HISTOIRE DE HENRI II

 

CHAPITRE XVII.

 

 

NOTES SUR LA SITUATION RELIGIEUSE.

 

Les persécutions contre les Réformés, commencées sous François Ier, se continuèrent sous Henri II, prince attaché au christianisme quoi qu'on ait pu dire[1] ; c'est le sort à peu près général des religions nouvelles, sans que la persécution profite toujours à leur extension.

A Paris un tailleur fut exécuté, comme nous l'avons énoncé entré notre premier chapitre.

Guidé par des conseillers très catholiques, par exemple par les princes de Lorraine, dont l'influence grandissait chaque jour, et par un grand nombre de cardinaux[2], Henri II se laissa entraîner peut-être plus loin qu'il n'eût voulu, mais il n'avait pas grande portée d'esprit[3] et certes ne valait pas son père : sensuel comme ce dernier, il ne rachetait pas ce défaut — poussé à l'excès, c'en est un pour un chef d'Etat — par des vues politiques, l'amour des lettres et certains côtés louables du capitaine, tout au moins du guerrier.

Avouons-le, et il ne faut pas perdre ce point de vue : l'on cherchait déjà en France à renverser la royauté, du moins certaines poésies calvinistes le donnent à penser[4]. Ce courant d'idées anti-royalistes coïncidait avec une impiété réelle, avec un athéisme qui allait grandissant, au point que La Noue se croit obligé de demander qu'on le réprime et que la société se purge d'herbes aussi vénéneuses ; le début du premier de ses Discours est formel à ce sujet.

Ce monarque tourna ses vues d'un autre côté et sollicita l'établissement ou plutôt le rétablissement[5] de l'Inquisition en France, et l'obtint par la bulle papale du 25 avril 1557[6] ; mais, dit-on, il ne fut pas sincère dans cette demande[7], et depuis cette institution périclita[8]. Il exigea que la nomination des inquisiteurs ordinaires lui fût soumise, les inquisiteurs généraux restant seuls à la nomination du Saint-Père[9], et voulut que les affaires d'inquisition fussent déférées à la connaissance d'un tribunal particulier et suprême, créé dans chaque diocèse et dont six membres (sur dix) appartiendraient au Parlement. En outre le Parlement de Paris ne laissa à ce tribunal, en ce qui concerne les laïques, que l'instruction du procès et la déclaration d'hérésie[10].

Il ne faut pas trop accuser Henri II de sa conduite à l'égard de la religion ; on était alors près des événements et de la scission profonde qui s'opérait entre les chrétiens, trop près pour apprécier avec netteté un fait aussi considérable. Il est aisé de juger ce fait à trois siècles et demi de distance, d'autant que la tolérance qui allait s'en dégager devait être lente à venir ; elle ne vint en effet qu'avec Henri IV, c'est-à-dire un demi-siècle après Henri II, et elle n'était pas encore bien acclimatée en France à la fin du XVIIIe siècle.

L'opinion publique d'ailleurs était mal disposée en faveur des nouveautés religieuses, tellement qu'on soupçonnait d'y participer des gens qui eussent dû rester à ce sujet hors d'atteinte, par exemple Blaise de Montluc[11].

Pour juger la conduite de Henri II en ce qui concerne la situation religieuse en France, n'oublions pas que le pape Jules III lui avait promis, dans les premiers mois de 1550, en rétablissant le siège du Concile à Trente[12], de ne point porter atteinte aux règles, aux privilèges si l'on veut, de l'Église gallicane. Cette promesse, quoique faite par un pape favorable à la France et ne pouvant guère ne pas l'être, car le cardinal del Monte avait été élu avec l'aide de l'influence française, pareille promesse, disons-nous, peut expliquer l'attitude du souverain de la Fille aînée de l'Église, surtout son attitude dans le Concile. Or, l'on sait que, vers le moment de la reprise des délibérations religieuses à Trente, le roi de France rompit ses relations diplomatiques avec le Pape et avec l'Empereur ; ce ne fut à cause des démêlés ou des divergences de religion, mais bien parce que nous ne nous entendions plus avec les Farnèse[13], dont l'ambition démesurée voulait nous entraîner. Le cardinal de Tournon, notre représentant au Concile, s'étant retiré à Venise, il fallut que Jacques Amyot, alors abbé de Bellozane, le célèbre traducteur de Plutarque, se présentât avec des lettres de Henri II, qu'on lui permit à peine de lire[14] ; cependant, cette mauvaise réception n'eut pas de suite, grâce à la prudence de notre envoyé et parce que le roi alors gouvernait l'Église française, qui était dépendante de l'État, un progrès pour ce temps, assure un historien[15].

Il se produisit, en 1562, à Senlis, un fait particulier relatif à la persécution religieuse. Plusieurs réformés furent condamnés ; l'un d'eux devait avoir la langue coupée, puis être brûlé ; il fut déclaré mort par ses beaux-frères, qui obtinrent un délai dans le but de fournir la preuve de ce fait. Nommé Nicolas Barthélemy et avocat du roi, il fut ainsi sauvé et, plus tard, devint procureur royal à Senlis, ayant été purgé de l'accusation portée contre lui[16]. Ainsi, déjà une certaine tolérance se montrait, mais, en réalité, elle est postérieure au règne de Henri II.

Les catholiques payaient faiblement pour les messes qu'ils faisaient dire ; ainsi je trouve, à la date de 1547, la donation suivante faite à la collégiale de Saint-Urbain à Troyes : Par Jean-Baptiste Bonneville, 20 sols de rente sur une maison appelée l'Huis-de-Fer, rue Notre-Dame, à charge d'un anniversaire[17]. Comme les fidèles sont tous censés avoir, par leurs événements de famille, à faire dire des messes, c'est là le vrai sens religieux, chacun paiera peu ; d'ailleurs 20 sous d'alors représentaient bien, pour la valeur de l'argent, au sens de ce qu'il peut procurer de denrées, plus d'un franc d'aujourd'hui.

Les ecclésiastiques résidaient peu en leurs bénéfices, ce à quoi l'autorité civile voulait cependant les contraindre à mieux faire, dans l'intérêt de la localité où se trouvait situé le bénéfice, car leur présence y apportait à la fois une administration plus surveillée des affaires religieuses et un avantage matériel, celui qu'ils dépensaient alors sur place le revenu produit par ledit bénéfice. Certains Parlements rappelaient de temps à autre aux intéressés cette obligation comme une partie de leurs devoirs : ainsi fit encore, 50 ans plus tard, par arrêt du 23 mai 1597, le Parlement de Rennes[18].

Parfois les ecclésiastiques obtenaient par une décision bizarre, quoique officielle, gain de cause dans leurs réclamations ; ainsi les chanoines de Saint-Jean de Lyon, tous d'origine noble[19], et qualifiés de comtes, ne voulurent plus pendant la célébration de la messe, se mettre à genoux à l'élévation de l'hostie, et condamnés par la Sorbonne, furent absous et autorisés à agir ainsi par un arrêt du Conseil rendu le 23 août 1555 : si ce n'était cette date on croirait à une anecdote[20].

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] A la fin du chap. XXVIII de son livre IV, Rabelais, si l'on veut reconnaître Henri II dans Pantagruel, fait verser à ce monarque de grosses larmes au souvenir du supplice du Christ.

[2] De Thou en compte douze. — Il n'y avait alors que quatre maréchaux.

[3] Geschichte des Protestantismus in Frankreich bis zum Tode Karls IX, par Soldan, in 8°, Leipzig, 1855, chez Brockhans, t. I, p. 24. On disait de Henri II qu'il avait l'air pesant : voyez notre chap. XIII.

[4] L'une d'elles fait exprimer au cardinal de Lorraine, vers l'avènement de Henri II : Sire, va-t-en botté. Voyez le Recueil de poésies calvinistes publié par Prosper Tarbé, Reims, 1866, p. 81 ; voyez, également, p. 6.

[5] La bulle dit bien rétablir.

[6] Le Dictionnaire historique de la France de M. Lalanne ne mentionne pas cet acte de Henri II, qui a pourtant son importance ; de Thou le passe aussi sous silence.

[7] Il eut toutefois le tort de publier cette bulle aussitôt la prise de Calais, car il enleva ainsi en grande partie l'enthousiasme de la population pour ce brillant fait d'armes. Lisez Histoire de France pendant les guerres de religion, par Lacretelle, livre III.

[8] A Naples l'Inquisition ne put s'établir, les inquisiteurs y ayant été maltraités puis chassés.

[9] D'après la bulle précitée ce furent les cardinaux de Lorraine, de Bourbon et de Chatillon.

[10] Les descendants des Albigeois et des Huguenots, ou Mémoires de la famille de Portal, par M. F. de Portal, in-8°, Paris, chez Meyrueis, 1860, p. 187. Si le Parlement consentit l'établissement de l'Inquisition en France, ce ne fut donc pas sans restriction ; quant au Conseil privé du roi, il est faux, suivant M. Guillemin, qu'il ait approuvé cet établissement ; lisez Le Cardinal de Lorraine, in-8°, Paris, 1847, chez Joubert, p. 147.

[11] Commentaires, livre IV, année 1539. Il est vrai que Montluc voulut souvent faire exécuter rigoureusement par les deux partis les édits rendus, ce que le parti catholique ne lui pardonna pas toujours.

[12] Mesure adoptée par le nouveau Saint-Père pour complaire à l'Empereur.

[13] Il s'agit d'Octave Farnèse, fils de l'abominable Pierre-Louis Farnèse ; ce dernier, entre autres actes indignes, avait traité le jeune évêque de Faenza de façon à le faire mourir de douleur. Voyez livre Ier de l'historien de Thou, et lettre de Voltaire à d'Alembert, 16 mars 1765, surtout dans l'édition Beuchot : les autres éditions tronquent souvent cette lettre et la datent parfois du 15 mars.

[14] Voyez ci-dessus notre chap. IX.

[15] Juste-Lipse, par M. Amiel, p. 279.

[16] Mémoires de Jehan Mallet.

[17] Documents inédits sur cette collégiale, par M. Méchin, curé, 1878.

[18] Le cardinal d'Ossat, un de nos représentants à Rome, demanda au roi, à ce sujet, une dispense personnelle : voyez, dans sa Correspondance, sa Lettre à Villeroy, 23 août 1597.

[19] Il fallait huit quartiers de noblesse pour être admis dans ce chapitre.

[20] Ils étaient fiers et auraient pu s'écrier comme Blaise de Montluc : J'ai toujours été glorieux, aussi suis-je Gascon. Voyez dans ses Commentaires son discours à Henri II, lors de son retour de Sienne, étant présenté à ce monarque par le duc de Guise.