HISTOIRE DE LA GUERRE DE LA VENDÉE

TOME PREMIER

 

LIVRE CINQUIÈME.

 

 

Manière dont combattaient les Vendéens. — Formation d'un conseil supérieur. — Défaite des généraux Salomon et Lygonier. — Attaque et prise de Saumur. — Nomination d'un généralissime royaliste. — Evacuation d'Angers ; occupation de cette ville par l'armée royale.

 

A PEINE trois mois s'étaient-ils écoulés, que les royalistes., triomphant de toutes les armées qu'on leur avait opposées, occupaient militairement la presque totalité de la Vendée et des Deux-Sèvres, ainsi que la partie méridionale de la Loire-Inférieure et de Maine-et-Loire. Le territoire envahi formait un cercle de vingt lieues de rayon. Chollet, Mortagne., Châtillon et Montaigu en étaient les points centraux.

La masse des insurgés était innombrable ; elle égalait la presque totalité des habitants en état de porter les armes. On a vu, dans le livre précédent, le Vendéen agriculteur devenir tout-à-coup belliqueux ; les causes morales de ses succès ont été indiquées, maintenant je dois faire connaître sa manière de combattre. L'armée vendéenne s'étant formée tumultuairement, on n'y voyait ni régiments ni bataillons. Chaque paroisse nommait son capitaine, et le choix tombait toujours sur le plus intelligent, le plus brave. Au premier signal, les chefs de paroisses rassemblaient tous les hommes en état de porter les armes, et ils venaient ensuite se réunir au chef de canton, qui, lui-même se ralliait au généralissime. Ce rassemblement général s'effectuait par une espèce de convocation. Un point était-il menacé, une expédition était-elle résolue, le commandant de l'arrondissement territorial dépêchait partout des courriers pour qu'on sonnât le tocsin dans les paroisses de son ressort. Au premier coup de cloche, le Vendéen quittait sa houe, saisissait son fusil, ou sa pique, ou sa fourche, et volait, plein d'ardeur, au rendez-vous général. Douze heures suffisaient pour rassembler, sur un même points un corps d'armée imposant, Des femmes, des enfants prenaient aussi les armes : on en a vu mourir au premier rang. Un fusil et du pain pour peu de jours, tel était l'équipement de l'homme du Bocage ; jamais il ne quittait son arme, même pendant son sommeil. Sans solde, il ne recevait en campagne que la nourriture. L'infanterie faisait la principale force de ces paysans-soldats ; elle était d'ailleurs plus appropriée à la nature du terrain qu'on avait à défendre. Jamais ils ne rassemblèrent plus de huit à neuf cents chevaux, pris la plupart sur les républicains. Si cette cavalerie, formée par la plus ardente jeunesse, se laissait entamer dans les retraites, elle devenait redoutable dans la poursuite. Une armée vendéenne n'avait jamais de réserve ; tous attaquaient simultanément ; et chacun agissant, pour ainsi dire, d'après sa propre impulsion, il était difficile aux chefs de faire manœuvrer de pareilles troupes devant l'ennemi. La puissance de leurs généraux n'était qu'une puissance d'opinion, sur laquelle venait s'appuyer l'autorité des chefs inférieurs qui, sans elle, n'eussent rien obtenu. L'armée était-elle en marche, on ne la voyait traîner ni tentes ni bagages ; sans avant-postes et sans éclaireurs, tout veillait sur elle, femmes, enfants, vieillards. On ne posait pas même de sentinelles, et presque jamais on n'allait en patrouille, le paysan vendéen ne voulant s'astreindre à aucun service régulier. Réunis en paroisses et formés en divisions, les Vendéens marchaient en colonnes de trois ou quatre hommes de front ; la tête était dirigée par un des chefs, instruit seul du point d'attaque ? Quelques officiers poussaient des reconnaissances, allaient à cheval à la découverte, précédant la colonne d'une lieue, car ils donnaient toujours l'exemple et s'exposaient à tous les dangers. Apercevaient-ils l'ennemi, l'un d'eux se détachait aussitôt, et en donnait avis à son chef. Au cri : voilà les bleus ! chaque officier parcourait la colonne ; et à ce seul commandement : En avant les gas, voilà les bleus ! l'attaque commençait. Des tirailleurs, Se glissant le long des fossés et derrière les broussailles, faisaient feu d'abord de différents côtés sur les soldats ennemis détachés de leurs lignes. Nés chasseurs, et habiles au tir, les Vendéens visaient juste. La masse suivait avec rapidité, se répandant en silence à droite et à gauche, à la faveur des haies, sans conserver aucun ordre ; elle étendait ensuite ses ailes et formait un cercle pour envelopper l'ennemi, en le débordant. Cette manière de se développer en éventail, s'appelait s'égailler. Partait ensuite une grêle de balles, et à la moindre hésitation, au moindre signe de terreur de la part des républicains, les Vendéens couraient sur eux avec de grands cris. Si les premiers étaient rangés sur un terrain plus découvert, on s'efforçait avec plus de vigueur encore de les ébranler, en se précipitant sur eux avec impétuosité. Presque toujours les premiers efforts se dirigeaient sur les canons ; alors commençait la manœuvre favorite. Les plus forts et les plus agiles, au nombre de dix à douze, s'élançaient, le plus souvent armés de bâtons, pour attaquer la batterie dont ils voulaient se rendre maîtres : ils se jetaient à terre au moment où la lumière du canon leur annonçait qu'on y mettait le feu y ne se relevaient qu'après le coup, couraient encore en avant pendant qu'on rechargeait le canon, se baissaient de nouveau à la seconde décharge, répétant la même manœuvre jusqu'à ce qu'ils fussent sur la batterie, presque toujours abandonnée par les canonniers effrayés. Les batteries prises étaient aussitôt tournées contre l'ennemi, qui, marchant en colonne serrée dans un pays couvert, perdait des files entières : presque toujours la perte des canons entraînait la perte de l'armée. Les défaites étaient d'autant plus fatales, qu'une fois rompus, les républicains s'égaraient dans le labyrinthe du Bocage, où rien ne pouvant guider leur retraite, ils tombaient par petits pelotons entre les mains des royalistes, ou rencontraient tout-à-coup un village plein d'habitants hostiles. Les Vendéens, au contraire, étaient-ils repoussés, on les voyait se rallier et revenir à la charge. Mais s'ils ne pouvaient ébranler la colonne de l'ennemi, s'ils s'efforçaient vainement d’enfoncer la ligne de bataille, ou enfin s'ils étaient entièrement défaits, ils se dispersaient aussitôt en franchissant les haies, en prenant les sentiers inconnus, pour gagner, leurs chaumières, répétant, sans se décourager, ce refrain consacré : Vive le Roi quand même ! mais leur retraite, qu'ils appelaient déroute — et ç'en était une véritable —, n'avait jamais de suite désastreuse. Les rassemblements se reformaient presqu'aussitôt qu'ils s'étaient dissous. Si les Vendéens restaient vainqueurs, ils poursuivaient l'ennemi sans relâche jusque par de-là leurs limites. Ainsi l'art des combats, pour eux, ne consistait point en positions savantes, en batteries bien disposées, non plus qu'en manœuvres habiles, mais en surprises, surtout en embûches. Tout était-il préparé dans les ténèbres pour une attaque inattendue, des avis circulaient rapidement de village en village ; de tous côtés le tocsin sonnait, et au point du jour, des masses sortant des forêts et des ravins, faisaient retentir l'air de leurs cris. Ils fondaient alors en désordre sur un ennemi imprudent, qui bientôt prenait la fuite ; le massacre commencé, finissait toujours à' plusieurs lieues du point de l'attaque.

Telle était la manière de combattre des Vendéens : absolument étrangère à la tactique, elle déconcertait tous les plans ; adaptée à la nature du pays, elle tenait aussi au caractère des hommes qui l'habitent. Le soldat de la Vendée est brave jusqu'à la témérité, mais par un contraste inséparable de la nature humaine, il devient parfois timide ; son courage s'élève ou s'abat selon la contenance des chefs. : aperçoi4il sur leur figure des traces d'inquiétude, à l'instant même le découragement s'empare de lui et se communique à toute l'armée avec la rapidité de l’éclair : la marche en est ralentie ; des groupes se fanaient, et si l'ennemi apparais, l'armée ébranlée recule, se divise et se disperse. Les Vendéens n'avaient point d'uniforme militaire, et, dans l'origine, aucun signe de convention ne distinguait leurs chefs. Cependant à l'un des combats de Fontenay, La Rochejacquelein parut avec un mouchoir rouge de Chollet sur la tête, un autre au cou et plusieurs à la ceinture, où pendaient ses pistolets. Les ennemis l'ayant remarqué, s'acharnèrent contre lui et le visèrent. Les officiers royalistes, alarmés de le voir plus exposé qu'eux-mêmes aux coups de fusils, le pressèrent de quitter ce costume, et n'ayant pu réussir, ils l'adoptèrent tous à son imitation. Du reste ce fut moins un costume militaire qu'un usage passager, comme si la mode devait aussi exercer son, empire sur les Français, marne dans leurs guerres civiles. Ainsi, un mouchoir rouge au cou, à la tête, à la ceinture ; des pantalons et un gilet ; un chapeau rond, des bottes et un sabre à la hussarde complétèrent l'habillement des officiers de la grande armée vendéenne. Quant aux paysans ou soldats, ils portaient une veste courte, ordinairement bleue ; sur la tête un bonnet de laine ou un chapeau rabattu, n'ayant pour signe de reconnaissance qu'un petit cœur brodé, surmonté d'une croix et attaché à la boutonnière et au chapeau. Un chapelet autour du cou achevait de rendre ce costume caractéristique et religieux.

Dans les premiers temps, l'armée vendéenne, exempte des excès et des désordres qui accompagnent les guerres civiles, ne souilla point la victoire ; elle emportait des villes d'assaut sans les piller, n'exigeant ni contribution ni rançon. Si des étrangers, si quelques transfuges dérogeaient au caractère des Vendéens, on sévissait contre eux. A la vérité, ceci ne se rapporte qu'à la grande armée catholique ; le Bas-Poitou, ne pouvant partager l'honneur d'une modération si rare. Le contraste entre les deux armées ennemies était frappant. D'un côté, la religion, le souverain, la défense du foyer paternel, l'amour pour les chefs : de l'autre, l'impiété, l'oubli de tous les devoirs, l'amour du pillage, le mépris de toute autorité ; au lieu d'un appel volontaire, des réquisitions forcées ; au lieu d'élans spontanés, des mesures de terreur ; au lieu de chefs inspirés, des généraux ignorants. Ceux-ci, nommés sans mérite, étaient destitués sans motifs : ceux-là, appelés par leurs vertus, ne s'appuyaient que sur le dévouement de leurs soldats. Ainsi l'histoire peut placer les Vendéens au premier rang des peuples guerriers. Soumis et taciturne, tel était leur caractère distinctif, singulier contraste avec la bruyante impétuosité du soldat républicain. Vainqueur ou vaincu, l'expédition finie, le Vendéen rentrait dans ses foyers pour reprendre ses travaux champêtres. Au moindre appel, au moindre coup de tocsin, il revolait au combat avec une ardeur toujours nouvelle. Quelles sont donc les causes d'un tel dévouement, d'une constance aussi héroïque ? L'enthousiasme et la religion, ces deux puissants mobiles du cœur humain : Dieu et le Roi, tel était le code moral et politique des Vendéens. Aussi se souvient-on d'avoir vu souvent, dans cette, guerre, le paysan du Poitou se retirer, au fort même de l'action, derrière une haie, pour y prier Dieu à genoux tout en rechargeant son fusil, dont il était impatient de se servir contre les ennemis de son Roi. Les prêtres, s'exposant à tous les périls, parcouraient les rangs, animaient les forts, soutenaient les faibles. Armés seulement de la parole de Dieu, on les voyait sur le champ de bataille, bravant la mort dont ils étaient entourés, administrer avec calme, panser avec zèle les blessés, et prêcher à tous le mépris d'une vie périssable, polir mériter la plus glorieuse éternité. A l'enthousiasme de la religion se joignait aussi l'amour de la gloire et des louanges. Les chefs, presque tons jeunes et ardents, ne respiraient que pour combattre ; ils avaient pour juge suprême l'opinion de leurs compagnons d'armes, pour triomphe leurs suffrages. La gloire de l'emporter sur ses égaux transportait cette jeunesse bouillante, qui ne songeait qu'à se surpasser. Des femmes, après le combat', mettaient le comble à l'enthousiasme ; en distribuant le prix du courage, lorsque l'amour, cet autre moteur si puissant, leur faisait braver l'ennemi dans les camps royalistes. La religion, surtout, vint adoucir les maux de cette guerre intestine, en élevant, au sein du Bocage, un établissement consacré à l'humanité. Cent religieuses hospitalières, réunies à Saint-Laurent-sur-Sèvre, sous la direction du père Supiot, prodiguèrent nuit et jour aux blessés des deux partis, au milieu des combats et du carnage, les secours et les soins les plus touchants ; spectacle sublime qui honore le caractère français.

Cependant la victoire de Fontenay, suivie de la prise immédiate de ce chef-lieu de la Vendée, sembla donner à l'insurrection une consistance imposante. Mais l'attachement de l'homme du Bocage au sol natal, devint une des causes qui firent échouer routes les expéditions qui le portèrent hors de son territoire. On en eut la preuve à Fontenay. Cette conquête laissait à découvert la ville de Niort, seule barrière qu'il y eût entre les royalistes, Rochefort et la Rochelle. De là ils auraient pu tendre la main aux Anglais, et embraser d'autres provinces. Mais au bruit du danger, tous les districts voisins se levèrent pour défendre la révolution contre les royalistes : l'armée de Niort, qui, dès le 26 mai, ne s'élevait qu'à douze cents hommes, grossit subitement, et les renforts longtemps demandés parurent enfin. Le département de l'Hérault avait donné l'exemple ; Paris le surpassa. Le conseil général de la commune, convoqué extraordinairement, arrêta la formation d'un corps de douze mille hommes, par voie de réquisition, pour combattre les Vendéens. La majorité des sections de la capitale rejeta ce mode de recrutement, et le sort en décida, non sans beaucoup de tumulte. Ce corps marcha sous les ordres de Santerre, ancien brasseur du faubourg Saint-Antoine, devenu fameux en dirigeant les insurgés de Paris, dans les crises populaires ; il arriva ainsi au commandement de la garde nationale, et au rang de général. Ces levées parisiennes firent naître les héros de cinq cents livres, qui, sortis du sein de la capitale, remplaçaient, à prix d'argent, les riches appelés par le sort à combattre aussi les royalistes, et qui se signalèrent autant par leur indiscipline que par leur lâcheté. Ils parurent les premiers vers la Loire, ainsi que les bataillons de la formation d'Orléans, les hussards des Alpes, et ceux de la légion du Nord, commandés par Westermann. La convention y avait joint jusques aux grenadiers chargés de sa propre garde. Elle choisit, pour général de toutes ces forces rassemblées sous, les drapeaux de l'égalité, le descendant de l'illustre famille des Biron, celui qu'on avait d'abord connu sous le nom de Lauzun, à la Cour, dont il était le seigneur le plus aimable. Attaché depuis à la cause révolutionnaire, il ne fut plus désigné que sous le nom de général Biron. Il établit son quartier-général à Niort, et confia son avant-garde à Westermann, qui avait puissamment aidé les factieux de Paris à renverser le trône. Des commissaires de la convention présidèrent à l'organisation et à la répartition de ces nouvelles forces. Bourbotte et Turreau marchaient à la tête des colonnes ; Bourdon de l'Oise et Goupilleau disposaient l'armée à un mouvement général, et tandis que Richard, Choudieu et Ruelle formaient à Angers une commission centrale de surveillance, il s'en établissait une semblable à Tours. Ces commissions avaient surtout pour objet de surveiller les opérations administratives et militaires, de régler le désarmement et l'arrestation des personnes suspectes de royalisme, la mise en réquisition des armuriers et de tous les objets nécessaires aux défenseurs de la république.

De toutes parts les révolutionnaires se hâtaient de voler au secours de Niort. Peut-être seraient-ils arrivés trop tard si les Vendéens eussent marché sur cette ville le lendemain de la prise de Fontenay. Mais leurs chefs réunis en conseil, furent partagés d'opinion. Les uns alléguèrent qu'on trouverait le pont de la Sèvre coupé ; de là des difficultés insurmontables : d'autres proposèrent l'attaque des Sables-d'Olonne, pour s'ouvrir une communication maritime. Pendant ces débats, les paysans, pressés d'aller raconter leurs exploits dans leurs chaumières, abandonnèrent l'armée ; de sorte que vingt-quatre heures après la conquête de Fontenay, on n'était déjà plus en force pour marcher sur Niort. Le penchant irrésistible des Vendéens pour leurs foyers, le danger de laisser le pays insurgé sans défenseur, l'absence de d'Elbée et de Bonchamps, que leurs blessures retenaient loin de l'armée, décidèrent les autres chefs à rentrer dans le Bocage. On délaissa Fontenay, ville ouverte, située dans la plaine, et entourée, d'ailleurs., de paysans républicains. Le quartier-général fut reporté à Chollet. L'événement justifia bientôt cette contre-marche, qui, d'abord, ne fui déterminée que par les hasards de la guerre. C'était au nord de la Vendée, vers Saumur, qu'allait fondre l'orage.

A peine l'armée royale s'était emparée de Fontenay, que le général Salomon, à la tête de trois mille républicains, s'était reporté sur Thouars ; de là ses détachements avaient répandu l'alarme dans le pays insurgé, et poussé des patrouilles jusque vers Argenton. Une poignée de Vendéens, qui comptaient plus encore sur l'inaction du général ennemi que sur leurs propres forces, se rassemblèrent à la Fougereuse ; ils n'avaient aucun chef marquant. Informé par ses espions, qu'un faible rassemblement lui était seul opposé, le général Salomon tomba inopinément sur la Fougereuse, et s'en empara.

D'un autre côté, le général Lygonier, sorti de. Doué avec une forte division, faisait des incursions à Vihiers, et menaçait Chollet. Tous les villages circonvoisins expédiaient courriers sur courriers, au quartier-général, pour réclamer de prompts secours. La Rochejacquelein et Lescure — ils étaient toujours les premiers au combat — ramassent, aux Aubiers, leurs soldats pour arrêter la marche de l'ennemi. Stofflet, de son côté, avec ses Angevins rassemblés à la hâte s'avance et reprend Vihiers. Lygonier revient en force, et repousse Stofflet, qui se replie sur le quartier-général. La Rochejacquelein et Lescure arrivent le même soir, avec deux mille hommes, au secours de Stofflet. Les républicains, qui s'étaient embusqués, démasquèrent une batterie de six canons. Mais son feu meurtrier n'arrêta point les royalistes ; ils rentrèrent dans Vihiers : ainsi cette ville fut prise trois fois en un jour. Quinze mille Vendéens se trouvèrent bientôt réunis sous les ordres de Lescure, La Rochejacquelein, Stofflet, Cathelineau, Beauvollier et Marigny. On marcha sur Doué. L'armée républicaine, commandée par Lygonier, était campée sur les hauteurs de Concourson, position avantageuse qui couvrait la ville de Saumur, Ce général n'en sut tirer aucun parti. Le 7 juin, ses avant-postes, vivement attaqués, lâchèrent le pied sans combattre ; mais au corps d'armée plusieurs bataillons tinrent ferme, et le combat, devenu sanglant, dura cinq heures. A la fin, n'étant pas soutenus, ces mêmes bataillons auraient été enveloppés, si, pressés déjà de toutes parts, ils n'eussent pris la fuite en désordre. Poursuivis par les vainqueurs qu'enhardissaient le succès, ils ne se rallièrent que sur les hauteurs de Bournan, à une demie-lieue de Saumur. La bonté de la position et le feu des batteries arrêtèrent enfin les royalistes, qui, exaltés par la victoire et maîtres du terrain, étaient décidés à emporter Saumur, l'une des clefs de la Loire.

Situé sur la rive gauche du fleuve, un peu au-dessous de son confluent avec le Thouet, Saumur était défendu par son château, alors à l'abri d'un coup de main ; par le Thouet, rivière large et profonde, et en face par la butte de Bournan, qui domine la route de l’intérieur de la Vendée, et couvrait ainsi les approches. D'ailleurs la prise de Thouars avait donné l'idée de fortifier Saumur, et déjà on avait ouvert des retranchements. Ils devaient commencer à la Loire, couronner de là les hauteurs, et se joindre au Thouet. On n'avait qu'ébauché les ouvrages, il est vrai, mais la butte de Bournan était hérissée de redoutes qui bordaient le chemin et pouvaient contenir chacune cinq cents hommes. Des batteries formidables qui balayaient tout le vallon intermédiaire, garnissaient le château bâti sur le coteau opposé. Enfin on avait abattu les murs des clos de vignes circonvoisins qui auraient pu masquer les attaques de l'ennemi.

L'armée républicaine, commandée par les généraux Lygonier, Menou, Berruyer et Berthier, avait pris-position et enveloppait Saumur à la gauche du fleuve, sa droite, appuyée sur Saint-Florent, et sa gauche sur les hauteurs, en avant du château. Le camp retranché de Varrins formait comme le centre de cette ligne d'une demi-lieue d'étendue, garnie par seize mille hommes environ ; mais qui étaient découragés par les défaites précédentes. Les bataillons battus à Doué, bivouaquaient dans les redoutes de Bournan, il fallut les réorganiser et remplacer les canons qu'ils avaient perdus. Indignés de l'impéritie de Lygonier, les commissaires de la convention le destituèrent, et le général Menou prit le commandement en chef : il eût appartenu de droit au général Duhoux, s'il n'eût été retenu encore par les blessures qu'il avait reçues à Chemillé. Les généraux Santerre et Coustard, étant arrivés au camp, prirent leur rang dans la ligne. Les commissaires de la convention, alarmés de l'approche des royalistes, ordonnent l'armement des habitants de Saumur et des campagnes ; ils pressent l'achèvement des travaux et s'assemblent fréquemment pour combiner, avec les généraux, tous les moyens de défense. Mais leurs mesures se ressentaient de la précipitation et du trouble inséparable d'un pareil conflit. Soit qu'on voulût aussi inspirer la terreur, soit qu'on eût soif de sang, les meneurs révolutionnaires eurent Vidée de donner, dans Saumur, la représentation d'une de ces horribles scènes qui avaient souillé Paris et tant d'autres villes. Il fallait un prétexte ou une occasion, et le dimanche g juin avait été choisi pour l'inauguration, dans le sein de l'assemblée populaire, du bonnet rouge symbole d'une liberté hideuse. On y avait invité les corps administratifs et militaires ; tout était concerté pour ensanglanter la scène. A la suite de la cérémonie populaire, des harangues frénétiques eussent exaspéré la populace et les soldats contre les riches, signalés comme aristocrates, et on eut vu les plus furieux démagogues, mêlés à des brigands infâmes, massacrer sans pitié les principaux habitants de Saumur soupçonnés de royalisme et voués d'avance aux poignards des assassins. Mais le jour même qui devait éclairer le crime, l'armée royale, par une attaque soudaine, laissa à peine aux r évolutionnaires le temps de songer à leur propre sûreté. Entrons dans les détails de l’événement.

Il n'y eut d'abord de l'hésitation que de la part des chefs, car parmi les soldais vendéens l'impulsion était telle que tous voulaient à tout prix conquérir Saumur. Lorsque, le 7, l'avant-garde 'avait poursuivi les républicains jusqu'aux redoutes de Bournan, le comte de Beauvollier, qui connaissait le terrain, avait jugé combien l'attaque de front serait imprudente. En ramenant l'avant-garde à Doué, il avait rendu compte, aux chefs réunis, des motifs de sa retraite. Le marquis de Donnissan, de son côté, venait de représenter au conseil combien le passage du Thouet serait un obstacle, si l'on attaquait par. Doué en ligne droite, et combien on s'exposerait au danger d'être pris à dos par le corps d'armée du général Salomon, qui était posté à Thouars. Il avait proposé de conduire l'armée par Montreuil-Bellay, situé sur la route de Thouars à Saumur, afin de rester maîtres des communications entre ces deux villes. Quant au passage du Thouet, il s'effectuerait plus aisément par le pont de Saint-Just, à deux lieues de Saumur. Sur son avis ; on décide que l'attaque se fera par la droite, en filant sur Varrins et sur les hauteurs du château ; ainsi l'armée royale s'avance obliquement par Montreuil, en décrivant un angle dans sa marche.

En prenant le commandement en chef par intérim, le général Menou avait résolu, mais trop tard, de resserrer sa ligne. Le général Salomon, reste Thouars, mauvaise position depuis la défaite de Lygonier, reçut l'ordre de marcher au secours de Saumur. L'armée royale était déjà dans Montreuil lorsqu'elle fut avertie de ce mouvement : elle se divisa, La majeure partie, commandée par Lescure, La Rochejacquelein et Stofflet, continua sa route le long du Thouet, et prit position à Saint-Just ; le reste garda Montreuil, pour ramasser les traîneurs et arrêter la colonne ennemie qui venait de Thouars. Le marquis de Donnissan fit fermer les portes de Montreuil, derrière lesquelles on braqua des canons chargés à mitraille. Au coucher du soleil, les gardes avancées aperçurent au loin la division de Salomon sur la grande route, marchant sans ordre, sans nulle défiance. Aussitôt Donnissan, Beauvollier rainé et Cathelineau rassemblent les Vendéens et font disposer l'artillerie. Le général Salomon, trompé par ses espions, se, trouve inopinément nu milieu même des royalistes. Tout-à-coup les portes de Montreuil s'ouvrent, et démasquent les canons chargés à mitraille. 'Leur feu renverse les premières files des républicains ; le reste se rallie, mais en désordre, et reçoit le choc des Vendéens, qui, malgré l'obscurité, s'élancent sur les baïonnettes. Salomon se défend avec 'intrépidité pendant trois heures, et reporte le carnage dans les rangs des royalistes ; mais accablé enfin par le nombre e il perd la moitié de ses soldats, son artillerie et ses bagages, lui-même n'évite la mort qu'en restant couché dans un fossé ; puis, à la faveur de la nuit, il regagne Thouars, où ses fuyards épouvantés n'osent prendre position. Se repliant sur Niort, il abandonne Saumur à ses seules forces.

Le bruit de la défaite de Salomon &Montreuil, s'étant répandu aussitôt dans Saumur, y porta la consternation. Mais tout était disposé pour une défense opiniâtre ; pouvait-on supposer, d'ailleurs, qu'un ramas de paysans indisciplinés et sans ordre s'emparerait d'une ville couverte d'abord par de bonnes positions, hérissée de canons et d'ouvrages et qui, pour garnison, avait une armée entière ?

Cependant, le lendemain 9 juin, le gros de l'armée royale, qui s'était porté à Saint-Just n'attendait plus que le signal de l'attaque. Dès la veille, La Rochejacquelein avait poussé des parties de cavalerie pour inquiéter les avant-postes, et tenir, toute la nuit, les républicains sur pied. Quelques chefs, réunis de nouveau en conseil, élevaient des doutes sur le succès d'une entreprise qui paraissait téméraire. Comment se flatter, en effet, qu'avec de simples paysans, on, emporterait des retranchements défendus par des troupes régulières et par soixante pièces ; de canon ? Pourquoi d'ailleurs ne pas attendre la division de Bonchamps qui était en marche ? Ce chef, retenu par ses blessures, manquait au conseil et au combat ? Le marquis de. Donnissan déclara qu'une attaque mal conduite pouvait entraîner la perte de l'armée ; en effet, en supposant qu'on fût vigoureusement repoussé, les troupes retranchées à Bournan et la garnison du château pouvaient fondre sur l'armée et la détruire.

Mais l'enthousiasme, comme dans tous les succès des, Vendéens, devait l'emporter encore sur la réflexion et sur la prudence. Tandis que les officiers délibèrent, les paysans, qui frémissaient d'impatience, courent à l'envi vers Saumur, aux cris répétés de vive le Roi ! et devancent les ordres des généraux. Ils marchent confusément, animés par l'inspiration du courage, exaltés par l'espoir des récompenses célestes. L'impulsion est telle qu'à peine leurs officiers peuvent les suivre. Au lieu d'attendre au lendemain, pour que tout soit combiné, pour que les forces soient réunies, tous veulent donner l'assaut dans le jour même. Tandis que Stofflet, Cathelineau et Desessarts gagnent-les hauteurs avec les Angevins, simulant l'attaque du château, pour détourner son feu de dessus les divisions qui suivent les bords du Thouet, Lescure se met à la tête de l'aile gauche, pour attaquer par le pont Fouchard, et tourner les redoutes de Bournan. Au centre, La Rochejacquelein marche avec sa division, vers les prairies de Varrins, pour attaquer le camp retranché, qui, de ce côté, défend Saumur. Tous les points sont menacés à la fois :

Les Angevins, protégés à droite et à gauche par un mur et une colline qui les garantissaient de la canonnade du château, tournèrent d'abord tous les avant-postes sur la route de Doué. Le feu d'une mousqueterie meurtrière s'engage alors entre les tirailleurs des deux partis. Attaquées toutes à la fois, les divisions républicaines, séparées par de longs intervalles, restent dans la plus vive attente, car on ne pouvait démêler encore ni le plan des royalistes, ni quel serait le point d'attaque décisif.

Cependant, Lescure prenant sa direction vers l'abbaye de Saint-Florent, eut à combattre la plus forte division républicaine, chargée de défendre, sous les ordres du général Menou, le pont Fouchard et la principale entrée de Saumur. Là la résistance fut aussi vive que l'attaque. Quelques bataillons se précipitèrent en avant du pont sur la première ligne des assaillants, qui après avoir été rompus, se rallièrent. Revenant alors à la charge et joint par des troupes &aiches Lescure fait à son tour plier les républicains, que leur cavalerie refuse d'abord de soutenir. Dans le même moment une balle lui traverse le bras gauche ; il est forcé de se retirer pour étancher le sang qui coulait en abondance, et ses soldats s'écrient : « Nous sommes perdus ! il est blessé ! » La plupart même donnent l'exemple de la fuite, et toute la colonne, cédant le terrain, se replie en désordre. Heureusement deux caissons renversés sur le pont fermèrent le passage aux cuirassiers républicains, accourus pour charger les Vendéens. En même temps arrive Dommaigné avec la cavalerie royaliste : il veut arrêter aussi les cuirassiers, et reçoit leur choc. Mais comment résister, avec une cavai crie si imparfaite, à une troupe, pour ainsi dire, invulnérable sous une armure de fer ? Etonnés de leur porter des coups inutiles, les cavaliers Vendéens les plus hardis sont forcés à la retraite, et abandonnent leur chef, renversé d'un coup de mitraille. Vainement le brave Loiseau de Trementine s'efforce, par des prodiges de valeur, d'arracher à l'ennemi le malheureux Dommaigné, déjà foulé sous les pieds des chevaux : il tue trois hussards sur le corps de son général ; et blessé lui-même d'un coup de sabre, environné d'ennemis, il se laisse tomber comme mort, dans l'espoir d'éviter des coups mortels.

Cependant Lescure, qui s'était fait poser sur le bras un simple appareil, avait rappelé ses soldats, les avait rassurés, ralliés, et se remettant, à leur tête, il leur déclare qu'il faut retourner à l'ennemi. Tous avancent derechef, s'appuyant aux caissons renversés, tirant par-dessus, visant aux yeux des cuirassiers ou à leurs chevaux, avec tant d'adresse, qu'ils parviennent à les abattre presque tous. Là ils trouvent gisant l'intrépide Loiseau, qui, à leur approche, se relève, prend une pique et charge avec l'infanterie.

Pendant ce temps-là, Henri de La Rochejacquelein attaquait, avec sa division, le camp retranché de Varrins, qui opposait une vive résistance. Il n'y avait pas un moment à perdre ; toutes les divisions vendéennes, engagées séparément, se trouvaient coupées, en quelque sorte, par des positions où l'ennemi tenait ferme, et, au moindre revers, l'armée pouvait être détruite, ainsi que l'avait fait pressentir le marquis de Donnissan. Le danger fut confirmé par Cathelineau : il venait de gravir, à travers une grêle de balles, la hauteur du côté du château, d'où il avait observé attentivement les positions de l'ennemi et la situation de la bataille. Là, jugeant d'un coup d'œil que l'attaque était mal conduite, que l'armée royale ne pouvait se développer entre le côteau et la rivière, il avertit les chefs qu'il faut emporter de suite le camp de Varrins, pour sortir glorieusement d'une situation aussi critique. Lui-même renforce l'attaque, tandis que M. de Beaugé, venant de Saint-Just, avec sept à huit cents, hommes de réserve, s'avance pour prendre le camp à revers. Les républicains s'intimident : le général Coustard, qui commandait le centre, ordonne de marcher au secours du camp ; mais il n'est point écouté. Il allait enfin décider sa troupe, lorsqu'une batterie des royalistes lui ferma le passage. A l'instant, la cavalerie reçut l'ordre de l'enlever. « Où nous envoyez-vous, lui dit le commandant ? A la mort, répond Coustard ? le salut de la république ». Le colonel Weissen, à la tête de sa cavalerie, emporte la batterie et tue les canonniers sur leurs pièces. Mais l'infanterie refusa de le soutenir, et ces intrépides cavaliers périrent presque tous : Weissen revint couvert de blessures. Mais la droite et la gauche restèrent sans appui, et le centre fut ébranlé.

Cependant M. de Beaugé, après avoir rallié cinq à six cents hommes, et doublé ainsi son détachement, saute le fossé qui le séparait du camp républicain, abat un mur qui en défendait l'entrée, de sorte que son feu se croise avec celui de La Rochejacquelein et de Cathelineau. Les républicains, assaillis de toutes parts, chancellent dans leurs positions. Alors quelques l'aches s'écrient : à la trahison ! nous sommes coupés ! et les nouvelles levées, frappées de terreur, se débandent sans qu'aucun effort puisse les rallier. Ce ne fut plus dès-lors qu'un enchaînement de succès pour les royalistes, d'ont les divisions, coupées les unes des autres, un instant auparavant, eurent enfin leurs communications libres. Le centre et la droite des républicains furent également forcés. D'un côté Lescure, de l'autre La Rochejacquelein et Cathelineau sautèrent dans les retranchements et s'emparèrent des canons. Les généraux Menou et Berruyer s'efforcèrent vainement de rallier le reste de leur cavalerie, afin de protéger la retraite. Blessés, ils perdirent leurs chevaux et furent entraînés par les fuyards, qui traversaient la ville en poussant le cri fatal de sauve qui peut ! Dans cette déroute, le conventionnel Bourbotte, qui avait eu son cheval tué sous lui, eût été fait prisonnier, si Marceau, alors officier dans la légion Germanique, ne lui eût donné son propre cheval, et ne se Mt exposé au plus grand péril pour le sauver. De cette époque date la fortune de ce jeune militaire, devenu célèbre depuis. Perdus dans un nuage de poussière, les fuyards furent pressés ou enveloppés par la cavalerie vendéenne, qui les poursuivant au galop, coupait leurs files inégales ; la plupart furent environnés, et mirent bas les armes ; on vit toutefois une poignée de braves du régiment de Picardie se précipiter plutôt dans la Loire et préserver ainsi leurs drapeaux.

Saumur, sans défense, allait tomber au pouvoir des royalistes. On se battait encore à l'entrée de la ville, quand La Rochejacquelein, emporté par sa bouillante valeur, met le sabre à la main, sa Carabine 'en bandoulière, et suivi d'un seul officier (Laville de Beaugé), s'élance à la poursuite des fuyards, pénètre même dans les rues. Là il voit un bataillon qui descendait du château, soit pour défendre Saumur, soit pour se joindre à l'armée en fuite ; il tire dessus, aidé par M. de Beaugé, qui rechargeait sa carabine. Dans leur effroi, les soldats croyant avoir à combattre l'armée victorieuse, jettent leurs fusils et retournent s'enfermer au château. De suite La Rochejacquelein s'avance sur la place de la Bilange, bravant les coups de fusils de quelques fuyards qui se détournent pour faire feu ; il en abat lui-même plusieurs, et renverse à ses pieds, d'un coup de sabre, un dragon qui, arrivé sur lui, le pistolet en main, venait de le manquer. Surviennent en foule ses propres soldats ; lui, se mettant à leur tête, poursuit et chasse les fuyards de l'autre côté de la Loire, sur la route de Tours ; mais réfléchissant que les autres corps vendéens ne le soutenaient pas et se trouvaient peut-être coupés, il rétrograde et fait détruire une partie du pont de bois, mettant ainsi l'armée hors de l'atteinte d'une surprise, par le retour inopiné des vaincus. A sa rentrée dans la ville, on lui apprend que les troupes retranchées à Bournan tiennent encore. Il s'y porte aussitôt et vient caracoler à cheval sous les redoutes, pour les reconnaître. Son cheval est tué sous lui, et une nouvelle fusillade s'engage entre les républicains retranchés et les Vendéens qui viennent les assaillir. te feu se prolonge le reste du jour, et même pendant la nuit. Particulièrement chargé de l'attaque, Bernard de Marigny avait si bien embusqué les paysans, qu'à peine les républicains mettaient la tête hors des redoutes, qu'ils étaient tués presqu'à bout portant. Saumur pris, et eux ne pouvant plus tenir, ils-évacuèrent à minuit les retranchements, avec tant de confusion, que les Vendéens purent tourner contre eux les canons qu'ils abandonnaient, et les foudroyer dans leur retraite précipitée. Mais le château, qui renfermait les plus ardents révolutionnaires de Saumur, résistait encore. Le chevalier de Beauvollier, porteur d'une sommation, s'en approche, à la lueur des flambeaux, accompagné d'une troupe de femmes qui conjuraient leurs époux de ne point s'obstiner à se défendre. Une décharge de mousqueterie accueille Beauvollier aux pieds des remparts. Les royalistes indignés, craignant d'ailleurs un mouvement contre eux dans la ville, délibéraient si l'on n'y mettrait pas le feu, quand Joly, commandant du château, envoya un parlementaire. On rejeta ses propositions, mais sur les instances des habitants, Bernard de Marigny et Beauvollier l'ainé entrèrent eux-mêmes en pourparlers et réglèrent la capitulation. Il fut stipulé que la garnison, forte de quatorze cents hommes, resterait prisonnière, et que les officiers seuls seraient renvoyés sur parole. Le reste de la nuit se passa sans trouble. Toutefois les Vendéens n'osant s'établir dans les maisons, bivouaquaient dans les rues et sur les places publiques, tandis que l'armée républicaine, en pleine déroute, et désorganisée, fuyait dans plusieurs directions à Tours, à Angers, à Beaugé, à la Flèche, au Mans, oû partout elle semait l'alarme. Peu de journées ont été plus glorieuses pour les Vendéens : leurs chefs s'y firent remarquer par des prodiges de valeur. Le jeune Beaudry-d'Asson fut tué en combattant. Lescure fut blessé en ramenant ses soldats à la charge, et Dommaigné perdit la vie en s'efforçant de repousser les cuirassiers, dont le colonel, Chaillot' de la Guérinière, fut blessé grièvement. Le lendemain, toute l'armée royale fit son entrée dans Saumur, dont elle prit possession. Les quatorze cents hommes qui tenaient garnison au château, mirent bas les armes et défilèrent devant les vainqueurs. En cinq jours de combat, douze mille prisonniers étaient tombés en leur pouvoir à Doué, à Concourson, à Montreuil, à Saumur. La conquête de cette dernière ville leur donnait quatre-vingts pièces de canon, des milliers de fusils, de la poudre, du salpêtre, un passage important sur la Loire, des communications avec deux départements, la Sarthe et la Mayenne, et des ressources immenses. En outre ils auraient pu tirer, des campagnes environnantes, vingt mille insurgés de plus, par la seule possession de Saumur. Les généraux vendéens s'assemblèrent, et décidèrent en conseil qu'on s'y établirait.

Du reste, Saumur fut mal défendu, : les républicains auraient dû l'évacuer, couper les ponts, et s'attacher uniquement à disputer le passage de la Loire. En résistant ils se firent battre, affaiblirent leurs forces, accrurent le découragement. Angers, le Pont-de-Cé ; la navigation de la Loire furent livrés. On compromit le sort de Nantes, on exposa les départements d'Indre-Loire et de la Vienne aux incursions et aux ravages ; l'épouvante glaça tous les cœurs, et l'on désespéra, dans ces contrées, du salut de la république.

Tout considéré, la prise de Saumur est l'exploit le plus étonnant des Vendéens. Cette suite de victoires pendant quatre jours, l'occupation d'une place regardée comme très-importante, par tous les partis qui ont agité la France, et le grand nombre de républicains qui venaient de périr sous ses murs, leur donnèrent l'espoir que l'anarchie allait enfin expirer et la monarchie se rétablir. Il semblait qu'on dût accourir de toutes parts pour se réunir à eux. Mais l'épouvante était partout, et on crut plus sûr de s'isoler. D'ailleurs, leur cause ne pouvait entraîner que des cœurs ardents et généreux. Telle était la faiblesse de leurs moyens, que la plupart des chefs furent plus étonnés de leurs succès que de leurs défaites. Quand la Rochejacquelein jeta les yeux sur ces immenses dépouilles enlevées aux républicains, sur cet amas formidable de cuirasses — presque tous les cuirassiers avaient succombés —. « Savez-vous, dit-il à l'un de ses officiers qui le voyait pensif, quel est celui qui est le plus étonné de nos succès ? Comme on hésitait à lui répondre : C'est moi, ajouta-t-il ».

La division de Bonchamps, forte, de cinq mille hommes, n'arriva que le lendemain de la bataille. Elle avait pour officiers MM. Fleuriot de la Fleuriaye aimé et cadet, le vicomte de Scépeaux beau-frère de Bonchamps, Piron de La Varène les frères Martin de la Pomeraie, et le brave Gourdon ; tous servaient avec zèle sous les ordres de Bonchamps. Ce chef, encore retenu par ses blessures, ne reparut que plus tard à l'armée.

Ce fut à Saumur que Charles Beaumont d'Autichamp et le prince de Talmont joignirent les Vendéens. Tous deux avaient en partage la jeunesse, la valeur et' un nom déjà cité dans l’histoire. On avait vu d'Autichamp, la fleur l'âge, entrer, ainsi que La Rochejacquelein son ami, dans la garde constitutionnelle de Louis XVI, et défendre le palais du monarque dans l'affreuse journée du 10 août. Fait prisonnier par les révolutionnaires, il n'avait dû la vie qu'à son sang-froid. Il revint dans l'Anjou avec La Rochejacquelein, mais ne put joindre les royalistes qu'a Saumur. Il s'attacha aussitôt à Bonchamps, son cousin germain, dont il devint un des officiers les plus distingués.

Quoique livré aux plaisirs, le prince de Talmont, de l'illustré maison de la Trémoille, s'était déclaré de bonne heure pour le Roi, sans s'effrayer des orages révolutionnaires. Zélé pour la confédération poitevine, dont il était membre, il passa d'abord en Angleterre pour y veiller aux intérêts de son parti. Réuni aux émigrés en 1792, il fit cette première campagne comme aide-de-camp du comte d'Artois, et revint en France, où il rapporta, pour les provinces de l'ouest, un nouveau plan d'insurrection que devancèrent les événemens. Il parcourait ses domaines, quand le soulèvement de la Vendée vint à éclater. Arrêté alors, transféré dans les prisons d'Angers, voué dès ce moment à l'échafaud, il ne fut sauvé que par une intrigue heureuse que ménagea l'abbé de La Trémoille, son frère, dans le sein même de la convention. Un député qu'on avait séduit — j'ai promis de taire son nom — se transporta dans les prisons d'Angers pour concerter l'évasion de Talmont, auquel il proposa de retourner en Angleterre ou de passer dans la Vendée. « Je choisis la Vendée, répond le prince ; tout mon sang est pour mon Roi, et je le verserai pour lui jusqu'à la dernière goutte ». Pendant sa translation d'Angers à Laval, ses propres gardes favorisèrent sa fuite, et des paysans apostés l'escortèrent jusqu'à Saumur. Son arrivée fit sensation parmi les royalistes : l'illustration de sa famille et de son nom en imposait à la multitude. C'était d'ailleurs un des beaux hommes de l'armée. On eut à lui reprocher ses profusions et sa passion immodérée pour les femmes, dans un moment où tout ne respirait que la guerre ; mais on a depuis oublié ses défauts, pour ne plus garder le souvenir que de sa bravoure et de ses malheurs. Talmont fut créé sur-le-champ général de la cavalerie vendéenne, et prit place au conseil. On nomma Forestier son général en second. Fils d'un cordonnier, mais doué des dispositions les plus heureuses, ce jeune Angevin finissait à peine ses études quand il se mêla aux premiers insurgés de la Vendée. Une figure gracieuse, une valeur héroïque et une intelligence au-dessus de son 'âge, le firent remarquer et causèrent son élévation. Aussi était-il l'enfant chéri des Vendéens. Les généraux s'assemblèrent pour délibérer sur leurs projets ultérieurs. Les uns voulaient marcher sur Tours, et de là soulever les deux rives de la Loire ; d'autres étaient d'avis de fortifier Angers et Saumur ; de se porter ensuite sur Niort, et d'y battre l'armée de Biron, pour se délivrer de toute inquiétude au midi. Quelques-uns enfin opinèrent pour attaquer Nantes, où ils avaient des intelligences. Cet avis prévalut ; mais il n'y eut point de scission dans le conseil, comme on l'a faussement publié. A la vérité, le parti breton, que dirigeaient Bonchamps, Talmont et Fleuriot, profita de son ascendant pour faire attaquer Nantes, et manifesta dès-lors l'intention de soulever la Bretagne, d'après les vues de la Rouerie. On arrêta également qu'il serait transmis à tous les comités établis au sein de la Vendée, une proclamation annonçant l'importante conquête de Saumur.

Lescure, blessé, épuisé, accablé de fatigue, avait besoin surtout de repos et de soins. Ses amis le pressèrent, avec instances, de se retirer au château de la Boulaye, où était sa famille. Avant de quitter l'armée, il fit agiter, dans le conseil, la nomination d'un généralissime. « Notre insurrection, dit Lescure, prend de la consistance ; nous avons fait ici une véritable conquête. Ne sentez-vous pas comme moi la nécessité de nommer un général en chef pour la grande armée ? L'absence de quelques officiers supérieurs ne nous permet, il est vrai, qu'une nomination provisoire ; ce ne sera qu'après y avoir pourvu, que je pourrai me livrer au repos que ma santé réclame ». Rattacher le pouvoir militaire à une seule volonté, enchaîner toutes les ambitions, diriger vers un seul but tous les moyens, tous les efforts de la confédération vendéenne, c'était, là sans doute une idée heureuse. Lescure proposa Cathelineau : il le proposa comme le plus brave, comme ayant paru le premier à la tête des insurgés et comme appartenant à la classe plébéienne, à laquelle on devait, selon lui, donner la préférence ; car il fallait prouver que ce n'était ni l'amour du pouvoir, ni l'intérêt particulier qui guidait les nobles poitevins dans cette guerre monarchique. Ces motifs triomphèrent, et Cathelineau fut nommé à l'unanimité des suffrages. Cet homme, voiturier quatre mois auparavant, se trouva tout-à-coup le généralissime d'une armée formidable et victorieuse.

Sa nomination fut bientôt confirmée par d'Elbée et par Bonchamps. On en dressa le brevet, qui est déposé en original au bourg de Pin-en-Mauges ; il est ainsi conçu : « Aujourd'hui 12 juin, l'an Ier du règne de Louis XVII, nous soussignés, commandant les armées catholiques et royales, voulant établir un ordre stable et invariable dans nos armées, avons arrêté qu'il sera nommé un général en chef de qui tout le monde prendra l'ordre. D'après cet arrêté, tous les vœux se sont portés sur M. Cathelineau, qui a commencé la guerre, et à qui nous avons voulu donner des marques de notre estime et de notre reconnaissance. En conséquence, il a été arrêté que M. Cathelineau serait reconnu général de l'armée, et que tout le monde prendrait l'ordre de lui. Fait à Saumur, en conseil, les jour et an que dessus ».

Signé, LESCURE, DE BEAUVOLLIER, BERNARD DE MARIGNY, DE HARGUE, STOFFLET, DE LAUGRENIÈRE, LAVILLE DE BAUGÉ, DE LA ROCHEJACQUELEIN, Chevalier DE BEAUVOLLIER, D'ELBÉE, DUHOUX-D'HAUTERIVE, DE BOISI, TONNELET-DESESSARTS, DE BONCHAMPS.

 

Ce choix fut généralement applaudi, excepté par celui qui en était l'objet ; car jamais homme n'eut plus de modestie et moins d'ambition. Cet illustre paysan joignait la rectitude dans les conseils, à la valeur et au sang-froid dans l'action, à la prudence dans les succès et à la fermeté dans les revers. Sur le champ de bataille, il avait un coup-d'œil sûr ; jamais il ne se trompait sur les causes d'une défaite ni sur les moyens de vaincre. Après avoir proclamé Cathelineau, les chefs de la Vendée sentirent qu'il était temps d'agir, et ils résolurent l'attaque d'Angers et de Nantes. La Rochejacquelein garda Saumur avec sa division, tant pour couvrir la Vendée, que pour conserver l'une des plus importantes communications de la Loire. On venait d'y établir un comité royaliste et un état-major, et pour lieutenant de roi, M. de La Pelouze, maréchal-de-camp retiré. Il fit un plan pour garder Saumur avec une garnison de quatre mille hommes ayant une solde fixe. Mais on ne pouvait se flatter de retenir les paysans vendéens, pas même avec une solde ? Tous les efforts des officiers, à cet égard, étaient inutiles. Excellent pour un coup de main et dans un jour de bataille, le soldat de la Vendée était incapable de soutenir un siège. Aussi ne put-on organiser à Saumur que deux compagnies franches, composées d'environ quatre cents déserteurs des légions Germanique et Rosenthal, presque tous Allemands ou Suisses de la maison de Louis XVI. Ces transfuges, et surtout leurs officiers, Tarapon, de Keller, Lefranc-de-Boispreau, de Monlinier et Talvaz, se distinguèrent depuis par leur intelligence et leur bravoure.

L'armée étant à Saumur, un détachement, commandé par Beauvollier l'aîné, se porta sur Loudun, et un autre parti plus faible s'empara de Chinon. Les républicains crurent un instant que l'armée royale se dirigeait sur Tours ; mais Chinon et Loudun furent bientôt abandonnés. Les députés de Chinon, qui avaient réclamé des conditions supportables, venaient de recevoir la réponse suivante, qui donne une idée de la politique des chefs vendéens, à l'époque la plus brillante de leur histoire. « Nous ne combattons point pour faire des conquêtes, pour prendre des villes, pour faire des prisonniers, acquérir une puissance ; nous venons seulement pour ramener l'ordre, la religion et la paix, dont vous sentez le besoin comme nous. Si vous vous défendez, nous vous combattrons loyalement, et après, nous vous regarderons comme des amis, et nous prendrons les mesures nécessaires pour ramener parmi vous le règne de la religion et de la monarchie, que nous croyons indispensables à votre bonheur et au nôtre. Si, au contraire, vous nous tendez les bras, vous êtes d'avance nos amis, et nous prendrons, de concert avec vous, les moyens les plus prompts pour parvenir à ce même but ». C'est ainsi qu'alliant la politique à la force des armes, les royalistes profitaient de leurs succès pour se faire de nouveaux partisans.

Les républicains n'avaient plus à leur opposer pour barrières qu'Angers, Niort et Nantes. Niort renfermait tout au plus vingt mille hommes, dont moitié seulement de troupes aguerries. Sept mille soldais défendaient Angers et les Ponts de Cé. Les commissaires conventionnels dépêchèrent un de leurs collègues au général Biron, pour lui ex poser l'état déplorable de l'armée de Saumur, et pour l'engager à faire une prompte diversion qui pût arrêter l'ennemi. Un autre commissaire porta l'ordre à la garnison d'Angers, de se retirer sur Tours par La Flèche, en cas d'échec Enfin un troisième se rendit auprès du comité de salut public pour solliciter des secours ; mais ce comité, encore étourdi par la crise du 51 mai, dont je parlerai bientôt, ne put alors s'occuper de la Vendée, ni rien accorder.

A la séance du 22 juin, des envoyés de Nantes firent, à la barre de la convention, le tableau déchirant de la malheureuse situation de cette ville, environnée de rebelles et livrée à ses propres forces : ils réclamèrent de grandes mesures, proposèrent de sonner le tocsin dans toute la France, et de se lever en masse ; étranges propositions, qui indiquaient déjà l'irritation des esprits et le délire révolutionnaire qui s'emparait de toutes les têtes. Ces propositions furent tour à tour combattues et appuyées. Thuriot n'y vit qu'une source de désordres et de déchirements : il demanda que l'assemblée ne prît que des mesures maries dans le comité de salut public. Barère, qui en était membre, observa que, depuis son institution, le comité avait senti que la plaie la plus dangereuse de la république était la Vendée ; « et c'est, dit-il, particulièrement sur ce chancre politique qu'il a porté ses soins et sa sollicitude ». L'expression de Barère fut répétée dans toute la France. On verra quelle induction cruelle on en tira par la suite. « Il est, ajouta Barère, une peste qu'il faut détruire, et à laquelle le comité propose de porter remède ; je veux parler de la désertion ». En effet, il suffisait aux prisonniers, pour rester libres, de prêter le serment de ne jamais porter les armes contre Louis XVII, contre la religion catholique, et en particulier contre l'armée royale. On leur donnait acte du serment, et, après leur avoir coupé les cheveux, on les renvoyait dans leurs foyers. Tant de modération faisait non-seulement des prosélytes aux royalistes, mais elle tendait encore à enchaîner le courage du soldat républicain.

Aussi la convention prononça-t-elle, sur la proposition de Barère, les peines les plus sévères contre les déserteurs et les prisonniers qui, munis de passe-ports des Vendéens, se croiraient dispensés de rentrer sous leurs drapeaux.

Les administrateurs d'Eure-et-Loir vinrent aussi déposer à la barre leurs inquiétudes au sujet de la prise de Saumur et de l'invasion présumée de la Mayenne et de la Sarthe, où l'alarme s'était répandue. Ils proposèrent également de sonner le tocsin, de se lever en masse, de faire porter, à la tête de l'armée, la statue de la liberté, environnée d'un certain nombre de législateurs. Tallien, qui arrivait de Saumur, s'éleva contre ces motions délirantes. Il dit que les républicains ne devaient leurs défaites qu'au morcèlement des troupes ; il annonça plus d'ensemble et plus de fermeté dans les mesures de défense.

Dans la capitale c'était de l'agitation, dans l'ouest de la frayeur. L'armée royale marchait sur Angers où les républicains auraient voulu combattre. Un conseil de guerre décida l'évacuation de la ville, motivée sur des ordres supérieurs. « Angers, avait écrit le général Menou, ne peut être défendu ». Cependant, il était contraire aux décrets d'abandonner une place avant d'avoir constaté, par procès-verbal, qu'elle n'était pas tenable, et surtout avant l'arrivée de l'ennemi. D'ailleurs Angers avait quatre mille hommes de garnison, sous les ordres du général Barbasan, et l'ennemi n'avait point encore paru ; pourtant la ville fut évacuée avec une précipitation sans exemple : la retraite eut tout le caractère d'une déroute. Les troupes, la garde nationale, les magistrats, les citoyens l'abandonnèrent dans le plus grand désordre, ne sauvant que les papiers, les caisses publiques, vingt-deux pièces de canon de campagne, et laissant aux royalistes munitions, grosse artillerie et approvisionnements. La frayeur fut telle, qu'au lieu de prendre la route de La Flèche, on prit celle de Laval pour gagner Tours ; circuit de cinquante lieues, auquel la peur ne permit pas de songer. On voyait les Vendéens partout. Ce ne fut que six jours après qu'ils occupèrent la ville. Leur premier soin fut la délivrance des nobles et des prêtres incarcérés, que les administrateurs fuyards venaient d'oublier, et qui grossirent la masse des Vendéens. On établit ensuite une municipalité royaliste. Le soi-disant évêque d'Agra officia pontificalement dans la cathédrale d'Angers. Il affectait la simplicité d'un apôtre, ne voyageait qu'à cheval, accompagné d'un prêtre et d'un seul domestique, portant sa crosse de bois doré.

L'enthousiasme des adversaires de la révolution fut bientôt à son comble : on faisait publiquement des cocardes blanches ; on se disposait ouvertement à se ranger sous le drapeau royal. Les commissaires conventionnels devinrent plus sévères à mesure que le danger devenait plus pressant. Ils proclamèrent à Tours la peine de mort contre quiconque favoriserait l'ennemi, soit par des discours, soit autrement ; ils établirent une commission militaire, et en imposèrent, par leur énergie, à la multitude encore indécise : ils avaient tout à craindre de la force et de l'audace des Vendéens, dont ils suivaient, avec inquiétude, tous les progrès.

L'attaque de Nantes une fois résolue, toutes les divisions de l'armée royale se mirent en mouvement ; maîtresses du cours du fleuve, elles descendirent vers Nantes par la rive droite. Des courriers furent dépêchés dans le Bas-Poitou, avec des lettres pressantes qui invitaient les principaux chefs de cette partie de la Vendée, à concourir à l'expédition. Tous y adhérèrent ; l'accord fut unanime, et les deux armées royales combinées marchèrent de concert à l'attaque du grand boulevard de la Loire. Mais avant d'entamer le récit de ce fameux siège de Nantes, je résumerai les opérations préliminaires des chefs de la Basse-Vendée, que je n'ai perdu de vue que pour raconter, avec moins de confusion, les exploits de la grande armée d'Anjou et Haut-Poitou.

Charette, forcé d'abandonner Machecoul, s'était retiré à Legé, où il avait établi quelqu'ordre dans sa troupe. Sa cavalerie, répandue dans les paroisses environnantes, y avait recruté, et quand les Nantais étaient revenus l'attaquer, ils les avait-battus. Il leur prit deux pièces de canon et des munitions, dont il avait un besoin urgent. Les bijoux et l'argent des Nantais restés sur le champ de bataille, assouvirent la cupidité de ses soldats. Il redoutait, pour la discipline, l'occupa, fion prolongée de Legé. D'un autre côté, les habitants de ce bourg s'opposaient à son départ. Charette laissa passer prudemment cette espèce de fermentation, et marcha ensuite sur Saint-Colombin, où il surprit quatre cents hommes du régiment de Provence. Les prisonniers furent traités avec plus d'égards que les volontaires nationaux : Charette en garda même plusieurs pour instruire ses paysans aux manœuvres ; mais le sous-officier à qui la garde du drapeau était Confiée, l'ayant emporté à Nantes, tous les prisonniers de la ligne furent dés-lors assimilés aux gardes nationaux. Toutefois, Charette en fit proposer l'échange ; le refus des Nantais ne fit qu'aigrir les esprits. Les habitants de Legé étant venus implorer son secours, il leur promit, d'un Ion prophétique, de chasser l'ennemi avant deux jours. En effet l'ennemi se présente, et à l'approche de Charette, il prend la fuite sans combattre. Alors la réputation de ce chef se rétablit : un détachement armé et aguerri sortit du Loroux pour venir se ranger sous ses drapeaux. Savin et Joly s'y réunirent également pour attaquer Palluau ; mais l'expédition échoua faute d'accord et de précision : le désordre fut tel, que les Vendéens se fusillèrent entr'eux. Charette se replia de nouveau sur Legé, où régnait l'abondance et même les plaisirs. Ce quartier-général du Bas-Poitou était aussi le séjour d'une Vendéenne célèbre par ses grâces et par sa beauté. Madame de La Rochefoucault attirait sur elle tous les regards et les hommages de Charette. Tandis qu'elle se bornait aux conquêtes faciles de son sexe, la multitude, qui, sans rien approfondir, saisit et propage tout ce qui semble extraordinaire, la transformait en amazone, combattant au premier rang pour le trône et l'autel. On la vit, il est vrai, dans des moments moins heureux pour son parti, voltiger à cheval sur le flanc des colonnes, pour éviter le danger des combats, sous la protection du fermier Thomaseau, animé, dit-on, pour elle d'un sentiment tendre. Ce fidèle écuyer ne put la garantir : tous deux tombèrent dans un parti ennemi, furent transférés aux Sables-d'Olonne, et condamnés à mort. Ils marchèrent au supplice avec courage.

Jusqu'alors Charette n'avait eu à combattre que des corps de deux à trois mille hommes ; ce n'était rien en comparaison des batailles livrées par la grande armée d'Anjou. Appelé enfin à partager ses succès, Charette voulut agir de concert avec les autres divisions du Bas-Poitou, pour dégager le pays et s'approcher de Nantes. Le rendez-vous général était à Legé, où 'se fit le rassemblement le plus nombreux qu'on y eût vu jusqu'alors. La Cathelinière et Pajot parurent à la tête de l'avant-garde, avec 'les paysans du pays de Retz et du Loroux. Charette, de concert avec les divisions de Joly, de Savin, de Vrignaux et de Couëtu, attaqua l'adjudant-général Boisguillon à Machecoul, le défit complètement, lui enleva son artillerie et ses bagages, et reprit son premier quartier-général. Vrignaux, commandant la division de Vieillevigne, périt à ce combat : c'était un maître sellier, ancien soldat, qui s'était jeté franchement dans la guerre civile. Sa bravoure et son coup-d'œil dans l'action étaient inappréciables.

Il aspirait au commandement en chef, et en le perdant, Charette fut débarrassé d'un rival, tellement cher aux Vendéens, que tous pleurèrent sa mort. Charette garda toute l'artillerie enlevée à Machecoul, et agit dès-lors comme chef de toute l'armée, quoique les autres généraux se crussent indépendants. De là naquirent les premières sentences de division. Les cantonnements républicains s'étant repliés sur Nantes, La Cathelinière, qui marchait sur le port Saint-Père, le trouva abandonné, ainsi que Bourgneuf. D'un autre côté, Lyrot et Designy rassemblaient toutes leurs forces à Lalloué pour seconder Charette. Beysser, avec la légion nantaise, chercha Lyrot pour le combattre. Le 20 juin, entre la Sèvre et Lalloué, soixante Vendéens se présentent en tirailleurs ; ils feignent de se replier ; l'impétueux Beysser les poursuit ; arrêté tout-à-coup par des retranchements abandonnés, il les franchit sans obstacle ; et derrière le dernier, qui était le plus élevé, il aperçoit dix mille royalistes rangés en bataille : il n'était plus temps de les éviter. Une-terrible fusillade s'engage ; les deux commandants de la légion nantaise tombent sous le feu des Vendéens ; Beysser à deux chevaux tués sous lui. La cavalerie poitevine charge avec fureur : les républicains étonnés, surpris, se débandent, fuient en désordre, jettent leurs fusils et leurs sacs : les landes en furent couvertes. Poursuivis dans l'espace de trois lieues, ils ne s'arrêtèrent en sûreté que dans Nantes même. Alors cette ville se trouva pressée, sur la rive gauche, par toutes les divisions du Bas-Poitou, tandis que la grande armée royale marchait pour l'attaquer sur la rive droite. Elle approchait d'Ancenis. Les postes de Montrelais et de Varades furent culbutés par la division de Bonchamps. Ancenis, dominé par des hauteurs d'où l'artillerie pouvait le foudroyer, ouvrit ses portes, non sans hésiter. La garnison refusa de se défendre, et les 'corps administratifs, les révolutionnaires marquants se réfugièrent à Nantes, où tout déjà ne respirait que la guerre.