Combat de Bressuire.
—. Explosion du 10 mars. — Succès des Vendéens. — Caractère de leurs chefs. —
Massacres de Machecoul. — Première organisation insurrectionnelle.
LA Rouerie n'avait point encore
jeté en Bretagne les fondements de son association royaliste, quand les
nobles de l'Anjou et du Poitou se confédérèrent en secret ; à la vérité, il
ne reste sur ce fait que des traditions, et aucun monument historique ; mais
il est positif que le vertige de l'émigration, qui gagna successivement les
gentilshommes de toutes les provinces de France, amena la dissolution de
cette espèce de ligue poitevine, formée, en 1790, pour la défense du trône et
de la noblesse. Il n'y
eut donc point de connexion immédiate entre les premiers troubles de la
Bretagne et ceux de la Vendée ; en un mot, la guerre civile n'aurait point
éclaté sur la rive gauche de la Loire, sans l'irritation des esprits, ou sans
des causes fortuites et imprévues. Sur les
deux rives du fleuve, on vit échouer tout ce qu'on avait combiné lentement,
et le hasard seul présida, en quelque sorte, à la formation d'un parti
royaliste armé. Des
témoignages irrécusables m'ont amené à cette opinion toute contraire à celle
que j'avais avancée dans les premières &litions de cet ouvrage ; rien ne
peut m'empêcher aujourd'hui de rendre, hommage à la vérité, dont il est
impossible que je m'écarté autrement que par une erreur involontaire. Du
reste, il est un fait certain ; c'est qu'avant la mort de La Rouerie et les
insurrections partielles de la Bretagne, toute la Vendée avait déjà été
ébranlée par la chute du trône ; que le sang y avait coulé en abondance, et
qu'avant l'explosion générale, les environs de Bressuire furent le théâtre
d'un combat meurtrier, livré sous les bannières du double enthousiasme de la
liberté et de la religion. D'abord les prêtres opposèrent à leurs persécuteurs
des moyens surnaturels : ils émurent les esprits déjà disposés au
merveilleux. On ne 'parlait que de miracles : ici, la Vierge avait apparu en
personne pour sanctifier un autel provisoire élevé dans les bois ; là,
c'était le Fils de Dieu qui était descendu lui-même du ciel pour assister à
une bénédiction de drapeaux. A Chemillé, on avait vu des anges parés d'ailes brillantes,
de rayons resplendissants, qui annonçaient, et promettaient, la victoire aux
défenseurs de l'autel et du trône. Un
décret de déportation, lancé contre les prêtres insermentés[1], qu'on arracha de leurs foyers,
sur des dénonciations sans preuves, excita l'indignation des pieux habitants
du Poitou. La catastrophe du 10 août, et le passage du Rhin par les armées
coalisées, achevèrent d'enflammer les esprits. On se préparait ouvertement au
combat dans plus de quarante paroisses du district de Châtillon. Tout-à-coup
huit mille paysans se soulèvent. Il leur fallait un chef : Delouche, maire de
Bressuire, qui fomentait sourdement la révolte, n'avait point assez de
courage ; Gabriel Baudry d'Asson fut choisi. C'était un gentilhomme, ancien
militaire, commandant la garde nationale du territoire de Brachain, prés la
Chataigneraie, où il exerçait une grande influence. A son premier penchant
pour les innovations, avait succédé une haine implacable contre la
révolution, depuis qu'elle abattait et la noblesse et la royauté : on
connaissait son caractère fougueux et entreprenant. Au premier cri
d'insurrection, les plus hardis se portent en foule au château de Brachain,
arrachent Baudry du sein de sa famille, et le proclament leur chef. On vit
depuis, dans cette guerre, les nobles Poitevins suivre l'exemple de Baudry,
et, comme lui, se faire enlever violemment de leurs châteaux pour être élus
chefs de révolte ; sorte d'élection populaire qui, pour combattre la
démocratie, en admettait les principes. Bientôt les insurgés, armés de
bâtons, de faux, de fourches et de fusils de chasse, marchent au combat sur
plusieurs colonnes, en récitant des prières. Baudry d'Asson, auquel s'étaient
joints trois autres gentilshommes, MM. de Calais, de Richeteau et de Feu,
hésite s'il marchera d'abord sur Châtillon ou sur Bressuire. Contre l'avis de
Delouche, s’il décide qu'on envahira Châtillon. En un instant, Châtillon est
cerné par une multitude furieuse qui se persuade que la prise de cette ville
intimidera la France entière, et fera révoquer les décrets qu'on foulait aux
pieds. Après avoir dévasté Châtillon, et brûlé les papiers du districts les
insurgés se portent sur Bressuire : sans un orage qui les dispersa, Bressuire
eût été pris. Le délai d'un jour donna le temps aux habitants de la Plaine
d'arriver au secours de la ville. Déjà le tocsin révolutionnaire avait
répondu au tocsin des royalistes ; et les gardes nationales de Parthenay,
Thouars, Niort, Saint-Maixant, Chollet, Angers, Nantes, Saumur, Poitiers et
Tours, celles même de la Rochelle et de Rochefort, s'étaient mises en marche
par nombreux détachements, pour combattre les Poitevins insurgés. A la
nouvelle de ce soulèvement, la capitale, les provinces, le corps législatif,
lei chefs militaires, tout prit l'alarme, et les routes se couvrirent de
volontaires, seules troupes alors disponibles ; le rendez-vous général fut à
Bressuire. Cette ville, attaquée un jour trop tard, mais pressée vivement par
de nouveaux renforts d'insurgés, n'était défendue que par des chasseurs, et
des grenadiers de Thouars et d'Airvaux, et par une poignée de citadins. Elle
allait succomber, lorsqu'on vit flotter au loin les drapeaux tricolores des
gardes nationales combinées. Ce fut le 24 août 1792 que les deux partis en
vinrent aux mains, sous les murs de Bressuire ; le combat ne fut pas long. En
vain les paysans royalistes formèrent une colonne serrée ; ils étaient mal
armés ; attaqués de toutes parts, ils furent, entamés, anis en déroute, et se
sauvèrent dans le plus grand désordre. Leurs chefs divisés, incapables d'un
plan vaste, ne songèrent, dès le commencement de l'action, qu'à éviter de
tomber au pouvoir des révolutionnaires. Une centaine de paysans avaient
trouvé la mort aux portes de Bressuire ; cinq cents environ furent faits
prisonniers. Les blessés se traînaient dans les bois, où chaque jour on
trouvait des cadavres. Les gardes nationales n'avouèrent qu'une perte de
soixante hommes tués ou blessés. On eut à leur reprocher d'avoir souillé la
victoire par des cruautés de Cannibales : des femmes et même des enfants
furent égorgés ; des membres sanglants furent mis au bout des baïonnettes, et
portés en triomphe. La capitale n'avait que trop donné l'exemple de ces
horreurs". Plusieurs paysans, faits prisonniers, se signalèrent par une
fermeté invincible : vainement leur offrit-on le pardon et la vie à la seule
condition de crier, Vive la nation ! Vive la liberté ! ils refusèrent,
se mirent à genoux sans faire paraître la moindre émotion, demandèrent et
reçurent la mort aux cris de Vive le Roi ! Delouche,
maire de Bressuire, réfugié à Nantes, y fut découvert et arrêté. MM. de Feu
et de Richeteau furent massacrés à Thouars, sans jugement. Baudry d'Asson,
proscrit, caché d'abord avec son fils dans des champs de genêts accablé de
soif et de faim, erra longtemps la nuit, sans guide. Se retrouvant près de
son château, il n'osait y rentrer. Poursuivi par les_ gardes nationales, il
pratiqua sous terre, dans ce même château, un trou profond où il s'ensevelit
avec son jeune fils, ne recevant les rayons du jour que par une étroite
ouverture, et n'ayant pour aliments que du pain d'orge et de l'eau, que lui
apportait, pendant la nuit une servante affidée. Le fils et le père furent
pendant six mois cachés dans ce souterrain, sans aucune communication
extérieure. Voués à la mort, ils entendaient souvent les soldats faire, dans
leur château, les perquisitions les plus exactes, marcher au-dessus de leurs
têtes, et menacer de tout incendier. Baudry serrant son fils contre son sein,
fortifiait son courage : ce ne fut qu'au moment de l'explosion générale, que,
sortant de sa prison pour reprendre les armes, il s'exposa à d'autres
dangers. En ne
frappant que les chefs de l'insurrection, cri couvrant tout le reste d'une
prudente amnistie, en plaçant dans chaque canton une force capable de
contenir les mécontents, peut-être serait-on parvenu, après le combat de
Bressuire, à étouffer les germes de la guerre civile. Mais, dans ce temps
d'anarchie, nul ne voulait obéir : départements, districts, sociétés
populaires, commissaires civils, généraux, officiers et même simples soldats,
tous voulaient commander ; tant l'esprit révolutionnaire de la capitale
s'était déjà insinué dans l'armée et dans les provinces. Un
décret transféra l'administration du district de Châtillon à Bressuire[2]. Mais à peine laissa-t-on dans
cette dernière ville une faible garnison. A la vérité on y envoya deux
commissaires du conseil exécutif, Loiseau-Grand-Maison, et Xavier Audouin,
qui tirent des tournées, prêchèrent l'égalité, et inondèrent les Deux-Sèvres
de missionnaires républicains, avec la prétention de conquérir au patriotisme
ce département, peuplé de royalistes. Ils allaient aussi parcourir la Vendée,
lorsqu'on les rappela ; ils y passèrent néanmoins, mais sans caractère
public, et firent pressentir dans leur rapport, d'ailleurs insignifiant, que
de nouveaux troubles y éclateraient. Du
reste ils rendirent un témoignage public au patriotisme de la ville de Niort,
chef-lieu des Deux-Sèvres. « Les corps administratifs, dirent-ils, y
sont pleins de civisme, et les dames elles-mêmes y sont patriotes ; elles ont
formé, dans la mairie, un atelier où l'on travaille à l'équipement des
armées. Cette ville, d'ailleurs, ne cesse de faire des sacrifices pour la
liberté ; la présence des commissaires civils y a développé cet élan
patriotique ». Mais ces éloges pouvaient-ils effacer l'impression des cruautés
commises à Bressuire après la victoire ? Ils aigrirent au contraire, dans le
clergé et dans la noblesse, le sentiment de toutes les pertes que la
révolution leur faisait éprouver. Comme
on voulait sévir contre les fauteurs de l'insurrection, le parti populaire
fit rejeter l'amnistie générale, proposée à l'assemblée conventionnelle. Mais
le tribunal criminel établi à Niort y suppléa ; quelques hommes obscurs
furent seuls condamnés à mort ; et presque tous les prévenus, au nombre de
trois cents, parmi lesquels figuraient plusieurs gentilshommes, furent
acquittés et mis en liberté. La
convention, maîtresse de tous les pouvoirs, était dominée alors par le parti
qui, après avoir abattu le trône, essayait de gouverner. Sans cesse entravé,
ce parti, devenu modéré, luttait en vain contre l'exagération des démocrates,
tandis que l'autorité exécutive, sans moyens et sans force, laissait flotter
les rênes du gouvernement. Bientôt
le bruit de l'exécution de l'infortuné Louis XVI retentit dans le Bocage de
la Vendée. Le Poitevin, indécis, en frémit de rage. Les premiers essais de
Baudry, quoique malheureux, avaient donné partout l'éveil de l'insurrection,
que provoquaient de plus en plus les excès des révolutionnaires. Les maisons
dévastées, les châteaux pillés et livrés aux flammes, les propriétaires
paisibles exposés aux spoliations, les ministres du culte persécutés, les
nobles, jadis riches et puissants, menacés dans leur liberté individuelle ;
que fallait-il de plus pour susciter des ennemis à la révolution, et donner
des successeurs à Baudry ? La fermentation était à son comble : chaque jour
de nouveaux miracles, de nouvelles apparitions, de nouveaux sujets de
terreur, d'adoration et de pèlerinage, tenaient en haleine les paysans du
Poitou et de l'Anjou. Quelques gentilshommes, restés dans leurs terres,
pressentaient une prochaine révolte, mais sans former aucun plan. Navrés de
la défaite de Bressuire., ils condamnaient comme imprudentes ces premières
tentatives mal concertées ; tous étaient décidés à ne se montrer que si la
guerre civile prenait un caractère imposant. Déjà les esprits étaient dans un
tel état de fermentation, que la moindre étincelle pouvait produire une
explosion générale. La promulgation d'une loi de recrutement suffit : ce
moment, sans avoir été ni attendu ni choisi, entraîna le soulèvement de la
Vendée entière. La
convention, pressée par une guerre terrible que des revers commençaient à
signaler, avait décrété une levée extraordinaire de trois cents mille hommes
; le 10 mars était le jour fixé pour l'exécution de la loi. Ce même jour vit
la révolte gagner, comme un vaste incendie, la presque totalité du
département de la Vendée, partie de Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres et de la
Loire-Inférieure. En vain les plus prudents parlent-de différer : « Puisqu'on
veut la guerre, s'écrient les jeunes Vendéens, prenons les armes et mourons
dans notre pays ». Aussitôt chaque chaumière devient un atelier, le fer
retentit sous les coups redoublés du marteau, et les instruments du
labourage, grossièrement façonnés, se changent en piques et en épées. Des
bâtons ferrés, des fourches, des haches et des fusils de chasse sont les
premières armes des paysans royalistes. Des faux emmanchées à rebours vont
servir de sabres à une cavalerie montée sur des chevaux sans selle, et
conduits par un licou. On n'a
vu jusqu'ici que les tentatives impuissantes des Bas-Bretons ; maintenant on
verra comment triomphèrent les Vendéens, soit par leur ensemble et par leur
masse, soit par leur inconcevable énergie. Ici s'ouvre, le funeste champ de
la guerre civile entre les royalistes et les républicains. Déjà le
tocsin sonnait dans plus de six cents paroisses, lorsque le 11 mars, près de
trois mille insurgés du district de Saint-Florent se portèrent au chef-lieu,
en demandant à grands cris l'exemption de la milice ; ils étaient animés par
Laurent-Fleury, par André-Michel, dit Chapelle, et par le nommé Foret, qui
avait parcouru le district pour soulever les jeunes gens. Les administrateurs
veulent haranguer ; des huées couvrent leurs voix il fallut songer à se
défendre. Tessiex du Clauzau, commissaire du gouvernement, se met à la tête
de la gendarmerie et d'une poignée de républicains que la terreur avait
réunis. Les deux partis sont bientôt en présence sur la place même de Saint-Florent,
où l'on essaie encore d'inutiles pourparlers. Quelques coups de fusils, tirés
sur trois hommes écartés du gros du rassemblement, sont le premier signal de
la guerre ; le feu s'engage de part et d'autre. Quatre hommes sont tués des
deux côtés. On se sépare vers midi, après une demi-heure de combat. A trois
heures, les insurgés reviennent à la charge avec plus d'impétuosité ; les
républicains, moins nombreux, fuient et se dispersent ; tout est envahi, les
papiers du district sont brûlés, le butin et partagé entre les vainqueurs,
qui passent une, partie de la nuit à chanter leur victoire. Ils allaient se
disperser, n'ayant aucun chef apparent, et peut-être l'insurrection se serait-elle
assoupie, si le bourg du Pin, en Mauge, n'eût renfermé dans son sein une de
ces âmes ardentes qu'électrisent le danger et les orages politiques. Jacques
Cathelineau, fileur de laine, qui avait fait jadis le commercé de lin dans
les foires et marchés, tel fut le premier chef des Vendéens. Sous l'habit
d'un artisan il cachait un cœur élevé, intrépide ; sa' piété et ses mœurs
austères lui assuraient dans son pays l'ascendant que donne l'estime. Marié
et résidant au Pin, en Mauge, il n'avait pas été compris dans la loi du
recrutement ; il n'y avait point paru, et ignorait même les troubles survenus
la veille. Agité pourtant par cette rumeur sinistre qui devance les
révolutions, il voit entrer chez lui, au moment même où il est occupé à
pétrir le pain pour le service de sa maison, cinq jeunes laboureurs qui
viennent de Saint-Florent. Ils lui font le récit de ce qu'ils ont fait, de ce
qu'ils ont vu. Cathelineau ne peut les entendre sans éprouver une commotion
vive. Son cœur est ému ; il ne voit dans les événements de la veille que la
source et l'occasion d'un châtiment terrible, que l'autorité, méconnue,
méprisée, va infliger à ses compatriotes ; il forme intérieurement le dessein
d'en prévenir les effets ; il essuie ses bras et prend ses habits, malgré les
prières de sa femme qui voudrait le retenir. « Nous sommes perdus, dit-il, si
on en reste là ; le pays va être écrasé par la république ; il faut nous soulever
tous ». Il propose aux cinq paysans qui l'entourent de rassembler les plus
braves et de commencer la guerre : elle est résolue. Ils ne
sont que six, mais bientôt ils formeront une armée. Cathelineau et ses
camarades descendent à la hâte dans le bourg, et font part à tous ceux qu'ils
rencontrent de la résolution qui les anime. L'ardeur du nouveau chef enflamme
tous les paysans qu'il aborde. En un moment un très-petit bourg fournit vingt
hommes, qui s'arment sur-le-champ de tout ce qui leur tombe sous la main. Le jour
du combat est venu, mais l'heure n'est pas sonnée ; Cathelineau en profite
pour recruter et grossir sa troupe. Une demi-lieue le sépare du bourg voisin
de la Poitevinière ; il y marche et y fait sonner le tocsin. Les cris de joie
que fait entendre sa troupe, sont répétés par tous ceux qui viennent la
grossir. Cathelineau
est à leur tête ; il parle, il persuade, il entraîne ; tout ce qui s'approche
reçoit une impulsion irrésistible ; l'enthousiasme, dont il est plein,
électrise les esprits, embrase les cœurs ; en moins d'une heure il est à la
tête d'une centaine d'hommes dévoués. Alors
se tint le premier conseil de guerre ; il ne fut pas long : on y résolut
d'aller à l'instant même attaquer le château de Jallais, défendu par les
républicains. La distance qu'il fallait parcourir était d'environ
trois-quarts de lieue ; mais la troupe dé Cathelineau se grossissait à chaque
pas ; et il avait déjà sous ses ordres prés de trois cents combattants lorsqu'il
parut devant Jallais. La
ville de Chalonnes y tenait un détachement de sa garde nationale, sous les
ordres du médecin Bousseau. Cet officier avait disposé sa troupe sur les
hauteurs du château, dans un retranchement défendu par une pièce de six,
appelée le missionnaire : il laissa trop peu de monde pour la
manœuvrer. Des cris confus annoncent les insurgés ; les républicains se
mettent en défense ; le boulet part et ne blesse personne. A l'instant
Cathelineau commande le pas de course, et franchit le coteau à la tête des
siens. Une telle audace intimide les républicains qui fuient et se dispersent
; quelques-uns sont blessés ou faits prisonniers ; armes et munitions, tout
tombe au pouvoir des royalistes. Le missionnaire, si glorieusement
enlevé, fut leur première pièce de canon. Ce combat n'est que le prélude
d'une victoire plus importante. Sans donner à sa troupe le temps de respirer,
Cathelineau marcha sur Chemillé, à deux lieues de Jallais. Deux cents
républicains et trois coulevrines défendaient cette ville, qui semblait à
l'abri d'un coup de main. Le 14 mars, Cathelineau l'attaque : les
républicains songent à le repousser par un feu soutenu. Sans s'amuser à
riposter avec la pièce conquise à Jallais, Cathelineau se précipite avec
intrépidité sur ses adversaires. Cheminé est emporté après une demi-heure de
combat ; les trois coulevrines, les munitions, beaucoup de fusils, et près de
deux cents prisonniers, tombent au pouvoir du vainqueur. Tel fut, dans
l'Anjou, le résultat des trois premiers jours de l'insurrection. Dès-lors
Cathelineau vit grossir son armée d'une foule de mécontents qui attendaient
le succès pour se déclarer. Ce corps, d'abord si faible, comptait, deux jours
après, plusieurs milliers de combattants que l'enthousiasme unissait par des
liens plus forts que ceux du devoir et de la discipline. Le 15
mars, Cathelineau marcha sur Chollet. Il fut joint en route par deux autres
rassemble-mens d'insurgés ; l'un était conduit par ce même Foret qui avait
figuré à Saint-Florent. Poursuivi le lendemain par les gendarmes, il en avait
tué un d'un coup de fusil, et courant à l'église du village de Chauzo, il
avait lui-même sonné le tocsin, rassemblé les paysans, prêché la révolte et
levé, tant à Chauzo que dans les-villages voisins, une troupe décidée à se
battre. L'autre rassemblement, plus nombreux, était Commandé par Stofflet,
dont le nom, si souvent répété depuis, est devenu historique. Cet homme
intrépide, fils d'un meunier de Lunéville, fut longtemps caporal des
grenadiers du régiment de Lyonnais ; il avait sauvé la vie, dit-on, au
marquis de Maulevrier, son colonel, dans les guerres d'Allemagne ; et la
reconnaissance de ce gentilhomme, propriétaire en Anjou lui avait assuré une
retraite honorable au château de Maulevrier. Là Stofflet exerçait les
fonctions de garde-chasse, quand son bienfaiteur, en mourant, le recommanda à
son fils, qui émigra depuis. Stofflet, jusqu'alors paisible et heureux, ne
put voir avec indifférence une révolution qui attaquait la propriété et les privilèges
d'une famille qui l'avait comblé de bienfaits. Aussi actif que brave, voué à
la noblesse, animé des mêmes sentimens que les Vendéens, il n'attendait qu'un
moment favorable pour se soulever. Dès le mars, les jeunes gens de Maulevrier
et des environs le choisirent pour chef. Sa troupe s'étant successivement
grossie, formait, le 15, un rassemblement qui renforça celui de Cathelineau,
et le mit en état d'attaquer Chollet. Cette ville, chef-lieu de district,
quoique défendue par une garnison de quatre à cinq cents hommes, ne put
résister longtemps à une masse victorieuse. Les républicains en défendirent
mal les approches : enfoncés dès le premier choc, ils s'y réfugièrent en
désordre, et les vainqueurs y entrèrent pale-mêle avec eux. Le marquis de
Beauveau, partisan de la révolution et procureur-syndic du district, resta
parmi les morts. Les
Vendéens trouvèrent à Chollet des munitions et plusieurs bouches à feu, entre
autres une belle pièce de huit, en bronze, faisant partie des trois canons
que le cardinal de Richelieu avait donnés jadis à la ville de Saumur : ils la
nommèrent Marie-Jeanne. Emerveillés de son bruit et de sa beauté, ils
la regardèrent depuis comme leur palladium, et se crurent invincibles
sous la protection de son feu. L'issue
de ce combat répandit la consternation parmi les républicains, et, dès le
soir même, ceux de Vihiers, de Doué et des campagnes voisines, se réfugièrent
à Saumur, et y communiquèrent la terreur dont ils étaient frappés. Tous
s'attendaient à voir attaquer la ville le lendemain. D'un
autre côté, la conquête de Chollet entraîna la Vendée entière. Alors la
guerre changea de face, et l'on vit d'autres chefs lui donner plus de consistance.
D'Elbée, gentilhomme angevin, parut parmi les royalistes victorieux. Né en
France, d'une mère saxonne, il avait d'abord servi dans les troupes
électorales, puis dans-le régiment Dauphin cavalerie. N'ayant pu obtenir
l'avancement auquel il avait droit, il se retira mécontent dans sa terre de
Beaupréau. Là, environné de la considération publique, estimé' surtout pour
la pureté de ses mœurs et pour sa grande piété, il fut choisi par les paysans
de son canton, et fut un des premiers gentilshommes qui figurèrent à la tête
des insurgés de l'Anjou. Stofflet et Cathelineau, pleins de déférence pour
d'Elbée, le suivirent, et, de concert, ils s'emparèrent de Vihiers, autre
chef-lieu de district. Ils l'abandonnèrent le même jour, n'amenant pour
trophées que les papiers de l'administration, dont on fit des cartouches. Les
républicains se replièrent d'abord sur Doué, puis sur Saumur. La
consternation y dégénéra en une terreur sombre, par l'explosion du magasin à
poudre d'Angers, attribuée à la trahison. Le jour
même de la prise de Chollet, les insurgés du district de Saint-Florent, qui
n'avaient pas suivi Cathelineau, se portèrent en foule au château de la
Baronnière, où résidait le marquis de Bonchamps ; ils le proclamèrent leur
chef. Expérience, talents, bravoure, tout se trouvait réuni dans sa personne.
Artus de Bonchamps, militaire depuis son adolescence, n'avait alors que 33
ans, et avait déjà fait la guerre avec distinction dans les Grandes-Indes.
Opposé à la révolution, et voulant éluder un serment contraire aux intérêts
de son Roi il avait quitté le régiment d'Aquitaine, où il commandait une
compagnie, et s'était retiré à la Baronnière. Là il déplorait, avec sa jeune
épouse, les maux qui désolaient la France. Accouru à Paris pour défendre le
trône au 10 août, et n'ayant pu émigrer ensuite, il s'était retiré encore en
Anjou, avec le triste pressentiment d'une guerre civile prochaine. Elu chef
par tous les paysans de son canton, il devint bientôt, par ses vertus et par
la supériorité de ses talents, l'un des généraux vendéens les plus illustres.
Il fut humain et généreux autant qu'on peut l'être au milieu des fureurs
d'une guerre intestine ; sans ambition, et ennemi de l'intrigue, il n'eut
d'éclat que par son propre mérite. Ses conseils furent toujours réclamés dans
les occasions importantes, mais trop peu suivis. A peine eut-il été proclamé
chef, qu'il se rendit à Saint-Florent, pour y former un corps de troupes
régulières, projet que la rapidité des évènements ne lui permit pas
d'accomplir. Tandis
que l'insurrection se régularisait dans Je pays de Mauge et dans l'Anjou
méridional, elle se développait dans le centre de la Vendée et aux portes mêmes
de Nantes. Dès le 3 mars, un grand nombre de paysans, rassemblés aux environs
des Herbiers, mirent à leur tête Sapinaud de La Vérie, gentilhomme poitevin.
Les garnisons de Pouzauges et des Herbiers réunies marchent aussitôt, avec du
canon, à la rencontre des insurgés : le combat s'engage ; mais bientôt les
républicains, enfoncés de plusieurs côtés, se dispersent, laissant trois
pièces de canon au pouvoir de Sapinaud. L'insurrection
éclate aussi dans le pays de Retz. Le 8 mars, les paysans ameutés dans la
paroisse de Chauvé, sous prétexte de prières publiques, sont bientôt
renforcés par les habitants de Vue, de Pellerin, de Sainte-Pazanne, Frossai,
Bouguenais, Brains et Saint-Hilaire. Ils prennent pour chef Danguy de Vue,
propriétaire du château de Vue, à l'entrée de la forêt de Princé. Mais ce
n'est qu'avec répugnance qu'il se met à leur tête : âgé, débile et
presqu'aveugle, il désirait plutôt assoupir l'insurrection, que l'étendre. Il
fut entraîné malgré lui. Ripaut La Cathelinière et Flamingue le suivirent
comme chefs secondaires. Le même jour, les insurgés marchèrent sur Paimbœuf,
où ils avaient des intelligences ; mais ils attaquèrent trop tard, et furent
repoussés. Danguy, blessé, se cacha, fut découvert et conduit à Nantes, où il
monta sur l'échafaud. La Cathelinière prit le commandement des royalistes du
pays de Retz ; Guérin le suivit. Quinze
cents paysans s'étaient portés aussi à Brains, chez Lucas-Championnière,
qu'ils avaient nommé leur commandant. Ils marchent alors avec plus de
confiance, pour aller s'emparer du poste de Pellerin. On y entre sans peine ;
le village est pillé ; deux pièces de canon de fer sont enlevées d'un navire
et traînées au Port Saint-Père. Les insurgés s'emparent également d'une
barque qui descendait la Loire. On y trouva des journaux qui annonçaient la
défection de Dumouriez : on ne doute plus alors du renversement de la
république. Lucas-Championnière s'efforça de discipliner ce rassemblement
tumultueux. Il devint un des principaux officiers du pays de Retz, s'attacha
ensuite à Charette, et fut un des chefs les plus distingués du Bas-Poitou. Le feu
de l'insurrection s'y propageait alors avec violence. Le 10 mars, les
républicains de Machecoul, effrayés par le tocsin des communes rurales, et
par les rassemblements qu'ils apercevaient au loin, se mirent sur la
défensive. Le lendemain, les insurgés en grand nombre, conduits par les
frères Hériault et Léger, par Berthaud et Boursault de Saint-Lumine de
Grand-Lieu, et par Paigné, homme d'affaires de M. de La Clartière, pénétrèrent
par toutes les issues de la ville, en poussant le cri de vive le Roi !
Cent hommes de la garde nationale, placés à l'une des extrémités, marchèrent
à leur rencontre, ayant à leur tête Maupassant, ex-député à l'assemblée
nationale, et commissaire du département ; la gendarmerie était à cheval.
Pressés et débordés par cette multitude, les républicains ne virent bientôt
plus de salut que dans la fuite : le commissaire Maupassant ne resta qu'avec
cinq hommes, qui furent, ainsi que lui, massacrés aussitôt. Malheur à ceux
qui tombaient au pouvoir des insurgés : les femmes criaient tue, tue ;
les vieillards eux-mêmes assommaient, et les enfants chantaient victoire ;
tous étaient ivres de sang. Le curé constitutionnel de Tort fut massacré à
coups de baïonnettes. Le républicain Pinaud et son jeune fils, ayant refusé
de crier vive le Roi, furent mis en pièces. En rendant le dernier soupir, ils
firent entendre le cri de vive la nation ! Pagnot, juge de paix,
mourut en proférant, les mêmes paroles. Un
comité royal, présidé par Souchu, ancien receveur des gabelles, souillait
ainsi la victoire, et ordonnait le meurtre. Quarante-quatre républicains
furent égorgés les 11 et ia mars ; on en avait jeté autant dans les cachots.
Ces horribles exécutions étaient imitées au camp vendéen de Guiové, près la
route de Paimbœuf. A Legé et à Montaigu, tout ce qui tenait à la révolution
fut impitoyablement massacré. On dressait des listes de proscription.
Quelques révolutionnaires rachetèrent la vie à force d'argent, s'acharnèrent
ensuite contre leur propre parti, et plusieurs en devinrent même les
bourreaux. Mais il ne suffisait pas d'égorger, il fallait vaincre ; il
fallait surtout un chef militaire énergique à cette tourbe d'insurgés du
Bas-Poitou, livrés à une fureur aveugle. Qui pouvait se flatter de l'espoir
de les soumettre à la discipline et au commandement ? L'essai qu'en fit le
marquis de Laroche Saint-André ne fut pas heureux. D'une ancienne famille de
Bretagne, et officier au régiment royal Etranger cavalerie, ce gentilhomme,
plein de résolution et de courage, quitta sa terre près de Nantes, rassembla
environ quatre mille paysans, marcha sur Pornic, et en passant, grossit sa
troupe de la division de Cathelinière alors à Bourgneuf. Arrivé devant
Pornic, il partage son armée en deux colonnes : l'une, celle de droite,
commence aussitôt le feu, tandis que celle de gauche, à la tête de laquelle
se place le marquis, garde la route qui doit servir de retraite aux
républicains. Après trois quarts-d'heure d'une vive fusillade et d'attaques
répétées, le bourg tombe au pouvoir des royalistes ; mais l'ennemi, en se
retirant, repousse, avec deux pièces de canon, la colonne qui lui disputait
le passage, au point que les paysans, épouvantés par ces détonations
meurtrières, s'ouvrent et se débandent. Ce n'est qu'avec une peine infinie
que leur chef parvient à les rallier. Ils marchent alors en avant, et en
entrant dans Pornic, ils sont salués par les cris de vive le Roi ! vive le
marquis de Laroche. Le drapeau blanc est aussitôt planté au pied de la
croix de mission, en signe d'action de grâces pour la victoire remportée sur
les ennemis de la religion et du trône. Mais les insurgés n'ayant que peu de
fusils, point d'ordre, nul ensemble, se livrant au pillage, se gorgeant de vin
et d'eau-de-vie, on les surprit sans défense. Pornic, pris à quatre heures du
soir, fut repris à six heures et demie, par les républicains que commandait
le prêtre Abline. Le massacre fut horrible. Dans la mêlée, le marquis de
Laroche Saint-André, pressé par trois gendarmes, en tua deux ; voulant se
défaire du troisième, il l'ajusta et fit feu ; son pistolet ayant crevé, il
saisit alors son épée, et la lui plongea dans le sein : mais il fallut céder
au nombre. D'ailleurs les Vendéens étaient ivres, et ne combattaient plus.
Saint-André, au désespoir, donne l'ordre de sauve qui peut ! Entrainé,
renversé dans la foule, blessé et couvert de contusions, il aurait péri, sans
Baudouin de Sainte-Pazanne, qui, le prenant en croupe, gagna la route de
Machecoul. Les royalistes restés prisonniers furent massacrés avec des raffinements
de cruauté qui révoltent. On enterra tout vif, jusqu'au cou, le jeune
Flamingue, et on le lapida ensuite ; on promit la vie à douze autres
prisonniers, s'ils creusaient une fosse assez profonde pour recevoir tous les
morts, et à peine l'eurent-ils creusée, qu'on les fusilla sur les cadavres de
leurs compagnons d'armes. On ne
pouvait imputer la reprise de Pornic qu'à l'intempérance et à l'indiscipline
des paysans du Bas-Poitou. Toutefois, en arrivant à Machecoul, le marquis de
Laroche-Saint-André fut accusé hautement de n'avoir pourvu ni à la garde du
bourg, ni au danger d'une surprise. Souchu, présidant du comité royaliste,
rédigea un procès-verbal qui tendait à faire fusiller le marquis, comme ayant
abandonné lâchement son poste. Les esprits étaient si aigris par les
insinuations de cet homme sanguinaire, qu'il fut impossible au général
vendéen de faire entendre la' vérité. Les uns voulaient qu'on le jugeât
militairement, d'autres menaçaient de lui brûler la cervelle ; il fallut fuir
pour éviter la mort. Le marquis de Laroche-Saint-André se réfugia dans Pile
Bouin, pour se soustraire à la fureur d'une multitude sans frein et sans
discipline. Ainsi lui échappa le commandement. Attaché à la cause royaliste,
il reparut depuis à l'armée du centre, mais non comme chef principal. Il
fallut songer à le remplacer. Les insurgés du Bas-Poitou se portèrent en
foute chez Athanase Charette de la Contrie, lieutenant de vaisseau, alors
retiré chez sa femme, à sa terre de Fonte-Clause, à deux lieues de Machecoul,
près la Garnache. Là ils le prient, ils le pressent de se mettre à leur tête.
D'abord Charette s'y refuse, soit qu'il ne vit aucun terme à l'anarchie des
insurgés, soit qu'en elle-même cette prise d'armes lui parût téméraire. Il
leur fit des représentations. Deux jours se passent, et les insurgés
reviennent à la charge ; nouvelles prières, nouveaux refus. Enfin, le i8
mars, ils reviennent en plus grand nombre, et somment Charette, avec menaces,
de prendre le commandement. « Eh bien ! leur dit-il, vous m'y forcez ;
je marche à votre tête. Songez à m'obéir, ou je vous punirai sévèrement ».
Ils lui jurent soumission et obéissance, et le proclament tumultuairement
leur chef. Charette les passa le même jour en revue, et employa quatre jours
à les organiser et à former sa cavalerie, qui ne fut d'abord que de cent
chevaux. Il eut pour officiers, dès, les trois frères Laroberie ; Duchaffaut
jeune, neveu du cordon rouge ; le chevalier de Laroche-Lepinay, et Dargens,
fils d'un chirurgien. Charette vint à Machecoul ; il y jura dans l'église,
sur l'évangile, en présence des insurgés, qu'il périrait les armes à la main,
plutôt que d'abandonner son parti, et les fixant fièrement, il leur dit : Promettez
comme moi que vous serez fidèles à la cause de l'autel et du trône....
Oui, oui, s'écrient-ils unanimement en brandissant leurs armes et frappant du
pied. On marcha de nouveau sur Pornic, le 29 mars, avec la division de
Cathelinière : cette fois Pornic fut pris et livré au pillage. Charette y
trouva trois pièces de canon, des munitions et des fusils, qu'il fit conduire
à Machecoul. Cette victoire exalta les paysans. A cette
époque, le pouvoir de Charette était resserré dans un cercle étroit ; il
n'avait sous son commandement que Machecoul, Saint-Même, Granlande, Faleron,
Touvois, la Garnache, Paulx et quelques paroisses environnantes. La partie
maritime du district de Châlans, Beauvoir, Saint-Jean-de-Mont, et toute la
côte, jusqu'aux Sables-d'Olonne, obéissait à Guery de Clauzy, gentilhomme,
qui fut pris et fusillé un an après ; Dabbayes et Guery-Fortinière étaient
ses lieutenants. Le marais de Bouin formait une division à part, commandée
par Pajot aîné, qui avait exercé jusqu'alors la profession de marchand.
L'arrondissement de Saint-Philibert reconnaissait pour chef un ancien
officier de cavalerie nommé de Couëtu. Le feu de l'insurrection avait aussi
gagné le district des Sables-d'Olonne : Joly, de La Chapelle Hermié, avait
formé, avec ses deux fils, dans le canton d'Aizenay, une division appelée
depuis l'armée des Sables, forte alors de quatre mille hommes ; il était
secondé par La Sécherie. Savin forma la division de Palktau, et organisa les
deux mille hommes qui la composaient. Pinaud, ancien lieutenant dans le
régiment de l'Ile-de-France, souleva Legé, et y commanda. Vrigneaux, autrefois
soldat, forma et organisa la division de Viellevigne ; il était lui-même de
cette paroisse, d'où son commandement s'étendait sur Saint-Sulpice et sur
tout le pays qui se trouve entre les grandes routes de la Rochelle et des
Sables ; les deux frères Gueroult étaient ses lieutenants. Au premier coup de
tocsin, Baudry d'Asson reparut : porté aussitôt en triomphe, on le proclama
chef d'insurrection ; il étendit son pouvoir sur une partie des districts de
Montaigu et de la Chataigneraye. Je dirai ailleurs quel fut le sort de ce
premier moteur de la guerre civile, plus imprudent qu'habile chef de parti. Au
centre de la Vendée, Royrand, vieillard vénérable, ancien militaire,
chevalier de Saint-Louis, et propriétaire à Saint-Fulgent, fut aussi entrainé
: ce fut lui qui forma l'armée dite alors armée du centre, qui embrassait la
majeure partie des districts de Montaigu, de la Chataigneraye et de la
Roche-sur-Yon. Il établit son quartier-général au château de l'Oie. Royrand
avait sous ses ordres Verteuil, MM. de Bejari, de Hargues, les deux Sapinaud
de La Verie et Villeneuve ; Vrigneaux et Baudry d'Asson s'y réunissaient avec
leurs divisions respectives. Vers la Loire, Lyrot de La Patouillère,
chevalier de Saint-Louis, avait une division séparée qui occupait une partie
de la rive gauche ; il établit un camp d'observation près de Nantes, tantôt à
Saint-Julien, tantôt à Lalloué, tantôt à la Croix-Morisseau. Désigny, père et
fils, et Devieux le secondaient. Dans son état-major figuraient trois
gentilshommes du pays, MM. de La Chapelle, de Flavigny, officiers au régiment
de Rohan, et l'Enfernet, officier au régiment de Poitou. Ce fut à Lalloué que
Piron et d'Andigné de Maineuf, qui avaient échoué à Ancenis, sur la rive
droite, firent leurs premières armes ; l'un et l'autre acquirent d'abord peu
de réputation. Prodhomme, maître d'école au Loroux, qui tenait plus au
Haut-Poitou qu'à la Basse-Vendée, se mit aussi à la tête des insurgés de sa
paroisse. Telle fut la première organisation royaliste de la Basse-Vendée,
qui devint paria suite le domaine de Charette : confédération informe, à
laquelle le hasard et les évènements eurent plus de part que les combinaisons
d'une tactique prévoyante. Bientôt
Joly menace les Sables-d'Olonne ; les volontaires de cette ville, devenue la
place de sûreté des républicains du Bas-Poitou, marchent au secours de
Palluau, où ils sont écrasés par Savin. Au même instant, Legé tombe au
pouvoir de Pinaud, pour éprouver le même sort que Machecoul. Saint-Fulgent arbore
l'étendard royal, et Royrand, après avoir battu la garde nationale de
Fontenay, s'empare du bourg de Chantonay ; Baudry repousse la garnison de la
Chataigneraye. Un comité royaliste, présidé par le comte de Laroche
Saint-André, lieutenant de vaisseau et frère du marquis, s'établissait à
Montaigu. Le torrent de l'insurrection forçait les administrateurs et les
gardes nationaux d'évacuer les villes et les bourgs exposés aux irruptions
des insurgés, qui, après s'en être rendus maîtres, les organisaient dans le
sens royaliste. Ainsi
la Basse-Vendée et le centre du Bocage se soulevèrent sans obstacle, et
devinrent le foyer de l'insurrection. Dans l'espace de cinq jours, les
Vendéens s'emparèrent de Saint-Florent, Tallais, Chollet s, Machecoul, Legé, Palluau,
Chantonay, Saint-Fulgent, les Herbiers, La Roche-sur-Yon, menaçant Luçon, les
Sables d'Olonne et Nantes même, dont les avant-postes étaient journellement
aux prises avec les soldats de La Cathelinière de Lyrot et de Guery. La
terreur planait sur toutes les villes voisines de la guerre civile. Dès le 11
mars, les administrateurs de la Loire-Inférieure écrivirent la lettre
suivante aux départements environnants. « Frères
et amis, à notre secours ! Notre département est en feu : une insurrection
générale vient de se manifester ; partout on sonne le tocsin, partout on
pille, on assassine, on brûle ; partout les patriotes, en petit nombre,
tombent victimes de la fureur et du fanatisme des révoltés... Avez-vous des
forces à nous prêter, des moyens de défense à nous fournir ! Avez-vous des
soldats, des hommes, du fer ? envoyez-les-nous, jamais on n'en eut plus
besoin... » Nantes
était en effet menacé sur les deux rives de la Loire. Entre cette ville et la
Vilaine, vingt mille paysans armés à la fois, et conduits par
Richard-Duplessis et Premyon-Morin, s'étaient rassemblés en tumulte au bourg
de Saint-Etienne-de-Montluc, pour se donner un chef : leur choix était tombé
sur Gaudin-Laberillais, ancien lieutenant-colonel du régiment d'Armagnac. Cet
homme, se méprenant sur le véritable caractère de l'insurrection, hésite longtemps
; il accepte enfin, mais c'est pour parlementer avant de combattre. Le 14
mars, il adresse aux corps administratifs de la Loire-Inférieure, en qualité
de médiateur de vingt une paroisses révoltées, un manifeste, portant en
substance qu'il n'y aurait plus de tirage de milice, qu'il ne serait jamais
pris de chevaux aux cultivateurs, que de gré à gré ; que les impôts seraient
répartis avec justice et sur des bases proportionnelles ; que les directoires
de départements n'attenteraient plus à la liberté des citoyens, en faisant
marcher contre eux la force armée, qui serait désormais à la seule
réquisition des tribunaux et des juges de paix ; que la liberté des cultes
serait maintenue, et que tout prêtre jouirait de la tranquillité que la loi
devait lui assurer ; enfin que les églises leur seraient ouvertes pour la
célébration de l'office divin, et que chacun, en payant son ministre, serait
libre de le choisir. A la
réception de ce manifeste, l'administration départementale demanda trois
jours pour se décider : elle voulait gagnes du temps et se préparer à la
résistance. Pressé sur les deux rives du fleuve-, Nantes aurait pu être
envahi, si Laberillais eût agi au lieu de négocier. N'ayant point assez
d'énergie pour s'engager dans une guerre intestine, il harangua les insurgés,
pour les déterminer à se soumettre, bravant l'opposition de
Richard-Duplessis, dont l'ardeur égalait l'intrépidité. Celui-ci accuse publiquement
Laberillais, et lui reproche d'oublier les-devoirs que lui impose la croix de
Saint-Louis, dont il est décoré. Richard s'empare alors de l'autorité ; mais
le courage seul ne pouvait suppléer à la considération. ; il fallait à cette
multitude un chef plus marquant. Richard parvint toutefois à réunir les
insurgés dans le village de Sautron, secondé par Premyon-Morin et par
Charette-du-Kersaut, chargé de parcourir les campagnes, pour soulever les
paysans, dans la vue d'attaquer Nantes ; mais leurs efforts réunis ne purent
balancer l'effet des exhortations de Laberillais. Au lieu de se recruter,
cette troupe s'affaiblit, et les Nantais se hâtèrent de prendre l'offensive.
En vain plusieurs prêtres, excités par Richard, vinrent officier en plein
champ au milieu des insurgés ; en vain le curé de Chollet, caché aux environs
de Nantes, fit-il usage de pratiques religieuses pour rappeler .la masse des
paysans aux combats : il n'était plus temps. Richard n'avait plus qu'une
poignée de royalistes lorsqu'il eut à essuyer l'attaque de la garde nationale
; trois coups de canon suffirent pour les disperser. Les républicains
entrèrent à Sautron sans y commettre d'excès, ce qui acheva de décider la
soumission des campagnes. Un troisième rassemblement formé à Cordemais, par
l'opiniâtre Richard, fut encore dissipé, faute de secours et d'ensemble.
Réduit à se cacher sous des habits de paysan, il passa dans la Vendée, où il
parvint à sauver sa tête, mise à prix. Laberillais fut moins heureux ; ses
tergiversations le perdirent. Il sollicita une conférence avec les autorités,
dans l'espoir de se justifier. Arrivé à Savenay, il fut saisi, garrotté,
conduit à Nantes, jugé et acquitté. Quelques révolutionnaires altérés de sang
en frémirent de rage ; l'un d'eux produisit un ordre souscrit par
Laberillais, en sa qualité de chef des insurgés de Montluc. La loi étant
formelle, de nouveaux juges lui en firent l'application ; et il fut mis à
mort, victime de l'indécision qui l'avait fait flouer entre deux partis
contraires. Tandis
que tout s'apaisait sur la rive droite de la Loire, la généralité de la
Vendée se soulevait franchement, aux cris de vive Louis XVII ! vive le
régent de France ! vive la religion catholique et romaine. Ce fut à sa
'séance du 18 mars que la convention reçut, de son commissaire Niou, le
premier avis officiel de l'insurrection vendéenne. Accoutumée déjà aux
troubles et aux révoltes, cette assemblée n'en parut pas émue. On fit suivre
la lecture de cette dépêche de quelques détails transmis par les administrateurs
de la Vendée et des Deux-Sèvres ; mais leur ignorance était telle sur la
vraie situation des royalistes, qu'ils leur donnaient pour général en chef un
prétendu. Gaston, si peu connu dans la Vendée, qu'on l'a regardé depuis comme
un personnage imaginaire. Cependant on assure qu'un perruquier, nommé Gaston,
s'étant mis à la tête des insurgés du bourg de Challans, et ayant tué, dans
une première rencontre, un colonel républicain, avait cru rehausser son
exploit en n'allant plus au feu qu'avec l'habit et les armes de l'ennemi
qu'il avait vaincu, ce qui le fit prendre lui-même pour un chef considérable.
Il fut tué depuis, sans que sa mort, restée ignorée, ait ajouté à sa
réputation, et au moment où les journalistes de la capitale le désignaient
comme général en chef des Vendéens. Dès-lors son nom retentit non-seulement
dans toute la France, mais dans l'Europe entière ; on le prit tout au moins
pour un descendant de Gaston de Foix, tant les exagérations s'accréditent
dans la confusion des guerres civiles. On vit même le conventionnel Carra,
pendant sa mission dans la Vendée, mettre à prix la tête de ce Gaston, généralissime
des royalistes, et trois mois plus tard, les ministres du roi
d'Angleterre lui adresser leurs dépêches et lui offrir des secours. A un soulèvement si formidable, la convention n'opposa d'abord que des mesures législatives ; elle lança, le 19 mars[3], un décret de mise hors la loi contre tout individu prévenu d'avoir pris part aux révoltes contre-révolutionnaires, ou seulement d'avoir arboré la cocarde blanche, ou tout autre signe de rébellion ; décret terrible, qui, en suspendant l'institution des jurés, livrait, dans les vingt-quatre heures, à l'exécuteur, pour être mis à mort, tout homme pris ou arrêté les armes à la main ; il suffisait que le fait, attesté par un seul témoin, eût été déclaré constant par une commission militaire. Cette loi de sang contenait en outre des dispositions exclusivement pénales contre les prêtres et contre les nobles, et, en prononçant la peine de mort, prononçait aussi la confiscation des biens. Quoique modifiée le 10 mai, et restreinte aux seuls chefs et instigateurs de l'insurrection, elle fut constamment la base de la législation républicaine dans la Vendée. |