HISTOIRE DES CHEVALIERS ROMAINS

 

TOME I

LIVRE PREMIER. — LES CHEVALIERS ROMAINS JUSQU'À L'AN 400 AVANT JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE PREMIER. — FORMATION DU CORPS DES CHEVALIERS ROMAINS SOUS LES ROIS D'APRÈS LES HISTORIENS ANCIENS.

 

 

§ I. — D'APRÈS TITE—LIVE.

Tite-Live rapporte[1] qu'après la réconciliation de Romulus et de Tatius et l'introduction des Sabins dans la cité, Romulus partagea le peuple en trente curies.

En même temps furent enrôlées trois centuries de cavaliers, les Rhamnes, ainsi appelés du nom de Romulus, les Titienses, qui reçurent le leur de Titus Tatius, et les Luceres, dont on ne peut expliquer avec certitude, ni le nom, ni l'origine.

Ces trois noms servent aussi à désigner les tribus primitives de Rome[2], dont chacune était divisée eu dix curies. Ce furent les trente curies qui fournirent les trois cents chevaliers[3]. Aussi la centurie équestre formée sur le modèle de la tribu patricienne dont elle portait le nom, dut s'accroître avec elle. C'est lorsque la tribu accueillit à son foyer de nouveaux citoyens, que la centurie élargit ses cadres pour recevoir de nouveaux combattants.

Tullus Hostilius, en transportant les Albains à Rome, doubla la cité[4]. Il fit entrer leurs chefs au Sénat, et afin que chacun des ordres l'État dût une partie de ses forces au peuple que Rome venait d'adopter, il leva parmi les Albains dix escadrons de cavalerie (decem turmas).

L'escadron ou turma fut jusqu'aux derniers temps de Rome un corps de trente cavaliers, divisé en trois décuries[5]. Sous les rois, chacune des trois tribus des Rhamnes, des Titienses et des Luceres, envoyait à la turma une décurie, et l'escadron de trente hommes figurait à la guerre comme une image réduite de la triple cité de Romulus.

Les dix escadrons albains de Tullus formèrent donc un effectif de trois cents nouveaux cavaliers qui furent incorporés aux trois premières centuries équestres. Chacune de ces centuries se composa désormais de deux cents hommes, parce que les tribus elles-mêmes se trouvèrent doublées par l'adjonction des familles albaines.

Tarquinius Priscus augmenta le nombre des chevaliers comme l'avait fait Tullus. Mais ce Lucumon étrusque[6], moins respectueux que Tullus pour les usages de la vieille Rome, avait essayé d'abord d'y faire des changements plus profonds. Au lieu de se borner à admettre deux fois plus de chevaliers dans les centuries anciennes, il avait voulu en créer de nouvelles. C'était altérer le plan de la constitution de Romulus, dont les grandes lignes avaient été tracées comme les limites des temples par le bâton augural. C'était porter atteinte au nombre sacré des trois tribus qui étaient comme le fondement de l'État romain. Tarquin dut s'arrêter devant l'opposition de l'augure Anus Navius.

Tarquin se préparait à entourer la ville d'un mur de pierre, quand une guerre des Sabins interrompit ses projets. L'attaque fut si imprévue, que les ennemis passèrent l'Anio avant que l'armée romaine pût aller à leur rencontre. L'agnation se répandit dans Rome. Dans le premier combat la victoire fut douteuse et les pertes fort grandes des deux côtés. Les troupes ennemies s'étant retirées dans leur camp, les Romains eurent le temps de se préparer à recommencer la guerre. Tarquin pensa que c'étaient les cavaliers qui manquaient le plus à son armée, et il résolut d'ajouter aux centuries des Rhamnes, des Titienses et des Luceres, que Romulus avaient enrôlées, d'autres centuries qu'il distinguerait en leur laissant son nota. Mais. comme Romulus avait consacré cette institution par les cérémonies augurales, Anus Navius augure célèbre, en ce temps-là, déclara qu'on n'y pouvait rien changer ni ajouter sans obtenir des dieux des auspices favorables. Le roi s'irrita, et pour se moquer de l'art augural dit à Navius : Allons habile devin , demande au ciel si la chose à laquelle je pense peut se faire. Navius ayant consulté les auspices, répondit que certainement elle se ferait — Eh bien ! dit le roi, je pensais que tu couperais cette pierre avec ce rasoir. Tiens, coupe-la, puisque tes oiseaux t'annoncent que c'est possible. Navius n'hésita pas ; il coupa la pierre en deux, à ce qu'on dit[7].

Confondu par ce miracle, Tarquin ne changea rien à l'organisation des centuries mais il doubla le nombre des cavaliers, de façon que dans les trois centuries il y en eut douze cents[8]. Ceux qu'on ajouta prirent les noms des premiers, et furent appelés les seconds Rhamnes, Titienses et Luceres. Ces corps se nomment aujourd'hui les six centuries parce qu'ils ont été dédoublés.

Ainsi, d'après Tive-Live, il y eut au temps de Tarquin, dans les trois centuries des Rhamnes, des Titienses et des Luceres, douze cents chevaliers. Les quatre cents chevaliers de chaque centurie portaient le même nom, mais étaient partagés en deux groupes : ceux de la première et ceux de la seconde création (priores et posteriores).

 

1re centurie

2e centurie

3e centurie

 

 

Rhamnes

Titienses

Luceres

 

Priores

200

200

200

 

Posteriores

200

200

200

 

 

400

400

400

Total : 1.200

Il était réservé au roi qui recula les limites sacrées du Pomœrium[9], de briser les cadres trop étroits où Romulus avait enfermé la chevalerie[10]. C'est Servius Tullius qui, selon Tite-Live, porta les centuries équestres au nombre définitif de dix-huit.

Après avoir équipé et organisé l'armée de pied, Servius enrôla douze centuries de cavaliers, qu'il choisit parmi les plumiers de la cité. Il fit aussi six autres centuries des trois que Romulus avait instituées, en leur conservant les noms sous lesquels elles avaient été consacrées par les augures. Pour acheter les chevaux, le trésor donna à chaque cavalier dix mille as, et, pour nourrir les chevaux, on leur attribua l'impôt des veuves, qui durent payer annuellement deux mille as à chacun[11].

Dans les six centuries, on reconnaît facilement celles dont Tite-Live a déjà parlé en termes semblables au chapitre 36 de son premier livre. Ce sont les trois centuries des Rhamnes, des Titienses et des Luceres, qui, en dépit de Tarquin, avaient conservé leurs noms, consacrés par Romulus. Elles ne les perdirent pas sous Servius. Mais ce réformateur détacha des centuries primitives les Rhamnes, les Titienses et les Luceres de seconde création (posteriores), pour en former trois corps séparés. Un passage de Festus[12] ne permet à ce sujet aucun doute[13] :

Les vestales ont été établies au nombre de six, pour que chacune des parties du peuple eût une prêtresse chargée de son culte. Car la cité romaine est partagée en six parties, qui sont les premiers et les seconds Rhamnes, Titienses et Luceres.

Ainsi, depuis Servius, les tribus patriciennes, aussi bien que les centuries équestres qui en sont tirées, sont chacune divisées en deux. Les groupes qui, dans les tribus et les centuries, ne se distinguaient, depuis Tarquin, que par la qualification de posteriores, ont désormais une existence à part, et, sinon un prytanée séparé, au moins le droit de contribuer à l'entretien du feu sacré sur l'autel commun de Vesta.

Les six centuries présentent donc le tableau suivant :

PRIORES

POSTERIORES

1re centurie

200 Rhamnes.

4e centurie

200 Rhamnes.

2e centurie

200 Titienses.

5e centurie

200 Titienses.

3e centurie

200 Luceres.

6e centurie

200 Luceres.

Elles existaient déjà au temps de Tarquin, et Servius ne fit que leur assigner une distribution différente en les dédoublant[14].

Au contraire, les douze centuries que Servius Tullius enrôla sans aucune cérémonie religieuse, doivent à ce législateur leur première institution. L'expression scripsit (il enrôla), employée déjà par l'auteur pour parler des trois premières centuries formées par Romulus[15], indique clairement une nouvelle levée de cavaliers[16] ; elle s'oppose à l'expression fecit, qui désigne une simple transformation : des trois centuries anciennes, il en fit six.

Combien y avait-il de chevaliers dans les douze nouvelles centuries ?

Le sens naturel et primitif du mot latin centuria est celui d'une compagnie de cent hommes. C'est dans ce sens que Tite-Live l'emploie en parlant des trois cents cavaliers levés par Romulus[17]. Lorsqu'il lui en prête un autre, il a soin d'en avertir le lecteur — ira ut mille ne ducenti equites in tribus centuriis essent[18] — ; mais les raisons politiques et religieuses qui obligèrent les Romains à donner au mot centuria une acception plus large lorsqu'ils désignaient les six centuries consacrées, n'existaient plus lorsqu'ils avaient à parler des douze centuries créées par Servius sans l'intervention des augures[19]. On doit donc traduire les mots de Tite-Live : equitum duodecim scripsit centurias, par ceux-ci : Il enrôla douze cents hommes de cavalerie.

Nous compterons, d'après Tite-Live :

Dans les six centuries des premiers et des seconds Rhamnes, Titienses et Luceres : 1.200 chevaliers.

Dans les douze centuries enrôlées par Servius : 1.200 chevaliers.

Total : dix-huit centuries, comprenant 2.400 chevaliers equo publico, c'est-à-dire recevant de l'État de quoi acheter et nourrir un cheval.

 

§ II. — FORMATION DU CORPS DES CHEVALIERS SOUS LES ROIS D'APRÈS CICÉRON.

Un fragment des livres de Cicéron[20] sur la République, a exercé la sagacité des critiques qui ont cru y voir une contradiction avec le récit de Tite-Live sur la formation de la chevalerie. Cicéron met les paroles suivantes dans la bouche de Scipion Émilien :

Tarquin, après s'être fait décerner l'empire par une loi, commença par doubler l'ancien nombre des sénateurs..... Ensuite il constitua la chevalerie sur le pied oit elle est encore établie aujourd'hui : il ne put donner aux nouveaux[21] chevaliers d'autres noms que ceux des Titienses, des Rhamnes et des Luceres, quoiqu'il en eut le désir. Il en fut détourné par l'avis d'un augure très-célèbre ; Attus Navius. — Or, nous savons qu'autrefois les Corinthiens eurent aussi le soin de monter leur cavalerie sur des chevaux payés par l'État, et de l'entretenir au moyen des tributs des veuves et des orphelins[22] —. Toutefois en ajoutant aux premiers corps de la chevalerie les seconds corps, Tarquin porta le nombre des chevaliers à douze cents, et il doubla ce nombre après avoir soumis la grande et fière nation des Eques, qui menaçait les possessions du peuple romain. Le même roi ayant repoussé les Sabins des murs de la ville, les mit en déroute dans un combat de cavalerie, et les vainquit complètement.

Cicéron fait remonter jusqu'à Tarquin l'Ancien l'organisation de la chevalerie qui durait encore la dernière année (le la vie de Scipion Émilien, 129 av. J.-C. Il ne croyait donc pas, comme Tite-Live, à la création de douze centuries nouvelles, par Servius. Il la remplace par un second doublement du nombre des chevaliers, au temps de Tarquin l'Ancien. L'un de ces deux écrivains suppose que douze cents nouveaux chevaliers furent ajoutés par Servius aux douze cents des six premières centuries ; l'autre, que Tarquin doubla deux fois le corps de la chevalerie, et le porta d'abord de six cents à douze cents hommes, puis de douze cents à deux mille quatre cents. Cicéron arrive ainsi par une autre voie au même compte que Tite-Live. Malgré de légères différences, tous deux sont d'accord sur le fait permanent qu'il importe d'établir : c'est que, depuis l'époque des rois, la chevalerie equo publico se composa de deux éléments : les six centuries consacrées par l'augural, comprenant douze cents chevaliers, et les douze centuries, instituées soit par Servius, soit par Tarquin l'Ancien ; comprenant aussi douze cents hommes, ce qui donne en tout deux mille quatre cents chevaliers recevant un cheval de l'État.

Le chiffre qui résulte de la comparaison de ces deux témoignages est confirmé par une indication qu'on trouve dans un fragment de Caton conservé par le grammairien[23] Priscien. Le vieux censeur[24] parle de deux mille chevaliers ayant reçu du trésor la somme nécessaire pour acheter un cheval (æra equestria). Il demande au Sénat d'en augmenter le nombre, de manière à ce qu'il n'y ait jamais moins de deux mille deux cents chevaliers equo publico.

Caton parlait à l'époque des grandes guerres de Macédoine, d'Espagne et d'Orient ; et l'on conçoit que le corps, qui ne devait alors être réduit en aucun cas à moins de deux mille deux cents chevaliers, en comptai deux mille quatre cents, lorsqu'il était au complet. Cicéron, d'ailleurs[25], atteste que les cadres de la chevalerie equo publico étaient encore, en 129 av. J.-C., les mêmes que sous Tarquin l'Ancien[26], c'est-à-dire que le chiffre normal de deux mille quatre cents chevaliers n'avait pas varié.

A quoi se réduisent donc les contradictions entre Tite-Live et Cicéron ? A une simple transposition de faits identiques. Tite-Live renvoie au règne de Servius une partie des innovations que Cicéron rassemble sous le règne de Tarquin. Conséquent avec lui-même , l'auteur des livres sur la République attribue au fils de Démarate, outre un second doublement de la chevalerie, l'établissement de l'impôt sur les veuves et les orphelins, et l'institution de l'equus publicus. Il essaie d'en expliquer l'origine par une tradition venue de Corinthe. Aussi ; lorsqu'il décrit la constitution de Servius[27], il nous présente les dix-huit centuries de chevaliers comme des corps déjà tous constitués, et que le législateur maintint seulement à un rang distinct en tête de la première des six classes.

A mesure qu'on étudie de plus près le passage tant controversé de Cicéron[28], on voit s'effacer les différences qui permettaient de l'opposer à celui de Tite-Live. Cicéron place le second doublement de la chevalerie par Tarquin avant la guerre que ce roi fit aux Sabins, et avant le combat de cavalerie qui ramena leur armée vaincue dos portes de Rome à la rive droite de l'Anio. Denys[29] d'Halicarnasse raconte ce même combat avec plus de détails, et il donne pour général à la cavalerie qui poursuit les Sabins jusqu'à Antemna, Servius Tullius, chef des alliés latins. Ainsi, d'après Tite-Live. Servius aurait été le créateur des douze dernières centuries , tandis que d'après Cicéron et Denys, il aurait été seulement leur chef sous le règne de Tarquin l'Ancien. Les deux récits, eu apparence contradictoires. ne sont donc que deux formes de la même tradition.

 

§ III. — FORMATION DU CORPS DES CHEVALIERS D'APRÈS DENYS D'HALICARNASSE ET PLUTARQUE.

Les récits de Denys d'Halicarnasse et de Plutarque sur la formation du corps des chevaliers sont bien plus incomplets que ceux de Tite-Live et de Cicéron. Ces historiens grecs ont une connaissance moins étendue, une intelligence moins vive du développement des institutions romaines. Si Denys explique bien la corrélation établie par Romulus, entre les tribus primitives, et les trois centuries équestres[30], il ne dit presque rien des accroissements successifs de la chevalerie[31]. Dans l'opposition que l'augure Navius fit aux projets de Tarquin, il ne voit qu'une anecdote à raconter[32]. Il ne parle pas de l'habileté que ce roi mit à éluder la loi religieuse, pour changer la constitution politique, et s'imagine qu'il renonça simplement, à ses entreprises.

Quant à Plutarque, c'est à peine s'il aborde directement l'histoire de la chevalerie. Il est vrai qu'il insiste beaucoup sur celle des Celeres, gardes du corps de Romulus, qui furent confondus par certains auteurs[33] avec les chevaliers. Mais Plutarque distingue les uns des autres. Il range les Celeres, la lance à la main, autour du belliqueux Romulus qui, à moitié renversé sur son trône, habillé d'une tunique couverte de broderies, et d'une toge bordée de pourpre, traite, comme un Antonin, les affaires de l'État[34]. Au contraire, pour édifier ses lecteurs sur le caractère pacifique de Numa[35], il lui attribue l'honneur d'avoir dissous le corps des Celeres. Entre cette garde à pied[36] et le corps permanent de la chevalerie, Plutarque ne reconnaît aucune ressemblance, et, comme nous rencontrons chez Tite-Live la même distinction entre les chevaliers et les Celeres[37], il est vraisemblable que le moraliste grec a puisé ici aux mêmes sources que l'historien latin.

Plutarque ne dit qu'un mot de la chevalerie sous les rois :

Après l'introduction des Sabins de Tatius dans la cité, la ville se trouva doublée ; cent des Sabins furent admis parmi les patriciens (ou sénateurs) ; les légions furent de six mille fantassins et de six cents cavaliers[38].

Nous trouvons dans Tite-Live, au règne de Tullus Hostilius, la mention d'un fait tout semblable[39] :

Tullus, en transportant les Albains à Rome, doubla la cité.... Il fit entrer leurs chefs au Sénat.... Il leva parmi les Albains dix escadrons de cavalerie (turmas)... Il leva le même contingent pour compléter les cadres de chacune des anciennes légions, et il en enrôla de nouvelles.

L'identité presque complète des pensées et des expressions nous avertit que les deux auteurs nous racontent le même fait placé par Plutarque sous Tatius, et par Tite-Live sous Tullus. Ce qui confirme cette supposition, c'est que Plutarque, qui compte six cents chevaliers sous Romulus et Tatius, ne parle nulle part des trois cents chevaliers albains de Tullus ; et Tite-Live, qui en parle, n'admet point, (le son côté, que l'introduction des Sabins dans la cité ait été suivie d'un doublement de la chevalerie. Car il considère cette institution comme contemporaine de celle des trente curies qui, selon lui, reçurent les noms des Sabines.

Ainsi, le premier doublement de la chevalerie. qui porta ce corps de trois cents à six cents hommes, appartient, selon Plutarque, au règne de Tatius, selon Tite-Live, au règne de Tullus. L'un compose de Sabins, l'autre d'Albains, les dix premiers escadrons (turmas) ajoutés à ceux de Romulus.

 

§ IV. — CONCLUSIONS DU CHAPITRE Ier. MÉTHODE POUR APPRÉCIER, EN LES COMPARANT, LES RÉCITS DE L'HISTOIRE PRIMITIVE DE ROME.

Tous les historiens anciens sont d'accord que la chevalerie se composait à l'origine de trois cents chevaliers choisis par les trente curies, et que le nombre a été doublé trois fois sous les rois.

1° Le premier doublement est placé, par Tite-Live, sous Tullus, après l'arrivée des Albains, et, par Plutarque, sous Tatius, après l'arrivée des Sabins.

2° Le second doublement, qui éleva le nombre des chevaliers de six cents à douze cents, est d'un commun accord attribué à Tarquin l'Ancien.

3° Le troisième doublement, accompagné de l'établissement de l'œs equestre, fixa le chiffre définitif des chevaliers equo publico à deux mille quatre cents. Il eut lieu, selon Cicéron, sous Tarquin l'Ancien, et Tite-Live y substitue une levée faite par Servius Tullius, de douze cents nouveaux cavaliers classés en dehors des six centuries consacrées.

Ces observations nous fournissent une méthode pour apprécier, en les comparant, les récits des auteurs anciens sur l'histoire primitive de Rome. Pour déterminer cette méthode, il faut se faire une idée juste de leurs procédés de composition.

Lorsqu'au siècle des guerres puniques, les premiers historiens romains[40], Fabius Pictor, L. Cincius Alimentus, et tant d'autres qui ont servi de guides aux écrivains de l'époque d'Auguste, commencèrent à recueillir les souvenirs de la vieille Rome, ils se trouvèrent comme perdus au milieu d'une forêt de récits légendaires, qui, depuis plusieurs siècles, avaient envahi le domaine inculte de l'histoire. Ce n'est pas que les monuments anciens leur fissent défaut pour s'y retrouver, et l'usage de l'écriture n'était pas aussi rare aux premiers siècles de la République, que les plaintes intéressées de Tite-Live pourraient le faire croire[41].

Mais les grandes Annales des Pontifes rebutaient ces écrivains par leur sécheresse, par leur partialité en faveur du patriciat[42]. Les annales privées avaient été remplies d'anachronismes et île faussetés, par la vanité des grandes familles[43]. Les traités conservés depuis le temps des rois, sur la pierre ou sur le bronze, sur le bois ou sur la toile[44], étaient enfermés dans les archives, ou écrits dans une langue dont quelques mots étaient déjà difficiles à comprendre, de l'aveu de Polybe, pour les plus savants de ses contemporains. Ces richesses étaient donc presque perdues, pour des écrivains qui ne pouvaient, ou ne savaient en tirer parti. Dans le lointain obscur où ils entrevoyaient l'histoire des premiers temps de Rome, chacun fixait à son gré une foule de traditions, pour ainsi dire flottantes. Chaque récit formait un ensemble qui reproduisait assez fidèlement la physionomie et les traits principaux d'une période historique, niais où les détails étaient proportionnés et disposés entre eux selon le goût de l'écrivain, à peu près comme dans un paysage l'artiste achève d'imagination ce qu'il a esquissé d'après nature[45]

Sur l'histoire des institutions au temps des rois, chaque écrivain a son système inconciliable avec celui d'un autre écrivain, mais formant en lui-même un tout complet et logique. Plusieurs traditions, sous des diversités apparentes, cachent une profonde unité. Car toutes sont équivalentes, toutes ont un même objet faire connaître la constitution romaine, telle qu'elle existait à l'expulsion des rois. Il ne faut point essayer, pour la retrouver, de compléter une hypothèse par une autre, ni d'ajouter un récit de Cicéron à un récit de Tite-Live : ce serait tout confondre ; et multiplier les faits sans raison. Car il n'y a presque pas de création de cette époque dont on n'ait fait successivement honneur à plusieurs rois de Rome. Mais, à travers les détails contradictoires, il faut reconnaître l'identité essentielle de ces récits, qui tous aboutissent à une même conclusion. Nous essaierons de résoudre par cette méthode plusieurs problèmes qui se rattachent à l'origine de la chevalerie.

 

 

 



[1] Tite-Live, I, 13.

[2] Tite-Live, X, 6.

[3] Denys d'Halicarnasse, II, 13.

[4] Tite-Live, I, 30.

[5] Festus, éd. de M. Egger, p 161. S. v. turma.

[6] Tite-Live, I, 34.

[7] Tite-Live, I, 36.

[8] Voir la note 1, au livre Ier, placée la fin du volume. Ce texte de Tite-Live y est discuté et établi.

[9] Tite-Live, I, 44.

[10] Nous emploierons les expressions chevalerie et cavalerie pour désigner l'ensemble des chevaliers romains, selon que ce corps sera considéré comme ayant un caractère religieux et politique, ou comme employé au service régulier des légions.

[11] Tite-Live, I, 43.

[12] Festus, s. v. Sex Vestæ sacerdotes.

[13] Cependant on a opposé à ce passage de Festus et au témoignage le cis de Tite-Live, un autre passage de Festus, s. v. Sex suffragia, d'après lequel les six suffrages ou les six centuries auraient été au contraire les nouveaux corps de chevaliers créés par Servius. Mais ce sens faux est tiré d'une mauvaise leçon qui ne date que du XVIe siècle. Voir à la fin du volume la note 2, du livre Ier.

[14] Comparez Tite-Live, I, 36, et I, 43.

[15] Tres centuriæ conscriptæ. Tite-Live, I, 13.

[16] Kappes, p. 22 et suiv.

[17] Tres centuriæ conscriptæ. Tite-Live, I, 13.

[18] Tite-Live, I, 30.

[19] Varron, De Lingua latina, IV, 22. Centuriæ quæ sub uno centurione sunt : quorum centenarius justus numerus.

[20] Cicéron, De Republica, II, 20.

[21] Comparer Denys, III, 71, et Tite-Live, I, 36.

[22] Comparer Plutarque, Vie de Publicola, XII. Ce passage où nous voyons les enfants orphelins et les femmes veuves dispensés du tribut ordinaire, montre que leur fortune était assujettie à la taxe spéciale destinée à l'entretien de la cavalerie. C'est pour cela que nous traduisons orbi par orphelins et non par citoyens sans enfants, dans le passage de Cicéron que nous citons.

[23] Henri Meyer : Oratorum romanorum fragmenta. Fragment 81 de Caton, p. 190 de la reéd. faite par M. Fr. Dübner, Paris, 1837. Le texte de cette édition, conforme à celui qu'avait donné Gronovius : De pecunia veteri, p. 125, est seul intelligible. H. Meyer avoue qu'il n'a pu expliquer le texte de l'édition de Priscien par Putsch (Hanoviæ, 1605, liv. VII, p. 350), reproduit dans l'édition de Krehl (Priscien, VII, 8, p. 317, Leipsick. 1819-1820). Voir sur ce texte la note 3, au livre Ier, placée à la fin du volume.

[24] La censure de Caton est de l'an 184 avant Jésus-Christ.

[25] Cicéron, De Republica, II, 20.

[26] On peut conserver le nom de Tarquin l'Ancien pour traduire celui de Tarquinius Priscus. Le surnom de Priscus est l'équivalent de celui de Graius, qui s'appliquait aux habitants de l'Étrurie orientale et surtout à ceux de la ville de Corythe ou de Cortone, patrie des Tarquins.

[27] Cicéron, De Republica, II, 22.

[28] Cicéron, De Republica, II, 20.

[29] Denys, IV, 3. Comparez Tite-Live, I, 36.

[30] Denys, II, 7 et 13.

[31] Denys, II, 16. Il compte, à la mort de Romulus, quarante six mille fantassins et près de mille cavaliers.

[32] Denys, III, 71.

[33] Denys, II, 13 et 64.

[34] Plutarque, Vie de Romulus, 26.

[35] Plutarque, Vie de Numa, 7.

[36] Comparer Paternus, libro I tacticorum apud Lydum de magistratibus, p. 128, édit. Bekk.

[37] Tite-Live, I, 13, et I, 15.

[38] Plutarque, Vie de Romulus, ch. 20.

[39] Tite-Live, I, 30.

[40] Vitæ et fragmenta vererum historicorum romanorum, de Krause, Berlin, 1832.

[41] Tite-Live, VI, 1, et VII, 3.

[42] Sempronius Asellio, apud Gellium, V, 18. Caton, apud Gellium, II, 28. Cicéron, De legibus, I, 2.

[43] Tite-Live, II, 21, et VIII, 40.

[44] Pline l'Ancien, XXXIV, 39. Polybe, III, 22. Tite-Live, IV, 7 et 20.

[45] Tite-Live, IV, 20, et VII, 42.