HISTOIRE DE LA GUERRE DE LA VENDÉE

TOME PREMIER

 

LIVRE DEUXIÈME.

 

 

Conjuration de La Rouerie.

 

Sous plusieurs rapports, les troubles de la Bretagne et de la Vendée sont indivisibles. La Loire sépare les deux pays : les Bretons, maîtres de la rive droite, les Poitevins de la gauche, pouvaient, en agissant de concert, faire tomber cette barrière commune, et envahir des villes florissantes. Alors, des Sables-d'Olonne aux rochers du Calvados, tout eût été entraîné ; l’occident de la France eût pressé l'intérieur, tandis que la coalition entamait les extrémités de l'Empire.

Une aussi vaste conception n'appartenait qu'a un génie audacieux : ce génie parte en Bretagne. Armand Tuffin, marquis de La Rouerie, joignait à des passions ardentes un grand caractère ; aux talents des négociations, les vues d'un général et l'intrépidité d'un soldat. Sa jeunesse fut orageuse ; d'abord officier dans les Gardes-Françaises, il s'y montra frondeur du gouvernement monarchique, et son début dans le monde fut marqué par des désordres. Eperdument épris d'une actrice — mademoiselle Fleury —, qu'il voulait épouser, il ne put l'y résoudre, et de dépit, se battit en duel avec Bourbon-Busset, son rival. L'emportement de sa conduite lui attira le courroux du Roi : il en fut accablé, s'empoisonna, fut secouru, et alla s'ensevelir à la Trappe. Arraché par ses amis à ce tombeau vivant, le bruit de la trompette guerrière le réveilla ; il partit pour le nouveau monde, où, sous le nom de colonel Armand, il défendit, à la tête d'une légion, l'indépendance des Américains. Après s'y être distingué, il revint en France. Son séjour aux États-Unis, première cause de sa célébrité, avait trempé son caractère. Dès les troubles précurseurs de notre révolution, il se déclara le champion de la noblesse et des parlements, qui luttaient alors contre la Cour. Il fut l'un des douze députés envoyés près du Roi pour réclamer impérieusement la conservation des privilèges de sa province, et subit à la Bastille un emprisonnement qui le popularisa. Avide de révolutions, La Rouerie vit d'abord aveu joie telle de 1789. Mais, bientôt mécontent de n'y point figurer à son gré, il s'indigne de voit la noblesse bretonne succomber sans appui sous une majorité plébéienne. Il l'excite à la résistance, et provoque son refus d'envoyer des députés aux états-généraux, ne voulant point, disait-il, que cette noblesse antique se courbât devant la double représentation du peuple. Ce fut lui qui conseilla cette protestation chevaleresque, signée du sang des nobles bretons ; et, quoiqu'amant de la liberté, il voulut la faire rétrograder en France, à l'instant où toute la nation croyait s'élancer vers elle. Le rôle de chef de parti convenait à son âme ardente, à son infatigable activité ; et les dangers de la guerre civile lui paraissaient préférables à l'humiliation du joug populaire. A Rome il eût combattu les Gracques ; en Suède, il eût conspiré contre son roi.

Devenu l'espoir des mécontents de la Bretagne, il les rallia, pour jeter ensuite les fondements de l'association qui souleva l'occident de la France. La Rouerie, rempli de cette grande idée, quitte son château, se rend à Coblentz auprès dei comte d'Artois, et lui présente son plan[1], après l'avoir soumis à M. de Calonne, alors conseiller de ce prince. Tout fut approuvé et revêtu, le 5 décembre 1791, de la sanction des frères du. Roi. La Rouerie, regardé comme l'âme et le chef de la confédération, est chargé d'en assurer le succès. L'association statuait d'abord l'établissement de commissions centrales d'insurrection dans chaque ville d'évêché, et leur composition élémentaire puisée dans les trois ordres ; elle réglait ensuite la correspondance directe avec son chef ; établissait des commissions secondaires dans les villes et dans les arrondissements d'un ordre inférieur, mais sous la direction de comités supérieurs, et toujours sous l'autorité d'un chef commun. Les travaux de tous devaient avoir constamment pour objet de procurer des hommes et de l'argent, de séduire les milices nationales et les troupes de ligne. Le sacrifice de l'intérêt local à l'intérêt commun, le concert, l'ensemble dans les opérations, étaient vivement recommandés, de même qu'on interdisait tout mouvement partiel. Le retour de la monarchie à son ancienne pureté, la conservation des propriétés particulières, des droits de la province et de l'honneur breton, devaient être le prix de tant d'efforts et de travaux. La Rouerie se, réservait de régler, lorsqu'il en serait temps, l'organisation militaire. Il partit de Coblentz, où son plan resta secret, laissant près du comte d'Artois, son ami Fontevieux, qui avait servi sous lui en Amérique, afin de poursuivre ses projets en son absence.

C'était à Jersey qu'on devait former des dépôts d'armes et de munitions destinées pour l'association bretonne. Les émigrés réfugiés à Jersey et à Guernesey, et qui appartenaient à la province de Bretagne, étaient dirigés en quelque sorte par le comte de Botherel, ancien procureur-général-syndic des états de cette province : ils s'étaient rangés sous la protection du gouvernement anglais, qui voyait en eux des mécontents qu'il fallait secrètement encourager. Toutefois il était à craindre que Botherel, animé par une rivalité d'ambition, ne contrariât les projets de La Rouerie. De retour en Bretagne, ce dernier, après avoir mari son plan, le mit à exécution.

Bientôt Saint-Malo, Rennes, Dol, Fougères, eurent leurs comités insurrectionnels. On y fit le recensement de tous ceux qui avaient perdu au nouvel ordre de choses, pour les exciter ensuite à se confédérer. Des émissaires royalistes se glissèrent dans les corps administratifs et judiciaires, dans les établissements publics, et surtout dans les douanes, la garde des ports, les forts et les arsenaux. Une multitude d'écrits sur les intentions des Princes et de la coalition propagèrent la doctrine de la résistance politique.

Il fut arrêté qu'en sacrifient une année de son revenu, on obtiendrait un sauf-conduit, tant pour soi que pour ses propriétés, dans tout le cours de la guerre civile, et que dès-lors on serait autorisé à,30 joindre en apparence aux révolutionnaires. Les associés qui jouissaient de ce privilége étaient invités à se marier avec les autorités constituées.

Des règlements militaires et civils, délibérés dans des réunions secrètes, et envoyés au conseil des princes, y furent approuvés, avec des changements proposés par M. de Calonne, rapporteur de toutes les affaires relatives aux royalistes de Bretagne. Le comité de Saint-Malo, qui correspondait plus directement avec Jersey et Guernesey, rédigea des instructions locales qui furent également adoptées. La Rouerie, l'âme de ce vaste complot, y consacrait ses veilles, sa fortune et toutes ses facultés. Une femme le secondait puissamment : Thérèse de Moelien, de Fougères, jeune, belle, courageuse, lui était attachée à la fois par les liens du sang et de l'amitié ; elle portait, cousus dans ses habits d'amazone, les pouvoirs donnés à La Rouerie par le comte d'Artois, et lui gagnait partout des partisans. Un sentiment tendre s'était mêlé à l'exaltation de ses passions politiques : elle aimait le major Chafner, américain, ami intime de La Rouerie, et également initié dans tous les secrets de l'association. Un rôle important était réservé à Chafner pour le moment où l'on prendrait les armes. Thérèse de Moelien le suivait partout. Dans leurs courses hardies, ces deux amans, qui n'avaient qu'une meule âme et une même existence, partageaient les mêmes dangers. L'actif, l'infatigable Loisel, contrôleur des actes à Plancouet et à Saint-Malo, ne quittait pas non plus La Rouerie, dont il était à la fois le confident et le secrétaire. Parmi les conjurés se faisait aussi remarquer Desilles, chef d'une famille infortunée ; il pleurait encore son jeune fils, massacré à Nancy. Retiré à la Fosse-Ingant, il veillait sur l'administration de la ligue bretonne, dont il était le caissier : Picot de Limoelan, son beau-frère, le secondait. Plus actif et non moins dévoué, Fontevieux avait toute la confiance de son parti, dont il était le courrier ; c'était lui qui se rendait auprès des princes français, recevait et rapportait leurs ordres. Grout de Lamotte, capitaine de vaisseau ; Loquet de Granville, Delaunay, ancien lieutenant-général de l'amirauté, et Lamotte-Laguyomarais, étaient entièrement dévoués à la confédération. Charles Bertin et Prigent, de Saint -Malo, quoique nés dans la classe plébéienne, figuraient aussi dans cette coalition de gentilshommes, et montraient le zèle le plus ardent pour la cause royale. Les trois aides-de-camp de La Rouerie — son neveu, connu sous le nom de Tuffin, le jeune Limoelan et le chevalier de Tinténiac —, étaient chargés des commissions les plus délicates. Enfin Pontavice, officier au régiment d'Armagnac, d'un caractère éprouvé, restait d'ordinaire en observation à Paris, pour veiller aux intérêts de la confédération. Le commandement militaire se trouvait à peu près réparti de la manière suivante : le prince de Talmont dans la Mayenne ; dans l'Avranchin, le marquis de Saint-Gilles ; Lahaie Saint-Hilaire entre Dol et Rennes ; Du lioisguy à Fougères ; Labourdonnaye, de Silz et de Lantivy dans le Morbihan ; vers l'embouchure de la Vilaine, les Dubernard et Caradeuc. ; Palierne et Laberillais dans le pays nantais ; Dubaubril-Dumoland près Montfort ; le baron Dampherné au Finistère, et Charles Boishardy dans les Côtes-du-Nord. Chaque chef d'arrondissement avait sous lui des chefs secondaires, chargés d'organiser militairement les cantons qui, leur étaient confiés. Tous apportaient dans leurs opérations cet ardent dévouement qui tient à l'esprit de parti et à la bravoure personnelle.

Mais un plan si vaste ne pouvait rester longtemps secret. Le déchaînement des passions politiques, et même la seule divergence des opinions, mettaient alors la délation au rang des vertus ; le démagogue n'hésitait pas à devenir dénonciateur pour renverser des complots royalistes ; il se couvrait, au besoin, du masque de l'amitié ; de son côté, l'ardent défenseur du trône sacrifiait jusqu'aux plus douces affections pour le succès de sa cause. Ainsi l'on vit Latouche-C... surprendre et trahir la confiance des conjurés. Ce jeune médecin de Bazouges connaissait l'art de s'insinuer dans les cœurs. Quoiqu'il inclinât ouvertement pour les principes révolutionnaires, il avait captivé La Rouerie, qui croyait devoir la vie à ses soins, et qui d'ailleurs espérait l'attirer dans le parti royaliste. Latouche résidait alors à Paris, et La Roua-rie, pressé d'argent pour ses opérations, lui confia des billets de caisse venant de Calonne, pour les convertir en or. Ces billets, à défaut d'un nouveau signe, ne pouvaient être échangés qu'avec précaution. La Rouerie lui expédia son neveu Tuffin pour qu'il accélérât l'échange ; et ce jeune évaporé, prenant Latouche pour un royaliste, ne lui déguisa rien. Fontevieux apporta bientôt de nouveaux billets, et trouvant le médecin de Bazouges au fait de la conspiration, lui en révéla les détails ; il partit ensuite pour Coblentz, à l'effet de presser l'envoi des secours promis par le comte d'Artois ; Fontevieux voyageait en toute sûreté, moyennant une commission apparente du prince des Deux-Ponts près les Etats-Unis d'Amérique.

Latouche, dans sa perplexité, se trouve comme accablé sous le poids d'un secret si important ; il ne sait d'abord le parti qu'il doit prendre. Bientôt ses opinions triomphent du combat violent qui se livre au fond de son cœur, et il court tout dévoiler à Danton, son ami, le plus audacieux des révolutionnaires. Danton l'invite, le presse même d'épier les démarches des conjurés. Les avis de Latouche parviennent directement au comité de sûreté générale de l'assemblée législative, qui signale aussitôt la trame royaliste aux administrations départementales des Côtes-du-Nord et d'Ille-et-Vilaine. Mais au milieu des intrigues ourdies pour la chute entière du trône, il n'existait aucune surveillance capable d'étouffer un pareil complot.

On touchait à la crise qui allait changer les destinées de la France ; tout s'apprêtait à la guerre : les conjurés, impatiens, n'en attendaient que le signal. L'assemblée législative la proclama, donnant ainsi à la France cette funeste initiative. Jamais les espérances des adversaires de la révolution ne furent fondées sur de plus puissants motifs La Rouerie épiait l'instant de donner à son parti les dernières instructions, afin d'être en mesure d'éclater selon qu'il en recevrait l'impulsion du dehors. Dans son impatience, il manda' les principaux conjurés à son château, situé entre Saint-Malo et Rennes : la réunion fut nombreuse. Après un repas non moins enivrant par l'exaltation des discours que par l'abondance des liqueurs, il fit passer les convives dans une salle secrète. Tous se rangent autour de lui ; le fidèle Loisel fait d'abord lecture à haute voix de la commission, datée de Coblentz, le 2 mars 1792[2], par laquelle les princes de la maison royale, Stanislas-Xavier et Charles-Philippe, après avoir donné à La Rouerie, comme chef des royalistes de l'ouest, tous les pouvoirs militaires, ordonnent aux sujets restés fidèles en Bretagne, de le reconnaître et de lui obéir comme tel, autorisant La Rouerie à joindre à l'association bretonne les parties limitrophes des autres provinces, et à retenir ses compatriotes, qui, dans l'intérieur, rendraient au Roi et à l'Etat de plus grands services qu'en prenant le parti de l'émigration.

Après cette lecture, La Rouerie se leva, harangua les conjurés, provoqua leur vengeance, et excitant, leur courage, leur montra le trône et l'autel attaqués par des novateurs, la noblesse en péril, ses privilèges anéantis. Il développe ensuite son plan, exalte la coalition de l'Europe, promet le soulèvement des royalistes, et, pour prix de tant d'efforts, la conservation de la monarchie et l'indépendance de la province. Puis il ajoute avec véhémence : « Braves compagnons d'armes ! si vous me croyez digne d'être votre chef et de vous mener à la victoire, jurez avec moi fidélité au Roi, haine aux démagogues, soumission aux ordres des Princes, et entier dévouement à l'association bretonne ». A l'instant, les conjurés, qui déjà partagent l'ardeur et la confiance de leur chef, prononcent tous ce même serment à haute voix, avec l'accent de l'enthousiasme. Ils se livraient à peine à cet élan unanime, que la vedette du château — car le service s'y faisait comme dans une place de guerre —, introduisit un envoyé du comité royaliste de Dol. Il an, ponça que les volontaires en tumulte marchaient sur le château pour le livrer aux flammes, sous prétexte qu'un rassemblement de prêtres et de nobles s'y était formé. A cette nouvelle, tous sont d'avis de se soustraire par la fuite aux perquisitions des démagogues ; mais La Rouerie jure qu'il défendra son château et ses propriétés au péril de sa vie, et qu'il s'ensevelira plutôt sous leurs ruines que de les abandonner lâchement. Il fait un appel aux braves, et inspire une confiance telle que chacun se rallie autour de lui en réclamant des armes et un poste à défendre. Des fusils, des munitions cachées dans les souterrains du château, furent distribués à l'instant même ; on fit des cartouches, on fit le dénombrement des royalistes ; on disposa les postes, on posa les sentinelles, on barricada l'entrée du château avec des charrettes, derrière lesquelles furent embusqués des paysans armés de fusils. Ces dispositions faites, un second émissaire survient : il assure que ce n'est point un rassemblement illégal qui vient assaillir le château, mais quatre cents gardes nationales de Saint-Malo et des environs, ayant à leur tête des officiers de police et des commissaires du département. On tient conseil, et on décide qu'on ne compromettra pas les intérêts du parti par une résistance inutile. La Rouerie ordonna lui-même la retraite, qui s'effectua sans qu'aucun détail, aucune mesure de précaution fussent négligés. On démeubla le château, pour qu'on le crut inhabité ; les conjurés s'esquivèrent par des souterrains inconnus ; et le concierge resta seul avec un petit nombre de vieux domestiques. A minuit, arrivent les révolutionnaires de Saint-Malo, qui pénètrent sans peine, mais non pas sans défiance, interrogent le concierge, et ne trouvant rien de suspect, dévastent les caves et les cuisines. Les plus irrités veulent mettre le feu au château. Déjà ils allumaient des torches quand un petit nombre de royalistes qui, sous l'apparence de l'exaltation démocratique, s'étaient glissés parmi ces furieux, parvinrent à retenir leurs mains incendiaires. Le lendemain le château fut abandonné.

L'inutilité de cette recherche, sans dissiper tout-à-fait l'inquiétude à laquelle avait donné lieu la découverte de quelques fils de la conjuration, rendit les autorités moins surveillantes. Les conjurés, au contraire, n'en eurent que plus d'ardeur et redoublèrent de précautions. La Rouerie rentra dans son château, le mit en état de défense, exerça sa petite troupe aux manœuvres militaires à pied et à cheval, et fit monter la garde, jour et nuit, comme dans une place menacée. Au dehors il distribua de l'argent, se fit de nouvelles créatures, soudoya des espions qui le prévenaient exactement de tout ce qui se passait dans les villes voisines ; de sorte qu'instruit à l'avance des visites domiciliaires, il avait le temps de s'y soustraire ou de s'y préparer.

Tout annonçait en France une explosion prochaine ; le mois de juillet devait être fertile en événements. Mais les vaines tentatives des royalistes du Finistère et de l'Ardèche forcèrent La Rouerie de se renfermer dans le système d'une prudente circonspection.

Allain-Nedellec, cultivateur et juge de paix à Fouesnant, près Quimper, dans les possessions du marquis de Chefontaine, dont il était l'agent, y proclama seul la révolte à l'issue de la messe paroissiale. Des paysans armés se réunirent au nombre de quatre à cinq cents, près la chapelle de Kerbader, lieu indiqué pour former le noyau de l'insurrection. Aussitôt les émissaires de Nedellec parcourent les campagnes ; des groupes entraînent les habitants et menacent d'incendier les propriétés de ceux qui ne se déclareront pas pour la royauté et pour la religion. Le tocsin sonna de toutes parts. Les gardes nationales se levèrent en armes, et marchèrent contre les insurgés ; le combat s'engagea près de Fouesnant : les royalistes furent vaincus et dispersés.

Quarante-trois d'entre eux sont faits prisonniers et conduits dans les prisons de Quimper. Nedellec échappe d'abord aux recherches, en se cachant tantôt dans un tonneau, tantôt sous une trappe ; il est enfin arrêté, s'évade, est encore repris. Traduit au tribunal criminel à Quimper, c'est en vain qu'on cherche à lui arracher le nom des véritables moteurs de la révolte ; l'espérance d'être sauvé ne peut l'ébranler ; il s'obstine à se taire, imputant à lui seul le mouvement royaliste. Il refusait de marcher au tribunal ; il fallut l'y porter : Vous êtes faits pour cela, dit-il aux gendarmes. Nedellec fut à Quimper la première victime de l'instrument de supplice appelé guillotine ; il mourut avec intrépidité.

Dans l’Ardèche, le comte Du Saillant se proclame lieutenant-général de l'armée des Princes, gouverneur du Languedoc et des Cévennes. A la tête de deux mille royalistes, il s'empare soudain des châteaux de Talés et de Bannes mais déconcerté par la vigueur des autorités, accablé par le nombre et l'énergie des gardes nationales, il voit bientôt sa troupe l'abandonner et se disperser. Mais rien ne peut le déterminer à fuir : tombé au pouvoir des révolutionnaires, il est massacré aussitôt, ainsi que ses principaux officiers. Les deux châteaux sont livrés aux flammes.

Ces revers, intimidèrent les royalistes de Bretagne. La Rouerie les attribuait avec raison à une précipitation irréfléchie et au défaut d'ensemble, Cependant Paris était rempli de troubles ; la crise décisive approchait. Le 10 août, les révolutionnaires attaquent le séjour des rois ; mal défendu, il tombe en leur pouvoir. Le trône s'écroule, Louis XVI est captif, la royauté n'est plus. Une si terrible catastrophe va suspendre l'explosion de la conjuration bretonne. Au lieu de prendre l'offensive, il fallut attendre les chances de la guerre extérieure et d'autres instructions. Mais La Rouerie ne se laisse point abattre : pour mieux préparer les esprits à un soulèvement général, il fait répandre secrètement une proclamation émanée de lui, comme chef royaliste. Il y exhortait les Bretons à se coaliser, à le seconder sous l'approbation des Princes, frères du Roi captif, afin de combattre et d'exterminer dans l'intérieur les factieux, pendant que les troupes étrangères les combattraient au dehors. Délivrer Louis XVI, le faire remonter sur le trône, rétablir l'ancienne constitution monarchique, relever l'église catholique et les anciennes Cours souveraines : voilà ce que promettait La Rouerie.

La journée du 10 août avait assuré dans Paris la domination aux révolutionnaires ; niais il leur fallait encore étouffer la conspiration royaliste,' et résister à l'armée, prussienne qui couvrait les plaines do la, Champagne. Cette grande diversion était d'ailleurs favorable aux conjurés. Latouche fut spécialement chargé par Danton, devenu ministre d'Etat d'éclairer de plus près leurs démarches. Il revint en Bretagne, avec la mission de s'insinuer dans leur confiance : tout le reste fut abandonné à sa sagacité. Il se présente à La Rouerie, et déplore d'abord, avec l'accent du désespoir, les suites atroces de la journée du 10 août ; il lui montre Danton indigné des excès de la populace, voulant à tout prix tirer la France de l'anarchie déplorable où la plongent des brigands. Il lui déclare enfin qu'il a tout révélé à Danton, qui, partageant sans retour des opinions plus saines, est bien décidé à seconder les efforts de la confédération royaliste, pour rétablir le Roi et préserver la France d'un démembrement. Il ajoute qu'à cet effet Danton lui a donné des pouvoir à qui suffisent pour déplacer les troupes cantonnées en Bretagne ; ce qui va procurer au parti des avantages inappréciables.

La vraisemblance des récits de Latouche, sa franchise feinte et l'exhibition de ses pouvoirs ; fascinent les yeux de La Rouerie, qui ne balance plus à lui accorder une confiance sans réserve : il lui dévoile tous ses secrets, toutes ses vues, toutes ses espérances. Il lui avoue qu'animé par les progrès des Prussiens en Champagne, il n'attend plus pour agir que leur approche vers la capitale ; que tout est prêt, que la descente sut les côtes de Saint-Malo, par les émigrés réunis à Jersey, aura lieu au plus tard le 10 octobre. Latouche simule le sentiment de la joie ; mais alarmé en secret, il se hâte de transmettre toutes ces informations à Danton, pour qu'il provoque l'attention du conseil exécutif provisoire, qui, à peine assis sur les débris du trône, laissait échapper les fils de la conspiration. Danton convoque le conseil, y développe avec clarté les projets de La Rouerie, et demande qu'il soit pris des mesures promptes pour les entraver ou les anéantir.

Il n'y avait pas de temps à perdre pour dissoudre cette nouvelle ligue ; les administrations locales étaient suspectes aux révolutionnaires ; l'opinion publique se prononçait contre l'abolition de la royauté ; l'association, d'ailleurs clairvoyante, voyait augmenter chaque jour le nombre de ses adhérents : il fallait apporter dans les opérations dirigées contre elle, autant d'activité que de prudence ; on ne pouvait y employer indistinctement les magistrats et les gardes nationales. Le conseil exécutif délibère, et décide qu'il se concertera, pour prévenir toute explosion eu Bretagne, avec le comité de sûreté générale, de la convention, assemblée nouvelle, qui, à l'ouverture de sa session, venait dé proclamer la république.

Cependant la retraite du roi de Prusse, confirmée par tous les avis, avait déjà fait évanouir les espérances des royalistes bretons, et de La Rouerie leur chef. Lui, se hâte de convoquer à la Fosse-Ingant, chez Desilles, les principaux conjurés : là on tient conseil ; tous opinent pour que La Rouerie quitte momentanément la Bretagne, et se retire devers les princes de la maison royale, pour connaître leur volonté. Cet avis allait passer sans opposition, quand Thérèse de Moelien, que La Rouerie avait eu la faiblesse d'admettre au conseil, prit la parole ; elle s'éleva avec force contre tout projet d'abandonnement et de retraite, qu'elle flétrit des épithètes injurieuses de désertion et de lâcheté.

L'opinion d'une femme prévalut, et nul n'osa plus proposer à La Rouerie de quitter la province. Décidé lui-même à vaincre ou à périr, il députe vers les Princes Latouche et Fontevieux. Conservant seul toute sa fierté, il court de château, en château, de comité en comité, pour réveiller les esprits abattus, pour ranimer toutes les espérances, errant dans les forêts, armé de toutes pièces, ne suivant jamais les sentiers battus, passant les nuits dans des grottes inaccessibles, --tantôt au pied d'un chêne, tantôt dans le fond d'un ravin, jamais ne s'arrêtant au mime endroit deux fois de suite.

Ces deux envoyés abordent en Angleterre, l'un plein de zèle et de loyauté, l'autre de perfidie et d'astuce, selon la différence de leur caractère. A son arrivée à Londres, Latouche, guidé par les instructions secrètes de Danton, pénétra chaque jour plus avant dans les projets des Princes. Initié dans la conspiration, lié avec le secrétaire de M. de Calonne, il obtint aisément une entrevue de cet ancien ministre, qui s'ouvrit à lui sans réserve sur les plans ultérieurs de la coalition et des princes français.

Après avoir interrogé Latouche sur la journée du io août et ses résultats ; après s'être plaint de la contradiction des rapports venus de l'intérieur, M. de Calonne en vint aux questions les plus importantes. « J'ai quitté les Princes, dit-il, au moment de leur départ de Verdun, pour m'occuper ici de pourvoir au besoin de leur armée. La situation des émigrés et de leurs chefs est déplorable : ifs sont tous en pleine retraite, abandonnés du roi de Prusse et même des Autrichiens. Je l'avais prévu ; mais le baron de Breteuil, l'envoyé du Roi auprès des Princes, a contrarié tous mes plans. Dans le conseil tenu à Verdun, je proposai de fabriquer des assignats pareils à ceux qui circulent en France, pour que l'armée des émigrés payât tout au comptant, et pourvût même au besoin des troupes coalisées. Contre mon avis, le baron de Breteuil a fait créer des bons royaux, dont personne n'a voulu ; et les Princes n'ayant pu subvenir à l'entretien de leur armée, non plus qu'à celle du roi de Prusse, ce monarque a traité avec la convention, et nous a abandonnés. Dans ce moment, les Princes sont à Liège, où leur détresse les force de licencier tous les braves qui ont volé à leur secours. En vain le comte d'Artois me presse de le joindre, je m'occupe ici plus utilement de ses intérêts. Je lui ai déjà fait passer trois millions en assignats, parfaitement imités ; cette somme a fait subsister l’armée royale pendant quinze jours dans le pays de Liège et de Stavelot. J'en fais fabriquer de nouveaux ; dès que cette opération sera terminée, je m'occuperai de la Bretagne ; j'en ai reçu l'ordre spécial du comte d'Artois. Nous avons obtenu l'autorisation de MONSIEUR, et maintenant l'intention du comte d'Artois est de diriger seul ce qui est relatif à cette province. Les deux Princes vont se séparer ; ils ne doivent plus rien attendre de l'Europe ; il ne leur reste qu'à soulever l'intérieur. Nous réussirons moyennant mes projets de finances. Il faut aussi que d'un bout de la France à l'autre on suive le plan de La Rouerie. Déjà l'on s'est occupé sur différents points : les ordres, les commissions sont expédiés. On n'opposera plus au comte d'Artois la volonté de Louis XVI, qui ne sortira du Temple que pour aller à l'échafaud... C'est la faiblesse de cet infortuné monarque qui a tout perdu... » Ici Calonne prononça le nom de MONSIEUR et s'arrêta. Il fit ensuite un éloge pompeux du comte d'Artois, qui devait, disait-il, faire revivre Henri IV, et se montrer en France à la tête du parti des Bourbons, dès qu'on aurait une place de sûreté. « Je viens ajouta-t-il, d'expédier à La Rouerie l'ordre de redoubler de zèle, et d'éviter surtout un éclat avant d'être sûr du succès ; j'ai la promesse d'être secondé par le gouvernement britannique. La Rouerie aurait déjà reçu de Jersey des munitions de guerre, sans le comte de Botherel, qui, faute d'accord, en a suspendu le départ. Je sais que les chefs des émigrés de Bretagne, ne croyant pas La Rouerie d'une noblesse assez illustre, lui ont vu conférer avec peine le commandement de la province ; mais il lui était dit ; nous n'avons d'ailleurs besoin que d'un homme plein d'audace... Restez à Londres, ajouta Calonne, et quand il en sera temps, vous passerez en Bretagne ». Tous ces détails firent transmis à Danton ; mais il n'était déjà plus ministre ; ce fut Garat qui reçut la correspondance.

En même temps Fontevieux, arrivé près du comte d'Artois, tournait les vues de ce Prince du côté de la Normandie et de la Bretagne. Il insistait pour qu'on dirigeât, soit vers l'Angleterre, soit vers les files de Jersey et de Guernesey, tous les émigrés en état de porter les armes. Il proposait aussi, selon l'opinion de Malouet, député probe et modéré de l'assemblée constituante, de réunir à l'intérêt des Princes tous les partisans du régime constitutionnel de 1791 : enfin il montrait combien, avec la certitude d'avoir Saint-Malo, Cancale die fort de Châteauneuf, il serait facile, en cas d'échec, de conserver le Clos-Poulet. Le zèle que montrait Fonte vieux lui mérita la confiance du comte d'Artois. Ce Prince fit tout dépendre de la 'prompte arrivée de M. de Calonne. Il ne se dissimulait point l'état précaire de son parti, et le peu d'espoir que laissait la conduite inconcevable du duc de Brunswick, généralissime des coalisés. Il suspendit la réponse que lui demandait La Rouerie jusqu'au retour du comte de La Palisse, chargé de presser l'arrivée de M. de Calonne. Dans une seconde conférence avec l'émissaire breton, le Prince lui parla des difficultés d'obtenir des secours efficaces : Il n'en fut pas moins décidé, qu'on s'armerait en Bretagne dès que les émigrés auraient gagné l'Angleterre et l'Archipel normand. Fontevieux, porteur de cet ordre, arrive à Londres peu de jours après l'entrevue de Calonne avec Latouche. Calonne lui remet des dépêches et de faux assignats pour La Rouerie, auquel il marque de temporiser encore, pour agir plus en grand vers le mois de mars ; il ajoute qu'il espérait bientôt rejoindre les Princes et rapporter des ordres plus précis.

Le 24 janvier 1793, Latouche, véritable Protée politique, revint de Londres, apportant la nouvelle-que tous les plans étaient repris pour le mois de mars suivant ; qu'a cette époque, la descente sur les côtes de Bretagne, et la levée du bouclier dans les départements de la ligue, auraient lieu simultanément, de mème que l'invasion de la France par les puissances coalisées.

Ces données positives, communiquées par Latouche au ministre des affaires étrangères, Lebrun, dans une conférence secrète, ne laissèrent plus aucun doute sur le complot formé dans l'intérieur, de concert avec les émigrés et l'Angleterre. Le ministre ayant présenté au conseil un mémoire détaillé, demanda qu'on prît des mesures immédiates pour l'arrestation des principaux chefs de la conjuration, et pour la saisie de leurs papiers. Il proposa d'en confier la mission à un commissaire revécu de pouvoirs illimités, et il désigna pour la remplir Laligant-Morillon, l'ami et le coin patriote du député Bazire. Morillon était un de ces vils instruments dont les méchants se servent en révolution, pour le malheur de leurs semblables. Chassé jadis de la grande gendarmerie, successivement musicien, aventurier, espion, il avait trahi, à Coblentz, les intérêts des Princes, et s'était venu vendre au parti révolutionnaire. Le comité de sûreté générale l'ayant employé dans des missions secrètes, il venait de livrer les principaux membres d'une association royaliste, qui embrassait quatre-vingts lieues d'étendue, depuis Grenoble jusqu'à Nîmes. Dans cette occasion, il s'était fait remarquer par une audace inébranlable et par un tact perfide. Toutefois, cet homme pervers se montrait par fois, dans une carrière infime, susceptible de remords et même d'humanité.

Quand le ministre Lebrun eut fait, le i,6 février, son rapport devant le comité de sûreté générale, Bazire, ami de Morillon, et l'un des membres les plus prépondérants du comité, observa qu'il n'était pas impossible de porter La Rouerie à supplier le comte d'Artois de se mettre à la tête des émigrés et de la descente projetée, au moment même où les républicains seraient en mesure de s'assurer de la personne du Prince et de plusieurs émigrés marquants, qui seraient infailliblement à sa suite. Il assura que le parti breton n'était pas éloigné d'appeler le frère du Roi, et qu'on pourrait peut-être l'y déterminer. Mais le conseil entrevit quelques dangers dans une pareille intrigue. Après une mare délibération, il fut convenu de se borner à l'arrestation des personnes contre lesquelles on avait acquis assez de preuves. Le comité décerna le lendemain des mandats d'arrêt contre les chefs connus et contre leurs complices ; il nomma Morillon son commissaire d'exécution, lui enjoignit de se concerter avec Latouche, et de transférer ensuite à Paris les coupables, saisis de toutes les pièces de conviction. Comme on prévoyait les dernières convulsions du parti, au moment de ce coup d'Etat, Morillon demanda sept mille hommes, qu'on lui promit ; il en régla le mouvement avec les ministres Lebrun et Pache. Muni de notes suffisantes et de tous les titres pour se faire reconnaître au besoin, Morillon se réunit à Barthe, autre agent de son choix, maître d'ailleurs de requérir à son gré les officiers civils et militaires, pour s'en faire assister, s'il le jugeait nécessaire au succès de sa mission.

L'instant paraissait d'autant plus favorable, que Latouche venait de recevoir une lettre de mademoiselle de Moelien, qui le pressait avec instance de venir vite donner des soins à La Rouerie, tombé dangereusement malade. A la réception de cette lettre, croyant déjà tenir sa proie, il partit précipitamment, et précéda Morillon.

A son arrivée en Bretagne, tout y avait changé de face : les tergiversations des Princes et la nouvelle du supplice de Louis XVI, avaient porté la consternation dans l'aine des conjurés. L'impétueux La Rouerie, dont la raison avait jusqu'alors enchaîné les passions, n'étant plus le maître de se contenir, venait d'expirer dans des accès de rage. Les circonstances de sa mort, l'effet qu'elle produisit sur son parti, et les événements qui en furent la suite, doivent être consignés dans cette histoire.

Vivement poursuivi après le 10 août, signalé dans le journal de Rennes, et dénoncé à la société populaire ; forcé, par les ordres contradictoires des Princes, de passer l'hiver sans rien entreprendre, errant et fugitif, impatient d'atteindre le mois de mars, et exposé à l'inclémence d'une saison toujours rigoureuse, La Rouerie, dont la santé s'altérait, éprouva le besoin du repos. Il chercha un toit hospitalier, où il pût, à l'abri des perquisitions de ses ennemis, préparer le succès de son entreprise. Mais où trouver une retraite assurée, à moins que ce ne soit chez un membre de l'association royaliste ? La Rouerie choisit le château de Laguyomarais, à une lieue de Lamballe. Il s'y présente un soir, sous le nom de Gosselin, accompagné de Saint-Pierre, son domestique, et du fidèle Loisel, qui ne le quittait jamais. Il n'était Gosselin que pour les personnes étrangères à la conspiration. Saint-Pierre tombe malade ; La Rouerie seul le soigne. Saint-Pierre guérit, et le i6 janvier, La Rouerie est atteint d'une maladie mortelle. Le surlendemain, la famille Laguyomarais, qui redoutait les visites domiciliaires, lui fait dire par Loisel qu'il serait prudent de quitter le château. La Rouerie part ; mais succombant sous le poids du mal, il s'arrête ; il est forcé d'entrer dans une chaumière ; et deux heures après on le ramène au château. La maladie fit des progrès alarmants ; le médecin Taburel trouva La Rouerie en proie à une fièvre putride avec des accès délirants. Le supplice de Louis XVI, dont il venait d'apprendre les détails, acheva de troubler sa raison. Le malheureux La Rouerie voyait son roi arraché des bras de sa famille, et traîné à l'échafaud ; ce spectacle d'horreur lui arrachait d'affreux gémissements, et le rendait furieux. Dans son délire, il s'exhalait en imprécations contre Paris, contre les brigands qui noircissaient la France de crimes. Le médecin Taburel ayant annoncé que La Roua-rie était en danger, l'alarme se répandit au château. En cas de mort, que faire du cadavre ? Cette idée trouble Laguyomarais et sa famille : on cherche des expédients. Le jardinier Périn, à qui madame Laguyomarais témoigne son anxiété et ses craintes, promet à sa maîtresse de la tirer d'embarras.

Le trente janvier, après quatorze jours de maladie, le chef de la confédération bretonne expire vers les quatre heures du matin. Son cadavre, enlevé mystérieusement, est porté, à la faible lueur de la lune, dans un bois voisin du château, et déposé ensuite dans une fosse commencée par le précepteur, Lachauvenais, et achevée par le jardinier Périn. On fait au cadavre plusieurs incisions, dans lesquelles le chirurgien Masson verse de la chaux vive ; on comble et on recouvre la fosse de terre.

Le même jour Saint-Pierre et Loisel s'éloignent. Les chefs de l’association, inconsolables de la perte d'un-homme dont le caractère et les talents, faisaient l'espoir du parti, gardèrent, sur sa mort, le plus profond silence, pour ne pas jeter dans le découragement les royalistes bretons. Pendant sa maladie, qu'on avait tenue secrète, on avait eu la précaution de lui faire signer beaucoup d'ordres en blanc[3]. Mais déjà tout ce mystère était pénétré par Latouche. Instruit à son arrivée à Fougères, par mademoiselle de Moelien, que La Rouerie a cessé de vivre, il va chez Desilles, à la Fosse-Ingant, et là, sous prétexte du vif intérêt que lui inspira celui qui, jusqu'à son dernier soupir, l'avait regardé comme son ami, il s'informe de toutes les 'circonstances de sa mort, de son inhumation clandestine, et des moyens de réparer une si grandi perte. Par les craintes qu'il affecte et par celles qu'il inspire, il plonge Desilles dans l'irrésolution, et profitant de la fluctuation de ses idées, il obtient que tous les papiers de La Rouerie seront transportés à la Fosse., Ingant. Laguyomarais-les 'y porte dans un bocal de verre qui est enterré à six pieds de profondeur, dans un des carrés du jardin.

Mais qui pouvait remplacer La Rouerie ? Nul en Bretagne ne l'eût osé. Desilles jette les yeux sur le fidèle Malseigne, militaire intrépide, émigré depuis les troubles sanglants de Nancy, où il s'était fait remarquer par une résistance courageuse.

Les conjurés espèrent cacher la mort de La Rouerie jusqu'à l'arrivée de Malseigne. Cependant, Morillon, l'agent officiel des révolutionnaires de Paris, a suivi de près Latouche, en Bretagne ; il se concerte avec lui en secret, soutient que le moment est venu de tout dévoiler, de s'emparer des autres chefs du complot, de saisir leurs papiers et autres pièces de conviction. Mais il est sans forces ; les troupes qui devaient protéger ses opérations n'arrivaient pas ; et le ministre Lebrun, auquel il a écrit dans les termes les plus pressants, laisse sa correspondance sans réponse. Abandonné à lui-même, et calculant tous les maux que l'insouciance du ministère allait causer, si Malseigne se montrait avant qu'il eût frappé les conjurés de terreur, il se décide à les braver, avec le faible secours de Cadenne, lieutenant de gendarmerie ; de Bellenger, fils du commissaire national, et de quelques volontaires des communes de Saint-Malo et de Saint-Servan. Persuadé d'ailleurs que la publicité suffit pour anéantir la conspiration, il se transporte d'abord au château de Laguyomarais. Là, s'environnant d'un grand nombre de témoins, et assisté de Renoul, juge de paix du canton de Saint-Servan, il appelle le public à ses opérations, fait exhumer avec éclat le cadavre de La Rouerie, que la chaux n'avait pas encore dévoré, et arrête en même temps toute la famille Laguyomarais, le précepteur, les domestiques, et jusqu'au jardinier Périn. L'association, interdite, croit que Morillon a des forces ; elle n'ose le troubler. Morillon se hâte de faire proclamer la mort de La Rouerie et les circonstances qui l'ont accompagnée ; il instruit les révolutionnaires d'Ille-et-Vilaine des projets médités par les royalistes, et leur dévoile l'existence d'une conjuration dont les moyens sont détruits et les principaux chefs entre les mains de la justice. Cependant, Thérèse de Moelien, dépositaire des secrets de La Rouerie, qui, en mourant, lui avait confié mille louis en or et la liste des confédérés, fait trêve à sa douleur, et brille cette liste la veille de son arrestation.

La plupart se tenaient sur leur garde, tels que. Tinténiac, alors en tournée, Boishardy, MM. de Silz, le prince de Talmont, et d'autres chefs de la ligue : ils se dérobèrent à toutes les recherches ; quelques-uns émigrèrent : la foudre n'atteignit que très-peu de conjurés. Desilles, caissier de l'association, fut averti à temps de l'exhumation du cadavre, et de l'arrestation des Laguyomarais. Cédant alors aux instances de ses amis et de sa famille, il se dérobe et s'embarque pour Jersey, avec Prigent et Charles Bertin, laissant ses trois filles — mesdames d'Allerac, de Virel et de Lafonchais — en butte aux coups d'un destin inévitable. Le lendemain, Morillon arrive à la Fosse-Ingant, avec la force armée, cerne le château, qui est à 'l'instant livré au pillage, et fait arrêter, avec mesdames Desilles, Latouche lui-même, sans doute pour qu'il puisse guider les recherches plus sûrement, au moyen d'une complicité simulée. Le jardin est fouillé en présence des trois sœurs Desilles, à l'endroit même où était enterré le bocal. Elles reconnaissent alors qu'elles sont trahies, mais aucun trouble visible ne les décèle. On enlève quelques arbustes, et à six pieds sous terre on trouve le bocal hermétiquement fermé. Morillon procéda aussitôt à son ouverture, et dès-lors toute la conjuration fut matériellement dévoilée, sauf les noms des conjurés portés sur la liste anéantie par Thérèse de Moelien. Peut-être l'action de cette zélée royaliste nuisit-elle au soulèvement général de la Bretagne. En effet, si tous les conjurés eussent vu leurs noms au grand jour, la nécessité, le désespoir, les auraient tous armés pour leur propre défense. Ils se rassurèrent bientôt, voyant qu'ils restaient inconnus ; se tinrent même à l'écart, pour ne point éveiller le soupçon ; et le mouvement royaliste échoua.

Cependant vingt-sept personnes étaient arrêtées, et parmi elles se faisaient remarquer les trois sœurs Desilles, modèles de toutes les vertus. Soit que Morillon ne fût pas insensible à l'intérêt qu'inspirait naturellement cette famille infortunée, soit qu'il fût révolté de l'odieuse intrigue pratiquée pour la perdre, il parut vouloir la sauver. D'abord il interroge les trois sœurs ensemble, et avec elles, Picot Limoelan, leur oncle ; puis il leur suggère le refus de signer le procès-verbal, conseil que Latouche les détourne de suivre. Cet homme leur persuade qu'il a su écarter, pour lui-même, tout soupçon de complicité. Elles en témoignent leur joie, car toutes s'étaient offertes de favoriser son évasion, au risque de se compromettre davantage.

Le dix mars, tous les prisonniers, sous l'escorte de Morillon, furent transférés à Saint-Malo, et de là à Rennes, où le bruit de leur arrestation et de la découverte d'une grande trame, avait déjà semé le trouble. Ils se trouvèrent alors dans l'alternative d'être délivrés en route par leurs partisans, mais non sans péril, ou massacrés dans les villes par les brigands révolutionnaires qu'ameutait contre eux l'homme qui, redoutant le grand jour d'une procédure, aurait voulu anéantir les traces de sa perfidie. Les paysans soulevés dans les campagnes se portaient en foule au-devant du convoi, avec intention de l'attaquer ; et dans les villes, les prisonniers étaient exposés à la fureur des démagogues. Malgré ce double danger, Morillon part de Rennes, où les autorités l'avaient requis de se mettre à la tête du peu des forces dont on pouvait disposer pour conjurer l'orage. Il se porte Partout au devant du péril ; partout il repousse ou les paysans insurgés, ou les brigands qui ne respiraient que le meurtre, changeant, pour leur ravir leurs proies, et l'heure du départ et l'heure de l'arrivée. Dégagé enfin par un corps de troupes, il put transférer sans obstacle ses prisonniers dans Paris. Là ils furent livrés au tribunal révolutionnaire, nouvellement institué, et qui bientôt devait exterminer royalistes et républicains.

Ils y furent jugés avec une apparence de formes régulières et après des débats publics et prolongés. Sur vingt-sept accusés, douze furent condamnés à mort. La même condamnation frappait à la fois Laguyomarais et sa femme, Théhault, Lachauvenais, Picot de Limoelan, Angélique Desilles — femme Déclos-Lafonchais —, Maurin-Delaunay, Loquet de Granville, Grout de La Motte, Thérèse de Moelien, Georges Fontevieux, Vincent, interprète de langue anglaise, et Pontavice qu'on avait arrêté à Paris.

Les prévenus acquittés s'évanouirent ; les condamnés ne démentirent ni leur fermeté, ni leur, caractère ; tous écoutèrent leur sentence avec calme, et marchèrent au supplice avec courage, refusant l'assistance des prêtres constitutionnels, qu'ils regardaient comme des intrus. Tous s'embrassèrent au pied de l'échafaud, et la plupart crièrent vive le Roi ! Angélique Desilles, condamnée pour sa belle-sœur, dont elle portait le nom, refusa d'éclairer le tribunal sur sa méprise, et périt avec une résignation touchante[4]. Pontavice mourut le dernier. En treize minutes, le même fer trancha douze têtes. Le peuple, accoutumé déjà aux échafauds, parut toutefois étonné du nombre des victimes et de la célérité de l'exécution.

Morillon[5], récompensé d'abord pat de nouveaux pouvoirs, fut menacé à son tour, soit qu'on lui fît un crime d'avoir montré des sentimens plus humains que n'en comportait sa mission, soit qu'on brûlât de s'en défaire comme d'un témoin importun. Il fut accusé de rapines, et suivit de près, sur l'échafaud, ceux qu'il y avait conduits, tout en souhaitant les sauver. Quant à l'homme qui, dans cette tragédie, avait joué un rôle plus odieux encore, il fut condamné, pour ainsi dire, à rester en proie à ses remords, à ses terreurs, flétri de son vivant par l'opinion publique.

Il est un rapprochement que l'histoire ne peut omettre : la découverte des papiers de La Rouerie eut lieu le 3 mars, et sept jours après une grande partie de la Bretagne, de l'Anjou et du Poitou, était en insurrection pour la royauté.

Le même jour, une multitude de paysans bretons formèrent, sur différents points, des rassemble-mens hostiles, et attaquèrent à la fois, le Faouet, Guéméné, Pontivy, Lominé, Aurey, Vannes, la Roche-Bernard, Pontchâteau, Savenay, Oudon et Guérande. Oudon fut envahi par les ouvriers des mines de Montrelais, que soulevèrent Piron de la Varène et Schetou, marchant à leur tête ; mais les Nantais, unis aux Angevins, les dispersèrent aussitôt. Piron et Schetou ayant échoué de ce côté, passèrent sur la rive gauche de la Loire, et se réunirent ensuite aux Vendéens. Avec ses seules forces, la ville de Nantes, qui soutenait la cause de la révolution, préserva Ancenis, Nort, Mauves, Couëron Guérande, le Croisic et Savenay, tombé un moment au pouvoir des royalistes.

Cependant la rive gauche, de la Vilaine, jusqu'aux portes de Nantes, était en pleine révolte ; les insurgés forçaient les voyageurs à arborer la cocarde blanche. Plus loin, la ville de Fougères, foyer d'une ardente démocratie était investie par trois mille paysans, qui marchaient sur deux colonnes, avec le projet de la mettre au pillage et de la brûler. Rennes se voyait aussi à la veille de succomber. Cinq cents révoltés se portent sur cette ville, mais ils n'osent l'attaquer ; les révolutionnaires y étaient en armes ; la générale y battait à chaque instant, et des détachements nombreux en sortaient pour combattre les royalistes. A Bain, plusieurs volontaires sont faits prisonniers ; à Pacé, quarante sont taillés en pièces ; à Mordeilles, les insurgés sont défaits. Deux mille paysans, que Dubobril-Dumoland dirige en secret, attaquent Montfort ; cent cinquante révolutionnaires et trois brigades de gendarmerie les dispersent. Saint-Aubin-d'Aubigné, Saint-Aubin-Ducormier sont le théâtre de combats sanglants ; Dinan est en pleine insurrection. Vannes, chef-lieu du Morbihan, est attaqué par sept mille Bas-Bretons, conduits par MM. de Silz. En même temps Pontivy se soulève ; les troubles s'étendent jusque dans les campagnes qui avoisinent Brest. L'ombre de La Rouerie semble planer sur toute la Bretagne, et y jeter les brandons de la guerre civile. Partout cependant les révolutionnaires opposent une grande énergie à ce soulèvement presque général. Vitré est sauvé du pillage ; douze cents hommes repoussent, aux portes de Vannes, les Morbihannais ; et leur enlèvent le château de Rochefort, où étaient réunis leurs moyens de défense. Pontivy est repris, et le lendemain, trois mille insurgés, qui s'y portent sur trois colonnes, sont dispersés. Enfin Saint-1' ol.de-Léon allait tomber au pouvoir des royalistes du Finistère, quand le général Canclaux marcha contre eux, et les fit rentrer dans le devoir, en employant tour à tour l'indulgence et la fermeté.

Dans les districts de Blin, de la Roche-Bernard et de Guérande, les insurgés avaient massacré les autorités et brillé les papiers des administrations. Bodinet, maître des postes, après avoir soulevé Pontchâteau et attaqué la Roche-Bernard, venait d'être tué au moment où il opérait sa jonction avec les Dubernard, chefs des insurgés de cette ville. Là un horrible excès fut commis : le président du district, nommé Sauveur, ardent révolutionnaire, fut d'abord mutilé, puis jeté dans un brasier ardent. La convention rendit hommage à ce martyr de la révolution ; elle décréta que la ville de la Roche-Bernard se nommerait désormais la Roche-Sauveur, et que ce nom serait inscrit au Panthéon français.

Toutefois peu- de chefs royalistes osèrent alors paraître à découvert. Si quelques-uns se montrèrent un moment, espérant que l'insurrection pourrait se consolider, désabusés bientôt, il se replongèrent dans les ténèbres. Excepté Boishardy, du district de Lamballe, dont le nom fut cité, mais qui échappa aux recherches ; excepté Caradeuc et les Dubernard, qui, tombés entre les mains des révolutionnaires, montèrent à l'échafaud, les autres chefs restèrent inconnus. Des rapports secrets indiquèrent Laberillais, Gérard et Mercier le jeune, appelé depuis Mercier-la-Vendée, comme cherchant à soulever le pays renfermé entre l'embouchure de la Loire et le Morbihan.

La convention effrayée, se hâta d'envoyer des commissaires en Bretagne : elle choisit Billaud de Varennes et Sevestre ; le premier si fameux par sa féroce énergie. Ils trouvèrent les campagnes aux prises avec les villes, plus de cent communes soulevées, et aucun régiment complet. Mais les révolutionnaires s'étaient groupés, quoiqu'en petit nombre, et déployaient le plus grand courage. La tiédeur et la négligence qu'on avait reproché aux administrations, étaient rachetées par leur réveil et leur dévouement. Les insurgés, immédiatement attaqués à la réquisition des corps administratifs, furent atteints et dispersés avant qu'ils eussent pu réunir leurs colonnes pour former une armée. Que pouvaient ils entreprendre sans chefs expérimentés ? Quels succès pouvaient-ils obtenir en agissant partiellement et sans aucun ensemble ? La Rouerie n'était plus ; l'impétueux Beysser, qu'animait la présence des commissaires de la convention, brûlait de se signaler ; il imprimait à ses opé rations un mouvement rapide qui déconcertait les insurgés. Au moment même où ceux-ci, déjà maîtres des postes d'Auquefer et de Saint-Péreux, réputés imprenables, allaient s'emparer de Redon, Beysser les attaque, et emporte ces deux positions avec des troupes peu nombreuses, mais pleines d'ardeur et de confiance.

En moins de trois semaines, ce général révolutionnaire poursuivant ses succès, fit rentrer dans le devoir toute la rive gauche de la Vilaine, jusqu'aux portes de Nantes. Les campagnes étaient aussitôt désarmées que soumises ; on leur imposait l'obligation de payer, dans un court délai, toutes les contributions arriérées, et on les forçait à fournir leur contingent pour le recrutement des armées conventionnelles ; de sorte que, sous ce point de vue, la sédition tourna au profit des démagogues. De cette époque date, en Bretagne, l'emploi des mesures dites révolutionnaires, mesures désastreuses qui ne pouvaient qu'aggraver les maux de la guerre civile. Ainsi les commissaires de la convention, préludant au régime de la terreur, ordonnèrent la démolition des châteaux, l'arrestation des prêtres et des nobles. Le paysan, épouvanté, ne se montrait plus dans les villes ; et, ne pouvant les attaquer de vive force, s'en vengeait en désertant les marchés.

Le 3 mai, les commissaires Sevestre et Billaud parurent à la tribune, pour rendre compte de leur mission. Ils dénoncèrent le conseil exécutif et les ministres. « On a peine à croire, dirent-ils, que le mouvement de soixante bataillons ayant été décrété dès le 5 janvier, pour la formation de l'armée des côtes, le ministre Beurnonville ait constamment refusé d'accomplir cette mesure. Ce n'est que vers le 15 du mois de mars qu'il s'y est déterminé, et encore les soixante bataillons ont-ils été réduits à quatorze. Cependant, à cette époque, les insurrections menaçaient d'un embrasement total, depuis les bords de la Vilaine jusqu'aux rives des Deux-Sèvres, quoique le Ministre des affaires étrangères eût instruit, depuis plus de quatre mois, le conseil exécutif de la conjuration de La Rouerie. Certes on découvre ici une négligence bien coupable ; et si les hommes qui ont compromis si imminemment le salut public ont encore l'art de se soustraire au bras vengeur de la justice, c'est que la responsabilité ne sera jamais qu'un vain mot, inventé pour endormir et abuser le peuple ». Cette harangue accusatrice, soustraite aux journaux du temps, parce qu'elle attaquait le parti qui dominait alors, décelait déjà combien la guerre civile servirait de prétexte aux récriminations et aux violences.

Les commissaires conventionnels avaient fait une pompeuse apologie des sociétés populaires : ardents foyers de la liberté, si utiles à la révolution, si terribles aux despotes ». Les démagogues en conclurent que c'était aux associations patriotiques, aux gardes nationales, et aux mesures révolutionnaires, qu'étaient dus leurs triomphes et la compression des royalistes de Bretagne.

Ainsi fut étouffée dans cette province, pour renaître bientôt de ses cendres, une vaste conspiration qui aurait pu entraîner tout l'occident de la France.

 

 

 



[1] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° I.

[2] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° II, III et IV.

[3] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° V.

[4] Voyez, à la fin du volume, sa lettre à ses sœurs : Pièces justificatives, n° VI.

[5] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° VII.