HISTOIRE DE FRANÇOIS II

 

CHAPITRE XIV. — CATHERINE DE MÉDICIS NE VEUT PAS SORTIR DES VOIES DE CONCILIATION : DÈS QU'ON PRESSENT LA MORT DU ROI, ELLE SE MÉNAGE LA RÉGENCE SOUS SON SUCCESSEUR.

 

 

Les États ouvriraient-ils du vivant de François II ? cela était douteux, ce prince ayant, outre sa faiblesse ordinaire, été atteint, le 16 novembre, de vives douleurs à la tête. Un abcès se forma derrière l'oreille et finit par aboutir dans la gorge ; la gangrène ne tarda pas à se manifester, et les médecins ne celèrent plus qu'il ne restait aucun espoir de conserver les jours du Roi. Dans les circonstances, un décès royal, un changement de règne imminent, modifiaient beaucoup la situation.

Cette situation était des plus tendues, car une déclaration contenant une profession de foi catholique[1] à souscrire sous peine du feu, non plus seulement par les personnages notables, mais par tous ceux auxquels elle serait présentée, venait de partir pour les diverses provinces[2], avec ordre d'arrêter les refusants. Évidemment les protestants allaient courir aux armes pour se défendre. La Reine-mère fut avertie à temps ; elle agit aussitôt, écrivit à plusieurs gouverneurs de province de maintenir l'autorité royale, en cas de mort du Roi, dans la main de ses vrais et légitimes successeurs, rappelant qu'elle était leur. mère, et dans toutes ses mesures déploya une telle supériorité, tandis que les Guises faiblissaient et devenaient au-dessous de leur rôle, que la victoire lui resta. Pour expliquer ce revirement, reprenons les choses d'un peu plus haut.

Si elle avait trempé dans le-complot ourdi pour attirer les aînés des Bourbons à la cour[3], si même elle laissait périr dans sa prison le vidame de Chartres, un de ses anciens favoris, prétend-on, et cela sans lui envoyer un médecin[4], néanmoins elle s'était souvent inclinée vers les vues modérées, et aimait assez les mesures de contrepoids qui équilibrent le pouvoir royal en ne donnant trop d'importance à aucun rouage. Déjà l'omnipotence des Guises lui avait causé de l'inquiétude, et le choix du nouveau chancelier, ainsi que la liberté de parole accordée aux notables de l'assemblée de Fontainebleau, montrent qu'elle voulait laisser toute opposition se produire contre eux. Ce fut bien autre chose quand on lui eut ouvert les yeux sur la nouvelle déclaration, et quand la duchesse de Montpensier lui eut dit : Débarrassés de MM. de Bourbon, les Guises n'auront plus que vous en face ; ce sera votre tour. Profitez de cet avis, et si la mort du Roi amène l'autorité entre vos mains, garantissez de leurs coups vous et vos enfants. Éclairée dès lors, sentant que c'était le moment de prendre une résolution, elle qui jusqu'alors avait fait bonne mine à l'un, donné espérance à l'autre, caressé chacun, même les protestants, n'ayant dans sa maison que des femmes protestantes pendant le temps de son union avec les Guises, devinant qu'une réaction pouvait détourner avantageusement le cours des esprits et sauver une situation compromise, elle revint aux mesures conciliatrices vers lesquelles, au milieu de ses doutes et de ses hésitations, elle avait souvent penché. Cette exécution de deux princes du sang, faite de sang-froid au milieu d'un pays en alarmes, l'effrayait. En vain les Guises, voyant le pouvoir leur échapper avec la vie du Roi, se présentèrent à elle sous le voile de la soumission, et lui promirent de la faire déclarer régente, mais en exigeant la mort de Condé et du roi de Navarre, elle les repoussa sans cacher son émotion, ne pouvant chasser de son esprit comment ils l'avaient traitée pendant le règne qui finissait[5]. Le chancelier, appelé par ses ordres, la confirma dans ces sentiments : La mort du roi de Navarre, lui dit-il, serait un abus d'autorité et le commencement de la guerre civile[6]. La parole grave et sensée de Michel de l'Hospital apaisa la Reine-mère et sécha ses larmes. L'initiative de la duchesse de Montpensier, protestant du désir des Bourbons de lui plaire, puis introduisant secrètement le roi de Navarre dans le cabinet de Catherine, précipita l'événement. Une alliance fut bientôt conclue ; la suite à donner au procès du prince de Condé fut ajournée ; le roi de Navarre reçut la promesse d'être fait lieutenant général du nouveau roi, ce qu'il estimoit à grand honneur, et dont il demeura bien satisfait, et aussi celle d'instances de la part de la France auprès de l'Espagne pour lui faire obtenir la restitution de la Navarre. La Reine-mère resta maîtresse et souveraine, tutrice future du nouveau roi, en un mot régente du royaume, et régente absolue ; car elle savait, d'après le caractère du roi de Navarre, le premier après elle, que ce prince lui obéirait en tout et n'aurait nul commandement que celui qu'elle lui permettrait[7]. La présence de sa belle-fille veuve ne l'embarrassait plus, et d'ailleurs elle était décidée à lui faire quitter la France, craignant qu'elle n'épousât Charles IX, qui en effet tomba bientôt après amoureux d'elle[8].

Est-il vrai, comme des historiens le rapportent, que cette entrevue de Catherine de Médicis et du roi de Navarre ait eu lieu auprès du lit du roi mourant ; que là François II ; docile jusqu'à la fin, aurait déclaré à Antoine de Bourbon que c'était lui qui avait fait emprisonner le prince de Condé, et qu'il ne fallait en garder rancune aux Guises ; puis que la Reine-mère l'aurait sommé à son tour d'embrasser ses cousins de Guise et de renoncer par écrit à la régence[9], même si les États généraux voulaient la lui octroyer ; et que le roi de Navarre, prévenu qu'il 'était mort s'il refusait, accepta ces conditions en échange du titre de lieutenant général du roi mineur ? La situation du premier prince du sang, par suite de la mort du Roi, valait mieux que cela, et ce ne serait pas à l'éloge de son courage et de son intelligence de s'être laissé ainsi intimider, après avoir eu précédemment un moment d'énergie.

En effet, François II ne comptait déjà plus comme un des puissants de ce monde, et ouvertement l'on agissait à l'encontre de l'autorité des Guises, qui 'avaient mis contre eux tous les grands personnages. Le connétable, par exemple, à la nouvelle de la maladie du Roi, s'était avancé vers Orléans, avec une escorte imposante, et en traversant Chantilly, Paris et Étampes, afin d'être prêt à entrer dans cette dernière ville, où les États généraux devaient se tenir, et d'y remplacer les gardes guisardes.

François II expira le 5 décembre, âgé de dix-sept ans, et après dix-sept mois de règne.

Aussitôt mort, il fut oublié ; les Guises eux-mêmes, ne voulant pas quitter le théâtre de la lutte, abandonnèrent ses restes, qui, petitement accompagnés, furent conduits de l'hôtel Groslot[10], et sans aucune pompe, à Saint-Denis. Bien plus, quand on signifia au prince de Condé qu'il était libre, et cela eut lieu aussitôt le décès, comme il ne voulait d'abord sortir[11] sans savoir par l'ordre de qui il avait été constitué prisonnier, chacun rejeta la faute des événements sur le pauvre roi défunt.

Pauvre roi en effet, qui n'eut pour lui ni la santé, ni la tranquillité, ni la mémoire d'un règne digne de souvenir ; son avènement fut un malheur public, son décès ne fut qu'un répit au milieu de nos dissensions. S'il devint l'époux de Marie Stuart, la femme la plus jolie, la plus aimable, la plus spirituelle de la cour de France, et ceignit la couronne sur un front que n'ombrageaient pas vingt ans, il paya cher ces moments de bonheur[12], en ne se trouvant pas au niveau de sa fortune et en devenant l'instrument des Guises et de leurs passions.

 

 

 



[1] Suivant les articles arrêtés par la Sorbonne en 1542.

[2] Le Recueil des anciennes lois et ordonnances françaises d'ISAMBERT (tome XIV, p. 51) cite le titre de cette déclaration, mais sans en donner le texte ni indiquer, comme il le fait ordinairement, le recueil où elle se trouve ; il la date d'Orléans, novembre 1560. D'après cette date, elle précédait les États généraux, tout en restant sans doute exigible des membres de ces États.

[3] Il n'est sorte de cajolerie qu'elle n'employa.

[4] Le vidame ne succomba en réalité que deux jours après François II ; il comptait trente-huit ans d'âge.

[5] C'est elle-même qui le dit dans une lettre à sa fille la reine d'Espagne. Négociations sous François II, p. 861.

[6] D'Aubigné prétend qu'il ajouta : Il est périlleux d'exécuter les rois, mesures avec cause légitime.

[7] Ce sont ses propres expressions. Voyez Lettre de la reine-mère à la reine catholique, 19 décembre 1560.

[8] On prétend que la haine de Catherine de Médicis contre sa belle-fille provenait de ce qu'elle avait surveillé plusieurs de ses démarches au profit des Guises, et de ce qu'un jour elle l'aurait traitée de marchande, par allusion à l'origine des Médicis.

[9] Regnier de la Planche assure qu'il se réconcilia avec les Guises, et dit formellement : Tant y a que trop aiséement il quitta à la roine-mère sa régence et lui en bailla sa signature. Adoncques ladicte dameon ne scait si ce fut sans rireluy promit à bouche qu'il seroit lieutenant du roy en France et conduiroit les affaires de la gueire et recevroit les paquets, puis les renvoyeroit tout après les avoir ouverts et veus, et que rien ne seroit ordonné, sinon par son advis et des autres princes du sang, qui seraient autrement respectés à l'advenir.

[10] Aujourd'hui l'hôtel de ville d'Orléans, sur la place de l'Estape.

[11] Il finit par se retirer dans les domaines que son frère possédait en Picardie.

[12] Avoir été reine de France fut aussi le seul bonheur de Marie Stuart.