L'ACROPOLE D'ATHÈNES

 

CHAPITRE XXIII. — RETOUR AUX PROPYLÉES.

 

 

Pour se reconnaître dans la description de Pausanias, pendant qu'il revient aux Propylées sans donner de renseignements topographiques, il faut se bien rappeler la disposition de l'enceinte entière de l'Érechthéion. Après l'espace qui précède l'entrée du temple, on trouvait à sa droite, sur le côté du portique oriental, un escalier ; Cet escalier descendait à la partie plus basse de l'enceinte, comprise entre le temple et le mur de Thémistocle. Après avoir dépassé la prostasis septentrionale, l'enceinte s'agrandissait de toute la largeur de l'Érechthéion. Mais alors le mur qui se raccordait avec le portique la divisait en deux parties distinctes, l'une au sud, l'autre au nord : la première, où logeaient la grande prêtresse et les Errhéphores, et qu'on appelait la Sphœristra ; la seconde, qui était publique et remplie d'offrandes.

Cependant la Sphœristra, dans laquelle on entrait par la petite porte ménagée au fond de la prostasis septentrionale, n'était point fermée aux visiteurs ni exclusivement réservée aux usages privés. C'est ce que fait supposer, du moins, la statue d'Isocrate enfant, qui n'était probablement pas la seule. Mais comme Pausanias ne parle ni d'Isocrate, ni de la Sphœristra, il y a tout lieu de croire qu'il n'est point entré dans ce petit cloître, et qu'il a parcouru seulement la partie comprise entre le mur de Thémistocle et le mur septentrional de la Sphœristra. Dans cette région il vit d'abord, près du temple, une jolie statue de vieille femme, haute à peine d'une coudée, œuvre de Démétrius. On disait que c'était Lysimaché, prêtresse de Minerve pendant soixante-quatre ans. Il nota ensuite le combat d'Érechthée et d'Eumolpe, ou plutôt, selon la tradition athénienne, d'Érechthée et d'Immarade, fils d'Eumolpe, qui fut tué par Érechthée. Le même sujet est représenté Sur une métope du Parthénon. Mais ici c'était un groupe colossal en bronze ; le piédestal était même assez grand pour qu'on eût pu y placer deux autres statues plus petites : celle de Tolmidès, général athénien, qui fut tué à la déroute d'Haliarte, et celle du devin qui l'accompagnait. Cette réunion est assurément très-extraordinaire ; mais il me paraît difficile de comprendre autrement le passage de Pausanias.

Ce ne put être non plus bien loin du temple que Pausanias aperçut les antiques statues de Minerve, qui avaient été enveloppées dans l'incendie de l'Acropole par Xerxès. Mais aucune partie n'avait fondu (elles étaient donc en bronze) ; seulement, elles étaient restées toutes noires et si fragiles, qu'elles n'eussent pu supporter un choc. Il y a encore la chasse du sanglier ; je ne saurais dire si c'est le sanglier de Calydon. Plus loin, Thésée soulève la pierre sous laquelle Égée avait caché ses chaussures et son épée. Tout est en bronze, excepté la pierre. On avait, en outre, représenté Thésée amenant dans la citadelle le taureau qui désolait Marathon et le sacrifiant à Minerve. Les habitants du bourg de Marathon avaient voulu que l'art consacrât le souvenir de ce bienfait. L'importance de ces sujets et les dimensions des statues annoncent de la grande sculpture, et montrent avec quelle magnificence on avait décoré l'enceinte la plus révérée de l'Acropole. Il est regrettable que Pausanias ne cite aucun des artistes peut-être célèbres qui avaient travaillé à l'embellir.

Parmi ces groupes considérables, il y avait des statues plus petites, des offrandes de différente nature, dont quelques-unes nous sont connues malgré le silence de l'histoire. Les unes existent ; des autres il reste une base, un nom, un fragment. Près de l'angle du portique du nord se trouve la Minerve assise dont il a été question plus haut à propos de la Minerve d'Endœus. De ce côté on a découvert encore une offrande d'Hermippus, la statue de Mnésimaque, consacrée par sa fille Aristonice, une inscription honorifique où on lit le nom de Sophocle, un petit bas-relief d'une exécution fort mauvaise où l'on voit un prêtre et deux prêtresses ; les noms sont complètement effacés[1].

A l'ouest du temple, la statue d'Isocrate, vainqueur à la course à cheval, n'était pas seule ; ou, pour mieux dire, d'autres vainqueurs avaient consacré des monuments de leur victoire. C'est là qu'on a découvert de petits piédestaux carrés, sur lesquels sont sculptés en relief des chars traînés par deux chevaux[2]. Ces biges, d'une forme à peine archaïque et d'un très-beau style, rappellent les biges des monnaies siciliennes. Ils ne sont accompagnés d'aucune inscription ; niais en échange on verra, à l'angle nord-ouest de la prostasis septentrionale, un piédestal sans sculptures, avec cette dédicace : Offrande d'Hermocrate, fils d'Antiphon, du dème de Crioa, dont l'attelage a remporté le prix à Olympie.

Comme la statue équestre d'Isocrate était dans la Sphœristra des Errhéphores, il se pourrait que ces monuments d'une victoire analogue fussent dans le même lieu. dette particularité, fût-elle démontrée, ne servirait qu'à rendre plus inexplicable pour nous une enceinte déjà si peu connue. En tout cas, il était naturel que des vainqueurs à la course des chevaux ou des chars réunissent autour du temple de Minerve Poliade les monuments de leur reconnaissance. Minerve n'avait-elle pas, la première, dompté et attelé le cheval ? Les Grecs ne l'avaient-ils pas surnommée Hippia ?

Quant aux grandes prêtresses et aux Errhéphores, on s'attend à trouver ici leurs statues plus nombreuses qu'en aucune autre partie de l'Acropole. On ne connaît encore pourtant, après la Lysimaché de Pausanias, que Junia Lépida, fille de Silanus Torquatus, et une Errhéphore qui expose elle-même, comme nous l'avons vu plusieurs fois, et sa naissance et ses titres à l'honneur d'une statue : Je suis Errhéphore de l'auguste Minerve. Mon père Sérapion et ma mère m'ont placée sur ce piédestal..... Le reste du récit est en grande partie détruit. Quoique ce genre d'inscriptions ne manque pas d'une certaine ressemblance avec les prologues d'Euripide, il est à remarquer qu'elles sont le plus souvent d'une époque tardive, comme il est aisé de le reconnaître au caractère des lettres.

L'image d'une autre femme avait été consacrée à Minerve Poliade ; mais il ne paraît point qu'elle ait rempli aucune fonction religieuse. C'était Stratoclée, à laquelle son fils Eudémus et sa fille Agariste avaient donné ce témoignage public de leur affection. Les lettres sont d'une forme étrange, et d'un assez mauvais goût.

Un piédestal dont il semble d'abord plus difficile d'expliquer la présence est celui qui porte sculptés en relief de petits Amours. Des Amours dans le sanctuaire de Minerve, ne serait-ce qu'un de ces jeux du hasard qui a déplacé et confondu tant d'autres ruines ? Nous, savons cependant qu'il y avait dans l'Acropole une statue d'Antéros, et que cette statue était probablement située dans l'enceinte de Minerve Poliade. Elle avait été consacrée à l'occasion d'un fait célèbre qui se rattachait à la religion de l'Acropole. Timagoras, métœque, aimait un jeune Athénien riche et noble qui s'appelait Mélès. Dévoué à ses caprices comme un esclave, il l'accablait, en outre, de présents et n'était payé que de mépris. Un jour, Mélès refusa même deux oiseaux d'une grande beauté. Désespéré, Timagoras monte à l'Acropole et se précipite du haut des rochers. Mélès, quand il vit le cadavre de son ami, fut pris d'un repentir si violent qu'il courut se précipiter à son tour. Depuis cette époque, les métœques honorèrent Antéros comme le génie vengeur de Timagoras. Ils élevèrent à ce dieu un autel dans l'Acropole, et une statue commémorative fut placée dans le lieu même qui avait été le théâtre de cette double mort. La statue représentait un bel adolescent nu, tenant dans ses deux bras deux coqs magnifiques et dans l'attitude de quelqu'un qui va se précipiter.

L'endroit le plus escarpé de l'Acropole, c'est celui d'où se sont précipitées Aglaure et Hersé, celui que les Perses ont escaladé, si l'on en croit Hérodote, le côté précisément où est situé l'Érechthéion. Si, en outre, on retrouve dans le mythe d'Éros et d'Antéros la lutte de Vulcain et de Minerve[3], on comprend pourquoi l'offrande des métœques avait été placée de préférence dans l'enceinte de Minerve Poliade, et pourquoi, sur les piédestaux des offrandes postérieures, sont sculptés de petits Amours.

Il me reste encore à citer un piédestal romain qui touche à celui d'Hermocrate. On y lit le nom de Claudius Néron, fils de Tibère, bienfaiteur du peuple athénien : c'est la formule ordinaire.

Les fouilles n'ont point été assez poussées, de mon temps, dans cette partie de l'Acropole, pour qu'on sache où se terminait l'enceinte de l'Érechthéion. Si les divisions de Pausanias ont quelque fondement, c'est au moment où il la quitte que se termine le 27e chapitre. La statue de Cylon, qu'il nomme au commencement du chapitre suivant, est donc la première qui attire son attention lorsqu'il entre dans l'espace compris entre le mur occidental du téménos, le mur septentrional de la citadelle, la route des Propylées au Parthénon et les Propylées. En effet, la grande Minerve de Phidias, qui se présente ensuite à ses regards, est en dehors de l'enceinte de l'Érechthéion, et le lieu qu'elle occupait nous est connu. Je ne saurais expliquer au juste, dit Pausanias, pourquoi on a élevé à Cylon une statue en bronze, bien qu'il eût voulu se faire tyran de son pays. C'est, je suppose, parce qu'il était d'une grande beauté, parce qu'il avait quelque célébrité depuis sa victoire au double stade d'Olympie, et parce qu'il avait épousé la fille de Théagène, tyran de Mégare. S'il était permis de faire des conjectures après un écrivain ancien, ne trouverait-on pas une raison plus sérieuse ? Cette statue ne serait-elle pas une des expiations commandées aux Athéniens après le meurtre (le Cylon, arraché du sanctuaire de Minerve et massacré au mépris des serments ?

La dîme du butin conquis à Marathon avait été consacrée à Minerve, et fit les frais du colosse en bronze qui commença la gloire de Phidias. Mys, disait-on, l'avait aidé ; du moins, il avait ciselé sur le bouclier le combat des Lapithes et des Centaures et les autres sujets. Mys lui-même, selon sa coutume, n'avait travaillé que d'après les dessins de Pérasius. Les médailles du Musée britannique et du cabinet de Paris, sur lesquelles l'Acropole est représentée, nous offrent un dessin évidemment exact de la Minerve. Vêtue de la longue tunique et du Pépins, elle élève son bras droit qui s'appuie sur sa lance ; son bras gauche présente en avant le bouclier richement décoré. Tournée vers les Propylées, elle semble défendre l'entrée de son sanctuaire.

Au nord-est de l'axe des Propylées, et au nord-ouest du Parthénon, précisément à la place que désigne la médaille, on a retrouvé un vaste piédestal. Les premières assises reposent encore en partie sur le rocher ; elles sont en tuf, et celles qui manquent laissent à nu la rainure préparée dans le rocher pour les recevoir. Au centre du massif, un petit dé en marbre semble la première pierre consacrée par le sang des victimes. On mesure 6 mètres 80 centimètres de long sur 4 mètres 60 centimètres de large. Le piédestal se présente obliquement sur la façade intérieure des Propylées, de manière à bien regarder la porte. Sa hauteur, si l'on s'en rapporte à la médaille, était peu considérable ; cela n'empêchait pas la statue de s'élever d'un tiers au-dessus du Parthénon. Ce qui lui donnerait près de quatre-vingts pieds de proportion. la pointe de la lance et l'aigrette du casque se distinguaient en mer lorsqu'on revenait du cap Sunium. Pour qu'un tel fait paraisse vraisemblable, il faut bien remarquer que l'on n'aperçoit l'Acropole que longtemps après avoir doublé le cap.

Une autre offrande, dîme du butin fait sur les Béotiens et les Chalcidiens, était un char en bronze attelé de quatre chevaux. Pausanias n'indique pas sa situation. Mais Hérodote nous apprend que c'était la première chose qu'on trouvait à sa gauche, en franchissant les Propylées. Il est probable qu'on retrouvera un jour la base du quadrige, en enlevant les masures et les ruines modernes accumulées sur toute cette partie de l'Acropole.

Dans l'espace déblayé qui s'étend depuis la Minerve Promachos jusqu'au mur du nord, on n'a recueilli que peu d'indications topographiques, une offrande seulement d'un certain Épicrate et un piédestal sur lequel s'élevait une statue, œuvre du sculpteur Démétrius, le même peut-être qui avait fait la prêtresse Lysimaché.

Les fragments de sculpture sont un peu plus nombreux et surtout plus intéressants. Je ne parle pas d'un bas-relief où l'on voit un personnage drapé comme le Sophocle du palais de Latran auprès d'un trépied gigantesque. Mais un autre bas-relief, que l'on conserve dans la Pinacothèque, offre une idée et une composition charmantes. Une femme se tient debout devant le dieu Pan, enveloppée coquettement dans ses voiles, à la manière des danseuses de Pompéi, Pan, assis sur son rocher, a croisé ses petites jambes de bouc et lui joue un air de flûte. Ce morceau a été trouvé près du mur du nord, au-dessus des Longs Rochers que Pan, du fond de sa grotte, faisait harmonieusement retentir.

A peu de distance du piédestal de Minerve, on remarque encore, parmi les herbes qui le couvrent à demi, un fragment de statue de femme. Il ne reste que les genoux et les pieds, les genoux encore serrés par l'extrémité d'un pallium ; mais aussitôt paraît la tunique avec mille plis légers, d'une souplesse et d'une vérité exquises, et qui annoncent l'œuvre d'une bonne époque et d'un excellent artiste.

Les dernières statues que nomme Pausanias sont celles de Périclès et de Minerve Lemnienne. C'était le plus admirable des ouvrages de Phidias, une offrande des habitants de Lemnos. Ensuite Pausanias repasse sous le vestibule des Propylées, descend une partie du grand escalier, tourne au pied de la statue d'Agrippa, et, prenant le petit escalier de Pan, arrive à la grotte de ce dieu et à la fontaine Clepsydre.

Mais déjà nous sommes sortis de l'Acropole.

 

FIN DE L'OUVRAGE.

 

 

 



[1] Il est aujourd'hui dans le vestibule des Propylées.

[2] Dans le vestibule des Propylées.

[3] Dans le tome III de l'Élite des monuments céramographiques, voyez l'explication de la planche VII.