HISTOIRE DE HENRI II

 

CHAPITRE V.

 

 

GUERRE CONTRE L'ALLEMAGNE

 

En 1547 l'Empereur, tuteur du roi d'Angleterre, Edouard VI, pour lors mineur, s'approcha de Saint-Orner et envoya dire à Henri II de ne pas avancer ses troupes : l'émissaire rendit sa commission avec plus d'arrogance qu'il ne lui était commandé, en sorte que le roi de France voulait lui faire donner les étrivières, mais le duc de Vendôme et le connétable l'en empêchèrent. On se borna à signaler le méfait de son héraut à l'Empereur ; ce dernier ne le punit pas, car c'était une créature du chancelier Granvelle.

Est-il vrai que Henri II s'en tenait volontiers à l'apparence de la guerre, à ce qu'elle avait de brillant et que le connétable secondait cette disposition en amusant l'ardeur belliqueuse de la nouvelle cour par des luttes peu sérieuses ; Lacretelle l'a prétendu, mais si quelques expéditions répondent à cette définition, il n'en est plus ainsi des luttes pour la possession de Metz. Après la levée de boucliers de l'Électeur de Saxe Maurice, le monarque français ayant publié un manifeste qui relatait la vieille alliance des races française et germanique issues d'ancêtres communs, marcha pour secourir les puissances allemandes secondaires. La ville de Metz fut occupée par surprise[1], le connétable ayant seulement obtenu des magistrats d'y pénétrer avec sa suite et deux enseignes, mais y ayant envoyé des officiers déguisés et ayant porté à près de 500 hommes l'effectif de chacune des compagnies (ou enseignes) dont l'entrée était autorisée. Henri II n'était pas sur le lieu des opérations, vu la maladie de Catherine de Médicis, mais il se rendit aussitôt dans la ville conquise et reçut son serment de fidélité. Le roi de France se porta ensuite vers Strasbourg, qui se mit sur la défense, tout en reconnaissant en la personne de Henri II un champion de la liberté de l'Allemagne. En effet ce pays était soulevé, et de ce soulèvement la fortune de Charles-Quint se trouvait très ébranlée, tellement qu'il ne put amener vers Metz que 60.000 combattants, ce qui était peu pour un aussi puissant potentat[2]. Ajoutez à ce faible effectif l'aversion des habitants du Luxembourg pour le gouvernement impérial de ce souverain[3]. L'armée de Charles-Quint ne parut d'ailleurs sous les murs de la cité messine qu'exténuée de fatigue, quoiqu'elle eût marché lentement.

L'intention d'assiéger Metz fut d'abord célée, et cela se put d'autant mieux que durant son chemin vers cette cité, l'Empereur fut pris d'une violente attaque de goutte à Landau qu'il quitta seulement le 8 octobre[4]. Les généraux de ce monarque trouvaient la saison trop avancée, et voulaient qu'on se bornât pour cette année à chasser les Français des petites villes de la Lorraine : il faut se rappeler cette opinion qui présageait pour les armes impériales un insuccès possible.

Avant l'arrivée du duc de Guise, on avait, à Metz, commencé à réparer l'enceinte, mais la peste qui sévissait et la maladie du gouverneur entravant les travaux, ces améliorations étaient peu avancées. Il y donna bon ordre, requit des travailleurs, en dépit du temps des moissons et de l'approche des vendanges, les appliqua en plusieurs endroits, notamment à l'exhaussement de la courtine et à la confection de deux boulevards, afin de se mettre à l'abri des coups provenant de Belle-Croix, si l'assiégeant occupait cette position dominante. On travailla également aux plates-formes de la porte à Metzelle, de la fausse braye et de Rats. Enfin et sans différer on entreprit de consolider les remparts du quartier qui prend vis-à-vis du retranchement iusques à la porte des Alemans, lieu fort suspect et lequel M. de Guyse estimoit debvoir estre promptemêt ramparé, aduisant pour le mieux d'en fortifier la l'anise braye, assez ample et large pour mettre nombre de gens à la défendre, estant favorisée d'un bon et grand fossé, sans dôner cest aduantage à l'ennemy, de la pouuoir gagner. Mais pour ne deffournir les autres atteliers, et aussi pour dôner exemples luy mesme entreprist l'œuure avec les princes, seigneurs et gentishômes, qu'il auoit en sa compagnie, portant quelques heures du iour la hotte : et monstrant estre bien convenable à vn chef, de soustenir au besoing le trauail et la sueur en sa personne, côme la vigilâce en l'esprit[5].

On comptait dans la ville de Metz des pièces d'artillerie de mauvais calibre, et des poudres trop vieilles et en trop minime quantité ; le duc de Guise donna ordre de réformer cela, et pour les poudres ce fut facile, grâce à l'emploi de moulins existants et surtout d'un approvisionnement de plusieurs milliers de salpêtre bien emmagasinés.

Pour les vivres la provision de blé était petite, et le paysan ne battait guère en été (on était en août) que pour ses besoins, c'est-à-dire pour vivre lui et sa famille, pour semer, pour payer ses redevances. Mesures furent prises, et ce qu'on put battre apporté, avec liste tenue et compte fait au profit de chacun, dès la consommation. Il en fut de même pour le foin, l'avoine et la paille, les habitants voiturant ces denrées vers la ville le dimanche et le lundi seulement, parce que les autres jours ils semaient les terres, prévoyance utile, afin de ne pas manquer si le siège durait jusqu'à la prochaine récolte.

François de Guise exerça les gens de pied[6], et chaque fois qu'ils allaient monter la garde pour la nuit, il les réunissait devant son logis et les faisait exercer à nouveau, les commandant parfois lui-même ; là ce bataillon de gardes réunies, c'en était un véritable, marchait en avant, en arrière, faisait visage de tous cotés, c'est-à-dire se mettait en formation carrée, baissait les piques, puis les arquebusiers visaient un blanc aposté contre la muraille.

De bonnes ordonnances furent rendues pour la conduite des combattants pendant le siège, et chacun les observa[7], ce qui contribua pour beaucoup à la réussite de la défense.

Dans les premiers jours de septembre 1552 trois compagnies d'hommes d'armes, trois de chevau-légers et sept enseignes de fantassins venant prendre garnison dans Metz, furent retenues vers Pont-à-Mousson et occupées à donner plus d'activité à la récolte sans léser toutefois les intérêts des habitants : grâce à leur coopération, 12.000 charges de grains furent rentrées avant le 20 septembre.

Ignorant le point de l'attaque et l'endroit précis où il serait fait brèche, le duc de Guise employa les gentilshommes de sa maison à réunir des gabions, des poutres, des tonneaux, des planches et tables ferrées, sacs à terre remplis, sacs de laine, outils, râteaux et engins divers propres à être utilisés là où un assaut serait tenté. L'ingénieur Saint-Rémy[8] fut chargé de pourvoir aux artifices à feu et le sieur de Crenay eut mission de faire mettre en état et de remonter les arquebuses à croc.

A la porte Sainte-Barbe on démolit les bâtiments restés en dehors du retranchement afin de faire place nette et de ne rien laisser qui pût servir à former les tranchées de l'assiégeant : il en fut de même de toute maison joignant les murailles de la ville, parce qu'on voulait pouvoir mettre tout au long des troupes en bataille. Tous les faubourgs, voire les fossés, furent nettoyés de ces cabarets et jardins qui foisonnent dans ces endroits en temps de paix. Par ses discours, le duc de Guise, quelque peu ingénieux de sa personne, fit si bien qu'il obtint que personne ne se plaignît. Puis les bourgs voisins, tels que Saint-Arnoul et Saint-Clément, furent ruinés ; les corps des saints et princes inhumés dans les abbayes, ainsi que les vases sacrés, avaient été auparavant solennellement rentrés dans la cité.

Le marquis (margrave) Albert de Brandebourg, venu avec son armée de la haute Allemagne en branschattant et rançonnant le pays, avait passé le Rhin à Spire, puis s'était emparé de Trèves et campait à Roranges sur la Moselle, près de Thionville et à trois lieues de Metz. Souvent il envoyait demander des vivres au duc de Guise, se prétendant au service de Henri II, et de fait en ce moment ce monarque discutait le prix de ses services et les marchandait avec l'évêque de Bayonne. Le gouverneur de la ville lui en accorda d'abord, puis, les demandes se renouvelant, il envoya Pierre Strozzi[9] lui remontrer qu'il ne pouvait dégarnir la ville de ses provisions à la veille d'un siège, mais qu'en se retirant vers la contrée fertile des Salins (vers les salines), il y nourrirait facilement son armée. Strozzi démêla que le prince allemand visait à tirer le plus possible des Français, avant de les abandonner, ce qu'il méditait. Toutefois l'instant n'était pas venu, et, annonçant qu'il voulait traverser la Moselle, le margrave demanda qu'on lui construisit un pont. François de Guise allégua que le temps manquerait pour cette œuvre, mais qu'il enverrait le plus de bateaux possible au point indiqué. Alors le prince allemand demanda une entrevue ; le prince lorrain répondit qu'il ne lui était permis de quitter une ville dont la garde lui était confiée. Le margrave promit de venir dans Metz. De deux jours, malgré sa promesse et quoique attendu, il ne vint. Enfin, sous un prétexte, il annonça qu'il renonçait à se présenter. Evidemment il avait cherché à surprendre la personne de M. de Guise et à s'en emparer, car la rançon d'un tel personnage eût été rémunératrice, ou encore à s'introduire dans la ville et à la garder pour lui.

A ce moment le prince lorrain prescrivit que tout volontaire, gentilhomme ou non, accouru de son plein gré afin de prendre part à la défense de Metz, y fit choix d'un capitaine, ou de gens de cheval, ou de gens de pied, pour avoir logis dans son quartier, sortir surtout et rentrer avec lui si la compagnie de cet officier était chargée d'une entreprise. Ordre fut aussi donné de mettre en ville tous les vivres et tout le bétail : ensuite les défenseurs en prendraient dehors, là où ils en trouveraient. Cet ordre exécuté Metz fut largement approvisionné pour un an.

Pareilles mesures annonçaient la prochaine arrivée de l'adversaire : Pierre Strozzi, député vers le roi, en revint avec l'avis que le connétable formait une armée vers Saint-Mihiel, laquelle serait sur pied avant l'arrivée des Impériaux. En même temps le roi et le connétable dépêchèrent l'un et l'autre quelque seigneur près d'Albert de Brandebourg, mais ce dernier changeait si souvent d'avis que le connétable, à le voir de la sorte intraitable, soupçonna en lui un ennemi.

On avait atteint le mois d'octobre, et plusieurs commençaient à croire que la saison hivernale empêcherait l'Empereur de venir poser le siège, mais on comptait sans l'entêtement et le désir de vengeance de Charles-Quint qui survivaient aux avis de ses conseils[10], et le duc de Guise, croyant qu'on entreprendrait contre lui, ne se départit d'aucune mesure de sûreté. La fin des vendanges qui avaient été abondantes ayant procuré des ouvriers, on éleva les plates-formes pour l'artillerie ; on transforma même en plates-formes les voûtes élevées de plusieurs églises, en les garnissant de balles de laine, afin de battre de là, au loin, sur les montagnes, les approches de l'ennemi[11].

L'armée impériale stationnait toujours vers les Deux-Ponts, l'Empereur attendant des troupes des Pays-Bas, et faisant amener son artillerie et ses munitions jusqu'à Coblentz, d'où elles devaient remonter la Moselle jusqu'à Metz. On ne doutait plus de son acheminement ; du moins le duc de Guise fit évacuer Rodemar entre Luxembourg et Thionville, couvrant par des escarmouches la retraite de l'enseigne qui s'y trouvait, et, dès son arrivée, la fit loger dans Metz au pont des Moulins, où elle fit montre, puis l'envoya se retirer au camp, à cause du bruit d'une maladie contagieuse qui avait attaqué plusieurs des soldats de celte enseigne.

On employa le temps perdu par l'ennemi à fortifier encore la cité, notamment contre une poterne près de l'église Saint-Thibaud, et le rempart fut en cet endroit continué jusqu'à l'entrée de la rivière de la Seille ; là le prince de La Roche-sur-Yon, nouvellement arrivé, dirigeait les travailleurs. Du reste partout les seigneurs les plus recommandables veillaient à ce que les pionniers et les gens de guerre[12] déployassent l'activité que les circonstances requéraient.

Une reconnaissance menée par le seigneur de Rendan ne tarda pas à constater la présence des impériaux à sept lieues de Metz, bientôt même à deux lieues seulement, ce qui fit hâter les préparatifs. Enfin le 19 octobre le duc d'Albe et le marquis de Marignan s'approchèrent à un quart de lieue avec 14.000 fantassins, 4.000 cavaliers et six canons. Nos sentinelles se replièrent jusqu'aux murailles. Vers la porte des Allemands se porta un gros de 2.000 ennemis que le duc de Guise fit reconnaître par 25 chevaux, soutenus de 200 arquebusiers ; les nôtres rétrogradèrent tout en contenant l'ennemi et l'escarmouche commença ; elle dura de onze heures jusques à vespres, les Impériaux ayant été renforcés par trois fois et les nôtres nullement. L'engagement fut sérieux puisqu'il entraîna le tir de 10.000 arquebusades et dans nos rangs six tués, seize blessés et un prisonnier, dans les rangs de l'adversaire plus de cent tués et blessés, ce qui s'explique, notre artillerie des plates-formes et des voûtes d'église ayant tiré contre des troupes, sinon entassées au moins massées. Cette affaire constituait en faveur des assiégés un heureux début.

Les Impériaux, à la suite de cet engagement, se placèrent à Sainte-Barbe, à deux lieues plus en arrière[13]. C'est alors que le duc d'Aumale fut défait et pris par Albert de Brandebourg. Il avait averti le roi de France des desseins du prince allemand. Cette défaite est du 4 novembre 1552 : M. de Rohan y fut tué[14]. Dès lors Metz se trouva enserrée entre trois camps, celui du duc d'Albe, celui du duc de Brabançon, lieutenant de la reine de Hongrie, et celui du marquis Albert. Néanmoins les assiégés eurent trois jours de répit. Le duc de Guise, pendant ce repos, envoya reconnaître l'ennemi et brûler, du côté de Sainte-Barbe, des villages où il aurait pu se mettre à couvert : en même temps il faisait consolider les points faibles de la fortification de la place. Puis il renvoya de Metz les bouches inutiles, prescrivant de conserver seulement deux valets et deux chevaux par homme d'armes, un valet et un cheval par archer et par cavalier léger, et un goujat par groupe de dix fantassins, plus six chevaux par bande de gens de pied. Un grand nombre de gentilshommes, échevins, bourgeois et prêtres, quitta la ville, se retirant là où il leur convenait le mieux ; le duc en renvoya d'autres, ne conservant que 60 prêtres pour le service des églises, 1.200 travailleurs pour les remparts et les ouvrages d'art, en même temps qu'un petit nombre d'ouvriers habiles de chaque corps de métier jugé indispensable. Ordre fut donné aux habitants maintenus dans la cité, et cela sous peine de mort, de ne quitter leur domicile en cas d'alarme, et. si c'était la nuit, d'éclairer leurs fenêtres et portes. La propreté des rues fut recommandée, les charognes et immondices devant être jetés dehors.

Les murailles furent divisées en quartiers, chaque quartier recevant un chef spécial et responsable, mesure excellente souvent imitée depuis et d'après ce siège célèbre[15]. La gendarmerie fut principalement postée sur les places et les gens de pied répartis partout, couverts des corselets et des morions qu'on avait pu trouver.

Jusqu'à la fin d'octobre les Impériaux occupèrent le mont Châtillon. Des renforts leur étant arrivés des Pays-Bas, ils vinrent une nuit reconnaître notre quartier sis entre la Moselle et la Seille ; la pluie qui tombait empêcha de les voir, mais on les entendit et l'on put diriger contre eux force arquebusades. Avertis par cette reconnaissance que peut-être ils voulaient dresser une batterie de côté, nous construisîmes une tranchée et nous mîmes la terre de l'excavation derrière, ce qui forma un rempart avec fossé, courant de la tour des Charriers à l'encoignure du Pontiffroy, et mit en état de défense le quartier de l'Ile, jusque-là gardé par une simple muraille dénuée de flanc et de fossé et qui ne valloit guère mieux que de n'en auoir point. On sut bientôt, et cela justifia ce nouveau travail, que l'ennemi rassemblait des pionniers et conduisait huit pièces d'artillerie destinées sans doute à Bellecroix.

Ces occupations intérieures n'empêchaient pas la garnison française d'effectuer des sorties avec sa cavalerie. Un jour les nôtres ramenèrent 100 chevaux d'artillerie ; un autre le vidame de Chartres surprit les fourrageurs ennemis sans escorte, et menacé d'être tourné, rentra heureusement par le pont de Magny-sur-Seille qui venait d'être refait[16].

Le 30 octobre 1.200 chevaux et un bataillon de fantassins couvrirent une reconnaissance effectuée par le duc d'Albe vers la porte Mezelle (Maselle). Il survint à la suite plusieurs escarmouches ; à l'occasion de l'une d'elles, divers Espagnols et Italiens s'étant approchés de la porte Sainte-Barbe, crièrent : Escalade ! et la sentinelle du beffroi donna l'alarme à cause du bruit que cela fit. Le duc de Guise, mécontent de ce fait, car la cité ne se trouvait guère exposée au danger de l'échelle, ordonna que cette cloche ne sonnerait plus que pour la retraite du soir, les tambourins des quartiers suffisant pour semer l'alarme dans chacun d'eux, là où besoin serait.

Dès novembre les Impériaux renoncèrent à leur logis de Bellecroix et aux travaux y entrepris : ils considérèrent sans doute la fortification de ce côté comme trop solide pour y réussir. On les talonna peu dans leur éloignement et le duc de Guise, afin d'éviter qu'on ne se laissât entraîner, sortit lui-même jusqu'à 800 pas de la ville avec 600 chevaux.

L'ennemi se posta dès lors à Saint-Clément et Saint-Arnoul jusqu'au pont de Magny et à la Grange aux Dames. De notre côté on commença il s'inquiéter de mieux fortifier l'enceinte de la porte Saint-Thibaud à la porte Champenoise : là on établit un fossé destiné à recevoir les égouts de la ville. La tête du boulevard, ou bastion, de la porte Champenoise fut remplie d'une terre grasse et argileuse, fort propre à remparer, que l'on découvrit aux fossés, et quant aux fascines nécessaires, on les alla quérir hors de la ville, par delà les ponts, afin de ménager celles qui se trouvaient dans les jardins intérieurs.

Les ennemis construisirent un cavalier à main droite du chemin de la ville à Saint-Arnoul, fait pour recevoir 7 à 8 pièces : deux petites y furent d'abord placées. Puis ils envoyèrent un trompette nous annoncer la reddition de Hesdin aux troupes de l'Empereur et aussi la captivité du duc d'Aumale près du marquis Albert de Brandebourg. Je pense bien, annonce Bertrand de Salignac, que ce n'estoit pour nous en cuider (croire) faire plaisir.

Le duc de Guise avait soin que ses sorties quittassent l'enceinte seulement au dernier moment favorable, préludait de la sorte à l'emploi tardif et judicieux de sa réserve à la bataille de Dreux[17], et faisait partir et charger sa cavalerie en bloc[18] de préférence dans les endroits plans et commodes pour des gendarmes.

Il se décida pour le transport de son logement près de Sainte-Glocine, entre les portes Champenoise et Saint-Thibaud qui furent condamnées et même terrassées, le pont près de la première étant en outre rompu en un arceau ; on ferma de même deux autres portes, les portes des Allemands et Sainte-Barbe, celles du pont des Morts et Pontiffroy au nord, et Mazelle au midi, suffisant bien pour le service d'une ville assiégée[19].

Le 5 novembre survint une escarmouche ; trois jours après le duc de Guise dépêcha vers Henri II un gentilhomme afin de le prévenir de ce qui se passait à Metz et l'assurer qu'il espérait pouvoir tellement garder la place qu'elle ne serait emportée d'assaut. Sur cette nouvelle, le roi de France employa d'un autre côté ses forces disponibles, notamment en Picardie pour la reprise du château de Hesdin.

Les Impériaux continuaient leurs tranchées vers Saint-Thibaud ; on les inquiétait par des sorties et la nuit par un tir de mousqueterie presque continu, auquel ils répondirent le 9 par un feu d'artillerie. Les deux nuits suivantes ils logèrent quatre canons sur le cavalier de gauche et le 10 novembre ils battirent le château de la porte Champenoise et y commencèrent près du portail une brèche qui fut continuée les jours suivants[20], et s'étendit à une tour voisine, vers l'encoignure Sainte-Glocine. En allant reconnaître ladite brèche par la fausse braye, c'est-à-dire un peu en dehors, le duc de Guise fut atteint et couvert par les éclaboussures et les éclats d'un coup de canon, mais heureusement sans être blessé. Le boulevard de la porte Champenoise fut ainsi mis à jour et en brèche par dessus le cordon et malgré qu'il comportât en cet endroit une épaisseur de 6 mètres ; on y remédia en portant dans cette ouverture autant des terres des fossés que possible.

De la plate-forme Sainte-Marie les assiégés tirèrent alors sur le cavalier et y démontèrent deux pièces. De notre côté une de nos pièces déclava et il fallut renoncer à son emploi : une de nos grandes couleuvrines éclata par le bout, son métal étant aigre, mais on la fit scier par l'extrémité et elle put servir encore. Ce résultat porta le duc de Guise à des essais pour la refonte des pièces, et il commanda à d'anciens canonniers, afin d'éprouver leur savoir et leur expérience, la fabrication d'une couleuvrine et d'une bâtarde.

Le marquis Albert de Brandebourg, qui avait démasqué son abandon du service de France, se présenta le 13 novembre avec toutes ses forces au mont Saint-Martin et s'y mit en bataille, sa cavalerie plus en plaine ; de cette position il battait souvent à nos portes. Le duc de Guise envoya vers lui, jusqu'à la croix au delà du pont des Morts, deux détachements de 40 arquebusiers chacun qui firent l'escarmouche et d'assez près, car, le tir à feu effectué, on prit l'épée et on se servit de la hallebarde. Une autre petite sortie réussit à brûler des charrettes de fourrage, mais la nouvelle position où campa le marquis nous ôta néanmoins la liberté de la campagne au delà de la Moselle et vers la France.

Les assiégeants continuaient leurs tranchées jour et nuit, les augmentant pour battre tout du long de défenses en saillie qui ressemblaient à de petits bastions, puis les garnissant d'assez gros corps de garde, car ceux-ci contenaient 16 enseignes au moins. Les assiégés remparaient activement dans la ville, notamment au boulevard de la porte Champenoise, où se trouvait une brèche longue de 40 pieds produite par 600 coups de canon tirés du 13 au 17. Ces jours-là on sortit pour repousser 300 Impériaux venus afin de cueillir des herbes dans les jardins s'étendant le long de la Seille.

Après un autre engagement, le duc de Guise ordonna de fortifier les portes des ponts, là où il n'existait pas de pont-levis et particulièrement en l'endroit où le marquis Albert de Brandebourg pourrait venir, si non attaquer, au moins faire bravade du côté de son camp, c'est-à-dire entre le Pontiffroy et le pont des Morts, sur le flanc de la brèche, pendant que ceux du grand camp des Impériaux, trouvant cette brèche raisonnable (abordable) essaieraient d'y monter à l'assaut. Dans cette direction l'on haussa les ravelins assez pour couvrir des coups lancés par l'artillerie brandebourgeoise[21].

Le 19 novembre, le duc de Guise envoya 60 chevaux donner l'alarme au camp du marquis Albert par le pont des Morts, et soigneusement étudier leur retour afin que la connaissance exacte et sûre des passages permît de faire plus tard une grande entreprise. Cela réussit, car l'artillerie dudit camp se trouvait postée trop haut pour plonger sur nos gens et les atteindre.

On s'aperçut qu'il y avait danger à ne pas isoler du rempart les églises Saint-Thibaud et des Augustins, et dans ce but on brûla les étançons qui les environnaient et les appuyaient jusqu'à la fortification, ce dont l'ennemi fut contrarié. En même temps on renforça sur certains points les remparts au moyen d'un terrain en talus devant servir de montée aux gens de guerre, jusques à pouvoir combattre main à main, le surplus faisant parapet pour les couvrir.

Le 20 novembre Charles-Quint arriva dans son camp où il monta à cheval, car il était venu en litière depuis Thionville. Il visita son armée, puis alla loger chez le duc d'Albe, dans l'un des restes de l'abbaye Saint-Clément, en attendant qu'un château lui fût préparé près de Magny. Il disposait de forces nombreuses, plus grandes que celles réunies précédemment sous ses ordres. Sa venue fit adopter la résolution de changer le point d'attaque ; nos adversaires conduisirent des pièces au cavalier à main droite du chemin de Saint-Arnoul, là où il existait un faible rempart et où leur logement se trouvait assez haut et à propos pour y battre en cavalier ; d'ailleurs le fossé ne présentait sur ce point ni eau ni grand empêchement pour y descendre et donner l'assaut. Le duc de Guise fit aussitôt travailler sur ce point afin que, la muraille une fois ôtée, on pût encore résister, et la précaution parut utile parce que là se trouvaient des caves sur le chemin du rempart et qu'on y étançonna fortement ; ce travail avança promptement, tout le monde, les plus grands même, y mettant la main, et ce fut heureux, car pendant ce temps l'adversaire plaçait en face sept pièces d'artillerie et tirait dès le 23 novembre.

Le soir 60 hommes furent dépêchés sur les tranchées des Impériaux. Vers la porte Saint-Thibaud, où l'adversaire semblait vouloir construire une deuxième batterie, ils sortirent en effet, gagnèrent 150 pas de tranchées, et les occupèrent par force durant une demi-heure : ce détachement se retira sans perdre un homme devant les nouvelles gardes venant prendre le service de nuit. Au jour les assiégeants avaient continué leur gabionnade et l'avaient plantée en la vigne des Vassieux dans le but de battre la grosse tour de la fausse braye, ou tour d'Enfer, avec 41 pièces dont 25 se trouvaient déjà en place ; ils tirèrent, durant 36 heures consécutives, 1.448 coups qui abattirent cieux tours. Dans ce jeu de l'artillerie adverse, les gabions placés sur la plate-forme Sainte-Marie, remplis de terre trop légère[22], furent facilement emportés, en sorte que cette susdite plate-forme causa un faible dommage : quant à notre mur d'enceinte il tint bon d'autant qu'on ne l'avait pas canonné en un point nettement déterminé.

Le duc de Guise répartit en ce moment à nouveau ses troupes : les vingt bandes furent groupées deux par deux et un groupe assigné à chacun des dix quartiers, de façon qu'une bande y gardait les brèches un jour, puis les murailles l'autre jour et toujours ainsi alternativement. Les compagnies du prince de La Roche-sur-Yon, aidées de celles de M. de Lorraine avaient ordre de veiller aux alarmes, puis de se porter au secours là oui besoin surviendrait, deux capitaines de gens de pied accomplissant en outre leur ronde toutes les nuits, visitant tous les quartiers, tous les corps de garde, devant avertir le duc de Guise de tout ce qu'ils avaient vu et entendu, à quelque heure que ce fût.

On ne cessait de donner l'alarme aux assiégeants, mais si l'on s'emparait de prisonniers, on n'amenait en ville que les gens de marque, annonçant la promesse d'une bonne rançon[23], et l'on renvoyait les valets et garçons de fourrages, lesquels eussent consommé des vivres en pure perte[24].

Le 26 l'Empereur visita les travaux de ses troupes, et aussitôt commença une furieuse canonnade qui, en une demi-journée, jeta 1.343 boulets et ouvrit la muraille en trois endroits[25]. Le duc de Guise et les seigneurs, placés dans le fossé, suivaient les effets de la batterie, et chacun mettait la main à hausser le rempart ; ces efforts se continuèrent surtout la nuit. De son côté, l'ennemi entreprit une tranchée située presque sur le bord de notre fossé.

Le lendemain 27 mêmes péripéties ; les brèches s'agrandissaient ; le duc de Guise, assisté des seigneurs allait reconnaître tout dommage nouveau d'heure en heure et le mesurait de son œil exercé, s'exposant parfois trop, car sa perte, en ces instants critiques, eût été un grand malheur.

Le 28 le tir fit tomber un pan de mur entre les tours de Vassieux et de Ligniers, mais la brèche demeurait mal aisée ; de plus un rempart neuf s'élevait déjà derrière, la dépassait de huit pieds et résista contre le premier tir dont il fut salué. Notre arquebuserie tira par-dessus la brèche ; la nuit on fit des efforts inouïs pour perfectionner et surélever ce rempart neuf. Les deux jours suivants l'artillerie ennemie ralentit son tir d'un tiers[26], et nous en profitâmes pour accélérer nos travaux de fortification intérieure. Nous consolidâmes la tour d'Enfer, fort endommagée, avec un rempart léger, en fumier et en balles de laine, le seul dont elle pût supporter le poids. Des précautions furent prises en vue d'une tentative pour gagner nuitamment cette tour, car des amas de fascines, destinés à faire une montée, indiquaient cette intention. M. de Biron fut chargé d'augmenter la garde de ce côté ce nouveau service fut continué. La porte Champenoise et ses entours étant remparés, on y amena des pièces de la plate-forme Sainte-Marie afin de pouvoir battre de là la tour d'Enfer[27], en cas d'attaque spéciale contre elle.

Le 1er décembre l'ennemi ouvrit une nouvelle tranchée et tira contre nos remparts et contre la tour d'Enfer. Le duc de Guise envoya 140 chevaux contre des fourrageurs venant de Thionville, avec mission de reconnaître ces derniers sans rien hazarder. Une partie de ce détachement dispersa l'escorte et ramena en ville les voitures chargées de fourrages et de vivres ; l'autre partie, touchant le camp ennemi et un abreuvoir, entretint l'escarmouche ; l'adversaire eut beaucoup de blessés et abandonna huit prisonniers, tandis que de notre côté le canon tua deux combattants ; nous laissâmes deux prisonniers et eûmes quatre blessés qui succombèrent bientôt.

Chacun des trois jours suivants l'ennemi tira une centaine de coups par jour et nos brèches s'agrandirent. Il étendit ses tranchées vers la droite[28], ou vers la Moselle si on le préfère ; aussitôt des ouvriers furent placés intérieurement afin de remparer derrière la tour d'Enfer, entre les tours des Boulangers et des Charpentiers, ce qui n'avait encore été fait, et là construire, reculé de 40 pieds par rapport à la muraille d'enceinte, un rempart de 24 pieds de large avec une tranchée de 30 pieds en avant, ouvrage qui fut entrepris et mené diligemment. Le travail des Impériaux se vit contrarié par 12 arquebusiers que le capitaine Candaux et le sergent du capitaine Glenay conduisirent par une issue secrète pratiquée dans le bastion de la porte Champenoise. Le lendemain un capitaine de la compagnie du duc de Guise sortit entre les deux camps avec 30 combattants et faillit s'emparer du seigneur de Brabançon qui échappa seulement par la vitesse de son cheval ; les nôtres n'osèrent le poursuivre, ou du moins, parvenus près de la maison où il s'était jeté, mettre pied à terre pour essayer d'y pénétrer et cela vu la situa-fion, car on fut accouru du camp, et en force, au secours de ce seigneur ; ils se bornèrent à rapporter deux tonneaux remplis de diverses marchandises.

Le 5 décembre vingt de nos chevaux furent embusqués au même endroit, et y donnèrent, à grand renfort de trompettes, l'alarme à 80 chevaux allemands se rendant du camp de l'Empereur au camp de la reine Marie : ces derniers prirent la fuite et laissèrent quatre prisonniers ; on ramena en même temps quatre mulets chargés de vivres[29]. Ce jour-là l'ingénieur Camille Marin et le lieutenant du capitaine Glenay reçurent chacun une arquebusade dont ils moururent, le premier en regardant au bout d'un rempart qui joignait la porte d'Enfer, entre deux balles de laine[30], et aussi les remuements de terre dont nous avons parlé et qui étendaient les tranchées ennemies vers la rivière ; le deuxième étant de garde.

La nuit suivante les ennemis changèrent leurs pièces, trouvant les anciennes éventées[31] ; ils tirèrent au recoing de la rivière, voulant y faire une nouvelle brèche, et ne cessant pour cela de tirer avec les pièces restées en place afin de nous empêcher de remparer. De notre côté l'on entendit sous la tour d'Enfer des coups de pioche, comme si l'adversaire creusait quelques mines. Le sieur de Saint-Rémy avait déjà creusé également, il entreprit de se porter à sa rencontre avec des contre-mines, sous cette tour même et en long sous la fausse braye.

Le lendemain, au coin derrière la tour d'Enfer, on fit descendre avec une corde un lieutenant qui reconnut cette tour par le dehors, mais il ne constata rien de nouveau, tandis qu'un amas de terre argileuse, aperçu au dehors, décela le point où s'ouvrait la mine des Impériaux, car nous retirions une terre semblable de nos contre-mines. Dans la matinée de ce jour douze chevaux sortirent et coururent vers le camp du marquis Albert afin de savoir si l'ennemi prenait de nouvelles mesures contre nos sorties : il ne fut rien constaté de particulier ; les nôtres rentrèrent heureusement, protégés par un détachement qui guettait leur retour près des portes.

Le 7 décembre leurs tambourins ayant sonné, les Impériaux s'approchèrent en deux grosses troupes au bord des tranchées[32]. Sans estimer qu'il y eut grand danger, le duc de Guise prescrivit que chacun prit son poste de combat. Les Impériaux, sachant que leurs officiers trouvaient téméraire une attaque générale désirée par l'Empereur, hésitèrent devant l'attitude résolue des assiégés, et Charles-Quint rentra mécontent dans son quartier général.

On reçut des nouvelles du roi de France ; il paraît que, malgré son intention ostensible d'assiéger Hesdin, Henri II n'abandonnait pas l'idée de faire lever le siège de Metz. Quoi qu'il en soit, le duc de Guise apprenant par ce courrier la prise d'Albe, dans le Montferrat[33], par le maréchal de Brissac, fit répandre cette nouvelle aux avant-postes.

Les prisonniers gardés dans Metz, et il y en avait chaque jour de nouveaux — quoique l'on conservât uniquement ceux de marque, nous l'avons dit —, répétant que l'Empereur s'opiniâtrerait à prendre la place de Metz et qu'il y consommerait, s'il le fallait, jusqu'à trois armées entières, le duc de Guise profita du bruit qui courut à ce sujet pour diminuer la consommation des vivres, et fit même visiter, pour qu'on les ménageât, les provisions particulières. Le but était d'atteindre surtout en blé, à étendre l'usage des approvisionnements au delà des douze mois primitivement supputés. Eu égard aux fourrages, ordre fut réitéré de ne conserver que six courteaux[34] par bande d'infanterie. Afin de ne pas manquer de poudre, on tira du salpêtre des caves et on le raffina. Quant à l'argent, pensant que le roi n'en pourrait faire entrer dans la ville, le duc de Guise frappa monnaie au nom du roi, haussant son prix et promettant de la reprendre plus tard au prix d'émission.

Albert de Brandebourg était contrarié des sorties entreprises contre son camp. Afin d'obtenir sa revanche, il tendit diverses embuscades dans les saules, près de la croix sise à l'extrémité du pont des Morts, mais le duc de Guise ne voulut pas qu'on se laissât tenter par ses agaceries. La nuit il envoya reconnaître si les adversaires entreprenaient quelque nouvel ouvrage. Une fois la situation reconnue, le petit détachement se retira ; mais rentré, l'on s'aperçut que le sergent du capitaine Glenay manquait, et l'un des siens alla en plein midi, sous le feu de l'ennemi, retirer son corps et le rapporter sur ses épaules afin qu'il fût enterré.

Malgré un tir assez mou, la tour des Charpentiers se trouva ouverte à l'angle de la rivière. Au moyen de nouvelles pièces disposées exprès, l'ennemi canonna plus vigoureusement à partir du 12 : cette fois il en résulta en tout cinquante pas de brèche. Heureusement cet accident avait été prévu ; il s'élevait en arrière un grand rempart de bonne terre, plus une traverse. Aux deux encoignures de la porte Champenoise deux gros massifs de terre servaient d'épaules à cette porte et de flanc à la fausse braye, lesdits massifs offrant un passage souterrain qui conduisait à la ville, en sorte que, communiquant de la sorte, on possédait toujours chemin à secourir nos fausses brayes. Deux canonnières, ou embrasures, difficiles à défaire, avaient en outre été disposées dans l'allée du boulevard, afin de contrebattre les fossés, le long des brèches et jusqu'à la tour d'Enfer : une deuxième issue secrète permettait de jeter des fantassins dans le fossé, et l'on n'oubliait nullement de travailler aux contre-mines. Certes ces divers travaux improvisés et surajoutés n'étaient pas extrêmement solides ; leur ruine pouvait survenir prochainement ; en attendant on y mettait constamment la main.

Le 13, les Impériaux reprirent leur tir à la grande brèche et achevèrent de faire tomber la tour des Vassieux, partie à deux heures de l'après-midi, partie à trois heures du matin. Sur ce point la brèche atteignit près de 90 pas de long, d'un seul tenant. Le capitaine Favars fut alors tué sur le rempart d'une arquebusade.

Le 14, journée pluvieuse, Birou sortit par Pontiffroy avec 50 chevaux et envoya battre le chemin des vivres ; il ramena en effet quelque butin, des charretées de vin et des chevaux.

On sut le lendemain, par un prisonnier, que les Impériaux pensaient atteindre déjà, par leurs mines, à 50 toises dans la ville.

Une sortie dirigée par le capitaine La Faye se termina mal : lui et Vitry, en voulant trop attirer l'avant-garde d'Albert de Brandebourg, restèrent prisonniers. Mais en noème temps une autre sortie, commandée par le seigneur de Rendan, et qui avait débouché par le Pontiffroy, ramena des chevaux et des prisonniers.

La nuit, plusieurs Allemands vinrent au pont des Morts, afin d'en abattre le parapet : ce parapet couvrait en effet le ravelin d'où s'échappaient nos sorties. En même temps l'ennemi voulait rompre une arche de ce pont, précaution que nous eussions déjà dû adopter afin de leur interdire de ce côté tout accès vers la porte de la ville ; si nous n'avions pas accompli la rupture de ce pont, c'est que notre situation en ce siège était souvent offensive, en ce sens que nous quittions souvent la ville pour nous rendre au devant des assiégeants, les reconnaître, nuire à leurs travaux. Cette fois leur tentative échoua.

Depuis le 12 l'ennemi tirait par heure une douzaine de coups sur des buts différents, mais cela n'empêchait les assiégés de cheminer et de se montrer partout où besoin était, soit pour arquebuser, soit pour porter de la terre : plusieurs furent atteints de la sorte et succombèrent, quoique, pour les abriter, on eût placé des pavesades et des mantelets au coin des brèches et sur les flancs.

Le 16, l'ennemi, continuant ses tranchées et son tir, augmenta la brèche de 18 pas et renversa la tour des Charpentiers, laquelle tomba en grande partie sur elle-même, au lieu de remplir le fossé, de faire pont pour l'assiégeant. Un gentilhomme italien étant venu se rendre, annonça que les mines des Impériaux avançaient beaucoup et que l'on en croyait plusieurs prêtes à partir ; il est vrai que Saint-Rémy se hâtait pour aller au-devant de ces travailleurs souterrains, et leur préparait une fricassée.

Le 18 décembre Navailles, accompagné de 30 chevaux, s'avança jusqu'au camp d'Albert de Brandebourg et attira un gros d'Allemands vers le pont des Morts, où nos arquebusiers embusqués les reçurent avec un feu nourri. Le lendemain escarmouche semblable, par tin détachement sorti de Pontiffroy contre des fourrageurs ; leur fourrage fut brûlé, et nombre de chevaux eurent les jarrets coupés.

Le 22, le tir ayant cessé et la tour d'Enfer menaçant ruine, le duc de Guise tint conseil pour faire sauver cette tour, au moins dans sa partie basse. On remédia, tant qu'il fut possible, au danger par des massifs de terre et par des étançons, surtout en veillant à toutes les mesures capables d'enrayer les progrès de l'adversaire et de l'empêcher de s'installer commodément au milieu du fouillis enchevêtré des débris.

Le 23, une sortie entreprise par le vidame de Chartres rencontra plus grosse résistance, et il s'ensuivit un combat, chaque parti recevant successivement du renfort : l'ennemi fut attiré entre les deux ponts et là souffrit de notre tir, au point de laisser sur la place une cinquantaine d'hommes. De notre côté le capitaine reçut 3 blessures dont il guérit. On ramena de cette échauffourée un troupeau de vaches et de moutons, prise excellente car la viande fraîche commençait à manquer dans Metz et plusieurs de nos soldats, dit Bertrand de Salignac, se prenoyent aux chenaulx, c'est-à-dire les mangeaient.

Bref et sans vouloir entrer dans le détail de toutes les sorties, car il s'en fit par les autres portes comme par celles de Pontiffroy et des Morts, nous dirons que le duc de Guise recourut aux divers moyens qui se présentèrent de nuire à l'adversaire, donnant avec soin ses instructions à chacun.

Le lendemain de Noël, qui était le 45e jour depuis l'ouverture du tir, l'Empereur ne se trouvait guère avancé dans son œuvre, car les brèches malaisées, remparées, restaient redoutables comme abords. La mortalité diminuait ses troupes. Ce souverain prit le parti de commencer sa retraite et envoya, de l'autre côté de la Moselle, plusieurs pièces d'artillerie. On ne put deviner dans la ville pourquoi le transport s'effectuait ; de fait il y eut encore d'importantes sorties. Le siège ne fut définitivement levé que quelques jours plus tard.

Le marchis (marquis) Albert, rapporte François de Rabutin[35], estoit demeuré le dernier à partir pour servir d'escorte d'arrière-garde, et pense que depuis il ne fust sans s'en repentir ; car sitost que M. de Guyse sceut qu'il gardoit la queue du loup chercha tous les moyens pour le festoyer, luy donnant tant d'allarmes sans cesse qu'à peine pouvoit avoir heure de repos. En effet on mit à ses trousses, vu les longues fatigues de la garnison qui ne put à ce sujet fournir que peu de monde, M. de Nevers et le maréchal de Saint-André, ce dernier accouru de Verdun : après deux jours de lutte, il fallut que ce dernier corps dès Impériaux quittât les alentours de Metz, et il le fit en prenant la direction de Trèves. Les Français les poursuivirent encore, mais avec une certaine compassion pour leurs misères[36], car ces fugitifs souffraient de faim et de froid ; il n'y eut que leur chef dont ils eussent voulu s'emparer.

Le 15 janvier eut lieu dans la cité délivrée une procession d'actions dé grâces, à laquelle assista le duc de Guise accompagné des princes, seigneurs et gens de guerre[37]. De fait Metz restait à la France ; avec cette cité et les Trois Évêchés, nous gardions la libre communication avec l'Allemagne, la route désormais ouverte de l'Alsace, du Luxembourg ; la province française la plus exposée était en outre couverte par trois solides boulevards, par Verdun, par Metz, par Toul. Devant ces résultats, la mémoire de l'Électeur Maurice de Saxe a été violemment attaquée, et il lui a été reproché d'avoir trop aidé la France[38].

On le voit, la défense de Metz fut successive et pied à pied : le duc de Guise eut pour but de la prolonger le plus possible, et enfin, une fois l'assaut donné, de repousser vigoureusement cet assaut : comme il disposait de vivres pour un an, les opérations du siège pouvaient durer autant de la part des assiégeants, venus trop tard et opérant en plein hiver dans un pays froid. Les mauvaises conditions où se trouvait l'armée impériale, jointes aux approvisionnements réalisés à temps par les assiégés, ces bonnes mesures défensives prises, et la présence dans Metz de l'élite des seigneurs français accourus pour combattre sous un chef aimé, telles furent les causes principales de la réussite des Français ; en revanche, la fortune se montrera pour eux très contraire dans la campagne de 1557, au nord de la France, sous un chef malheureux ou inhabile il est vrai, le connétable.

L'année suivante M. de Vieilleville fut nommé gouverneur de Metz[39] avec mission de dominer la contrée jusqu'à Thionville et jusqu'à Pont-à-Mousson[40]. Ce commandant était à la fois exempt de fanatisme et résolu[41] : il rétablit la discipline dans l'armée française, puis réprima un complot tramé par les cordeliers pour livrer la ville à l'un des gouverneurs espagnols voisins[42], faisant pendre 14 moines qui avaient trempé dans ce projet de trahison. A la suite de cet événement, il parut pencher en faveur de la religion réformée ou du moins en fut accusé[43]. De fait l'évêque[44] se démit, fut remplacé par l'ancien précepteur du cardinal de Lorraine ; le nouveau prélat[45] céda au roi de France les droits souverains qu'il pouvait exercer dans Metz[46].

Thionville fut assiégée et prise en 1558 : le traité de Cateau-Cambrésis la rendit à l'Espagne[47].

 

 

 



[1] Robertson, au livre X de son Histoire de Charles Quint, caractérise cet acte de frauduleux stratagème, mais, il resterait à examiner si pareil stratagème est permis à la guerre, et je ne sache pas que Metz soit la seule cité dont on ait ainsi pris possession. Comment donc Hernantello s'empara-t-il d'Amiens en 1597 ? Dans son livre sur les Saulx-Tavanes, 1876, M. Pingaud dit : Metz fut surpris par une ruse de guerre dont les habitants étaient complices pour la plupart, p. 44.

[2] Accroissement des armées permanentes par le général Brialmont, in-1 8, Bruxelles, chez Muquardt, 1876, p. 6 et 62.

[3] M. Alexandre Henne cite à ce sujet le refus des habitants d'Echternach de recevoir garnison impériale, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. IX, 1859, p. 300.

[4] Charles-Quint mangeait beaucoup trop : Ce grand homme, a dit M. Mignet, ce grand homme, qui savait commander à ses passions, ne savait pas contenir ses appétits. Cet auteur cite un repas où ce prince malade mangeait bœuf bouilli, mouton rôti, levraut cuit au four, chapon apprêté et buvait au moins quatre litres de vin du Rhin. Reportez-vous à l'ouvrage : Charles-Quint, son abdication, sa mort, in-18, 6e édition, 1863, p. 53.

[5] Siège de Metz  par l'empereur Charles-Quint en 1552, par Bertrand de Savignac, au début. Edition donnée en 1856 à Metz, chez Rousseau-Pallez, par M. Chahut, in-4°, p. 5.

[6] Leur mestre de camp s'appelait Favars ; il fut tué el remplacé par Glenay. Sur le grand nombre des mestres de camp qui surgirent pendant les guerres de religion, lisez Histoire de la milice française, par le P. Daniel, 1721, t. II, p. 355.

[7] On désobéissait pourtant parfois, puisque, pour empêcher les sorties improvisées et comme telles dangereuses, le duc de Guise fut obligé non seulement de prescrire la fermeture des portes, mais d'en cacher les clefs, détail naïf rapporté par Robertson au livre X de son Histoire de Charles-Quint. Détail analogue lors de la sortie du 19 novembre contre le camp d'Albert de Brandebourg : le capitaine de Faye ne peut trouver les clefs au Pontiffroy et revient au pont des Morts : voyez à cette date le Journal du siège, par Bertrand de Salignac.

[8] Sur le sieur de Saint-Rémy, gentilhomme provençal, lisez les Mémoires de Vieilleville, ceux de Coligny (1565), et reportez-vous ci-après à notre chapitre sur le siège de Saint-Quentin en 1557. Cet ingénieur sut amasser pour repousser l'assaut des pots, lances à feu, cercles, tortil, chausse-trapes, grenades et toutes sortes de feux artificiels. Guerres sur la Gaule Belgique, par Rabutin, fin du livre IV. Camille Marin, Léon Strozzi et le seigneur de Gonnor doivent également être cités parmi les ingénieurs employés à la défense de Metz.

[9] Ce Pierre Strozzi, l'aîné de cette famille, devint maréchal de France en 1556. Son frère Léon, général des galères de France, cité dans la note précédente comme ingénieur, d'après Bertrand de Salignac, sera tué en 1554. Quant à Philippe Strozzi, fils du maréchal, c'est lui qui fut envoyé pour soutenir le prieur de Crato et fut battu, puis jeté à la mer à la bataille des Açores. Reportez-vous à notre Histoire de Henri III, p. 118. Brantôme consacre deux articles à Pierre Strozzi, l'un comme colonel général de l'infanterie française, l'antre comme colonel général des bandes du Piémont. Il le faut avouer, dit-il, comme naturel françois, quoique natif florentin, pour la fidèle loyauté qu'il a portée à la France et les bons services qu'il a faicts, aussi qu'il y estoit du tout habitué.

[10]... Ayant subjugué ceste première et principale forteresse où estoit la fleur des soldats François, il se promettoit aisément venir à bout des moindres. Commentaires des dernières guerres en la Gaule Belgique, par François de Rabutin, livre IV.

[11] Voici le texte exact de Bertrand de Salignac : Et feit lors M. de Guyse asseurer et habiller les voultes de plusieurs églises en plates-formes, armées de balles de laine, qui seroyent cauallier aux môtaignes pour y mettre de l'artillerie, et battre au loing, à l'aduenue des ennemis. Ce chroniqueur devint plus tard ambassadeur en Angleterre ; sa correspondance en cette qualité a été publiée.

[12] Ceux-ci travaillaient à la terre de 4 à 6 heures par jour.

[13] Histoire de France depuis l'an 1550 (par La Popelinière), in-12, 1582, t. I, folio 86 au verso.

[14] Mémoires de Vieilleville, livre V, chap. 5. On attaque aujourd'hui l'exactitude de ces Mémoires, mais c'est surtout en ce qui concerne la prise par la France des Trois Évêchés, et leur administration par Vieilleville ; reportez-vous à ce sujet à la page 227 de Metz et Thionville, par Ch. Rahlenbeck, in-8°, Bruxelles, 1880, chez Weissenbruch.

[15] Nous n'entendons pas dire qu'un partage analogue de l'enceinte entre les divers chefs des défenseurs n'eut jamais été fait, mais dans les récits de guerre du demi-siècle qui suivit, la défense de Metz effaça plus d'un précédent siège.

[16] Il avait été rompu afin que l'ennemi ne put s'en servir.

[17] Le 19 décembre 1562 : reportez-vous à mon Histoire de Charles IX, p. 146.

[18] Ceux qui cherchaient à combattre seuls dans les vignes y gagnaient un coup d'arquebuse dans la tête et n'en revenaient guère.

[19] Metz comptait en tout sept portes.

[20] A Verdun, forteresse sise à 2 étapes de distance de Metz (dont une fort longue, celle de Mars-la-Tour à Verdun), le bruit courait dès octobre que le duc d'Albe avait mis vers la porte Saint-Thibaut trente pièces en batterie contre Metz.

[21] Le corps d'armée d'Albert de Brandebourg était un ramassis de soldats de toutes nationalités (sauf la française), suivant l'usage de ce temps ; néanmoins on peut le désigner d'après le nom de son chef. Plus d'un historien assure que ce corps agit et dévasta souvent comme une bande d'incendiaires et de voleurs.

[22] Prise dans les jardins de la ville.

[23] En les mettant hors d'état de rien noter ayant trait aux fortifications.

[24] D'autant qu'en grand nombre dans Metz, ils y fussent devenus un danger en cas de réussite d'un assaut et d'une guerre de rues.

[25] Le tir des canons ennemis fut bien dirigé par Jean Manrique, maitre de l'artillerie impériale.

[26] 630 coups par jour au lieu de 900.

[27] N'oublions pas que cette tour d'Enfer occupait la droite de la brèche, vue de l'intérieur de la ville, et la gauche de cette brèche regardée du côté des assiégeants.

[28] Le siège étant vu et jugé par les assiégeants, comme le dit la note de la page précédente, nous ne répéterons plus cette observation.

[29] Bertrand de Salignac donne ces chiffres à la p. 63 de l'édition Chabert de son Journal ; mais la critique historique doit relever que le chiffre des mulets, juste égal à celui des prisonniers, semble indiquer des chiffres de convention.

[30] Le duc de Guise venait d'y regarder : ces balles de laine formaient un créneau derrière lequel ordinairement on était assez bien garanti, pour voir ou pour tirer.

[31] Usées intérieurement par le vent et les à-coups des boulets.

[32] Ce fut une démonstration plus qu'une tentative d'assaut. M. Charles Robert, qui s'est récemment occupé des guerres de ce règne, dit formellement : L'assaut ne fut pas donné. Voyez p. 21 des Événements militaires accomplis sous le règne de Henri II, in-8°, Paris, 1876, chez Dumoulin.

[33] Alba Pompeia : consultez ci-après notre chap. II, et Mémoires de Boyvin du Villars, fin du livre III.

[34] Courteaux, chevaux de service, par opposition aux chevaux de combat, aux grands chevaux.

[35] Guerres en la Gaule Belgique, fin du livre IV.

[36] De même qu'Ambroise (Paré) avait soigné dans Metz plus d'un blessé ennemi.

[37] MM. d'Enghien, de Condé, de Montpensier, de la Roche-sur-Yon, de Nemours.

[38] Lisez la brochure de M. Ernest Schlomka, Kurfürst Moritz und Heinrich II von Frankreich, Halle, chez Max Niemeyer, 1884, p. 44. M. Rahlenbeck, en son ouvrage déjà cité : Metz et Thionville sous Charles-Quint, Bruxelles, 1880, plaide en sa faveur : Maurice de Saxe, dit-il p. 176, peut fort bien avoir trahi l'empereur Charles-Quint, sans avoir trahi l'Allemagne. L'auteur veut dire que l'Electeur visa avant tout à sauver la foi de Luther et à écarter du trône impérial le futur et sombre Philippe II, p. 177. De là le traité secret de Chambord entre la France et lui, traité daté du mois de janvier 1552, et qui avait été précédé d'un autre remontant au 5 octobre 1551.

[39] Voyez, pour sa conduite à Metz, ses Mémoires par Vincent Carloix, livre V, chap. 30 et suivants, le livre VI et le début du livre VII.

[40] François de Rabutin écrit Pont-Camousson.

[41] On se rappelle le discours de la cour : Chasteigneraye, Vieilleville et Bourdillon sont les trois hardys compagnons.

[42] Celui de Luxembourg. Précédemment ce dernier gouverneur avait gagné et corrompu trois de nos soldats.

[43] Brantôme, fin de la Vie de Vieilleville.

[44] Robert de Lenoncourt.

[45] De Beaucaire de Peguillon.

[46] Etude sur l'histoire du protestantisme à Metz, par M. Maurice Thirion, in-8°, Nancy, 1884, p. 113.

[47] Reprise en 1643 par Condé, elle nous fut laissée par le traité des Pyrénées.