HISTOIRE DES CHEVALIERS ROMAINS

 

TOME II

LIVRE PREMIER. — LES CHEVALIERS ROMAINS DEPUIS LE TRIBUNAT DES GRACQUES JUSQU'À LA DICTATURE DE CÉSAR.

CHAPITRE II. — LA NOBLESSE URBAINE DU PATRICIAT.

 

 

La vraie nature du patriciat romain est encore aujourd'hui mal comprise. Les théories abstraites des modernes, les anecdotes morales des anciens ont également contribué à la faire méconnaître. Celui qui a répandu le plus grand nombre d'idées fausses sur le patriciat, c'est le philosophe Vico, génie vaste mais confus, chez qui l'on trouve plutôt l'instinct divinatoire d'un oracle, que les connaissances précises d'un critique. Le caractère du patriciat, d'après l'auteur de la Science nouvelle, aurait consisté, dans le droit exclusif de former la gens héroïque[1]. Seuls investis du droit d'auspices, qui était la source du droit public et privé des Romains, les patriciens seuls, auraient eu le connubium et toutes les dépendances des auspices qui rentraient dans le droit privé, autorité paternelle, descendance, agnation, famille et par conséquent légitimité des successions, droit de tester, droit de tutelle[2]. Les plébéiens, caste de parias ou d'Ilotes, n'auraient eu aucun droit, ni propriété, ni gens, ni famille, ni culte, ni même droit de vivre. Car la vie de ces hôtes méprisés de la cité, n'eût été qu'un don précaire des héros patriciens[3], et ces héros auraient pu impunément tuer un plébéien, à condition de payer au maître de cette sorte d'esclave une indemnité[4]. Servius Tullius, le premier aurait accordé aux journaliers plébéiens la possession bonitaire des champs qu'ils cultivaient, et la loi des Douze Tables leur en aurait attribué le domaine quiritaire[5]. Mais les plébéiens se seraient aperçus que, même après la loi des Douze Tables, leur propriété n'était pas légalement transmissible et devait faire retour aux patriciens, puisque le plébéien, n'ayant pas le connubium, ne pouvait avoir ni héritier légitime, ni héritier testamentaire. C'est cette raison qui aurait déterminé Canuleius à demander en 444 av. Jésus-Christ pour les plébéiens, non la faculté d'épouser des patriciennes, comme l'ont cru Tite-Live et Cicéron, mais le droit de contracter entre familles plébéiennes, des mariages solennels, garantis par les auspices et semblables à ceux que les patriciens contractaient aussi entre eux[6]. En un mot, les plébéiens ne seraient devenus des citoyens, ou même n'auraient été reconnus pour des hommes, que par la loi Canuleia.

Pour que cette théorie de Vico eût au moins quelque vraisemblance, il faudrait que la loi des Douze Tables fût demeurée inconnue ou qu'elle n'eût pas été comprise au temps de Cicéron. Or, cette loi défendait expressément les mariages entre familles plébéiennes et patriciennes, et ce sont ces mariages que la loi Canuleia[7] permit.

Un de nos savants historiens du droit romain[8] a démontré qu'il y avait à l'origine de Rome des gentes plébéiennes comme des gentes patriciennes. Il est vrai que M. Laferrière s'est trompé en attribuant à Niebuhr l'opinion que le droit de gentilité ne s'appliquait pas aux familles plébéiennes. Niebuhr dit seulement que les plébéiens n'avaient pas dans l'assemblée curiate les droits religieux des gentes patriciennes. Mais la réfutation de M. Laferrière renverse la théorie de Vico sur la gens héroïque. Dans la loi des Douze Tables, les droits de succession sont réglés sans distinction de plébéiens ni de patriciens, et aucun jurisconsulte n'a jamais imaginé que la législation des Décemvirs ait été faite pour une petite caste privilégiée. Or, cette loi voulait qu'à défaut d'héritiers siens, le père de famille eût pour héritiers légitimes ses agnats, et, à défaut d'agnats, ses gentiles[9].

La tutelle et la curatelle légitimes étaient déférées d'après les mêmes règles que l'hérédité légitime[10]. Les droits civils de l'agnation et de la gentilité appartenaient donc aux plébéiens comme aux patriciens, dès l'an 450 av. J.-C. Rien ne fait supposer que sur ce point la loi des Douze Tables ait innové, et elle n'a dû être, comme les plus anciennes lois écrites, que la consécration d'une vieille coutume[11]. Cicéron, dans les Topiques, définit le mot Gentiles, avec l'intention de donner un modèle de définition complète, et il emprunte cette définition au pontife Scævola : Gentiles sunt, qui inter se eodem nomine sunt, qui ab ingenuis oriundi sunt, quorum majorum nemo servitutem servivit, qui capite non sunt deminuti[12]. La qualité de patricien n'est pas énumérée parmi les quatre conditions dont la réunion constitue le droit légal et complet de gentilité. On ne pourrait donc réserver ce droit aux patriciens qu'en supposant que la qualité d'ingénus dont les ancêtres ont tous été libres, n'aurait convenu primitivement qu'aux hommes du patriciat. C'est ce que semble admettre un instant M. Ortolan[13]. Après avoir établi que l'ingénuité était une condition pour exercer tous les droits de la gentilité, il identifie les patriciens avec les patrons, la plèbe avec les clients. Or, comme les clients descendaient des affranchis, il en résulterait que les patriciens seuls auraient eu à l'origine l'ingénuité, et que les plébéiens n'auraient pas eu le droit de gens.

Cette théorie serait complètement erronée si on l'appliquait à l'histoire des trente-et-une tribus rustiques. Celles-ci se composaient de plébéiens ingénus qui formèrent, dès les premiers temps de la République, la partie la plus considérable du peuple romain. Les Cilnii Mæcenates d'Arretium furent à Rome une famille de chevaliers plébéiens. Or, ils ne descendaient ni d'affranchis ni de clients, mais des anciens Lucumons d'Arretium qui formaient la gens Cilnia ou genus Cilnium[14]. Il en fut de même d'un grand nombre de familles de la plèbe rustique que nous énumérerons plus loin.

En ne considérant que la plèbe urbaine, M. Ortolan admet l'opinion que nous combattons avec des restrictions qui en diminuent l'importance et la rapprochent beaucoup de la vérité.

Par suite de l'accroissement incessant de la plèbe, à mesure que Rome étendait sa puissance et augmentait sa population, il arriva un temps où les plébéiens, attachés aux maisons patriciennes par les liens de la clientèle, ne formèrent qu'un petit nombre comparés à la grande foule restée en dehors de cette clientèle[15]... Plusieurs des nouveaux venus introduits dans la cité par Tarquin l'ancien avaient appartenu, dans leur ville, à la classe supérieure, et cependant, à l'exception d'un très-petit nombre, auquel le patriciat avait été accordé en même temps que le droit de cité, ils avaient dû prendre rang à Rome dans la plèbe, où ils avaient été en position, à cause de la franchise perpétuelle de leur lignage, de former la souche de gentes plébéiennes, contrairement à l'état antérieur d'après lequel les patriciens seuls pouvaient former une gens[16].

Ainsi M. Ortolan fait remonter au règne de Tarquin l'ancien l'établissement de gentes plébéiennes dans la plèbe urbaine. Mais son raisonnement, qui est fort juste, peut s'appliquer tout aussi bien au règne d'Ancus Marcius, ou à celui de Tullus Hostilius, car Ancus accrut la plèbe romaine de toute la population des villes latines de Politorium, de Tellène et de Ficana, qu'il établit sur l'Aventin. Tullus transporta sur le Cœlius la population d'Albe, et n'admit dans le sénat que cent Albains et dans le patriciat que cent gentes albaines. Enfin, ceux qui croient à l'arrivée de Titus Tatius à Rome et à l'établissement des Sabins de Cures sur le Capitole doivent admettre aussi que ces nouveaux Quirites ne fournirent que cent membres au sénat romain, et cent gentes nouvelles au patriciat, et que tous les autres chefs de familles libres, venus de Cures, devinrent la souche de gentes plébéiennes. En suivant le raisonnement de M. Ortolan, on arrive donc à reculer l'époque où les patriciens seuls auraient possédé l'ingénuité et le privilège exclusif de former des gentes, jusqu'aux premières années du règne mythologique de Romulus, jusqu'à un temps où les Romains, n'ayant pas encore enlevé les Sabines, n'étaient pas même parvenus à se marier. Réduite à ces proportions, la théorie qui réserve aux patriciens tous les droits primitifs de la gentilité, ne mérite plus qu'une bien faible place dans l'histoire.

S'il est vrai qu'il y eût à Rome, dès le temps des rois, des gentes plébéiennes, peut-on dire que cette partie de la plèbe urbaine, qui se composait d'affranchis et de clients, fût complètement exclue de tout droit dans les gentes de ses patrons ? Ces clients qui, dès le temps de Servius Tullius, votèrent dans les curies avec les patriciens[17], qui, aux premiers temps du tribunat de la plèbe, mettaient leurs suffrages dans l'assemblée curiate à la disposition de leurs patrons pour faire réussir la candidature des tribuns agréables au patriciat[18]. Ces clients n'étaient-ils pas, dans une mesure restreinte, il est vrai, les gentiles de la grande race dont ils portaient le nom[19] ? Dans le tombeau des Scipions on a trouvé des affranchis de la famille. Ils appartenaient à la gens Cornelia comme les serviteurs à un clan. En 186 av. J.-C., une affranchie, Hispala Fecenia, reçoit du sénat un privilège ainsi formulé : Gentis enuptio... utique ei ingenuo nubere liceret[20]. Il y avait donc à Rome sur les affranchis une loi qui les empêchait d'épouser une personne de race libre, et de se marier en dehors de leur gens, comme au moyen âge le droit de formariage empêchait une femme serve d'épouser un homme libre ou étranger à sa seigneurie. Enfin, le client du décemvir Appius Claudius, qui réclame Virginie comme son esclave, s'appelle M. Claudius[21]. Il appartient au nomen Clandium ou à la gens Claudia.

Ces clients, ces affranchis des gentes ne jouissaient pas de tous les droits de la gentilité. C'est pourquoi Scævola par la définition que nous avons citée, les exclut du nombre des véritables gentiles. Ainsi le client, ou l'affranchi, n'hérite pas de son patron si celui-ci meurt sans héritiers siens et sans agnats, tandis que dans un cas semblable, le patron hérite de son client ou de son affranchi. Il nous reste un exemple curieux de l'application de cette règle. Les Claudii patriciens et les Marcelli plébéiens, appartenaient à la même gens Claudia. Les Marcelli comme le M. Claudius de l'époque des décemvirs, descendaient d'une famille de clients parvenus aux honneurs. Le fils d'un affranchi des Claudii meurt sans héritiers. Les Marcelli étaient parents du mort. Ils réclament l'héritage en vertu de la parenté (stirpe). Les Claudii n'étaient pas du même sang que le mort, mais ils étaient de la même gens et du même nom. Ils réclament l'héritage par droit de gentilité (gente)[22]. On a cherché vainement à expliquer par une adoption ou par une adrogation, la coexistence dans une même gens de familles patriciennes et de familles plébéiennes. Si les Marcelli étaient entrés dans la gens Claudia par adoption ou adrogation, ils auraient été patriciens[23]. S'ils étaient devenus Marcelli et plébéiens par le même moyen, ils auraient été des Marcelli Clodiani, et non des Claudii Marcelli. Ils auraient renoncé à leur gens. Il ne reste donc pour expliquer la présence de ces plébéiens dans la gens Claudia, qu'à recourir à l'hypothèse de Drumann qui rencontre la même anomalie dans la gens Cassia et dans la gens Antonia[24], c'est-à-dire à les faire descendre d'un client de la gens ; à moins qu'on ne leur donne pour ancêtre, un Claudius établi dans la vetus tribus Claudia au bord de l'Anio, ou un chef d'une branche cadette assez éloignée des Claudii qui deviennent patriciens en s'établissant à Rome en 503 av. J.-C. Quelque hypothèse que l'on admette pour les expliquer, de pareils faits prouvent l'aptitude des plébéiens à entrer dans les cadres des gentes et même la présence dans les gentes des affranchis et des clients, qui y formaient une classe sans droits complets, et en quelque sorte les gentiles du second degré.

Les passages qu'on a quelquefois allégués pour soutenir sur ce point la théorie de Vico, signifient le contraire de ce qu'on a voulu leur faire dire. Ainsi Aulu-Gelle emploie l'expression de gentes patriciœ[25], qui, loin de réserver la gentilité aux patriciens, suppose l'expression corrélative de gentes plebeiœ ; autrement elle formerait pléonasme. Dans la discussion de la loi Ogulnia, relative au partage de l'augurat 300 av. J.-C., Tite-Live fait dire aux patriciens, qu'eux seuls ont une gens[26]. Mais il n'introduit ces paroles dans le discours du plébéien Decius Mus que pour les réfuter. Il ne s'agit point là des droits civils des gentes, qui étaient communs aux plébéiens et aux patriciens, mais des droits politiques et religieux des gentes patriciennes dans l'assemblée curiate, de l'augurat public que les patriciens s'étaient jusque-là réservé. C'est relativement à la religion des auspices publics, que ces gentes avaient jusque-là seules été comptées. Mais n'est-il pas bien étonnant qu'on ait pu croire qu'à cette époque de. l'an 300 av. J.-C., les plébéiens étaient une caste de parias sans droits civils, sans culte, sans famille reconnue, lorsque déjà ils étaient parvenus à partager le consulat, la censure, la préture, la dictature, le proconsulat et la noblesse sénatoriale, comme Decius Mus s'en vante dans ce même discours ? A propos de la loi Canuleia, Tite-Live prête aux consuls patriciens des expressions comme celles-ci : Les mariages mixtes entre familles patriciennes et plébéiennes seraient la confusion des gentes, des cultes privés et publics, une sorte de promiscuité bestiale. Mais il détruit plus loin d'un seul mot ces vaines hyperboles oratoires[27] : les mariages mixtes, répond Canuleius, ne changent rien au droit. Les enfants suivent la condition du père. En effet, d'après la loi romaine, les liens de la famille, de l'agnation, de la gentilité se formaient et se continuaient exclusivement par les personnes du sexe masculin. La femme en se mariant sortait entièrement de sa première famille[28] et elle était considérée comme la fille de son mari (loco filiœ), et la cohéritière de ses propres enfants. Le mariage d'un plébéien avec une patricienne, d'un patricien avec une plébéienne, ne pouvait donc porter aucune atteinte au droit, ni à la religion des gentes. Tels sont les principes de droit romain par lesquels on réfute les théories de Vico, qui refuse aux plébéiens la gens et les droits civils de la gentilité. Cette théorie moderne était inconnue des anciens dont aucun n'hésite à qualifier de gentes les races plébéiennes[29].

Caton l'ancien, originaire de Tusculum, était plébéien[30]. Pline nous dit qu'il fut le premier de la gens Porcia qui arriva aux honneurs[31]. Les Octavii étaient plébéiens de l'aveu même d'Auguste[32]. Suétone nous apprend que la gens Octavia était autrefois une des principales de Velitres[33]. Cicéron emploie l'expression de gens Fonteia, en parlant de la race plébéienne issue de Tusculum dont un membre avait adopté le patricien Clodius, pour le rendre apte à devenir tribun de la plèbe[34]. Les Tremellii étaient tous plébéiens[35]. Varron fait dire à l'un d'eux, surnommé Scrofa qu'il était le septième préteur de sa gens[36]. Le même auteur range C. Licinius Crassus, qui fut tribun de la plèbe en 145 av. J.-C.[37], dans la même gens que le grand tribun de l'an 376 av. J.-C. C. Licinius Stolo[38]. Un homme de la même famille, P. Licinius Crassus, s'excuse en 176 av. J.-C. de ne pouvoir se rendre comme préteur dans l'Espagne ultérieure, en jurant que des sacrifices solennels le retiennent à Rome[39]. Ces sacrifices étaient les sacra gentilicia, qui s'accomplissaient sur le tombeau commun des ancêtres transformés en dieux mânes. Il n'y avait pas dans l'ancienne République de plébéien de la campagne si pauvre qui n'eût dans son champ héréditaire de deux jugères (hœredium)[40], son tombeau à côté de sa cabane[41]. Le plébéien Cicéron nous dit qu'il retrouvait à Arpinum sa race, le culte de sa race, et tous les souvenirs de ses ancêtres[42]. Enfin le passage le plus célèbre sur le culte des tombeaux dans l'antiquité, se rapporte précisément à la sépulture d'une gens plébéienne.

C'est celui du de legibus II, 22 : Les tombeaux, dit Cicéron, sont tellement respectés, que le droit religieux défend d'y enterrer un mort qui ne soit pas de la gens et qui soit en dehors de son culte. C'est ce qu'a jugé, au temps de nos ancêtres, A. Torquatus, à propos de la gens Popillia. Or, les Popillii ont tous été plébéiens. On n'en trouve pas un seul patricien dans les fastes de la République[43]. Tantôt un Popillius est collègue d'un patricien dans le consulat[44], tantôt il est tribun de la plèbe[45]. Le droit de propriété (dominium) et d'héritage appartient aux plébéiens dès les premiers temps, comme les droits de la famille et du culte domestique. Tite-Live nous montre, en 493 av. J.-C., un plébéien dépouillé du champ de son père et de son aïeul[46]. Il appelle dominus un propriétaire plébéien de l'an 450 av. J.-C.[47] Denys, de son côté, fait dire au roi Servius Tullius qu'il va distribuer aux plébéiens pauvres des terres de l'Etat, pour que désormais ils travaillent dans leur propriété et non sur les terres d'autrui[48]. C'est précisément à propos de ce passage que Vico a imaginé la concession bonitaire, faite aux journaliers plébéiens, des terres qu'ils cultivaient. On ne peut fausser plus complètement le sens naturel des mots par esprit de système. Dans les lois agraires, depuis Servius Tullius jusqu'aux Gracques et à César, le but des législateurs fut de créer des propriétés individuelles prises sur le domaine public. La possession bonitaire, opposée à la propriété (dominium), doit son origine, non aux lois de Servius, mais aux interdits des préteurs du sixième siècle de Rome[49]. Elle s'appliquait, non aux lots de terre distribués aux Colons plébéiens, lesquels constituaient des héritages[50] (heredia), mais surtout aux parties du domaine public, dont l'usage était laissé provisoirement aux possesseurs, pour la plupart patriciens[51]. Ainsi, les plébéiens eurent, dès l'origine, comme les patriciens, leurs cultes domestiques, leurs sacra gentilicia, leurs propriétés héréditaires, leurs droits de famille et toutes les conséquences qu'on a tirées de l'hypothèse de Vico, d'après laquelle l'organisation et le culte de la gens appartiennent exclusivement aux patriciens, sont aussi fausses que l'hypothèse elle-même.

S'il est une vérité générale aujourd'hui acquise à la science, c'est que toutes les tribus de la race indo-européenne eurent, à l'origine, même religion, même constitution domestique. Ne serait-ce pas une inconséquence de montrer d'abord le feu sacré de Vesta allumé au foyer de chaque père de famille, depuis l'Inde jusqu'à la Grèce et l'Italie, de montrer toutes les lois de la famille et de la cité dérivant de cette religion universelle qui comprenait le culte du foyer et celui des tombeaux, et de réserver ensuite, par une exception étrange dans l'histoire romaine, les privilèges de ce culte domestique et ceux de la gens au patriciat, c'est-à-dire à une aristocratie peu nombreuse d'une seule des cités du Latium[52] ? Il est évident qu'à Tusculum, à Velitres, à Arpinum, à Pedum, à Lanuvium, à Aricie, à Vulsinies, à Véies, à Tarquinies, dans toutes les villes du pays latin, toscan ou volsque, dont la population forma la plus grande partie de l'antique plèbe romaine, les cultes domestiques et la gens existaient primitivement aussi bien qu'à Rome[53]. Il ne sert de rien de dire que les grandes familles des villes de l'Italie, si elles furent plébéiennes à Rome, étaient patriciennes dans leur pays. Donner ainsi au mot patriciat, en l'appliquant à toutes les noblesses italiennes, un sens que les Romains ne lui ont jamais donné, c'est éluder la question relative au patriciat romain et non pas la résoudre. Il est impossible de trouver le caractère propre et distinctif du patriciat romain dans l'institution de la gens, qui a été commune à Rome, à l'Italie et à toutes les cités antiques, et aux plébéiens comme aux patriciens.

Mais le patriciat, considéré comme ayant formé un corps politique, une cité particulière, eut, à l'origine de Rome, une religion locale qui lui fut propre. Les gentes patriciennes étaient groupées en trente curies, associations religieuses qui adoraient la Junon Curite ou Quiritaire, et qui avaient leurs sanctuaires au cœur de la ville de Rome, sur le mont Palatin (veteres curiæ). Les membres des curies étaient appelés Quirites et formaient l'assemblée curiate. Les curies étaient groupées elles-mêmes en trois tribus sacrées, celles des Rhamnes, des Tities et des Luceres, qui composaient la cité primitive et qui adoraient la Vesta du peuple romain des Quirites. A ces tribus étaient attachés les augures en nombre multiple de trois, et c'est dans l'assemblée curiate que se prenaient les auspices. Le plébéien d'une tribu rustique, qui n'avait pu parvenir à une magistrature curule et au sénat, n'était pas Quirite, du moins jusqu'à la révolution politique de l'an 240 av. J.-C. Il n'appartenait à aucune des trente curies de la ville et se trouvait naturellement exclu de toute participation au culte des dieux de la ville de Rome. Comme il ne les connaissait pas et n'était pas connu d'eux, il ne pouvait les consulter, il n'avait pas les auspices. La religion romaine était locale comme toutes celles de l'antiquité[54]. Les dieux de Rome étaient des habitants de la ville[55]. Jupiter Capitolin, Minerve et Quirinus, Junon Quiris et Vesta du peuple romain des Quirites, traitaient en étranger celui dont la famille n'avait pas depuis longtemps fixé son domicile à l'intérieur du Pomœrium, ou n'avait pas conquis une place dans les curies, en faisant élire un de ses membres consul édile ou préteur. Mais cette exclusion n'interdisait au plébéien de la campagne ou au plébéien nouvellement établi dans la ville que les droits politiques et religieux qui s'exerçaient au sénat, dans l'assemblée des curies ou au nom des curies. Elle laissait intacts tous ses droits civils, et ne l'empêchait pas d'avoir dans son village ou dans sa ville natale sa religion de famille, son culte local, sa propriété et sa gens. Telle est la pensée simple et profonde de Niebuhr, et comme elle a été quelquefois mal comprise, nous traduirons ici une page où il l'exprime clairement[56] :

Il n'y avait pas dans le monde ancien d'organisation plus générale que celle des gentes. Chaque bourgeoisie était ainsi partagée : les habitants de Gephyræ et de Salamine, comme ceux d'Athènes ; ceux de Tusculum, comme ceux de Rome. Lorsque les uns et les autres[57] furent reçus dans la commune[58] des villes dominantes, leurs gentes ne disparurent pas pour cela. Dans les constitutions intérieures des municipes, qui, primitivement, ne furent pas modifiées par la concession du droit de cité romaine, les gentes, aussi longtemps qu'elles eurent une signification réelle, durent conserver aussi une existence politique, et, lorsque le temps et les circonstances eurent modifié leurs droits politiques, elles restèrent certainement en possession complète de leurs droits civils et religieux. Mais la cité de Rome, la plus grande des deux  patries[59], ne reconnaissait pas ces gentes comme liées d'un rapport politique avec elle. Les gentes, desquelles se composaient les trois tribus anciennes[60], étaient seules des parties intégrantes de l'Etat romain, et c'est en ce sens que les patriciens pouvaient se vanter d'avoir seuls une gens[61], quoiqu'il existât à Rome et dans les municipes des milliers de gentes plébéiennes, exerçant les droits des gentiles[62]...

La religion locale des gentes patriciennes, celle des curies, quoique les patriciens s'en fassent longtemps réservé le privilège, avec une ambition jalouse, n'était pas pour cela l'essence du patriciat. Car les plébéiens arrivèrent an consulat en 366 av. J.-C., à l'augurat en 300[63], au grand pontificat en 250[64], à la charge de grand turion en 209[65], et la conquête de tous les droits religieux ne leur procura pas le titre de patriciens. Les consuls, les préteurs, les édiles, les augures, les pontifes, les curions nés plébéiens, restèrent plébéiens, et formèrent une noblesse plébéienne distincte du patriciat, quoiqu'elle partageât avec lui toutes les fonctions sacrées. C'est ainsi que la gens Domitia, d'où sortirent un consul dès l'an 329 av. J.-C.[66], et deux pontifes[67] fut plébéienne jusqu'au règne de l'empereur Claude[68]. Le patriciat était donc une aristocratie politique, et non une aristocratie religieuse, et la qualité d'un patricien tenait, non à un caractère sacerdotal, mais à l'origine, à l'antiquité de sa famille, ou de sa gens arrivée de très-bonne heure à siéger dans le sénat romain.

Tite-Live nous dit que les patriciens furent les descendants des premiers sénateurs (Patres)[69]. Nous voyons en effet, que les sénateurs nommés par Romulus, par Tullus Hostilius, par Tarquin l'ancien, entrent dans le patriciat en même temps que dans le sénat[70]. M. Mommsen, à l'opinion duquel nous nous rattachons ici presque complètement, affirme que[71], depuis la fondation du gouvernement républicain, jusqu'à sa chute, c'est-à-dire de 509 à 45 av. J.-C., le patriciat qui sous les rois avait admis les minores gentes dans ses rangs, demeura fermé désormais à toute intrusion ; mais que, sous César et sous les empereurs, comme il avait fait sous les rois, il s'ouvrit de temps à autre, à certaines familles nobles nouvelles. Cette assertion est la traduction presque fidèle d'un passage célèbre de Tacite[72] sur l'histoire du patriciat. Mais, si l'on suit l'autorité de cet écrivain sur ce qui concerne la clôture des listes du patriciat, depuis Junius Brutus jusqu'à la dictature de César, on ne peut oublier que, dans le même endroit, Tacite attribue à Junius Brutus, la création des Patres minorum gentium. Denys[73] place l'institution de ce patriciat plus jeune que le premier sous le consulat de Valerius Publicola et de Junius Brutus (milieu de l'année 509 av. J.-C.). Il dit qu'ils choisirent les chefs de la plèbe, qu'ils en firent des patriciens, et complétèrent avec eux, le nombre de trois cents sénateurs. Plutarque retarde jusqu'après la bataille du lac Régille (496 av. J.-C.) la nomination par Valerius Publicola de cent soixante-quatre sénateurs des gentes nouvelles. Enfin Tite-Live[74] dans le discours de Canuleius, rappelle que, même après l'expulsion des rois (503 av. J.-C.), la gens Claudia fut admise non seulement dans la cité romaine, mais dans le patriciat, et cela sur un ordre du peuple[75]. Tous ces témoignages, différents par des détails de chronologie, concordent sur un point, c'est que les listes du patriciat n'étaient pas closes, dans les premières années de la République. Il y a des raisons d'en fixer la clôture à l'an 493 av. J.-C. En cette année, dit Tite-Live, mourut le roi Tarquin, et la plèbe pour laquelle on avait eu jusque-là les plus grands égards, commença à souffrir des injures des grands[76]. Le même orgueil qui fit commencer la tyrannie aristocratique, dut transformer le patriciat en une oligarchie qui se crut assez forte pour dédaigner de s'ouvrir à aucune famille nouvelle. D'ailleurs en cette même année (493 av. J.-C.), la création du tribunat de la plèbe imprima à l'ambition des grandes familles plébéiennes une direction tout opposée à celle qui les aurait conduites à demander les honneurs du patriciat. Ce qui est certain, c'est que depuis la création du tribunat de la plèbe, jusqu'à la loi Cassia faite sous la dictature de César[77], il est impossible de signaler l'adjonction d'aucune famille nouvelle au patriciat qui, pendant 450 ans, agit toujours comme une classe politique héréditairement et définitivement constituée. C'est en 493 av. J.-C. que la liste des familles patriciennes est arrêtée, comme à Venise en 1319 ap. J.-C. sous le dogat de Sorenzo fut fermé le livre d'or du patriciat vénitien par la déclaration que, dans le grand conseil de la République, ne seraient plus admis que les membres des familles des anciens conseillers. On serait donc tenté de dire que le patriciat de Rome se composa des familles qui, sous les rois ou aux seize premières années de la République, avaient fourni des membres au sénat romain. Mais cette définition ne serait ni assez étendue ni assez précise. D'où vient en effet que Tite-Live fait dire à Decius Mus que les patriciens étaient à l'origine ceux qui pouvaient citer leur père, c'est-à-dire simplement des hommes de race libre[78] (nihil ultra quam ingenuos) ? L'étymologie de patricii, tirée de patrem ciere n'est qu'un jeu de mots. Mais l'identité établie entre les patriciens et une partie des ingenui de la ville de Rome à l'époque des rois semble plus sérieuse. Les trois cents sénateurs ou patres étaient au sénat et aux curies, les chefs de trois cents gentes patriciennes. Or si le patriciat n'avait été accordé qu'à la descendance des sénateurs, cette classe n'eût compris sous les rois que trois cents familles. Il faut donc que cet honneur ait été communiqué à toutes les familles collatérales de celles d'où étaient sortis les sénateurs, en un mot à tous les hommes de race libre de leurs gentes. Participant au culte de la gens, de la curie, de la tribu sacrée avec les sénateurs, ces ingenui furent naturellement associés à la qualité politique de leurs chefs. Mais la religion des curies ayant été le lien qui avait servi à rattacher au patriciat les familles de race libre et non sénatoriale, et cette religion étant localisée dans la ville de Rome, la communication du patriciat ne put s'étendre aux parties des gentes sénatoriales qui restèrent établies dans les tribus rustiques. C'est ainsi qu'une partie de la clientèle et de la gens d'Atta Clausus resta en 503 av. J.-C. sur la rive droite de l'Anio, entre Fidènes et Picentia dans un territoire qui s'appela toujours vetus tribus Claudia, lorsque de nouveaux cantons eurent été ajoutés à cette tribu[79]. Atta Clausus vint s'établir à Rome au pied du Capitole et la partie de la gens qui l'y avait accompagné fut admise dans le patriciat[80]. Mais la partie de la gens qui demeurait au bord de l'Anio comprenait sans doute quelques familles de race libre, parentes de celle d'Atta Clausus, avec un peuple de clients. Les uns et les autres sans sortir de la gens Claudia ne purent entrer ni dans la curie d'Appius Claudius, ni dans la tribu sacrée des Tities, ni participer ou comme clients à la religion Quiritaire, ou comme citoyens de race libre aux honneurs du patriciat. Cet exemple peut faire comprendre comment les tribus rustiques, peuplées en général de plébéiens, n'en portèrent pas moins les noms des grandes familles patriciennes de Rome, et comment une même gens, comme la gens Claudia, put contenir des familles plébéiennes et des familles patriciennes. Parmi les ingenui de la race Claudienne, ceux-là seuls durent être associés au patriciat qui accompagnèrent à Rome leur chef Appius Claudius, qui entrèrent avec lui dans une des trente curies de la ville et dans la tribu sacrée des Tities. La définition complète du patriciat romain est donc celle-ci :

Le patriciat romain se composa de toutes les familles de race libre (ingenuœ) établies dans la ville de Rome avant l'institution du tribunat de la plèbe (493 av. J.-C.) et dont la GENS avait avant cette époque fourni un ou plusieurs membres au Sénat romain.

Tous les éléments de cette définition, à l'exception d'un seul, sont tirés des textes des auteurs anciens ou des faits les mieux connus de l'histoire romaine, et, pour l'établir complètement, il nous reste à montrer que le patriciat appartenait tout entier aux quatre tribus de la ville, et qu'il eut toujours le domicile, la législation, les habitudes, les goûts d'une aristocratie urbaine.

En 493 av. Jésus-Christ, à l'époque où le livre d'or du patriciat romain se trouva fermé pour quatre siècles et demi, le territoire de Rome avait à peu près trente kilomètres de l'est à l'ouest et quarante du nord au sud[81]. Il n'était guère plus étendu que le département de la Seine. C'est dans cet étroit espace, qui formait pour ainsi dire l'horizon du Capitole, que s'est constitué l'ancien patriciat tout entier. On peut circonscrire son séjour dans un cercle encore plus restreint, et montrer qu'il appartenait originairement non aux seize tribus rustiques qui existaient en 494 av. Jésus-Christ, mais aux quatre quartiers de la ville de Rome, aux quatre tribus urbaines. Denys nous raconte que Servius Tullius divisa en quatre tribus la ville qui jusque-là n'en comptait que trois[82]. Les quatre tribus Palatine, Suburane, Colline, Esquiline, ce sont les quatre quartiers de la ville. Les trois tribus anciennes, ce sont les tribus sacrées des Rhamnes, des Tities, des Luceres divisées en trente curies et subdivisées en trois cents gentes qui contenaient tout le patriciat. Ce furent donc toutes les gentes patriciennes des trois tribus qui furent réparties entre les quatre quartiers de Rome. Dans ce passage le mot πόλις désigne la ville elle-même (Urbs) et non la cité toute entière avec son territoire. Car Denys décrit séparément au chapitre XIV, d'où nous tirons ces détails, les circonscriptions et l'organisation de la ville de Rome, et, au chapitre XV, les circonscriptions et l'organisation de la campagne romaine : il oppose πόλις à χώρα, les quatre tribus urbaines aux vingt-six pagi de la campagne, les compitalia de la ville aux paganalia des districts ruraux. On ne peut supposer que quelques-uns de ces districts fussent alors rattachés aux tribus urbaines. Car nous avons la description détaillée des quatre tribus urbaines du temps de Servius Tullius dans Varron[83], et loin de comprendre des cantons de la campagne, ces tribus ne s'étendaient même pas encore au Capitole ni à l'Aventin. Ainsi, c'est dans la ville même, partagée depuis en quatre quartiers, que les patriciens Rhamnes, Tities et Luceres étaient domiciliés.

On peut déterminer le quartier de Rome, et souvent même l'emplacement qu'occupèrent les principales maisons patriciennes. Romulus, ou le fondateur, quel qu'il ait été de la Rome carrée du Palatin, ne fortifia cette colline que pour grouper autour de lui ses compagnons, parmi lesquels la tradition compte les cent premiers sénateurs patriciens. Lorsque Tullus Hostilius eut détruit Albe la longue, il assigna pour demeure aux chefs Albains le mont Cælius[84]. Les Servilii, les Tullii, les Quinctii, les Geganii, les Curiatii, les Clœlii, peut-être les Metilii, les Julii, entrèrent ainsi dans le patriciat romain en se fixant sur la colline qui, plus tard, fit partie de la tribu Suburane. Les Fabii célébraient à jour fixe un sacrifice dépendant du culte de la gens Fabia, sur le mont Quirinal[85], dans la tribu Colline. Dans un livre que nous aimons à citer[86], ce fait remarquable est ainsi expliqué :

Le Capitole est bloqué par les Gaulois. Un Fabius en sort et traverse les lignes ennemies vêtu du costume religieux et portant à la main les objets sacrés. Il va offrir un sacrifice sur l'autel de la gens qui est situé sur le Quirinal... Que prescrit cette religion primitive ? Que l'ancêtre, c'est-à-dire l'homme qui a été enseveli le premier dans le tom, beau, soit honoré perpétuellement comme un dieu ; que ses descendants, réunis chaque année prés du lieu sacré où il repose, lui offrent le repas funèbre. Ce foyer toujours allumé, ce tombeau toujours honoré d'un culte, voilà le centre autour duquel toutes les générations viennent vivre, et par lequel toutes les branches de la famille, quelque nombreuses qu'elles puissent être, restent groupées en un seul faisceau.... Cette famille indivisible, qui se développe à travers les âges, perpétuant de siècle en siècle son culte et son nom, c'est véritablement la gens antique[87]. Ainsi la gens patricienne des Fabii avait son autel, son tombeau, son point de ralliement, son séjour dans Rome sur la colline du Quirinal. C'est en effet du Quirinal que venait le clan des trois cents six Fabii lorsqu'ils partirent avec leurs quatre mille clients pour le poste de la rivière Crémère. Car ils passèrent devant le Capitole et la citadelle pour aller sortir par le battant droit de la porte Carmentale[88]. C'est sur le Quirinal que s'élevait le temple de la déesse Salus qui fut orné de peintures en l'an 303 av. J.-C. par Fabius Pictor[89]. L'artiste patricien avait décoré sa paroisse. Il avait même écrit son nom au bas de sa fresque. Valère Maxime qui tient par le sang à la gens Fabia se montre tout confus d'avoir un peintre dans sa famille[90]. Quoi ! un Fabius a-t-il pu afficher un goût aussi bas ? se faire gloire d'une œuvre aussi méprisable ? Le noble écrivain qui parle en ces termes du talent d'un de ses ancêtres se serait peut-être cru dispensé d'en rougir, s'il eût remarqué que le dédain pour les arts n'était pas encore de mode à Rome aux deux premiers siècles de la République ; que c'était une affectation plébéienne introduite dans la cité par les grossiers Sabins qui formèrent en 241 av. J.-C. les tribus Velina et Quirina. Fabius le peintre, qui vivait soixante ans auparavant, en signant l'œuvre dont il se faisait honneur, ne blessait aucun préjugé patricien. Si l'art grec a conquis Borne, comme Horace l'a dit, c'est que, grâce aux patriciens, il avait depuis plusieurs siècles des intelligences dans la place.

Sur la même colline du Quirinal, un peu au sud du temple de Salus et de la porte salutaire, à l'endroit où commençait l'alta semita était le vicus Corneliorum[91]. Il ne fallait pas moins d'une grande rue ou d'un quartier, dit M. Ampère[92], pour loger toute une gens. La rue ou le quartier des Cornélins était sur la pente du Quirinal. Il y a eu près de Monte Cavallo une église du Saint-Sauveur qui était appelée des Cornelius. Ce qu'étaient les Cornelius dans les Colonna le furent au moyen-âge et non loin du lieu appelé autrefois vicus Cornelius est une petite rue qui porte encore le nom de vico dei Colonnesi.

Dans la vallée étroite qui s'étendait entre l'Esquilin et le Viminal, était le quartier appelé vicus patricius[93]. La tradition voulait que le roi Servius Tullius eût forcé les patriciens à y venir habiter, afin de surveiller leurs complots[94] du haut de son palais, établi au mont Cispius, sommet septentrional de l'Esquilin, non loin de l'emplacement actuel de Sainte-Marie Majeure[95]. Quelle que soit la valeur historique de cette tradition, les anciens n'auraient même pas songé à l'imaginer, s'ils n'avaient cru que les patriciens étaient dès le temps des rois, fixés à demeure dans Rome.

Au centre de la ville, dans la partie septentrionale de la tribu Palatine, Valerius Publicola fut enterré au pied de la colline Velia à l'endroit où il avait bâti son palais. Pendant cinquante ans, les Valerii allèrent porter leurs morts à la sépulture sacrée où reposait le chef de la gens. Mais lorsque la loi des Douze Tables eût défendu de brûler ni d'enterrer les morts dans la ville[96], ils allaient toujours, en souvenir de l'ancien usage, déposer le corps quelques instants auprès des mânes des ancêtres, au pied de la Velia, puis ils l'emportaient hors des murs pour lui rendre les derniers devoirs[97]. Ainsi la gens Valeria était établie dans la tribu Palatine, et peut-être dans une partie de la Suburane, comme la gens Fabia dans la tribu Colline. Elle y avait son culte, son autel, son tombeau.

Atta Clausus en se transportant à Rome obtint aussi avec le titre de patricien, un lieu de sépulture pour sa gens au pied du Capitole[98]. C'est l'établissement d'une partie de la gens Claudia autour de ce tombeau, et son entrée dans la tribu sacrée des Tities qui a donné lieu à la fable de l'occupation du Capitole par les Sabins de Titus Tatius. Les Claudii patriciens ne se contentèrent pas d'être citoyens de la Rome extérieure, comme ceux de leur gens qui s'établirent sur la rive droite de l'Anio, et que dans une commune allemande du Moyen-Age, on eût appelés ausbürger (bourgeois du dehors)[99]. Ils se fixèrent à l'intérieur du Pomœrium, comme ces bourgeois qu'on appelait au XIIIe siècle Pfahlbürger, parce qu'ils avaient leur domicile à l'intérieur des palissades de la ville[100].

Sans doute les patriciens possédaient autour de Rome des maisons de campagne et des fermes comme la bourgeoisie noble du vieux Paris en avait dans la banlieue de cette capitale ; mais les habitudes de la villégiature ou la surveillance exercée par un propriétaire de la ville sur un fermier, diffèrent beaucoup de la vie agricole. Lorsqu'à l'instigation d'Appius Claudius, les décemvirs se furent prorogés eux-mêmes dans leur pouvoir, les sénateurs irrités ou découragés se retirèrent dans leurs maisons des champs. Les dix tyrans inquiets de la solitude qui se faisait autour d'eux essayèrent de convoquer le sénat. Les appariteurs, après avoir inutilement fait le tour des grandes maisons de Rome, revinrent annoncer que les sénateurs étaient à la campagne. Les décemvirs les envoyèrent hors de Rome porter des ordres de convocation pour le lendemain[101]. Si la vie des patriciens s'était passée habituellement à la campagne, leur retraite hors de la ville n'aurait pu avoir le caractère d'un deuil politique, ni la portée d'une protestation. Denys ajoute à ce récit un trait original qui rappelle la vieille Rome du moyen-âge, et il n'était pas capable d'imaginer un fait aussi conforme au génie superbe d'une aristocratie républicaine, aussi éloigné des habitudes de soumission de la Rome d'Auguste. Tous les patriciens n'avaient pas renoncé à résister aux Décemvirs. Les plus braves et les plus puissants, les Valerii, les Horatii armèrent leurs amis, leurs serviteurs et leurs clients et se cantonnèrent dans leurs maisons de la ville, transformées en forteresses. C'est ainsi que les barons romains du temps de Crescentius ou d'Arnaud de Brescia, s'emparaient souvent d'un quartier de la ville pour s'y défendre avec leurs vassaux dans un château crénelé[102]. La Rome de l'antiquité eut aussi ses Cenci, ses Frangipani, ses Colonna, et pour s'en faire une idée juste, il faut se la représenter à peu près comme la vieille Florence décrite par madame Hommaire de Hell[103].

Ce qui frappe tout d'abord à Florence, c'est l'aspect sombre et menaçant de ses palais, véritables forteresses du moyen-âge. Rien ne peut mieux donner l'idée de l'époque où chacun était forcé de se garder soi-même que ces grands édifices formés de gros blocs de pierre noircis par le temps, avec leurs crénelures et leurs anneaux de fer pendants le long des murs. La rareté des croisées ajoute à leur tristesse. Une porte massive de chêne défend le passage qui donne accès dans ces formidables demeures, théâtre des guerres civiles qui ont si souvent déchiré les États florentins.... Le vieux château est lui-même un des monuments les plus intéressants de Florence. Dans le principe, ce n'était qu'une forteresse élevée par la démocratie de 1298 ; mais Côme de Médicis la choisit pour sa résidence, et bientôt l'austère demeure des chefs de la République devint le séjour des arts et des plaisirs. C'est un monument d'un aspect sévère, bâti comme tous les anciens palais de la ville, de grosses pierres saillantes et couronné de créneaux. Antérieurement à sa construction, il existait au milieu de la place un palais appartenant aux Uberti, famille puissante contre laquelle le peuple se révolta et, rasant leur palais jusque dans les fondements, décréta qu'à l'avenir le sol resterait inoccupé pour perpétuer la vengeance démocratique.

Telle était aussi la Rome patricienne au temps des premiers consuls. On les retrouve à chaque pas dans l'ancienne République, les pareils de ces trop puissants Uberti, et leurs maisons offusquent aussi les regards du peuple ou de l'aristocratie patricienne. C'est Valerius Publicola qui, accusé d'aspirer à la tyrannie parce qu'il bâtit au sommet de la Velia, consent à transporter sa demeure au bas de cette colline, à l'endroit où s'éleva depuis le temple de Vica pota[104]. C'est le consulaire Spurius Cassius, premier auteur de la loi agraire, c'est M. Manlius, le sauveur du Capitole, tous deux condamnés à mort comme suspects d'avoir voulu régner. La maison de Cassius fut rasée, et le terrain qu'elle avait occupé formait au temps d'Auguste, dans la rue qui menait de l'Esquilin aux Carènes, à peu près à l'endroit où s'élève l'église de Saint-Pierre-ès-Liens, une place dont le temple de la Terre avait couvert une partie[105]. Celle de Manlius fut aussi détruite et, sur l'emplacement s'éleva quelques années plus tard le temple de Juno Moneta[106]. Comme cette maison était située dans la citadelle au-dessus de la Roche Carmentale, le peuple décida qu'à l'avenir un patricien n'habiterait plus ni dans la citadelle, ni sur le Capitole[107]. Une telle loi n'aurait pas eu de sens si elle ne se fût appliquée à une aristocratie habituellement domiciliée dans Rome. C'étaient bien des palais ou des châteaux comme ceux de Florence au moyen-âge, que ces maisons patriciennes dont l'ombre semblait pesante à un peuple nouvellement affranchi. Tite-Live nous en laisse deviner la grandeur lorsqu'il nous montre M. Furius Camillus, réunissant à Rome, dans sa maison, les hommes de sa tribu et de sa clientèle qui formaient une grande partie de la plèbe[108]. A la même époque, lorsque les Gaulois vainqueurs à l'Allia s'emparèrent de Rome par surprise, en parcourant le quartier du Forum, ils rencontrèrent Papirius et d'autres vieillards patriciens assis sur leurs chaises curules dans le vestibule de leurs maisons où ils attendaient la mort[109], plutôt que de fuir à Véies ou à Cære. C'est que pour le patricien la ville de Rome est mieux qu'un séjour de prédilection. C'est la patrie tout entière, c'est le temple sacré où il veut vivre et mourir. A Rome se trouvent sa maison, son foyer, son autel domestique et les tombeaux de ses premiers ancêtres. Là sont tous les lieux où la religion l'attache, et où se célèbrent les rites du culte public et privé[110]. Les trente curies du peuple patricien sont toutes dans la ville, et c'est seulement dans une des enceintes sacrées de Rome que les quirites peuvent se réunir régulièrement en assemblée curiate. C'est là au comitium que le consul vient prendre les auspices qui lui assurent la protection des dieux de la patrie. Hors du Pomœrium, hors de cette limite sacrée tracée selon les prescriptions du rituel, le ciel pour lui serait muet, et la terre ennemie ne lui enverrait que de tristes présages. Le flamine de Jupiter ne peut sans sacrilège passer une seule nuit hors de Rome[111]. Les vestales émigrant à Cære enterrent à Rome les objets de leur culte. Pendant des siècles l'endroit qui reçut ce précieux dépôt demeure respecté comme s'il eût gardé le parfum des vases de l'autel de Vesta[112]. Le sol tout entier de la ville est sanctifié par les souvenirs, animé par la présence des dieux. Le fécial du peuple romain, avant d'aller conclure la paix ou déclarer la guerre, cueille l'herbe pure qui a germé sur la pente du Capitole, symbole de la patrie dont la terre vénérée a nourri sa racine. Loin de Rome le patricien est aussi comme une plante déracinée qui meurt pour avoir changé de terrain (quia mutavit solum). Qu'on le force à séjourner seulement sur la rive droite du Tibre, ou dans la charmante retraite de Tibur, dès qu'il ne peut plus voir Rome, le patricien ne vit plus. Etre privé de Rome (carere Urbe), c'est pour lui l'exil, et l'exil, c'est la peine capitale[113].

La législation fortifiait encore cette passion naturelle des patriciens pour leur séjour ordinaire. Denys les compare aux Eupatrides, qui eurent dès l'origine le gouvernement d'Athènes, et il assimile les plébéiens aux paysans de l'Attique, qui n'obtinrent les droits politiques qu'après longtemps. Romulus, dit-il, assigna à chaque classe ses occupations : les patriciens devaient être prêtres, magistrats et juges, et administrer avec lui les affaires publiques, en restant attachés aux fonctions qu'on remplit à la ville ; les plébéiens, dispensés de ces soins, devaient cultiver la terre, élever des troupeaux, enfin s'occuper des métiers lucratifs[114]. Si les patriciens étaient fixés à la ville par leurs occupations politiques[115], les intérêts de leur liberté les empêchaient de résider dans les premiers temps à plus d'un mille de ses murs.

C'est ce que nous fait comprendre la curieuse législation relative à la reciperatio et aux judicia legitima. La Reciperatio, disait Ælius Gallus[116], est une convention entre le peuple romain et les rois, nations ou cités étrangères pour régler, par l'intermédiaire de commissaires nommés reciperatores la restitution et le recouvrement des objets réclamés et les moyens de se faire rendre les choses appartenant aux simples particuliers.

La reciperatio passa du droit des gens dans le droit civil[117]. La raison de ce fait c'est que la plèbe rustique, qui était d'abord à Rome un peuple politiquement étranger, devint partie intégrante de la cité en 240 av. J.-C. Cette révolution politique que nous avons décrite, fut accompagnée d'une révolution dans la procédure que M. Ortolan place entre les années 246 et 186 av. J.-C.[118] On distingua toutes les procédures en deux catégories, celles qui se fondaient sur le droit civil proprement dit (legitima judicia) et celles qui se fondaient sur l'ordonnance d'un chef militaire et dont l'effet durait autant que son pouvoir (judicia que imperio continentur). Les procédures de droit civil (legitima judicia) étaient celles qui étaient réglées dans la ville de Rome ou en deçà du premier mille entre citoyens tous romains et où la cause était soumise à un seul juge. Les procédures de droit militaire étaient celles des causes plaidées devant les récupérateurs[119], celles des causes où il y avait, il est vrai, un seul juge, mais où intervenait la personne d'un juge ou d'un plaideur étranger, enfin celles qui étaient réglées soit entre Romains soit entre étrangers, mais au delà du premier mille de Rome[120]. En un mot tout élément étranger à la cité romaine dans un procès, qu'il vînt de la forme du tribunal, des personnes, ou du territoire, empêchait la procédure de s'appuyer sur le droit civil et d'être légitime. Il résulte de là que le territoire civil était primitivement limité à un mille des murs de Rome. Au delà de cette zone commençait le territoire étranger, celui de la plèbe rustique. C'est à un mille des murs que les chefs romains mettaient les haches sur les faisceaux et exerçaient l'imperium sans droit d'appel. C'est pour la même raison que l'inviolabilité tribunitienne cessait à un mille de Rome[121]. La toute puissance des tribuns de la plèbe leur veto aurait été, au delà de cette limite, incompatible avec l'imperium des consuls. Les patriciens ne pouvaient donc pas quitter Rome où ils étaient tout-puissants, pour aller résider à la campagne où ils auraient été soumis aux verges et à la hache des chefs militaires[122].

Comment donc a pu se former dès l'antiquité l'idée d'un patriciat agricole ou pastoral ? Il n'y a pas trace de cette idée dans le de re rustica du vieux Caton. Varron, pour suivre la mode, s'arrête quelque temps à l'histoire du berger Faustulus dont il se moque un peu[123]. Columelle, contemporain de Néron, insiste d'un ton convaincu sur l'éloge des agriculteurs nobles des anciens temps[124]. A mesure que le luxe grandit dans Rome, le goût de l'idylle et le besoin de moraliser transfigurent l'ancien patriciat dans l'esprit des écrivains. Mais l'image qu'ils se sont plu à en tracer, au lieu de représenter la vie réelle des temps primitifs, n'est qu'un reflet des préoccupations morales, politiques ou littéraires du siècle où ils écrivaient. La plupart des historiens à Rome ont vécu sous l'empire à une époque de raffinement où l'imagination se plaisait à opposer le toit de chaume du bon Evandre aux palais dorés des Césars. Les âmes affadies par la civilisation malsaine de la ville cherchaient des contrastes piquants dans les rêves de l'âge d'or. Prosateurs et poètes transformaient à l'envi la vieille histoire de Rome en une grande pastorale[125]. On aimait à décrire les cabanes des bergers du Mont Palatin, et les bœufs mugissant au milieu du quartier élégant des Carènes. Virgile[126], Tibulle[127], Properce[128], prêtaient à ces exercices d'école[129] les grâces de la poésie élégiaque ou la majesté de la tradition épique. Déjà, depuis leur triomphe politique de l'an 240 av. J.-C., les plébéiens avaient introduit dans l'histoire de Rome nombre d'anecdotes destinées à ennoblir les occupations agricoles auxquelles ils se livraient ; mais, au siècle de Cicéron et d'Auguste, on finit par ne plus distinguer parmi les anciens Romains les chefs du patriciat des chefs de la plèbe. Leur physionomie propre s'effaça dans un idéal commun de pauvreté et de simplicité rustiques. Tite-Live[130], Valère Maxime[131], Florus[132], Pline[133] et, à leur suite, Plutarque et Juvénal moralisent ou déclament à propos de la charrue de Marius et de la charrue de Cincinnatus. Dans les images qu'ils nous tracent de ces deux héros, le rude plébéien d'Arpinum et le chef de la race patricienne des Qninctii se ressemblent comme deux frères jumeaux. Sur la foi de pareilles anecdotes, on a figuré un patriciat composé de campagnards quittant leur labour pour venir délibérer au sénat, et déposant les faisceaux de la dictature pour aller terminer leur sillon.

Pour achever cette confusion entre le patriciat et la plèbe, les étymologistes latins ont cherché à faire dériver les noms des patriciens de ceux des légumes qu'on supposait avoir été cultivés par leurs mains victorieuses. La fève, faba, aurait eu l'honneur de donner son nom à la grande race des Fabii, et les Lentuli devaient s'être appelés ainsi parce que leurs ancêtres avaient planté des lentilles[134]. Une des familles des Valerii aurait porté le surnom de Lactucini pour avoir, à peu près comme Dioclétien dans son palais de Salone, arrosé des laitues[135]. Nous ne parlerons pas d'Atilius surnommé, dit-on, Serranus parce que les envoyés du sénat l'auraient trouvé occupé à faire ses semences[136]. Le nom d'une famille des Atilii était Saranus et non Serranus[137]. On avait altéré le nom de cette famille, de même que l'histoire d'Atilius Regulus[138], à seule fin d'inscrire les Atilii parmi les illustrations agricoles de l'ancienne Rome. Mais quand la pauvreté des Alibi n'eût pas été une page édifiante de la morale en action des vieux Romains[139], elle ne prouverait pas plus que le plat de bois de Curius, ou le désintéressement de Fabricius, les goûts rustiques du patricial de la ville. Car les Atilii[140], les Curii[141] et les Fabricii[142] étaient plébéiens. Quant aux patriciens enterrés comme Menenius Agrippa ou les Valerii aux frais de leurs concitoyens, cet honneur fait à leur mémoire n'était nullement pour leur famille un certificat d'indigence[143]. Mais les Grecs inventeurs de tous les beaux mensonges ayant vanté la pauvreté de leurs plus grands citoyens, les Romains jaloux de toutes les gloires enveloppaient leurs vieux héros dans le linceul d'Aristide ou dans le manteau usé de Phocion.

Lorsqu'on étudie le caractère des patriciens dans leurs paroles et dans leurs actions, on est tout étonné de les trouver si peu semblables à leurs portraits. Mon ami, est-ce que vous marchez sur les mains ? disait le patricien Scipion Nasica à un électeur de la campagne dont il avait touché la main calleuse[144]. Toutes les tribus rustiques, indignées de cette plaisanterie, refusèrent au citadin insolent l'édilité curule qu'il demandait. Pourtant Nasica n'avait eu d'autre tort que de dire tout haut et mal à propos ce que les autres patriciens pensaient et disaient tout bas. Comme nos gentilshommes d'autrefois, ils étaient fiers de leurs mains blanches et laissaient volontiers les plébéiens, les Marius, les Caton se vanter d'être bons laboureurs. Une passion tout aristocratique pour les arts, une curiosité intellectuelle qui leur fit rechercher de bonne heure la société des Grecs, une élégance ennemie de toute vulgarité, s'alliaient chez les patriciens à ce dédain railleur pour tous les travaux manuels. Depuis le temps de Flamininus jusqu'à celui de César, savoir parler grec était un signe d'urbanité et d'éducation patricienne. Le vieux Caton, un provincial de Tusculum[145] protestait inutilement contre cette mode de la grande ville. P. et L. Scipion, loin d'afficher, comme le fit quarante ans après le plébéien Mummius, un dédain grossier pour les œuvres et les usages du peuple savant et artiste, s'étaient souvent montrés en public avec les pantoufles grecques et la chlamyde. C'est avec ce costume qu'ils étaient représentés dans leurs statues placées au Capitole[146]. Sylla, le patron des Chrysogonos, après s'être plongé dans le sang des plébéiens et des chevaliers romains, abdiqua la dictature pour aller dans une somptueuse retraite lire les œuvres d'Aristote, de Théophraste et tous ces beaux volumes, rapportés d'Athènes ou de Pergame, dont il avait composé sa bibliothèque de Cumes. L'élégant patricien n'était pas changé. Tous ceux qu'il avait tués ne méritaient pas à ses yeux l'honneur de lui laisser un remords ni même un souvenir. Il se reposait comme un chasseur heureux qui revenant de la curée s'assied tranquillement à une table chargée des mets les plus recherchés. Blasé sur tous les plaisirs du luxe et de la grandeur, il se donnait le plaisir suprême de tout dédaigner et de se jouer de cette puissance qu'il conservait encore après en avoir déposé les insignes[147].

On voyait l'ancien dictateur, le rival de Marius, le vainqueur de Mithridate, couvert d'un manteau grec, se promener près de la baie de Naples en compagnie de plusieurs comédiens, parmi lesquels on distinguait Q. Roscius de Lanuvium qu'il avait décoré de l'anneau d'or[148]. Jusqu'à sa dernière heure, il continua de célébrer sa félicité, mêlant de temps en temps la débauche et la vengeance aux jouissances plus délicates de l'esprit. Deux jours avant sa mort, il travaillait au vingt-deuxième livre de ses mémoires et, la veille, il faisait étrangler au pied de son lit[149] le chevalier romain Granius[150], magistrat de la ville de Pouzzoles, qui attendait sa mort pour se dispenser de rendre ses comptes. Que l'on remonte jusqu'au siècle des guerres puniques, où un Fabius écrivait en grec les annales du peuple romain, même jusqu'à celui des guerres du Samnium où L. Papirius Cursor se faisait peindre monté sur son char de triomphe dans le temple de Consus[151], et l'on cherchera vainement où s'est réalisé l'idéal du patricien laboureur ou du sénateur portant la houlette. Cet être chimérique n'a pas existé davantage au premier siècle de la République. C'est au milieu de ce siècle que fut élevé le temple de Cérès, voisin du grand cirque, et il fut orné de peintures et d'ouvrages en argile par deux artistes grecs, Gorgasos et Darnophilos[152]. Déjà Frégelles, Ardée, Lanuvium, Prœneste, Cære [153], Véies, Tarquinies, étaient pleines de ces monuments d'un art si pur dont les nécropoles de l'Étrurie nous ont conservé les admirables restes. Peut-on se figurer au centre d'un tel pays, et après le règne des Tarquins, le patriciat de Rome s'isolant dans une ignorance rustique ? La célèbre anecdote de L. Quinctius Cincinnatus conduisant la charrue porte tous les caractères de la légende. Denys d'Halicarnasse l'a trouvée si belle qu'il l'a racontée deux fois, d'abord à l'occasion du consulat de Cincinnatus[154], puis à l'occasion de sa dictature[155]. Dans ces deux circonstances Cincinnatus se répète. Il ne manque pas de faire observer que les honneurs dont on le comble, vont réduire sa famille à la misère. En effet, pour un pauvre laboureur obligé de vivre lui et les siens du produit de ses quatre arpents de terre, le consulat et la dictature ne pouvaient être que des corvées gratuites. Tite-Live mieux avisé raconte une seule fois comment les envoyés du sénat vinrent trouver Cincinnatus dans son champ[156]. Mais l'illustre laboureur s'était, dit-on, retiré dans sa chaumière quatre ans auparavant, et entre cette retraite et sa dictature il avait été consul[157]. Qui donc avait cultivé son champ pendant son consulat ? Les détails du récit varient, aussi bien que l'époque où on l'encadre, suivant l'imagination des narrateurs. Il semble avoir été inventé pour expliquer le nom de Prés Quinctiens que porta longtemps la prairie de la rive droite du Tibre située en face du Champ de Mars, à peu près à l'endroit où s'est élevé depuis le château Saint-Ange. A cette étymologie on avait voulu ajouter une moralité, et faire admirer la simplicité de ces vieux patriciens qui labouraient la terre. Mais par malheur le théâtre où l'on plaçait cette fameuse scène de labourage, était non un champ de blé, mais un pré marécageux. Les critiques avaient donc changé quelque chose au décor. Ils avaient représenté Cincinnatus creusant un fossé de dérivation au lieu de tracer un sillon. Dans cette forme du récit, que Tite-Live semble préférer à l'autre, Cincinnatus s'appuie non sur le manche de sa charrue, mais sur le manche de sa pelle (palœ innisus). Cette pose était moins pittoresque, mais elle s'accordait mieux avec le paysage. L'harmonie de l'ensemble du tableau n'en était pas moins fort incomplète et le surnom de Cincinnatus (Frisé) ne convenait guère au mari de la plébéienne Racilia, ménagère qu'on s'étonne de trouver introduite dans la maison d'un Quinctius, treize ans avant la loi Canuleia. Tite-Live, pour donner plus de solennité au départ de Cincinnatus, veut qu'on ait équipé pour lui un vaisseau aux frais de l'État, à l'endroit où étaient du temps d'Auguste les chantiers de construction maritime, c'est-à-dire au Champ de Mars en face des prés Quinctiens. Pour faire passer le Tibre à un seul homme, une barque aurait pu suffire. Denys fait arriver le nouveau dictateur à pied jusque dans Rome. Des prés Quinctiens au pont Sublicius, il n'y avait qu'une demi-lieue. Comment, si près de Rome, Cincinnatus ignorait-il ce qui s'y passait ? Pourquoi n'assistait-il pas aux délibérations du sénat ? Ne pouvait-il donner à la République une demi-journée ? L'étonnement que montre Cincinnatus lorsqu'on lui apporte les insignes de la dictature, l'empressement de sa femme qui court chercher sa toge dans la chaumière, sont bien peu naturels. Car Cincinnatus avait à Rome trois fils qui, selon Tite-Live, vinrent au devant de lui le féliciter. Ils auraient pu tout aussi bien le prévenir, ou même l'aider dans ses travaux champêtres, et le dispenser de pousser la charrue. Cincinnatus dictateur choisit pour maître de la cavalerie un patricien, L. Tarquitius, si pauvre qu'il avait toujours servi comme fantassin. L. Tarquitius  ne semble mis à côté de Cincinnatus que pour compléter le tableau de la pauvreté patricienne. Cincinnatus sauve un Minucius enfermé dans un défilé par les Eques, comme Fabius le temporiseur sauva un autre Minucius enfermé dans un défilé par Annibal. L'inventeur de la légende de Cincinnatus ne s'est pas mis ici en frais d'imagination, et par un emprunt mal déguisé à l'histoire de son temps, il a presque daté l'époque où il composait cette légende. Mais quand même on accepterait ce récit pour une vérité historique, il ne prouverait rien en faveur de la simplicité des patriciens de l'ancien temps. Car Cincinnatus n'est pas un patricien pauvre. C'est un patricien ruiné. C'est le procès politique de son fils Cæson qui le réduit au métier de laboureur, en l'obligeant à vendre ses biens pour payer une très-forte amende. Si Cincinnatus bêche ou laboure, ce n'est donc pas par habitude ni par goût, mais par nécessité. Sa retraite dans une chaumière est un malheur à éviter et non un exemple à suivre, et la fable montre, en dépit de ceux qui l'ont faite, non la noblesse du métier agricole, mais le danger des procès.

C'est dans le traité de Cicéron sur la vieillesse intitulé Caton l'ancien[158] qu'on trouve le plus beau passage classique où l'éloge de l'agriculture appelle le souvenir de l'illustre laboureur. Dans ce morceau de littérature, le plébéien Caton refait l'ancien patriciat à son image. Cicéron colore le langage du vieux Caton d'une teinte de poésie champêtre tout â fait étrangère à l'esprit de l'âpre paysan. Il appuie la tradition fausse d'un patriciat agricole sur une explication étymologique sans aucune valeur. Il fait dériver le nom des viateurs de via route, parce que leur fonction aurait consisté à porter dans les champs des avis de convocation aux sénateurs occupés de leurs labours et de leurs récoltes. On trouve les viateurs employés tout autrement par les censeurs[159], par les consuls[160], par les édiles[161] et surtout par les tribuns de la plèbe[162]. Si le nom des viateurs leur était venu d'un service analogue à celui de nos facteurs ruraux, comment des appariteurs de ce nom auraient-ils été attachés à la personne des tribuns de la plèbe qui n'avaient même pas le droit d'aller à la campagne[163]. Les rues de Rome s'appelaient viœ comme les voies qui les prolongeaient hors des murs. On pouvait être viateur sans sortir de la ville. Cicéron a donc imaginé pour le besoin de sa thèse de moraliste une explication étymologique aussi arbitraire que la plupart de celles de Varron. L'occasion la plus remarquable où l'on voit, au premier siècle de la République, des appariteurs obligés d'aller chercher des sénateurs à la campagne, prouve, comme nous l'avons vu, qu'ils n'avaient pas coutume d'y demeurer.

Le patriciat était donc une aristocratie urbaine par son séjour et par ses goûts, et c'est seulement au troisième siècle av. J.-C. que les écrivains commencèrent à l'assimiler à la noblesse plébéienne des tribus rustiques. Le génie de la vieille Rome se retrouve jusqu'à la fin des temps anciens dans les villes faites à son image[164]. Ses colonies, quoiqu'elles aient été longtemps comme nos petites villes de province des centres de réunion pour les populations agricoles, n'en essayaient pas moins de ressembler, comme autant de rejetons, à la grande cité d'où elles s'étaient séparées. Or voici la différence profonde que M. Guizot reconnaît entre la société romaine du IVe siècle ap. J.-C. et la société féodale[165].

Les villes, avant l'invasion des Barbares, étaient le centre de la population supérieure. Les maîtres du monde romain, tous les hommes considérables habitaient dans les villes ou auprès des villes. Les campagnes n'étaient occupées que par une population inférieure, esclaves ou colons entretenus dans une demi-servitude. Au sein des villes résidait le pouvoir politique. Le spectacle contraire nous est offert par l'époque féodale. C'est dans les campagnes qu'habitent les seigneurs, les maîtres du territoire et du pouvoir. Les villes sont abandonnées à une population inférieure qui lutte à grand'peine pour s'abriter, se défendre et enfin s'affranchir un peu derrière ses murs.

Ainsi, comme l'ont si bien marqué Niebuhr et M. Guizot, les hommes de noble race sont au moyen âge établis dans la campagne, tandis que dans l'antiquité ils avaient leur château dans la ville. Les patriciens de la vieille Rome étaient jaloux de leur droit de cité, tandis que les Gibelins du Contado subirent le droit de cité que leur imposa la commune Florentine comme un aveu de leur défaite. Être exilé de Rome était le dernier châtiment du patricien. Au contraire il fallait un article de traité pour obliger les Corvoli, seigneurs de Frignano, à venir habiter deux mois de l'année la ville de Modène[166] (1156). Rome appelait à elle les chefs de la plèbe des campagnes, et Florence chassa plusieurs fois les chefs de la plèbe urbaine vers les châteaux du Contado. A Rome, ce fut la campagne qui l'emporta sur la ville, et les mœurs militaires prévalurent. Dans les communes du moyen-âge, la population urbaine triompha et les habitudes mercantiles effacèrent les vertus guerrières. Les rivaux des seigneurs italiens, ce furent les chefs de l'aristocratie bourgeoise que le commerce et l'industrie plaçaient à la tête des villes guelfes. Les rivaux des patriciens, les chefs de la plèbe rustique, ce furent les chevaliers romains, une aristocratie municipale et agricole. Le bourgeois d'une ville de commune qui s'était enrichi achetait un fief à la campagne. Le chevalier romain sorti d'une tribu rustique, dès qu'il parvenait à la fortune et aux honneurs achetait une maison à Rome. On cite même un homme nouveau d'une famille équestre de Velitres, M. Octavius, qui, le premier de sa race, obtint le consulat (165 av. J.-C.), à cause de la beauté de la maison qu'il avait bâtie sur le Palatin[167]. Le patriciat étant la plus vieille bourgeoisie[168] de Rome constituée dans la ville en corps politique avant l'institution des tribuns de la plèbe, ne pouvait voir qu'avec jalousie s'établir dans la ville les hommes nouveaux, la plupart chevaliers romains, qui venaient des municipes ruraux pour lui disputer les suffrages du peuple. Aussi les patriciens qualifiaient-ils dédaigneusement ces nouveaux-venus de locataires admis dans la ville aux privilèges de l'incolat, inquilini. Cette épithète s'opposait à la qualité de domini[169] maîtres de maison ou propriétaires que les patriciens semblaient se réserver, comme si eux seuls avaient eu dans Rome pignon sur rue. Velleius appelle inquilinus le vieux Caton venu de Tusculum, qu'il range avec Coruncanius et avec Sp. Carvilius né d'une famille équestre parmi les hommes nouveaux qui arrivèrent au faîte des honneurs[170]. Le patricien Catilina répète cette qualification d'inquilinus comme une injure â l'adresse de Cicéron d'Arpinum[171]. La définition que nous avons donnée du patriciat était donc nécessaire pour faire comprendre sa lutte séculaire contre l'ordre équestre, et l'antagonisme de la noblesse urbaine contre la noblesse municipale des chevaliers romains.

 

 

 



[1] Vico, Science nouvelle, liv. II de la Sagesse poétique : au sujet des contrats.

[2] Vico, Science nouvelle, liv . I de l'Établissement des principes Tt. Loi Publia.

[3] Vico, Science nouvelle, liv. II de la Politique poétique, fin du 1er chap.

[4] Vico, Science nouvelle, liv. V, Retour des nations aux fiefs, dernières pages du chapitre.

[5] Vico, Science nouvelle, liv. I, Tt. Loi Publia.

[6] Vico, Science nouvelle, liv. II, de la politique poétique, fin du chap. 1er.

[7] Cicéron, De Republica, II, 37. Etiam quae dijunctis populis tribui solent conubia, hæc illi (Decemviri) ut ne plebei et Patribus essent, inhumanissima lege sanxerunt ; quæ postea plebiscito Canuleio abrogata est. Ce texte était inconnu au temps de Vico.

[8] M. Laferrière, Histoire du droit civil, t. Ier, append. 1er, p. 451 et suiv.

[9] Gaius, Institutes, III, 1, 9 et 17.

[10] Latim sermonis vetust. relliquiœ, par M. Egger, p. 93-94, n° 6, tabula 5.

[11] Tite-Live présente au contraire l'interdiction des mariages entre les deux ordres comme une innovation introduite par les décemvirs (IV, ch. 4).

[12] Cicéron, Topica, VI.

[13] Ortolan, Explication historique des Instituts de Justinien, 7e éd., I, n° 123.

[14] Tite-Live, X, 3.

[15] Ortolan, Explication historique des Instituts de Justinien, 7e éd., I, n° 16, p. 24-23.

[16] Ortolan, Explication historique des Instituts de Justinien, 7e éd., I, n° 50, p. 55.

[17] Denys, 23, fin du discours de Servius.

[18] Denys, IX, 41 et 49. Tite-Live, II, 56 et 58. Cicéron, fragm. du Pro C. Cornelio.

[19] Cincius, cité par P. Diacre, dans l'abrégé de Festus s. v. Gentilis. Cf. Giraud, De la gentilité chez les Romains.

[20] Tite-Live, XXXIX, 19.

[21] Tite-Live, II, 44.

[22] Cicéron, De Oratore, I, 39.

[23] Aulu-Gelle, V, 19. Sénèque, Controverse, II, 19. Cf. Mommsen, Hist. rom., trad. par Alexandre, II, appendice, p. 329.

[24] Drumann, Geschichte Roms nach Geschlechtern, Kœnigsberg, 1834, Antonii, I, p. 59, et Cassii, II, p. 111.

[25] Aulu-Gelle, Nuits attiques, X, 20.

[26] Tite-Live, X, 8.

[27] Tite-Live, IV, 4 fin.

[28] Festus, s. v. Soror.

[29] Onuphre Panvini, dans le Trésor de Grœvius, II, p. 1012, a dressé la liste des gentes romanœ plebeiœ ante Augusti tempora.

[30] Tite-Live, XXXIX, 40.

[31] Pline, H. M., VII, ch. 28.

[32] Suétone, Vie d'Auguste, ch. 2. Cf. Velleius, II, 59.

[33] Suétone, Vie d'Auguste, ch. 1.

[34] Cicéron, Pro Domo, 44. Cf. Pro Fonteio, XVII.

[35] Tite-Live, XXX, 26, XLV, 15, et épitomé libri XLVII.

[36] Varro, De re rustica, II, ch. 4.

[37] Cicéron, De amicitia, 25.

[38] Varro, De re rustica, I, 2. Cf. Pline, H. M., XVIII, 1 : Stolonum cognumen liciniœ genti.

[39] Tite-Live, XLI, 15.

[40] Un demi-hectare était la mesure de l'héritage plébéien des premiers temps de la colonisation. Varro, De re rustica, I, 10.

[41] Tite-Live, VI, 36 fin.

[42] Cicéron, De Legibus, 2 : Hic sacra, hic genus.

[43] Tite-Live, VII, 23.

[44] Tite-Live, IX, 21. M. Popillius, collègue du consul patricien Sp. Nautius, en 314 av. J.-C. Sur les Nautii, v. Tite-Live, II, 39 et 52 ; III, 25 ; IV, 52. M. Popillius, collègue du consul patricien L. Postumius Albinus, en 174 av. J.-C. Tite-Live, XLI, 28.

[45] Velleius, II, 24.

[46] Tite-Live, II, 23.

[47] Tite-Live, III, 37.

[48] Denys, IV, 9, 10 et 13.

[49] Macé, Des lois agraires, p. 90-115 et surtout p. 113.

[50] De rep., II, 14. Varro, De re rustica, I, 10. Pline, H. M., XVIII, 2. Cf. Asher, Festschift des historisch-philosophischen Vereins zis Heidelderg zur 24 Philologen-Versammlung, Leipzig, 1863, p. 65.

[51] Marezoll, Droit privé des Romains, 2e partie, III, § 78, p. 188.

[52] Cette inconséquence nous paraît avoir été introduite dans le livre de la Cité antique, de M. Fustel de Coulanges (II, ch. 2, p. 300-302) par la combinaison du faux système de Vico sur le patriciat avec les idées si justes de la critique moderne sur l'unité de la race aryenne. Cf. ibid., p. 135-142.

[53] M. Noël, dans un Mémoire sur la religion des Étrusques, lu à l'Académie des Inscriptions, 27-30 nov. 1863, et publié dans la Revue archéologique, 1863, pl. XVII, nous montre dans les peintures de la nécropole de Volci, qui représentent la délivrance de Cæles Vibenna par Mastarna, un lars de la gens Papatia (Laris Papatimas) et un lars de la gens Arehuntia de Sabate (Pezna Archunsnas sfeitunach).

[54] Cicéron, Pro Flacco, 28.

[55] Cicéron, De Legibus, II, ch. 11.

[56] Niebuhr, Hist. rom., 1re partie, 4e éd. Berlin, 1833, p, 337.

[57] C'est-à-dire les habitants de Gephyræ et de Salamine d'une part, ceux de Tusculum de l'autre.

[58] Par les mots die Gemeinde, la commune, Niebuhr désigne la plèbe des tribus rustiques. Il veut dire : lorsque Gephyræ et Salamine entrèrent dans la cité athénienne, Tusculum dans la cité romaine à titre de cantons ou municipes rattachés à la plèbe habitant hors de la grande ville.

[59] Par opposition à la patrie municipale. C'est une allusion à un passage de Cicéron, De Legibus, II, 1 et 2.

[60] Rhamnes, Tities et Luceres.

[61] Une gens faisant partie des trois tribus sacrées et des trente curies.

[62] Les droits civils de la gens et ceux de la religion domestique.

[63] Tite-Live, X, 9.

[64] Tite-Live, épitomé, XVIII.

[65] Tite-Live, XXVII, 8.

[66] Tite-Live, VII, 17.

[67] Tite-Live, XLII, 28. Épitomé LXVII.

[68] Suétone, Néron, 1.

[69] Tite-Live, I, 8 fin.

[70] Cicéron, De Republica, II, 20. Cf. Ibid., 12. Cf. Tacite, Annales, XI, 25. Tite-Live, I, 30 et 35.

[71] Analyse de l'étude de M. Mommsen intitulée Patriciens et plébéiens, par M. Alexandre, t. II, p. 329 de la traduction de son Histoire romaine.

[72] Tacite, XI, 25.

[73] Denys, V, 13. Cf. Plutarque, Val. Publicola, ch. 41. Festus s. v. qui Patres, quique conscripti.

[74] Tite-Live, IV, 3. Cf. II, 16.

[75] Suétone dit (Vie de Tibère, 1) a patribus in patricias cooptata ; Tite-Live dit jussu populi. Il s'agit là d'un décret du peuple patricien des curies.

[76] Tite-Live, II, 21.

[77] Suétone, Vie de César, 41. Cf. Tacite, Annales, XI, 25.

[78] Tite-Live, X, 8. Cf. Denys, II, 8.

[79] Tite-Live, II, 15. Denys, Antiq. rom., V, 40 fin. Mommsen, die Tribus.

[80] Suétone, Tibère, ch. 1.

[81] V. la carte du territoire de Rome en 510 av. J.-C. par M. Pietro Rosa, dans l'Atlas pour l'Histoire de Jules César, Paris, chez H. Plon, 1865.

[82] Denys, IV, 14.

[83] Varro, De L. Lat., II, 8 et 9.

[84] Tite-Live, I, 30. Denys, III, 29.

[85] Tite-Live, V, 46. Cf. V, 52, le même sacrifice y est appelé sacra gentilicia. Valère Maxime, I, 11. Ampère, Hist. romaine à Rome, I, p. 402.

[86] Fustel de Coulanges, La Cité antique, II, ch. 10. p. 124, 2e éd.

[87] Fustel de Coulanges, p. 133-134.

[88] Tite-Live, II, 49. Denys, IX, 15.

[89] Pline, Hist. mundi, XXXV, ch. 7, p. 4.

[90] Val. Maxime, VIII, ch. 14, n° 6.

[91] Inscriptions de Gruter, 621, 4.

[92] Ampère, Hist. romaine à Rome, I, p. 403.

[93] Festus, s. v. Septimontio.

[94] Festus dans P. Diacre, s. v. Patricius.

[95] Solin, de orig. Urbis Romœ : Servius Tullius Esquiliis habitant supra clivum Urbium.

[96] Loi des Douze Tables, table X dans l'Hist. du Droit romain de M. Giraud. Cf. Cicéron, De Legibus, II23. Pline, Hist. M., VII, 55 (54).

[97] Plutarque, Vie de Publicola, XXIII, fin.

[98] Suétone, Vie de Tibère, 1. Tite-Live, II, 16.

[99] Hist. générale du moyen-âge, par E. Ruelle et Huillard-Bréholles, ch. XLIII, p. 115. Cf. Tite-Live, II, 16.

[100] Niebuhr, Hist. rom., 2e partie, 3e éd., Berlin, 1836, p. 87.

[101] Tite-Live, III, 38. Denys, XI, 2.

[102] Gregorovius, Geschichte der stadt Rom im Mittelalter, Hegel, Geschichte der staedte Verfassung von Italien, etc., Leipzig, 1847. P. de Hauleville, Histoire des communes lombardes, Paris, 1857. Cf. Denys, XI, 22.

[103] Hommaire de Hell, Voyage en Perse et en Turquie, I, ch. 2.

[104] Tite-Live, II, 7.

[105] Denys, VIII, 70.

[106] Tite-Live, VI, 20, et VII, 28.

[107] Ne quis patricius in arce Capitoliove habitaret.

[108] Tite-Live, V, 32. Sur la plèbe urbaine des clients, voir Tite-Live, 18. Cicéron, De Republica, II, 9. Festus, s. v. Patrocinia.

[109] Tite-Live, V, 41.

[110] Tite-Live, V, 52.

[111] Aulu-Gelle, XIII, 14. Varro, De L. Lat., IV, 32.

[112] Tite-Live, V, 40.

[113] Il n'est pas possible de citer une famille qui, depuis son admission dans le patriciat romain, ait eu le centre religieux de sa gens, ni son principal domicile hors de Rome. Pour qu'un patricien émigre dans une colonie, il faut qu'il soit menacé d'une condamnation. Tite-Live, IV, ch. 11.

[114] Denys, II, 8 et 9.

[115] Denys, X, ch. 1, répète que les patriciens séjournaient à la ville, tandis que les plébéiens n'y venaient que de temps en temps pour les marchés.

[116] Festus, s. v. Reciperatio, ed. de M. Egger. p. 145.

[117] Ortolan, Explic. hist. des Instituts de Justinien, titre 6, n° 1854. Laferrière, Hist. du droit civil, I, ch. 5, sect. 5, par. 4.

[118] Ortolan, Explic. hist. des Instituts de Justinien, t. 1er, n° 165 et tome 3, n° 1833 et 1854.

[119] Il y avait toujours plusieurs récupérateurs, dix pour l'exécution de la loi Aelia Sentia, cinq sénateurs et cinq chevaliers. Gaius, Institutes, I, § 20-38.

[120] Gaius, Institutes, 2 103-106. Ortolan, Explic. hist. des Instituts de Justinien, IV, tit. 6, n° 2003-2006.

[121] Tite-Live, III, 20.

[122] Niebuhr, 4e éd. 1re partie, Berlin, 1833, p. 558.

[123] Varro, Rerum rustic., II, ch. 1 et 3.

[124] Columelle, préface du De re rustica.

[125] Ovide, Fastes, I, v. 204.

[126] Enéide, VIII, vers. 360.

[127] Tibulle, II, élégie 5.

[128] Properce, IV, élégie 1.

[129] Sénèque, Controv., II, éd, Elzévir, III, p. 119-121.

[130] Tite-Live, III, 26.

[131] Valère Maxime, IV, ch. 4.

[132] Florus, I, ch. 11.

[133] Pline, Hist. Mundi, XVIII, 3 et 4.

[134] Pline, Hist. Mundi, XVIII, 3 et 4.

[135] Pline, Hist. Mundi, XIX, 19.

[136] Virgile, Enéide, VI, vers. 845, Cf. Valère Maxime, IV, 4.

[137] Maffei, Musée de Vérone, 108, 1. Orelli, Inscr. Lat., n° 3110. Eckhel, De docte. vet. nummorum, t. V, p. 146. Cf. Fastes Capitolins dans Gruter, an 619 de Rome.

[138] Comparer l'Atilius Regulus de Polybe, I, ch. 31, n° 4, qui craint qu'on ne lui donne un successeur, avec le Regulus légendaire de Tite-Live (épitomé XVIII), de Valère Maxime, IV, 4, n° 6 et de Sénèque (consol ad Helviam, 12) qui demande à revenir cultiver son champ.

[139] Cicéron, Pro Roscio Amerino, XVIII.

[140] Valère Maxime, IV, 4, n° 4.

[141] M'. Curies Dentatus est consul en 290 av. J.-C. avec les patriciens P. Corn. Rufinus, Cf. Cicéron, de Senectute, XVI, et pro Sulla, VI.

[142] Fabricius est consul en 282 av. J.-C. avec le patricien Q. Æmilius Papus.

[143] Plutarque, Vie de Fabius Maximus, fin. Valère Maxime, V, 2, n° 10 et IV, 4, n° 2, sur les Valerii, Tite-Live, II, 16 et III, 18, Cf. Mommsen, trad. Alexandre, II, p. 83, note.

[144] Valère Maxime, VII, chap. 5, n° 2.

[145] Tusculum est à 17 kilomètres de Rome.

[146] Val. Maxime, III, 6, n° 1 et 2. Cf. Cicéron, Pro Rabirio Postumo, ch. X.

[147] Appien, De bello civ., I, 104.

[148] Macrobe, Saturnales, II, 10. Cf. Plutarque, Vie de Sylla, 36. Cicéron, Pro Rabir. Postumo, X.

[149] Plutarque, Sylla, 37.

[150] Sur la famille équestre des Granii. César, de bello civ., III, 71, Cf. Valère Maxime, IX, ch. 3, n° 8.

[151] Festus, s. v. Picta. Les peintures du premier Fabius Pictor dans le temple du salut, sont de 303 av. J.-C. La louve de bronze du Capitole de l'an 296 av. L-C. La cassette due à un artiste prénestin, et appelée ciste Ficoronienne appartient à la même époque. C'est le beau siècle de l'art latin et étrusque. Mommsen, Hist. rom., trad. de M. Alexandre, II, p. 315-326. Cf. Detlefsen, De arte romanorum antiquissima, Gluckstadt, 1867, in-4°. Beulé, Rev. des Deux-Mondes, 15 mars 1865. Pline, H. M., XXXV. ch. 7, n° 4. Appius Claudius Coccus, fondateur du temple de Bellone, l'avait fait décorer de bas-reliefs ou de cartouches où ses ancêtres étaient représentés. Pline, Hist. Mundi, XXIX, ch. 3.

[152] Pline, Hist. Mundi, XXXVI, ch. 45.

[153] Pline, Hist. Mundi, XXXVI, ch. 6.

[154] Denys, X, 17.

[155] Denys, X, ch. 21. Cicéron, De Senectute, XVI, rattache ce récit à la seconde dictature de Cincinnatus, celle de 437 av. J.-C. que vingt ans séparent de la première.

[156] Tite-Live, III, 26.

[157] Tite-Live, III, ch. 13 et 19.

[158] Cicéron, Cato major, ch. 15 et 16.

[159] Tite-Live, XXXIX, 44. Ils font les opérations cadastrales.

[160] Tite-Live, VIII, 18. Ils jouent le rôle d'huissiers et portent dans Rome des citations.

[161] Tite-Live, XXX, 39.

[162] Tite-Live, II, 56.

[163] Denys, VIII, 87, fin.

[164] Aulu-Gelle, XVI, 13, n° 9.

[165] Guizot, Civ. en France, 18e leçon, t. IV, p. 267. Cf. Cantù, Hist. universelle, trad. Aroux, p. 29 et 30, et Revue des Deux-Mondes, 1er janvier 1867. Art. de M. Etienne Fauriel, Hist. de la Gaule méridionale, I, ch. 10, p. 357-359.

[166] Savioli, Annales de Bologne, I, Diplôme 156.

[167] Cicéron, De officii, I, 39, et Philippique, IX, 2.

[168] Cicéron, Pro Cœcina, ch. 35, appelle les patriciens antiquissimi cives.

[169] Cicéron, Philippique II, ch. 41. Te inquilino, non enim domino.

[170] Velleius, II, 128. Ti. Coruncanium hominem novum quum aliis honoribus tutti pontificatu etiam maximo ad principale extulere fastigium, et equestri loto natum Sp. Carvilium, et mox M. Catonem, novum etiam Tusculo, urbis inquilinum.

[171] Salluste, Catilina, ch. 31. Cf. Appien, G. civ., II, 2.