ÉTUDES SUR LE PÉLOPONNÈSE

CORINTHE

CHAPITRE PREMIER. — HISTOIRE DES CORINTHIENS.

 

 

Il parait que les premiers habitants de la Corinthie étaient de race éolienne[1]. Avant eux, cependant, une position aussi favorable à la navigation et au commerce avait dû séduire une des nombreuses colonies de marins et de marchands que l'Orient envoyait aux eûtes de Grèce. A défaut de l'histoire, l'imagination populaire a gardé un vague souvenir d'une fille de l'Œta, nommée Éphyre, qui fonda la ville et lui donna son nom[2]. Éphyre venait du Levant ; aussi le Soleil était-il le protecteur de la cité naissance qui s'appela en outre, ville du Soleil, Hélicon.

Quant au nom plus moderne de Corinthe, nous trouverons infailliblement un roi Corinthus pour le justifier. Les Grecs expliquaient tout a[....][3] système.

Ce n'est que cinq générations avant la guerre de Troie que l'histoire de Corinthe prend quelque certitude, et cette certitude, nous la devons à Homère, le poète historien. A cette époque Sisyphe, le plus habile des hommes, hal[....] Éphyre, dont il était, non pas le roi, mais [....] plus puissants ou plus riches habitants. Homère[4], en effet, ne parle pas de sa royauté, et ne donne le titre accoutumé d'άναξ ni à lui ni à son fils [....]cus.

Plus loin, en racontant les malheurs et [....] de son petit-fils Bellérophon, chassé par Prétus, souverain. de l'Argolide, il le met au nombre des sujets de ce prince[5]. S'il fallait une autre preuve de la soumission de Corinthe aux rois argiens, nous la trouverions dans le Dénombrement de l'Iliade. Les guerriers corinthiens n'ont d'autre chef qu'Agamemnon, et marchent sous ses ordres immédiats, avec ceux de Cléone, de Sicyone, de l'Achaïe, pays également conquis.

Il est naturel que plus tard, au temps de sa puissance et de sa gloire, Corinthe ait nié cette infériorité e cherché une liste de rois dans une famille que la Fable avait illustrée. Aussi le témoignage de Pausanias, qui recueille ces renseignements dans le pays, n'est-il d'aucun poids en présence du témoignage d'Homère.

Sisyphe vivait cent cinquante ans, au plus, avant la guerre de Troie ; car son quatrième descendant, est le Lycien Glaucus, petit-fils de Bellérophon ; descendant bien dégénéré, aussi insensé[6] en affaires que son aïeul était habile, qui reçut, en échange d'armes d'or qui valaient cent bœufs, des armes de cuivre qui en valaient neuf.

La conquête dorienne fit de Corinthe un royaume indépendant. Dans le morcellement de l'Argolide, elle échut à Alétès, Héraclide. Mais l'opulence déjà célèbre[7] de cette attira à la suite d'Alétès une émigration nombreuse et avide. Les habitants voulurent en vain résister : ils furent vaincus, dépossédés, chassés ou partis[8], et durent chercher de nouvelles demeures en Asie, où ils furent entraînés par le grand mouvement de la colonisation éolienne.

Cette révolution dut exercer sut le commerce et la prospérité naissante de Corinthe ; une influence fâcheuse, mais de courte durée. Pendant quatre siècles et demi, les Héraclides et les Bacchiades[9] lui donnèrent la paix au dehors, le calme à l'intérieur. L'expédition même d'Alétès contre Athènes avait pour but l'intérêt commercial de Corinthe autant que la sécurité politique des nouveaux maîtres du Péloponnèse. La mort de Codrus, en effet, contribua moins à le désarmer que la conquête de, Mégare, qui assurait lès communications entre la presqu'île et le continent, et l'échange de marchandises qui se faisait par voie de terre, source principale de richesse pour les Corinthiens. Leur commerce et leur puissance maritime prirent en même temps de rapides développements, surtout du côté de l'Occident, où ils ne trouvaient pas, comme à l'Orient, dans les Athéniens, et surtout dans les Éginètes, de redoutables rivaux. Ce fut sous les derniers Bacchiades qu'ils fondèrent Corcyre, Syracuse, et, sur la côte de Macédoine, Potidée ; preuve incontestable, à défaut de textes anciens, du degré de prospérité qu'ils atteignirent sous cette, dynastie.

Il est malheureux que nous n'ayons pas de détails sur l'histoire de cette époque et sur la part que chacune des deux races, dorienne et éolienne, prit au développement de la richesse publique. Les Doriens se contentèrent-ils d'exploiter à leur profit l'industrie des vaincus, dont une partie était restée dans le pays ? ou bien se firent-ils eux-mêmes marchands et trafiquants ? Cette dernière supposition répugne aux mœurs, et au caractère dorien. Dans ce cas, on trouverait une certaine égalité politique, ou du moins une aristocratie nombreuse et variable dont la base eût été la richesse et dont les privilèges eussent été accessibles à tout parvenu. Loin de là, nous voyons une aristocratie immuable et fermée à tous. Assez puissante pour renverser la royauté (l'an 747 avant Jésus-Christ), elle s'en partage les prérogatives, et déclare que ceux-là seuls sont dignes d'exercer le pouvoir dans les veines desquels coule te sang d'Hercule[10]. Les Bacchiades étaient à peine deux cents. Orgueilleux de leur naissance, pleins de mépris pour le reste des citoyens, ils ne s'alliaient qu'entre eux : c'était Venise, moins le livre d'or. Tout entiers à l'ambition, ils avaient établi une magistrature, unique[11] et annuelle ; de sotte que chacun possédait le pouvoir à son tour et le possédait tout entier[12]. Mais l'ambition était inséparable de la cupidité ; car dans une république commerçante, où tous s'enrichissent, une noblesse qui reste oisive et pauvre est promptement effacée. Aussi les Bacchiades savaient-ils amasser d'énormes richesses, mais sans peine et sans travail. Ils exploitaient l'admirable position de Corinthe, et les droits qu'ils établirent sur toutes les marchandises qui passaient par l'isthme firent affluer l'or dans leurs palais[13]. Bientôt le luxe les corrompit et l'insolence les perdit. Le peuple qui avait supporté leur orgueil ne prit souffrir leurs excès et préféra un seul maitre à deux cents tyrans.

Cypsélus, descendant d'une famille éolienne[14], à ce titre cher à la classe moyenne et à la multitude, s'empara du pouvoir suprême en l'an 657. Intéressé à se faire l'instrument de la vengeance populaire, il dépouilla les Bacchiades de leurs biens, les exila, en fit même périr plusieurs, qui sans doute avaient conspiré contre sa vie[15], car ni son caractère ni sa politique ne le portaient à la cruauté. Dès qu'il eut abattu l'aristocratie dorienne, il parut en public sans gardes, se confiant à l'amour des citoyens[16]. Quant aux réformes qu'il voulut introduire, il eut recours, non pas à la violence, mais à la ruse. C'est ainsi que, pour enlever aux Corinthiens une partie de leurs richesses, il prétexta un vœu fait à Jupiter. Il lui avait promis, disait-il, de lui consacrer toute la fortune publique, s'il parvenait à monter sur le trône. En conséquence, il fit le recensement de tous les biens, en prit le dixième, en recommandant aux Corinthiens de faire valoir soigneusement le reste. L'année suivante, il préleva un autre dixième...., ainsi pendant dix ans, jusqu'à ce qu'il eût entre les mains une somme équivalente à toute la fortune de ses sujets, sans qu'ils fussent appauvris à l'excès.

Ce fait à peine croyable est raconté par Aristote, et répété par Suidas[17] ; si on l'admet, on ne peut l'expliquer que d'une matière. Au-dessous de l'aristocratie dorienne s'était formée une aristocratie d'argent, non moins dangereuse par son oisiveté, son luxe, son ambition, sa corruption. Pour prévenir une décadence précoce et régénérer ses sujets, par le travail et la pauvreté, Cypsélus eut recours à ce singulier expédient qui eût provoqué la plus terrible des révolutions, le peuple n'en eût pas compris la nécessité et approuvé l'exécution[18]. Espéra-t-il en même temps rendre son pouvoir plus sûr et son gouvernement plus facile ? C'est une conséquence toute naturelle. Mais il est impossible de ne voir dans cet acte inouï que le caprice et la rapacité d'un tyran. Cypsélus conserva toujours l'amour de ses sujets, et, pour se mettre à l'abri de tout reproche, il consacra avec ostentation le fruit de celte spoliation bienfaisante à Jupiter olympien, auquel il érigea une statue colossale en or battu[19].

Ce qui prouve que sa conduite était l'effet d'une saine politique, c'est que Périandre, son fils, l'imita ; Périandre, un des princes les plus renommés pour sa douceur et ses lumières, un des sept sages de la Grèce[20]. Sa préoccupation constante fut d'arrêter le luxe et la corruption qui envahissaient Corinthe, en même temps qu'il cherchait à porter les esprits vers un but plus élevé que le commerce, vers la grandeur extérieure et la gloire de la patrie. Tandis qu'à cet effet il construisait de nombreux vaisseaux[21], essayait de percer l'isthme pour réunir les deux mers[22] et s'illustrait par ses victoires[23], il abaissait les grands, poursuivait par ses règlements le luxe et l'oisiveté, défendait d'acheter un trop grand nombre d'esclaves[24], forçait les propriétaires à demeurer, dans leurs terres et è veiller à leur Cuir titre, établissait un sénat, out-pour mieux dire, un tribunal de vieillards, chargé de veiller à ce que personne ne dépensât plus que son revenu[25].

Un règne si heureusement commencé finit misérablement dans les douleurs domestiques, dans le crime, dit-on, dans la démence, Le récit que -fuit Hérodote de la haine naturelle de Périanthe et de son fils Lycophron, est un véritable sujet de tragédie antique[26]. Mais il faut se défier de ce qu'Hérodote écrit contre Périandre et les Corinthiens. Non-seulement il avait épousé les haines des Athéniens, mais il avait contre Corinthe, si l'on en croit un témoignage douteux, un sujet de ressentiment personnel[27]. C'est ainsi qu'il accuse la flotte de cette ville d'avoir fui honteusement à la bataille de Salamine[28], reproche injuste et démenti par l'histoire.

Psamméticus, petit-fils de Périandre, ne régna que trois ans[29]. Après lui, la royauté fut abolie de nouveau et remplacée par un gouvernement oligarchique : oligarchie mitigée qui ouvrait ses rangs à quiconque s'en montrait digne par son influence, son talent, ses richesses.

La décision des affaires importantes était enlevée au peuple ; mais lui seul nommait les magistrats, les généraux[30]. Un sénat, dont les membres étaient également nommés par rassemblée du peuple, administrait la république avec une habileté justement vantée et dont le commerce avait été l'école[31]. La sagesse des chefs, la force d'une aristocratie sans cesse renouvelée, les concessions faites au peuple, l'aisance et le. bien e que l'industrie répandait jusque dans les dernières classes, tout, contribuait à la paix intérieure de la république, et ôtait à la jalousie des pauvres et des riches cette violence. qui déchirait les autres États[32].

Mais de si favorables conditions contribuaient plutôt au bonheur des particuliers qui la grandeur publique. La richesse fut moins pour Corinthe un instrument d'ambition et gloire qu'un principe de mollesse et d'inaction. C'est une chose digne de remarque, combien dans le Péloponnèse chaque peuple, chaque ville a son caractère, sa vertu propre, son originalité. Mais lorsqu'on a dit de Corinthe : l'opulente, on est fort embarrassé pour la qualifier d'une manière plus précise. De même que l'isthme était un passage pour les voyageurs et les marchandises de tout pays ; il semble que les Corinthiens tiennent de cette banalité et empruntent à chacun de leurs voisins un trait de leur physionomie. Puissants sur mer comme Athènes, sur terre comme Argos et Sparte, commerçants ainsi qu'Égine et Samos, amoureux des arts comme Sicyone, du luxe et des jouissances comme les villes de la grande Grèce, ils furent tout à demi et ne tinrent jamais en chaque chose que le second rang.

S'ils eussent eu l'ardeur guerrière et la passion des conquêtes, s'ils, eussent aspiré, eux aussi, à l'hégémonie de la Grèce, quelle position était plus propre à servir un pareil dessein ? L'antiquité nommait Corinthe (était-ce par ironie ?) les Entraves de la Grèce. Un peuple de génie belliqueux eût fait promptement une vérité de celte métaphore géographique. Quoique braves, les Corinthiens n'aimaient point les camps ; plus avares de leur sang que de leur argent, ils trouvaient aisé de payer des mercenaires. Aussi supportaient-ils avec une facile patience les guerres les plus longues et les plus acharnées. C'est ce qui explique comment, dans la guerre du Péloponnèse, Corinthe, qui avait tant d'intérêt à abaisser Athènes,. montra une persévérance infatigable, quand Sparte elle-même, épuisée, demandait la paix. De même, quelque belles que fussent leurs flottes et ces trirèmes qu'ils avaient construites les premiers[33], les Corinthiens craignaient d'y manier la rame et d'en rapporter ces mains calleuses que les Athéniens montraient avec orgueil et qu'Aristophane louait si fort. Ils emplissaient leurs galères de rameurs mercenaires qu'ils recrutaient dans le Péloponnèse[34].

L'argent était pour eux, dans toute la force du mot, le nerf de la guerre : mais, s'il procure des armées et maintient un peuple à un haut rang, il ne supplée jamais à l'esprit belliqueux, à la soif de gloire et de domination, à l'émulation d'héroïsme qui fait un grand peuple. Aussi Corinthe n'entreprit-elle de guerres que par nécessité et par intérêt. Ses ennemis furent surtout les peuples florissants par le commerce et la marine : Égine, qu'elle aida Athènes à écraser en lui prêtant ses galères[35] ; Athènes, lorsqu'elle eût pris la place d'Égine et élevé un empire maritime bien autrement formidable à l'Orient ; Corcyre, colonie devenue aussi riche et plus puissante que sa métropole[36], et qui interceptait, le commerce de l'Occident.

Une preuve de la mollesse avec laquelle Corinthe exerçait son empire même le plus rude, c'est le dédain qu'avaient pour elle ses colonies. Aucune ville n'en a fondé de plus florissantes, ni de plus ingrates ; Corcyre se révoltait contre elle et battait ses flottes ; Potidée se donnait aux Athéniens ; les autres, Épidamne, Syracuse ne se souvenaient de leur lien de parenté que dans le danger, et les Corinthiens trouvaient plus facile de les reconquérir par de dispendieux bienfaits que de les garder par une constante fermeté.

La nature et la fortune avaient tout fait pour eux. C'est peut-être pour cette raison qu'ils s'abandonnaient eux-mêmes, confiants dans leur destinée plus que dans leur ardeur et leur activité. Il n'est pas jusqu'au commercé qui ne semble avoir été une occasion plutôt qu'une vocation chez un peuple qui ne vivait pourtant que par le commerce. Thucydide nous apprend[37] que, dans le principe, Corinthe n'était qu'un lieu de passage pour les marchands. Tous les échanges entre le Péloponnèse et le Nord se faisaient par terre. Les droits qu'on payait en traversant son territoire furent la première source de sa richesse, et ce système de douanes fut dans ce temps toute son industrie.

Lorsque. les Grecs commencèrent à se livrer à la navigation et à la piraterie, l'isthme devint leur marché, et le butin y trouva des débouchés rapides[38], soit qu'il passât d'une mer à l'autre, soit qu'il s'écoulât dans l'intérieur du pays. Outre les revenus qu'en retirait la ville, l'exemple et la vue de richesses si facilement acquises engagèrent les habitants à courir aussi les mers. Plus tard, quand le droit des gens fut reconnu et respecté, quand l'industrie prit la place de la force et le commerce celle du brigandage ; ce fut encore aux deux ports de l'isthme qu'abordèrent les vaisseaux partis du couchant et les vaisseaux partis du levant. Les navigateurs inexpérimentés n'osaient suivre les côtés du Péloponnèse et doubler ces caps redoutés, le cap Malée surtout, habité par la tempête[39]. Corinthe devint donc l'entrepôt des marchandises l'Asie et de l'Italie, de celles que la Grèce elle-même importait ou exportait[40].

Ainsi, la nature des lieux et la force des choses prédestinaient les Corinthiens à la richesse, indépendamment de leur instinct, de leur travail. Je ne sais même s'ils avaient vraiment le génie du commerce. On ne remarque chez eux, ni l'esprit aventureux, ni l'ardeur infatigable, ni cette âpreté au gain qui caractérise une race de marchands. Quand la fortune venait les trouver sans effort, pourquoi courir vers elle à travers les fatigues et les dangers ? A Corinthe on pensait autant à jouir qu'à .amasser ; le luxe, la mollesse, la corruption (et l'histoire dit qu'elle y fut précoce) s'allient difficilement avec l'activité et la parcimonie avare de gens pour qui le gain est un instinct, un besoin, une éducation. Je ne vois chez les Corinthiens ni les grandes qualités ni les extrêmes défauts de l'esprit mercantile, avec lequel s'allie difficilement l'amour du beau, des arts, de l'oisiveté intelligente et épicurienne, que l'on trouve, au contraire, chez eux à un haut degré.

Peut-être, par compensation, reconnaîtrait-on dans la manière dont ils les cultivèrent le marchand et ses habitudes. Ainsi les arts manuels étaient en grand honneur à Corinthe, et l'on y comptait bien plus d'artisans que d'artistes[41]. L'argile, l'airain, prenaient entre leurs mains mille formes élégantes, moins pour rendre éternelles les conceptions du génie que pour se prêter aux besoins usuels et aux fantaisies du luxe. C'était là, il est vrai, une source d'illustration, niais surtout de richesse.

Quant à la peinture, à la sculpture, les Corinthiens eussent été indignes du nom de Grecs s'ils ne les eussent admirées et encouragées de leurs trésors. Ils achetaient à grands frais les œuvres des maîtres, les appelaient eux-mêmes pour embellir leur ville et leurs temples, établissaient des concours et des prix[42]. Mais ; quoique Corinthe se déclarât rivale de Sicyone, quoiqu'elle revendiquât la découverte de la peinture et prétendit en tenir école[43], quoiqu'elle ait produit Euphranor et Callimaque, elle ne montre point cette forte tradition et cette suite féconde d'artistes qui illustra Sicyone. L'émulation, l'effort, étaient moins nécessaires, quand la richesse publique réunissait les talents de tous les pays, entassait leurs œuvres payées au poids de l'or, et offrait aux citoyens des jouissances d'autant plus douces qu'elles ne leur coûtaient aucune peine.

En toutes choses, on peut dire des Corinthiens ce qu'on a dit de certains particuliers : qu'ils ont été gâtés par le fortune, et que l'opulence fut leur grande vertu. Du reste, peuple aimable, éclairé, élégant, hospitalier, aimé plutôt qu'envié par les autres Grecs, qu'attirait l'appât du gain, des belles choses, des plaisirs, des voluptés. Il leur manqua, pour être-grands, le malheur qui éprouve et fortifie, et un amour plis vif de la gloire. Il est un fait qui m'a surtout frappé dans leur histoire et qu'il est difficile de leur pardonner, quelque savantes dissertations que l'on veuille faire sur le culte de Vénus dans l'antiquité. Les Perses arrivaient : quand la Grèce se confiait en son droit, en sa valeur, en son désespoir, Corinthe envoyait ses courtisanes demander à Vénus la victoire et la liberté[44]. Après Salamine et Platées, pendant que les Grecs, tout entiers à l'ivresse de l'héroïsme et à l'enthousiasme du triomphe, célébraient les braves, divinisaient les morts, Corinthe remerciait de son salut, qui ? ses dieux ? ses guerriers ? ses défenseurs morts en combattant ? Non. Ses courtisanes[45]. Ce trait achève de peindre un peuple.

Autant le bonheur de cette ville privilégiée avait été constant et insigne, autant sa ruine fut subite et misérable. Elle ne méritait ni l'un ni l'autre excès. Ce furent précisément ses richesses qui la perdirent, en attirant sur elle la feinte colère, c'est-à-dire la cupidité des Romains. Corinthe, énervée, corrompue, était de toutes les villes de la ligue achéenne la moins redoutable pour eux assurément ; mais c'était la plus riche, riche surtout de ces trésors de l'art que les Romains avaient appris à convoiter, avant même de les savoir admirer. Une armée de soldats grossiers, commandée par un général digne des hordes barbares qui pillèrent l'Italie à son tour, saccagea sans pitié la plus aimable des villes grecques. Le siège de Corinthe est trop célèbre pour qU'il soit nécessaire de le retracer.

Plus tard, Jules César envoya une colonie d'af... [manque la fin du paragraphe pour clore ce chapitre].

 

 

 



[1] Scoliaste de Thucydide, l. IV, c. 42. — Homère, Iliade, VI, 154.

[2] Pausanias, Corinth., I.

[3] [Les [....] marquent des lacunes dans le textes].

[4] Iliade, VI, du vers 152 au vers [....]. Apollodore attribue à Sisyphe la fondation de Corinthe, I, 9, 3.

[5] Iliade, v. 158.

[6] Iliade, v. 158.

[7] Iliade, II, 570.

[8] Pausanias, Corinth., IV . — Diodore, l. VII, c. 9.

[9] Bacchis, quatrième successeur d'Alétès, le plus célèbre de tous les princes que cite Diodore (VII, 9), donna son nom à la dynastie.

[10] Hérodote, V, 92. Diodore, apud Syncell., p. 179.

[11] L'oracle de Delphes appelait les Bacchiades άνόρες μούναρχοι.

[12] Pausanias, Corinth., IX.

[13] Strabon, l. VIII, p. 378. — Ælian, Var. hist., l. I, c. 19.

[14] Pausanias, Corinth., IV.

[15] Hérodote, l. V, c. 92. — Aristote, Polit., l. V, c. 8, § 4.

[16] Aristote, Polit., l. V, c. 10.

[17] Aristote, Économ., l. II, c. 2, § 1. — Suidas, V. Κυψηλιδών άνάθημα.

[18] Théoph., cité par Suidas. — Aristote, Polit., l. V, c. 9.

[19] Strabon, l. VIII, p. 378. — Pausanias, l. V, c. 2.

[20] Hérodote, l. II, c. 49 et suivants. — Aristote, Pol., l. V, c. 10.

[21] Nicolas Damasc., in except. Val., p. 450.

[22] Diogène Laërte, l. I, § 99.

[23] Aristote l'appelle πολεμικός. Pol., l. V, c. 9, § 12.

[24] Il fut un temps où l'on comptait 460.000 esclaves à Corinthe. (Athénée, l. II, p. 272.)

[25] Héraclide, p. 209. C'était une des attributions de l'aréopage athénien.

[26] L. II, c. 59 et suivants.

[27] Marcellin, dans la Vie de Thucydide, § 42, dit que les Corinthiens l'avaient traité avec dédain.

[28] L. VIII, c. 94.

[29] La famille de Cypsélus régna 73 ans et 6 mois ; Cypsélus, 30 ans et 6 mois ; Périandre, 40 ans ; Psamméticus, 3 ans. (Aristote, Polit., V, 2.)

[30] Plutarque, Vie de Dion.

[31] Strabon, l. VIII, p. 382.— Plotin, Vie de Timoléon.

[32] Polyen, Strat., l. I, c. 41.

[33] Thucydide, l. I, c. 13.

[34] Thucydide, l. I, c. 31.

[35] Thucydide, l. I, c. 41.

[36] Thucydide rapporte que la richesse de Corcyre égalait celle du peuple le plus riche de ce temps, et qu'Athènes seule lui était supérieure comme puissance maritime. (l. I, c. 25 et suivants.)

[37] L. I, c. 13, § 5.

[38] L. I, c. 13, § 5.

[39] Strabon, l. VIII, p. 378.

[40] Strabon, l. VIII, p. 378.

[41] Hérodote, l. II, c. 167.

[42] Pline, l. XXXV, c. 35.

[43] C'est du moins ce que laisse supposer le texte de Pline.

[44] Athénée, l. XIII, p. 578.

[45] Pindare les a chantées, il est vrai, mais dans des vers destinés aux festins. (Σχολ. I.)