cens pour la transférer à un procurateur qui fut intitulé ad census accipiendos ou a censibus accipiendis. Les gouverneurs et les procurateurs qui leur succédèrent étaient assistés par des censiteurs en sous-ordre préposés à une cité ou à un groupe de cités. C’étaient des officiers empruntés aux légions voisines, tribuns légionnaires, préfets d’aile ou de cohorte et qui entraient par cette porte dans la carrière des fonctions équestres civiles. Leur mission était de contrôler les rôles dressés par les magistrats municipaux. Ces rôles s’appelaient libri censuales. Plus tard ils prirent le nom de polyptyca, nom qui a passé dans la langue de l’époque mérovingienne pour désigner les registres des abbayes, avec l’indication de leurs tenanciers et des redevances dues par ces derniers[28].

[FORMULE DU RECENSEMENT] L’uniformité de l’impôt foncier ne fut réalisée que sous l’Empire et peu à peu. Certains pays continuèrent, pendant quelque temps, à le payer en nature, comme autrefois sous la République. La Gaule, dès qu’elle s’y trouva soumise, dut le solder en espèces. L’unité agraire des Romains était le jugère, rectangle de 240 pieds de long sur 420 de large (25 ares 182). Mais ils admettaient les mesures locales. C’est ainsi que l’on trouve mentionnée dans les traités des arpenteurs la leuga ou lieue gauloise. Le Digeste nous a conservé la formule générale du recensement (forma censuales), telle qu’elle a été rédigée, au temps des Sévères, par le jurisconsulte Ulpien et telle qu’elle parait avoir été en vigueur dés Trajan[29]. Elle offrait comme un canevas qui pouvait s’appliquer, avec les modifications nécessaires, aux divers pays, suivant la nature du sol et des produits. La déclaration exigée du propriétaire (professio) était très précise et très complète. Il fallait indiquer d’abord le nom de la terre, puis le nom de la cité, puis le nom du canton (pagus) où la terre se trouvait, puis le nom des tenants et aboutissants. Après quoi la terre était inscrite dans une des catégories suivantes : 1° terrain cultivé, avec indication du nombre des jugères ; 2° vignobles, avec indication du nombre des plants ; 3° olivettes, avec indication du nombre des jugères et des arbres ; 4° prairies, avec indication du nombre des jugères ; 5° bois taillis, avec la même indication ; 6° pêcheries ; 7° salines. Le déclarant devait faire lui-même, sauf contrôle, l’estimation de ses biens.

[L’IMPÔT PERSONNEL] Il y avait, à côté de l’impôt foncier, un impôt personnel (tributum capitis) fondé sur l’évaluation de la fortune mobilière et dont on ne saurait dire avec certitude s’il s’ajoutait ou non à l’impôt foncier. Les non propriétaires en tout cas y étaient soumis. Nous le retrouverons plus tard sous le nom de capitation des plébéiens[30].

[LES PRESTATIONS] L’impôt proprement dit n’était pas la seule charge pesant sur la propriété foncière. Les prestations en nature, les fournitures de vivres et de moyens de transport pour les troupes et les fonctionnaires, les offrandes à l’Empereur, toutes ces taxes, ordinaires ou extraordinaires, qu’on retrouvera au Bas-Empire, existaient déjà antérieurement et ne laissaient pas d’être assez lourdes.

Les Romains appelaient vectigalia les impôts que nous appelons indirects, bien que ce mot impliquât aussi d’autres revenus qui ne sauraient être qualifiés ainsi, par exemple les revenus du domaine de l’État.

[LES IMPÔTS INDIRECTS] Les impôts indirects pesaient également sur les pérégrins et les citoyens. Il y en avait même un qui pesait exclusivement sur ces derniers et qu’Auguste avait établi précisément pour faire contrepoids à l’immunité de l’impôt foncier dont bénéficiaient les Italiens. C’était l’impôt du vingtième (5 p. 100) sur les héritages (vicesima hereditatium). Il ne frappait ni les successions pauvres ni celles qui passaient à des parents rapprochés. Il visait surtout les célibataires riches dont la proportion était d’ailleurs très forte et qui testaient volontiers en faveur d’étrangers. Il était donc, malgré ces restrictions, très fructueux. Les Gaulois y furent astreints à mesure qu’ils entraient dans la cité, sans être pour cela dispensés de la contribution foncière.

Un impôt du même taux avait été établi dès l’année 357 av. J.-C. sur les affranchissements d’esclaves (vicesima libertalis) et fut levé sur tous les habitants de l’Empire. Auguste établit, en leur donnant la même extension, l’impôt du centième sur les ventes (centesima rerum venalium, 1 p. 100), et l’impôt du vingt-cinquième (4 p. 100) sur la vente des esclaves (quinta et vicesima venalium mancipiorum). On attribue à Caligula l’impôt du quarantième (2 ½ p. 100) sur les procès (quadragesima litium), qui du reste eut la vie courte et parait avoir été supprimé par Galba.

Les impôts que nous venons d’énumérer ont été institués par le gouvernement impérial, sauf celui du vingtième sur les affranchissements qui d’ailleurs est relativement récent. Les douanes, au contraire, ou impôt du portorium (de portare, transporter), existaient à Rome depuis une haute antiquité et nous les avons rencontrées en Gaule avant les Romains.

[LES DOUANES] Les Romains n’ont jamais vu dans cet impôt qu’un impôt de circulation. L’idée qu’il pouvait en même temps servir à une autre fin, en protégeant l’industrie nationale contre la concurrence étrangère, ne leur était pas venue. Leur seule préoccupation était de le rendre le plus fructueux possible pour le Trésor. Pour cela, ils avaient divisé leur empire en neuf circonscriptions douanières, avec de nombreux péages à l’intérieur. La Gaule, c’est-à-dire les trois Provinces, les deux Germanies, la Narbonnaise, les Alpes Maritimes et Cottiennes, à l’exception des Alpes Poenines, rattachées à la Rétie, formaient un de ces districts. Le droit qu’on y percevait s’élevait au quarantième, soit 2 ½ p. 100 de la valeur des marchandises, sans distinction d’espèces et, comme elles circulaient en grande quantité, non seulement pour la consommation, mais aussi pour le transit, l’impôt du quarantième des Gaules (quadragesima Galliarum) était des plus productifs.

[LES OCTROIS] Le droit perçu par l’État à l’entrée des villes ne doit pas se confondre avec l’octroi ou droit perçu par la ville elle-même et à son profit. L’octroi existait à titre de privilège par une faveur spéciale de l’État, et là où il l’avait concédé, il renonçait à lever une contribution à son nom. Ce fut au dernier siècle de l’Empire seulement qu’il s’attribua une part dans les octrois municipaux[31].

[RÉPARTITION ENTRE LE TRÉSOR DE L’EMPEREUR ET CELUI DU SÉNAT] Les textes ne nous apprennent rien ou presque rien sur la manière dont le produit des impôts, dans les provinces, était réparti entre les deux caisses publiques, celle du Sénat (aerarium) et celle de l’Empereur (fiscus). Il est clair que les revenus des provinces impériales allaient au fisc. Dans les provinces sénatoriales elles-mêmes, les ressources de l’aerarium furent de bonne heure soutirées au nom de l’Empereur. La caisse du Sénat était si appauvrie, dès le premier siècle, qu’elle ne vivait plus guère que d’emprunts faits à sa voisine. Les deux impôts du vingtième des héritages et du centième des ventes alimentaient une caisse spéciale, l’aerarium militare, fondée par Auguste pour subvenir aux retraites militaires et dépendant, cela va sans dire, de l’Empereur, chef suprême de l’armée.

[MODE DE PERCEPTION. FERMIERS ET PROCURATEURS] Ce qui nous importe davantage, c’est de connaître le mode de perception. La République avait affermé tous les impôts à de puissantes compagnies composées des principaux personnages de l’ordre équestre, et ce système avait produit de fort mauvais effets, pour les contribuables et pour l’État. L’Empire, sans y renoncer absolument, le restreignit peu à peu et, dans la mesure où il crut devoir le conserver, le mitigea et le corrigea.

Il y renonça tout à fait et tout de suite pour les impôts directs dont il confia le recouvrement aux gouverneurs des provinces, assistés de leurs agents financiers, le procurateur dans les provinces impériales et, dans les autres, un procurateur agissant de concert avec le questeur. Ce fut, même dans ces dernières, le procurateur plus exclusivement, à mesure que les attributions financières du questeur allèrent se réduisant avec les revenus de l’aerarium.

La ferme fut maintenue pour les impôts indirects, mais dans des conditions nouvelles. L’ordre équestre, devenu une classe de fonctionnaires, cessa d’être une corporation de traitants. Les publicains furent désormais de simples affranchis, non pas moins riches assurément, mais moins considérés et moins influents. Il semble aussi que les entreprises, au lieu d’être adjugées par masse, dans la capitale, le furent par plus petits lots, dans les provinces, ce qui diminua encore la puissance des compagnies. Les adjudications étaient faites par des procurateurs spéciaux, préposés, pour chaque impôt, à un ressort déterminé, et relevant d’une administration centrale siégeant à Rome. Chaque compagnie se trouva ainsi placée sous le contrôle immédiat d’un représentant du pouvoir. Comme ils avaient rédigé le contrat, les procurateurs étaient tenus d’en faire respecter les clauses, et aussi de défendre les populations contre l’avidité bien connue des fermiers. Ils disposaient pour cela d’un personnel fonctionnant simultanément avec celui de la compagnie et chargé, non pas de concourir à la perception, bien qu’il pût y être employé, mais avant tout de surveiller la régularité des opérations. Il convient de remarquer que le système de la ferme fut abandonné vers le milieu du ne siècle, probablement sous Hadrien, pour les deux impôts du vingtième des héritages et du vingtième des affranchissements. La perception en fut confiée aux procurateurs qui avaient eu mission jusque-là de la contrôler. Les douanes continuèrent à être affermées jusqu’au bout.

[ADMINISTRATION FINANCIÈRE. LES PROCURATEURS] Le gouvernement romain ne multipliait pas inutilement le nombre de ses fonctionnaires. Les trois Gaules n’eurent jamais, pour chacune d’elles, un procurateur particulier. Elles furent administrées d’abord par un procurateur unique, résidant à Lyon. Licinus, l’affranchi d’Auguste, célèbre par ses exactions et la scandaleuse indulgence de l’Empereur, occupa ce poste. Cette organisation reparaît au IIe siècle ap. J.-C., mais exceptionnellement. Dès le premier, nous trouvons les trois Gaules partagées en deux circonscriptions financières, la Lyonnaise et l’Aquitaine d’une part, la Belgique de l’autre. La Narbonnaise, qui avait été rattachée à l’Aquitaine, à l’époque où elle était classée parmi les provinces impériales, c’est-à-dire jusqu’en 22 av. J.-C., forma, depuis cette dernière date, une circonscription distincte. Les provinces procuratoriennes étaient administrées financièrement par le même procurateur qui faisait fonction de gouverneur. Le procurateur de la Lyonnaise et de l’Aquitaine était peut-être le plus éminent des procurateurs provinciaux. Celui de la Belgique était placé aussi à un rang très élevé. Contrairement à l’usage, il ne résidait pas dans la capitale de la province, à Durocorturum (Reims). Il s’était installé à Trèves, plus près de la Germanie, car sa compétence s’étendait également sur cette région, et il prit même le titre de procurateur de la Belgique et des deux Germanies, quand les deux territoires ainsi dénommés eurent été érigés en provinces[32].

Pour les procuratèles spéciales on adopta des combinaisons diverses. On groupa ensemble, pour le vingtième des héritages, la Lyonnaise, la Belgique et les deux Germanies. L’Aquitaine et la Narbonnaise formèrent un autre ressort. On incorpora sans doute à l’une ou à l’autre de ces deux circonscriptions les provinces alpestres. Le vingtième des affranchissements, au contraire, paraît avoir été régi séparément dans chaque province, les deux Germanies étant d’ailleurs, pour cet impôt comme pour les autres, dépendantes de la Belgique. Quant au quarantième des Gaules, il était naturel qu’il eût une administration commune à toute la circonscription douanière où il était perçu. Elle était, comme de juste, concentrée à Lyon, sous la haute direction d’un procurator quadragesimae Galliarum.

[MONOPOLES ET DROITS RÉGALIENS] Il reste à dire un mot de certains monopoles ou droits régaliens. Les mines, par exemple, étaient pour la plupart exploitées au compte de l’Empereur et affermées, comme les impôts indirects, à des compagnies surveillées par des procurateurs. Nous connaissons le procurateur des mines de fer de la Lyonnaise, qui devait être préposé aussi à celles de l’Aquitaine. Le droit de battre monnaie, droit réservé exclusivement au fisc, d’abord pour les monnaies d’or et d’argent, ensuite pour les monnaies de toute espèce, était rendu fructueux par un système de falsifications qui, de plus en plus, fut une des plaies du gouvernement impérial. Les ateliers monétaires étaient administrés par des procurateurs (procuratores monetae). Il y eut un hôtel des monnaies à Lyon, dès le commencement de l’ère impériale. C’est seulement au Ve siècle qu’on en signale deux autres, à Arles et à Trèves.

[CONCLUSION] Le système des impôts, tel que nous venons de l’exposer dans ses traits essentiels, parait, somme toute, assez bien conçu. Il a soulevé, il est vrai, à toutes les époques, de vives protestations et il n’est pas douteux qu’il ne prête à de sérieuses critiques. Il faut croire pourtant qu’il n’était pas si défectueux, puisqu’il n’a pas empêché le merveilleux développement de la prospérité publique pendant les deux premiers siècles et une partie du troisième. Les vices et les abus se sont aggravés et multipliés dans la dernière période de l’Empire. Et surtout ils sont devenus plus criants, plus difficiles à supporter, en raison du mauvais état économique de la Gaule. Ce sera le moment alors d’y insister[33].

 

VI. — LE SERVICE MILITAIRE. L’ARMÉE GALLO-GERMANIQUE[34]

[L’ARMÉE PERMANENTE] L’IMPÔT du sang était exigible, en principe, de tous les habitants de l’Empire. En fait, le régime de l’armée permanente, définitivement introduit par Auguste, avait amené, ou peu s’en faut, la suppression du service obligatoire. La solidité des effectifs avait permis d’en réduire la force numérique. Trois à quatre cent mille hommes gardaient un État dix fois plus vaste que la France. C’étaient des soldats de métier, engagés pour vingt ou vingt-cinq ans et dont beaucoup même dépassaient le terme légal. L’armée se renouvelait donc très lentement. Elle était maintenue au complet avec vingt ou trente mille recrues par an.

[LES ENGAGENENTS VOLONTAIRES] Pour atteindre ce chiffre, les engagements volontaires suffisaient le plus souvent. L’armée était une carrière pour les pauvres gens. Elle leur assurait la subsistance et une solde. Elle leur promettait, pour leur vieillesse, une petite aisance et la considération. Des prolétaires, elle faisait des propriétaires ; des affranchis, des hommes libres ; des pérégrins, des citoyens. Les appels forcés étaient rares et motivés par des circonstances exceptionnelles. Pour ménager les populations, et aussi par mesure d’économie, on laissait les cadres se dégarnir pendant la paix. Qu’une guerre survint, il fallait les compléter tout à coup et réparer en un jour le temps perdu pendant des années. Il pouvait arriver alors que le nombre des engagés ne fût pas suffisant. Dans ce cas on enrôlait les hommes de force.

[LES LEVÉES] Les levées, quand elles devenaient nécessaires, étaient ordonnées par l’Empereur et exécutées, si la pénurie des documents permet de formuler une règle générale, dans les provinces du Sénat, par le proconsul, investi à cet effet d’une délégation spéciale, dans les provinces impériales, par des commissaires appelés dilectateurs et pris dans l’ordre équestre. Nous connaissons un proconsul de la Narbonnaise qui fut en même temps dilectateur pour sa province[35]. C. Julius Celsus, qui arriva sous Antonin le Pieux (138-161) aux grandes procuratèles, fut, au début, dilectateur chez les onze peuples de l’Aquitaine. Les onze peuples étaient ceux qui habitaient entre la Garonne et la Loire[36]. Ils ne mêlaient pas leurs contingents avec ceux des Aquitains, situés entre la Garonne et les Pyrénées, et formaient pour cette raison, au point de vue du recrutement, un district à part. Quant à l’opération elle-même, tout ce que nous en savons c’est qu’elle était conduite avec beaucoup d’arbitraire. De là des abus qui provoquaient un vif mécontentement. Les Gaulois et les Germains servaient volontiers. Leur valeur était proverbiale. L’historien Ammien Marcellin la célèbre encore à la fin du IVe siècle après J.-C. Les griefs de ce genre furent pourtant une des causes de la révolte de Civilis.

Les levées étaient ordonnées pour telle ou telle région, jamais pour tout l’Empire à la fois. On tenait compte des ressources du pays, du théâtre des hostilités, des mœurs des populations, de leurs aptitudes, de leur degré de civilisation, de leur condition juridique. L’égalité dans la répartition des charges militaires ne paraissait pas compatible avec ces diversités, et les empereurs y tendirent si peu qu’ils s’en écartèrent de plus en plus.

Le trait dominant dans l’histoire de l’armée impériale, c’est l’élimination progressive des éléments plus particulièrement romains. Cette évolution comprend plusieurs phases où la situation des Gaulois par rapport au recrutement se trouve nécessairement modifiée.

De tout temps l’armée s’était partagée en deux portions très distinctes : l’une toute romaine, qui se composait des légions, l’autre qui représentait les contingents des peuples sujets ou alliés, ou troupes auxiliaires. Cette distinction subsista sous l’Empire, mais le caractère de la légion s’altéra peu à peu.

[LE RECRUTEMENT DE LA LÉGION] Il s’était altéré déjà sous la République, dans la période des guerres civiles. La légion, en principe, n’était ouverte qu’aux citoyens. Les généraux n’osèrent pas violer la loi, mais ils la tournèrent. Ils s’étaient arrogés le droit de faire des citoyens. Ils en firent tout exprès pour grossir les légions, ou même pour en former de nouvelles de toutes pièces. César leva en Gaule le corps dit des Alouettes. Quand il voulut le constituer en légion, il lui conféra en bloc le droit de cité.

Auguste, plus timoré, revint à des pratiques plus régulières. Il établit un mode de recrutement strictement gradué d’après l’acquisition plus ou moins récente du droit de cité. Les corps d’élite, les cohortes prétoriennes et urbaines, qui avaient leur garnison à Rome, furent réservées aux Italiens les plus anciennement assimilés, aux Latins, aux Ombriens, aux Étrusques. La légion reçut les autres. Quant aux citoyens originaires des provinces, on organisa à leur intention des corps spéciaux, les cohortes des volontaires citoyens romains.

[LES PROVINCIAUX DANS LA LÉGION] La décadence de l’esprit militaire en Italie obligea les empereurs à recruter la légion au dehors dans des proportions de plus en plus fortes. La propagation du droit de cité à travers les provinces leur en facilita les moyens. Les provinciaux nés citoyens commencèrent à pénétrer dans les légions sous les règnes de Claude et de Néron (37-68). Ils y devinrent plus nombreux sous la dynastie flavienne (68-96), sans toutefois former encore la majorité. Ils l’emportèrent décidément et finirent par expulser les Italiens à partir de Trajan (98-117). A cette époque les citoyens de naissance étaient encore seuls aptes au service légionnaire, mais la règle ne tarda pas à fléchir, comme dans les derniers temps de la République, et bientôt, à partir d’Antonin le Pieux (138-161), peut-être avant, on se contenta du droit de cité conféré d’office, avant l’entrée dans la légion.

[LES GAULOIS DANS LA LÉGION] La Narbonnaise, la plus romaine de toutes les provinces de l’Empire, est aussi celle qui, pendant longtemps, a apporté le plus fort contingent aux légions. Nous connaissons, par les inscriptions, la patrie de 152 légionnaires, dans la période comprise entre la bataille d’Actium (31 av. J.-C.) et l’avènement de Vespasien (69 ap. J.-C.). Dans cette liste nous relevons, contre 99 individus originaires de l’Italie, 25 tirés de la Narbonnaise, 8 de la Macédoine, 6 de la Bétique, 6 de la Galatie, 3 du Norique, etc. Pour la période suivante, sous les Flaviens (69-96), sur 27 légionnaires dont la patrie peut être déterminée de la même manière, les Italiens sont au nombre de 15 et les Gaulois de la Narbonnaise au nombre de 6. Les 6 autres sont tirés de provinces diverses. La Narbonnaise n’était pas la seule province gauloise représentée dans la légion. Sur les 152 légionnaires de la période antérieure aux Flaviens, il y en a 2 de Lyon et 1 de Cologne. Sur les 27 de la période suivante, il y en a 3 de cette dernière ville. Lyon et Cologne étaient des colonies romaines, qualifiées par définition pour ce recrutement. D’autres villes, qui ne pouvaient se prévaloir du même titre, Augustonemetum (Clermont), Burdigala (Bordeaux), Autricum (Chartres) ont aussi fourni des légionnaires, mais on sait que le droit de cité était répandu en dehors de la Narbonnaise, bien qu’avec moins de libéralité.

[LES CORPS AUXILIAIRES] La condition des troupes auxiliaires était moins relevée que celle des légions. La solde y était moindre, le service plus long et le titre de citoyen, au lieu d’être exigé à l’entrée, s’obtenait à la sortie. Le soldat qui avait fait ses vingt-cinq ans pouvait recevoir, avec sa retraite, le droit de cité et, en plus, le droit de contracter un légitime mariage avec une étrangère ou de légitimer toute union de ce genre contractée antérieurement. Ces privilèges étaient énoncés sur une sorte de livret ou diplôme composé de deux tablettes de bronze reliées par des fils et pouvant se replier l’une sur l’autre. Le soldat congédié gardait cette pièce avec soin. Il la faisait déposer dans son tombeau. Quelquefois, par une faveur spéciale, le droit de cité lui avait été reconnu pendant le service. Quelquefois même il était octroyé à tout le corps en masse, ce qui n’empêchait pas les conscrits d’y entrer de nouveau dans les conditions ordinaires.

[RECRUTEMENT DES CORPS AUXILIAIRES] Les inscriptions mentionnant la patrie des soldats, légionnaires ou auxiliaires, suggèrent les observations suivantes. En général, pour les légionnaires, c’est la ville, le chef-lieu qui est indiqué. Pour les auxiliaires, c’est la cité, la nation, le pays. Ceux-ci sont des campagnards, ceux-là des citadins. C’est dans les villes, en effet, que dominaient l’influence et les mœurs de Rome, c’est là qu’étaient les citoyens romains. La distinction est importante, surtout dans les provinces impériales, dans les trois Gaules où, en dehors de quelques centres urbains, la romanisation progressait lentement.

La même distinction explique une particularité qui ne laisse pas de surprendre au premier abord. Comment se fait-il que les colonies romaines, Lyon, Cologne, Trèves, Avenches, contribuent en même temps au recrutement des légions et des troupes auxiliaires ? C’est qu’il n’y avait pas toujours égalité de droits entre les habitants du chef-lieu et ceux de la campagne. Les uns pouvaient être en possession du droit de cité alors que les autres ne jouissaient encore que du droit latin[37]. Il est probable donc que les auxiliaires fournis par ces colonies appartenaient à la seconde catégorie. Les colonies de Trèves et d’Avenches avaient un territoire fort étendu. C’est pourquoi elles ont fourni plus d’auxiliaires que de légionnaires. Le territoire de Lyon, au contraire, était fort restreint, ce qui rend compte du nombre prépondérant de légionnaires sortis de cette cité.

[ORGANISATION DES CORPS AUXILIAIRES] Les troupes auxiliaires étaient organisées tout autrement que les légions. Elles formaient des corps de 500 hommes ou de 1000, les uns de cavaliers appelés ailes, les autres de fantassins ou mixtes appelés cohortes. Leur manière de combattre, leur uniforme, leurs étendards variaient suivant le pays d’où ils étaient tirés. Très souvent, en Gaule du moins, et aussi ailleurs, ils étaient commandés par des chefs de leur nation, tribuns ou préfets. C’est à cette nation que très souvent aussi ils empruntaient leur nom. Le fait est plus rare, quoique non sans exemple, pour les ailes, parce que, étant levées sur un district plus étendu, elles ne pouvaient pas toujours être considérées comme représentant un peuple déterminé. Il est fréquent pour les cohortes, bien qu’ici encore il ne soit pas général. On en voit dont le nom rappelle les particularités de leur armement, l’Empereur qui les a créées, le gouverneur qui les a recrutées, etc. Toutefois ces dénominations diverses se combinent assez volontiers avec l’ethnique. L’origine de beaucoup de ces corps, corps d’infanterie ou même de cavalerie, nous est donc connue.

On est frappé du grand nombre d’auxiliaires mis sur pied par la Gaule. Nulle contrée n’en a fourni davantage ni peut-être autant. Par la Gaule il faut entendre ici les provinces impériales gauloises, car, de même que les provinces du Sénat étaient affectées de préférence au recrutement des légions, de même, et plus exclusivement, les auxiliaires étaient pris dans celles de l’Empereur. Il n’y a d’exception, en ce qui concerne la Gaule, que pour les Voconces qui, bien que faisant partie de la Narbonnaise, ont fourni une aile. Mais on sait qu’ils avaient dans leur province une situation à part. Dans cet agrégat de colonies romaines et latines, ils étaient, abstraction faite de Marseille, le seul État fédéré offrant quelque image des anciennes institutions celtiques[38].

Il ne sera pas sans intérêt d’énumérer les corps auxiliaires que nous savons avoir été levés dans les trois Provinces.

[CORPS AUXILIAIRES LEVÉS DANS LES TROIS PROVINCES] La distinction ethnographique négligée par Auguste quand il forma, par le rapprochement des Ibères et des Celtes, la province d’Aquitaine, reparaît dans les cadres de l’armée. La partie de l’Aquitaine comprise entre les Pyrénées et la Garonne était représentée par six cohortes, quatre cohortes d’Aquitains proprement dits provenant de l’Aquitaine ibérique, et deux cohortes d’Aquitains Bituriges levées chez les Bituriges Vivisques ou Bordelais. Les onze peuples situés au sud de la Loire constituaient, au point de vue du recrutement, un district à part, ainsi qu’on l’a vu plus haut. Ils fournissaient, avec les peuples de la Lyonnaise, les deux ailes et les onze cohortes dites des Gaulois. Ces corps ne sont pas dénommés d’après les diverses cités, attendu que, ni dans la Lyonnaise ni dans l’Aquitaine, sauf chez les Bituriges Vivisques, les contingents des cités ne forment de corps distincts. Il en est autrement dans la Belgique et dans les deux Germanies, où les corps sont organisés par cités, quelquefois par cantons (pagi), ce qui tient évidemment à la forte proportion des recrues. Ces vaillantes populations n’avaient pas dégénéré et, comme elles passaient autrefois pour les plus belliqueuses de la Gaule indépendante, c’étaient elles maintenant qui fournissaient le plus notable appoint aux armées impériales.

[CORPS AUXILIAIRES LEVÉS DANS LA BELGIQUE ET LES DEUX GERMANIES] On peut relever, dans les auteurs et les inscriptions, les corps suivants fournis par la Belgique, y compris les deux Germanies. Bataves : une aile et neuf cohortes. — Nerviens : six cohortes. — Lingons quatre cohortes. — Tongres : une aile et deux cohortes. — Sicambres : quatre cohortes. — Mattiaques : deux cohortes. — Canninéfates : une aile et une cohorte. Les peuples suivants fournissaient, le premier une aile, les autres une cohorte : Trévires, Bactasii, Cugerni, Frisons, Helvètes, Morins, Némétes, Séquanes et Rauraques, Vangions, Ubiens, Usipiens, Ménapiens. — Deux cohortes de Germains et une de Belges sont ainsi appelées apparemment parce que, à l’inverse des corps précédemment mentionnés, elles étaient recrutées indistinctement dans la masse des Belges et des Germains. En tout 4 ailes et 41 cohortes dont 13 cohortes et une aile à mille combattants.

La liste n’est pas complète. Nous n’avons attribué qu’un corps d’infanterie ou de cavalerie à la plupart des peuples que nous venons de citer. Mais presque tous ces corps portent dans les inscriptions le numéro un, ce qui prouve qu’il y en avait au moins deux et peut-être davantage de même provenance. La proportion des ailes est aussi trop sensiblement inférieure pour qu’il n’y ait pas lieu de supposer des lacunes. Enfin on remarque avec surprise le faible contingent d’un peuple aussi considérable que les Trévires. La raison doit en être que les corps trévires ont été dissous après la révolte de 70 et leur effectif dispersé. C’est pourquoi, sauf une aile, ils n’ont pas laissé de traces. Le tableau que nous venons de présenter est donc loin de répondre à l’entière réalité. Tel quel, il suffit pour assurer à la Gaule du Nord et du Nord-Est une place d’honneur dans l’histoire militaire de l’Empire.

[CORPS AUXILIAIRES LEVÉS DANS LES PROVINCES ALPESTRES] Au contingent des provinces impériales il faut ajouter celui des provinces procuratoriennes qui, naturellement, étaient traitées sur le même pied. Ce sont : une cohorte de Ligures et une de Montani ou Montagnards tirées des Alpes Maritimes, quatre d’Alpins provenant des diverses provinces alpestres, une aile de Vallenses ou habitants du Valais. On rencontre dans les Alpes Maritimes une cohorte de marins, levée vraisemblablement sur le littoral et commise à sa garde. C’est la seule fois où nous voyons les Gaulois concourir au recrutement de la flotte, bien qu’ils eussent sur leurs côtes les escadres de Fréjus et de Boulogne, sans compter la flottille du Rhin. Ils rendaient trop de services dans les armées de terre pour qu’on songeât à les utiliser ailleurs.

[CARACTÈRE NATIONAL DE L’ARMÉE DU RHIN] Les soldats levés en Gaule étaient employés pour la plupart sur leur propre territoire, c’est-à-dire à la défense de la frontière rhénane. L’armée du Rhin était donc très sensiblement une armée gauloise ou plutôt gallo-germanique, et elle le devint de plus en plus, à mesure que s’accentua, dans les institutions militaires de Rome, une tendance rendue inévitable par l’immensité de l’Empire et la diversité des populations comprises dans son sein.

Dès la fondation du régime impérial, les armées nous apparaissent divisées en groupes nettement tranchés. D’une part l’armée d’Orient, grecque, égyptienne et syrienne, de l’autre celle d’Occident, essentiellement latine. Entre les deux, l’armée du Danube, de formation composite, sert de transition. A ces trois groupes s’opposent les gardes prétorienne et urbaine, recrutées en Italie, incarnant l’esprit de l’ancienne Rome, héritières de son orgueil, sinon de ses vertus. C’est ainsi que se dessine l’individualité des armées dans le choc qui suit la mort de Néron.

[COMPOSITION DES LÉGIONS DANS L’ARMÉE DU RHIN] A cette époque les Gaulois affectés au service légionnaire se rencontrent un peu partout en Occident, jamais en Orient. On les trouve dans les légions d’Illyrie qui représentent la fraction occidentale de l’armée du Danube, dans celles d’Afrique, d’Espagne, de Bretagne, mais surtout de Germanie.

La quatrième Macedonica fut envoyée, en 43 ap. J.-C., dans la Germanie supérieure. Elle y fut licenciée en 70, à la suite de son rôle dans les événements qui signalèrent cette année néfaste. Sur 25 soldats pris au hasard dans cette légion et dont les épitaphes, avec la mention de leur patrie, ont été retrouvées presque toutes dans les cantonnements de Mayence, 17 sont nés en pays gaulois, savoir : 2 dans le Norique, 5 dans la Cisalpine, 11 dans la Transalpine dont 10 dans la Narbonnaise et 1 à Lyon. Encore faut-il ajouter 3 Espagnols originaires de Nertobriga, une ville dont le nom est celtique. Même proportion dans la vingt-deuxième Primigenia qui fit dans la même contrée un séjour d’égale durée, de 43 à 69, et y retourna en 91. Sur 27 soldats ensevelis, tous, sauf deux, dans les cantonnements germaniques, 2 sont de la Rétie, 2 du Norique, 11 de la Gaule cisalpine, 11 de la Gaule transalpine, dont 5 de la Narbonnaise, 1 des Alpes Maritimes, 3 de la Germanie supérieure, 2 de la Germanie inférieure.

[COMPOSITION DES CORPS AUXILIAIRES] Ce sont les corps auxiliaires qui, plus encore que les légions, donnent à l’armée gallo-germanique sa physionomie. Sans doute on y trouve des ailes ou des cohortes venues d’Espagne, de Bretagne, de Rétie, mais la Rétie, la Bretagne, et l’Espagne même jusqu’à un certain point, étaient des pays celtiques. Ce qui domine pourtant et de beaucoup, ce sont les corps tirés de la Germanie et des trois Gaules. Par une faveur assez rare, ils étaient restés depuis leur formation, autant que le permettaient les nécessités militaires, attachés à leur lieu d’origine, ou, pour mieux dire, à la frontière qui en était le plus proche, et, comme ils se recrutaient sur place, leur composition était demeurée immuable dans la même mesure que leur résidence. Il n’en était pas de même de la plupart des corps similaires dispersés dans les autres provinces et dont les changements de garnison modifiaient le recrutement. Seuls peut-être les corps auxiliaires gaulois et germains avaient échappé à la loi commune et réussi à maintenir leur cohésion primitive.

Ils conservèrent cette situation privilégiée jusqu’à Vespasien. Ni la défection d’Arminius ni celle de Florus et de Sacrovir n’avaient ébranlé la confiance des empereurs dans le dévouement de ces troupes. Elle ne résista pas à la révolte de Civilis, de Classicus et de Tutor. Vespasien ne se contenta pas de licencier les corps les plus compromis, les Bataves et les Trévires. Il déplaça les autres et leur enleva leurs chefs nationaux. Les documents relatifs à l’armée du Rhin depuis la fin du Ier siècle ne signalent plus, en fait d’auxiliaires gaulois, que des corps aquitains dont la fidélité ne pouvait être suspectée. Ils n’en mentionnent point ou presque point qui soient tirés de la Lyonnaise, de la Belgique ou de la Germanie.

La mesure prise par Vespasien ne fut pourtant qu’un incident sans portée. Elle n’altéra que partiellement et pour peu de temps la composition de l’armée. D’abord elle ne touchait pas aux légions, et quant aux corps auxiliaires nouvellement appelés, s’ils n’étaient pas gaulois de nom et d’origine, ils ne tardèrent pas à le devenir de fait.

[L’ARMÉE ENVAHIE PAR LES BARBARES] Ce fut la conséquence d’une réforme qu’on peut placer vers le milieu du IIe siècle ap. J.-C. Le recrutement jusque-là avait été largement régional. Il devint, à cette date, plus strictement local. Les  pays seuls où se trouvaient cantonnées les troupes furent appelés à les alimenter. La domination de Rome était trop solidement assise et trop franchement acceptée pour que cette réforme se heurtât aux scrupules qui avaient inspiré en Gaule la conduite de Vespasien. Elle avait de plus ce bon côté d’éviter des déplacements coûteux. Mais elle aboutissait à exclure du service les habitants des provinces sénatoriales, aussi complètement que les Italiens. Ce qu’il y avait dans l’Empire de plus foncièrement romain disparut de l’armée pour céder la place aux populations des frontières. Entre la légion devenue, de provinciale qu’elle était déjà, à demi barbare, et les corps auxiliaires, une sorte de nivellement tendit à s’établir, et cela d’autant plus aisément que la grande distinction entre citoyens et non citoyens se trouva à peu prés abolie en 212 ap. J.-C. par l’édit de Caracalla. Il ne restait plus qu’à ouvrir à cette invasion la garnison de Rome, et déjà la chose était à moitié faite. La zone du recrutement s’était élargie pour les cohortes prétoriennes et urbaines en même temps que pour la légion. Depuis un siècle environ, les habitants de l’Espagne tarragonaise, de la Lusitanie, du Norique et des régions du Haut et du Moyen-Danube s’étaient insinués dans ces corps à côté des Italiens. Septime Sévère (193-211) en expulsa définitivement ces derniers et y appela en masse les Illyriens, les Africains, les Syriens.

Le principe du recrutement local ne pouvait être appliqué à la lettre que dans les provinces comportant une faible garnison. Il était insuffisant sur les frontières fortement occupées. On ne sera donc pas étonné de rencontrer encore, dans les légions du Rhin, un bon nombre de recrues provenant de la Lyonnaise, de l’Aquitaine et des provinces danubiennes les plus voisines, notamment de la Rétie. La nouveauté, c’est la proportion jusque-là inusitée des légionnaires nés dans les contrées rhénanes. Il est remarquable que, même après Septime Sévère, ni les trois Gaules ni la Germanie ne contribuent au recrutement de la garde prétorienne. Sans doute on jugeait qu’elles n’avaient pas trop de toutes leurs ressources pour faire face au péril sur le Rhin. C’est pour la même raison que les Gaulois ne servent plus dans l’armée d’Afrique.

[L’ARMÉE ENVAHIE PAR LES ESCLAVES] Un autre changement, non moins grave, s’accomplissait, à la même époque, dans la composition de la légion. Elle était fermée, comme toute l’armée, aux esclaves et, en principe, elle le resta toujours. Mais d’un esclave on pouvait d’un jour à l’autre faire un affranchi. D’un affranchi on pouvait faire, non moins instantanément, par la fiction de la natalium restitutio, l’équivalent d’un ingénu, d’un homme libre de naissance. C’était assez pour tourner la loi. Les affranchis, longtemps confinés dans les équipages de la flotte et les cohortes des vigiles ou veilleurs de nuit à Rome, se répandirent dans les corps auxiliaires et de là dans les légions. Nous voyons qu’ils y étaient déjà fort nombreux au temps de Marc-Aurèle (161-180). Affranchis ou ingénus de par la loi, ils sortaient à peine de la servitude et représentaient les bas-fonds et la lie de la population.

[AVANTAGES DU SYSTÈME MILITAIRE DE L’EMPIRE] Le système militaire de l’Empire avait de grands avantages. Il faisait de l’armée une machine à fabriquer des citoyens. Il fut ainsi un agent très puissant pour la propagation du droit de cité et la romanisation des provinces. Il réduisait au minimum l’effort imposé pour le maintien de la sécurité publique et assurait à l’immense majorité des sujets de Rome, aux plus laborieux et aux plus cultivés, l’activité régulière que, sous les régimes antérieurs, ils n’avaient point connue. Il formait des soldais merveilleusement dressés et entraînés, et d’autant plus disposés à se battre, sur la frontière où ils étaient placés, qu’en se battant pour l’Empire ils se battaient aussi pour leur pays et leurs foyers. Ce sentiment fut pour beaucoup, on n’en saurait douter, dans la valeur déployée par l’armée de la Gaule jusqu’à la fin.

[INCONVÉNIENTS ET DANGERS] Mais ce système offrait aussi, dans le présent et l’avenir, de grands inconvénients. En isolant les armées de l’élément civil et en accusant entre elles les différences de race, il développait outre mesure l’esprit de corps et le particularisme provincial. Plus dévouées à leur chef qu’à leur empereur, plus attachées à leur patrie immédiate qu’à la grande patrie romaine, elles sentaient s’affaiblir en elles, avec la notion du devoir militaire, celle de la solidarité nationale. Ce fut pour l’armée, livrée aux entreprises des ambitieux, la ruine de la discipline, et pour l’État lui-même la cause de fréquents déchirements et le germe de la dissolution. Nous avons vu ces conséquences se produire moins de cent ans après Auguste. Nous les verrons se renouveler et s’aggraver dans la crise du IIIe siècle. Enfin, et ce n’était pas là le moindre danger, les parties les plus nobles, les plus éclairées de la population perdirent, dans les loisirs de la paix, l’habitude et le goût des armes. La composition des armées acheva de discréditer le service militaire en le présentant comme le dernier et le plus vil des métiers. De plus en plus on s’en reposa, pour la défense de l’Empire, sur des armées barbares qui finirent par se payer de leurs services en l’exploitant et en le démembrant à leur profit.

 

 

 



[1] SOURCES. Voir la note en tête de la première partie. Les inscriptions latines de la Narbonnaise ont été publiées par O. Hirschfeld dans le tome XII du Corpus inscriptionum latinarum, 1888. Les inscriptions de l’Aquitaine et de la Lyonnaise ont été publiées par le même savant dans le tome XIII, 1899. La partie du tome XIII qui reste à paraître donnera les inscriptions de la Belgique et des deux Germantes. On peut consulter pour ces dernières provinces, et aussi pour les autres, indépendamment des recueils partiels dont les principaux seront cités au fur et à mesure (voir notamment livre III, chap. 1), les périodiques, et plus particulièrement : Bulletin épigraphique de la Gaule, par Florian Vallentin, continué par Mowat, 1881-1886. Revue épigraphique du Midi de la France, par Allmer, continuée par Espérandieu. Revue archéologique, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Bulletin et Mémoires de la Société des Antiquaires de France, etc. En Allemagne : Jahrbücher des Vereins von Alterthumsfreunden im Rheinlande ou Bonner Jahrbücher ; Westdeutsche Zeitschrift für Geschichte und Kunst, etc. Les inscriptions grecques de la Gaule et de la Germanie ont été publiées par Lebègue dans le Corpus Inscriptionum graecarum, volume des Inscriptiones graecae Siciliae et Italiae, 1890.

OUVRAGES À CONSULTER. Voir la note en tète de la première partie. Mommsen (Histoire romaine, V, traduit par Cagnat et Toutain, I, 1887) et Jullian (Gallia, 1892) ont présenté un tableau résumé de la Gaule romaine. L’ouvrage capital sur les institutions de la Gaule est celui de Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France. Vol. I. La Gaule romaine, 1891. II. L’invasion germanique et la fin de l’Empire, 1891. IV. L’alleu et le domaine rural, 1889. V. Les origines du système féodal. Le bénéfice et le patronat, 1890. Voir aussi Viollet, Histoire des institutions politiques et administratives de la France (avec une copieuse bibliographie), I, 1890, et Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, I, 1887. Pour l’histoire générale de l’Empire : Le Nain de Tillemont, Histoire des Empereurs, 1690-1740. Duruy, Histoire des Romains, nouvelle édition, 1885, III-VII. Schiller, Geschichte der römischen Kaisezeit, 1883-1887. Pour les institutions : Mommsen-Marquardt, Manuel des Antiquités romaines, traduction française à partir de 1887. Bouché-Le-Clercq, Manuel des Institutions romaines, 1886. — Pour éviter de trop nombreuses répétitions, nous nous abstiendrons de citer toutes les fois qu’il y aurait lieu les ouvrages signalés ci-dessus.

[2] SOURCES. Indépendamment des documents épigraphiques (pour les provinces alpestres voir aussi le tome V du Corpus) les sources principales sont : Strabon, IV, I-IV et VI. Pline, Histoire naturelle, III, 31-38,14-09, IV, 105-110. Pomponius Mela, II, 8, et III, 2. Ptolémée, 11, 7.10. Ammien Marcellin, XV, 10-12. Pour l’œuvre d’Auguste, Suétone, Vie d’Auguste, Dion Cassius, XLV-LVI. Pour la période antérieure à 27 av. J.-C., Dion Cassius, XLV-LII. Appien, Guerres civiles, IV et V, etc.

OUVRAGES À CONSULTER. Desjardins, Géographie de la Gaule, III. Zumpt, De Gallia Romanorum provincia dans les Studia romana, 1859. Barthélemy, Les libertés gauloises sous la domination romaine, Revue des Questions historiques, 1892. Jullian, C. Serenus proconsul Galliae Transalpinae, Mélanges de l’École française de Rome, 1885. Gardthausen, Augustus und seine Zeit, 1891. Ganter, Die Provinzialverwaltung der Triumviren, 1892. Hirschfeld, Die ritterlichen Provinzialstalthalter, Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1889.

[3] Sur le siège de Marseille et ses conséquences, voir liv. III, chap. I, § 1.

[4] Liv. III, chap. I, § 2.

[5] Liv. III, chap. I, § 1.

[6] § 6.

[7] Liv. II, chap. II, § 1.

[8] L’Aquitaine comprit même, sous Auguste, les Helviens qui touchaient au Rhône et avaient été détachés de la Narbonnaise, mais ils ne tardèrent pas à faire retour à cette dernière province.

[9] Sur tous ces faits, voir le paragraphe suivant.

[10] Chap. II, § 2.

[11] Histoire naturelle, III, 196-138.

[12] SOURCES. Les textes littéraires concernant les rapports de Rome avec la Germanie ont été réunis par Riese, Das rheinische Germanien in der antiken Litteratur, 1892. Ils sont empruntés la plupart, pour la période qui nous occupe ici, à Strabon (VII), Velleius Paterculus (II, 95 et suiv.), Pline (Histoire naturelle), Tacite (Annales, Histoires, Mœurs des Germains), Suétone (Vies des douze Césars), Florus (IV, 12), Dion Cassius (LIII, 68), etc. Pour les textes épigraphiques, voir Brambach, Corpus inscriptionum rhenanarum, 1867, et, à partir de cette date, les périodiques.

OUVRAGES À CONSULTER. L’histoire de la Germanie romaine a suscité, en Allemagne surtout, un nombre infini d’articles, de dissertations, d’ouvrages, qu’on trouvera publiés ou signalés dans les Revues spéciales, et notamment dans la Westdeutsche Zeitschrift et les Bonner Jahrbücher. Nous nous contenterons de mentionner les travaux suivants : Mommsen, Histoire romaine, V, trad. Cognat et Toutain, 1887, vol. I. Hirschfeld, Die Verwaltung der Rheingrenze in dencraten drei Jahrhunderien, 1877, dans les mémoires dédiés à Mommsen. Hettner, Zur Kultur von Germanien und Gallia Belgica, Westdeutsche Zeitschrift, 1883. Riese, Forschangen zur Geschichte der Rheinlande in der Römezeit, 1889, et Zur Provinzialgeschichfe des römischen Germanien, Correspondenzblatt der Westdeutschen Zeitschrift, 1895. Pfitzner, Geschichte der römischen Kaiserlegionen von Augustus bis Hadrianus, 1881. Ritterling, Zur römischen Legiongeschfchte am Rhein, Westdeutsche Zeitschrift, 1893. Hartung, Römische Auxiliar-Trappen am Rhein, 1870. — Sur la guerre et la politique de Domitien : Zangenmeister, Zur Geschichte der Neckar-Lander in römischer Zeit, Heidelberger Jahrbücher, 1893. Gsell, Essai sur le règne de l’empereur Domitien, 1894. — Les fouilles concernant le limes sont exposées au fur et à mesure dans le Limesblatt depuis 1892, et antérieurement dans le Correspondenzblatt der Westdeutachen Zeitschrift. Elles feront l’objet d’un grand ouvrage, Der obergermanisch-rätische Limes, par Sarwey et Hettner, dont la publication a commencé en 1894. En attendant, consulter Cohausen, Der römische Grenswall in Deutschland, 1894, et les articles suivants de la Westdeutsche Zeitschrift : Mommsen, Der oberrheinische Limes, 1885, et Der Begriff des Limes, 1894. Samwer, Die Grenzpolizei des römischen Reichs, 1886. Sarwey, Die Abgrenzung des Römerreichs, 1894. — Cette bibliographie est à compléter par celle du § 7 et par celle du § 5 du chap. I du livre III.

[13] Livre III, chap. I, § 5.

[14] SOURCES. 1° Documents littéraires : Tacite, Suétone, Dion Cassius, Histoire auguste, etc., et en général toute la littérature de l’Empire. 2° Documents juridiques : Huschke, Jurispradentiae antejustinianae quae supersunt. Corpus Juris Civilis, édit. Krueger et Mommsen. Voir notamment dans le Digeste, I, 16 et suiv. 3° Documents épigraphiques. Pour les documents juridiques transmis par l’épigraphie : Bruns, Fontes juris romani antiqui.

OUVRAGES À CONSULTER. Marx, Essai sur les pouvoirs du gouverneur de province sous la République romaine et jusqu’à Dioclétien, 1880. Hirschfeld, Untersuchungen auf dem Gebiete der römischen Verwaltungsgeschichte, 1877. Die ritterlichen Provinzialstatthaller, Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1889. Liebenam, Die Laufbahn der Procaratoren, 1886. Forschungen zur Verawltungsgeschichte des römischen Kaiserreichs, 1888. — Giraud, Essai sur l’histoire du droit français au Moyen âge, 1846. Karlown, Römische Rechtsgeschichte, I, 1885. Humbert et Lécrivain, Judex, Judicium, Dictionnaire des antiquités de Saglio. Cuq, Jurisdictio, ibidem. Les juges plébéiens de la colonie de Narbonne, Mélanges de l’Ecole française de Rome, 1881. Duruy, Formation historique des deux classes de citoyens romains désignés sous les noms à Honestiores et à Humiliores, Histoire romaine, VI, p. 609 et suiv.

[15] On verra plus loin (§ 5) qu’ils n’étaient que deux pour les trois Provinces.

[16] On a vu pourtant que Vindex, légat de la Lyonnaise, était Gaulois. Il est vrai qu’il était originaire de l’Aquitaine.

[17] Chap. II, § I.

[18] Galba et Agricola turent légats de l’Aquitaine en 31-32 et 74-76. Septime Sévère fut légat de la Lyonnaise en 185-187.

[19] Par exemple les agents recruteurs ou dilectateurs, § 6.

[20] Chap. III.

[21] Accarias, Précis de droit romain, I, n° 9.

[22] Chap. II, § 5.

[23] Corpus inscript. latin., XII, 4333.

[24] I, XV, 9, 1.

[25] SOURCES. Voir § 3.

OUVRADES À CONSULTER. La bibliographie est très développée dans Mommsen-Marquardt, tome X de la traduction, De l’organisation financière chez les Romains. Nous détachons Savigny, Ueber die römische Steuerverfassung unter den Kaisern, dans les Vermischte Schriften, II, 1850. Zachariae von Lingenthal, Zur Kenntniss des römischen Steuerwsens in der Kaiserzeit, Mémoires de l’Académie de Saint-Pétersbourg, 1863. Rodbertus, Zur Geschichte der römischen Tributsteuern seit Augustus, Hildebrands Jahrbücher für Nationalœconomie und Statistik,1865, et suiv. Beaudouin, Étude sur le jus italicum, Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 1881 et 1882. Cagnat, Étude sur les impôts indirects chez les Romains, 1882. Rénier, Mélanges d’épigraphie, p. 47 et suiv., 1854. Unger, De censibus provinciarum romanarum, 1887. — A compléter par les ouvrages cités liv. II, chap. II, § 2, et qui se rapportent plus particulièrement à l’organisation financière du Bas-Empire.

[26] En 70 il y avait en Gaule des vieillards nés avant le régime de l’impôt romain : Multos adhuc in Gallia vivere ante tributa genitos, dit Civilis (Tacite, Histoires, IV, 17). Or il est clair qu’aucun contemporain de Civilis n’avait vu la Gaule indépendante. Il s’agit donc d’une époque où, en partie du moins, elle ne payait pas l’impôt. En 91 les cités gauloises se plaignent d’être obérées, et parmi les cités mécontentes se trouvent celle des Éduens, qui sont un peuple fédéré, et celle des Trévires, qui sont un peuple libre. Tacite, Annales, III, 40. Cf. chap. II, § 4.

[27] Ire partie, liv. II, chap. II, § 4.

[28] Il n’est pas démontré que dans les cités des trois Provinces les rôles aient été dressés par les magistrats municipaux. Il n’y a par, en effet, dans ces cités, d’exemple certain d’un duumvir quinquennalis (voir chap. II, § 5). Il se pourrait donc que ce soin eût incombé directement aux censiteurs en sous-ordre.

[29] L. 15, 4.

[30] Liv. II, chap. II, § 1.

[31] Les inscriptions nous font connaître quelques-uns des bureaux (stationes) de la quadragesima Galliarum. Au pied des Pyrénées, nous trouvons ceux de Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand-de-Comminges), à la jonction des routes de Bordeaux, de Toulouse, d’Agen, et l’Illliberis (Elne), au débouché de la route de Narbonne et de Lyon. Le seul bureau dont nous ayons connaissance sur la Méditerranée est celui d’Arles, mais il n’est pas douteux que chaque port eût le sien, sur celle mer et sur l’Océan. Sur les Alpes, on peut signaler les postes de Pedo (Borgo San Dalmazo), au sud-ouest de Cuneo, dans la vallée supérieure de la Sturs, de Piasco (nom ancien inconnu), au bas du col d’Agnello, dans la vallée supérieure de la Veroita, de Fines Cottii (Avigliana), entre Suse et Turin, de ad Publicanos (Tournon), près d’Albertville en Savoie, de Tarnadae (Saint-Maurice), dans le Valais, de Magia ( Mayenfeld), entre Coire et Bregenz, de Turicum (Zurich). Nous sommes mal renseignés sur les postes qui garnissaient le Rhin. Nous voyons pourtant que des droits étaient perçus à Cologne. Nous saisissons aussi la trace d’un bureau à Coblenz. Sur l’utilité du limes comme ligne de douane, voir § 3. Les bureaux de Divoduram (Metz), de Vienne, de Cularo (Grenoble), de Nîmes, de Lyon, représentaient des péages intérieurs ou des octrois. Entre la douane et les péages, les Romains ne distinguaient pas verbalement, mais il y avait cette différence que les péages frappaient également les objets et les personnes. On a supposé pue, pour assurer aux soldats la franchise qui leur était reconnue par la loi, la ligne douanière avait été reculée en deçà de la zone occupée par les armées. Dans ce cas, le bureau de Metz eût été un bureau-frontière et ceux de Cologne et de Coblenz eussent été des bureaux d’octroi. Mais il était facile de laisser passer, sans les faire payer, les objets destinés aux troupes. On a trouvé à Lyon des plombs portant empreint le mot legio et qui étaient apposés pour les faire reconnaître à des objets ayant cette destination. (Cagnat, ouvr. cité, p. 67.)

[32] Sur la question du procurateur de Lectoure voir Mommsen (Histoire romaine, V, trad. Cagnat et Toutain, I, p. 122, n. 9) et Hirschfeld (Aquitanien in der Römerzeit, Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1896). Pour Mommsen, Lectoure était le chef-lieu d’un district financier détaché de la grande circonscription de la Lyonnaise et de l’Aquitaine. Pour Hirschfeld, cette ville était le centre d’un domaine Impérial administré par un procurateur. Les documents décisifs font défaut.

[33] Liv. II, chap. II, § 2.

[34] SOURCES ET OUVRAGES À CONSULTER. La base de toute étude sur le recrutement de l’armée romaine est la liste de toutes les Inscriptions où il est fait mention du lieu d’origine des soldats de toute arme, liste dressée par Mommsen dans l’Ephemeris epigraphica, 1884. Cette statistique a été mise en œuvre par Mommsen lui-même, Die Conscriptionsordnung der römischen Kaiserseit, Hermes, 1884. Cf. Seeck, Die Zusammenselzung der Kaiserlegionen, Rheinisches Museum, 1892. Pour la Gaule, Jullian, Les Bordelais dans l’armée romaine, Mémoires de la Société archéologique de Bordeaux, 1884. Voir aussi Roulez, Du contingent fourni par les peuples de la Belgique aux armées de l’Empire romain, Mémoires de l’Académie de Belgique, 1862, et Hartung, Römische Auxiliar-Trappen am Rhein, 1870.

[35] Corpus inscript. latin., XIV, 8602. Il a été aussi, et en même temps, censiteur. On comprend le rapport entre les opérations du recrutement et celles du cens. Les districts pour le cens et les districts pour le recrutement nous apparaissent plusieurs fois comme identiques.

[36] Corpus, XIII, 1808. — Les onze peuples étaient les Pictons, les Santons, les Bituriges Cubes, les Lémovices, les Cadurques, les Pétrucoriens, les Nitiobriges, les Arvernes, les Vellaves, les Gabales, les Butènes.

[37] Chap. II, § 3, fin.

[38] Chap. II, § 3.