HISTOIRE DE HENRI II

 

CHAPITRE IV.

 

 

LE CONCILE DE BOLOGNE

 

Si le Pape commit une faute en transférant le Concile à Bologne, il se vit condamné par les événements à le ramener à Trente ; ce fut une seconde faute, la translation une fois effectuée ; seulement cette dernière faute fut forcée.

La première faute ne fut pas ordonnée, dictée par lui ; les prélats qui gouvernaient la réunion de Trente, croyant faire pour le mieux, agirent d'eux-mêmes et firent prononcer la translation par les Pères du Concile[1], en sorte que, à la première nouvelle, il fut surpris de leur décision[2]. Toutefois il eut soin de cacher sa surprise et les conséquences fâcheuses que cet acte pouvait amener, car sa mort et une élection eussent apporté alors un mauvais contingent ; il fit d'autant mieux que l'opinion publique en Italie se prononçait en faveur de la translation adoptée le 11 mars 1547 et commencée le 12, au bruit de le joie de l'évêque de Scio, qui s'était écrié dès le vote : Nous évitons la servitude d'Égypte et allons en la terre promise de Bologne. Pourtant Charles-Quint, qui avait espéré faire du Concile de Trente une machine d'influence en faveur de son gouvernement d'Allemagne, se montrait irrité, et, en congédiant le nonce, déclarait qu'il savait combien le souverain pontife, un vieil entêté, disait-il, désirait retirer le Concile de Trente, qu'il croyait aux actes plus qu'aux paroles et que le Pape trompait, tantôt en se disant supérieur au Concile, tantôt en se soumettant à ses volontés.

Quinze évêques, la plupart Espagnols[3], restèrent à Trente ; par ordre de l'Empereur, une trentaine vint à Bologne ; ces derniers étaient Italiens. En vain le Saint-Père promit de payer les frais de voyage des évêques pauvres qui viendraient en cette dernière ville, en vain le Concile de Bologne invita les retardataires à venir le rejoindre, ceux-ci ne bougèrent et Bologne ne vit accourir dans ses murs qu'un seul nouveau prélat, Galeas Florimont, évêque d'Aquila.

Les congrégations qui se tinrent à Bologne eurent pour but de maintenir la validité de la translation, dont le décret fut lu en grande cérémonie dans la session du 21 avril 1547. Une session fut indiquée pour le 2 juin avec invitation aux prélats absents de se rendre à Bologne, et cette invitation déclara imprudemment combien leur absence scandalisait le peuple chrétien. Il ne fut pas répondu à ce dur appel ; l'Empereur était alors en Saxe.

François r mourut avant d'avoir apprécié la translation du Concile ; Henri II reconnut le Concile de Bologne, et y accrédita Claude d'Urfé déjà son représentant près du Concile de Trente. Cet ambassadeur faisait son entrée à Bologne le 9 septembre, entouré d'une douzaine de prélats français ; d'après ses instructions, il ne devait sacrifier aucun des privilèges de l'Église gallicane.

Le lendemain le duc de Parme Pierre Louis, était assassiné à Plaisance et la ville livrée à Ferdinand de Gonzague, gouverneur du Milanais. Cet acte de cruauté jeta plus encore Paul III, pour le désir de venger son fils, dans les bras de la France ; le Saint-Père y fut incité surtout par le jeune cardinal de Lorraine, accouru par ordre de Henri II et qui le poussa à conclure une ligue italo-française ayant pour but de chasser les Impériaux de la terre classique de l'Italie. Le Pape promit d'ôter Parme à Octave Farnèse, fils aîné de Pierre Louis, pour donner ce duché à son autre petit-fils, le duc de Castres, qui allait épouser la fille naturelle de Henri II, Diane de Valois.

Mais Charles-Quint avait ressaisi la victoire[4] ; il réunit le 1er septembre les États de l'Empire, en vue de la pacification religieuse, et les princes ecclésiastiques, à la suite de cette diète, écrivirent au Pape qu'on pacifierait sous ce rapport l'Allemagne sans lui, au moyen de réformes, s'il se refusait à le faire. Et pour conclusion ils demandaient que le Concile fut replacé dans la ville de Trente.

En même temps les électeurs et les princes promettaient de se soumettre aux décisions d'un Concile ; l'Empereur garantissait aux membres de ce Concile, quelle que fût leur religion, pleine liberté de s'y rendre et d'y discuter C'était l'alliance en Allemagne du parti catholique et du parti protestant, c'était un Concile qui ne reconnaîtrait point au besoin l'autorité papale et se réunirait sans l'aveu de Paul III : deux circonstances qui causaient dans les pays allemands une certaine satisfaction. Le cardinal Madruzzo quitta le 5 novembre Augsbourg afin d'aller notifier cette situation au Saint-Père ; il avait reçu pour instruction au cas où le concile ne serait pas replacé à Trente de protester de la part de l'Empereur en présence de tous les cardinaux et de tous les ambassadeurs. Cet envoyé traversa Bologne et pénétra dans la Ville Eternelle le 17. Admis dans le Consistoire le 9 décembre, il obtint pour réponse qu'il fallait un vote libre des Pères du Concile pour le retour à Trente : don Diego Mendoza, venant à son aide, somma Paul III de prescrire ledit retour, et reçut à son tour l'assertion que les Pères réunis il Bologne, en décideraient ; de fait le Pape prescrivit que la demande formulée par l'Empereur fût examinée.

Le cardinal légat, c'était le cardinal del Monte, obéit non sans inquiétude, tant les mauvaises intentions et la tyrannie du puissant Empereur à l'égard du Concile étaient connues ; il lut, le 19 décembre, en congrégation générale et par-devant l'ambassade française, une déclaration des conditions auxquelles le Concile pourrait rentrer à Trente, et qui se résumaient ainsi : Ne pas revenir sur le décret de la justification, pure affaire de dogme ; le Concile chrétien, accepté par les protestants, serait uniquement composé d'évêques ; il agirait avec une entière liberté, et les Pères demeurés à Trente viendraient au préalable à Bologne, afin de reconnaître la validité de la translation. Les propositions de del Monte, une fois votées, furent transmises à Rome, et y remises à Mendoza. Le Saint-Père avouait que la translation avait eu lieu sans son ordre formel, mais à cause de l'épidémie et maintenait qu'elle devait être respectée.

Charles-Quint faisait rechercher un modus vivendi, afin de gagner du temps, tout en empêchant ce qu'il appelait l'Assemblée de Bologne de se constituer en Concile. Avant de faire ouvrir à nouveau les discussions théologiques entre les théologiens des deux croyances, il expédia deux représentants, François Vargas et Martin Soria Velasco, lesquels demandèrent le 16 janvier 1548 d'être introduits. La majorité s'en remit à la décision du président et Monte leur accorda l'autorisation d'entrer. Aussitôt ils remirent la procuration de leur souverain, qui protestait contre une assemblée d'évêques réunis à Bologne et laquelle se disait Concile, puis demandèrent l'introduction de leurs notaires[5] et de témoins. Il fut décidé qu'on entendrait les deux envoyés impériaux le surlendemain. Sur leur insistance on finit, un peu de force, par les admettre avec leurs notaires et leurs témoins. Vargas lut alors la protestation impériale qu'on peut résumer ainsi : Retournez à Trente ou je déclare nulle la translation et nul chacun des actes qui a suivi. Le cardinal del Monte riposta vivement à cette attaque : toutefois, dans le procès-verbal, son discours fut fort adouci et une réponse officielle fut libellée par une commission.

Don Diego Mendoza fit de même à Rome et y lut, dans le Consistoire du '22 janvier 1548, une protestation à peu près semblable, y dénommant avec pompe l'Empereur tuteur et protecteur des Conciles, et avançant qu'il agissait du consentement de la chrétienté : il invita ensuite les notaires à dresser acte de sa protestation. On le laissa se retirer sans lui adresser la parole. Le Pape, qui était présent, paraissait rempli de tristesse et d'inquiétude. Les cardinaux Monte et Cervini l'engagèrent à suspendre le Concile, mais les autres cardinaux, réunis à Rome, furent d'avis de considérer la protestation lue uniquement comme dirigée contre le président et les Pères assemblés à Bologne, nullement contre le Saint-Siège. Mendoza fut convoqué par le Consistoire du 1er février ; il y vint non comme ambassadeur civil, mais par simple courtoisie. Là en sa présence, on lut l'apologie de la conduite du Saint-Père et le secrétaire lecteur termina en annonçant que Paul III admettait la protestation impériale sous les réserves de droit, et chargeait quatre cardinaux de nations différentes[6] de procéder à une enquête sur la translation, évoquant ainsi la cause à son tribunal ; de plus tout évêque siégeant, soit à Bologne, soit à Trente, devait, dans le délai d'un mois, envoyer à Rome des députés afin d'y expliquer les raisons de sa manière d'agir. Le Pape promettait aussi d'envoyer, avant la décision qui interviendrait, des nonces en Allemagne afin de procéder aux réformes demandées et de ramener les dévoyés dans le sein de l'Église. Aussitôt Mendoza renouvela sa protestation, et le secrétaire papal maintint une dernière fois les droits du souverain pontife.

Paul Ill demanda à Bologne la procédure de la translation et tout ce qui s'y rattachait, reprochant tardivement cet acte à ceux qui l'avaient commis, et avaient gardé le silence à son égard, surtout au cardinal Pacheco. C'était déjà juger la question, et cela à un point tel que l'évêque de Frésole, dans la séance du 26 février, opina sur le retour à Trente et préféra ainsi ce moyen extrême au procédé plus naturel de tenter la justification de la translation. Il fui émis des avis de toute sorte. Deux évêques français, ceux de Noyon et d'Avranches, déclarèrent que le Concile ne pouvait se justifier par-devant le Saint-Père, car, le faire, c'était reconnaître la supériorité de ce dernier, ce qu'ils ne pouvaient admettre. L'évêque portugais de Porto voulait bien que (les envoyés partissent pour [tome, mais dans le but de travailler à la réforme, non de la justifier. Ces trois évêques, censurés par le président, ne parurent pas à la prochaine séance. L'assemblée décida qu'on se justifierait et députa six prélats dans ce but. Introduits dans le Consistoire du 22 mars, ils remirent les pièces de la translation à Paul III qui en commit l'examen à un comité de cardinaux. Voilà pour les Pères de Bologne : ceux demeurés à Trente refusèrent de se présenter à Rome — l'Empereur l'avait exigé —, mais envoyèrent au Pape une lettre plus respectueuse et plus soumise.

La situation se détendait : c'est que les deux puissances en présence, la Papauté et l'Empire, avaient besoin l'une de l'autre. La première voyait l'alliance italo-française prendre peu de corps et ne voulait pas rester seule exposée aux coups de Charles-Quint, tandis que ce dernier devait ménager le Pape afin d'en obtenir la sanction des règlements religieux, dont l'examen allait être entamé par la diète d'Augsbourg. Ce qui prouve que l'empereur entendait rester catholique par ses actes, c'est la singulière mesure de l'intérim à laquelle il recourut ; cet édit, promulgué le 5 mai et composé de 26 articles rédigés par la diète, était un symbole de foi provisoire destiné à maintenir, jusqu'à la publication d'un autre symbole mis au jour par le Concile, tous les Allemands sous un même joug, sous une même croyance, du moins en apparence. Il fallut toutefois en restreindre l'application aux lieux où le protestantisme existait : mal vu d'ailleurs, sauf par les personnages officiels, dans les rangs protestants comme dans les rangs catholiques, cet intérim prouvait mieux que toute autre mesure, l'indispensabilité d'un Concile : Paul III le blâma ; mais, sentant ses forces décliner, ce vieillard de 92 ans voulut moins que jamais rompre avec l'Empereur ; aussi envoya-t-il en Allemagne trois évêques avec mission de régler les points disciplinaires traités dans l'intérim.

La communion sous les deux espèces réclamée, tout au moins souhaitée par Charles-Quint, comme elle le sera plus tard en France, à la suite de certains colloques, n'était tolérée par la Papauté que pour les laïques croyants, fervents, et quant aux prêtres mariés, celle-ci ne les conservait que s'ils se séparaient de leurs femmes. Ces divergences constituèrent une première difficulté. Le parti français se renouait grâce au cardinal Hippolyte d'Este. Enfin Parme et Plaisance, d'après l'Empereur, devaient faire retour à l'Empire.

Abreuvé de dégoûts, Paul III adoptait le parti de dissoudre l'assemblée de Bologne et d'opérer lui-même les améliorations demandées avec l'aide de la congrégation de réforme. Le 18 septembre il sommait ladite assemblée de députer vers lui quatre de ses membres. Il ne fut pas obéi. Une autre désobéissance contrista son cœur : comme il voulut transférer le duché de Parme d'Octave Farnèse à Horace Farnèse, c'est-à-dire d'un partisan de l'Empire à un partisan de la France, les deux princes se disputèrent violemment, et le premier implora l'assistance de Ferdinand de Gonzague, offrant de tenir Parme à titre de fief impérial : alors Paul III prit possession du duché au nom du Saint-Siège. Après cette dernière tergiversation, il mourut (10 décembre 1549) : son règne avait duré quinze ans.

Elu le 7 février 1550, Monte[7] lui succéda sous le nom de Jules III : On aimait en lui, dit Fra Paolo Sarpi, son naturel libre, éloigné de l'hypocrisie et de la dissimulation, avec une certaine ouverture envers ceux qui l'approchaient.

L'Empereur lui envoya Louis d'Avila chargé de le féliciter sur son exaltation et de le prier de remettre le Concile à Trente. Le nouveau Pape répondit d'une façon affectueuse, sans se prononcer relativement au Concile ; à ce sujet il ne promit rien non plus au cardinal de Guise. Voulait-il s'adonner à ses goûts littéraires, et au penchant qu'on lui attribuait pour une vie molle et oisive ? Toujours est-il qu'il donna l'autorité de cardinal neveu à un indigne favori âgé de 17 ans, adopté par son frère aîné et qui jusqu'alors était simple prévôt d'un de ses bénéfices : on surnomma ce favori le cardinal de la Singesse[8].

Bientôt Jules III promit à Charles-Quint le retour à Trente et même plus en avant en Allemagne, si cela semblait nécessaire, mais sous condition que cette assemblée ne tenterait rien contre le Saint-Siège : le souverain des Allemands répondit qu'il voulait que le Saint-Père pût agir en bon pape comme lui en bon empereur. Evidemment devenu souverain pontife, Jules III jugeait qu'il pouvait agir autrement que quand il était cardinal, et de la sorte il se rangeait à l'avis d'un grand nombre de princes : toutefois il avait consulté le Concile qui avait répondu qu'il fallait avant tout le continuer, et, s'il fallait pour contenter l'Allemagne revenir à Trente, le faire en s'en attribuant le mérite auprès de l'Empereur. S'étant exprimé dans ce sens auprès de Charles-Quint, le Saint-Père prévint de sa décision le cardinal de Ferrare et l'ambassadeur de France ; puis il dépêcha un courrier vers Henri II, promettant à ce monarque l'arrivée d'un nonce qui lui exposerait mieux et plus au long ses raisons.

L'important consistait à faire adopter au roi de France la résidence de Trente fixée à nouveau pour le Concile, et aussi, de la part de l'Empereur, empêcher les protestants de revenir sur les points de foi décidés, le Pape — il le déclara malgré l'un de ses conseillers — entendant qu'il lui appartenait non seulement de convoquer, mais de gouverner les Conciles[9]. Charles-Quint n'accepta cette manière de voir que parce que le Saint-Père, en sa bulle, parlait, s'adressait à toutes les nations de la terre, et alors devait le faire dans la forme ordinaire. Chacun exprimant ainsi ses réserves plus ou moins explicites, le Concile fut convoqué à Trente pour le 1er mai 1531.

 

 

 



[1] Il y eut pour la translation 35 évêques et 3 généraux, et contre le cardinal Paceco et 17 prélats.

[2] Paolo, à la fin du livre II de son Histoire du Concile de Trente, prétend que personne ne fut assez simple pour croire que les légats, chefs du Concile, eussent agi et fait prononcer la translation sans être d'accord avec le Saint-Père, et même sans son ordre. On avait, rappelons-le, invoqué pour justifier le transfèrement, l'apparition à Trente de la fièvre maligne dite le pourpre.

[3] Michel Sarazin, archevêque de Matère, au royaume de Naples, fut le seul des sujets de Charles-Quint qui se prononça pour la translation.

[4] Dans la guerre de 1546 et 1547, sur laquelle on doit à don Louis d'Avila, témoin oculaire, un Commentaire estimé dont la première traduction française par Mathieu Vaulchies, héraut d'armes de l'Empereur, date de 1550, petit in-12, Anvers, chez Nicolas Torcy, avec plans.

[5] Le Concile en avait un à demeure.

[6] Le cardinal du Bellay, Français ; le cardinal de Burgos, Espagnol ; le cardinal Crescenzio, Allemand ; et le cardinal Pole, Italien : ce dernier était l'auteur du mémoire justificatif lu par son secrétaire, l'évêque de Foligno, de son nom Biagio Palladio.

[7] Jean-Marie Giocchi, cardinal de (ou del) Monte : il avait pris ce dernier nom du village Monte San-Savino en Toscane, d'où sa famille était originaire. C'est à lui que le cardinal Reginald Pole adresse son écrit De Concilio publié en 1562, dans le format in-16, avec son exposé De reformatione Angliæ. En février 1550 ce cardinal Pole toucha de près à la tiare, ayant obtenu 23 suffrages dans un premier scrutin contre Monte qui devint Jules III. Consultez sur son influence en Angleterre la Relation de Michel Suriano dans le volume Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, publié par M. Gachard, in-8°, Bruxelles, 1855, chez Hayez, p. 106 et 107.

[8] Consultez l'Histoire Universelle du sieur d'Aubigné, in-folio, Maillé, imprimé par Lean Moyssat, imprimeur dudit sieur, 1616, livre Ier, chap. II, t. I, p. 14.

[9] En d'autres termes, le Pape se plaçait, par cette assertion, au-dessus du Concile.