Prise de Chalonnes par
les royalistes. — Revers de Murette. —Déroute du général Marcé. — Attaque des
Sables-d'Olonne, par Joly. — Combat de Thouars et de Fontenay. — Prise de ces
deux villes par les Vendéens. — Proclamation des chefs de l'armée catholique
et royale.
VOYONS maintenant quelles étaient les
forces alors disponibles pour combattre les Vendéens. L'armée
commandée par le général Labourdonnaye, chargé de la défense des côtes de
l'Océan et de la Manche, depuis l'embouchure de la Gironde jusqu'à celle de
la Somme, devait être portée à quarante-deux mille hommes, et n'en avait tout
au plus que six mille. Le général Marcé, qui, au premier bruit de
l'insurrection, s'était rendu à Saint-Hermand, avec des troupes de Rochefort
et de la Rochelle, ne put rassembler que douze cents hommes. Le conseil
exécutif, par sa délibération du 18 mars, avait ordonné au général
Labourdonnaye de réunir à Nantes six mille hommes d'infanterie et deux
régiments de cavalerie ; mais le peu de forces dont pouvait disposer ce
général fut d'abord employé, sous Beysser, à combattre les insurgés bretons.
Il ne restait à opposer aux Vendéens que les gardes nationales des villes,
troupes sans discipline et peu aguerries. Toutefois les Nantais méritent une
exception ; dès le o mars, ils volèrent aux armes, fournirent de nombreux
détachements, et formèrent de nouveaux bataillons. Les
habitants d'Angers, réunis en garde nationale, marchèrent aussi contre les
royalistes. Ils avaient deux chefs, Gauvilliers et Boisard, l'un pour
l'infanterie, l'autre pour la cavalerie. De là point d'unité dans le
commandement, et nul ensemble dans les opérations. Gauvilliers se porte sur
Mont-Jean, disperse un rassemblement d'insurgés, et cesse de les poursuivre ;
Boisard arrive, mais il n'est plus temps. Un convoi maladroitement dirigé sur
Jallais, tombe au pouvoir des insurgés de t'Anjou, qui dès-lors sont pourvus
de munitions de toute espèce. Tout n'était que confusion et désordre, dans
cette grande crise. La
retraite de la garde nationale d'Angers laissa à découvert la ville de
Chalonnes, située sur un bras de la Loire, dominée par des collines, et qui,
ouverte de toutes parts, ne présentait d'ailleurs aucun ouvrage défensif.
Chalonnes étant menacée, les gardes nationales des communes voisines volèrent
à son secours, et trois mille hommes environ se rassemblèrent dans ses murs.
Le 21 mars, Bousseau et Lebrun, faits prisonniers par Cathelineau, à Jallais,
sont envoyés par d'Elbée, Stofflet et Bonchamps, au maire de Chalonnes, avec
la sommation suivante : « MM.
les habitants de Chalonnes, les généraux de l'armée catholique et royale vous
envoient MM. Bousseau et Lebrun pour vous engager à vous rendre, au nom de
Dieu, de la religion et des prisonniers chalonnais, à une armée de cinquante
mille royalistes. Si vous faites résistance, vous pouvez compter sur la
dévastation de votre ville ; si au contraire vous vous rendez, vous aurez une
grâce entière. Nous exigeons vos armes, et quatre notables pour otages. Nous
marchons au nom de l'humanité ». Signé : BONCHAMPS, STOFFLET, D'ELBÉE BARBOTIN et LÉGER. A
l'instant le conseil militaire s'assemble ; le maire Vial propose le serment
de combattre pour la liberté et de mourir au poste d'honneur. La majorité y
adhère ; on fait battre la générale et sonner le tocsin. Mais quel est la
surprise des officiers, lorsqu'en se rendant à leurs postes, ils, voient
leurs soldats, en pleine défection, gagner en désordre la route d'Angers. Les
alarmes semées par les parlementaires, qui avaient exagéré la force des
royalistes, venaient de frapper l'armée d'une terreur soudaine. Tous les
efforts des chefs, pour rallier le soldat, furent inutiles ; couchés en joue,
menacés de coups de sabres, ils suivirent le torrent. Le peuple lui-même s'attroupe
et veut capituler ; le maire seul résiste, ne signe rien, et s'évade avec les
révolutionnaires les plus ardents. La ville ainsi abandonnée, une députation,
composée du sieur Bousseau et des frères Foucault, alla au-devant des
Vendéens leur porter la capitulation de Chalonnes ; ils y entrèrent sans coup
férir, aux cris répétés de vive le Roi ! vive la religion catholique et
romaine ! Les chefs occupèrent la mairie, où ils établirent leur
quartier-général et un comité royaliste ; ils firent brûler tous les papiers
de l'administration, et enjoignirent aux Chalonnais de livrer leurs munitions
de guerre ainsi que leurs armes. Bonchamps rendit la liberté à tous les
prisonniers. Mais
les chefs du Bas-Poitou rencontraient plus de résistance, soit qu'ils fussent
moins secondés, soit que, vers l'embouchure de la Loire, les républicains
montrassent plus d'énergie. Depuis que ces derniers avaient évacué Clisson,
le poste nantais de Saint-Jacques était journellement menacé par les paysans
que Lyrot la Patouillère avait réunis sous ses ordres. Un détachement, sorti
de Nantes, attaque Lyrot à son quartier-général de Lalloué, le surprend,
disperse sa troupe, lui fait quelques prisonniers et lui enlève cinq bouches
à feu. D'un autre côté, Paimbœuf, bourg considérable sur la rive gauche, près
l'embouchure de la Loire, venait d'être défendu, par les habitants et les
volontaires marins, contre les attaques répétées de La Cathelinière. Charette
aussi n'éprouvait plus que des revers. Revenu à Machecoul après la prise de
Pornic, il y avait exercé sa troupe, pour faire ensuite quelque entreprise
d'éclat. Dès qu'il crut ses soldats disciplinés il marcha sur Challans, gros
bourg à trois lieues de la mer, et l'attaquant avec vigueur, s'en serait
emparé si le feu des républicains n'eût jeté l'épouvante dans son
arrière-garde, armée seulement de bâtons ferrés et de piques. La colonne
d'attaque, ne se voyant plus soutenue, chancela et prit la fuite. En un
moment Charette se trouva presque seul en face de l'ennemi. En vain s'efforce-t-il
de rallier les fuyards : ils sont saisis de terreur, et beaucoup de ses
officiers avaient déjà gagné Machecoul, que lui n'était encore qu'à trois
quarts de lieue de Challans, poursuivi par la cavalerie, à portée de
pistolet. Il ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval. Rentré à
Machecoul, excédé de fatigue et navré de douleur, il ne dissimula point son
mécontentement aux officiers qui venaient de l'abandonner. Il fut soutenu,
pourtant, par l'espérance de reprendre bientôt l'offensive, et après quelques
jours de préparatifs, il marcha sur Saint-Gervais, près Beauvoir-sur-Mer,
dans le dessein de s'en emparer à tout prix. Lui-même, à la tête d'une
colonne, devait ouvrir l'attaque, tandis que Joly, chef du canton d'Aizenay,
viendrait assaillir le bourg d'un autre côté, avec le rassemblement sous ses
ordres. Mais Joly, qu'animaient déjà des sentimens de rivalité contre
Charette, et qui d'ailleurs n'aimait pas les nobles, ne montra aucun zèle ;
il laissa Charette exposé à l'effort de toute la garnison, composée de
volontaires bordelais et d'un régiment de ligne, et au feu de cinq pièces de
canon placées sur une éminence. A chaque volée on voyait les soldats de
Charette se coucher ventre à terre pour éviter le boulet ; mais l'ennemi
faisant placer les pièces plus bas, les boulets rasèrent le terrain et
jetèrent l'épouvante parmi les royalistes. Le feu de file, par pelotons, de
la troupe de ligne, éclaircit aussi leurs rangs, et, acheva de les mettre en
fuite. Charette, à cheval et à la tête des siens, se vit encore abandonné et
contraint de suivre le torrent des fuyards. On le poursuivait vivement,
lorsque Joly parut enfin du côté opposé, et par une fusillade bien nourrie,
força les républicains de se replier pour faire face à la seconde attaque, à
laquelle la nuit mit un terme. L'armée de Charette avait souffert. Ses
cavaliers furent les premiers à se débander : il en chassa huit le lendemain. Cependant
le sanguinaire Souchu continuait les massacres à Machecoul, pendant l'absence
de Charette. Jusqu'au 22 avril le sang ne cessa de couler. Pour légitimer les
vengeances, on supposait des nouvelles révoltantes, soit de Nantes, soit de
Paris. Une lettre controuvée annonça l'égorgement de tous les prêtres
sexagénaires détenus à Nantes. A l'instant, les royalistes les plus furieux
enfoncent les prisons et en arrachent les républicains ; quatre-vingts sont
massacrés en un jour. On ne les assommait plus, on les attachait à une corde
qui les liait l'un à l'autre par le bras, ce que les assassins appelaient
leur chapelet. Les victimes étaient ainsi traînées dans la cour du château,
placées à genoux au bord d'un fossé profond, et impitoyablement fusillées. On
achevait ceux qui n'avaient pas reçu de coups mortels. Joubert, président du
district, eut les poignets sciés, et périt sous les coups de fourches et de
baïonnettes. On enterra des hommes vivants, et à la reprise de la ville, on
vit encore, dans une vaste prairie voisine, qui servait de tombeau aux
républicains immolés, un bras hors de terre, dont la main, accrochée à une
poignée d'herbes, semblait celle d'un spectre qui s'était, efforcé vainement
de sortir de la fosse. Cinq
cent quarante-deux républicains de Machecoul et des environs venaient de
périr ; le juge Boulemer avait seul échappé. Tant de victimes n'avaient pu
assouvir la rage du comité sanguinaire que dirigeait Souchu : les femmes
mêmes étaient menacées du supplice. Charette, en arrivant à Machecoul, se
rend droit à leur prison et en fait ouvrir les portes. Il aurait voulu que
son parti triomphât par des mesures moins cruelles, et qu'on eût mis un terme
aux massacres ; il adressa à ce sujet les plus vifs reproches aux membres du
comité royaliste, et n'en reçut que des menaces pour réponse, tant était
bornée son autorité dans l'origine. « C'est nous qui avons pris Machecoul,
lui dirent-ils ; la ville est à nous et nous y sommes les maîtres. Commandez
l'armée, et ne vous mêlez point des affaires qui nous regardent ». Trop
faible encore pour lutter contre des hommes qui s'étaient eux-mêmes investis
d'une puissance sans limites, il jugea qu'il lui restait à peine, pour calmer
leur rage, la voie de la suasion et de la douceur. Il eut recours à la
religion, et recommanda aux prêtres de prêcher le peuple pour l'empêcher de
commettre aucun meurtre. Il fit défense aux officiers de son armée,
malheureusement trop dociles aux ordres de Souchu, d'attenter à la vie
d'aucun prisonnier, sous peine d'être fusillé : il leur reprocha la mort du
malheureux Lorein, à qui il avait fait grâce, et qu'on avait massacré dans la
prison, malgré l'ordre qu'il avait donné de le mettre en liberté ; enfin il
cacha, dans sa propre maison de la Fonte-Clause, l'ex-procureur syndic du
district de Challans Bourrier, chaud républicain, dont on demandait la tête.
Mais la soif du sang et des vengeances était portée à un tel point, qu'il
fallut, pour l’apaiser, avoir recours à des moyens surnaturels. Le vicaire
Priou seconde Charette de tout son zèle : il fait allumer des cierges autour
de la tombe d'une prétendue sainte : les Vendéens se prosternent ; le prêtre
pose la main sur la pierre tombale, et s'écrie qu'il la sent se soulever.
Le miracle est proclamé, les prières redoublent, et cette cérémonie mystique
est terminée par la recommandation de ne plus tuer que dans les combats, et
par un appel aux braves, au nom d'un Dieu de paix. Cependant
les Nantais, aussi peu aguerris que les paysans du Bas-Poitou, avaient fait
contre eux deux sorties infructueuses, l'une vers Saint-Philibert, l'autre à
Saint-Jean-de-Boiseau et à Pèlerin. Le tocsin sonnait de toutes parts, et
croyant la Vendée entière à leur poursuite, les Nantais rétrogradèrent à la
hâte. Un ennemi plus redoutable parut sur ce théâtre de carnage. Le
général Canclaux, venait de prendre le commandement en chef de l'armée des
côtes ; instruit de la position critique où se trouvait la rive gauche de la
Loire, il envoya Beysser à Nantes avec des troupes de ligne, auxquelles se
joignit la garde nationale nantaise. Beysser marcha aussitôt sur Machecoul,
qui était au pouvoir de Charette depuis le 11 mars. Douze cents Nantais,
formant la colonne de droite, pénètrent d'abord dans le pays de Retz. En vain
le tocsin appelle les royalistes. Le port Saint-Père est menacé par des
forces supérieures. Un simple paysan, Pajot, que Charette y avait envoyé
comme canonnier, s'assied sur sa pièce, et jure de défendre la place jusqu'à
la mort. ; sa fermeté, qui trouve des imitateurs, en impose aux Nantais, qui
s'éloignent. Les insurgés s'attendaient à recevoir des secours par le chemin
de Clisson ; c'était au contraire Beysser qui venait les attaquer avec toutes
ses forces. Son approche met en fuite l'avant-garde ; à peine Pajot a-t-il le
temps de réunir deux cents hommes ; il s'obstine toutefois à disputer le
passage, le pont qui servait d'entrée au bourg ayant été coupé. Après quatre
heures d'une résistance héroïque, et plus de trois cents coups de canon tirés
par les républicains, le brave Pajot se retire blessé ; le reste prend la
fuite. Beysser,
voulant éloigner les Vendéens des côtes, avait concerté ses opérations avec
le capitaine d'une frégate stationnés dans les parages de Noirmoutier,
Bientôt les côtes furent libres. Mais si le comité de Machecoul eut
l'initiative des cruautés, l'exalté Beysser eut celle de l'incendie et du
pillage. Il parcourut le pays de Retz la torche à la main', brûla une partie
de Saint-Cyr en Retz, reprit Bourgneuf, Pornic, Noir-moutiers, se saisit de
quelques Vendéens, fit arrêter et fusiller le maire de Barbatre, et marcha
ensuite sur Machecoul. A la nouvelle de la prise du Port-Saint-Père, Charette
fit bivouaquer sa troupe, et envoya demander des renforts aux paroisses
voisines ; mais aucun secours n'arriva-Dès que Beysser parut dans la plaine,
les soldats de Charette se dispersèrent sans combattre : l'épouvante fut si
grande, qu'ils jetèrent leurs armes, leurs vêtements et jusqu'à leurs
chaussures, pour fuir plus vite. Charette fit sa retraite sur Legé et sur
Villevigne, avec peu de monde ; son artillerie resta au pouvoir des
républicains. L'abandon précipité de Machecoul lui fit perdre la confiance
des Vendéens, qui l'accusèrent de lâcheté. Excités par la marquise de Goulène,
les paysans de la Roche-Servière voulaient le tuer. Une grande humiliation
succède à ce déchainement contre Charette, qui, s'étant porté au camp de
l'Oie, où commandait M. de Royrand, reçut, au lieu de secours qu'il
réclamait, des reproches amers et publics. A la vérité il montra cette noble
fierté qui convient à un gentilhomme. D'autres assurent que, sur la menace
d'une destitution militaire, il offrit de céder le commandement, ce qui est
peu vraisemblable ; en effet M. de Royrand n'avait aucune autorité sur
Charette, qui, dans son territoire, était tout aussi indépendant que pouvait
l'être dans le sien le général de l'armée du centre. A compter de ce jour, on
vit changer la fortune de Charette, soit que l'adversité eût enfin développé
son caractère, soit qu'il fût dans sa destinée de braver, longtemps tous les
périls. Beysser
trouva Machecoul encore fumant du sang des républicains. Le lâche Souchu, qui
avait ordonné les massacres, abandonna son parti ; et croyant se sauver, vint
au-devant de Beysser avec la cocarde tricolore, et à la main une liste de
proscription. Mais les femmes de Machecoul signalèrent sa scélératesse : il
fut saisi et garrotté. Un sapeur lui coupa le cou sur un billot, avec un
coutelas, aux acclamations d'une foule de mères et de veuves éplorées. Après
avoir fait désarmer plusieurs paroisses, le général Canclaux, qui s'était porté
en avant, ordonne à Beysser de se replier, établit une ligne de postes
jusqu'à Legé, croyant tout 'contenir, et rentre lui-même à Nantes avec le
reste des troupes. Les autorités de la Loire-Inférieure enveniment la guerre,
en érigeant un tribunal révolutionnaire, pour juger sans, appel les insurgés
pris les armes à la main. D'abord provisoire, ce tribunal redoutable est
confirmé par la convention ; elle déclare que les Nantais ont \bien mérité de
la patrie. Que pouvaient quelques succès partiels contre la masse des
Vendéens ? La résistance courageuse de quelques villes rendit les grandes
défaites' plus amères ; et la déroute du général Marcé fut bientôt le signal
de plus grands revers. Maîtres
de la presque totalité des districts de la Chataigneraye, de Montaigu, des
Sables et de la Roche-sur-Yon, les Vendéens du centre, commandés par Royrand,
Sapinaud, Baudry et Vrigneaux, menaçaient la ville de Fontenay, chef-lieu de
la Vendée. Le petit corps d'armée du général Marcé pouvait seul leur barrer
le passage. Son avant-garde se porta sur Chantonay le soir même les Vendéens
vinrent la surprendre et la chasser de la ville. L'importance de l'occupation
du Pont-Charron était telle, que le général Marcé s'en empara dans la nuit
même. Le 19 mars, aiguillonné par les commissaires conventionnels qui
suivaient son armée, il marche au-devant des royalistes, et s'engage
imprudemment dans le vallon du Laye. A six heures du soir il y est, attaqué,
n'ayant que treize cents hommes. Royrand et Sapinaud, chacun à la tête d'une
colonne, l'une sur la hauteur, l'autre sur la grande route, fondent avec
impétuosité sur les républicains, qui, au premier coup de fusil, quittent
leurs rangs et se troublent. Toutefois l'artillerie tient ferme, et gronde
contre les Vendéens, qui en sont ébranlés. Sapinaud de La Verie, les voyant
trembler à chaque détonation, leur adresse cette harangue laconique : « Mes
amis ! ne craignez rien, regardez-moi et suivez-moi ». Attentif quand on va
mettre le feu au canon, il se jette à terre, laisse passer les boulets, se
relève, court aux batteries, et se rend maître d'une pièce de canon, à l'aide
de ses soldats qui l'ont imité. La déroute des républicains fut complète ;
ils abandonnèrent les blessés. La seule pièce de canon enlevée par Sapinaud
resta au pouvoir des royalistes. Boulard, colonel du soixantième régiment de
ligne, sauva le reste de l'artillerie ; les débris de l'armée se réfugièrent
à Marans. Ce combat avait duré trois heures, sans que le général Marcé eût
rien fait pour sauver l'armée. Il n'était coupable que d'impéritie, mais on
l'accusa unanimement de trahison ; car la défection de Dumouriez faisait voir
alors des traîtres dans tous les généraux malheureux. Marcé est destitué, traduit
au tribunal révolutionnaire, et exécuté à Paris. Tel fut le combat de
Saint-Vincent, plus connu sous le nom de déroute de Marcé, et dont le succès,
en rendant, les royalistes martres d'un terrain immense, enfla leurs
prétentions, et porta le découragement dans rame des républicains. Ce fut
Boulard, officier estimable et tacticien habile, qui remplaça Marcé. Baudry
et d'autres chefs du Bas-Poitou se réunirent au château de l'Oie, où resta
établi le quartier-général de l'armée du centre. Il eut alors à combattre son
propre frère, Esprit Baudry, qui, chef d'un corps républicain, mit sa tête à
prix, soit par dévouement, soit par faiblesse. Le 23
mars, les commissaires de la convention, de retour des départements insurgés,
en firent un tableau désespérant. Le conseil exécutif se réunit au comité de
défense générale ; et après une mûre délibération, il arrêta un ensemble de
mesures pour la création de quatre corps d'armée, qu'on devait former avec
trente-quatre bataillons de volontaires, deux régiments de ligne, deux
régi-mens de cavalerie et de dragons, le corps désigné à Paris sous le nom de
vainqueurs de la Bastille, plusieurs compagnies d'artillerie et de chasseurs,
vingt-quatre autres bataillons venant de l'armée du Rhin, non compris les contingents
des départe-mens voisins et les gardes nationaux en réquisition. Ces forces
devaient former trois armées actives. Tandis que l'une aurait garni la rive
droite de la Loire, l'autre aurait manœuvré sur la rive gauche, et la
troisième se serait tenue en réserve à Tours. Enfin un quatrième corps
d'armée eût formé un cordon sur les frontières de la Normandie, pour
interdire toute communication entre les mécontents de ces départements et les
districts de la Bretagne qui étaient soulevés. L'arrêté du conseil exécutif
reçut, le jour même, l'approbation du comité de défense générale, et les
ordres furent expédiés sur-le-champ. Le général Berruyer, nommé au
commandement en chef de l'un des quatre corps d'armée, partit le lendemain,
et fut suivi par d'autres généraux et par les vainqueurs de la Bastille. Un
courrier extraordinaire, envoyé à l'armée du Rhin, porta au général Custine
l'ordre de faire marcher sur-le-champ un détachement vers la Loire.
Presqu'aucune de ces mesures ne put recevoir d'exécution, tant le conseil
exécutif avait à surmonter alors d'obstacles, qui tenaient aux circonstances
déplorables où se trouvait la France. Les
revers éprouvés dans la Belgique et vers le Rhin avaient attiré sur la
frontière du Nord toute l'attention du conseil et de la convention. Au moment
où les ennemis de la France envahissaient min territoire, ses armées
semblaient toucher à une dissolution générale par la défection de Dumouriez.
L'effroi de Paris, la consternation des frontières du Nord, les progrès des
étrangers et les ravages de la guerre civile, menaçaient l'empire d'une
subversion totale. C'est de cette crise que profitèrent les Vendéens. La
marche des différents corps d'armée destinés à les combattre en fut entravée
; on fit même rétrograder, sur les supplications des villes frontières, les
bataillons de l'armée de Rhin-et-Moselle, qui se dirigeaient vers la Loire. La
résistance des Sables-d'Olonne, attaqués par Joly et La Sécherie, ne put
balancer le funeste échec de Saint-Vincent. Le 24 mars, les avant-postes
vendéens s'étant approchés de la ville, le général Foucault les repoussa dans
une première sortie. Le a7, Joly reparut en force ; la garnison prit position
hors des rampais. Un cavalier vendéen se présente en parlementaire ; conduit
au conventionnel Gaudin, qui partageait le commandement avec le général
Foucault, il remet une sommation contenant des promesses si l’on se soumet,
et des menaces en cas de refus : elle était signée Joly, général de Louis
XVII, et adressée aux autorités civiles et militaires. On renvoya le
parlementaire sais réponse ; le combat s'engagea aussitôt. Les royalistes,
partagés en deux divisions, marchèrent sur la ville ; mais, exposés au feu
des remparts, et inhabiles à l'attaque des places, ils se replièrent à
l'entrée de la nuit, après avoir enlevé leurs morts. Le conventionnel Niou,
instruit de la situation critique des Sables, y fit passer, de la Rochelle,
un renfort qui éleva la garnison à quatorze cents hommes. Joly reparut encore
le 28, renforcé par la division de Savin ; ses officiers marchaient à la tête
des colonnes. Ils s'emparèrent d'abord des villages environnants, et
établirent dans la nuit leurs batteries, à trois cents toises du corps de la
place, à la jonction des routes de Nantes et de Beauvoir. Leur cavalerie
chargea, et fit plier les avant-postes. Le 29, à quatre heures et demie du
matin, Joly tira à boulets rouges ; mais les boulets, mal chauffés et lancés
par des canonniers inexpérimentés, ne brûlèrent qu'une seule maison. En moins
de quatre heures les canonniers républicains démontèrent les batteries des assiégeants,
et en firent sauter les fourneaux ; le feu prit à un caisson, et son
explosion répandit la terreur parmi les royalistes. Les assiégés en
profitèrent pour tenter une sortie : elle 'eut un plein succès. Leurs
relations portent à trois cents le nombre des Vendéens restés sur le champ de
bataille, avec une partie de l'artillerie et des munitions. Mais on
n'inquiéta point leur retraite, faute de cavalerie pour-les combattre. Le
même jour, le commissaire Niou arriva sur une frégate, suivi de plusieurs bâtiments
de guerre et de transport : il vit les cadavres et les dépouilles des
royalistes, et trouva la mairie convertie en arsenal. La municipalité y avait
tenu tranquillement ses séances. Niou applaudit au courage qu'avait déployé
la garnison : elle fut presqu'immédiatement renforcée par la petite armée du
général Boulard. Si les Vendéens ne sentirent pas alors toute l'importance de
l'occupation des Sables-d'Olonne, qui les eût mis en communication directe
avec Londres, l'histoire n'aura point de reproche semblable à adresser aux
républicains : ils firent des Sables le boulevard de la côte et leur place de
sûreté. Cependant
les royalistes du Haut-Anjou, maîtres des districts de Chollet, de Vihiers,
de Chalonnes et de Saint-Florent, postes avancés de la rive gauche,
éprouvaient le besoin du repos et celui d'une organisation provisoire. Il
fallait céder d'ailleurs au désir que manifestaient les paysans de rentrer,
momentanément dans leurs foyers, pour y remplir les devoirs que prescrit la
religion au temps pascal. Toutefois leurs chefs ne les congédièrent qu'après
les avoir ajournés à la semaine de la Quasimodo, bien résolus de
reprendre alors le cours de leurs opérations avec plus de vigueur et
d'ensemble. Quelques hommes d'élite formèrent un noyau prêt à agir au besoin.
Chaque Vendéen, redevenu artisan ou laboureur put se livrer sans inquiétude
aux devoirs de la religion : il sembla y puiser de nouvelles forées et encore
plus de courage. Du côté des républicains, tout se préparait à une attaque
générale. Le 29 mars, le général Berruyer prit, à Angers, le commandement en
chef, en remplacement du général Lygonier. Il ne s'occupa d'abord qu'à
grossir son armée. A la voix des commissaires conventionnels, une multitude de
volontaires accoururent se ranger sous les drapeaux de la république. On leur
accordait une solde de quarante sous et même de trois livres par jour ; aussi
un ramas d'hommes sans aveu, écume des grandes villes, éléments de séditions,
formaient ces nouvelles levées. Des vieillards et des enfants timides en
composaient une partie ; enfin, l'inexpérience, l'insubordination et la
lâcheté semblaient se réunir pour y jeter le désordre, et pour assurer le
triomphe des royalistes. Le général Berruyer fut suivi presque immédiatement
par les gendarmes à pied de la trente-cinquième division, et par les vainqueurs
de la Bastille, premières troupes venues de Paris. Malheureusement ces
révolutionnaires intrépides avaient une ardeur effrénée pour le pillage : on
eût dit qu'ils venaient moins pour combattre que pour dévaster : le riche, à
leurs yeux, était toujours un aristocrate qu'on pouvait dépouiller
sans ménagement : les messageries de la capitale s'en retournaient chargées
de butin, fruit de leurs brigandages. Après de grands efforts, le général
Berruyer parvint à donner aux nouvelles levées une certaine consistance, et
forma un plan d'attaque. Gauvilliers, commandant la garde nationale angevine,
occupa sur la rive droite, avec une division de deux mille hommes, les postes
d'Ingrandes, de Varades et d'Ancenis ; il devait assurer la libre
communication d'Angers à Nantes, et empêcher les Vendéens, maîtres de
Saint-Florent, de passer la Loire pour se réunir aux paysans bretons, dont
les sentiments royalistes n'étaient plus équivoques. Le général Quetineau fut
placé aux Herbiers, Lygonier à Vihiers, Boulard aux Sables, et Esprit Baudry
à Challans ; chacun avec une division. Nantes fut défendu par sa garde
nationale, réunie à quelques troupes de ligne. Le général en chef, qui avait
sous lui environ quatre mille hommes postés au midi du Layon, porta son
quartier-général à Saint-Lambert. Toutes ces forces actives n'allaient pas au-delà
de vingt mille hommes. Tout fut disposé pour attaquer sur tous les points à
la fois. Les
chefs de l'Anjou, instruits du plan des républicains, se hâtèrent de
rassembler les paysans de leurs districts : ils accoururent en grand nombre,
plus déterminés que jamais à combattre pour l'autel et le trône. Formés en
plusieurs divisions, et ayant à leur tête d'Elbée, Stofflet, Cathelineau, ils
se portèrent à Chollet le 9 avril, et le 11 ils s'avancèrent vers Chemillé. Cinq
mille républicains, commandés par le général Duhoux, marchèrent à leur
rencontre, et les attaquèrent sur plusieurs colonnes. Ce fut, à vrai dire, la
première bataille rangée. A l'aspect des républicains, Cathelineau fondit sur
leurs bataillons avec une intrépidité qui les étonna. Cernés de toutes parts
j pris à dos, en flanc et en tête, ils plièrent et furent vivement
poursuivis. Cathelineau en fit un grand carnage, et resta maître de Chemillé.
Blessé dans la chaleur du combat, le général Duhoux laissa le commandement au
général Menou, qui, perdant tout espoir, n'eut plus à s'occuper que de la
retraite. Mais faute de munitions, les Vendéens se virent hors d'état de
profiter de la victoire : ils n'avaient plus ni poudre ni cartouches pour
repousser les autres colonnes, qui, d'après le plan d'attaque, commençaient à
manœuvrer dans l'intérieur de la Vendée. Gauvilliers, après avoir passé la
Loire à Varades, força Bonchamps d'évacuer le poste-de Saint-Florent, clef de
la rive gauche. Lygonier, d'abord repoussé par Stofflet, parvint à s'emparer
de Vezin, tandis que Chemillé, attaqué de nouveau, était emporté par
Berruyer, malgré la plus vive résistance de la part des royalistes. Vivement
poursuivies, les divisions de Bonchamps, Stofflet, d'Elbée, Cathelineau, et
celle de Becard, se concentrèrent à Beaupreau. Ce mouvement rétrograde
tendait surtout à éluder le choc de l'ennemi, qu'on ne pouvait plus espérer
de vaincre. Le moment était décisif : les Vendéens pouvaient se décourager ;
leurs levées étaient incomplètes ; trente mille insurgés, non encore
organisés, se trouvaient resserrés dans un espace de deux lieues. Bonchamps
n'avait que deux cents hommes d'élite ; et d'Elbée commandait une masse peu
aguerrie, que le moindre revers eût dispersée aussitôt. Il voulait rester à
Beaupreau et attendre ; Bonchamps jugea le danger de la position, et opina
pour faire une trouée. Elle se fit sur Tiffauges : cette inspiration de
Bonchamps sauva peut être la Vendée. A peine l'armée royale eut-elle évacué
Beaupreau, que les républicains l'occupèrent ; ils reprirent également
Chollet, pendant que les Vendéens rétrogradaient à Tiffauges. Ces derniers
s'y seraient vus sans espoir de reprendre l'offensive, si un chef célèbre
n'avait paru alors sur ce théâtre de carnage, pour ranimer l'insurrection
expirante. Henri
de La Rochejacquelein, fils du marquis de La Rochejacquelein, colonel du
régiment Royal-Pologne, cavalerie, propriétaire du château de la Durbelière,
à Saint-Aubin de Beaubigné, près Châtillon, venait de se mettre à la tête des
insurgés de son territoire. A peine âgé de vingt ans, d'un tempérament
robuste, maniant un cheval avec grâce, passionné pour la chasse et les
exercices violents, l'œil vif, le nez aquilin, la mine guerrière, il semblait
né pour les combats. Il n'avait pas suivi son père dans l'émigration, croyant
pouvoir défendre le trône dans la garde constitutionnelle de Louis XVI. Le 10
août renversa ses espérances. Ce fut alors que, s'éloignant de la capitale,
il dit : « J'irai dans ma province, et bientôt on entendra parler de moi ».
On le revit en effet dans le Poitou, mais pour y déplorer les événemens de
Bressuire. Il s'était retiré chez le marquis de Lescure, son parent et son
ami, dans la belle terre de Clisson, près Parthenay. Unis tous deux par les
mêmes sentimens, à peu près par le même âge et par les mêmes intérêts, ils
aspiraient secrètement à l'honneur de participer au rétablissement de la
monarchie. Les autorités de Bressuire et une nombreuse gendarmerie
surveillaient le château de Clisson et tous ceux qui l'habitaient. Les paysans
de ce district et ceux de l'arrondissement de Châtillon étaient sévèrement
contenus depuis leur soulèvement de l'année précédente. Ne pouvant rien
entreprendre au moment de l'explosion générale, ils s'étaient vus séparés du
reste de la Vendée par des détachements de garde nationale, occupant les
passages, interceptant les communications. Lescure et La Rochejacquelein
n'apprirent le soulèvement du 10 mars que par des bruits vagues. Ils
flottaient entre l’espérance et la crainte, lorsqu'un paysan de Châtillon
vint annoncer à La Rochejacquelein que les habitants des paroisses
circonvoisines, impatiens de se réunir aux insurgés, couraient aux armes, et
le demandaient pour chef. Le zélé Vendéen s'offre pour lui servir de guide
par des sentiers détournés. « L'honneur m'appelle, s'écrie La Rochejacquelein,
et je vole aux combats ! » Lescure veut le suivre ; il demande ses
chevaux, ses armes ; il oublie que son château est surveillé, et que, se
joindre furtivement aux royalistes, c'est livrer à la vengeance des républicains
ses parents, ses amis, une épouse, dont la jeunesse et les grâces réclament
tout son appui. Mais rien n'eût arrêté Lescure, si La Rochejacquelein, se
jetant dans ses bras, ne l'eût conjuré de rester à Clisson : « Mon ami, lui
dit-il, modère ton impatience, sous peu de jours je viendrai te délivrer ».
Ces paroles, prononcées d'un air martial, en calmant le trouble des esprits,
ramenèrent la confiance. Accompagné
de son guide fidèle, et armé de deux pistolets, La Rochejacquelein, arrive
sur le théâtre de la guerre, où il joint Bonchamps et d'Elbée, Ces deux chefs
lui apprennent qu'une alternative de succès et de revers les ont amenés à
battre en retraite sur Tiffauges, et que tout est perdu, sans des efforts
extraordinaires. D'un autre côté il reçoit la nouvelle que les paysans du
district de Châtillon, rassemblés sans chef, ont été dispersés par une
colonne républicaine, sortie de Bressuire, et qui a pénétré jusqu'aux
Aubiers. C'était la division de Quetineau, que Lygonier, pressé d'abord par
Bonchamps, et forcé de se retirer vers Doué, avait appelée à son secours
avant la retraite des royalistes. Laissant le chemin le plus long, mais le plus
sûr, Quetineau s'était hasardé à travers le pays insurgé, tant il avait
d'impatience d'arriver pour concourir à l'entière destruction des Vendéens.
N'écoutant plus que son courage, La Rochejacquelein veut arrêter la marche de
Quetineau. Il accourt à Châtillon, à Saint-Aubin de Beaubigné, où sont les
propriétés de sa famille. A peine a-t-il paru, que des milliers de paysans
des Aubiers, de Neuil, de Saint-Aubin, des Ehaubroignes, des Cerqueux,
d'Izerney, le proclament leur chef. Ils ne sont armés, il est vrai, que de fourches
et de bâtons, n'ayant au plus que deux cents fusils de chasse et quelques
livres de poudre ; mais en portant leurs regards sur leur nouveau général,
ils se sentent animés de l'ardeur des combats. La Rochejacquelein se met
aussitôt à leur tête, et leur adresse cette courte harangue : « Si mon père
était parmi nous, il vous inspirerait plus de confiance, car à peine me
connaissez-vous : j'ai d'ailleurs contre moi et ma grande jeunesse et mon
inexpérience ; mais je brêle déjà de me rendre digne de vous commander.
Allons chercher l'ennemi ; si je recule, tuez-moi ; si j'avance, suivez-moi ;
si je meurs, vengez-moi ». Telles furent ses propres paroles. Les Vendéens
n'y répondent que par des acclamations, et marchent aux républicains, qu'ils
trouvent retranchés dans le cimetière des Aubiers. A cette vue, tous font
entendre le cri répété de vive le Roi ! et, se glissant derrière les
haies, ils investissent le bourg, et attaquent en tirailleurs la division de
Quetineau. Ce général, surpris, partage le trouble de ses soldats qui se
défendent mal. Toutefois une vive fusillade s'engage. La Rochejacquelein fait
charger ses propres armes par les plus braves qui l'entourent, et, rivalisant
avec les plus habiles tirailleurs, il abat, de chacun de ses coups, hommes et
chevaux. De son côté, Quetineau, croyant être enveloppé, ordonne aux siens de
gagner une hauteur voisine et d'y prendre position ; ce mouvement rétrograde
achève sa défaite. Les Poitevins croient l'ennemi en fuite — La Rochejacquelein
le leur persuade — ; ils sortent en foule de derrière les haies, s'élancent
sur les républicains, les dispersent, et s'emparent de leur artillerie. C'en
était fait de la division entière de Quetineau, si deux bataillons, rangés en
carré, n'eussent protégé la retraite, pendant que les fuyards couraient se
mettre à couvert dans Bressuire. On les poursuivit jusqu'à Beaulieu. Deux
coulevrines, une pièce de quatre, plusieurs caissons et douze cents fusils,
tels furent les trophées de ce brillant coup d'essai, ou plutôt de cette victoire.
La Rochejacquelein trouva aussi aux Aubiers plusieurs barils de poudre, conquête
précieuse : il marcha aussitôt sur Châtillon, et sur Tiffauges. Là, se
réunissant aux autres divisions royalistes, il partagea avec elles les
munitions qu'il venait d'enlever aux républicains, et eut ainsi la gloire de
relever son parti, et de lui inspirer une ardeur nouvelle. Ce fut
à cette réunion de Tiffauges que les divisions d'Elbée, Stofflet, Cathelineau
et Berard formèrent alors ce qu'on appela depuis la grande armée d'Anjou et
Haut-Poitou. La division poitevine de La Rochejacquelein, faisant un corps à
part, se réunit le plus souvent à la grande armée d'Anjou, qui, à cette
époque, ne s'élevait guère qu'à dix-huit mille combattants. L'armée entière marcha
sur Chollet, que les républicains avaient repris. Coron était aussi tombé en
leur pouvoir : mais tout allait changer de face. Le 16avril, Cathelineau et
d'Elbée se portèrent en force sur la division du général Lygonier, formant
l'aile gauche des républicains ; l'action fut vive près de Vezin et de Coron.
Cathelineau, montrant une valeur brillante, un coup-d'œil sûr, s'empara de
l'artillerie de Lygonier, qui laissa mille morts sur le champ de bataille, et
fut repoussé jusqu'à Vihier. Cent soixante grenadiers de Montreuil et de
Saumur se barricadèrent au château de Boisgrosleau, près Chollet, et, pendant
deux jours et deux nuits, résistèrent, quoique sans vivres, à toute l'armée
royale, ne voulant capituler qu'après avoir épuisé jusqu'à la dernière
cartouche. C'étaient les premiers prisonniers qu'eussent faits les Vendéens.
L'aile droite, commandée par Gauvilliers, eut le sort de l'aile gauche. Déjà,
ses détachements occupaient Chemillé, Saint-Florent et Montrevrault. Le
premier il avait livré à la torche des incendiaires cette partie du pays
vendéen, tandis que Charleri, élevé aussi, par nos troubles, au généralat,
faisait piller et réduire en cendres les châteaux de Coudrai, de Montaut, de
la Fougereuse, et de la Baronnière. Mais le moment d'en tirer une vengeance
glorieuse était enfin arrivé. D'Elbée, Cathelineau, Stofflet et Berard
rassemblent de nouveau leurs divisions, et sont joints par Bonchamps, qui,
pendant huit jours, avait campé à Montfaucon et à Geté, pour y organiser le
corps d'armée auquel dés-lors on donna son nom. L'armée d'Anjou, réunie aux
divisions de Bonchamps et de La Rochejacquelein, arrive à Beaupreau le 23
avril, et attaque le lendemain l'armée de Gauvilliers, avec une intrépidité
qui étonne les républicains. Ceux-ci résistent d'abord ; mais tous leurs,
efforts ne peuvent tenir contre des enthousiastes, qui, bravant tous les
dangers, se précipitent en aveugles sur les canons et sur les baïonnettes :
ils cédèrent. Un détachement placé à la Chapelle du Genet fut cerné et
entièrement détruit. Les canonniers d'Eure-et-Loir se firent tuer sur leurs
pièces, lâchement abandonnées par l'infanterie. Une compagnie de la garde
nationale de Luynes se fit hacher aussi presque en entier, tandis que toute
l'armée était en fuite. Tous les postes de la rive gauche furent dés-lors
évacués, et les républicains repassèrent la Loire, abandonnant six pièces de
canon et plusieurs caissons. Berruyer se repliant en hâte sur le pont de Ce,
avec sa petite armée, alla couvrir Angers. Telle fut la journée de Beaupreau,
dont le succès persuada aux royalistes qu'ils étaient invincibles ; elle
consterna tellement les vaincus, qu'ils n'osèrent, durant près de trois mois,
s'avancer dans le pays insurgé, qui se trouva entièrement libre. Les orateurs
vendéens-ne manquèrent pas d'exalter cette victoire, comme un gage de la
protection divine, sentant bien l'influence qu'une telle opinion exercerait
sur des hommes que l'enthousiasme de la religion avait déjà portés à
affronter la mort avec joie. Après-un avantage-si décisif, les paysans
rentrèrent la plupart dans leurs foyers. Mais ils reçurent, le 26 avril,
l'ordre de se rendre à Chollet, où était le rendez-vous général, pour
l'expédition projetée contre Bressuire Argenton et Thouars ; expédition dont
Cathelineau et d'Elbée avaient fait adopter le plan dans un conseil de
guerre. Ainsi,
des laboureurs, des artisans qui avaient commencé les hostilités avec des
bâtons et des fourches, formèrent, en moins de deux mois, une armée
redoutable ; et avec l'artillerie, les armes et les munitions qu'ils venaient
d'enlever à des troupes réglées, mais presque toujours vaincues, ils se
proposaient de les aller attaquer dans leurs propres retranchements, et même
de les chasser des villes qui leur servaient de remparts. Telles furent les
suites de la victoire remportée par La Rochejacquelein, aux Aubiers. L'échec
éprouvé par le général Quetineau dérangea tout le plan des républicains ; ils
se jetèrent dans de fausses opérations, attribuant leurs défaites à la
faiblesse de leurs corps d'armées, à la nature du sol, coupé par des ravins,
et qui, fourré dans presque toutes les parties, favorisait singulièrement les
surprises, et entravait les communications militaires. Ils les attribuaient
surtout à l'impéritie de leurs généraux, et encore plus à la lâcheté et à la
malveillance de la plupart des soldats volontaires. Plusieurs, au moment du
dernier combat, avaient mis bas les armes ou brisé leurs fusils. Un bataillon
du Finistère fut le seul qui tint ferme et montra de l'intrépidité. La
consternation se répandit à Saumur, à Angers et à Nantes. Les réclamations,
les plaintes amères arrivèrent de tous les côtés à la convention ; chacune de
ses séances était troublée par l'annonce d'un nouveau désastre. Cette
assemblée tumultueuse était elle-même agitée, les deux partis qui la
déchiraient se portent des coups terribles ; sorte d'anarchie qui privait le
pouvoir exécutif d'autorité et d'influence, et nuisait à l'action du
gouvernement. Les
conventionnels, en mission dans la Vendée, écrivaient inutilement lettres sur
lettres au comité de défense générale : ils exposaient en vain toute la
grandeur du péril, demandant avec instance des secours puissants ; ils ne
recevaient aucune réponse. Eux-mêmes étaient divisés, partageant toutes les
passions de l'assemblée. Toutefois ils chargèrent Carra, l'un d'eux, de lui
faire connaître l'état des départements insurgés, les forces imposantes des
royalistes, leurs triomphes, et la nullité des moyens qu'on leur opposait.
Carra peignit au contraire cette guerre acharnée comme une légère révolte
facile à réprimer ou à éteindre ; il prétendit que les défaites étaient
exagérées. Or, la convention ne connut point la vraie situation de la guerre,
et le parti qui dominait alors n'envoya aucun secours efficace. On ne cessait
d'accuser le ministre de la guerre, Beurnonville, d'avoir retardé le
rassemblement de l'armée des Côtes ; le général Berruyer lui-même était tour
à tour accusé et défendu, et chaque général, employé dans la Vendée,
cherchait parmi les députés en mission un patronage, sans lequel il ne
pouvait éviter l'échafaud. Il est positif que le général Berruyer transmît au
ministre de la guerre les rapports les plus détaillés et les demandes les
plus énergiques, sans en obtenir une seule réponse. Le ministre des affaires
étrangères, Lebrun, tenait alors le portefeuille de la guerre. Ce fait, constaté
depuis dans son procès, fit triompher ses ennemis, et le conduisit à
l'échafaud. Les
commissaires conventionnels qui étaient, à Angers prirent enfin le parti
d'envoyer un de leurs collègues à Paris, et Berruyer lui-même. On ne renvoya
point le général ; on promit des troupes, et on fit passer pour tout renfort
un grand nombre de députés appartenant à ces mêmes départements, et qui, par
leurs préventions locales, ne firent qu'entraver les opérations. L'armée
républicaine, à cette époque, ne comptait pas quatre bataillons de troupes
réglées. Toute sa cavalerie consistait dans le 19e régiment de dragons et
quelques gendarmes à cheval. Elle n'était composée que de gardes nationaux en
réquisition, la plupart mal armés, et dont le service n'était que temporaire.
Il fallait créer des arsenaux, des fonderies, fabriquer des sabres, pourvoir
aux subsistances, et établir des hôpitaux. Les commissaires conventionnels
créèrent tout, et donnèrent l'impulsion. Un seul général, le brave Boulard,
qui commandait la petite armée des Sables-d'Olonne, soutenait l'honneur des
armes de la république. Avec des forces inférieures, il battit les divisions
de Joly, de Savin et de Guery-des-Clauzy. Le 7 avril, ce général s'étant mis
en marche, avait forcé les postes de la Crossière et de la Motte-Achard,
tandis que le colonel Esprit Baudry, employé sous ses ordres, détruisait les retranchements
de la Grève, de la Cachère et du Verron, défendus par une rivière profonde.
Rué, ainsi que Saint-Gilles., furent emportés de vive force, tandis que
Challans était défendu avec succès. Quoique
battus dans sept combats par Boulard, les insurgés du Bas-Poitou étaient
restés maîtres de la Motte-Achard ; à trois lieues des Sables-d'Olonne. Quant
à cette place, elle était d'autant mieux gardée ; que le colonel Baudry avait
saisi une correspondance où Charette et Joly laissaient entrevoir, avec
l'espérance de s'en emparer, quelques vues sur la Rochelle. Mais Boulard
pouvait défier et Joly et Charette ; les Sables-d'Olonne étaient en sûreté
dans ses mains. Une mort prématurée enleva cet officier expérimenté à la
république, dont il n'était point partisan. Mais il observait rigoureusement
ses devoirs, tout en déplorant en secret les malheurs de la patrie. Officier
dans l'ancien régime, ce titre de défaveur le rendit suspect. Lié par des
engagements en opposition avec les sentimens .de son cœur, il ne put
supporter l'injustice des hommes, et succomba sous le poids du chagrin. A cette
époque, la convention répartit les forces de la France en onze armées
différentes, soit aux frontières, soit dans l'intérieur. Deux de ces armées,
celles des côtes de la Rochelle et des côtes de Brest, enveloppaient, pour
ainsi dire, la Vendée ; l'une s'étendait depuis la Gironde jusqu'à
l'embouchure de la Loire, et l'autre depuis Nantes jusqu'à Saint-Malo. Les
conventionnels Carra, Choudieu, Garnier de Saintes, Goupilleau, Mazade et
Treilhard étaient en mission à l'armée des côtes de la Rochelle. Alquier,
Merlin de Douai, Gillet et Sevestre avaient la surveillance et la direction
de l'armée des côtes de Brest. Déjà la Vendée méridionale, appelée la Plaine,
était protégée par une division qu'avaient créée et organisée les généraux
Chalbos, Nouvion et Dayat, pour couvrir Fontenay ; elle eut peu à combattre
jusqu'à l'attaque de cette ville. Les rassemblements d'insurgés qui se
présentèrent dans la plaine, et qui s'emparèrent de Mareuil et de Moutier, en
furent dépostés par Nouvion, qui les chassa également de Beaulieu. Mais sept
à huit cents Vendéens s'étaient réunis aux environs de la Chataigneraye, sur
les rochers de Chefoix ; ils y étaient campés depuis trois semaines, vivant
de pillage, et poussant des cris affreux, comme pour épouvanter les
volontaires postés sur les rochers opposés : les patrouilles des deux partis
se fusillaient fréquemment. C'est dans les antres de Chefoix que s'exercèrent
au crime quelques brigands qui déshonorèrent le parti royaliste, tels que le
fameux Neau, marchand de sardines à Réaumur ; Meriet, dit comte de Ribard,
mendiant de profession, et Vrignaud, longtemps porte-étendard de l'armée
catholique. Ce dernier, couvert de forfaits, trouva enfin la mort, mais trop
tard, dans son propre parti. Le poste de la Chataigneraye, trop faible pour
déloger de Chefoix les Vendéens du midi, fut renforcé par Quetineau, avant
son mouvement sur Bressuire et sur Châtillon : lui-même avait pris position à
Bressuire, après sa défaite des Aubiers. Là une ordonnance vint lui annoncer
l'approche de la grande armée vendéenne, dont toutes les divisions s'étaient
réunies à Chollet vers la fin d'avril. Tous, les Vendéens, depuis dix-huit
jusqu'à cinquante ans, étaient tenus de prendre les armes, une proclamation
de leurs chefs vouant à la mort quiconque s'abstiendrait de marcher pour
défendre la cause royale. La proclamation fut accompagnée d'un manifeste ou
profession de foi politique, adressé aux républicains ; on y remarquait les
passages suivants : « Nous nous sommes armés pour combattre les
principes avec lesquels vous avez renversé et le trône et l'autel... une des
lois les plus respectées parmi vous, déclare que la souveraineté réside
essentiellement dans le peuple. Eh bien, nous formons une partie du peuple ;
nous voulons des lois qui ne soient point sans force ; une religion qui soit
respectée. Nous nous insurgeons contre la tyrannie, et nous serons secondés
par d'autres départements. Ne nous forcez pas à répandre le sang de nos
frères ; pardonnez-nous les excès commis par quelques-uns d'entr'eux dans le
premier élan de leur vengeance ; comme nous devenez Français, et songez que
notre patrie, autrefois florissante, n'est plus qu'un chaos où toutes les
vertus sont confondues avec les crimes ; évitez les malheurs qui vous
attendent, et devenez nos amis ». Cependant
Quetineau, inquiet de sa position, de l'indiscipline de ses troupes, insulté
par un ramas de Marseillais féroces, qui l'avaient joint à Bressuire,
redoutant d'être enveloppé dans une ville ouverte, prit le parti de se
réfugier à Thouars. Le lendemain, vingt-cinq mille Vendéens occupèrent
Bressuire, et ensuite Argenton-le-Château, où la garnison fut massacrée.
Sommée de se rendre, elle n'avait répondu que par des coups de fusil ; prise
d'assaut, on exerça contre elle le terrible droit de la guerre. L'occupation
de Bressuire et la prise d'Argenton-ls-Château étendirent le cercle de
l'insurrection ; l'armée royale en fut grossie, et eut trois nouveaux chefs :
le marquis de Donnissan, le marquis de Lescure, son gendre, et Bernard de
Marigny. Soupçonnés tous trois, par les autorités des Deux-Sèvres, de
fomenter les troubles et d'aspirer à se joindre aux Vendéens, ils avaient été
arrêtés à Clisson et conduits à Bressuire ; leurs jours y furent même
menacés. Mais alors se vérifia le pressentiment de La Rochejacquelein. Sa
victoire des Aubiers avait décidé Quetineau à évacuer précipitamment
Bressuire ; et Donnissan, Lescure, Marigny, oubliés dans leur prison, libres
de briser leurs fers, venaient de rentrer au château de. Clisson, ne sachant
où trouver les royalistes, ni comment éviter les détachements de l'ennemi.
Lescure, plein d'ardeur et de courage, veut partir sans délai pour Châtillon.
Il envoie l'ordre positif à plus de quarante paroisses de prendre les armes,
et il est même déjà à cheval. A peine est-il hors de son château, qu'il voit
arriver plusieurs cavaliers bride abattue, s'annonçant aux cris de vive le
Roi ! C'était La Rochejacquelein, qui met pied à terre, et s'élance
dans les bras de ses amis, en s'écriant : « Je vous ai donc délivrés ! »
Le château de Clisson devint à l'instant une place d'armes, et se remplit de
soldats. Lescure était chéri des habituas de ses immenses propriétés ; tous
le proclamèrent leur chef. Ainsi, le même jour qui le rendit à la liberté le
vit à la tête d'une armée. Dans la suite, il commanda constamment une
division dans les cantons de la Flocelière et des Herbiers, jusque vers
Parthenay, s'adjoignant tantôt à la grande armée vendéenne, tantôt à Bonchamps
ou à Charette, suivant les circonstances. Ici se trouve naturellement
l'occasion de faire connaître le caractère de ce chef célèbre. Instruit,
studieux, réfléchi, maître de ses passions, le marquis de Lescure, à l'âge de
dix-huit ans, s'était condamné à la plus sévère économie, pour payer les
dettes énormes d'un père prodigue. Plein de sagesse et de religion à un âge
où l'on ne s'occupe que de futilités et de plaisirs, mais attaché à ses
propres idées, taciturne, insociable, par excès de modestie et de vertu, ce
ne fut qu'à vingt-cinq ans, lorsqu'il se vit époux et père, que sa piété,
mieux entendue, adoucit son caractère sauvage. Sa jeune épouse — fille unique
du marquis de Donnissan — joignait à une grande fortune les grâces et les
vertus de son sexe. Lescure, né pour âtre riche, jeté de bonne heure dans la
carrière des armes — il était capitaine dans Royal-Piémont cavalerie —, se
montra zélé royaliste dès 1789 ; il entra des premiers dans la confédération
poitevine, émigra après l'arrestation de Louis XVI, à Varennes, rentra
ensuite, vint à Paris, et reçut l'ordre du Roi d'y rester, ainsi que Marigny,
son ami et son parent. Réduits, après le 10 août, à chercher un asile, ces
deux fidèles gentilshommes allèrent ensemble, à travers mille dangers, au
château de Clisson, pour ne plus se séparer qu'à la mort. Plus célèbre encore
par sa fin malheureuse que par ses actions, Bernard de Marigny se faisait
remarquer par sa loyauté, sa générosité, sa franchise. Grand, bel homme, doué
d'une force extraordinaire, il avait un fonds de gaîté et de complaisance
inépuisables ; il était plein de bravoure, mais brusque, et sujet à des emportements
incompatibles avec le sang-froid nécessaire à un chef de parti. D'ailleurs,
bon officier de marine, et décoré, il fut, avec Lescure, accueilli avec
distinction par les autres chefs de la Vendée. Tous deux prirent place au
conseil. On y admit aussi le marquis de Donnissan, beau-père de Lescure,
ancien colonel du régiment de Languedoc, et le seul maréchal-de-camp qui fût
alors parmi les insurgés. L'attaque de Thouars y fut unanimement résolue pour
le 5 de mai. L'armée rassemblée et conduite par Bonchamps, d'Elbée, Marigny,
La Rochejacquelein et Lescure, s'avança vers cette ville, marchant sur
plusieurs colonnes. L'artillerie était commandée par Bernard do Marigny, et
la cavalerie par Dommaigné, gentilhomme angevin, qui, vers le commencement
d'avril, s'était réuni aux insurgés. Thouars,
regardé jadis comme la clef de l'Anjou et du Poitou, offre une position
militaire excellente : il est bâti sur une colline, et le Thouet, rivière
profondément encaissée, guéable sur un seul point, trace autour de son
enceinte une ligne courbe qui défend la ville à l'occident et au midi. Le 3
mai, le général Quetineau l'avait occupé, et toute sa division, forte
d'environ six mille hommes, s'y étant concentrée, il l'avait passée en revue
le lendemain. Le soir même il reçut l'avis certain qu'il serait attaqué le 5,
par toute l'armée royale. Mais il ne fit aucune disposition, n'indiquant
point à ses soldats les postes qu'ils auraient à défendre, et ne prenant
aucune précaution contre l'indiscipline d'un bataillon de Marseillais, troupe
de brigands, l'écume du midi, lâches sur le champ de bataillé ; toujours la
menace à la bouche contre leurs généraux, et le sabre levé contre les
malheureux prisonniers qu'ils immolaient à leur rage sanguinaire. Thouars ne
pouvait être forcé que par le Gué-aux-Riches, situé au-dessus du village de
Vrine, à une demi-lieue de la ville, et par deux, ponts qui en sont plus
rapprochés et qu'on avait négligé de couper. À cinq heures du matin, des
coups de fusils partis des hauteurs du Ligron, opposées, à celles de Vrine,
annoncèrent aux républicains l'approche de l'armée royale. Chacun alors
courut aux armes ; les bataillons se formèrent, pour ainsi dire, au hasard ;
on ne battit même la générale que lorsque l'armée entière eut défilé hors de
la ville, où elle prit position à la hâte. Les bataillons de la Nièvre, de la
Vendée et du Var occupèrent les hauteurs de Vrine et la tête du pont qui
était retranchée, et dont la position domine, en amphithéâtre, le pont et
toute la rive du Thouet. Quatre cents volontaires de.la Vienne gardaient le
Gué-aux-Riches. D'autres troupes défendaient le passage de la rivière, du
côté de Saint-Jacques et du pont Neuf. Quant à la garde nationale de Thouars,
Quetineau la plaça près le pont de Praillon, par où les royalistes auraient
pu lui couper la retraite sur Poitiers. Le reste de l'armée se rangea en
bataille à une portée de canon des murailles. Déjà les royalistes, après
d'inutiles sommations, avaient ouvert le feu de leur artillerie ; de tous côtés
le canon se faisait entendre. Lescure, La Rochejacquelein et Bonchamps
devaient commencer l'attaque sur deux points différents, et le reste de
l'armée suivre et attaquer immédiatement sur d'autres points ; mais sa marche
fut retardée. Il était onze heures et la canonnade durait encore, sans qu'on
eût abordé les positions avec les têtes de colonnes. Cependant la division
commandée par Lescure et La Rochejacquelein, débouchant du village de Ligron, situé sur une hauteur en face du pont
de Vrine, avait commencé, d'une rive à l'autre, le feu de la mousqueterie, mais
sans aucun succès. Elle n'avait déjà plus ni poudre, ni munitions, et n'étant pas soutenue, tombait dans
le découragement,
lorsque La Rochejacquelein, impatienté, part au galop pour aller chercher des
cartouches et presser la marche des troupes. Lescure, resté seul, devient téméraire ; il veut inspirer de la confiance à ses paysans — c'était son premier combat —, prend
un fusil, et s'avance seul 'vers le pont de Vrine, criant aux Vendéens de le
suivre. Une décharge de mousqueterie et de mitraille crible de balles ses
habits, et ne l'atteint pas. Lescure, ne se voyant point suivi, revient,
appelle, encourage de nouveau ses soldats, retourne encore sur le pont,
échappe à une nouvelle décharge, et, suivi enfin, s'élance dans les retranchements.
Il eût péri vraisemblablement, si La Rochejacquelein, accouru avec des
renforts, ne l'eût soutenu. Les Vendéens vinrent alors en foule, les retranchements
furent emportés, et le pont resta au pouvoir des royalistes, qui firent
prisonniers de guerre la plupart des soldats qui l'avaient si mal défendu.
Alors commence l'attaque générale. A la tête de la cavalerie, Bonchamps passe
le Gué-aux-Riches à la nage ; Marigny et Donnissan forcent le pont Neuf à
coups de canon ; Stofflet et d'Elbée combattent vers la porte de Saumur.
L'attaque de Bonchamps fut la plus impétueuse et la plus décisive. Les
volontaires de la Vienne, pris en flanc et sans secours, se firent écraser, à
l'exception de quelques lâches qui avaient pris la fuite au seul aspect des
Vendéens. Maître du passage, Bonchamps se porta en force vers la ville,
tandis que La Rochejacquelein et Lescure tenaient en échec le gros des
républicains. Alors Quetineau s'avance pour combattre avec sa réserve ; il
rallie son armée et se déploie dans la campagne entre Vrine et Thouars, et le
feu s'engage de part et d'autre. La fortune parut un moment indécise ; mais
les Vendéens élargirent leur front, étendirent leurs ailes, et débordèrent
les républicains. Bientôt ces derniers, ébranlés de toutes parts, cherchèrent
leur salut derrière les murs de la ville. Quetineau entraîné se troubla, et
au lieu de commencer sa retraite sur Loudun et Poitiers, il ne donna aucun
ordre, et se réfugia dans Thouars. Les Vendéens, poursuivant leur victoire,
donnent immédiatement l'assaut. Les remparts sont escaladés avec une
intrépidité surprenante. La Rochejacquelein, monté sur les épaules du brave
Texier de Courlay, tire sur les 'assiégés, et tandis qu'on recharge ses
armes, il arrache de ses mains les pierres des murailles et commence la
brèche. Les plus braves avaient déjà pénétré dans la ville, lorsqu'enfin on
arbora le drapeau blanc, pour la sauver du pillage. Toute l'armée mit bas les
armes, .et se rendit à discrétion. Le général, les soldats, et la ville
qu'ils n'avaient pas su défendre, leurs munitions, cinq à six mille fusils,
douze pièces de canon, vingt caissons, restèrent au pouvoir des royalistes.
Ils trouvèrent les habitants consternés, car plusieurs d'entr'eux avaient
participé au massacre du mois d'août précédent ; et ils redoutaient les
vengeances. Quel fut leur étonnement, quand ils virent les Vendéens courir
aux églises, pour sonner les cloches, et aux pieds des autels, pour remercier
Dieu de leur avoir donné la victoire. Là, ils déposent tout ressentiment,
toute idée de meurtre. La victoire était complète. On avait combattu pendant
six heures, et sept à huit cents morts étaient restés sur le champ de
bataille. Il fallut pourvoir à la sûreté de la ville et de l'armée royale.
Bonchamps fit une proclamation qui enjoignait à la garnison prisonnière et à
tous les fonctionnaires publics, de se rendre clans la cour du château ; sous
peine de mort : on obéit. Le district fut sommé de livrer ses archives ; tous
les titres appartenant au clergé et à la noblesse en furent retirés avec
soin, et on brûla le reste. Les généraux vendéens se transportèrent ensuite
dans les cours du château, où se trouvaient cinq à six mille prisonniers :
ils les firent désarmer ; les uniformes nationaux furent déchirés. Le
lendemain, on fit prêter à tous le serment d'être fidèles à la religion et à
Louis XVII, et de ne jamais porter les armes contre le Roi ou ses armées. Le
serment prêté, oh publia que les prisonniers seraient admis volontairement
dans l'armée vendéenne. Plusieurs y passèrent ; le reste fut divisé, et on en
choisit douze par département, qui furent gardés comme otages. Dommaigné
distribua des laissez-passer à tous ceux qui retournèrent dans leurs foyers.
Ainsi la grande aimée catholique se signala par une modération qui
contrastait avec les cruautés révoltantes commises par les insurgés du
Bas-Poitou. Dans une ville prise d'assaut, il n'y eut ni massacre ni pillage
; nul ne fut inquiété ; les propriétés comme les personnes furent respectées.
L'armée victorieuse se contenta de vivre à discrétion, aux dépens des
habitants de la ville et des campagnes qui s'étaient le plus compromis dans
les excès révolutionnaires. La
prise de Thouars amena sur le théâtre de nos sanglantes discordes l'évêque
d'Agra, si fameux parmi les Vendéens. Il ne reste plus à présent aucun doute
sur sa pieuse imposture, qui a été l'objet de conjectures si diverses. Fils
de' Guyot de Foleville, commissaire de la marine à Saint-Malo, le soi-disant
évêque d'Agra fut d'abord curé de Dol, en Bretagne. Il se rétracta après
avoir prêté le serment ecclésiastique ; disparut, et vint à Poitiers, où
secrètement il se dit grand-vicaire de Dol : il obtint des pouvoirs émanés de
l'évêque. Enhardi par le succès de sa fraude, il se déclare non-seulement
grand-vicaire, mais encore évêque d'Agra, et vicaire apostolique pour
gouverner une partie de l'Eglise de Franco pendant la persécution ; enfin il
assure avoir été ordonné à Saint-Germain-en-Laye, par l'évêque d'Oléron,
assisté de deux prélats étrangers, et il fait la consécration des autels
selon le cérémonial des évêques. On le soupçonna d'imposture, mais il eut
pour lui le plus grand nombre, qui croit toujours sans examen. En secret royaliste,
en apparence républicain, il fut requis, avec la garde nationale de Poitiers,
pour aller combattre les insurgés de la Vendée. Venu pour défendre Thouars,
il se mit à l'abri du combat. La ville prise, il demande à parler aux
généraux royalistes : il est conduit devant eux, et leur dit qu'il est évêque
in partibus, qu'il n'a pu parvenir sûrement parmi les Vendéens que
sous l'uniforme national. On le reconnaît comme évêque, et on l'admet dans le
conseil, soit qu'on n'eût aucun soupçon de sa fraude, soit que le bruit des
armes ne permit de rien approfondir, soit qu'on fût pressé de l'employer
comme un instrument de politique auprès de la multitude. On verra comme il
fut enfin dévoilé pendant l'incursion d'Outre-Loire, et quelle fut la fin
tragique de cet homme si peu capable de soutenir le rôle imposant qu'il
s'était ménagé, à la faveur d'une guerre intestine. Ce fut aussi à Thouars
que le comte de Beauvollier et plusieurs autres officiers vinrent se ranger
sous les drapeaux des royalistes. Issu d'une famille ancienne du Poitou, et
d'abord page de Louis XVI, le comte de Beauvollier vivait retiré dans sa
terre de Saint-Marçol, près Loudun. Là, dénoncé comme l'un des fauteurs de
l'insurrection, au conventionnel Tallien, l'ordre de l'arrêter fut donné ; il
y échappa et se réunit à l'armée vendéenne. Son frère puîné l'y avait précédé
; le cadet les joignit bientôt. Les chefs de l'armée accueillirent avec joie
ces nouveaux compagnons d'armes. Beauvollier fut nommé d'abord commandant en
second de l'artillerie royale, sous Bernard de Marigny, très-versé dans cette
partie de fart militaire. La
défaite de la division de Quetineau laissait un vide immense dans la ligne
d'opération des républicains ; leurs communications se trouvaient
interrompues avec Niort, et les royalistes pouvaient faire impunément des
courses dans les districts de Loudun et de Chinon. Un cri unanime
d'indignation s'éleva dans l'armée et à la convention, contre le général
Quetineau, accusé d'avoir lâchement livré Thouars, et signalé comme l'ami, la
créature du général Dumouriez, dont la défection avait laissé des traces profondes.
Rien n'était plus injuste. Quetineau, plein de courage, franc et loyal,
abhorrait la trahison ; mais quoique dévoué au parti révolutionnaire, il
s'était déclaré l'ennemi de ces démagogues affreux, qui, baignés dans le
sang, ne vivaient que de pillage. Il avait d'abord commandé avec distinction,
vers les frontières du nord, un bataillon des Deux-Sèvres, et après la
conquête de la Belgique, il s'était retiré à Thouars, son pays natal. Là.,
ses concitoyens l'avaient porté au commandement de la garde nationale, et
quand on chercha partout une armée pour combattre les Vendéens, il avait
obtenu sans peine le brevet de général commandant la division de Bressuire.
Mais dès ses premières opérations, il avait fait preuve d'incapacité. La
défaite de Thouars pouvait être imputée à son imprévoyance. Traité ensuite
avec égard par les chefs de la Vendée dont il était le prisonnier de guerre,
pressé par Lescure et Beauvollier de s'attacher aux royalistes, ou de rester
au moins sur parole dans le pays insurgé, il s'y refusa, ne songeant qu'à son
honneur, voulant d'ailleurs porter sa justification aux républicains,
déchaînés contre lui. Laissé libre sans s'être abaissé, par aucune
supplication, il partit plein d'estime pour les Vendéens, et fut se
constituer prisonnier à Saumur. Là il fut délivré par eux, et Lescure lui
offrit encore un asile. Mais, invariable dans sa première résolution, il se
rend auprès de son général en chef et dans les clubs acharnés à sa perte,
provoquant l'examen, de sa conduite, se livrant lui-même à ses juges. En vain
allègue-t-il, en preuve de son innocence, l'inexpérience de ses soldats et
l'impossibilité de défendre, avec seulement quatre mille hommes effectifs,
une ligne de quinze lieues, depuis Saumur jusqu'à la Chataigneraye. Mais il
ne put justifier son impéritie. Sa perte était jurée : faussement accusé
d'avoir fait arborer le drapeau blanc, d'avoir excité ses soldats à crier vive
Louis XVII ! vive la Reine ! d'avoir donné, au milieu des cadavres,
l'accolade fraternelle au général vendéen, il fut transféré à Paris, jugé révolutionnairement,
et porta sa tête sur l’échafaud. Sa femme périt avec lui, soit que, livrée au
désespoir, elle ait voulu partager sa destinée, soit qu'une seule victime
n'ait pu suffire à ses bourreaux. Enhardie
par ses succès, l'armée royale resta deux jours à Thouars, poussant un parti
vers Loudun. Cette ville ouvrit ses portes et arbora le drapeau blanc : les
Vendéens y restèrent peu ; le conventionnel Tallien y rentra bientôt, s'y
montra menaçant, réintégra les autorités républicaines, et fit arrêter tous
eux qui s'étaient déclarés pour les royalistes. Ceux-ci allaient se porter
contre la ville de Fontenay, dont la conquête semblait propre à étendre le
feu de l'insurrection, et à frapper les esprits. De tous les chefs, Bonchamps
fut le seul qui rentra en Anjou avec sa division, pour surveiller les bords
de la Loire. D'Elbée, Cathelineau et Lescure, s'étant concertés, l'armée
marcha d'abord sur Parthenay, petite ville située à six lieues, de Tours, et
que les républicains abandonnèrent. On se dirigea ensuite sur la
Chataigneraye, à cinq lieues au nord de Fontenay, et qui était défendu par
trois mille hommes, sous les ordres du général Chalbos : il4 acceptèrent le
combat. De part et d'autre, il s'engagea avec une grande résolution. Dès que
l'artillerie eut commencé à tonner, Bernard de Marigny fit pointer à propos
celle des Vendéens. Le marquis de Donnissan s'aperçut qu'une colonne
s'avançait pour prendre l’armée royale en flanc ; il fit aussitôt marcher
contre elle, et la força de se replier. Cette manœuvre, exécutée avec
précision parues paysans peu aguerris, décida le gain de la bataille ; elle
coûta la vie à un assez grand nombre de royalistes. Le chevalier de
Beauvollier et MM. de Mondyon et Duperat de Cognac y furent blessés. M. de
Baugé, 'qui, après avoir combattu, contre ses sentimens, dans les rangs des
républicains, était passé du côté des Vendéens, y fit ses premières armes.
Mis, pour ainsi dire, à l'épreuve par le marquis de Lescure, il conquit sa
confiance en montrant autant de sang-froid que de courage, et triompha de la
défiance des insurgés, qui voyaient un espion dans chaque transfuge. La
Chataigneraye eut à souffrir de la part des vainqueurs ; ils pillèrent et
dévastèrent les maisons appartenant aux républicains qui leur furent
signalés. Ceux des paysans royalistes qui eurent la plus grosse part du
butin, rentrèrent dans le Bocage, pour l'y mettre en sûreté. L'armée séjourna
le 14 à la Chataigneraye, et le lendemain, quoique réduite, par la désertion,
à huit ou dix mille hommes, elle marcha sur Fontenay ; on ne fit ce jour-là
que deux lieues, et on s'arrêta à Vouvant. Le parc d'artillerie y fut établi
; les Vendéens se logèrent chez les habitants, et leurs officiers mirent tout
en réquisition, sur des bons payables à la fin de la guerre ; les caves
furent dévastées. A la nuit tombante, les pieux Poitevins, le chapelet à la
main et le scapulaire au cou, firent en commun une longue prière. Ce ne fut
que le i6 au matin que les prêtres, jusqu'alors travestis, prirent leurs habits
sacerdotaux et officièrent pontificalement dans l'église de Vouvant, en
demandant à Dieu la grâce d'entrer le soir triomphants à Fontenay. Comme ils
craignaient de n'y pas trouver de vases sacrés, ceux de Vouvant furent mis dans
les bagages de l'armée. D'Elbée et Cathelineau, impatiens de vaincre,
s'approchèrent de Fontenay sur deux lignes : ils commandaient la droite ;
Lescure et La Rochejacquelein conduisaient la gauche ; Dommaigné, avec la
cavalerie et l'artillerie, était au centre. Le
général Chalbos sortit de la ville, pour se déployer dans la plaine et
présenter la bataille. La canonnade fut vive de part et d'autre, et dura près
de trois heures. Les républicains firent face de tous les côtés ; quoique
déjà enfoncés par La Rochejacquelein et Lescure, qui, à la tête de l'aile
gauche, pénétraient dans les faubourgs, une charge de cavalerie faite à
propos, décida la victoire en leur faveur. Chalbos tomba d'abord sur le flanc
des royalistes ; son attaque n'ayant pas réussie il ordonna au général
Nouvion de charger de nouveau, tandis qu'avec le reste de sa cavalerie, il
assaillit les Vendéens à dos, et les culbuta par un choc impétueux et simultané.
L'infanterie républicaine, commandée par l'adjudant-général Sandoz, profitant
du désordre de l'ennemi, compléta, sa déroute. D'Elbée, emporté par son-ardeur,
reçut une blessure à la cuisse, en combattant au premier rang. M. de la
Marsonnière fut enveloppé et pris avec plus de deux cents hommes. On croyait
tout perdu ; mais, d'un côté, Dommaigné, à la tête de la cavalerie, de
l'autre, Lescure et La Rochejacquelein, qui faisaient leur retraite en bon
ordre, arrêtèrent pendant trois-quarts d'heure la poursuite des vainqueurs,
et donnèrent le temps à l'infanterie catholique de regagner le Bocage. Quatre
cents morts, deux cent quarante prisonniers, la perte des bagages, des
munitions, et de quatre-vingts pièces de canon, entr'autres la fameuse Marie-Jeanne,
regardée, par les Vendéens, comme étant clouée d'une vertu surnaturelle,
telles furent leurs pertes dans cette journée, ou plutôt dans cette grande
déroute. Au lieu de se rallier, ils rentrèrent dans leurs chaumières, comme
ils faisaient toujours, soit après une défaite, soit après une victoire.
Cathelineau, que distinguait son sang-froid dans le danger, et dont le
coup-d'œil était sûr, et le jugement sain, avait saisi les véritables causes
de la perte de la bataille. Il se montra dans le Bocage, aux paysans, avec un
front serein, un air tranquille : « Ce n'est rien, leur dit-il ; notre
malheur sera bientôt réparé ; dans quinze jours, j'en réponds, nous serons
martres de Fontenay, et nous reprendrons, avec usure, ce que nous avons
perdu. J'ai vu la cause de notre déroute ; mon plan est formé pour une nouvelle
attaque ; on le suivra, et nous resterons vainqueurs ». Les autres chefs
partageant la confiance de Cathelineau, tinrent conseil à
Châtillon-sur-Sèvres, et résolurent de tenter une nouvelle attaque. On pressa
l'arrivés de la division de Bonchamps, et Cathelineau électrisant les
campagnes, les prêtres exaltant les Vendéens par de pieuses exhortations, par
la promesse de récompenses célestes : « C'était Dieu, dirent-ils, qui venait
de permettre qu'ils fussent battus pour les punir d'avoir dévasté la
Chataigneraye ». En même temps, le prétendu évêque d'Agra faisait son entrée
à Châtillon, au bruit de toutes les cloches ; il officiait pontificalement et
distribuait des bénédictions à la foule qui se portait sur ses pas et se
pressait autour de lui. Les Vendéens, ivres de joie d'avoir un évêque parmi
eux, oublièrent leurs revers, et ne songèrent plus qu'à combattre. A peine
eurent-ils la patience d'attendre l'ordre de leurs chefs pour, marcher en
avant. Chalbos,
de son côté, s'était reporté sur la Chataigneraye, avec sa petite armée
victorieuse. Là, il est continuellement harcelé. Des pelotons de Vendéens
viennent toutes les nuits inquiéter ses avant-postes. Le 24 mai au soir, ses
éclaireurs annoncent qu'on va être cerné par une armée formidable. Chalbos
fait battre la générale, fait charger les chariots, et, de l'avis de son
conseil, se replie sur Fontenay en marchant sur trois colonnes. Le lendemain,
à l'aube du jour, les Vendéens, au nombre de trente-cinq mille combattants, occupèrent
la Chataigneraye et marchèrent immédiatement sur Fontenay, récitant les
litanies sur la route, et chantant des hymnes sacrés. Répandus dans la
plaine, ils la couvrirent en un instant. A midi, ils occupèrent la même
position où ils avaient été battus le 16. Chalbos, arrivé à Fontenay à cinq
heures du matin, avec toute son armée, se mit en bataille en présence de
l'armée vendéenne, formée en trois Colonnes d'attaque : Lescure conduisait
l'aile gauche, Bonchamps commandait la droite ; Cathelineau était au centre
ainsi que d'Elbée, qui, malgré sa blessure, voulut prendre part à l'action. A
la tête de la cavalerie paraissaient La Rochejacquelein, Dommaigné et
Beaurepaire. A l'exception des soldats de Bonchamps, le reste n'avait ni
munitions ni artillerie. La plupart des Vendéens, impatiens de combattre,
demandaient des cartouches à leurs chefs ; Bernard de Marigny leur dit : En
voilà ! montrant les républicains. Ceux-ci qui avaient reçu des renforts,
étaient au nombre de dix mille combattants, sous les ordres des mêmes
généraux qui, peu de jours auparavant, avaient vaincu les royalistes sur ce
même terrain. Les Vendéens venaient de recevoir la bénédiction de leurs prêtres,
lorsque les chefs leur donnèrent le signal de la bataille ; comme ils
hésitaient de charger, faute d'artillerie : « Allons, mes enfants, s'écrient
les généraux, il faut enlever les canons avec des bâtons, et reprendre Marie-Jeanne ».
Bonchamps, d'Elbée, Cathelineau se portent aussitôt en avant et animent leurs
soldats ; ceux de Lescure, qui forment l'aile gauche, ralentissent au
Contraire leur marche. Lescure tire alors son épée, s'avance seul devant eux,
ne s'arrête qu'à trente pas, et fait entendre le cri de vive le Roi !
leur donnant ainsi l'exemple. A l'instant marne, il reçoit le feu à mitraille
d'une batterie de six pièces de canon : ses habits seuls sont percés. « Mes
amis, crie-t-il aux Vendéens, vous le voyez, les bleus ne savent pas tirer ;
en avant !... » Entrainés autant par ses actions que par ses paroles,
les paysans prennent leur course, et apercevant sur leur passage une grande croix
de mission, se jettent tous à genoux, quoiqu'à la portée de l'artillerie. M.
de Baugé, qui suivait Lescure, veut les faire marcher de la voix et du geste.
« Laissez-les prier Dieu, lui dit le général d'un air tranquille ». Se
relevant presqu'aussitôt, les Vendéens fondent de nouveau sur la batterie des
républicains ; ceux-ci tenaient ferme encore. Les chasseurs de la Gironde
faisaient un feu vif et soutenu ; les volontaires de Toulouse et de l'Hérault
combattaient vaillamment ; d'autres bataillons, animés par sept
conventionnels présents à l'action, résistaient aux efforts des colonnes
royalistes, lorsque La Rochejacquelein et Dommaigné, chargeant à la tête de
la cavalerie, firent plier celle des républicains. Vainement Chalbos ordonne
à la gendarmerie, placée en seconde ligne, de charger à son tour ; cinq
gendarmes seulement cèdent è la voix de leur général ; le reste, effrayé paie
la désertion de quelques lâches, s'enfuit à toute bride, foulant aux pieds
l'infanterie sur son passage. La Rochejacquelein juge alors qu'au lieu de
poursuivre la cavalerie, il faut achever la déroute de l'aile gauche, qui
soutient encore le combat. Il l'assaillit en flanc, et décide par-là le gain
de la bataille. Cernés par les Vendéens, abandonnés par la cavalerie, et succombant
sous le nombre, les républicains entamés se dispersent en désordre. Le
conventionnel Garnier (de Saintes), qui combattait à pied, eût été pris
infailliblement, sans un gendarme qui lui donna son cheval. Restait à prendre
la ville : elle se remplissait de fuyards armés de fusils, et décidés à s'y'
retrancher. Lescure y arrive le premier ; Bonchamps se joint à lui, suivi de
Tore, simple cavalier vendéen. Ils ne sont que trois, et ont la témérité de
pénétrer dans les rues, rencontrant à chaque pas des soldats ennemis. La
plupart glacés d'effroi, et les croyant en force, leur demandent grâce à
genoux. Vive le Roi ! Rendez-vous ! A bas les armes ! leur crient
Bonchamps et Lescure. L'un d'eux avait aussi demandé grâce et mis son fusil à
terre ; il le reprend, ajuste Bonchamps, et le blesse au bras et à la
poitrine. Indignés de cette perfidie, les Vendéens accourent, recherchent
partout l'assassin, et s'élançant comme des furieux sur les vaincus, en
égorgent un grand nombre. En même temps Lescure court aux prisons, et délivre
non-seulement les Vendéens faits prisonniers dans le combat précédent, mais
encore beaucoup d'autres royalistes ; la plupart étaient voués à la mort. Ces
malheureux se jettent tour à tour dans les bras de leurs libérateurs. Cependant
la route de Niort était couverte de fuyards. Le jeune Foret venait de s'y
engager seul, dans, l'espoir de recouvrer la pièce de canon à laquelle les
Vendéens attachaient tant de prix. Dans leur fuite, les républicains
s'efforçaient de la traîner à Niort. Vingt-cinq mille francs étaient promis
aux gendarmes qui ramèneraient ce Palladium des royalistes.
L'intrépide Foret l'aperçoit de loin, s'élance seul, tue de sa main deux
gendarmes, et, soutenu par quelques braves qui sont aussi à la poursuite des
vaincus, il reconquit Marie-Jeanne. Pleins de joie, les Vendéens, à genoux
devant cette pièce de canon merveilleuse, l'embrassent avec respect, la
couvrent de feuillages, prennent la place des chevaux, et la ramènent en
triomphe à Fontenay, pour la traîner ensuite au centre même du Bocage.
L'enthousiasme était général ; les femmes mêmes accouraient leur rencontre,
et décoraient le canon de fleurs et de rubans. En même temps, La Rochejacquelein,
Dommaigné et Beaurepaire poursuivaient aussi les fuyards sur la route de
Niort. Mais les généraux Dayat et Nouvion, à la tête de quelques gendarmes,
chargèrent la cavalerie royale harassée, et protégèrent ainsi la retraite.
Toutefois rien ne put rallier les républicains ; sept à huit cents hommes
seulement entrèrent à Niort, le reste se porta vers Saint-Hermand et Marans ;
le plus grand nombre déserta. Niort fut déclaré en état de siège ; on
s'attendait à y être attaqué. Cette journée honteuse coûta aux vaincus
environ dix-huit cents hommes tués, blessés ou faits prisonniers, gui tante
pièces de canon, beaucoup de fusils, une grande quantité de poudre et de
munitions de toute espèce, et deux caisses remplies de papier-monnaie appelé assignats.
L'une fut pillée par les paysans, qui, pleins de mépris pour cette monnaie de
papier, la mirent en pièces et la brûlèrent. Les généraux préservèrent
l'autre caisse, et, pour rendre les assignats qu'elle renfermait utiles aux
besoins de l'armée, ils les endossèrent au nom du Roi. Quant aux Vendéens,
ils n'eurent que peu de pertes à regretter ; Bonchamps, blessé, fut porté sur
un brancard au château de Landebaudière, près Tiffauges. Stofflet
fut nommé commandant de Fontenay, 0A. les royalistes trouvèrent de grandes
richesses en ornements et en, argenterie d'église. Trois mille personnes des
deux sexes et de toutes classes furent d'abord arrêtées et renfermées dans
les cours du département. On décida que les membres des autorités
républicaines seraient transférés à la Foret-sur-Sèvre ; mais Beauvollier,
cédant aux, instantes sollicitations de madame Grimouard de Saint-Laurent,
leur fit rendre la liberté, en leur désignant leur protectrice. Cette femme
estimable, chez qui les royalistes avaient porté leur quartier-général,
obtint aussi, à forces de prières, la grâce d'un grand nombre de prisonniers
qui se croyaient à la veille, d'être fusillés par représailles. Mais, au lieu
de recevoir, après le départ des Vendéens, le juste tribut de reconnaissance
publique pour ce trait généreux, elle fut emprisonnée, comme si, dans ces
temps déplorables, la vertu n'eût été qu'un titre de proscription. Cependant
la victoire de Fontenay était annoncée au bruit de toutes les cloches et le
drapeau blanc remplaçait l'étendard tricolore. Tandis qu'un détachement se
portait au département, pour en enlever tous les papiers et les brûler au
pied de l'arbre de la liberté, la plupart des soldats vendéens se livraient à
leur goût effréné pour les liqueurs spiritueuses. Le 26 mai, leurs prêtres
officièrent pontificalement, et chantèrent un Te Deum en action de
grâces. Les généraux royalistes, jusqu'alors peu connus, parurent en grand
nombre avec les distinctions de leur parti, affectant la plus grande
modération, et donnant à leurs soldats des marques de la piété la plus
touchante. Le marquis de Donnissan harangua les prisonniers républicains, dans l'espoir de les attacher à son parti ; mais il fit peu de prosélytes. On forma un comité composé de huit personnes, prises parmi les habitants de la ville les plus riches et les plus connus par leur opposition aux principes révolutionnaires ; ce comité fit peu d'opérations, Fontenay étant resté trop peu de temps au pouvoir des royalistes. Tous les habitants furent ensuite appelés dans une vaste prairie près de la ville, pour y prêter serment à la religion et à la royauté. Il s'y rendit peu de monde, soit qu'on fût retenu par la crainte de l'avenir, soit que les royalistes, comme dans presque toutes les villes, n'y fussent point en majorité. Enfin les généraux de l'armée royale crurent devoir publier une proclamation au nom du Roi[1], dans laquelle, exaltant leurs victoires, qu'ils attribuaient à la faveur du ciel, leur modération, qu'ils opposaient aux crimes des révolutionnaires, ils conjuraient tous les Français de se rallier pour chasser des représentants infidèles, et pour rétablir, Avec la religion catholique, la royauté dans la personne de Louis XVII. |