Attaque et défense de Nantes. — Retraite de l'armée royale. — Mort du généralissime Cathelineau. — Attaque de Luçon. — Trouée de Westermann ; défaite de ce général. — Formation et organisation du conseil supérieur. — Régime intérieur de la Vendée.Au confluent de trois rivières, Nantes, placé sur une colline presque continue de l'est à l'ouest, est arrosé au midi par la Loire, où l'Erdre se perd après avoir baigné la ville au nord. Ses dehors fertiles et pittoresques présentent au sud des prairies immenses, coupées par divers bras du fleuve, et couronnées de coteaux ornés de maisons de campagne. Une population de soixante-quinze mille âmes, trois cents rues, trente places publiques, dix-huit ponts, dont six d'île en île se prolongeant sur la Loire ; et cent cinquante navires qui rapportaient les productions des deux mondes, faisaient de Nantes, avant la révolution, l'une des villes les plus florissantes de l'empire. Ceinte autrefois de fortes murailles, armées de dix-huit tours, mais ouverte aujourd'hui de toutes parts, elle ne présentait aux Vendéens qu'une faible contrevallation de près de deux lieues d'étendue. Ses fortifications se réduisaient à quelques bouts fossés, quelques parapets faits à la hâte, une artillerie augmentée de quelques bouches à feu empruntées à la marine, mais presque inutiles par le peu d'avantage des positions. Avec de si faibles moyens, les Nantais ne pouvaient guère espérer de résister à une grande armée. Toutefois, ils résolurent de se défendre. On croit, avec raison, que les destinées de la révolution française furent alors attachées à la résistance de Nantes, et que cet événement militaire est l'un des plus importants de la guerre civile. Le 24 juin ; deux prisonniers nantais envoyés par Cathelineau en parlementaires, remirent à Baco, maire de Nantes, une sommation des chefs de l'armée catholique et royale[1], portant que le drapeau blanc serait arboré, la garnison désarmée par capitulation, les caisses publiques, approvisionnements et munitions livrés sans délai ; en outre, que les députés de la convention en mission à Nantes, seraient remis en otage. A ces conditions, les chefs vendéens s'engageaient à préserver la ville de toute invasion, de tout dommage, et à la mettre sous la protection spéciale de l'armée catholique. En cas de refus, ils menaçaient de la livrer à une exécution militaire, et de passer la garnison au fil de l'épée. Les commissaires Gilet et Merlin de Douai convoquent à l'instant les autorités, font lecture de la sommation, et décident qu'on se défendra. Le maire Baco, faisant amener devant lui les parlementaires : « Voici ma réponse ; leur dit-il : Nous périrons tous, ou la liberté triomphera ». On tint secret l'envoi des parlementaires, pour ne pas semer l'effroi parmi les lâches, ni faire naître l'espérance parmi les nombreux partisans des Vendéens. Les commissaires de la convention déclarent la ville en état de siège, et en-confient le commandement à Beysser, qui était subordonné à Canclaux, général en chef de l'armée. Dans une proclamation énergique, Beysser annonça que la police sévère des camps gouvernait la ville, et qu'il mettait les Nantais en réquisition permanente ; il leur parla de leurs premiers élans pour ébranler le trône, rappela leur serment pour la conservation de la liberté, excitant aussi leur courage pour la défense de leurs propriétés et de leurs richesses. « Mais, si par l'effet de la trahison ou de la fatalité, ajouta-t-il, Nantes tombait au pouvoir des ennemis, je jure qu'elle deviendrait leur tombeau et le nôtre, et que nous donnerions à l'univers un grand et terrible exemple de ce que peut inspirer à un peuple l'amour de la liberté, la haine de la tyrannie ». Cette proclamation enflamma les courages. Quoique la ville fût divisée en plusieurs factions, le danger ou la terreur les ralliant toutes, fit que la masse se dévoua pour la résistance. D'ailleurs les cruautés commises à Machecoul avaient ulcéré les cœurs et excité l'indignation. Les corps administratifs, la garde nationale, les sociétés populaires, réunis dans la cathédrale, préfèrent le serment de s'ensevelir sous les ruines de la ville, plutôt que de la livrer aux royalistes ; ils firent aux républicains des départements environnants, un appel dont voici les principaux traits : « Levez-vous, fiers enfants de l'Armorique ! levez-vous : il n'est plus temps de délibérer votre salut ou votre perte sont ici, sous nos murailles. Accourez, les brigands ne délibèrent pas ! Entendez, entendez les cris de vos frères ; qu'ils soient pour vous le canon d'alarme ! Frères, si l'on vous dit que des forces imposantes marchent à notre secours, n'en croyez rien et partez ; si l'on vous parle de victoires remportées sur les rebelles, n'en croyez rien et pressez encore plus vos pas ; et si l'on vous disait que Nantes capitule ou s'est rendu, ah ! frères et amis ! alors surtout hâtez-vous, hâtez-vous d'accourir. Venez, nous vaincrons ensemble, ou nous vous laisserons un exemple à suivre. Descendants des anciens Bretons, dont Tacite disait qu'ils ne voulaient pas même quo leurs regards fussent souillés par l'aspect de l'esclavage, rappelez-vous la gloire de vos ancêtres. Les Romains ne purent vous soumettre, et des esclaves vous apportent le joug ! Baisserez-vous la tête ? Non, non : aux armes ! le rendez-vous est à Nantes ; aux armes ! levez-vous tous, pressez la terre, volez ! Ce n'est qu'en nous levant en masse que nous sauverons la liberté compromise » ! Cinquante mille royalistes étaient aux portes de Nantes, et il n'était plus temps d'appeler des secours. Cathelineau et d'Elbée, à la tête de douze mille hommes, se dirigeaient d'Ancenis sur la ville, pour l'attaquer du côté du nord. D'Autichamp et Fleuriot, avec quatre mille Vendéens de la division de Bonchamps, s'avançaient par la route de Paris, pour l'attaquer à l'est, entre la Loire et l'Erdre. Le concours des forces de la Basse-Vendée, qui allaient serrer Nantes au midi, eût été plus décisif, 'sans la barrière de la Loire, qu'elles ne pouvaient guère franchir. Avec dix mille, hommes et douze pièces de canon, Lyrot-La-Patouillère occupa la Croix-Moriceaux, et Charette, après avoir réuni toutes les divisions du Bas-Poitou, campa dans les landes de Ragon et aux Cléons, pour attaquer par le pont Rousseau. A l'exception de quatre compagnies, composées de transfuges, et de quelques Bretons organisés par Bonchamps, l'armée catholique marchait sans ordre, quoique les paysans fussent distingués par paroisses. Des prêtres les suivaient, dépouillés de leurs costumes ; mais on les reconnaissait aisément aux marques de déférence qui leur étaient prodiguées. Ils s'efforçaient, par leurs prières, par leurs exhortations, de prévenir l'indiscipline et d'arrêter la désertion des paysans, qui, depuis la prise de Saumur, brûlaient de rentrer dans le Bocage. A défaut de solde régulière, la masse des Vendéens se procurait, çà et là, des vivres, surtout quand le pain, qui suivait dans des chariots, venait à manquer. Pour les attacher à leurs drapeaux, les chefs, sans leur promettre le pillage de Nantes, leur faisait entrevoir un riche butin. Cependant les Nantais n'avaient dans leurs murs que peu de troupes aguerries, et quelques bataillons de gardes nationaux ; ils avaient au dehors, sur la route de Paris, un camp assez faible dans la position de Saint-Georges ; le cent dix-neuvième régiment, affaibli aux Antilles, couvrait le chemin de Vannes ; et un bataillon des Côtes-du-Nord gardait la partie du pont Rousseau, qui est au-delà de la Sèvre. Le général en chef fit doubler tous les postes. Des barricades armées de canons fermèrent les issues de la ville ; 'des batteries furent dressées à l'ouest, et des bateaux armés stationnèrent sur la Loire. Près le château, à l'est, une batterie protégea également le cours du fleuve et la partie occidentale de la prairie de Mauves. Le 27 juin, Cathelineau et d'Elbée attaquèrent le poste du bourg de Nort, pour de là tomber sur Nantes, et tourner le camp de Saint-Georges. Au premier avis, le général Caudaux accourut pour faire partir un renfort qui ne put arriver assez tôt. Nort n'était défendu que par le troisième bataillon de la Loire-Inférieure. Cette poignée de braves, commandés par un ferblantier de Nantes, nommé Meuris, soutint pendant douze heures le feu continuel de l'avant-garde des Vendéens. D'Elbée, découragé par tant de résistance, et croyant avoir à combattre une armée entière, allait ordonner la retraite, lorsqu'une femme échappée de Nort vint lui assurer qu'il n'était défendu que par quatre cents hommes. D'Elbée et Cathelineau ordonnent aussitôt une nouvelle attaque. D'Autichamp, qui veut signaler ses premières armes, s'avance avec trois cents Bretons d'élite, passe sur la chaussée d'un moulin au-dessous de Nort, et par cette manœuvre hardie, tourne et emporte le village. Réduits à cinquante hommes, les républicains évacuèrent Nort, et emportèrent avec eux leurs drapeaux ; dix-sept de ces braves seulement rentrèrent à Nantes. Cette glorieuse résistance, à laquelle les Vendéens ne s'étaient point attendus, retarda leur marche, et donna le temps au général Caudaux de faire arriver un convoi 'de vingt-cinq milliers de poudre et de six millions de cartouches, indispensables pour se défendre. Nort tombé au pouvoir des royalistes, Caudaux eut, dès ce moment, de l'inquiétude sur sa position, qui ne couvrait plus les routes de Rennes et de Vannes. Il eût été imprudent d'attendre l'ennemi dans le camp de Saint-Georges, dont les ouvrages n'étaient point encore achevés ; tout le flanc gauche était à découvert, et d'ailleurs la division de Bonchamps avançait par Ancenis. Maître des routes de Vannes et de Rennes, Cathelineau pouvait non-seulement soulever le pays, mais y vivre à discrétion, et renforcer son armée. Il ne fallait donc plus songer qu'à la seule défense de Nantes. La levée du camp fut décidée, et, pour voiler son mouvement, le général Caudaux ordonna à l'avant-garde de tenir en cas d'attaque, ce qui eut lieu en effet. Pendant ce temps, le camp se levait, les équipages, le parc d'artillerie filaient vers la ville, dans le silence et sans précipitation. Bientôt les demi-brigades suivirent ; les unes occupèrent les postes dans l'intérieur, d'autres bivouaquèrent au dehors près des barrières ; et à onze heures et demie toute l'armée garnissait les ouvrages. Les généraux tinrent conseil : le général Bonvoust, commandant l'artillerie, déclara qu'il ne pouvait répondre d'une place ouverte de toutes parts, ayant deux lieues de circonférence. Les commissaires conventionnels, Merlin et Gilet, voyant l'appareil formidable que déployait l'ennemi, se rangèrent de l'opinion du général Bonvoust, et mirent l'évacuation de la ville en délibération ; mais Canclaux vota pour la défense de Nantes. Toutes les autorités, toutes les députations des sociétés populaires réunies, ayant voté aussi avec fermeté, pour opposer la plus vigoureuse résistance aux efforts des royalistes, chacun courut au poste qui lui était assigné. D'abord l'attention se porta sur les mouvements de Charette, au-delà du pont Rousseau. Ce chef, instruit de la marche et des progrès de la grande armée vendéenne, faisait ses dispositions pour agir de concert. Un détachement de sa cavalerie étant venu insulter les avant-postes, on crut avoir à soutenir, de ce côté, une attaque sérieuse, et le général Beysser fit évacuer la partie du faubourg au-delà de la Sèvre. Nantes était pour ainsi dire cerné, et tout annonçait, pour le lendemain, des scènes de carnage. Un silence profond régnait dans le court intervalle qui sépare la nuit et le jour ; les républicains se livraient au repos ; la garde seule veillait. Tout-à-coup l'artillerie de Charette commence son feu : le bruit redoublé du canon, le son des instruments guerriers appellent les Nantais au combat : l'ennemi s'avance. Les divisions du Bas-Poitou se déploient, au-delà de la Loire, sur tous les points accessibles de la rive gauche, pour les attaquer à la fois. Quoique bien servie, l'artillerie de Charette ne cause d'abord que peu de dommage ; celle des républicains ménageant son feu, est si bien dirigée, qu'elle abat trois fois le drapeau blanc qui flottait au-delà de la Sèvre. Ce n'était là qu'une diversion. La principale attaque, dirigée par Cathelineau et par d'Elbée, commença presqu'aussitôt sur les routes de Rennes et de Vannes. Au premier coup de canon tiré de ce côté, on entendit battre la générale dans tous les quartiers de la ville ; chacun prit les armes, et, se séparant de ce qu'il avait de plus cher, vola sur la place publique, déjà couverte de bataillons. Le canon gronde, ses coups redoublés précipitent la marche de douze mille combattants vers les points menacés. On distinguait surtout la légion nantaise, exposée au premier feu, à la porte de Rennes. Avant quatre heures du matin, le bataillon des vétérans était sur pied. « Citoyens, lui dit le commandant, ce jour va couvrir les Nantais de gloire ou d'une honte éternelle ; que leur courage, que leur énergie nous rassurent ; jurons tous de ne point capituler, et de mourir plutôt que de nous rendre aux rebelles ». Tous en firent le serment. Déjà l'avant-garde de Cathelineau, traînant avec elle trois pièces de canon et deux pierriers, avait sommé le faubourg Marchix, tandis que d'Elbée, renforcé par cinq cents Bretons, se jetait sur les routes de Vannes et de Rennes. Le cent neuvième régiment, trop faible, se hâte de rentrer au dedans des barrières ; alors d'Elbée ne trouvant plus d'obstacle, s'avance à demi-portée du canon. Ses phalanges présentent un front menaçant, dont les files prolongées s'emparent des hauteurs de la grande route et des champs qui l'avoisinent. Cathelineau place sur sa gauche un corps nombreux qui couvre bientôt la roule de Vannes et les chemins adjacents. Les tirailleurs s'engagent dans les sentiers couverts ; et, à la faveur des blés et des haies, ils pénètrent dans les vergers, dans les jardins qui entourent la ville, et s'emparent de diverses maisons, d'où ils dirigent sur les républicains le feu de leur mousqueterie. A huit heures, l'artillerie royale tira à demi-portée de la hauteur de Barbin, dont la batterie riposta vivement. Le bataillon nantais de Saint-Nicolas soutint le feu avec courage ; il redoubla de part et d'autre. Une pièce de canon placée prés la porte de Rennes fut démontée par les royalistes, et là les canonniers républicains qui servaient la batterie périrent presque tous ; c'était un spectacle horrible. La terre était couverte de membres épars et déchirés, de cadavres mutilés : les vivants qui remplaçaient les morts étaient bientôt remplacés à leur tour. Cependant l'avant-garde de la division de Bonchamps, à peine arrivée par la route de Paris, attaqua les avant-postes du faubourg Saint-Clément. Fleuriot, qui la commandait, encourageait les Vendéens par son exemple. De là il s'avance, suivi de d'Autichamp et du reste de sa division, vers la porte de Rennes, où Cathelineau dirigeait les efforts du gros de l'armée royale. En même temps Lyrot, sur la rive gauche, attaquait le poste de Saint-Jacques, défendu par l'adjudant-général Boisguillon, qui, malgré le nombre des assaillants et le feu continuel de l'artillerie, les contint pendant toute l'action. Sur ce point, la seule garde nationale nantaise fut opposée aux forces de Charette et de Lyrot. Mais plus hardis, les soldats de ce dernier passèrent la Loire, sur des bateaux, du côté de Richebourg, couvrirent les prés de Mauves, et ripostèrent avec avantage au feu des républicains. Toutefois l'ordre et la discipline régnaient dans la ville, assaillie sur sept points différents par le feu continuel du canon et de la mousqueterie. Le général Caudaux, après s'être présenté, à toutes les attaques, se tint à la porte de Rennes, où s'aggravait le danger. Beysser parcourait aussi tous les postes, et animait le soldat, Son air martial en imposait ; monté sur un cheval superbe que couvrait une peau de tigre, on l'aurait pris plutôt pour un dictateur que pour un général subalterne : son éclat contrastait avec la modestie et la simplicité du général en chef. A dix heures, l'attaque devint plus vive encore aux portes de Paris, de Vannes et de Rennes. Fleuriot ordonne aux compagnie& bretonnes d'avancer au pas de charge, et marche à leur tête : un coup de canon lui emporte une jambe et l'étend aux pieds de ses soldats, sous les yeux même de d'Autichamp. Le chevalier de Mesnard est également blessé. D'Autichamp prend aussitôt le commandement de la division, et continue l'attaque, sous le canon des républicains ; deux de ses chevaux sont tués sous lui, et il voit périr en un moment trente-sept canonniers royalistes. D'un autre coté, Cathelineau, d'Elbée, Talmont, ramènent les Vendéens au combat. A l'aspect des Nantais, les royalistes, excités par la voix de leurs chefs, serrent leurs rangs et redoublent leur feu. Celui des républicains, plus habilement dirigé, ne porte que des coups réglés, sûrs, qui brisent les caissons des Vendéens et renversent leurs meilleurs pointeurs. Talmont est blessé en chargeant à la tête de la cavalerie. Les royalistes reculent, l'animosité les ramène, et la mort vole dans tous les rangs. Des tourbillons de poussière et de fumée enveloppent les combattants, dont le sang baigne la terre jonchée de cadavres ; des voix menaçantes se joignent aux coups redoublés d'une nombreuse artillerie ; des cris de fureur se niaient aux derniers soupirs des mourants ; le plus affreux tumulte remplit la ville, et, malgré les pertes des deux partis, la victoire reste indécise. L'ardent Cathelineau veut, par un dernier effort, enlever la batterie de la porte de Vannes, et pénétrer de ce côté : il donne le signal de la charge, et s'élance à cheval à la tête des siens. Les plus braves s'avancent même jusqu'à la place de Viarme ; ils y périssent presque tous. Là le cent neuvième régiment oppose la plus courageuse résistance. Une balle frappa le généralissime Cathelineau : il tombe ; les Vendéens consternés, le relèvent, l'emportent, et le découragement s'empare de tous les cœurs : on perd l'espoir de vaincre, Cathelineau n'étant plus à la tête des royalistes. Vainement d'Elbée cherche à les rallier, à ranimer leur courage. Forcé d'abandonner l'attaque et d'ordonner la retraite, il laisse, sur le chemin de Rennes, une pièce de canon et un caisson brisé. D'Autichamp rétrograde aussi, continuant son feu par intervalle., pour couvrir sa marche. Serré de près par la cavalerie des républicains, il eut un troisième cheval tué sous lui : sa chute allait le livrer ; mais saisissant la queue du cheval de. Forestier, qui courait à toute bride, il disparut avec lui, et laissa les républicains étonnés de sa fuite. Cependant Charette ne ralentissait pas son feu, et sa diversion, quoique impuissante, favorisait la retraite de l'armée d'Anjou. Le jour tombait que le canon tonnait encore ; enfin la nuit ramena le calme. Au point du jour la canonnade recommença vers le pont Rousseau et au poste de Saint-Jacques. Beysser ordonna une sortie, dans laquelle les soldats de Charette furent repoussés. Peu à peu toutes les troupes du Bas-Poitou perdirent Nantes de vue, tandis que la grande armée vendéenne s'en éloignait par la rive droite. Les rapports Officiels n'évaluèrent la perte des Nantais qu'à cent cinquante hommes et à deux cents blessés ; mais des renseignements plus sors l'élèvent à deux mille sur la totalité de la garnison. Elle doit être imputée, en partie, au zèle trop ardent des volontaires. La hauteur des blés, l'épaisseur des haies ne permettant pas toujours de se reconnaître, il y eut de fatales méprises. Le général Canclaux eut son habit traversé d'une balle, qui blessa un de ses aides-de-camp à ses côtés ; mais aucun officier supérieur ne fut atteint. Le maire Baco, emporté par sou énergie et par son courage, brava aussi le danger, et reçut, à la tête de la garde nationale, un coup de feu. Tout le temps que dura l'attaque, l'ordre et le-calme régnèrent dans l'enceinte de la ville ; et, tandis qu'elle était foudroyée par une artillerie nombreuse, tandis que les gémissements des mourans) et des blessés ajoutaient à l'horreur de cette journée, les patrouilles des vétérans relevaient les postes sans trouble et avec toute l'exactitude d'un service régulier et tranquille. Les femmes mêmes oublièrent jusqu'à la faiblesse de leur sexe ; dévorant leurs alarmes, elles prodiguèrent sans relâche des soins aux blessés et aux mourans. Il y eut des traits de bravoure et de désintéressement qui méritent d'être cités. Gombart, vicaire de la paroisse de Sainte-Croix, et grenadier au sixième bataillon de la première légion nantaise, voyant un père de famille trop exposé : « Retire-toi, lui dit-il, c'est » à moi d'occuper ce poste ». Il prend sa place, et reçoit aussitôt un coup mortel. Désiré Dubreuil, sergent au onzième bataillon de Seine-et-Oise, terrasse un officier vendéen au moment où celui-ci le couchait en joue : il lui enlève son fusil, son chapeau, orné d'un chapelet et d'une bande de gaze blanche, laissant à d'autres sa ceinture, où se trouvaient cinquante louis d'or, dont il ne voulut rien accepter. Les balles qui servirent aux républicains, pour repousser les Vendéens, furent faites avec du plomb tiré des tombeaux des nobles et des prélats nantais. La perte des assiégeants surpassa de beaucoup celle des assiégés, Beysser la porta à neuf mille hommes, supputation évidemment exagérée. Nantes dut son salut au sang-froid du général Canclaux, à l'activité du général Bonvoust, qui dirigea l'artillerie, et au brillant courage de Beysser. Nantes, sans fortifications, n'eut que la valeur de ses habitants et de sa garnison à opposer aux attaques répétées des royalistes. Mais la conduite d'un grand nombre de Nantais, en ce jour de crise, fut une preuve nouvelle de l'empire que peut exercer la terreur : tous ceux avec qui les Vendéens avaient des intelligences, craignant d'être soupçonnés, se battirent ; il y en eut même qui se firent tuer. La prise de Nantes eût été le signal du soulèvement de la Bretagne, et de la chute de tous les points fortifiés à l'embouchure de la. Loire. Le château d'Aux, Paimbœuf, le magnifique établissement d'Indret, tous les postes situés sur la côte depuis la Loire jusqu'aux Sables, les îles de Bouin et de Noirmoutier, seraient tombés au pouvoir des royalistes. Si l'ordre, l'accord et l'ensemble régnèrent dans la défense, jamais attaque ne fut plus mal combinée, ni plus mal dirigée. Tous les corps vendéens devaient donner simultanément le 28 juin. Mais le retard de la prise du bourg de Nort, que d'Elbée et Cathelineau auraient dû prévoir, dérangea tous les calculs. D'ailleurs, les royalistes n'étaient point en assez grand nombre, tant la désertion à Saumur avait éclairci leurs rangs. Les chefs de la Basse-Vendée comptèrent trop sur les intelligences qu'ils s'étaient ménagées dans la ville. Que pouvaient quelques amis timides contre tant d'ennemis courageux ? Selon les Vendéens, ils n'échouèrent que pour s'être écartés du plan général d'attaque : On avait arrêté, en conseil, de laisser aux Nantais le chemin libre du côté de Vannes, pour ne pas les réduire à une défense désespérée : c'était surtout l'avis de 'Cathelineau ; mais le prince de Talmont voulant se signaler, à son premier fait d'armes, et voyant, dans la chaleur du combat, qu'une foule de Nantais fuyaient du côté de Guérande, s'y porta 'avec deux pièces de canon ; et les força de rétrograder. Pressés ainsi de toutes parts, les assiégés, dont plusieurs avaient déjà le sac sur le dos, ne trouvant point d'issue, se battirent en désespérés. Du reste, le plan des Vendéens était essentiellement vicieux. Ils laissèrent toutes les forces du Bas-Poitou presque inactives au-delà de la Loire, tandis qu'un simple corps d'observation aurait suffi pour simuler la fausse attaque. Alors quinze à vingt mille hommes de plus auraient pu joindre la division de Bonchamps sur la route d'Ancenis, et profitant des inégalités du terrain, attaquer en force à l'est et à l'ouest : alors Nantes eût été envahi, et les royalistes, arrivés à ce degré de prépondérance, auraient peut-être pu espérer de rétablir la monarchie de nos pères. Si Nantes ne fut pas le tombeau des Vendéens, c'est là que vint échouer leur puissance. Cathelineau, leur généralissime, fut transporté à Ancenis en voiture, puis en bateau à Saint-Florent. La balle, qui l'avait frappé un peu au-dessous du coude, s'était perdue dans les chairs, et sa blessure, qui d'abord n'indiquait aucun danger, prit, la surveille de sa mort, un caractère alarmant. Jusque-là, ni lui, ni personne n'avait eu d'inquiétude sur son état. Un prodigieux concours de Vendéens, soldats et officiers, venaient lui témoigner l'affection publique, et le désir le plus sincère de le voir promptement rétabli. On lui faisait un rapport exact des évènements de chaque jour, et il donnait ses ordres. Le 14 juillet, il expira, emportant l'espérance du rétablissement de l'autel et du trône. On l'inhuma avec pompe, et il la mérita ; le commandement ne lui avait point inspiré d'orgueil. Plein d'égards pour les officiers d'une naissance et d'une fortune supérieures à la sienne, il n'en fut point dominé. Ferme et rigide, il puisa dans le sentiment de la cause pour laquelle il combattait, ce caractère d'élévation et d'indépendance, signe certain d'un vrai mérite. Il possédait un sang-froid admirable et une tactique naturelle qui en auraient fait un grand capitaine, si la mort ne l'eût moissonné trop tôt. Il fut humain dans les combats et modeste dans la fortune. Adoré des paysans, qui l'appelaient le saint d'Anjou, à cause de sa grande piété, et sorti de l'obscurité subitement, il lui suffit de trois mois pour se faire un nom à jamais célèbre. Toute l'armée repassa sur la rive gauche, et fut momentanément licenciée, en attendant un appel nouveau, pour réparer l'échec de Nantes. Après avoir célébré leur glorieuse défense, les Nantais reçurent un témoignage de la reconnaissance publique : la convention nationale décréta qu'ils avaient bien mérité de la patrie. Le général Canclaux dirigea une partie de ses forces sur Ancenis, que les Vendéens avaient évacué, après y avoir établi un comité provisoire. Le 7 juillet il l'occupa, et rétablit les communications entre Angers et Nantes ; entre son armée et la division du général Menou, qui, après s'être ralliée à Tours, était rentrée à Saumur dès le 30 juin. Les commissaires de la convention y déployèrent une grande sévérité. Un comité de surveillance rechercha les déserteurs et les habitons qui s'étaient déclarés pour les royalistes. Le jeune Montboissier fut arrêté et fusillé comme espion ; Boisbernier, ancien noble, et maire d'Angers, fut traduit au tribunal révolutionnaire comme ayant arboré la cocarde blanche-Conduit à l'échafaud, il montra une grande fermeté ; sa figure mâle et à caractère fit dire au peuple que c'était le chef des rebelles. A Tours, le marquis du Sanglier fut aussi condamné à mort, comme étant d'intelligence avec les Vendéens. La convention nationale, irritée de la défaite de Saumur, de l'invasion d'Angeles et de l'attaque de Nantes, décréta, le 6 juillet, que les membres des comités rebelles, les prêtres et les nobles marchant sous leurs bannières, seraient assimilés aux chefs de révolte, et comme tels, soumis à la peine capitale. Au moment où la majorité des forces vendéennes manœuvrait sur la rive droite de la Loire, le chevalier de Royrand, général de l'armée du centre, et Baudry-d'Asson, tenaient en échec la division de Luçon et l'armée de Niort. D'un autre côté, Beaurepaire, qui avait formé une division aux Herbiers, venait de marcher sur Hermenault, où il était entré sans combattue. Les habitants ne penchaient nullement pour le parti royaliste. En général, le Midi de la Vendée, ancien foyer d'un protestantisme opiniâtre, résistait à l'insurrection. Maitre d'Hermenault, Beaurepaire envoya des cavaliers à la découverte du côté de Vouillé. Ils rentrèrent bientôt, vivement poursuivis par les hussards républicains. Les habitants d'Hermenault, qui désiraient leur approche, exagérèrent l'alarme, et en un instant, toute la division de Beaurepaire se dispersa. Les plus lâches jetaient leurs armes : quelques coups de fusil augmentèrent l'épouvante. Beaurepaire lui-même fut forcé de se réfugier dans le Bocage. L'adjudant-général Sandoz entra dans Hermenault, à la tête d'un détachement républicain ; mais redoutant un piège, il n'osa pénétrer plus avant, et revint à Luçon. Cette ville était d'ailleurs menacée par les Vendéens du centre, dont les principaux chefs, tels que Royrand, Bejari, Sapinaud, Verteuil, Baudry-d'Asson et de Hargues, avaient résolu de faire une diversion favorable aux opéra-lions de la grande armée royale du côté de Nantes. S'étant portés d'abord sur Chantonay, ils y réunirent toutes leurs forces, et, le 28 juin, s'avancèrent vers Luçon, qui n'était défendu que par douze cents républicains. Ils conduisaient près de huit mille royalistes, et n'étaient déjà plus qu'à trois cents toises de la ville, lorsque la petite armée du général Sandoz prit position pour recevoir la bataille. Une canonnade assez vive s'engagea de part et d'autre. Déjà même les royalistes étendaient leurs ailes pour envelopper les républicains, lorsque Sandoz, ordonnant la retraite, l'effectua en personne avec un bataillon de la Charente. Mais sa gauche et sa droite n'ayant pas reçu ses ordonnances, restèrent sur le terrain et soutinrent le choc avec intrépidité. Un autre incident porta bientôt le désordre parmi les royalistes : plusieurs déserteurs du régiment de Provence, que Royrand avait mêlé avec ses soldats, voyant les républicains tenir ferme, se rangèrent sous leurs anciens drapeaux. Le chef du bataillon le Vengeur, nommé Lecomte, qui était à l'aile gauche, saisit le moment propice, chargea les Vendéens et fixa la victoire. Enfoncés et poursuivis, ils laissèrent sur le champ de bataille, quatre cents morts, cent vingt prisonniers, un canon et un caisson. C'est ainsi que la petite armée de Luçon vainquit, pour ainsi dire, malgré Sandoz, son général. Il fut dénoncé à la convention, pour s'être retiré au moment du combat, et mis en jugement. C'était presque un arrêt de mort. Toutefois il fut acquitté, mais ne garda point le commandement, qu'il remit au général Tuncq, non sans opposition de la part des soldats : Tuncq fut enfin reconnu, et bientôt nous le verrons aux prises avec toutes les forces de la Vendée. Dans L'intervalle survenaient des événemens plus sérieux du côté de Niort. Un général fameux dans cette guerre, Westermann, pénétrait le premier au cœur de la Vendée. On a vu qu'après la prise de Saumur, un commissaire de la convention était allé prescrire au général en chef Biron, d'en venir enfin à une diversion capable d'arrêter les progrès des Vendéens vers la Loire. Biron, qui évitait de se prononcer avec trop d'éclat, voulant ménager les deux partis, n'avait pu tenir plus longtemps contre une injonction si puissante avait ordonné à Westermann, posté alors à Saint-Maixent, de faire un mouvement sur Parthenay avec son avant-garde. A l'instant même ce général s'était mis en marche, croyant aller à un succès facile. Le tocsin annonce son irruption. Lescure, le bras en écharpe et à peine rétabli, sort de Clisson pour voler au secours de Parthenay, avec cinq mille Poitevins rassemblés à la hâte. Cette ville a quatre portes, celle de Thouars au nord, celle de Saint-Maixent au midi, et deux autres à l'est et à l'ouest. Lescure fait murer les deux portes latérales, place deux pièces de canon à celle de Saint-Maixent, et ordonne des patrouilles d'heure en heure. Mais entre minuit et deux heures, les patrouilles manquèrent ; de là la surprise de la ville. Le 20 juin, Westermann arrive, à deux heures du matin, par une marche forcée, avec douze cents hommes ; il enlève le premier poste, parvient sans obstacle à la porte Saint-Maixent, et tue d'un coup de pistolet la sentinelle, tandis qu'un de ses aides-de-camp abat d'un coup de sabre le nommé Goujon, dragon déserteur, au moment où il allait mettre le feu au canon. La batterie prise, Westermann la fait tourner contre la porte, qui est bientôt enfoncée. Les coups de canon réveillent Lescure et M. de Beaugé ; on bat la générale. Mais les Vendéens surpris résistent à peine, et au lieu d'avancer vers la porte Saint-Maixent, ils prennent la-fuite par celle de Thouars. Lescure abandonné, ne dut son salut qu'à l'obscurité, qui le déroba aux républicains : un gendarme le manqua à bout portant. M. de Beaugé, poursuivi, traversa la rivière à la nage ; une décharge de mousqueterie tua son cheval et lui perça la jambe : il eût péri sans le secours d'un meunier de la rive opposée. Cependant Westermann n'occupa la ville qu'après le lever du soleil. N'osant même, faute de renforts, s'engager dans le pays insurgé, il rentra à Saint-Maixent. Lescure revint à Parthenay et préserva la ville, que ses soldats voulaient brûler, en haine des révolutionnaires qui avaient favorisé Westermann. Après avoir ramassé trois mille hommes, ce général s'avança de nouveau sur Parthenay, que Lescure lui abandonna. Il prit Amaillou le 1er juillet, et saisir quatre membres d'un comité royaliste, livra la ville au pillage, et distribua aux révolutionnaires de Parthenay une part du butin. Westermann ne quitta Amaillou qu'après l'avoir fait incendier ; il se porta ensuite sur Clisson, s'empara du château de Lescure, le fit piller et réduire-en cendres. Lescure, qui, du haut du clocher de Bressuire, voit les flammes dévorer son château, fait sonner le tocsin dans toutes les paroisses environnantes. A peine peut-il rassembler six mille paysans mal armés et quatre pièces de canon. La Rochejacquelein, forcé déjà de quitter Saumur, par la désertion de ses soldats, réunit les insurgés do son territoire, et vole au secours de Lescure. Ce dernier venait d'évacuer Bressuire pour défendre Châtillon. Westermann s'empare aussitôt de Bressuire, et marche en avant. Le 3 juillet il trouve Lescure et La Rochejacquelein en position, sur la hauteur du Moulin aux Chèvres, à deux lieues de Châtillon, ayant leurs canons braqués. Il ordonne l'attaque. Après deux heures de combat, il s'empare des hauteurs et des canons. Les Vendéens abandonnent leurs chefs ; plusieurs fois Lescure et. La Rochejacquelein, à force d'efforts et de courage, parviennent à les rallier ; mais leurs meilleurs officiers sont atteints : une balle frappe à la tête Richard-Duplessis, et lui crève un œil ; un coup de canon emporte un bras à La Bigotière. Westermann se jette, avec sa cavalerie, au milieu des Vendéens, et en fait un grand carnage. Rien ne petit l'arrêter ; il franchit un retranchement et une chaussée qui venait d'être coupée en avant de Châtillon. A cinq heures du soir, il entre dans cette ville, où siégeait depuis peu le conseil supérieur. Il se rend maître d'une partie de ses archives, de son imprimerie, délivre un grand nombre de prisonniers, et s'empare de magasins immenses. Les vaincus, après avoir sauvé une grande partie de leur artillerie, se rallièrent à Mortagne et à Chollet. Le conseil supérieur, en se retirant à Mortagne, emporta ses papiers les plus importants et l'argenterie des églises, qu'il conservait en dépôt. Après avoir fait incendier aussi le château de la Durbellière, domaine de La Rochejacquelein, Westermann prit position sur le Mont-Gaillard, à la gauche du chemin de Châtillon à Mortagne, couvrant toutes les hauteurs jusqu'au village du Temple. Il y attendait des renforts, et il ne fut joint, le 5 juillet, que par deux mille gardes nationaux de Saint-Maixent et de Parthenay. Il redoute alors de s'être aventuré : « Il est essentiel, mande-t-il à Biron, que vous marchiez aussi vers les rebelles, pour empêcher que toute leur masse ne se porte sur moi ». En effet, vivement pressé par un ennemi infatigable, Lescure avait expédié courrier sur courrier à d'Elbée, pour réclamer des secours. Stofflet et Bonchamps arrivent les premiers à Chollet avec leurs divisions, et, se joignant aux Poitevins, proposent d'attaquer sur-le-champ Westermann. La Rochejacquelein et Lescure y consentent avec joie : ils avaient à venger la cause générale et la dévastation de leurs propriétés. Cependant Westermann occupait toutes les hauteurs, et il n'était guère probable qu'on pût le surprendre. Stofflet proposa de faire marcher l'armée par la route de Maulevrier à Châtillon ; mais on eût alors manœuvré sous le feu des républicains. Lescure, qui avait une connaissance plus parfaite du terrain, rejeta le plan de Stofflet. Ne pouvant vaincre son opiniâtreté, il s'écria : « Que ceux qui veulent périr suivent M. Stofflet, pour moi je prends une route opposée ». Aussitôt La Rochejacquelein, Bonchamps et tous les soldats quittent Stofflet ; lui-même se voit contraint de suivre Lescure. Ce chef avait si bien calculé sa marche, qu'il attaqua Westermann au moment même où ce général, méprisant les rapports de ses espions, songeait à envahir le reste de la Vendée au lieu de se défendre. Surpris, en plein jour, son bataillon d'avant-garde prit la fuite et abandonna ses fusils en faisceau. Cependant deux décharges à mitraille ayant fait reculer les Poitevins, Bonchamps ordonna à ses soldats de se glisser ventre à terre, à portée de fusil, et de tuer les canonniers républicains à leurs pièces, ce qui fut exécuté avec un grand courage. De son côté, Stofflet tournait la position de l'ennemi et lui coupait la retraite. Abandonné de ses soldats, Westermann n'ayant plus d'artillerie, ne fit plus que des efforts inutiles. Furieux, il tourna la bride de son cheval, et se sauva en fugitif de ce même territoire où, la veille, il était entré en vainqueur. Canons, armes, munitions, bagages, tout devint la proie des royalistes, qui rentrèrent triomphants à Châtillon. Les deux tiers de l'armée vaincue restèrent sur le champ de bataillé ou mirent bas les armes ; les fuyards se rallièrent à peine à Parthenay. Ce combat, qui n'avait pas duré plus d'une heure, fut plutôt une déroute qu'une bataille. Ne respirant que la vengeance, ne voyant dans les soldats de Westermann que des incendiaires et des brigands, les Vendéens cherchent les prisonniers pour les égorger ; ils, se portent aux prisons de la ville, et commencent le massacre, malgré les prières et les efforts de la plupart des officiers, qu'ils méconnaissent et couchent même en joue. Lescure eut seul assez d'empire sur ces furieux pour arrêter l'effusion du sang. Aussi vit-on les malheureux prisonniers tendre vers lui leurs mains suppliantes, s'attacher à son cheval et à ses habits pour se soustraire à l'aveugle fureur des Vendéens. Bernard de Marigny, qui la partageait, s'approche, tout couvert de sang, de son ami, et lui dit, écumant de colère : « Retire-toi, laisse-nous exterminer ces monstres qui ont brûlé ton château ! » Lescure déclare qu'il les défendra, même au péril de sa vie, ne voulant point souffrir qu'on égorge sous ses yeux des ennemis vaincus et désarmés. Non-seulement il en sauve un grand nombre, mais il donne l'ordre d'épargner ceux qui, fuyant dans les campagnes, croyant par-là se soustraire à la mort, s'exposaient à la fureur des femmes et des enfants, qui les assommaient à coups de pierres. Tous ces prisonniers, renfermés dans une abbaye, se révoltèrent, n'ayant reçu le premier jour aucune distribution, et excités d'ailleurs par un démagogue de Parthenay. Les généraux accoururent pour étouffer ce soulèvement, dont l'instigateur fut signalé et fusillé à l'instant même ; tout s'apaisa. Le carnage avait été si horrible dans ces deux combats de Châtillon, si rapprochés par le temps, si différents pour les résultats, qu'on fut plusieurs jours dans la cruelle attente d'une maladie contagieuse, produite par la corruption des cadavres, dont les miasmes, irrités par des chaleurs brûlantes, empestaient l'atmosphère. Telle fut l'issue d'une entreprise formée contre toutes les lois de la prudence. Ne consultant que son audace, Westermann avait conçu l'espérance d'anéantir la Vendée. La prise de Châtillon avait enflé ses prétentions et exalté dans son parti, toutes les têtes. C'était à qui entrerait le plutôt dans le pays insurgé. L'es autres généraux craignaient déjà que Westermann n'eût tout soumis, et qu'il ne leur ôtât la gloire et les récompenses destinées aux vainqueurs. Toutes ces illusions furent dissipées en un instant. Accusé de trahison, Westermann fut mandé à la barre de la convention nationale, où sa conduite fut discutée. Selon ses accusateurs, nul n'était à son poste, les bataillons étaient dispersés, aucune garde avancée n'avait reconnu l'ennemi, personne n'avait donné l'alarme, l'artillerie était placée dans un enfoncement, et si presque toute l'infanterie avait été égorgée dans sa fuite, c'était faute d'avoir été protégée par la cavalerie, perfidement disposée en avant-garde. Selon Westermann, tout avait été prévu et préparé avec sagesse : sa déroute-, il l'attribuait à la négligence, à la fuite précipitée des volontaires chargés de la, garde de l'artillerie. Il les accusait d'avoir crié vive le Roi ! vive Louis XVII ! Il signalait comme traître un de ses lieutenants-colonels, le jeune Decaire, ancien page du comte d'Artois, qui disparut, d'après Westermann, la veille de ta bataille, et se rendit auprès de La Rochejacquelein et de Lescure, pour leur faire connaître la force et la position des républicains. Où était Westermann au moment de l'attaque ? Il donnait l'ordre de service, fixait les distributions : il ne fut entraîné que par le refus d'être obéi. La convention ne voyant point de traces de trahison dans sa conduite, le renvoya devant les tribunaux de, l'armée, et traduisit le lieutenant-colonel Decaire devant le tribunal révolutionnaire séant à Paris. Westermann fut acquitté à Niort, et renvoyé de suite à son poste. Il a écrit lui-même sa défense ; elle porte le cachet de la présomption. Il prétendit avoir reçu de Biron l'ordre de marcher au secours de Nantes. Comment son général aurait-il pu lui ordonner de s'enfoncer, avec trois mille hommes, dans le pays vendéen, pour aller au secours d'une ville cernée par quarante mille royalistes ? C'est d'ailleurs le 29 juin qu'eut lieu l'attaque de Nantes, et ce ne fut que le 1er juillet que Westermann sortit de la ville de Parthenay, qui en est à quarante lieues, pour se mettre à la recherche des Vendéens. Biron ne fut point exempt de blâme. On lui reprocha d'être resté dans l'inaction avec seize mille hommes, au lieu de soutenir son avant-garde, engagée à vingt lieues de Niort. Toutefois l'incursion de Westermann servit les républicains, en leur montrant le chemin de Châtillon, devenu le siège du conseil supérieur de la Vendée. Sa formation remonte à la prise de Fontenay-le-Comte, époque la plus glorieuse pour les Vendéens. Leurs généraux, réunis au château de la Boulaye, cédèrent aux considérations suivantes : qu'il n'existait aucun principe d'unité entre les différentes branches de l'insurrection, et que pourtant la plus étroite union pouvait seule la consolider ; qu'on n'y parviendrait qu'en établissant un conseil qui, devenu centre de correspondance, administrât tout le pays sous les rapports civils ; que c'était là le seul moyen de faire concourir les efforts communs à un même but. L'érection d'un conseil supérieur ayant été aussitôt adopté, il fut d'abord convenu de le composer de personnes choisies dans les trois ordres de l'Etat ; et quant à ses attributions, on décida qu'il entretiendrait une correspondance suivie avec toutes les divisions de l'armée, qu'il enverrait des commissaires, et qu'il organiserait les conseils particuliers des communes : on arrêta de plus qu'indépendamment du conseil supérieur, on formerait un conseil militaire, composé du gouverneur pour le Roi, du général en chef et des généraux divisionnaires. D'abord le conseil supérieur fut peu nombreux ; il ne prit sa dernière forme qu'après la conquête de Saumur. Il fut convenu alors qu'il y aurait un président choisi dans le premier ordre, c'est-à-dire dans le clergé ; un vice-président et un secrétaire général ; que toutes les affaires, toutes les correspondances aboutiraient au secrétariat-général, qui les distribuerait dans les différents bureaux. Le conseil fut composé de la manière suivante : Gabriel Guyot de Folleville, se disant évêque d'Agra, président. Michel Desessart, gentilhomme de Normandie, attaché depuis longtemps à la maison de Lescure, vice-président. Bernier, curé de Saint-Laud d'Angers. Michelin, homme de loi à Chantoceau. Bodi, avocat à Angers. Boutiller-Deshomelles, de Mortagne. De Larochefoucault. Lemaignan, gentilhomme poitevin. Paillon, sénéchal de Laflocellière. Lenoir de Pas-de-Loup, de Saumur, ex-officier des carabiniers. Duplessis, avocat à la Boche-Sauveur. Coudraye, notaire à Châtillon. Brin, doyen de Saint-Laurent-sur-Sèvres. Bourasseau de La Renollière. Lyrot de la Patouillère. Thomas de Saint-Marc, avocat au parlement de Bretagne, nommé à Saint-Philibert par Charette, Couëtu et La Cathelinière. Gendron, du Port-Saint-Père. De La Boberie. Carrière, avocat à Fontenay-le-Comte, procureur général du Roi. P. Jagault, de Thouars, ancien bénédictin, secrétaire général. Barré de Saint-Florent, secrétaire général du bureau des dépêches. A peu d'exceptions près, le conseil n'était formé que de personnes dont le caractère et le talent décelaient la médiocrité ; toutes se faisaient cependant remarquer par leur dévouement à la cause de la monarchie et de la religion. Le président, évêque d'Agra, était regardé par la plupart des chefs vendéens, comme un instrument propre à exalter la multitude crédule et grossière. Sa figure était belle et ses manières distinguées. Un air de douceur et de dévotion lui captivait les âmes pieuses. Mais son esprit était borné, et il n'avait que peu d'influence sur le conseil. Il en était de même du vice-président — Michel Desessart —, homme instruit, mais pesant, droit, mais opiniâtre, dépourvu d'ailleurs de connaissances administratives. Les fonctions de secrétaire général auraient pu donner de l'influence à M. Pierre Jagault, si son ambition eût égalé ses lumières ; mais étranger à l'intrigue, il n'employa jamais son zèle ni ses talents que pour servir la sainteté de sa cause. Bernier, curé de Saint-Laud d'Angers, si célèbre depuis, fut l'âme de l'administration civile de la Vendée. Sa mort, quoique récente, me laisse le droit de dire sur lui toute la vérité, soit qu'elle honore, soit qu'elle condamne sa mémoire. Né à Paon, département de la Mayenne, de parents pauvres et obscurs, Bernier, destiné à l'état ecclésiastique, fit ses études à l'université d'Angers, fut reçu docteur en théologie, et obtint rapidement la cure de Saint-Laud. Doué d'une mémoire étonnante, d'une voix douce et sonore, il se livra à l'éloquence de la, chaire ; mais ses intonations étaient monotones comme ses gestes, et jamais l'élan de la sensibilité n'anima ses discours. Son caractère sombre et dominateur obscurcit ses premiers succès. La révolution lui ouvrit une carrière nouvelle : Bernier se prononça hautement contre toutes les innovations. Errant et forcé de se cacher, la piété des fidèles le déroba à toutes les recherches. Ce ne fut qu'après la prise de Saumur qu'il parut au milieu des Vendéens, lorsque l'insurrection offrait un refuge. Admis au conseil supérieur, alors commença son influence politique et religieuse. Dans toutes les occasions importantes on voyait l'évêque d'Agra à l'autel et Bernier dans la chaire ; l'un et l'autre excitaient les Vendéens au courage et à la piété. Dans un pays où les prêtres se faisaient remarquer plutôt par la simplicité de leurs mœurs que par les qualités brillantes qui subjuguent, Bernier fut bientôt regardé comme un phénomène. Sa facilité pour le travail, sa prodigieuse aptitude, sa rédaction aisée, lui acquirent un ascendant marqué sur le conseil vendéen ; il n'avait que deux mois d'exercice, et déjà son influence en dirigeait tous les travaux. Le conseil tint ses séances à Châtillon-sur-Sèvre. Son premier acte d'administration, daté du 8 juin 1793, limita la circulation des assignats à ceux qui étaient à effigie royale. Un règlement général sur les biens dits nationaux, rendu le 11 juillet, et signé de tous les membres du conseil[2], annula, sans distinction, toutes les ventes de ces biens, faites, en vertu des décrets des soi-disant assemblées nationales, et en fit passer l'administration à des commissaires régisseurs nommés par le conseil et placés sous la surveillance des conseils particuliers. Le même règlement autorisa les titulaires et, possesseurs, alors dans le pays insurgé, à rentrer de suite en jouissance. Les autres dispositions réglaient la gestion de ces biens et la perception de ce qui était attribué à la caisse royale. Un chef de régie fut aussi établi par le conseil[3]. Un second règlement du 2 août[4], sur les assignats marqués au coin de la prétendue république française, n'en autorisait la circulation qu'après avoir été préalablement signés et admis, au nom du Roi, par des officiers du conseil supérieur délégués à cet effet. Enfin le conseil s'occupa d'un règlement général sur l'ordre judiciaire[5]. Il établit dans chaque chef-lieu d'arrondissement du pays conquis un siège royal provisoire de justice-, formé d'un sénéchal ou bailli, d'un procureur du Roi et d'un greffier. Les juges devaient connaître de toutes les matières civiles et criminelles ; ils devaient exercer toutes les fonctions attribuées précédemment aux juges loyaux. Une cour royale supérieure, composée de sept juges, y compris le président, aurait jugé les appels. Ce règlement statuait aussi sur les officiers inférieurs et ministériels. Le conseil supérieur s'était réservé toutes les nominations des juges. Il s'empara aussi de l'administration de tous les biens du clergé vendéen, pour les soumettre à une régie, et pour les faire servir jusqu'à la paix aux frais du culte et à l'entretien des armées royales. Le conseil supérieur avait sous la direction immédiate les conseils secondaires et provisoires établis dans chaque commune, lesquels étaient chargés des détails de l’administration locale, de la transmission des divers ordres, des distributions de vivres et de munitions aux soldats qui partaient pour l'armée. Il faisait chaque mois le recensement de tous les hommes en état de porter les armes, nommait les capitaines de paroisse, désignait le nombre de soldats qui devaient marcher, et réglait marne leur route. Comme le conseil devait administrer toute la Vendée, on y admit MM. Gendron du Port Saint-Père, Larochefoucault et La Roberie, qui appartenaient au Bas-Poitou. Les officiers généraux n'étaient pas de droit membres du conseil ; il n'y eut de nommé que Lyrot La Patouillère, qui n'y parut jamais. Bonchamps était contraire à son institution et à ses actes, qu'il regardait comme intempestifs. Tout ce qui en émanait se faisait au nom de Louis XVII. Il y eut aussi un timbre royal. Les anciennes lois, substituées aux nouvelles, conservèrent à la Vendée les formes monarchiques. Pour nourrir chez le Vendéen l'attachement à la religion, à la royauté, et la haine de la république, le conseil supérieur faisait aussi des proclamations. Il avait soin de répandre dans toute la Vendée un bulletin imprimé, dans lequel, exagérant les succès des armées combinées contre la France, ou les avantages remportés par les royalistes, il dissimulait les victoires des républicains. La rédaction de ce bulletin était laissée au curé de Saint-Laud, qui prenait chaque jour plus d'ascendant sur son parti. Bernier conservait dans le conseil le ton décisif qu'il avait dans la chaire, et comme s'il eût rivalisé avec les révolutionnaires les plus ardents, il montrait, dans le sens opposé, un esprit fougueux et persécuteur ; ses travaux administratifs portent l'empreinte de son caractère. Ce fut lui qui suggéra au conseil un arrêté de proscription contre toutes les autorités civiles et militaires républicaines, et qui l'étendit même à leurs familles : il semblait qu'un esprit sombre et méchant en eût imaginé toutes les dispositions. En vain quelques royalistes plus sages voulurent résister, Bernier triompha de leur opposition. Un second arrêté — également son ouvrage — contraignit les républicains qui étaient restés dans la Vendée au serment de fidélité au Roi. La haine s'étant emparée de cette mesure immorale qui forçait au parjure, le conseil supérieur en suspendit l'exécution. Le règlement qui ordonna de souscrire, au nom du Roi, les assignats républicains, ôta aux insurgés-les moyens de se pourvoir au dehors des objets-les plus nécessaires dont on manquait dans la Vendée. Celui qui rétablissait les dîmes empêcha quelques paroisses de se déclarer, notamment celle de Saint-Varent : d'ailleurs il était aussi injuste qu'impolitique de surcharger les paysans royalistes, qui versaient leur sang et sacrifiaient tout pour le rétablissement de la royauté. Outre l'adoption de ces mesures vexatoires, le conseil, entraîné par Bernier, ordonna l'emprisonnement de tous les républicains restés dans la Vendée, sans même en excepter les femmes. On sollicita vainement la liberté de quelques-unes d'elles et des vieillards infirmes : Bernier s'y opposait toujours avec une dureté inflexible. Il déploya la même rigueur à l'égard des calvinistes. Plusieurs d'entr'eux suivaient l'armée vendéenne, et se montraient aussi dévoués que les catholiques à la cause du Roi. Pour les entretenir dans ces favorables dispositions, le conseil jugea qu'il serait utile de déclarer que les religionnaires de la Vendée jouiraient sans trouble, au milieu de l'insurrection, de tous les avantages de l'édit de 1788. Bernier seul s'y opposa, et déclama contre l'édit. Ses adversaires soutinrent que ce n'était point à des sujets d'une monarchie à relever les défauts d'une loi émanée du trône, et qu'un édit faisant partie des lois antérieures à la révolution, devait recevoir son exécution. Ce fut la seule fois que le conseil prononça contre l'avis de Bernier. Ainsi son activité, qui suffisait à tout, eût été profitable à son parti, s'il ne se fût livré à l'emportement de ses passions. Bernier parcourut aussi la Vendée ; il prêcha dans presque toutes les paroisses ; il organisa des conseils civils, principalement dans l'Anjou, et même il se permit à Coron une organisation purement militaire. De retour à-Châtillon il fit confirmer par le conseil son organisation civile ; mais il trouva moins de condescendance parmi les généraux. Une de ses créatures, qui occupait la présidence d'un conseil civil, ayant été dénoncée au marquis de Donnissan, gouverneur pour le Boi, et remplacée aussitôt par un homme plus probe, Bernier, secondé par Michel Desessarts et Carrière, se plaignit avec amertume de ce qu'on méconnaissait la démarcation des pouvoirs. « L'autorité militaire, dit-il à s cette occasion, veut donc anéantir l'autorité civile ? Si on le souffre, tout est perdu », il poussa l'arrogance jusqu'à déclamer dans Châtillon même contre des officiers supérieurs, et s'adressant par écrit au gouverneur de la Vendée, il s'éleva contre son empiétement sur les droits du conseil. « Au lieu de vous plaindre, lui répondit le marquis de Donnissan, hâtez-vous d'approuver ce que j'ai fait pour le bien public ». Le conseil n'eut point assez de fermeté pour soutenir cette scission ; elle contribua dès-lors à discréditer ses opérations et ses travaux. Une autorité établie pour ne former qu'un tout unique des différeras corps d'insurgés, et pour rallier tous les chefs à un centre commun, devait, pour remplir son but et mériter l'estime, tendre constamment à l'union, sans laquelle il n'y a pas de succès durable. Aussi les royalistes reprochent-ils à Bernier d'avoir donné l'exemple de ces prétentions exagérées, qui ont fini par tout désunir et par amener la destruction de la cause pour laquelle on s'était armé. Dévoré de l'insatiable désir de tout gouverner, cet ecclésiastique laissa entrevoir dès l'origine ce caractère artificieux, ce penchant à semer des dissensions qui l'ont ensuite rendu odieux à tous les partis. A côté de ce prêtre ambitieux et jaloux siégeait le sage et modeste Brin, curé de Saint-Laurent-sur-Sèvre, regardé justement comme le pasteur le plus éclairé en matière de religion, et le plus vertueux qu'il y eût dans la Vendée entière. Telle fut la composition du conseil supérieur et tels furent ses travaux. Peut-être eût-il été plus sage de ne point l'établir. La Vendée n'aurait pas dû Fesser de se gouverner militairement ; mais les partisans du conseil n'avaient pas manqué de prétextes. Ils avaient allégué la nécessité d'une administration supérieure, pour réorganiser une police, régulariser la marche politique, et empocher tant d'intérêts divers de s'isoler, de se croiser et de nuire, par des prétentions individuelles, à l'ensemble des opérations. Au lieu d'atteindre ce but, on ne fit que la part des petites ambitions. Une grande dictature pouvait seule sauver la Vendée ; mais où trouver un chef qui, par sa naissance, par des services éclatants, pût espérer de captiver la confiance et de mériter tous les suffrages ? Le titre de généralissime aurait suffi peut-être, s'il eût été conféré à un grand capitaine par le vœu général. Cathelineau n'en avait joui que trop peu de temps. A sa mort, d'Elbée brigua ouvertement le généralat. Par leurs vertus, par leurs talents, Bonchamps et Lescure y avaient aussi des droits. Ils y étaient portés par des amis puissants ; mais leur modestie, leur amour pour le bien général prévalurent. Maître de se faire nommer, Bonchamps fit voter ses propres officiers en faveur de son rival. Sublime dévouement, qui fit peut-être sacrifier l'intérêt de tous aux prétentions d'un seul ! Ce fut à Châtillon-sur-Sèvre, vers le 15 juillet, que les chefs vendéens nommèrent d'Elbée généralissime. Brave sans ostentation, mais vif et enthousiaste, d'Elbée cachait de l'ambition sous une piété excessive. Choisi par les paysans de Beaupreau pour les commander, il avait cru entendre la voix de Dieu qui l'appelait aux combats. Aussi se reposait-il de tout sur la Providence. Plein de vertus, ses intentions étaient toujours pures, sans que ses talents répondissent à son zèle. Avancer sur l'ennemi était sa seule manœuvre un jour de bataille.' Tel était le nouveau généralissime des Vendéens. Tous les chefs avaient été appelés pour cette nomination ; mais Charette, dont on craignait l'opposition ou les vues personnelles, n'ayant pas été informé du véritable objet de la convocation, ne s'y trouva point ; il envoya deux députés qui n'y prirent aucune part, et s'excusèrent en alléguant qu'ils n'avaient aucun pouvoir à cet effet. On nomma aussi un major général, et ce ut Stofflet qui réunit les suffrages. En établissant une force militaire, les chefs royalistes s'étaient occupés aussi du matériel comme du personnel de l'armée : elle avait ses commissaires, ses trésoriers, des agents intelligents et actifs. On avait formé des magasins ; on fabriquait de la poudre à Mortagne et à Beaupreau. Les affaires militaires étaient décidées en conseil de guerre, où les principaux officiers avaient voix consultative et délibérative. Ordinairement les marches, plans de défense, projets d'attaque, étaient admis ou rejetés à la pluralité des voix. Cependant le conseil déférait presque toujours aux avis de d'Elbée, de Bonchamps et de Lescure. Dans leur système d'isolement, les chefs de la Basse-Vendée se concertaient peu avec ceux de l'Anjou et du Haut-Poitou, et même entr'eux ils agissaient rarement d'accord. On a vu que le généralissime était élu par tous les chefs et officiers réunis ; et que les officiers étaient nommés par leurs chefs respectifs, auxquels ils s'attachaient personnellement. Le conseil supérieur ne participait nullement à ces nominations, ni à celle du' gouverneur de la Vendée et pays adjacents, Le marquis de Donnissan, porté de droit à cette place comme le plus ancien officier général qui Rit alors dans le pays insurgé, eut pour conseillers le chevalier Duhoux-d'Auterive, M. de Boissy, beau-frère de d'Elbée, et Beauvollier, intendant général, trésorier de l’armée royale. Ainsi, il y eut de l'ordre au sein même du désordre, et tandis qu'on songeait à organiser, à administrer la Vendée, on se battait souvent sur plusieurs points à la fois. Ce qui étonnera davantage, c'est qu'au milieu de cette fermentation, de ce mouvement continuel, inséparables d'une guerre civile terrible, les champs étaient cultivés, et l'agriculture ne paraissait pas souffrir de l'absence fréquente, mais toujours momentanée, des Vendéens. Au commencement de la guerre, leurs chefs s'habillaient et vivaient comme eux, montrant les plus grands dehors de piété et le dévouement le plus pur ; empruntant, pour se populariser davantage, quelques-unes des firmes républicaines, et admettant aux premiers emplois des hommes nés dans la classe du peuple, mais, connus par leur influence sur les habitants des campagnes. Amour de l'ordre, désintéressement, modération, générosité, telles furent les vertus pratiquées par les premiers chefs vendéens. S'étonnera-t-on qu'ils aient pu disposer à la confiance et au respect, des hommes qui se croyaient spécialement consacrés à la défense de Dieu ; qui ne voyaient, dans les plus grands dangers, que le chemin d'un glorieux martyre et la source d'une félicité céleste ? Aussi vit-on, au milieu des fureurs de la guerre, le Vendéen vainqueur se prosterner dans les temples et rendre grâce au Dieu des armées. Dans les camps on n'eût pas entendu un seul blasphème ; la prière et divers exercices de piété précédaient toujours les combats ; une discipline exacte régnait dans les rangs ; nul n'exigeait, en campagne, de son hôte, que la nourriture et le logement. Mais ces vertus ne tardèrent point à s'altérer. |
[1] Voyez, à la fin du volume, Pièces justificatives, n° XII.
[2] Voyez, à la fin du volume, Pièces justificatives, n° XIII.
[3] Voyez, à la fin du volume, Pièces justificatives, n° XIV.
[4] Voyez, à la fin du volume, Pièces justificatives, n° XV.
[5] Voyez, à la fin du volume, Pièces justificatives, n° XVI.