Influence du 31 mai
sur la Vendée. Défaite des républicains à Vihiers. — Rappel de Biron. —
Elévation de Rossignol. — Première attaque de Luçon. — Décret d'extermination
contre les Vendéens. — Première mission du chevalier de Tinténiac, et secours
promis aux Vendéens, au nom de l'Angleterre. — Jonction de Charette à la
grande armée. — Seconde bataille de Luçon. — Déroute de l'armée royale. —
Scission parmi les conventionnels en mission dans la Vendée. — Conseil de
guerre extraordinaire tenu à Saumur.
LA CRISE du 31 mai eut une influence
indirecte sur la Vendée, soit par les troubles que suscitèrent les partisans
du fédéralisme, soit par le changement de système qui en résulta dans la
guerre contre les Vendéens. Dès
l'ouverture de sa session, la convention nationale fut déchirée par deux
minorités ; l'une, ardente pour la démocratie, ne triomphait que par des
excès ; l'autre, mystérieuse et politique, voulait rétablir l'ordre au sein
de l'anarchie, et marcher avec la liberté pour la diriger. Une majorité
pusillanime flottait entre ces deux factions, et la peur la ralliait à ta
plus audacieuse. Plus la France était en péril, plus il y avait de
dissensions. Une révolution dans l'assemblée devint inévitable ; les démagogues
l'emportèrent. Ils expulsèrent violemment du sein de la convention nationale
les chefs du parti modéré. Quelques-uns furent incarcérés ; d'autres
portèrent dans les départements agités pour leur cause des projets de
vengeance. Caen et tout le Calvados devinrent le foyer de cette nouvelle
opposition. Le Finistère, l’Ille-et-Vilaine, l'Eure, la Seine-Inférieure et
la Manche se coalisèrent en faveur des députés proscrits. Un cri général
d'indignation s'y éleva contre la convention et contre la capitale,
violatrices de la représentation nationale., A son tour le midi s'agita :
Bordeaux, Lyon, Toulon, Marseille s'armèrent. Ce fut
particulièrement autour de la Vendée que le fédéralisme fit des progrès
rapides. Poitiers convoqua les suppléants à Bourges ; Angers se déclara
contre le Si mai ; Niort vanta les avantages d'une constitution fédérative,
et le conventionnel Carra y prêcha ouvertement en faveur de ce système. Aux
Sables-d'Olonne, deux bataillons bordelais abandonnèrent leurs drapeaux pour
aller soutenir les intérêts de leur cité. A Laval, à Quimper, on ordonna une
levée d'hommes pour le Calvados. Ce département, à l'aide des instigations
des généraux Wimpfen et Puysaie, préparait une seconde guerre civile. Nantes,
qui venait de triompher des royalistes, profita du départ de l'armée
républicaine pour se déclarer aussi contre la convention nationale. Ses
commissaires y furent méconnus et insultés. Un comité central, les autorités
constituées, Beysser lui-même, décidèrent de ne recevoir ni commissaires de
la convention, ni agents du conseil exécutif. Nantes voulait entrer dans la
confédération du Calvados et de la Gironde ; mais le général Canclaux refusa
d'en être le chef. Cette
espèce de ligue, excitée par des discours, des proclamations et aies
provocations à la guerre civile, s'étendait et se fortifiait en Normandie et
en Bretagne. Les corps administratifs envahissaient tous les pouvoirs,
s'emparaient des caisses publiques, et s'envoyaient réciproquement des
commissaires. Partout on ne reconnaissait plus la convention, et l'on
délibérait pour rassembler des forces, marcher sur Paris, et transférer à
Bourges le siège de la représentation nationale. Partout des assemblées de
sections, des comités centraux, des troupes départementales, détachaient la
France du centre commun, pour en isoler toutes lei parties. Enveloppée par
les armées de l'Europe, déchirée par une guerre intestine, sa dissolution, sa
subversion paraissaient inévitables. Quel que fût le parti dominant, il était
de l'intérêt national de s'y rallier. Que les royalistes, dont les bannières
flouaient dans la Vendée, restassent les armes à la main, rien n'était plus
naturel, leur cause étant distincte ; mais les dangers de la patrie
n'admettaient aucun milieu entre la convention nationale et la république. Ces déchirements
donnèrent d'abord plus de consistance aux Vendéens, et parurent à leurs chefs
une occasion favorable d'étendre leur puissance. La convention, exclusivement
occupée à dissoudre la confédération départementale, semblait oublier la
Vendée ; ses séances étaient consacrées à des débats sur le fédéralisme. Les
royalistes, profitant de ses divisions, se concertaient sur les moyens de porter
de nouveaux coups à la république. Mais les armées restèrent fidèles à la
convention. Si l'on ne peut pas dire que la France fut sauvée, on doit au
moins convenir qu'elle fut préservée du joug étranger. Bientôt même les
royalistes eurent un plus grand nombre d'ennemis à combattre. Resté maître,
au 31 mai, de la convention et de Paris, le parti des démagogues déploya,
pour dissoudre la ligue départementale, une incroyable activité. Des
commissaires conventionnels, des agents du conseil exécutif et des sociétés
populaires, inondèrent les départements, et parvinrent, à force de ruses, de
violences et d'assignats, à opérer des défections, en opposant la populace
aux propriétaires, en renouvelant les autorités, et en paralysant l'action de
la force publique. L'armée du Calvados et de l'Eure ne put résister au choc
d'une armée parisienne. L'avant-garde fédéraliste, commandée par Puysaie, fut
battue à Vernon ; le reste se dispersa, et le Calvados se soumit à la
convention nationale. Tandis que Carrier étouffait le fédéralisme en
Bretagne, Philippeaux achevait de le dompter à Nantes, où les autorités
menacées avaient rétracté leurs actes anti-conventionnels. Beysser lui-même
vint se soumettre à la barre, et obtint sa réintégration dans l'armée. Le
maire Baco, montrant plus de caractère, parut à la tête d'une députation
nantaise, et brava la convention dans le lieu même de ses s.5ances. Mais elle
triompha de toutes les oppositions, et la France ne put se soustraire à la
charte démocratique de 1793 ; espèce de transaction politiqué présentée à la
hâte par le parti victorieux, à l'acceptation irréfléchie du peuple ; vaine
constitution jetée dans l'oubli dès qu’elle eut fait diversion aux agitations
convulsives, et que le parti dominant eut en mains toutes les forces de
l'Etat. Ces
levains de discorde amenèrent des proscriptions. Les démocrates abusèrent de
la victoire, et des républicains sincères se voyant poursuivis par une
faction implacable, se jetèrent dans le parti royaliste. On vit en Bretagne
de ces défections ; à Toulon, à Lyon et à Marseille encore davantage. Bientôt
la convention frappa sans hésiter tout ce qui s'opposait à ses usurpations,
et dirigea contre la Vendée les armes destinées à combattre les fédéralistes
de l'Ouest. Les opérations militaires, un instant suspendues, furent reprises
avec une ardeur nouvelle. Cependant
l'insurrection royaliste, entièrement organisée, avait pris un aspect
imposant. La Vendée, transformée eu une vaste forteresse, bien
approvisionnée, et couverte de forêts impénétrables, était défendue par
quatre-vingt mille paysans aguerris et par une artillerie formidable.
Cultiver son champ et se battre, étaient les occupations journalières des
Vendéens. La défaite de Westermann, faisant oublier l'échec de Nantes, avait
ranimé leur confiance. Tandis que Royrand, Baudry et Bejari contenaient, avec
leurs divisions, les forces de Luçon, de Niort et de Fontenay, Joly observait
la garnison des Sables-d'Olonne ; Cathelinière et Lyrot celle de Nantes. Les
chefs de l'Anjou et du Haut-Poitou donnaient quelques jours de repos à leurs
soldats, sans perdre de vue les républicains ralliés à Tours et à Saumur, où
quelques renforts venaient, d'arriver. Après la défaite de Westermann, Biron
quitta son quartier-général de Niort pour inspecter l'armée de Saumur, qui se
porta de suite sur Angers. Les commissaires de la convention s'attendaient
qu'il proposerait un plan &attaque et prendrait le commandement ; il ne fit
ni l'un ni l'autre. Ce fut même contre son avis qu'on arrêta, dans un conseil
de guerre, que l'armée pénétrerait dans la Vendée par les Ponts-de-Cé, en
Anjou. Le plan consistait à attaquer successivement Bris7 sac, Vihiers,
Coron, Chollet et Mortagne, où devait s'opérer la jonction des forces de
Saumur avec l'armée de Niort. Biron
de retour à son quartier-général, La Barolière prit le commandement de
l'armée rassemblée aux Ponts-de-Cé. Le 15 juillet il se mit en marche sur
Brissac, et vint camper à trois lieues de Vihiers, près de Martigné Bryant.
Instruits que les républicains avaient changé de plan et menaçaient l'Anjou,
Bonchamps, La Rochejacquelein et Lescure venaient de réunir à la hâte seize
mille Vendéens, pour s'opposer aux progrès de La Barolière. Bonchamps
commandait sa division en personne. Il fut d'avis, ainsi que Lescure, de
marcher toute la nuit par le chemin le plus court, pour n'avoir point à
combattre le lendemain dans la chaleur du jour, qui était excessive : on
pouvait d'ailleurs' surprendre les républicains. Mais un vieil officier
insista pour qu'on prenne une autre route, affirmant que le succès de
l'attaque serait plus sûr de ce côté. On se rangea de son opinion, par égard
pour son âge et pour son expérience présumée. L'armée eut à parcourir trois
lieues de plus, et ne put arriver devant l'ennemi le lendemain, en plein
jour, qu'excédée de fatigue, et exposée aux ardeurs d'un soleil brûlant.
Toutefois on marcha sur deux colonnes d'attaque, droit aux républicains et
avec intrépidité ; leur avant-garde fut rompue, et dès le premier choc ils
perdirent trois canons ; bientôt l'engagement devint général. Pour la
première fois, l'armée de Saumur fit bonne contenance et les bataillons de
Paris soutinrent le feu. Alors Bernard de Marigny quittant l'artillerie qu'il
commandait, et se mettant de son chef à la tête d'un détachement de cavalerie
royale, court pour attaquer en flanc les républicains, dans l'espoir
d'arracher ainsi la victoire. Mais déjà leurs demi-brigades, protégées par
les hussards, s'étaient portées à propos sur les hauteurs. D'ailleurs Marigny
s'étant trompé de direction, ramena au grand trot sa cavalerie, cachée par
des nuages de poussière ; en sorte que les Vendéens, la voyant déboucher par
un chemin de traverse et la prenant pour des escadrons ennemis, en furent
ébranlés et quittèrent leurs rangs. Le conventionnel Bourbotte perce aussitôt
leur flanc gauche avec les hussards, et se trouve au milieu des royalistes.
Manqué d'un coup de carabine, il est blessé d'un coup de crosse par un
Vendéen qu'il étend à ses pieds. De son côté Bonchamps, emporté par sa
bravoure, se précipite dans la mêlée, où il est assailli par cinq hussards
qui lui crient de se rendre ; il en tue un de sa main, blesse le second,
écarte les trois autres. Mais son cheval est tué sous lui, ses habits sont
criblés, et une balle qui lui fracasse le coude, le met hors de combat : on
le transporte au château de J'allais. Vainement La Rochejacquelein et Lescure
essaient de ramener à la charge les Vendéens, accablés par une chaleur et par
une soif dévorantes. Ils se replièrent, sur Coron, sans être poursuivis et
sans beaucoup de pertes, avec les trois pièces de huit qu'ils avaient
enlevées au commencement de l'action. Dans cette marche rétrograde, une
cinquantaine d'entr'eux périrent pour avoir bu, avec avidité, des eaux
corrompues. Lescure lui-même, cédant au désir d'étancher sa soif, en éprouva
un effet si subit, qu'on le crut mort pendant deux heures. Bernard de
Marigny, dont la fausse manœuvre avait amené la déroute des siens, en était
au désespoir et voulait se tuer. Accablés
de même par la fatigue et l'extrême chaleur, les républicains, étonnés de
rester maîtres du champ de bataille, ne se portèrent en avant que le
lendemain. Ils menaçaient Vihiers et Coron, tandis que La Rochejacquelein et
Lescure s'efforçaient à Chollet de rassembler de nouveau les paysans rentrés
dans leurs paroisses. Nulle part on n'était préparé à une prompte défense, ni
à une attaque subite ; on ne se rassemblait que tumultuairement et en petit
nombre. Le 17, l'avant-garde des républicains, commandée par le général
Menou, occupa Vihiers. On y faisait rafraîchir les soldats, lorsque six cents
Vendéens, n'ayant d'autres armes que des fusils et des piques, parurent sur
les hauteurs des deux côtés de la route ; ils attaquèrent immédiatement. Leur
choc fut tellement impétueux, que les républicains plièrent ; mais soutenus
par des renforts qui arrivaient successivement, ils reprirent leurs
positions. Une vive fusillade s'engagea ; elle dura quatre heures, sans que
la victoire se déclarât, pour Pim ou pour l'autre parti. Enfin le général
Menou chargea presque seul avec son état-major ; couché en joue à quinze pas,
il reçut un coup de fusil au travers du corps, qui fit craindre longtemps
pour ses jours. La nuit venue, les Vendéens se replièrent, évitant de
s'engager avec toute l'armée ennemie. Le général La Barolière n'osa les
poursuivre dans un pays difficile, où l'on pouvait être surpris aisément. Il
fit bivouaquer toute son armée pour conserver ses positions, dans l'attente
d'une nouvelle attaque le leude-main. Harcelée depuis plusieurs jours,
l'armée n'avait pris aucun repos. Tout-à-coup trois caissons pleins de
gargousses sautent au milieu du parc d'artillerie, et font un horrible
ravage. Cet accident, imputé à la trahison, jeta dans tous les esprits une
impression de crainte et de terreur. C'était au moment où de toutes parts les
Vendéens volaient au secours des paroisses menacées. Rassemblés bientôt dans
les bois qui entourent Vihiers, leur impatience ne leur permet point
d'attendre l'arrivée de leurs principaux chefs, pour se mesurer avec
l'ennemi. D'ailleurs Bernier, curé de Saint-Laud, leur persuade que les
généraux sont-là ; il fait des dispositions et dirige même le mouvement.
Piron et Marsange, jaloux de se distinguer, se mettent à la tête des
Vendéens. Le chevalier de Villeneuve et Keller, tout aussi impatiens de
combattre, forment à la hâte un corps d'élite composé de six cents Suisses et
Allemands, renforcés par un nombre égal d'Angevins, les plus exercés et les
plus braves. On les place au centre ; le gros des royalistes forme deux ailes
: Laguerivière et Boissy commandent la droite ; Guignard de Tiffauges la
gauche Le 8 juillet, à midi, le signal fut donné ; les Vendéens sertirent de
leurs forêts dans le même ordre, s'emparèrent des hauteurs, et culbutèrent
les avant-postes des républicains ; au moment où ceux-ci couraient aux armes
pour se meure en bataille. La canonnade fut vive de part et d'autre.
Forestier, à la tête de la cavalerie royale, et animé par l'exemple du corps
d'élite, sous la protection de l'artillerie commandée par d'Herbault, chargea
vigoureusement la droite de l'ennemi, qui occupait Vihiers. Le combat devient
opiniâtre et sanglant dans la ville et sur la place publique. Vihiers fut
livré aux flammes par les républicains, qui se replièrent en désordre. Leur
retraite jeta partout l'effroi et devint le signal d'une déroute générale. De
tous côtés on entend crier : A la trahison ! Sauve qui peut !
Plusieurs bataillons se débandent sans brûler une amorce ; on coupe les
traits des chevaux de l'artillerie ; les soldats jettent leurs armes, leurs
havresacs ; et dans leur fuite ils sont écrasés par leur propre cavalerie. La
lâcheté rend la déroute aussi rapide que funeste. Les officiers-généraux et
les commissaires, troublés par le désordre qui les environne, font des
efforts inutiles pour arrêter les fuyards, qui couvraient les chemins de
Martigné et les hauteurs de Concourson. Les royalistes les poursuivent sans
relâche, animés par le désir de s'emparer de Santerre, qui avait présidé au supplice
de Louis XVI, et qu'ils voulaient enchaîner dans une cage de fer. Deux jeunes
Vendéens, Foret et Loiseau, aussi ardents qu'intrépides, s'attachent à ses
traces ; mais sur le point d'être saisi, Santerre fait franchir à son cheval
un mur de six pieds, et se dérobe ainsi au péril qui le menace. Les
commissaires et plusieurs généraux furent aussi en danger d'être tués ou pris.
Bourbotte, blessé l'avant-veille, allait être livré par un officier perfide
qui le conduisait au milieu des royalistes. Poursuivi l'espace de deux lieues
par M. de Villeneuve, il essuya une fusillade à cinquante pas, perdit son
cheval, et plusieurs fois sur le point d'être pris, ne put échapper qu'en se
cachant dans `les haies, d'où il regagna Saumur dans l'état le plus
déplorable. Les débris de l'armée firent sept lieues en trois heures.
L'épouvante fut telle, que trois jours après l'action, à peine put-on rallier
quatre mille hommes à Chinon, éloigné de quinze lieues du champ de bataille.
Toutes les villes voisines étaient remplies de fuyards ; il y en eut même qui
ne s'arrêtèrent qu'à Paris. Cette honteuse déroute coûta aux vaincus trois
mille prisonniers, quinze pièces de canon, un grand nombre de caissons et de
chevaux, deux chariots chargés de fusils, des approvisionnements de campagne,
et une partie des bagages : deux mille républicains y perdirent la vie. Les
nouvelles levées entraînèrent l'armée. On essaya vainement de pallier leur
lâcheté, en alléguant des circonstances fortuites, telles que trois jours de
bivouac, de fatigues et de combats ; telles qu'une pluie de trois heures
tombée par torrents, une attaque faite à l'improviste à l'heure du repas, et
le trouble extraordinaire causé par l'explosion subite de plusieurs caissons.
La défaite de Vihiers tenait à des causes plus générales. Après tant de
malheureux essais, n'était-il pas imprudent d'aller combattre les insurgés
dans un pays couvert, si favorable aux embuscades et aux surprises ? En
admettant même que les colonnes qui entouraient la Vendée fussent assez
fortes pour agir offensivement, n'auraient-elles pas dû s'ébranler à la fois
pour menacer simultanément tous les points accessibles ? La division de
Niort, la plus imposante, resta au' contraire dans l'inaction ; et celle de
Saumur, constamment malheureuse, au lieu d'attaquer par Doué, Thouars et
Parthenay, d'où elle pouvait être soutenue par les forces de Niort et de
Saint-Maixent, pénétra par les Ponts-de-Cé, à trente lieues de Niort[1]. Toutefois la bataille de
Vihiers n'eut pas de résultats militaires importais. Saumur, quoique sans
forces, et abandonné même, ne fut point occupé ; les vainqueurs rentrèrent
dans le Bocage, et leurs généraux se réunirent de nouveau à
Châtillon-sur-Sèvre : ils crurent avoir assez fait en-assurant la
tranquillité du pays pour tout le temps de la moisson. Tel fut l'avis de
d'Elbée, qui avait alors son quartier-général à Beaupreau. Les
débris de l'armée de Saumur, ralliés à Chinon et à Tours, ne s'y croyaient
point encore en sûreté, tant l'effroi était général. L'indignation de la
convention fut au comble. Ses commissaires voulant mettre leur responsabilité
à couvert, aigris d'ailleurs contre Biron, qu'ils avaient dénoncé au comité
du salut public, imputèrent leurs défaites à son inertie. Ils attaquèrent
surtout son système de modération à l'égard des royalistes, et lui
reprochèrent son attachement aux anciennes formes, aux vieilles théories
militaires. Le plus grand tort de Biron était de porter un nom illustré sous
nos rois. Ce nom fatiguait les démagogues : ils regardaient comme impolitique
de confier une de leurs armées à un homme d'une haute naissance, placé entre
ses devoirs et des opinions équivoques, et forcé de combattre un parti qui
redemandait un' roi, des nobles et des prêtres. Biron n'avait qu'un seul
moyen de confondre ses dénonciateurs ; c'était de vaincre : il ne le lit
point, croyant qu'il lui suffisait de ne pas se faire battre en personne. Il
espérait, qu'appuyé par son état-major et par les commissaires de son armée,
il 'pourrait braver le parti de Saumur, en comprimant à Niort les militaires
factieux qui l'outrageaient par des personnalités offensantes. L'un d'eux,
Rossignol, garçon orfèvre, appelé par la révolution au commandement d'une
division de gendarmerie à pied, se faisait remarquer par son exaltation et
par sa rudesse plébéienne. Destiné à devenir tour à tour instrument et
victime des factions révolutionnaires, rien n'indiquait encore qu'il clôt
jouer un premier rôle dans nos troubles politiques. Ce fut cet homme que les
démocrates opposèrent à Biron. Mais les commissaires de Niort le firent
arrêter comme prêchant l'indiscipline et désorganisant l'armée. Leurs
collègues de Saumur imputèrent à Biron l'emprisonnement arbitraire de
Rossignol. « Ce brave homme, dirent-ils, n'est coupable que d'avoir manifesté
avec chaleur sa haine contre les nobles et contre les intrigants ». Son
arrestation fut dénoncée à la convention nationale, et Danton, usant de
l'influence qu'il y exerçait, demanda l'examen de la conduite de Biron. Le
député Thirion acheva d'aigrir l'assemblée en s'élevant avec chaleur contre
l'inaction de ce général. « C'est, dit-il, ce qui doit arriver tant que vous
aurez des nobles, des conspirateurs à la tête des armées ! » Un décret
ordonna la mise en liberté de Rossignol, et dès le lendemain le comité du
salut public, rappelant les accusations de négligence et de perfidie qui
avaient été portées contre Biron, provoqua son rappel, et fit décréter son
remplacement immédiat. Heureux s'il n'eût perdu que le commandement !
Acharnés à le poursuivre, les démagogues le firent traduire au tribunal
révolutionnaire : c'était un arrêt de mort. En montant à l'échafaud, Biron
dit au peuple : « J'ai été infidèle à mon Dieu, à mon ordre et à mon Roi, je
meurs plein de foi et de repentir ». Telle fut la fin d'un homme que la
révolution surprit au faite des grandeurs, qui, s'étant distingué dans la
guerre d'Amérique, sous le nom de Lauzun, dut la part active qu'il prit à nos
dissensions politiques, plus encore à ses liaisons avec le duc d'Orléans
qu'aux principes qu'il avait puisés dans la société du fondateur de
l'indépendance américaine. D'abord
la convention, qui venait de se constituer pouvoir exécutif, parut indécise
sur le choix du successeur de Biron. Beysser fut proposé et accepté au moment
même où il venait de protester avec les fédéralistes de Nantes contre le
pouvoir de la convention usurpatrice. Instruite, elle révoqua sa nomination
et le manda à sa barre. Le parti de Saumur fit nommer Rossignol. Cette
promotion, qui irritait les partisans secrets de Biron, était un coup de
parti. L'élévation subite d'un plébéien sapait l'ancienne routine des camps,
les coutumes monarchiques et achevait de détruire la confiance des soldats
pour les anciens généraux. D'ailleurs Rossignol, brave, franc, désintéressé,
n'avait aucun des talents nécessaires à-un général en chef. Pénétré lui-même
du sentiment de son incapacité, ce ne fut qu'après les plus vives instances
du parti de Saumur, qu'il accepta le commandement. Tandis
qu'il visitait et réorganisait les divisions de son armée ; qu'il fortifiait
Saumur, et rappelait sous le canon de cette place toutes les troupes
cantonnées à Chinon, à l'exception de quinze cents hommes laissés sous le
commandement du général Rey ; tandis qu'il ralliait ses forces, dans la vue
de priver les royalistes des fruits de la victoire de Vihiers, la plupart des
généraux secondaires se livraient à des expéditions partielles qui, sans
résultats décisifs, épuisaient l'armée en détail. Chaque divisionnaire,
agissant à son gré, ne donnait pas même avis de ses mouvements aux autres
corps voisins, comme s'il eût redouté de partager avec d'autres les
dépouilles de l'ennemi. Voulant remédier aux inconvénients des entreprises
isolées, Rossignol défendit de tenter désormais aucune expédition sans en
avoir reçu l'ordre du général en chef. Mais déjà le général Tuncq, avec la
division de Luçon, avait attaqué les postes de Saint-Philibert et du
Pont-Charron, occupés par les Vendéens du centre. Le Pont-Charron,
si renommé dans cette guerre, ne présentait qu'un fossé large et profond
environné de retranchements, peu éloignés de la rivière du grand Lay, à
l'entrée méridionale du Bocage. Le 25 juillet, Tuncq, à la tête de quinze
cents hommes, tourna le Pont-Charron par Saint-Philibert, qui était également
retranché. Ami était le mot d'ordre des Vendéens ; un transfuge qui avait
servi dans les volontaires républicains le livra : les sentinelles furent
égorgées et le poste emporté. Sapinaud de La Verrie qui le commandait, tomba,
blessé, au pouvoir des soldats de Tuncq, qui le mirent en pièces. Tuncq
reprit et dévasta Chantonay. Mais déjà le tocsin sonnait de toutes parts.
Lescure rassemble sa division et sa cavalerie pour marcher au secours de
l'armée de Royrand. D'Elbée, alors à Argenton-le-Château, se joint à Lescure,
et avec une armée de douze mille hommes, il s'avance, de concert, à la
défense du centre de la Vendée. Après s'être' élevé, dans une proclamation,
contre les cruautés des républicains, qu'il menace de représailles[2], il rallie les fuyards du
centre, et s'avance en forces contre le général Tuncq, qui, redoutant d'être
enveloppé, évacue Chantonay, après l'avoir livré aux flammes. Les royalistes
réunis le poursuivent jusqu'à Saint-Hermine, et le 30 juillet se présentent à
la vue de Luçon. L'armée républicaine les attendait, rangée en ordre de
bataille au-delà de Bessai. Ils l'attaquent avec Vigueur ; leur artillerie
bien servie répond par des décharges multipliées au feu soutenu de l'ennemi.
Chaque boulet emportait des rangs entiers : le centre des républicains plia
et fut bientôt enfoncé. Tuncq, inférieur en forces, et voulant prévenir une
déroute totale, ordonne la retraite : ce mouvement de quelques bataillons
trompe les Vendéens ; ils se croient menacés d'être tournés, quoique tout
leur présageât la victoire. Des lâches qui se traînaient à l'arrière-garde
répandent l'alarme, prennent la fuite, et cette terreur panique se communique
à l'armée entière. Tuncq, profitant de ce changement de fortune, faisait
poursuivre les Vendéens, quand. le prince de Talmont, protégeant la retraite
avec la cavalerie, s'élança plusieurs fois au milieu des ennemis et les
repoussa. Ordonnant lui-même toutes les charges, il déploya une valeur
brillante et sauva l'armée. La mêlée fut telle, que les cavaliers royalistes
et républicains ne pouvant se servir de leurs sabres, se battirent à coups de
crosses de pistolets. C'est celui de tous les combats où la cavalerie
vendéenne montra le plus de valeur. D'Elbée s'exposa aux plus grands dangers.
Lescure eut son cheval blessé, et dispersa quelques cavaliers acharnés à sa
poursuite. Les vaincus laissèrent deux pièces de canon et un grand nombre de
morts sur le champ de bataille ; ils attribuèrent-leur défaite à l'inconduite
de quelques officiers, qui, restés en arrière aux environs de Bessai,
donnèrent aux paysans le funeste exemple du pillage, favorisant ainsi les
lâches et semant le désordre. Tuncq rentra victorieux à Luçon[3]. Les
armées vendéennes restèrent quelque temps sur la défensive. Charette
attendait à Légé une occasion pour agir. Royrand, concentrant ses forces au
camp de l'Oie, occupa de nouveau Chantonay ; Bonchamps protégea l'Anjou et la
rive gauche de la Loire ; Lescure forma un camp à Saint-Sauveur, près de
Bressuire, et La Rochejacquelein se porta du côté de Thouars, que les
républicains lui abandonnèrent. Il s'avança jusqu'à Loudun, à la tête d'un
parti de cavalerie, et pénétrant dans la ville à trois heures du matin, fit
sept gendarmes prisonniers, enleva la caisse du district, brûla les archives
et détruisit tous les signes républicains. Mais les généraux royalistes
n'avaient point de plan arrêté. Il s'agissait de décider si, réunissant de
nouveau toutes leurs forces, ils se porteraient vers la Loire ou au midi de
la Vendée. Autant que tout autre peuple, les Vendéens se montraient soumis à
l'empire de l'opinion. Dès l'origine de la guerre, ces paysans-soldats se
persuadèrent qu'en revenant à la charge sur le même terrain où ils avaient
été battus, ils prendraient leur revanche infailliblement et remporteraient
enfin la victoire. La seconde bataille de Fontenay avait fortifié parmi eux
cette idée singulière, que Cathelineau, leur général en chef, avait
accréditée avec soin. Forcés de fléchir, pour ainsi dire, sous le poids de
l'opinion royaliste, les généraux songèrent à envahir le Poitou méridional,
pour venger l'échec de Luçon. La conquête de cette ville n'offrait aucun
obstacle insurmontable, selon Lescure ; elle renfermait d'ailleurs de la
poudre et des munitions de guerre, dont le besoin se faisait sentir dans
l'armée. Les vues de Bonchamps et de Talmont étaient différentes ; ils
auraient voulu profiter de la victoire de Vihiers pour marcher de nouveau
contre Saumur, s'y établir militairement, et de là étendre l'insurrection,
non-seulement dans tout l'Anjou et dans le Maine, mais encore en Bretagne. La Rochejacquelein,
Donnissan, d'Elbée et Marigny s'étant rangés de l'avis de Lescure, on arrêta
que, pour mieux assurer le succès de la nouvelle expédition contre Luçon, les
forces du Bas-Poitou se combineraient avec la grande armée vendéenne. D'Elbée
expédia de suite des courriers à Royrand et à Charette, pour réclamer leur
coopération, et il leur donna communication du plan d'attaque. On arrêta
également que, pour donner le change aux républicains, des diversions
seraient faites sur-le-champ vers la Loire par la division de Bonchamps, du
côté des Ponts-de-Cé et de Saumur. Ce chef, n'étant point encore en état
d'agir en personne, forma de sa division deux détachements, dont il confia la
direction au comte d'Autichamp et au vicomte de Scépeaux. Le 26
juillet, d'Autichamp surprit, en avant des Ponts-de-Cé, deux bataillons
pampas sur les hauteurs de Meurs et d'Erigné. Une volée de coups de canon
suffit pour les disperser, tant ils furent saisis de terreur panique. On les
poursuivit jusqu'aux Ponts-de-Cé. Là quatre cents hommes du huitième
bataillon. de Paris, n'ayant plus de retraite et refusant de mettre bas les
armes, se précipitèrent d'eux-mêmes dans la Loire, scène terrible, rendue
plus touchante par l'action d'une très-belle femme qui, sortie du camp des
républicains, et fuyant avec eux, préféra, pour ne pas rester prisonnière,
s'engloutir dans le fleuve, tenant son enfant dans ses bras. D'Autichamp fut
exposé aux boulets que l'ennemi lançait de l'autre côté de La Loire et qui
tuèrent deux chevaux sous lui, dans les rues mêmes des Ponts-de-Cé. Voulant
éviter d'être surpris ou attaqué en force le lendemain, il fit couper le pont
et prit position sur la rive gauche. Le surlendemain il rentra dans la ville
avec quelques renforts, et repoussant les républicains au-delà du fleuve,
s'empara du château, et sa cavalerie poursuivit les fuyards jusque dans les
faubourgs d'Angers. La situation de cette ville devint alors critique,
n'ayant pour défenseurs que des soldats qui, depuis trois jours, reculaient
devant l'ennemi. On allait y renouveler la honteuse évacuation du mois de
juin. Le général Duhoux en avait donné l'ordre, et faisait déjà filer
l'artillerie ; mais le conventionnel Philippeaux aiguillonna les autorités,
et parvint à faire prendre aux Angevins une attitude plus ferme. Se bornant à
faire une reconnaissance, les Vendéens se replièrent sur les-Ponts-de-Cé,
dont ils avaient coupé la première arche. Maîtres du château, qui, de la rive
opposée, domine tous, les bras de la Loire, ils y établirent un poste qui
pouvait intercepter les convois et même surprendre la ville. Un coup d'audace
éloigna le danger. Philippeaux y' fit une reconnaissance et ordonna de
rétablir les ponts. L'ardeur de quelques républicains ne permettant aucun
délai, ils passent à la nage, et s'établissent sur la rive gauche. Ce trait
de bravoure el-ni-aine plusieurs compagnies. L'adjudant-général Talot, depuis
député à la convention, se met à leur tête, reprend les ponts, s'élance sur
le château, en chasse les royalistes, les poursuit jusqu'aux rochers
d'Erigné, et les disperse au village de Meurs. Depuis les républicains
restèrent martres des Ponts-de-Cé. L'autre
détachement de la division de Bonchamps, sous les ordres du vicomte de
Scépeaux, crut aussi profiter de l'inaction de l'ennemi, du côté de Saumur ;
il s'approcha de la ville et la menaça d'une attaque sérieuse. Le 4 août, la
cavalerie des républicains rencontra celle des royalistes, qui, plus faible,
tourna le dos et rentra à Doué. Le général Rossignol ayant projeté de
surprendre Doué le soir même, fit partir, dans la nuit, les généraux Salomon
et Bousin, avec environ trois mille hommes d'infanterie et quatre cents
hussards, et plaçant un corps intermédiaire pour soutenir l'attaque, il
ordonna au reste de l'armée de se tenir prêt à marcher. Tout réussit. Le
vicomte de Scépeaux, surpris avant d'avoir reçu des renforts, laissa trois
cents des siens sur le champ de bataille, et ne sauva son artillerie qu'avec
peine. Doué fut fouillé, et comme ce coup de main n'avait pour objet que de
dégager Saumur, les républicains y rentrèrent fiers de leur expédition, qui
releva le courage et ranima la confiance de leurs troupes. Mais la
convention nationale s'alarmait d'une guerre intestine qui prenait chaque
jour un caractère plus prononcé et plus stable. Comment résister à toute
l'Europe et à des ennemis intérieurs si acharnés ? Tandis que les armées de
l'Autriche entamaient les frontières du nord, Lyon était en révolte, et le
midi en feu attendait les Anglais. A la vérité, la convention, dominée par
une minorité courageuse, marchait alors sans être entravée, et déployait une
vigoureuse défensive. Cent soixante-dix de ses membres, envoyés pour la levée
de trois cent mille hommes, avaient pris une multitude de délibérations pour
armer, équiper et organiser quatorze armées. Ils avaient approvisionné, en
trois mois, cent vingt-six places ou forts menacés. Les pouvoirs de ces
proconsuls démagogues étant illimités, l'abus en était inséparable. Le comité
de salut public, investi de la direction et de la surveillance du pouvoir
exécutif, commença par faire déterminer le degré d'autorité des représentants
en mission ; et se dégageant lui-même des objets de détail qui entravaient sa
marche, il se créa centre de gouvernement, et crut s'élever au niveau des
circonstances en proposant des mesures terribles : Ses premiers essais ne
furent point heureux, surtout contre la Vendée. Cette guerre, dont il
s'occupait sans relâche, décelait son impuissance. « Elle devient
extraordinaire et inexplicable, disait, à la tribune de la convention, Barère
son orateur habituel ; c'est un cancer politique qui creuse dans l'Etat une
plaie profonde... Elle se compose de petits succès et de très-grands revers...
Votre armée ressemble à celle du roi de Perse : elle traîne cent soixante
voitures de bagages, tandis que les brigands marchent avec leur arme et un
morceau de pain noir dans leur sac... Jamais vous ne parviendrez à les
vaincre, tant que vous ne vous rapprocherez pas de leur manière de combattre...
Faites la récolte des brigands ; et portez le feu dans leurs repaires ».
L'épithète de brigand, donnée aux insurgés royalistes, défenseurs des
propriétés, de l'autel et du trône, par les brigands de l'égalité,
spoliateurs et sanguinaires, retentit dès-lors dans toutes les tribunes des
démagogues ; elle prévalut parmi une populace sans frein et déchaînée. Telles
furent les premières paroles de destruction contre la Vendée, prononcées le
26 juillet par Barère ; elles déterminèrent à l'instant même la formation de
vingt-quatre compagnies incendiaires et de tirailleurs-braconniers. Cinq
jours après ; il proposa, à la suite d'un rapport inquiétant sur les revers
de la république, un projet de décret pour la destruction et l'extermination
des Vendéens. « Le comité, dit-il, a préparé des mesures qui tendent à
exterminer cette race rebelle, à faire disparaître leurs repaires, à
incendier leurs forêts, à couper leur récolte. C'est dans les plaies gangreneuses
que la médecine porte le fer et le feu ; c'est à Mortagne, à Chollet, à
Chemillé, que la médecine politique doit employer les mêmes moyens et les
mêmes remèdes : c'est faire le bien que d'extirper le mal ; c'est être
bienfaisant pour la patrie que de punir des révoltés... Louvois fut accusé
par l'histoire d'avoir incendié le Palatinat, et Louvois devait être accusé :
il travaillait pour les tyrans. Le Palatinat de la république, c'est la
Vendée : détruisez-la, et vous sauvez la patrie » Les
bois taillis et les genêts incendiés, les forêts, abattues, les habitations
détruites, la récolte coupée et portée sur les derrières de l'armée, les
bestiaux saisis, les femmes et les enfants enlevés et conduits dans
l'intérieur, les biens des royalistes confisqués pour indemniser les
révolutionnaires réfugiés, enfin une levée en masse des habitants des
districts environnants, préparée au son du tocsin, depuis l'âge de seize ans
jusqu'à soixante, telles furent les dispositions-de la loi adoptée sur la proposition
de Barère. Elle
fit dans l'armée et dans les provinces de l'ouest une impression profonde.
Quel allait être le mode d'exécution, et qui se chargerait d'une telle
responsabilité ? Les réfugiés vendéens craignant pour leurs propriétés,
adressèrent des réclamations énergiques. Saris espoir de faire révoquer la
loi, ils se flattèrent au moins de l'éluder Ou d'en atténuer la sévérité. La
voix de l'indignation se fit entendre. « Quel affreux exemple est
réservé au monde, à la fin du dix-huitième siècle, au nom de la liberté et de
la philosophie, dans l'empire le plus policé de l'Europe ! Quoi, nous irions
porter la hache et le feu dans » les plus riches provinces de la France !
Hélas ! plus de pitié pour des Français égarés ! Faut-il donc abandonner
tout espoir de les ramener, et ne suffit-il plus de combattre avec courage et
loyauté, faut-il s'entr'égorger avec une fureur aussi aveugle que féroce » ?
Telles étaient les réflexions que faisaient naître ces décrets de destruction
; elles touchaient le cœur de plusieurs militaires, qui gémissaient de n'être
que les instruments d'une faction abominable. Les
démagogues cherchaient à justifier tant de rigueur par l'insuffisance
reconnue des moyens employés jusqu'alors, par l'opiniâtreté des royalistes ;
et par les cruautés exercées par quelques-uns d'entr'eux envers les
prisonniers républicains. Ainsi deux partis se formèrent dans les
états-majors, dans les autorités et parmi les commissaires de la convention.
Saumur devint le foyer de la terreur ; Niort, Luçon et Fontenay furent les
asiles de l'indulgence. Mais déjà aucune digue ne pouvait plus arrêter la marche
de la révolution ; et dans sa course effrayante, elle devait écraser la
malheureuse Vendée. Le
comité de salut public fit aussi décréter que les troupes de ligne qui
avaient défendu Mayence, seraient transportées en poste sur les rives de la
Loire. A la garnison de Mayence, on ajouta celle de Valenciennes, ce qui
faisait un renfort de seize mille combattants aguerris. En attendant
l'arrivée de ces troupes, le général en chef Rossignol reçut l'ordre de se
tenir sur la défensive et de procéder à la réorganisation complète de
l'armée. Tandis
que les républicains préparaient une attaque générale, les chefs royalistes
recevaient, près de Châtillon, le chevalier de Tinténiac, agent du
gouvernement britannique. Embarqué à Jersey sur un bateau pécheur, il fut mis
à terre pendant la nuit aux environs de Saint-Malo ; mais-sans guide ni passe-ports.
Il cacha ses dépêches dans deux pistolets, où elles servaient de bourre, et,
plein de résolution et de courage, il traversa seul, au point du jour, la
petite ville de Châteauneuf, située entre Saint-Malo et Dol. Au Qui vive
des sentinelles, il répond : Citoyen, passe sans être arrêté et
pénètre dans l'intérieur des terres. Quoique né en Bretagne, Tinténiac
connaissait à peine les routes. It se décide à suivre k grand chemin,
rencontre et aborde un paysan, le questionne, lui fait l'aveu qu'il est
émigré venant d'Angleterre, et qu'il cherche à passer dans la Vendée. Le
paysan l'accueille, le garde deux jours dans sa chaumière, et le conduit
ensuite devant les municipaux. Tous étaient royalistes, comme dans presque
toutes les paroisses de Bretagne. Après avoir délibéré, on arrête qu'il sera
donné des habits de paysan à Tinténiac, et un guide pour le conduire à
quelques lieues de là, dans une maison sûre. Arrivé à cette première station,
Tinténiac est confié à un autre guide, et successivement de station en
station, et de guide en guide, il parvient en sûreté sur les bords de la Loire,
après avoir fait cinquante lieues à pied en cinq nuits, évitant toujours les
postes et les cantonnements des républicains. Mais le
fleuve était gardé par des chaloupes canonnières et par des batteries placées
de distance en distance. A l'aide de quelques mariniers dévoués aux
royalistes, Tinténiac passe furtivement sur la rive opposée, arrive au camp
vendéen d'Isigny, commandé par Lyrot La Patouillère, gagne ensuite
l'intérieur de la Vendée, accompagné de M. de Flavigny, officier de Lyrot, et
parvient enfin au château de la Boulaye, près de Châtillon. Il y trouve
réunis Lescure, La Rochejacquelein, Bernard de Marigny, Donnissan, le
chevalier Desessart et l'évêque d'Agra. La conférence s'ouvre : d'abord les
généraux témoignent quelque surprise et même de la défiance. « Comment
le gouvernement britannique, disent-ils à Tinténiac, vous a-t-il choisi pour
une mission si délicate, de préférence à tant d'émigrés poitevins dont
l'expérience et l'âge nous auraient inspiré plus de confiance » ? Tinténiac
observe que plusieurs gentilshommes ont refusé cette dangereuse commission,
que d'autres ne se sont pas trouvés prêts ; puis il ajoute avec une noble
franchise : « Messieurs, outre les motifs d'intérêt général qui m'auraient
seule déterminé, je ne vous cacherai pas que j'ai été mû par une
considération particulière ; ayant eu, vous le savez, une jeunesse très-blâmable,
j'ai voulu la faire oublier ou périr ». Tinténiac
présenta ensuite ses dépêches, expédiées par le gouverneur de Jersey : elles
étaient signées du comte de Moyra, des ministres Pitt et Henri Dundas, et
adressées à ce même Gaston (perruquier à Châlans), faussement désigné par la
renommée comme généralissime des Vendéens. Une telle méprise cesse d'étonner
quand on songe qu'à cette époque, le gouvernement anglais n'avait eu aucune
espèce de relations avec les Vendéens. A la vérité, au premier avis de leur
soulèvement, le gouverneur de Jersey avait reçu l'ordre d'ouvrir, avec les
insurgés, des communications secrètes, mais sa première tentative n'avait pas
réussi. Les dépêches remises par Tinténiac, au nom du cabinet de Londres,
contenaient de grands éloges aux Vendéens sur leur extrême bravoure, des
offres positives de secours, et l'assurance d'un très-vif désir de seconder
efficacement l'insurrection. Le
ministre Pitt adressait à leurs chefs les questions suivantes : 'Pourquoi
n'avez-vous pas établi de correspondance avec l'Angleterre ? Quel est le
véritable but de l'insurrection ? Qu'est-ce qui l'a fait naître ? Quelles
sont vos relations avec les autres provinces et avec les puissances de
l'Europe ? Quel est le nombre de vos combattants et l'étendue de tout le pays
insurgé ? Quelles sont vos ressources en argent, vivres, habillements,
canons, fusils, poudre ? D'où tirez-vous tous vos moyens ? Enfin le cabinet
de Saint-James demandait que les Vendéens s'emparassent d'un port de mer, tel
que La Rochelle, Rochefort ou Lorient, ce qui eût établi des communications
solides et régulières : il demandait, en outre, qu'on lui donnât connaissance
des plans ultérieurs arrêtés contre l'ennemi commun, promettant de puissants
secours en armes, en argent et en hommes. C'était reproduire le plan de La
Rouerie avec bien plus d'extension. Mais l'impression qu'avait laissé l'échec
de Nantes rendait impossible toute expédition hors du pays insurgé. Du
reste il régnait dans la rédaction & ces dépêches un ton de franchise et
de loyauté ; on y témoignait, même une sorte de crainte que les Vendéens ne
rejetassent les offres de r4ngleterre, vu qu'ils n'avaient réclamé aucuns
secours ; on y élevait aussi des doutes sur le véritable objet de
l'insurrection, le gouvernement anglais ne sachant réellement si les Vendéens
étaient de purs royalistes, ou les partisans d'une monarchie mixte, ou bien
des républicains fédéralistes. Imbus
de préventions nationales, quelques chefs présents à la conférence
suspectèrent les intentions et la bonne-foi du cabinet de Londres, et
témoignèrent même de la répugnance à traiter avec l'ancien ennemi du nom français.
Lescure fit valoir un avis contraire ; il allégua la raison d'état et les
considérations de la politique ; il enfla les avantages d'une alliance
étrangère, qui n'était jamais à dédaigner dans aucune guerre civile, ni sous
aucun chef. Il cita des exemples puisés dans l'histoire de la monarchie
française, et parla de l'amiral de Coligny et de ses vues. « Alors, dit-il,
la confédération des 'provinces de l'ouest tendait au renversement de la
monarchie, aujourd'hui son but est de relever le trône et les autels. Rien ne
doit être négligé pour y parvenir. D'ailleurs ne dirigerons-nous pas nous-mêmes
l'emploi des ressources qui nous sont offertes par les Anglais ? Ne
balançons point à y avoir recours ». Lescure parvint sans peine à persuader
ses compagnons d'armes. Quand
les généraux de la Vendée ne doutèrent plus que Tinténiac ne fût réellement
un agent de l'Angleterre, et que lui de son côté, par la lecture de leur
proclamation, datée de Fontenay-le-Comte, se fut enfin assuré qu'ils étaient
de purs royalistes, une confiance mutuelle s'établit entr'eux. Bientôt même
Tinténiac, oubliant le caractère d'envoyé anglais, s'exprima sans nul
déguisement. « On n'a que de fausses notions en Angleterre, dit-il, sur
l'insurrection de la Vendée. Les uns font consister sa force en quarante
mille hommes de troupes de ligne, révoltées contre la convention nationale ;
d'autres, et c'est le plus grand nombre, se persuadent que c'est un parti de
républicains fédéralistes, ou du moins de royalistes mitigés et
constitutionnels. Cette dernière opinion s'est s accréditée à Londres, et
l'on y croit, en général, qu'on ne reçoit aucun émigré dans la Vendée. Quant
à moi, je vous dirai franchement que j'ai été envoyé par les ministres du roi
d'Angleterre, sans la participation des princes français. J'ai vu les préparatifs
d'une grande expédition pour venir à votre secours ; j'ai vu l'île de Jersey-se
remplir de canons, de munitions, de soldats, et surtout d'émigrés ; j'ai vu
le cabinet de Saint-James manifester l'intention de vous seconder, et
cependant je crois plus sage de ne pas trop compter sur ses promesses et de
n'attendre votre salut que, de vous-mêmes. Du moins est-il sûr que beaucoup
d'émigrés vous auraient joints, sans un ordre bizarre qui défend à tout
matelot de passer un émigré en France, sous peine de mort. Je n'ai moi-même
obtenu le passage que sur une autorisation spéciale du gouverneur de Jersey
». Ce
discours acheva d'établir la confiance, et les généraux vendéens s'occupèrent
aussitôt de mûrir et de rédiger leur réponse au gouvernement anglais. Comme
Tinténiac désirait la renfermer dans ses pistolets et employer ainsi le même
moyen qui lui avait servi si heureusement pour apporter ses dépêches, le
conseil jugea qu'il fallait une écriture fine, mais lisible ; il choisit pour
secrétaire la marquise de Lescure — si célèbre depuis sous le nom de La Rochejacquelein
—. Elle-même nous l'apprend dans ses mémoires, étant la seule personne
vivante qui ait pu nous révéler le mode de cette correspondance secrète. Les
généraux royalistes y employèrent à propos l'exagération et les réticences,
toutefois en s'éloignant le moins possible de la vérité. Ils enflèrent
surtout les forces de la Vendée, dans la vue sans doute d'entraîner
l'Angleterre, par un motif de sécurité, à expédier promptement des secours et
des renforts. Ils déclaraient ensuite que la seule impossibilité d'ouvrir des
communications par la voie de la mer les avait empêchés jusqu'alors de
correspondre avec le gouvernement de la Grande-Bretagne ; puis, passant à
leur profession de foi politique et aux sentimens de pur royalisme qui les
animaient, ils réclamaient instamment un prince français pour les commander,
et des corps d'émigrés pour les soutenir ; enfin ils insistaient sur le
besoin de secours de tout genre, et d'un débarquement considérable, qui pût
amener la contre-révolution. « Vingt mille paysans, ajoutèrent les chefs
de la Vendée, pourront, sans trop l'affaiblir, se joindre aux troupes de
ligne nécessaires pour envahir la Bretagne, qui est impatiente aussi de
secouer le joug. Là se feront aisément de nouvelles levées royalistes, et le
feu de l'insurrection gagnant le Perche et la Normandie, le succès deviendra infaillible ».
Quant au port de mer que demandait l'Angleterre, les chefs de la Vendée ne
dissimulèrent pas les difficultés qui s'opposaient à une telle occupation, et
ils promirent de tout entreprendre pour les surmonter. Ils observèrent à cet
égard que les insurgés du Bas-Poitou n'ayant pu conserver Noirmoutier, ils
n'étaient plus en possession que du petit port de Saint-Gilles. Du reste, si
Paimbœuf ou les Sables-d'Olonne semblaient préférables, cinquante mille
Vendéens se présenteraient, le jour indiqué, devant l'une de ces deux places,
pour l'assiéger par terre, tandis qu'une flotte anglaise l'attaquerait par
mer. Telle fut la réponse des généraux royalistes ; elle fut signée par tous
ceux qui étaient présents à la conférence. Tinténiac fut aussi chargé d'une
lettre pour les Princes de la maison royale, où tous les chefs vendéens
témoignaient le plus ardent désir d'avoir l'un de ces Princes à leur tête ;
ils protestaient de leur fidélité et d'une entière obéissance à leurs ordres. -Cette
lettre, pouvant tomber dans les mains des ministres anglais, fut courte et
d'un style mesuré. Les chefs y suppléèrent par des instructions verbales,
invitant surtout Tinténiac à ne rien déguiser aux Princes, et à insister
fortement pour que l'un d'eux vint dans la Vendée, quand même l'Angleterre
n'enverrait aucun secours. « Un prince et des émigrés, fussent-ils sans
argent et sans armes, voilà surtout, dirent-ils, ce que nous réclamons, tant
on peut compter sur le dévouement des Vendéens et sur toute sorte de
sacrifices de leur part, pour rétablir la monarchie. L'enthousiasme qui les
anime serait bientôt à son comble s'ils voyaient un des fils de saint Louis
les mener à la victoire ; alors, profitant des heureuses dispositions de la
Bretagne et des provinces limitrophes, on pourrait raisonnablement espérer
d'arriver à la contre-révolution, ou dû moins de former au sein même de la
France un parti formidable ». Le
conseil aurait déviré que Tinténiac vit, avant son départ, d'Elbée et Bonchamps
; mais l'un s'occupait à rassembler l'armée pour marcher sur Luçon et l'autre
était encore retenu par sa blessure, au château de Jallais. D'ailleurs
Tinténiac, attendu de l'autre côté de la Loire, à jour fixe, n'avait que
quatre jours à passer dans la Vendée. Il exprima toute la vivacité de ses
regrets, de se voir ainsi contraint de partir à la veille d'une action
générale, lui qui eût tant ambitionné de combattre avec les Vendéens. Les
généraux lui représentèrent qu'il se rendrait bien plus utile par le prompt
accomplissement de sa mission. Il assura que son retour serait prochain ; et
comme il était dépourvu d'argent, on lui fit compter cinquante louis par
l'intendant général, en s'étonnant toutefois de la détresse de cet agent de
l'Angleterre. Il repassa la Loire avec une escorte que lui donna Lyrot La Patouillère
jusqu'à l'autre rive ; là retrouvant son guide, il eut encore cinquante
lieues à faire à pied, travesti en paysan, et ne marchant que de nuit jusque
près de Châteauneuf, où le même Breton sous la protection duquel il avait
pénétré dans l'intérieur, lui facilita les moyens de repasser à Jersey. Il
parvint ainsi à regagner Londres, où il rendit compte de sa mission au
gouvernement anglais et aux princes de la maison royale. On verra bientôt ce
hardi et courageux émissaire recommencer, avec la même témérité, le cours de
ses périlleux voyages. Cependant
les chefs de la Vendée avaient décidé, comme on l'a vu plus haut, qu'on
rassemblement général aurait lieu, le 12 août, à Chantonay, pour l'attaque de
Luçon. Des courriers venaient d'être expédiés à cet effet dans toutes les
paroisses. Le conseil supérieur envoya deux commissaires pour accompagner
l'armée, Bernier, curé de Saint-Laud, et Pierre Jagault, secrétaire général
du conseil. Lescure et d'Elbée s'étant mis en marche à la tête de quarante
mille hommes, se dirigèrent sur les Herbiers. Charette s'adj oignit Joly et
Savin, et partit avec six mille combattants. La jonction de toutes ces forces
eut lieu à Chantonay, où se trouvait déjà la division de Royrand. Jamais les
Vendéens n'avaient levé une armée si nombreuse. Toutes
les divisions royalistes étaient réunies, à l'exception de celle de
Bonchamps, qui combattait vers la Loire. Le 12 août, le curé de Saint-Laud
officia solennellement (c'était un dimanche), et le second commissaire prêcha pendant la
messe ; Le bruit prématuré de la condamnation à mort de la reine
Marie-Antoinette de France, s'étant répandu le même jour dans l'armée, y
causa une vive fermentation. Chacun se retraça alors les dévastations, les
crimes, les massacres des révolutionnaires, et ce dernier trait de leur
cruauté envers une reine innocente, mit le comble à l'indignation publique.
Comme on n'élevait aucun doute sur l'exécution de la victime royale (elle n'était
que différée), on
vit tous ces paysans-soldats pleurer la mort de leur souveraine, et faire
entendre des accents lamentables, auxquels venaient se mêler des cris de
vengeance : jamais peut-être il n'y eut de douleur plus touchante et plus
profonde. Les Vendéens émus, et se pressant autour du curé de Saint-Laud,
qui, pour être mieux entendu de la foule, prêchait hors de l'enceinte de
l'église, se mirent en prière et demandèrent au dieu des armées de les
soutenir, de les rendre invincibles. L'enthousiasme était universel : il fut
au comble quand un enfant de onze ans vint donner l'exemple d'un dévouement
qui ne doit pas rester dans l'oubli. Cet enfant se présente à cheval aux
généraux vendéens, et leur demande à combattre pour la religion et pour le
Roi. On le questionne sur son nom, sur sa famille : « Je suis le jeune
Duchafault, dit-il ; je me suis échappé du château de ma mère pour venir
joindre mon frère aîné qui sert parmi vous ; il est blessé d'une balle qui
lui a traversé le bras ; je brûle comme lui de me signaler dans l'armée
royale ». Montrant un pistolet, il déclare d'un ton résolu qu'il veut mourir
pour son Roi. Chacun s'empresse de lui témoigner l'admiration qu'inspire son
jeune courage. Mais les chefs cherchent à modérer l'élan précoce de cet
enfant, qui s'obstine à vouloir suivre l'armée : on le renvoie à sa mère.
Plus tard, il prit les armes malgré cette tendre mère en pleurs, et périt
quelques mois après, avec son frère aîné, pour la même cause, après avoir
montré la même intrépidité. Cependant
l'armée vendéenne qui 's'était mise en marche sur Luçon, fit halte le 13 août
à Sainte-Hermine : on tint conseil. Lescure, savant dans l'art militaire,
proposa d'attaquer le lendemain en échelons ; il parla longtemps sur ce plan
et le fit adopter, quoique de telles manœuvres convinssent mieux à des
troupes disciplinées qu'à des paysans dont tous les mouvements étaient
tumultuaires. Le 14, toute l'armée arriva de bonne heure à la vue de Luçon.
Cette ville, située à cinq lieues ouest de Fontenay, et à trois lieues de la
mer, se trouve au bord d'un marais, sur un terrain horizontal, ce qui en fait
un séjour malsain. Ses maisons vastes et commodes, d'un aspect agréable, et
ses nombreux jardins, lui donnent un plus grand espace que ne le comporte une
population de deux mille âmes ; elle a un canal qui conduit à l'Océan.
Quoique sans fortifications, ses dehors présentent quelques points d'appui
qui, pouvant suppléer à l'inégalité des forces, procure à une armée
inférieure des avantages de position. Elle est d'ailleurs environnée de
plaines où l'on peut tirer parti de la cavalerie et de l'artillerie légère. Neuf
mille hommes, sous les ordres du général Tuncq, en défendaient les approches.
Au moment où les divisions vendéennes opéraient leur jonction, ce général
recevait d'un espion nommer Valée, dont l'exactitude ne s'était jamais
démentie, l'avis certain de l'heure à laquelle il serait attaqué. Il fit
aussitôt des dispositions de défense, et reçut le même jour, du ministre de
la guerre, une lettre-de destitution. Ce coup partait de Saumur, où les
opérations irrégulières de, Tuncq et son aversion pour Rossignol lui avait
aliéné les esprits ; mais les conventionnels Goupilleau de Fontenay, et
Bourdon de l'Oise, alors en mission prés de son armée, lui ordonnèrent, par
un arrêté, de continuer ses fonctions. Tuncq reprend aussitôt le
commandement, et, plein d'ardeur, il ne songe plus qu'à se venger de ses
ennemis personnels par une action d'éclat. A cinq heures du matin,
trente-cinq mille royalistes réunis, après avoir reçu du curé de Saint-Laud
sa bénédiction et ses exhortations pathétiques, passent la Semagne au pont
Minclet, et se rangent successivement en bataille en face du camp
républicain. D'Elbée était au centre et La Rochejacquelein à l'aile droite ;
l'aile gauche était commandée par Charette et Lescure, qui devaient commencer
l'attaque, soutenus par le centre, et le centre par l'aile droite. Tuncq ne
pouvant faire face de tous les côtés, et voulant d'ailleurs dissimuler la
faiblesse de son armée, la fit ranger sur deux lignes, et ordonna à ses
soldats de se baisser ventre à terre. L'artillerie à cheval était au centre,
et les bataillons avaient dans leur intervalle quelques pièces de quatre. A
peine Tuncq avait-il achevé ses dispositions, que plusieurs officiers envoyés
pour reconnaître l'ennemi vinrent annoncer qu'il se déployait lentement dans
la plaine pour former sa ligne de bataille. Tuncq ne voulant point lui en
donner le temps, détacha deux bataillons suivis de deux pièces d'artillerie
légère, avec ordre de s'avancera demi-portée de fusil. Ils trouvèrent la
gauche des royalistes en mouvement pour attaquer. Charette avait promis
d'enfoncer dans sept minutes la colonne qu'il aurait à combattre ; il tint
parole, et après neuf minutes il fit plier les deux bataillons venus à sa
rencontre, et s'empara de deux canons. A cette vue, les royalistes croyant
n'avoir à poursuivre qu'une poignée d'hommes, s'ébranlent en désordre, et
jettent de grands cris pour accabler de leur masse ces deux bataillons
isolés. Ceux-ci font volte-face, ajustent, tirent avec précision, et
s'ouvrant ensuite de droite et de gauche, démasquent l'artillerie légère dont
le feu à mitraille foudroie les Vendéens, rangés sur quinze à vingt hommes de
profondeur. Ce feu inopiné les arrête un instant ; mais on les voit avancer
de nouveau avec fierté et courage, excités par Charette et Lescure. Les deux
bataillons républicains, en continuant leur manœuvre et leur feu, se
repliaient toujours sur leur ligne. Les royalistes s'élancent avec
impétuosité pour les atteindre ; mais sans être soutenus par la colonne du
centre, qui marchait lentement ; elle n'arriva que deux heures après le
commencement de la bataille. Alors Tuncq ordonne un roulement de tambour qui
devait servir de signal à ses soldats. Tout-à-coup l'armée républicaine se
lève et semble sortir de dessous terre. Son feu de file roulant et bien
ajusté augmente l'impression de terreur qu'a faite son apparition subite. Le
centre des Vendéens séparé des deux ailes, s'engage imprudemment et sans
aucun ordre. Une partie ne trouvant d'abord aucun obstacle, dépasse
obliquement la ligne de bataille, et se détachant du reste de la colonne, se
porte toujours en avant ; mais assaillie bientôt par la cavalerie des
républicains, cette phalange isolée plie et tourne le dos. D'Elbée, accouru
pour la soutenir, essuie non-seulement le feu de la mousqueterie, mais encore
le feu plus meurtrier de l'artillerie légère. C'était la première fois que
les républicains en faisaient usage dans la Vendée. Le terrain étant
parfaitement unie, rien ne s'opposait aux évolutions de cette arme terrible.
Les colonnes vendéennes en furent criblées, et en moins d'une heure et demie,
on vit la plaine de Luçon toute couverte de cadavres. L'aile
droite des royalistes, égarée par Marigny, qui lui avait fait prendre une
fausse direction, était encore à une lieue du champ de bataille quand elle
aperçut de loin la défaite du reste de l'armée. Il fallut songer à la
retraite, le ravage des obusiers faisant une impression telle sur les
Vendéens, qu'ils prenaient tous la fuite en désordre. Charette et Lescure ;
restés seuls avec leurs meilleures troupes, se virent bientôt assaillis par
toutes les forces de Tuncq. Accablé, foudroyé de toutes parts, Charette eut
de la peine à sauver sa division, dont il perdit l'élite. Il fut poursuivi
ainsi que d'Elbée, qui abandonna son artillerie. Le chevalier de Perrault,
qui la commandait en second, ne put la sauver malgré ses courageux efforts.
Royrand laissa aussi deux pièces de douze. On croit que ce fut au premier
moment de la bataille que. Baudry-d'Asson, animé d'un : courage imprudent, et
suivi d'un domestique fidèle qui avait juré de mourir avec lui, courut
s'exposer aux premiers coups : il tomba en avant de sa troupe ; son
domestique, se jetant sur son corps, et le tenant embrassé, reçut aussi
plusieurs coups et expira avec son maître. Baudry, ce premier champion de la
guerre civile, était d'un caractère dur ; il savait se faire craindre et
obéir, et pourtant il fut regretté. Jamais,
depuis la guerre, les royalistes n'avaient essuyé de défaite aussi sanglante.
Six à sept mille morts couvraient le champ de bataille, et un régiment de
cavalerie poursuivait les fuyards le sabre à la main, sans faire de quartier.
Dans sa fuite, l'arrière-garde fut tout à coup arrêtée au pont Minclet, seul
passage qui lui restât. Deux pièces de canons démontées barraient le chemin,
ce qui augmenta bientôt le désordre. C'en était fait de trois mille
royalistes, si La Rochejacquelein et les transfuges de la légion germanique
ne se fussent postés en avant de la tête du pont, pour faire face à l'ennemi,
donnant ainsi le temps aux Vendéens de regagner Chantonay. Le lendemain tous
se séparent et rentrent dans le Bocage. Les
paysans du Haut-Poitou et de l'Anjou imputèrent la perte de bataille à la,
division du centre, dite le Camp de l'Oie. Royrand voulant grossir sa
troupe, avait fait marcher quelques paroisses protestantes, entr'autres Moncoutant,
et qui, pour ne pas combattre contre leur gré, jetèrent leurs armes, en
criant sauve gui peut ! On attribua aussi cette défaite à d'autres
causes : aux fautes graves de Marigny, qui avait mal dirigé l'artillerie et
toute l'aile droite ; au trop d'empressement de Charette pour commencer le
combat, et aux lenteurs de d'Elbée qui conduisait le centre. Enfin on blâma
Lescure d'avoir donné un plan d'une trop difficile exécution et qu'il avait
soutenu avec opiniâtreté. Charette, aigri contre les chefs du Haut-Poitou,
s'en sépara mécontent, et se rendit à Légé. Ce levain de discorde fermenta et
fut le germe des divisions funestes qui éclatèrent dans la confédération
vendéenne. Ainsi la seconde journée de Luçon, en trompant l'espoir des
royalistes, jeta parmi eux la désunion et le découragement, La
diversion de La Cathelinière ne fut pas plus heureuse du côté de Nantes. Avec
deux mille hommes, il attaqua, le Io août, le château d'Aux, dont la prise
eût fait tomber en son pouvoir la fonderie d'Indret : il y fut blessé et se
retira. Sept cents républicains défendirent ce poste important, d'ont
l'attaque tardive aurait dû précéder celle de Nantes. Quant
au général Tuncq, il dut la victoire, dont ses ennemis cherchèrent à
obscurcir l'éclat, aux effets prodigieux de son artillerie volante, et à ses
sages dispositions, secondées par l'intrépidité de ses troupes. IL est
constant que neuf mille républicains battirent œ jour-là près de quarante
mille royalistes. Tuncq accusa l'adjudant-général Canier, qui commandait son
corps de réserve, çle n'avoir pas donné, quoiqu'il lui eût réitéré, par
écrit, l'ordre de s'avancer au premier feu, afin de prendre l'ennemi en
flanc, et de lui couper la retraite par le pont Minclet. Si cette manœuvre
eût été exécutée avec précision, peu de royalistes auraient pu se soustraire
au carnage. Les commissaires Bourdon de l'Oise et Goupilleau, en rendant
compte de cette bataille à la convention, réclamèrent contre la destitution
de Tuncq. « Il a trente-un ans de service, dirent-ils, dont huit de soldat,
et il s'honore d'être le fils d'un honnête tisserand ». La convention le
réintégra et lui accorda le grade de général divisionnaire. Tuncq voulant
profiter de ces avantages, s'empara de Chantonay, ce qui l'éloigna des
divisions latérales, et ne tarda pas à lui être funeste. Dans le
même temps, le général Rey partait de Chinon avec quatorze cents hommes, pour
s'emparer de Chollet et y délivrer trois mille prisonniers ; mais Stofflet
s'étant trouvé en force en avant de cette ville, le général républicain
battit en retraite. Le général en chef Rossignol ne vit dans tous ces mouvements
partiels que l'effet de l'insubordination des généraux secondaires ; il les
blâma, et leur ordonna de rentrer dans leurs positions respectives. Cet ordre
déplut à Tuncq, enhardi également par sa victoire et par l'appui des
commissaires Bourdon et Goupilleau de Fontenay. Dès ce moment, le
quartier-général de Chantonay fut en opposition ouverte avec Saumur.
Goupilleau de Montaigu joignit ses deux collègues, dont il partageait les
sentimens, et l'un et l'autre Goupilleau, qui avaient dans la Vendée leurs
propriétés et leurs familles, ne virent pas sans inquiétude approcher le
moment et les apprêts des mesures de destruction. Ils formèrent une ligue
contre les décrets du premier août, dont le parti de Saumur exigeait
l'exécution littérale. Déjà le général Rossignol, pour disposer toutes ses
colonnes à agir simultanément dans le court délai qui devait précéder l'arrivée
des troupes de Mayence et de Valenciennes, visitait en personne toutes ses
divisions. Il
trouva Saint-Maixent et Niort dégarnis ; les contingents épars, ses ordres
oubliés, et le général Chalbos entraîné dans des mouvements irréguliers, pour
soutenir Tuncq, engagé trop inconsidérément sous les auspices de Bourdon et
de Goupilleau. Il arrive à Chantonay, accompagné du conventionnel Bourbotte,
et y est méconnu. Rompant le premier le silence, il demande compte de la
position de l'arillée. « Je n'en sais rien, lui répond sèchement Goupilleau
de Fontenay ; si vous venez ici comme général en chef, je vous préviens que
nous vous avons suspendu de vos fonctions ». Il lui remet à Pins-tant
l'arrêté pris en conséquence. « Je ne sais qu'obéir aux autorités
supérieures, répond le général après avoir lu l'arrêté, je n'en servirai pas
la république avec moins de zèle ». Une vive explication eut lieu ; Rossignol
protesta de son obéissance aux décrets de la convention nationale. « Je ne
reconnais point la convention, s'écria Bourdon avec véhémence, dans les
décrets rendus contre la Vendée ; ce sont des lois contre-révolutionnaires.
Tout ce que le comité de salut public et le ministre de la guerre ont fait à
ce sujet, je le regarde comme nul ». Rossignol
s'étant retiré, Bourbotte, resté avec ses collègues, leur reprocha avec
amertume l'injustice de l'acte arbitraire qu'ils venaient d'exercer contre un
général en chef. Ils y persistèrent, ajoutant qu'ils poignarderaient de leurs
mains celui qui oserait mettre les décrets à exécution ; et menaçant
Bourbotte lui-même de le faire transporter à La Rochelle, sur les derrières
de l'armée. Bourbotte contint son indignation, quitta Chantonay, et vint à
Paris, où il en appela au comité de salut public. « Vous
le voyez, dit-il aux membres du comité, un brave général, qui veut exécuter
les décrets que vous avez fait rendre, est suspendu par des représentants qui
méconnaissent votre autorité. Vous en savez la cause. Rien n'est plus
impolitique, relativement à des missions si délicates, que d'envoyer des commissaires
dans leurs propres départements ; les considérations de localités l'emportent
sur l'intérêt public. Des succès éphémères, ordinairement suivis de revers
occasionnés par l'imprudente et l'aveuglement, ont ébloui des chefs et des représentants
peu instruits du métier des armes. Les forces de l'armée sont partiellement
engagées, au risque d'être coupées. Vos ordres, ceux du ministre de la
guerre, ceux du général en chef, sont méconnus, ainsi que les décrets de la
convention nationale. C'est à vous, c'est à la convention à réprimer, dès son
origine, ce nouveau germe de rébellion qui s'élève dans la Vendée ». Le
comité n'osa décider à huis clos contre un parti qui venait de vaincre ; il
crut plus convenable d'en référer à la convention elle-même. Bourdon,
et Goupilleau l'avaient déjà prévenue de la suspension de Rossignol, qu'ils
accusèrent de brigandage et d'ivrognerie. Le 28 août, Rossignol se présente à
la barre et prie la convention d'examiner sa conduite. Bourbotte monte à la
tribune, et, au nom de la majorité de ses collègues de la Vendée, il dénonce
Bourdon et les deux Goupilleau ; il sollicite leur rappel, défend Rossignol,
et réclame sa réintégration. La convention, d'abord partagée entre le parti
de Luçon et celui de Saumur, fut entraînée par Tallien, qui défendit
Rossignol avec chaleur : elle leva la suspension de ce général, et rappela
Bourdon et Goupilleau. Rossignol eut les honneurs de la séance ; il remercia
l'assemblée, et jura que trois semaines lui suffiraient pour exterminer les royalistes.
Cette contestation à peine finie, de plus graves dissensions éclatèrent entre
les commissaires et les généraux chargés de terminer la guerre de la Vendée. A cette
époque, les forces-que la république y employait, formaient deux armées
distinctes : celle des côtes de la Rochelle, commandée par le général
Rossignol ; et celle des côtes de Brest, sous les ordres du général Canclaux.
Chacune avait sa commission centrale de surveillance. Bourbotte, Ruelle,
Richard et Choudieu surveillaient la première ; Gillet, Turreau et Cavagnac
la seconde. De ces deux commissions sortaient des vues et des projets différents.
L'amour-propre et les rivalités divisaient des hommes qui tendaient au même
but. L'armée de Mayence arriva, les deux commissions centrales se la
disputèrent. Le
conventionnel Philippeaux, homme irascible et passionné, envenima ces
dissensions. Envoyé dès le mois de juin, dans les départements de l'ouest, il
avait éprouvé, à la commission centrale de Saumur, des désagréments
personnels. Mieux accueilli par celle de Nantes, il embrassa ses intérêts, et
défendit ses plans. Le général Canclaux et le commissaire Gillet lui
démontrèrent sans peine que le système offensif, pratiqué jusqu'alors, était
aussi faux en théorie que funeste dans l'exécution ; qu'il fallait s'attendre
à une suite de désastres tant qu'on attaquerait par les points supérieurs de
la Vendée, tandis qu'en balayant les rives maritimes, depuis Nantes jusqu'aux
Sables-d'Olonne, le succès était infaillible. La jonction de la garnison de
Mayence à l'armée des côtes de Brest était une conséquence de ce plan.
Philippeaux l'adoptant avec ardeur, se chargea de le soumettre au comité de
salut public pour avoir son adhésion. Il part, prévenu d'avance qu'il
rencontrera de grands obstacles à la commission et à l'état-Major de Saumur.
En effet Choudieu attaque vivement le projet de Philipe peaux. Celui-ci
s'irrite sans se décourager, et trouvant à Orléans l'armée de Mayence,
commandée par le général Aubert-Dubayet, il communique son plan à ce général,
ainsi qu'aux deux commissaires Rewbell et Merlin de Thionville ; ils
l'adoptèrent. Fortifié de leurs suffrages, Philippeaux vole à Paris, et se
présente au comité de salut public, auquel il-fait son rapport. Il parle
d'abord des résultats de sa mission, de son succès contre le fédéralisme, du dévouement
des Nantais, et il continue en ces termes : « J'ai tout observé dans la
Vendée, d'un œil attentif, avec la seule passion du salut public. Je vous
dois le tribut de mes recherches, sans nul ménagement comme sans faiblesse.
Vos plans, citoyens collègues, ne sont point exécutés. Vous avez deux armées
en présence des rebelles ; celle des côtes de Brest, peu nombreuse, n'a
jamais été battue que par vingt contre un ; elle fait trembler l'ennemi ;
mais ayant quarante-huit postes à défendre tous les jours, elle ne peut
hasarder l'offensive. « Si
elle eût égalé de moitié la force de l'armée de Saumur, il n'y aurait déjà
plus de Vendée ; mais alors plus de calculs infâmes de la part de ceux qui
font de cette guerre une spéculation criminelle, une mine d'or à exploiter.
Qu'est devenue l'armée de Saumur ? Elle était de vingt-cinq mille hommes à
Martigné-Briand ; le désastre de Vihiers l'a réduite à dix mille. Je jette un
voile sur tout ce qui s'est passé depuis. Les brigands n'ont pas commis plus
d'atrocités contre les citoyens paisibles que nos propres soldats. Les
généraux eux-mêmes ont encouragé le pillage, dont ils ont partagé l'exécrable
produit. On reproche à celui de nos collègues qui gouverne la commission
centrale de Saumur, d'avoir fermé les yeux sur toutes ces horreurs. C'est au
milieu de ces éléments d'anarchie et de dissolution qu'on voudrait conduire
l'armée de Mayence ; elle s'y corromprait infailliblement, et les dangers
publics n'auraient plus de terme ». Ici
Philippeaux développa son projet. « Citoyens
collègues, ajouta-t-il, je réclame votre approbation, sans laquelle nous
tomberions dans un chaos inextricable ; sans laquelle le mouvement des armées
serait soumis à cinquante volontés divergentes ; je demande qu'il soit réglé
par une puissance centrale et tutélaire ». Le comité entraîné accorda son
adhésion. Muni
d'un arrêté qui prescrivait à la garnison de Mayence de descendre à Nantes
pour attaquer conjointement avec l'armée des côtes de Brest, Philippeaux crut
avoir remporté une victoire sur ses ennemis personnels. Le parti de Saumur en
frémit. Les commissaires Richard et Choudieu fatiguèrent de leurs
réclamations le comité de salut public, et s'efforcèrent d'attirer à eux
Rewbell et Merlin de Thionville. «
L'arrêté du comité, dirent-ils, a été surpris par Philippeaux, qui ne voit
que Nantes, et dont les notions sur la guerre de la Vendée sont
diamétralement opposées à celles qui ont décidé notre conviction. Il serait
dangereux de déférer sans examen à une décision précipitée ! Le plan
d'attaque générale ne doit être que le résultat d'une mûre délibération ». Après
de longs débats, Rewbell et Merlin souscrivirent à la proposition d'un
conseil de guerre extraordinaire tenu à Saumur, et auquel seraient appelés
tous les commissaires des trois armées pour déterminer un plan d'attaque
irrévocable. Philippeaux s'y refusa, ne voyant dans cet incident que le
dessein de paralyser l'exécution de la décision du comité. Dans l'intervalle,
la garnison de Mayence se dirigeait toujours vers Nantes. Le parti de Saumur
espérant l'emporter, entrava un instant, sa marche. Philippeaux s'en
plaignit. « Des commissaires désorganisateurs soufflent dans cette armée
le poison de l'indiscipline et de la révolte. Sachez, dit-il au général Dubayet,
que le passage de Saumur est une Vendée non moins redoutable que celle où
nous allons combattre ». Dubayet s'en tint aux ordres du comité, et continua
sa marche. La tenue d'un conseil de guerre ayant été approuvée, on en fit
l'ouverture à Saumur le 2 septembre. Rewbell le présida ; Lachevardière,
commissaire national, en fut le secrétaire. Les conventionnels présents
étaient Rewbell, Merlin de Thionville, Choudieu, Richard, Bourbotte, Ruelle,
Turreau, Meaulle, Fayau, Philippeaux et Cavagnac. Philippeaux
voulait que les seuls commissaires de la convention eussent vois délibérative
; ce qui lui assurait la majorité. Choudieu lui opposa la décision du comité
de salut public, portant que les généraux commandants concourraient, Avec les
commissaires, à former le résultat. Il en conclut que non-seulement les
généraux en chef de chaque armée, mais même tous les divisionnaires commandants,
devaient partager, avec les commissaires, le droit de suffrage. Philippeaux
s'éleva contre une telle interprétation, qui, selon lui, rompait tout
équilibre, en laissant à l'état-major de Saumur l'avantage du nombre. Ses
adversaires le menacèrent d'invoquer l'exécution d'un décret positif, qui
défendait à tout représentant, en mission de s'immiscer dans les opérations
militaires. Philippeaux céda, et les généraux divisionnaires furent admis. Il
n'y eut de militaires délibérants que les généraux en chefs Canclaux et
Rossignol ; les divisionnaires Dubayet, Duhoux, Dambarrère, Menou, Santerre,
Chalbos, Salomon, Mieskousky et Rey. Attaquera-ton
Mortagne par Nantes ou bien par Saumur ? Tel était le sens de la question
soumise au vote de l'assemblée. La garnison de Mayence était réservée à
l'armée attaquante : on convint que les, opinions seraient motivées. Former
avec l'armée de Saumur un corps de réserve pour préserver les rives
supérieures de la Loire de toute irruption, combiner l'armée de Mayence avec
celle des côtes de Brest, .s'emparer du pays de Retz, grenier d'abondance,
Couper aux Vendéens toute communication avec la mer, opérer en deux jours la
jonction de l'aile-droite avec la division des Sables-d'Olonne ; et maîtres
de toute la ligne occidentale, ayant à droite et à gauche deux divisions
intactes, communiquer en vingt-quatre heures avec la ligne de Niort ; puis
combiner avec promptitude tous les mouvements ultérieurs ; cerner, écraser
l'ennemi sur tous les points ; tel était le plan que développa le général
Canclaux, et que Philippeaux soutint 'avec chaleur. « S'il est adopté, dit-il,
je réponds sur ma tête que cette guerre, qui alarme la république, ne durera
pas un mois ». Après avoir insisté sur les mêmes considérations qu'il avait
fait valoir auprès du comité de salut public, et rejeté le blâme sur les
opérations de ses adversaires, il déclara que l'armée de Mayence était
perdue, si l'on ne se hâtait de la séparer de celle de Saumur, entièrement
désorganisée et constamment malheureuse. « Si l'on objecte, ajouta
Philippeaux ironiquement, la nullité de l'armée de Saumur, abandonnée à ses
seuls moyens, je réponds qu'elle fera beaucoup en ne faisant point de mal ». Choudieu
prit alors la parole ; il s'étonna que son collègue se plût à répandre le
fiel et la diffamation sur une armée qui, si elle avait connu des défaites,
pouvait aussi compter des victoires. « Nous n'avons point combattu
derrière des murailles-ni à l'abri des retranchements, dit Choudieu ; la
Loire n'a point existé pour nous. De nouvelles levées ont été constamment
chercher l'ennemi-pour s'essayer aux combats. Elle serait terminée, cette
guerre, s'il y avait eu plus d'obéissance chez les uns, moins d'orgueil chez
les autres, et surtout plus d'ensemble dans les opérations. En admettant le
plan de Nantes, les forces se trouveront encore une fois disséminées, lorsque
tant d'expériences funestes font une loi de les réunir. Au lieu de se livrer
à des personnalités offensantes, il serait plus utile de consulter les
localités, de combiner un plan d'attaque, non pour favoriser telle ville,
telle armée, telle opinion, mais pour abattre d'un seul coup l'hydre de la
Vendée. J'en appelle aux braves généraux qui m'écoutent : en attaquant par
Saumur, il ne faudra que deux jours pour être sous Mortagne, et, par Nantes,
il s'en écoulera quinze avant d'avoir atteint l'ennemi. On veut que l'armée
de Saumur se tienne en état de défense active ; pourra-t-elle conserver un terrain
ouvert sur plus de soixante-dix lieues d'étendue, où l'ennemi entrera nécessairement
si l'armée attaquante a des succès ? Pour qui connaît l'art, de la guerre, il
faut ôter à l'ennemi que l'on veut détruire tout moyen de retraite. A Nantes,
la Loire fut une barrière, le sera-t-elle ailleurs ? Ce n'est ni la passion
ni l'orgueil qui m'animent, c'est la force de l'évidence et l'amour de la
patrie. Si la majorité décide en faveur de Philippeaux, je prédis que des
défaites sans nombre suivront cette fatale résolution ». Sur
onze commissaires, sept adoptèrent le plan de Philippeaux, trois le
combattirent. Bourbotte, voyant que la passion et l'intrigue l'emportaient
des deux côtés, refusa de voter. Sur onze généraux, Aubert-Dubayet, Canclaux
et Mieskousky, commandant la division des Sables-d'Olonne, se rangèrent de
l'avis de Philippeaux ; sept votèrent avec Choudieu ; le onzième demeurant
indécis, le partage absolu des voix ne donna aucun résultat. En conséquence,
le président décida que l'arrêté du comité de salut public serait maintenu,
et qu'on attaquerait par Nantes. Il y eut de vifs débats, de l'aigreur de
part et d'autre. Santerre présenta un plan qui fut rejeté ; le général Menou
combattit celui du général Canclaux. On ne se détermina ni d'après les
principes de la guerre, ni d'après la situation relative de l'ennemi qu'on
avait à combattre : personne ne voulait être commandé par Rossignol, qui, se
voyant en butte à une espèce de mépris, s'honora par un trait d'abnégation et
de dévouement. Il proposa au général Canclaux de lui abandonner le
commandement, s'il voulait entrer en campagne dès le lendemain par Saumur. On en
avait décidé autrement. Ainsi, après tant de discussions et de débats, il fut
irrévocablement arrêté[4] que l'armée des côtes de La
Rochelle se tiendrait dans un état de défensive active, excepté la division
des Sables-d'Olonne, qui agirait offensivement jusqu'à sa jonction aux deux
ailes de Luçon et de Nantes. La marche des autres divisions fut réglée de
manière qu'à partir du Io septembre, en avançant toutes à la fois, elles
cerneraient la Vendée, et se trouveraient réunies, le 15, autour de Mortagne,
après avoir balayé devant elles tous les, corps royalistes qui s'opposeraient
à leurs progrès. Cette marche du général Canclaux semblait parfaitement calculée ; mais pour son entière exécution, il fallait supposer que l'armée ne trouverait aucun obstacle depuis Nantes jusqu'à Mortagne, ou qu'elle les surmonterait tous dans le délai prescrit. L'événement prouva le contraire. Si la passion fit perdre de vue l'intérêt de la chose publique, dans ce fameux conseil de guerre, d'un autre côté, il en résulta un grand avantage, celui de révéler le danger des agressions partielles ; car le projet d'une attaque générale était déjà une preuve qu'on sentait la nécessité de changer de système. |