HISTOIRE DE HENRI II

 

CHAPITRE IX.

 

 

LE CONCILE À TRENTE (1551-1552) ET INTER-CONCILE (1552-1562)

 

Le Concile rouvrit effectivement à Trente le 1er mai 1552, le légat célébrant lui-même la messe et le sermon étant prononcé par Fedrio Diruta, de l'ordre des Cordeliers[1].

Henri II avait protesté, pendant que le pape envoyait auprès des Suisses, afin de les empêcher de fournir des troupes au roi de France, et leur promettait de se servir de leur milice dont il entretenait déjà une garde pour sa personne. Notre ambassadeur Paul de Termes remontrait au Saint-Père que s'il nous faisait la guerre cela entraverait la réunion du Concile qui devait être complète au 1er septembre. Le grand point était que Jules III[2] voulait voir la France cesser de protéger Parme, pour lui en ôter la possession, et l'on prétend que, dans un moment de colère, il répondit même : Si votre monarque me prive de Parme, je lui ôterai la France ! Depuis l'apparition de la Réforme le pape ne jouissait plus d'un assez grand pouvoir pour cela. Néanmoins Henri If prescrivit aux évêques de ses Etats de se préparer à un Concile national.

Le 1er septembre la session s'ouvrit dans le but de reprendre l'œuvre au point où elle avait été interrompue. On lut des lettres de Charles-Quint, que le retour du Concile dans une ville d'Allemagne avait contenté et qui venait d'éprouver la satisfaction de voir son fils Philippe récemment reçu à Trente avec de grands honneurs. L'évêque Amyot, choisi par le cardinal de Tournon[3] comme agent français, demanda qu'on lut aussi les lettres de Henri II : il lui fallut une grande patience[4], car il n'avait pas de caractère officiel, mais enfin ces lettres furent ouvertes et lues à haute voix de façon que nul n'en perdit un seul mot s'il n'était bien sourd. Après la lecture, on contesta la légitimité de sa mission et de sa protestation, puis on le renvoya à la session du 11 octobre pour recevoir une plus ample réponse. Le Concile clos pour ce jour, Amyot alla visiter le légat qui déplora la guerre survenue entre le pape et le roi très chrétien, et déclara avoir voulu l'empêcher. Toutefois, après avoir convenu que le pape se pouvait personnellement tromper, l'abbé de Bellozane — depuis l'évêque d'Auxerre —, c'est-à-dire Amyot, se retira à-Venise, près du cardinal de Tournon, sans attendre la réponse annoncée pour le mois d'octobre, sans même emporter une attestation comme quoi il avait accompli sa mission en contestant la légitimité du Concile, réuni cette fois par un accord entre le pape et l'empereur et qui allait, cet accord cessant, se disperser à son tour.

Il restait à savoir pour le Concile quelle y serait la conduite des luthériens. Le duc de Wittemberg y fit déposer la profession de foi qu'il publia bientôt, celle dite d'Augsbourg ou des luthériens. Charles-Quint se faisait illusion en croyant que l'apparition de ces derniers au Concile apaiserait tout : d'abord ils ne devaient pas y apporter un grand désir de conciliation, puis les évêques catholiques allemands semblaient manquer d'autorité et même de conviction. Quant aux évêques espagnols, ils se montraient exclusifs.

Pour paraître, les luthériens attendaient un sauf-conduit délivré par le Concile lui-même. Déjà le Concile avait commencé la discussion relative à l'Eucharistie, sujet sur lequel les novateurs variaient d'opinion en reproduisant souvent des points de vue déjà condamnés. Ainsi il devait y avoir anathème contre ceux qui niaient l'obligation de la communion pascale, cette obligation étant seulement prescrite par l'Église et non le résultat d'un commandement de Dieu, et aussi anathème envers ceux qui réclamaient l'usage du calice pour les laïques, usage demandé en Allemagne depuis un siècle et qui revenait à la communion sous les deux espèces. A la congrégation du 21 septembre, le cardinal Madruzzo insista pour que le Concile concéda cette dernière communion ; son avis fut appuyé, mais la majorité se prononça contre. La décision devait être proclamée le 1er octobre, lorsqu'au nom de Charles-Quint le comte de Montfort demanda l'ajournement de la question jusqu'à l'arrivée des luthériens et aussi la publication solennelle du sauf-conduit qui leur était accordé.

Le légat-président Crescenzio gouvernait le Concile avec hauteur ; aigri par la maladie, il menaçait de se retirer et voulait qu'on votât brièvement. Une altercation surgit entre lui et l'évêque de Verdun, prélat estimé. Les évêques n'appartenant pas au parti de la curie romaine avaient déjà souhaité de se voir loin de Trente. Toutefois, avant de congédier les Pères du Concile, le pape désirait que l'on pressât avant tout les définitions dogmatiques sur les sacrements. Dans ce but, Crescenzio avait fait rédiger les décrets afin qu'il n'y eût plus qu'un avis à émettre sur chacun d'eux : celte marche fut attaquée, un vote la déclara fautive. En outre, on proclama qu'il devenait impossible en cette assemblée de rien faire prévaloir contre la volonté papale : c'était presque dissoudre le Concile. Les événements se prononcèrent rapidement pour cette dissolution, tout au moins pour l'ajournement. Outre l'imminence d'une rupture entre la Papauté et l'Empire, outre le séjour fatigant pour certains prélats à Trente depuis plus de cinq ans, après les 13 décrets publiés le 25 novembre et la fixation d'une nouvelle session au 25 janvier, malgré l'importance des matières restant à traiter, vu l'absence des prélats français et la tentative audacieuse de Crescenzio de vouloir introduire dans le texte de plusieurs canons une condamnation indirecte de l'opinion qui tenait le Concile pour supérieur au pape, malgré la bonne réception faite avec satisfaction aux prélats luthériens, la dissolution du Concile s'imposait. Crescenzio exigeait que ces derniers souscrivissent d'avance un engagement de se soumettre aux décisions du Concile, ce qui était ne leur laisser ouvert que le champ de la discussion, eux venant justement se plaindre que le Concile n'était pas libre. Or, plusieurs des députés luthériens, ceux de Wurtemberg et de Saxe, n'étaient pas autorisés à souscrire un pareil engagement : en outre, on voulait laisser ceux-ci debout au milieu du synode : pareille prétention paraissait inadmissible ; le roi de Bohême, passant en Tyrol, avait refusé de s'en mêler. Charles-Quint affirmait qu'on devait écouter les luthériens, quelque proposition qu'ils pussent énoncer, même scandaleuse, et Jules III ordonnait à son légat de ne plus insister, lui témoignant en secret qu'il était content de sa conduite.

On reçut, on écouta donc les luthériens comme le désirait du reste la majorité des Pères (24 janvier), mais le désaccord s'aggrava de ce que l'empereur voulait encore ménager les luthériens, et cherchait des délais : de là une incertitude qui déplut aux évêques espagnols. En outre, le Saint Père se montrait peu satisfait des demandes formulées par les luthériens. Quant au président, la maladie augmentait sa défiance et il songeait à congédier le Concile. Les conditions de la réunion devenaient mauvaises, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire, car un Concile incomplet risquait fort de ne pas être reconnu comme œcuménique, et les protestants le rejetteraient toujours si on ne leur accordait ni la communion sous les deux espèces, ni le mariage des prêtres, ni la confiscation des biens de l'Eglise. Déjà l'on songeait à partir : l'Electeur de Trèves le fit presque en cachette au mois de Février, d'autres en mars. Charles-Quint se trouvait fort abandonné, manquant de soldats et d'argent devant l'invasion des Trois-Evêchés par Henri II : il écrivit aux siens que ne pouvant attendre du Concile ni le rétablissement de l'unité religieuse en Allemagne, ni la réforme de la discipline ecclésiastique, il fallait le suspendre. Le 28 avril la suspension fut prononcée pour deux ans par le Concile lui-même : l'Inter-Concile dura dix ans[5], et ce fut le roi de France Charles IX qui vit la fin du Concile[6], lequel avait alors définitivement renoncé à rallier les protestants.

 

 

 



[1] Histoire du Concile de Trente par Sarpi, traduction Amelot de La Houssaye, in-4°, Amsterdam, chez Blaeu, 1686, fin du livre III, page 293.

[2] Le cardinal de Guise — qui deviendra bientôt le cardinal de Lorraine, à la mort de son oncle Jean, et donnera à cette appellation une illustration telle qu'il en est dans l'histoire le véritable représentant —, le cardinal de Guise, disons-nous, avait facilité l'élection du nouveau Saint-Père.

[3] Le cardinal de Tournon était retiré à Venise depuis la cessation des relations diplomatiques entre la France et la Papauté.

[4] On risqua de se fâcher parce que le roi y désignait l'assemblée par le mot de Conventus (Assemblée), au lieu de Concilium generale (Concile général) ; mais la majorité décida qu'il ne fallait prendre ce terme de Conventus en mauvaise part : Amyot s'était efforcé d'expliquer avantageusement le terme Conventus : lisez l'Histoire du Concile de Trente, par M. Baguenault de Puchesse, 1870, p. 83.

[5] Du 28 avril 1552 au 18 janvier 1562.

[6] Reportez-vous à notre Histoire de Charles IX, livre premier, chapitre IX.