HISTOIRE DE LA GUERRE DE LA VENDÉE

TOME PREMIER

 

LIVRE PREMIER.

 

 

Introduction. — Description de la Vendée. — Origine des troubles.

 

LA monarchie française florissait depuis quatorze cents ans, lorsque, vers la fin du dix-huitième siècle, on la vit s'écrouler après de sanglantes divisions. Des factieux s'en disputèrent les lambeaux : la liberté fut leur prétexte, et la domination leur but. En proie aux agitateurs, la France fut proclamée république, au milieu des revers d'une guerre étrangère qui menaçait l'intégrité du territoire. Les royalistes, épars et sans forces, ne purent s'opposer à ce bouleversement ; mais les contrées qu'arrose la Loire et que borde l’océan, s'agitèrent. Là, ils avaient leurs temples, leurs autels, leurs prêtres, une population courageuse et dévouée. D'abord des troubles précurseurs annoncent une guerre intestine, que le supplice de Louis XVI accélère. Les royalistes indignés s'apprêtent à venger leur roi dans le sang des républicains. Quelques mois s'écoulent à peine ; soudain la guerre civile éclate ; elle prend dans son principe un caractère cruel et terrible : partout les royalistes triomphent. La république naissante allait s'anéantir sous leurs coups ; une seule ville résiste. Aux cris de défaite, les républicains font succéder ceux d'une fureur aveugle. Bientôt leurs bataillons inondent le foyer de l'insurrection, et des revers multipliés signalent la ruine des royalistes, plus braves qu'exercés à une guerre métho7 clique. Cette lutte étonne l'Europe et la tient en suspens ; elle se ralentit, se ranime, se, prolonge par des vicissitudes ; est marquée par des actes d'héroïsme et de cruauté, par de grandes vertus et des crimes atroces. Enfin, laissant des, traces profondes, la guerre civile paraît s'éteindre ; et les royalistes, désunis, fatigués, se soumettent à la domination d'un soldat heureux, qui, maître de la France, mais pressé par sa destinée, ne peut soutenir sa haute fortune. Tombé à son tour, pour avoir aspiré à la monarchie universelle, il fait place enfin à la dynastie légitime, pour qui les royalistes s'étaient armés de nouveau.

Tel est, le tableau des événements que je présente dans cet ouvrage ; ils embrassent toute l'histoire de la guerre civile désignée sous le nom de Guerre de la Vendée. Ces événements n'étaient connus que d'une manière imparfaite, par le témoignage partial de quelques hommes, dont nos troubles avaient renversé on élevé la fortune. Aussi' la passion, l'intérêt, les haines encore récentes, avaient altéré presque tous les faits. Non-seulement je les ai recherchés avec soin dans de nombreux écrits, mais encore, après sa avait formé un corps d'ouvrage, je les ai rectifiés sur de nouveaux mémoires, et leur exactitude peut enfin défier la critique. Je formai d'abord cette entreprise, dans la seule vue de transmettre des événements mémorables, et d'offrir aux contemporains des leçons terribles. Cette tâche ne m'imposa aucun sacrifice, je ne connaissais les royalistes et les républicains ni par leurs bienfaits, ni par leurs persécutions. Si depuis le despotisme m’a fait sentir le poids de ses rigueurs, et l’esprit de parti, le danger de sa haine, mon amour pour la vérité et l'indépendance de mes travaux m’en ont dédommagé amplement.

J'entrerai en matière en donnant la description de tout le pays insurgé au midi de la Loire ; je ferai connaître aussi le caractère et les mœurs des hommes qui l'habitent.

Le Poitou s'était toujours distingué par son attachement à ses rois et par sa vénération pour le clergé, qui, surtout dans les campagnes, y exerçait une influence sans bornes, à l'abri des progrès d'une philosophie audacieuse et de la corruption du siècle.

La révolution divisa le Poitou en trois départements : la Vendée, les Deux-Sèvres et la Vienne, tous trois contigus et dans une longitude parallèle. Le foyer de la guerre civile s'établit dans les deux premiers et ne s'étendit point dans le département de la Vienne, moins peuplé, moins riche, et dont Poitiers est le chef-lieu. À la vérité, sa limite occidentale, arrosée par la Dive, n'a pas toujours été respectée. Vers le nord, deux autres départements contigus, la Loire-Inférieure et Maine-et-Loire, tous deux limitrophes du Poitou, et tous deux parallèles, prirent une part active au soulèvement de la Vendée.

Ce département, à jamais célèbre, prend son nom de la rivière de Vendée, qui le traverse dans sa limite orientale. Ses bornes sont : au nord, la Loire-Inférieure et partie de Maine-et-Loire ; à l'est, les Deux-Sèvres ; au sud, la Charente-Inférieure ; et l'Océan à l'ouest. Sa superficie, de trois cent soixante-cinq lieues carrées, présentait, avant la guerre civile, environ trois cent six mille habitants, trois cent trente communes, et seulement cinq à six petites, villes : Fontenay, alors son chef-lieu, ne contenait que sept mille aines. La Vendée est coupée par une multitude de ruisseaux et de rivières, qu'alimentent plusieurs étangs dans sa partie septentrionale. D'excellents pâturages, des récoltes abondantes, des bois propres à tous les usages, voilà ses richesses : ses bœufs fournissent à l'approvisionnement de Paris. Sur la côte, elle possède six petits ports embarcadères ; dans l'intérieur, quatre routes. Malgré ces avantages, malgré sa fertilité, la Vendée n'était point florissante ; c'était un des départements de la France les plus reculés par rapport aux connaissances et à l'industrie. Pas un atelier, pas une manufacture, pas une société de commerçants ou de spéculateurs qui le vivifiât : les Vendéens étaient donc tous bergers ou agriculteurs, Leur destinée en fit des soldats. La nature a divisé leur territoire en trois parties distinctes, le Bocage, le Marais et la Plaine. Le Bocage forme les sept neuvièmes de toute son étendue : il est couvert d'arbres, comme l'indique son nom, et toutefois on n'y rencontre que peu de grandes forêts. Là, chaque champ, chaque prairie, chaque propriété est fermée de haies vives qui s'appuient sur des arbres irrégulièrement plantés. L'aspérité des coteaux, entre lesquels serpentent plusieurs rivières, l'escarpement de leurs bords, leurs cataractes nombreuses, en font un pays d'un aspect dur et sauvage.

On nomme Marais les cotes de la Vendée autrefois couvertes par l'Océan, terrain imprégné de substances salines et en général fertile, assis à l'occident sur un lit de sable, au midi sur une glaise compacte, dont une partie est perdue pour l'agriculture. Le Marais méridional, qui est en quelque sorte une conquête de l'art sur la nature, est presque toujours enseveli sous les eaux. Les bas-fonds, qui ne se dessèchent jamais, sont coupés de canaux innombrables ou marais salants qui se communiquent, et ne sont séparés que par des pièces de terre plantées en saules, en frênes, en aubiers, en peupliers, et quelquefois en chênes, environnés de fossés, de chemins sinueux, et couverts de métairies nommées cabanes, dont l'ensemble peut s'embrasser du même coup-d'œil. Le cabanier ne marche jamais qu'armé d'une longue perche, au moyen de laquelle il saute les fossés et les canaux avec une agilité surprenante. Au premier aspect, les habitants de ce pittoresque séjour semblent les plus malheureux des humains : leurs cabanes, de branchages et de boue, sont couvertes de roseaux. Le même toit recèle presque toujours toute une famille, avec ses vaches, ses brebis et ses chiens, n'ayant pour propriété qu'une langue de terre de vingt-cinq à trente pas. Ignorés du reste du monde, les Vendéens du Marais vivent, au fond de leurs retraites inaccessibles, du produit de leur pèche, du lait de' leurs vaches, et vont chercher, sur les canaux environnants, la nourriture de leurs troupeaux. Le silence de ces déserts marécageux, la teinte sombre du paysage, la pâleur et l'air misérable des habitants, inspirent d'abord un sentiment pénible ; mais si l'on pénètre dans cet humide séjour, ses sinuosités mystérieuses, ses roseaux, ses branchages et les différentes espèces d'oiseaux qu'on rencontre à chaque pas, font bientôt éprouver une impression qui n'est pas sans charme. Peu de ces paisibles Vendéens ont quitté leur cabane pour soutenir la guerre civile ; mais les habitants du Marais occidental, qui s'étend depuis les Sables d'Olonne jusqu'à Paimbœuf, ont presque tous montré, pour le parti du Roi, un zèle et un courage au-dessus de leurs forces.

Plus civilisés, ou du moins plus rapprochés de nos mœurs, les habitants de la Plaine — terrain compris entre le Bocage et la limite méridionale de la Vendée —, n'ont pris aucune part à l'insurrection royaliste, et se sont montrés, au contraire, opposés aux Vendéens.

A l’est, du département de la Vendée, se trouve celui des Deux-Sèvres, qui prend son nom de deux rivières qui l'arrosent. Il a la forme d'un carré long ; il est borné à l'est par la Vienne, au midi par les Deux-Charentes, et au nord par Maine-et-Loire. Sa superficie, de trois, cent vingt lieues carrées, contenait, avant les troubles, deux cent cinquante-sept mille habitants, trois cent soixante-six communes, et un plus grand nombre de villes que la Vendée. Niort, son chef-lieu, est peuplée de quinze mille âmes. Arrosé par sept rivières et traversé par quatre routes, ce département est divisé, comme la Vendée, en deux parties distinctes, le Bocage, et la Plaine ; comme dans la Vendée, son Bocage, situé au nord, a été l'un des foyers les plus actifs de la guerre civile. Là, une impénétrable haie clôt chaque propriété ; lâ, des diènes antiques ombragent un sol pierreux, qui ne donne à ses habitants que du seigle, du blé noir et du millet. Un air pur, des sites agrestes, des hameaux épars, des métairies isolées, des chemins difficiles, des étangs, des valions et des collines rustiques, tel est le Bocage des Deux-Sèvres. Nulle part la routine et les vieilles mœurs ne règnent avec plus d'empire. Un pays qui n'a ni canaux, ni rivières navigables, ni grandes routes, ni villes, ne saurait être commerçant ; aussi, avec tant d'objets d'échange, qu'il pourrait améliorer et multiplier, est-il réduit à circonscrire ses spéculations dans un cercle dont il ne sort jamais. Ainsi que dans la Vendée, rien n'y favorise la circulation, rien n'y hâte les progrès de cette dégénération raffinée qu'on nomme civilisation.

Traversé par la Loire de l'est à l'ouest, le département de la Loire-Inférieure, formé d'une partie de la Haute-Bretagne, n'a participé que _partiellement à l'insurrection vendéenne. La république a même trouvé dans son sein d'ardents défenseurs : mais sa partie méridionale, située sur la rive gauche du fleuve, bornée par la Vendée proprement dite, a embrassé avec énergie le parti royaliste. La superficie de ce département comptait, avant la guerre civile, deux cent sept communes environ, et quatre cent vingt-huit mille habitants. Nantes, son chef-lieu, mérite des détails particuliers, qui trouveront place dans cet ouvrage. Le cours majestueux de la Loire ; les rives ombragées de l'Erdre ; la Sèvre qui, roulant à travers les rochers, imite par fois les torrents ; des sites variés, et l'ensemble d'un paysage poétique, en feraient un séjour enchanteur, si des traces de dévastations ne rappelaient encore d'horribles souvenirs. Clisson, Legé, Machecoul et le Loroux furent des bourgs riches et populeux ; il n'en resta long- temps que des ruines fumantes, tristes monuments de la fureur des partis.

Formé de l'ancien Anjou, le département de Maine-et-Loire présente une superficie de trois cent quatre-vingt-cinq lieues carrées ; il est également traversé de l'est à l'ouest par la Loire, contient trois cent huit communes et près de quatre cent cinquante-six mille habitants. Sa partie méridionale, qui est sur la rive gauche de la Loire, limitrophe de la Vendée et des Deux-Sèvres, a été le théâtre des actions les plus éclatantes de cette guerre toute royale. Le voisinage du fleuve, les bois variés qui couvrent ses rives, la fécondité des prairies et d'un terroir bien cultivé, fertile en grains et en fruits, offrent en général les plus riants aspects ; des carrières de marbre et d'ardoises augmentent ses richesses. L'industrie y était active. On estimait dans le commerce les toiles de Chollet ; mais Chollet, tant de fois dévasté, ne présenta de nos jours que des vestiges et des ruines. Angers, chef-lieu de ne département, sera, ainsi que Nantes, souvent mentionné dans cette histoire.

Il me reste à fixer les limites de la Vendée militaire, c'est-à-dire, du pays où naquit et s'arrêta l'insurrection. Il se compose d'une partie des quatre départements que je viens de décrire, formant une grande circonférence bornée au nord par la Loire, depuis son embouchure jusqu'à Saumur ; à l'est par la rivière de Thoué jusqu'à Thouars ; au sud par la route qui conduit de Thouars à Parthenay, à Fontenay et aux Sables, y compris toute la côte, en remontant vers les bouches du fleuve. L'aspect général de cette vaste enceinte qui a pris le nom historique de Vendée, est remarquable par un grand nombre de collines plus ou moins élevées, qui ne se rattachent à aucune chaîne de montagnes ; par des vallées étroites et peu profondes ; par de nombreux ruisseaux, qui se dirigent les uns vers la Loire, d'autres vers la mer ; par un terrain tellement gras et fertile, que marne les bruyères, les landes, les genets, toutes les productions parasites y sont d'une force et d'une grosseur prodigieuses. Or, ce Bocage, qui n'offre ni chaîne de montagnes, ni vallées, ni rivières étendues, ni même une pente générale, est comme un labyrinthe : rarement on y trouve des hauteurs assez élevées pour servir de point d'observation et commander le pays. Une seule grande route le traverse de Nantes à la Rochelle, par Montaigu. Celle qui va de Tours à Bordeaux, par Poitiers, laisse entre les deux un intervalle de plus de trente lieues, où l'on ne trouve que des chemins de traverse, creusés d'ordinaire entre deux haies, en été raboteux, bourbeux en hiver ; parfois servant de lit à des ruisseaux, ou taillés dans le roc, remontant les hauteurs, ou suivant la pente des collines. La grande route n'est guère plus favorable aux opérations militaires, que ces chemins de traverse : bordée aussi de haies, de fossés larges et profonds, de buissons et d'arbres, c'est ordinairement sur sa lisière que le Vendéen prépare ses embuscades, et dispose ses attaques soudaines, Les chemins de traverse sont encaissés, la plupart, à dix ou douze pieds au-dessous du niveau des terres ; et à peine sont7ils viables ; à peine les convois peuvent-ils y faire trois lieues dans une journée. Rarement y trouve-t-on des espaces où les voitures puissent tourner pour changer de direction. Ainsi la Vendée militaire était comme une vaste forteresse où la nature semblait avoir réuni tous ses moyens pour protéger l'attaque et la défense des royalistes.

Depuis vingt siècles la Vendée n'a point changé ; c'était, sous les Romains, un pays inégal et difficile, couvert de bois épais semé de marais fangeux. César dit positivement, dans ses Commentaires, qu'il ne put jamais ni le fouiller, ni le soumettre entièrement, à cause des difficultés insurmontables de la nature ; et de la résistance opiniâtre de ses habitants : preuve antique d'un courage qui n'a point dégénéré.

Ajoutons ; pour compléter cette description, que les districts de la Loire-Inférieure et de Maine-et-Loire, les plus rapprochés de la rive gauche du fleuve, perdent le nom de Bocage et prennent celui de pays de Manges ; pays moins boisé et plus ouvert, où la vue est plus vaste, plus riante, où les cultures sont plus variées, où les villages, enfin', sont phis rapprochés les uns des autres. Telle est la Vendée, ou le pays de l'insurrection : c'est là que la guerre civile a été constamment plus vive, et plus sanglante. Si les Vendéens ont franchi par fois ces limites naturelles, c'est par des incursions seulement. Mais la Vendée diffère encore moins des autres provinces de la France, par son aspect, que par les mœurs de ses habitants.

Il faut maintenant faire connaître ces intrépides royalistes, habitants du Bocage, qui, sans avoir jamais porté les armes, se sont levés simultanément ; qui, abandonnés à leurs propres forces, et armés seulement de bâtons et de fourches, ont d'abord dispersé tant d'ennemis et remporté tant de victoires.

L'habitant du Bocage, ou le Vendéen, est d'une taille médiocre, assez bien prise ; sa tête est grosse et ronde, son cou épais, son teint pâle, ses cheveux noirs, ses yeux petits, mais expressifs. Le pain-de seigle mêlé d'orge, les légumes, le lard, des fruits, du lait et du fromage, telle est sa nourriture habituelle. Sa boisson est l'eau de fontaine, rarement du vin, qu'il aime, mais que lui interdit ses habitudes sévères d'économie plutôt que sa sobriété. L'homme du Bocage est d'un tempérament bilieux et mélancolique ; il est taciturne, son esprit est lent, son cœur généreux, mais irascible ; sa conception peu facile, mais sûre ses mœurs sont simples et patriarchales. Pénétré de l'idée du juste et de l'injuste, il suit invariablement la ligne que sa conscience lui trace, sans s'inquiéter des convenances ni des usages, ni même des lois qui, seraient en opposition avec son équité naturelle. En un mot, le Vendéen est bon, hospitalier, fidèle à ses engagements, mais défiant pour tout ce qui lui vient de l'autorité. Fortement attaché au sol qui l'a vu naître et à la religion de ses pères, il est capable des actions les plus héroïques pour la défense de sa foi. Isolé au milieu des bois, environné de paysages agrestes, il vit -seul dans sa, chaumière, et s'il sort pour cultiver son champ, il est encore seul. Des haies impénétrables et de larges fossés le cachent à ses voisins ; il n'a, d'autre société que celle de ses bœufs, auxquels il parle, sans cesse et pour qui même il fait des chansons. Laborieux avec une lente et uniforme tenacit4, il annonce moites le goût que l'habitude du travail. Il est passionné pour la danse. Ignorant et crédule, il est doué cependant d'une certaine mobilité d'imagination qui le rend propre à recevoir des impressions fortes. De là son goût pour le merveilleux ; et néanmoins il est pieux sans être superstitieux ou fanatique. Mais dominé par ses habitudes, il déteste les innovations. Dieu et le Roi voilà le code de sa morale et de sa politique.

L'enfant de la Loire, qu'on pourrait appeler le grenadier de la Vendée, quoique plus rapproché des foyers du mouvement social, tient aussi aux vieux errements des préjugés et de l’habitude. Il ne manque, en général, ni de pénétration, ni même d'aptitude aux affaires. Plus fort, plus intelligent que l'homme du Bocage il se fait remarquer par sa taille élevée, par son air de contentement, de santé, de fraîcheur, fruit d'une vie sobre et laborieuse. Sa conversation est lente et circonspecte, ses jeux sont sans mouvement, sans abandon. Il chante peu : ses chants se trainent en accents plaintifs ; ses danses, sans grâce et peu variées, ressemblent plutôt à des exercices fatigants qu'a des délassements enjoués. Il ne connaît qu'un seul instrument, espèce de musette à demi sauvage, qu'on croirait plutôt appartenir aux montagnes d'Ecosse qu'à l'un des plus beaux pays de la France. Cet instrument rustique suffit à ses fêtes, à ses plaisirs ; il dirige ses courses nocturnes ; il retentit dans ses assemblées, dans ses foires, dans ses noces tumultueuses.

Si l'habitant de la lisière de Mauges est privé des jouissances du luxe et des arts, il n'a ni l'égoïsme ni l'orgueil qu'enfantent l'opulence et la mollesse. La bonne foi et la bienfaisance le caractérisent. Un assemblage de défiance et de crédulité, un attachement invincible aux anciennes habitudes ; une grande déférence pour ses prêtres et une résignation mystique, voilà les traits qui lui sont communs avec l'homme du Bocage.

Un autre trait caractéristique distinguait les paysans vendéens : c'était les sentimens qui les attachaient à leurs seigneurs. Ils leur étaient dévoués ; ils leur montraient un respect m'été d'une sorte de familiarité joviale et rustique. De leur cilié, les gentilshommes Poitevins et ceux de l'Anjou, intrépides chasseurs, adonnés aux exercices violeras qui les endurcissaient et les rompaient aux fatigues, vivaient dans leurs terres, habitaient leurs châteaux ; mais sans faste et sans suite. Là, ils visitaient les paysans dans leurs retraites, causaient avec eux, prenaient part à leurs maux, soulageaient leur détresse, allaient à leurs &tes/ aux noces de leurs enfants, et buvaient avec les convives. De là une sorte d'union intime entre les seigneurs et leurs paysans, union inconnue ailleurs et cimentée par des intérêts communs. Comment les, paysans vendéens se seraient-ils dépouillés de leur vertueuse simplicité ? comment seraient-ils sortis de cette ignorance salutaire à laquelle ils devaient leur repos ? Presqu'isolés au milieu des forêts, loin de la corruption des villes, n'ayant des relations qu'avec leurs curés et leurs seigneurs, ils en savaient toujours assez pour cultiver la terre, pour payer docilement la dîme, obéir à la corvée, et du reste, pour vivre libres dans leurs champs. C'est ainsi qu'ils coulaient des jours paisibles depuis plusieurs siècles. La révolution ale déclare ; la monarchie française s'écroule, et les royalistes trouvent dans le Bocage de la Vendée un refuge ; dans les hommes du Bocage et du pays de Manges, des soldats fidèles, patients, dociles, et pourtant susceptibles d'énergie et d'exaltation.

Aux habitudes innocentes et paisibles on vit succéder tout-à-coup les durs exercices des camps ; aux travaux champêtres, le maniement des armes ; au spectacle des moissons et des troupeaux, celui des champs de bataille, de la flamme et du carnage ; et c'est à cette redoutable école que la génération présente a pris ses premières leçons !

En voulant rechercher l'origine de la guerre civile, les partis opposés n'ont pas manqué de lui assigner des causes différentes, et d'en faire l'objet d'une accusation mutuelle. Les faits dé3nontreront jusqu'à l'évidence que le principe insurrectionnel remonte à celui de la révolution française, et que c'est à la résistance opposée à la subversion de la monarchie, qu'on doit attribuer les premiers déchirements et la guerre civile elle-même. Tout est lié dans l'ordre politique comme dans le règne de la nature ; ainsi les troubles de la Vendée furent plus ou moins dépendants des agitations dont Paris était à la fois le théâtre et le foyer. C'est aux provocations des démagogues à leurs innovations imprudentes, à la constitution civile du clergé, aux persécutions contre les nobles, contre les prêtres, que les royalistes attribuent le soulèvement de la Vendée ; et toutefois il parait démontré aujourd'hui, que, sur la rive gauche de la Loire, les nobles et les prêtres n'ont point fomenté cette guerre intestine ; que son explosion 'générale ne fut ni prévue, ni combinée, et qu'on doit l'imputer au premier recrutement pour la défense de la république, conscription forcée qui entraîna le Vendéen indécis, et fut comme le brandon de l'incendie général. Selon les révolutionnaires, c'est une erreur d'attribuer la révolte spontanée des habitants du Poitou à une cause qui n'a servi que de prétexte ; de donner un principe fortuit à la naissance, à l'extension d'un parti armé qui ne pouvait obtenir d'aussi grands succès, prendre si rapidement tous les caractères d'une puissance redoutable, sans le concours d'une infinité de moyens combinés. C'est dans l'opposition acharnée des prêtres et des nobles, dans la marche pusillanime et perfide des autorités locales, et dans les dispositions des Poitevins, que les partisans de la république trouvent les vraies causes de la révolte dont les feux ont plus ou moins embrasé tous les départements de l'ouest. Les haines sont encore trop récentes, pour que ces deux opinions puissent s'accorder. Dans l'une et dans l'autre peut-être la postérité trouvera la vérité que les passions obscurcissent ; elle verra naître avec la révolution le germe de la guerre civile et pourra en juger les motifs.

Quelle que soit la différence des sentiments sur les causes de cette guerre, la postérité s'étonnera sans doute que, dans un coin presque ignoré de la France, des paysans pauvres et obscurs, qui gagnaient à la révolution la remise des terrages et des &mes, insensibles à ces avantages, aient osé seuls se prononcer contre le nouvel ordre de choses ; que seuls ils aient tenté d'élever un mur d'airain entre eux et le reste de la France ; que seuls ils aient voulu rétablir ce qu'on venait de détruire. Mais la révolution, malgré ses débuts éclatants, ne pénétra jamais dans les campagnes du Poitou et de la Bretagne. Les lois mêmes de l'assemblée nationale n'y furent exécutées qu'imparfaitement, et l'autorité n'obtint jamais qu'une soumission apparente. Loin de partager ce système de résistance, les principales villes de l'ouest, telles que Rennes, Nantes, Angers, l'Orient, s'étaient montrées favorables à la cause populaire. De leur sein partirent les premières réclamations pour une égale représentation nationale et une égale répartition de l'impôt. On vit la jeunesse bretonne et angevine s'armer contre les prétentions des classes privilégiées, et s'assembler par députés dans la ville de Pontivy, pour y jurer un pacte fédératif et solennel en faveur de la liberté, aux cris répétés de vivre libre ou mourir ! Là, parmi cette bouillante jeunesse, se firent remarquer des hommes qui depuis figurèrent dans le parti républicain. Les campagnes de l'Anjou et du Poitou gardaient un morne silence, et paraissaient insensibles à ces premiers élans d'une liberté irréfléchie. Mais la révolution, comme un torrent, entraînait tous les ordres de l’Etat, dont la faible résistance ne faisait que l'irriter et doubler ses forces. Dans le dépit de l'impuissance, les nobles fuyaient hors des limites françaises. Mais les ecclésiastiques, plus attachés au sol, montraient une persévérance imperturbable à signaler les excès des novateurs. L'évêque de Tréguier se prononça le premier avec force ; il représenta, dans un mandement, la révolution qui s'opérait, comme la subversion de tout ordre, la tolérance comme une impiété, la liberté comme fine révolte, et l'égalité comme une monstrueuse chimère. Il exhorta les prêtres à détromper, le peuple. Ainsi que toute la nation, le clergé était divisé ; mais la grande majorité restait attachée à l'ancien ordre de choses. L'assemblée nationale venait d'adopter une loi impolitique, proposée sous le nom de constitution civile du clergé. Après avoir déclaré qu'il n'existait point de religion dominante dans l'Etat, elle voulut reconstituer la religion catholique, et soumettre le clergé à la puissance civile. En dépouillant le sacerdoce, en le privant de son influence, l'assemblée nationale, aurait voulu le réduire à la simplicité de l'évangile, et le ramener, dans le dix-huitième siècle, à la primitive Eglise : tentative insensée qui décida la résistance. On vit alors un prélat ambitieux, Boisgelin, archevêque d'Aix, rallier cent quarante évêques, et donner à leur coalition tous les caractères que la théologie la plus accréditée présente comme une décision de foi obligatoire pour toutes les consciences. A cette résistance imprévue, l'assemblée nationale opposa son décret du 27 novembre 1790, qui astreignit le clergé à la prestation d'un serment civique et constitutionnel. Ce décret devint bientôt la source d'une foule de controverses qui mettaient sans cesse la politique en contradiction avec la religion, et la religion en contradiction avec elle-marne.

L'approbation du Pape, sollicitée par Louis XVI qui n'était plus libre, fut d'abord éludée : les esprits s'aigrirent ; on combina les résistances, et le clergé inonda les provinces de protestations. Le seul diocèse de Nantes en vit éclore cent trois : Pressé par le parti dominant, Louis XVI sanctionna le décret avant la réponse du Pape, qui refusa son adhésion. Les évêques en triomphèrent ; les curés se réunirent aux évêques, et les démagogues s'irritant, le clergé s'obstina. Tous les pré-Ires qui refusaient de prêter le nouveau serment, étaient réputés ennemis du peuple, et signalés à sa fureur, sous le nom de réfractaires. Ceux-ci qualifiaient d'intrus les assermentés qui faisaient cause commune avec les novateurs. On en vint bientôt à la persécution, et la persécution allumant le fanatisme, légitima la résistance. La diversité des opinions politiques envenimait tout. Avant d'en venir aux armes, on défendit et on attaqua tour à tour le système de soumission préconisé par les révolutionnaires. Selon les uns, la révolution prenait un cours rapide et solennel. La majorité des Français applaudissant avec orgueil aux premières opérations d'une assemblée nationale constituée au nom du bien public, se livrait avec enthousiasme à l'espoir de la régénération de l'empire et de l'abaissement des grands pour l'avantage du plus grand nombre. Le bienfait de la liberté devait en être le résultat ; s'y opposer, n'était-ce pas se déclarer contre la volonté générale, et en se rendant coupable de rébellion, provoquer le déploiement de la force publique et la vengeance des lois ? « Mais, répondaient les adversaires de l'égalité, n'est-il pas dans l'ordre des choses humaines, que la noblesse et le clergé, comblés de richesses et d'honneurs, dépouillés, puis nivelés au ring du peuple, résistent à la subversion ? Doivent-ils, peuvent-ils s'immoler eux-mêmes ? Le prétendre serait méconnaître étrangement le cœur de l'homme. Que les évêques, les prêtres, les nobles ; que les mécontents, pour défendre leurs privilèges, leurs richesses, leur rang, leurs opinions, enrôlent des soldats, prennent les armes ; que, dans l'espoir de se soustraire à la vengeance, à la haine du peuple, ils aient recours au moyen extrême et désespéré de la guerre civile, ce moyen redoutable suppose de l'élévation, de l'énergie ; il n'y a que les peuples usés qui lui préfèrent l'ignominie. Les mécontents ne peuvent-ils pas se croire autorisés par la prescription et l'exemple de tous les siècles ? Ils sont eux-mêmes entraînés par la force des événements. Si dans toute l'étendue de la France ils peuvent s'entendre, se concerter, rallier assez de partisans pour combattre, pour écraser le parti populaire, et conserver un trône de dix-huit siècles, ils seront regardés alors comme les sauveurs de la monarchie. Dans tous les temps, le succès légitima la victoire ».

Tout annonçait qu'aux déclamations des orateurs populaires, aux invectives des écrivains royalistes, aux querelles civiles et religieuses, succéderaient les horreurs d'une guerre intestine. Ainsi que les bouleversements de la nature, les commotions politiques sont d'ordinaire précédées de signes effrayants, précurseurs de catastrophes sanglantes.

Les premières convulsions se manifestèrent, non dans le Poitou, mais en Basse Bretagne, dans le Morbihan, qui depuis, par sa résistance prolongée, a fait voir qu'il avait mérité l'initiative de l'insurrection royale. La religion servit de prétexte ou de motif. Amelot, évêque de Vannes, prélat d'un caractère irrésolu, se décide, à l'instigation de ses vicaires, au refus du serment qu'il était sur le point de prêter. En même temps un officier municipal de Vannes répand dans les campagnes une protestation contre la constitution civile du clergé. Les deux partis, déjà échauffés, s'exaspèrent. Le 7 février 1790, plusieurs milliers de paysans s'assemblent aux portes de Vannes, et adressent une réclamation menaçante aux autorités du département, pour invoquer la liberté des cultes. On leur oppose la force armée. L'attroupement se dissipe, en laissant des pétitions qui respirent la révolte. Les plus ardents annonçaient leur retour prochain avec une intention hostile. Au bruit de cette agitation, les révolutionnaires de l'Orient, réunis en garde nationale, viennent, avec de l’artillerie, au secours des révolutionnaires de Vannes. Trois à quatre mille paysans, armés de bâtons et de fusils de chasse, marchent six jours après sur la ville, pour délivrer leur Evêque. « Nous voulons, s'écrient les paysans, punir les impies qui portent sur notre Évêque des mains sacrilèges ; nous voulons rétablir la religion catholique ». Aussitôt Vannes prend un aspect guerrier ; on y bat la générale ; les révolutionnaires et les troupes de ligne marchent en deux colonnes contre les insurgés. Le jeune Beysser commandait les dragons de l'Orient, et se distinguait déjà par son ardeur., préludant au rôle que lui préparaient les troubles. Il voit les insurgés qui s'avancent par la route de Rennes ; il harangue sa troupe. Les balles sifflent bientôt : Beysser ordonne la charge à travers un feu continuel, mais mal dirigé. Retranchés derrière des haies, les paysans semblaient braver la cavalerie. Les dragons s'élancent, et bientôt les insurgés dispersés cherchent un asile dans des marais impénétrables. On s'acharne à leur poursuite. Quelques morts, des blessés des delà côtés, beaucoup de paysans faits prisonniers, et la dispersion de tous les autres, tel fut le résultat du premier choc entre les révolutionnaires et les paysans bretons. Ces derniers manquèrent d'ensemble, et n'eurent pour guide qu'un ressentiment aveugle qui se tourna contre eux. Les campagnes se remplirent de terreur ; la tranquillité se rétablit, mais apparente et sombre. Les 1Vlorbihanais, livrés aux idées superstitieuses qui se mêlaient au souvenir de leur défaite, se crurent en proie aux maléfices, et donnèrent le nom de diables rouges aux dragons de la ville de l'Orient, vêtus de drap rouge, qui les avaient battus et dispersés.

La rive gauche de la Loire éprouva les mêmes commotions, mais sous un aspect moins alarmant. Des prêtres, espèce de missionnaires, furent accusés de parcourir les campagnes de l'Anjou, pour y soulever les esprits contre les innovations religieuses et le serment ecclésiastique. La garde nationale nantaise et angevine' dissipa des processions nocturnes, grossies de plusieurs milliers de paysans. Ces moyens répressifs menèrent à la violence et à la persécution. Les autorités du département de Maine-et-Loire donnèrent le premier exemple des mesures générales dont on a tant abusé depuis. Un arrêté enjoignit à tous les prêtres insermentés de se rendre au chef-lieu, sous la surveillance municipale. Presqu'à la même époque, le Bas-Poitou fut agité. Les nobles Poitevins s'étaient ligués en secret pour le soutien du trône, confédération impuissante qui n'eut alors, ni consistance, ni durée. En effet, le mobile d'une résistance armée résidait plus parmi le peuple des campagnes, que parmi les hautes classes et les habitants des villes.

Tel fut le caractère de l'insurrection qui éclata le 3 mai 1791 à Châlans, dans le Bas-Poitou. La garde nationale nantaise, fidèle au serment de fédération ; y accourt pleine de zèle et d'ardeur : l'ordre est rétabli. Mais à Saint-Gilles, les Vendéens se soulèvent également. Palluau, Apremont, Saint-Jean-de-Monts et Machecoul s'agitent. Des symptômes de révolte se manifestent aussi dans le district de Châtillon-sur-Sèvres. Soudain les révolutionnaires prennent les armes, parcourent les paroisses troublées, et font de nombreuses arrestations. Nantes même, à l'installation de son évêque constitutionnel, n'est point à l'abri d'une secousse. Les prêtres assermentés remplacent avec violence les anciens évêques et les curés dissidents ; ceux-ci aigrissent le peuple contre la révolution et contre ses moteurs. Partout l'habitant des campagnes est enivré d'une fureur sacrée. Mon corps est au Roi, mon âme est au Pape, s'écrie un paysan écumant de colère. Plusieurs gendarmes poursuivent et atteignent un laboureur du Bas-Poitou, qui n'a, pour se défendre, qu'une fourche ; il reçoit vingt-deux blessures ; on lui crie de se rendre : Rends-moi mon Dieu, répond cet infortuné, et il expire ainsi.

Bientôt un grand événement, l'évasion de Louis XVI, vint causer dans la Vendée une plus forte commotion. Après avoir appelé la révolution, Louis n'avait au ni la diriger, ni la dompter. Enchainé par sa propre inertie, cédant à tous les chocs, n'opposant à ses ennemis que des vertus privées, espérant se soustraire aux excès des démagogues, soit en se plongeant lui-même dans la révolution, soit en se confiant aux potentats de l'Europe, ce monarque semblait n'avoir été donné à la France que pour offrir -aux peuples et aux rois une grande et terrible leçon. Le bruit seul de son départ des Tuileries fut le signal de nouveaux troubles. Dans le Poitou, et surtout en Bretagne, les révolutionnaires, maîtres des autorités, coururent eux armes et se formèrent en bataillons. Les royalistes se mirent sur la défensive, et quelques nobles, dans l'attente des événements, se renfermèrent dans leurs châteaux avec des armes et des moyens de résistance. Les gentilshommes du Bas-Poitou firent un appel à leurs partisans, et se rassemblèrent en assez grand nombre au château de la Prou-tiare, district des Sables-d'Olonne. Lezardière, propriétaire de ce château, paraissait l'âme du rassemblement. Le hasard fit tomber entre les mains des révolutionnaires une circulaire royaliste ; l'alarme devint générale, et Nantes fit sortir de ses murs sa garde nationale : Dumouriez y commandait. Cet homme, devenu depuis plus célèbre par ses intrigues que par ses exploits, s'éleva avec amertume contre l'évasion de. Louis XVI, détacha sa croix de Saint-Louis et en fit une offrande à l'égalité. Jurant ensuite fidélité à la nation, d'accord avec l'autorité administrative, il marcha, à la tête du régiment de Rohan et des gardes nationales, contre les insurgés du Bas-Poitou. Déjà une compagnie de grenadiers bloquaient, près de Châlans, un grand nombre de prêtres et de nobles rassemblés dans deux châteaux. Dumouriez, au lieu de se porter en avant, demeure dans l'inaction à Machecoul ; et donne le temps aux insurgés de se disperser dans les bois. Cependant la garde nationale des districts voisins ne consultant que l'ardeur qui l'anime, dissipe le rassemblement et investit le château de la Frontière. Un violent orage favorisa l'évasion des insurgés ; mais le château fut livré aux flammes, et cet excès déplorable ne fut que trop souvent imité dans le reste de la France. Les incendiaires accréditèrent le bruit de l'apparition de vingt-six voiles anglaises en vue du château, et de quelques signaux en mer. Vrai ou supposé, ce bruit aigrit le parti vainqueur, en faisant soupçonner un vaste, complot qui se rattachait à l'évasion de Louis XVI.

Le département des Deux-Sèvres et une partie de la Bretagne éprouvèrent les mêmes commotions ; mais la nouvelle de la prompte arrestation du Roi fit tout rentrer dans l'ordre.

Cependant une fermentation sourde, un mécontentement général, nourrissait l'inquiétude, et décida rassemblée nationale à envoyer dans la Vendée et les Deux-Sèvres des commissaires civils chargés d'y rétablir la tranquillité. Cette mission fut confiée à Gensonné et à Gallois, qui obscurs jusqu'alors, commençaient leur réputation républicaine. Dumouriez devait diriger les forces qu'on 'opposerait au besoin à ces premiers essais de révolte. Ses liaisons avec Gensonné, qui devint un des coryphées du parti de la Gironde, furent l'origine de sa fortune subite. Les commissaires civils parcoururent les villes et les campagnes, et ne prirent aucunes mesures décisives, soit qu'ils fussent paralysés par l'amnistie, qui, dans l'intervalle, accompagna la promulgation de la démocratie royale de 1791, soit que, trop imprévoyants, ils ne vissent pas combien les précautions pour l'avenir devenaient nécessaires.

Ils vinrent à la barre de l'assemblée législative, rendre compte de leur mission. Ce fut à la prestation du serment ecclésiastique, à l'ascendant et à la résistance du cierge, qu'ils imputèrent les troubles. « L'ancien évêque de Luçon, et son clergé, dirent-ils, se sont opposés ouvertement à l'exécution des décrets de l'assemblée nationale ; ils ont formé une coalition puissante, répandu des écrits, des mandements incendiaires, et organisé la résistance. Le bourg de Saint-Luirent, district de Montaigu, et le district de Châtillon, département des Deux-Sèvres, devinrent le berceau du fanatisme et de la révolte des missionnaires en furent les instigateurs ; ils prêchèrent une doctrine séditieuse ; il en résulta une scission dans le peuple, des divisions dans les familles, et on vit l'action civile céder à l'influence religieuse ».

Ce rapport, insignifiant comme monument historique, n'apprenait que ce qu'on savait déjà. Les troubles y étaient envisagés sous l'aspect des querelles religieuses, et non sous le point de vue politique. Les commissaires jetaient le voile sur les événements relatifs à l'évasion de Louis XVI, événements qui avaient déterminé leur mission. Ils justifièrent cette réticence, en observant que la loi d'amnistie venait d'arrêter la marche des différentes procédures auxquelles ces agitations avaient donné lieu, et qu'ils n'auraient pu présenter pie des conjectures vagues et des résultats incertains.

Les révolutionnaires ardents virent en eux trop de timidité, et dans la conduite, de Dumouriez une marche oblique. Ils citèrent de lui ces paroles : « Si je voulais faire la guerre civile en France, ce serait dans la Vendée ». Au départ des commissaires, la rive gauche de la Loire se retrouva dans le même état politique ; et l'amnistie, en ouvrant les prisons, lui restitua des germes de discorde plutôt aigris qu'étouffés. L'assemblée législative, faible et imprévoyante, confondit les causes des troubles de la Vendée avec Les plaintes journalières élevées contre les prêtres, et elle cessa de s'en occuper.