HISTOIRE DE FRANÇOIS II

 

CHAPITRE X. — LES LUTTES INTESTINES.

 

 

Nous avons indiqué, chemin faisant, dans ce récit, les troubles divers qui ont attristé le royaume ; mais il semble utile, pour rendre plus claire et plus complète l'histoire du règne de François II, de reprendre à part ces tentatives armées, qui ont succédé à la conjuration d'Amboise, de montrer qu'elles constituent déjà la guerre, et cela malheureusement sur plusieurs points du territoire.

La division relative à ces luttes peut s'établir méthodiquement en six parties. Examinons d'abord les luttes du Dauphiné.

§ Ier. — Troubles du Dauphiné. — Lorsque François fit publier une amnistie[1], en mars 1560, les protestants du Dauphiné, déjà fort nombreux, la reçurent mal, disant qu'ils n'en avaient point besoin, n'ayant conspiré ni contre le Roi, ni contre l'État, mais réclamé seulement la liberté de conscience et pris les armes uniquement pour se défendre. Le duc de Guise, mécontent, envoya en mission, pour suppléer le gouverneur, Laurent de Maugiron, qui emmena avec lui un sien ami, nommé Vinai, homme corrompu qui lui servit d'espion : Ce renard, ainsi le nomme d'Aubigné[2], alla dans les assemblées de Valence contrefaire le Huguenot, et y prit tel crédit, en disant force vilenies des Papes, qu'il les sépara. Cette séparation obtenue, Maugiron marcha sur Valence ; bien reçu par les échevins et les prêtres de la ville, il trouva les religionnaires réfugié ; dans l'église des Cordeliers, sous les ordres de Mirabel. N'osant, malgré ses préparatifs, les attaquer, il parlementa avec eux, les engagea à mettre bas les armes, assurant qu'on n'inquiéterait personne sur l'exercice de sa religion, et, pour inspirer plus de confiance, déclama même contre le Pape, si nous en croyons de Thou ; les protestants se dispersèrent. Même scène à Montélimar. Mais, dans les deux villes, à peine cette dispersion opérée, les principaux points furent occupés militairement, le pillage et les violences commencèrent, deux ministres furent bâillonnés et exécutés, cinq autres protestants exécutés à Valence, et d'autres encore dans les villes voisines. On semblait vouloir accomplir à la lettre cette terrible recommandation royale : Pour vous faire entendre quelle est en cela mon intention, je ne désire rien de plus que de les exterminer du tout, et en couper si bien la racine que par cy après il n'en soyt nouvelles. A quoi je vous prye, y estant arrivé, faire si bonne diligence que vous les puissiez chastier comme ils méritent, sans avoir aucune pitié ni compassion d'eux, puisqu'ils n'ont voulu jouir de l'abolition que je leur avoys octroyée pour les fautes passées[3]. Enfin, Montluc, évêque de Valence, obtint du Roi, pour cette malheureuse contrée, une amnistie générale,

Ces razzias vivement menées, car on se passionnait de part et d'autre, ne calmèrent pas les religionnaires des autres provinces. Ceux de la Savoie s'agitèrent sous les ordres de Charles du Puy-Montbrun, déjà compromis pour avoir enlevé un prévôt de la maréchaussée envoyé à sa poursuite, et qui, après divers mouvements en France, exécuta contre le comtat Venaissin une expédition dont nous allons dire un mot.

Montbrun disposait déjà de trois cents combattants choisis, quand un docteur en droit du Comtat, nommé Alexandre Guillotin, vint le trouver au nom des protestants de ce comté, pour lui offrir le commandement de leurs troupes destinées à les soustraire à l'obéissance papale. Montbrun accepta, porta sa troupe à huit cents hommes, poussa vigoureusement les opérations. Dès les premiers jours d'août, il se trouvait maître de Malossène et de Vaison, où douze cents soldats le rejoignirent. Dès lors, il fallut compter avec lui, et tellement qu'au lieu de l'attaquer de front, on eut recours à un biais ; sa grâce, en France, ainsi que d'autres avantages lui furent offerts s'il consentait à déposer les armes. Il répondit qu'en ce moment il ne tramait rien contre les Guisards, mais agissait, à la demande des habitants, contre le Pape, dont l'ambition amoncelait tant de malheurs sur la tête des protestants. Le trouvant intraitable, La Mothe-Gondrin, nouveau gouverneur du Dauphiné[4], marcha contre lui avec de la gendarmerie et, joint par les troupes du vice-légat, ne tarda pas à compter sous ses ordres quatre mille fantassins et cinq cents chevaux. Le cardinal de Tournon, oncle de Montbrun par alliance, intervint alors en sa faveur, et peu après Gondrin lui députa cinq gentilshommes, pour lui offrir grâce entière s'il mettait bas les armes et restait catholique, ou faculté de se retirer à l'étranger et un an pour vendre ses biens, s'il persistait à vivre dans la nouvelle religion. Montbrun accepta cette dernière condition ; puis, tout d'un coup, apprenant que les troupes du Pape "attaquaient les siens et que Gondrin l'entourait de garnisons, il flaira une ruse de guerre, reprit les armes, se jeta sur Vaupierre avec deux cents hommes et s'en empara. Un combat eut lieu ensuite près de Moulans, sur un terrain très-coupé et favorable à Montbrun, qui ne disposait plus alors que de quatre cents fantassins et cinquante cavaliers. Ce chef disposa plusieurs embuscades et allait l'emporter, quand l'ardeur inconsidérée des siens laissa échapper l'ennemi. Gondrin se mit en bataille dans une plaine voisine ; mais, à l'approche du noyau résolu des protestants prêts à livrer un second engagement, il craignit d'avoir affaire à des désespérés, et refusa la lutte. Du reste, il réussit en peu de jours à dissiper les rassemblements épars provenant du corps de Montbrun, dont l'énergie ne put conjurer l'infortune, et qui fut obligé de se retirer en Suisse. A cette fin du rôle de ce révolté, le vice-légat d'Avignon avait écrit au cardinal de Lorraine[5] que, Montbrun se jetant dans les montagnes, il deviendrait impossible de le forcer, et que, pour empêcher son retour et une lutte à nouveau, il faudrait enjoindre, par édit, aux sujets du roi, de l'arrester, sous peine de la vie, ce qui épargnerait de la dépense ; moyen économique, certes, sous le rapport de l'argent, mais pas sous celui des hommes, car mettre à mort tous ceux qui n'arrêteraient pas Montbrun, c'était s'exposer à faire une hécatombe en cas qu'il échappât, et il en était capable, l'événement le prouva.

Passons aux troubles de la Provence.

§ 2. — Troubles de Provence. — Deux frères, Antoine et Paul de Mouvans, signalés par leur courage dans nos guerres du Piémont, pratiquaient à Castellane la religion réformée et avaient fait venir de Genève un ministre qui prêchait la nuit et avait groupé autour de lui un noyau de sectaires. Les bourgeois de Castellane, excités par un cordelier venu parmi eux pour prêcher le carême, ne tardèrent pas à les assiéger en grand nombre dans leurs maisons : ils se plaignirent par-devant le parlement d'Aix, mais furent aussitôt accusés de tenir des assemblées illicites. Ils en appelèrent au Conseil du roi, qui les renvoya près du parlement de Grenoble. On retint leurs pièces ; ils protestèrent. Sur ces entrefaites, Antoine de Mouvans, sollicité par ses amis de se réconcilier avec ses compatriotes, y consentit ; il partit pour Fayeuse, n'y trouva pas les arbitres, gagna Draguignan, et là entouré par la populace, fut massacré avec d'indignes raffinements. Le frère survivant porta plainte ; deux conseillers furent dirigés, à l'effet de l'entendre, vers Draguignan ; mais la population s'aperçut bientôt de leurs bons sentiments pour elle, et insulta les parents et l'entourage du plaignant. Tel était l'état des choses de ce côté de la France à l'avènement de François II : on comprend que, lors du complot de La Renaudie et de l'organisation des forces protestantes, Paul de Mouvans fut choisi comme chef des insurgés provençaux. Ardent pour venger son frère, il mit deux mille hommes sur pied, et, se répandant au milieu du plat pays, abattit les images d'un grand nombre d'églises. Puis, à la nouvelle de la marche contre lui de six mille hommes[6] commandés par le comte de Tende, gouverneur de la Provence, il se retira dans un couvent fortifié, au sommet d'une montagne qui dominait le pays, et s'approvisionna dans cette retraite, décidé à vendre chèrement sa vie. Afin de ménager le sang, le gouverneur lui proposa une entrevue. Mouvans s'y rendit ; il demanda qu'on punit les auteurs de la mort de son frère, qu'on réprimât les mauvais sentiments des gens de Castellane envers lui, puis protesta de son dévouement et de sa fidélité envers le roi. On lui accorda suivant son désir, et même il fut autorisé, après le licenciement de son corps, à conserver cinquante hommes pour sa sûreté. Mais à peine la convention conclue, il fut menacé par le capitaine Paulin, plus connu sous le nom de baron de la Garde ; marcher contre cet adversaire tenace, avoué ou non, et le défaire fut pour lui l'affaire d'un instant. Puis il se retira et vécut depuis tranquillement à Genève, refusant de rentrer en France, malgré les instances du duc de Guise, qui honorait son courage et aurait voulu l'enrôler sous la bannière royale. Ce refus se justifie : pendant que la cour faisait droit à sa requête et promettait de le satisfaire en toutes ses réclamations, elle envoyait l'ordre au parlement de le condamner au dernier supplice si l'on parvenait à le prendre, et il possédait les preuves de cette duplicité, que les historiens contemporains ne cherchent point à nier[7].

§ 3. — Troubles du Périgord, de l'Agenois et du Limousin. — Le roi écrivait au maréchal de Termes, le 1er octobre 1560, relativement à ces troubles, une lettre qui se termine ainsi : Vous priant, mon cousin, mettre peine avec ceste occasion de sy bien nétoyer le pays d'une infinité de canailles, qui ne se servent que de troubler le monde, que je n'en sois plus en peyne cy-après. De Termes avait été envoyé avec deux cents gendarmes à Poitiers, afin de s'opposer aux tentatives que l'on redoutait du roi de Navarre à son passage dans cette ville ; il devait, comme M. de Burie[8], gouverneur de Guyenne, l'avait déjà fait à Bordeaux, se procurer des nouvelles de ce monarque et de son frère d'heure en heure, en donner avis à François II jour par jour, ne se laisser surprendre, et surveiller la conduite des officiers royaux partout où la religion réformée prenait de l'extension. De Poitiers il devait envoyer des troupes à Loches et Châtellerault ; les habitants de ces villes seraient désarmés, de qualité et condition quelconque qu'ils puissent être, hormis à un petit nombre de ceux qui seront cogneuz des plus gens de bien et des plus fidelles[9].

§ 4. — Troubles de l'Anjou. — Le maire d'Angers écrit, à la date du 14 octobre 1560, pour demander appui et secours contre mille à douze cents religionnaires, qui se livrent publiquement à l'exercice de leur culte et ont répondu que, si l'on venait les déranger, ils répondraient par les armes. Sa lettre commence ainsi : Monseigneur, comme il a pieu à Dieu, en ce temps, agiter ce royaume d'émotions et séditions causées, soubz le voile de la religion, par gens seditieux et perturbateurs du repos public, nous en avons une bonne partie en ceste ville et pays d'Anjou.

§ 5. — Troubles du Languedoc. — Le comte de Villars, lieutenant général du roi en Languedoc, surveillant la conduite des habitants de cette province, apprit que deux mulets chargés de livres envoyés de Genève aux réformés étaient arrivés à Saint-Esprit. 11 se rendit dans cette localité et fit brûler ces livres, qui étaient, remarque-t-il, très-bien reliés et valaient plus de mille écus ; pour donner l'exemple, il jeta lui-même les premiers au feu ; le marchand qui amenait cette cargaison fut mis en prison et interrogé. A Bagnols, le gouverneur fit rebaptiser un enfant et lui donna pour compère — parrain — le capitaine Saint-André. Bientôt Nîmes, Montpellier, Aigues-Mortes se soulevèrent ; treize autres villes adhérèrent au mouvement et reçurent les séditieux. Dans chaque cité, ceux-ci gardaient les portes jour et nuit, plaçaient même des sentinelles à pied et à cheval hors des murs, et visitaient tout ce qui se présentait, les magistrats et les officiers fermant les yeux.

Villars était venu sans forces ; en vain convoqua-t-il l'arrière-ban. Cent hommes d'armes et deux mille fantassins eussent pu lui suffire au début[10] ; il ne tarda pas à demander une armée de dix mille piétons et cinq cents hommes d'armes avec une artillerie convenable, ne pouvant se contenter des quatre canons[11] que lui offrait le commandant de Narbonne, M. de Forquevaulz. En attendant, il défendit aux États de délibérer sur les affaires de la religion, fit arrêter le gouverneur d'Aigues-Mortes, qui laissait prêcher les ministres en sa présence, obligea les habitants de cette ville les plus rebelles à la quitter, en braquant du canon contre leurs maisons, et proposa de punir les cités en révolte par la perte de leurs privilèges, c'est-à-dire en leur ôtant soit un présidial entier, soit une cour des aides, soit une chambre des comptes, soit un marché, une franchise ; de les châtier également en rasant les maisons des officiers et gentilshommes coupables d'avoir prêté les mains à la sédition, en démantelant leurs murailles, en leur imposant le séjour plus ou moins prolongé d'une troupe de garnisaires[12].

Un mauvais symptôme surgit dans la correspondance de Villars : il rencontre par les routes un assez grand nombre de Provençaux, cheminant par groupes de dix ou douze, et prétendant qu'ils se rendent à Paris ; mais il apprend plus tard que leur destination est Poitiers, où ils ont rendez-vous vers la fin d'octobre, probablement pour prendre part à une sédition.

Castres fut la première ville du Languedoc à chasser les ministres protestants et à rentrer dans le devoir, résultat obtenu sans effusion de sang vers le 23 octobre. Nîmes et Montpellier ne tardèrent pas à s'en remettre à la clémence du roi ; mais, aux termes d'une lettre du comte de Villars, leur soumission n'était pas sincère ; on peut l'attribuer au désir de sauver le grand nombre des prisonniers qui leur avait été fait, nombre tel, que les mettre tous à mort serait pour l'État une trop grande perte, dit le gouverneur, qui propose, en conséquence, d'exécuter les plus séditieux et d'envoyer les autres aux galères[13].

A Toulouse, un protestant avait été massacré par la multitude pour avoir, le 4 mai 1560, crié dans l'église de Saint-Sernin, à un prédicateur catholique qui prêchait contre la nouvelle croyance : Tu mens, moine hypocrite ![14] Mais les troubles religieux de cette grande cité appartiennent à l'année 1561 et surtout à l'année 1562, c'est-à-dire au règne de Charles IX.

§ 6. — Troubles de Bretagne. — Au mois d'octobre 1560, une grave émeute se produisit à Nantes de la part des religionnaires.

Les razzias et le pillage atteignirent de grandes proportions dans cette partie de la France : une requête présentée en 1603 et récemment retrouvée[15] accuse, comme pris dans un seul château, pendant les guerres de religion, un mobilier valant, au XVIe siècle, soixante-dix mille écus, soit, en valeur d'aujourd'hui, un million et demi de francs.

§ 7. — Troubles d'Orléans. — Dès la conjuration d'Amboise, M. de Vieilleville, muni d'une délégation royale qui le créait lieutenant général sur ce point pour deux mois, fut envoyé à Orléans, ville vers laquelle les réformés dirigeaient trois bateaux chargés d'armes, de poudre, de trois fauconneaux et de quatre arquebuses à croc. Il plaça des sentinelles sur le pont, et le lendemain de son arrivée, effectua une reconnaissance le long de la rivière, en cheminant sur chaque rive. Ayant appris qu'un corps de rebelles stationnait dans un village sis près de Gergeau, à douze lieues de distance d'Orléans, il exécuta une marche rapide, qui lui permit de les surprendre. Cent à peine, sur cinq cents, eurent le temps de faire quelques dispositions, ce qui ne les empêcha pas d'être chargés en pleine rue, acculés au cimetière et défaits ; moitié environ périrent, une douzaine se rendirent prisonniers, encore M. de Vieilleville les relâcha-t-il sur leur indication du lieu où se trouvaient les bateaux, dont il put enfin s'emparer. La cargaison de ces prises fut donnée par lui à l'hôtel de ville d'Orléans, sauf diverses armes portatives distribuées à ses gentilshommes, capitaines et soldats.

§ 8. — Troubles de Rouen. — Après un court séjour dans la ville d'Amboise, au milieu de la cour, M. de Vieilleville reçut l'ordre de partir pour Rouen, où les protestants avaient occasionné un grand tumulte, commettant diverses violences, principalement contre les ecclésiastiques. Sa commission était sévère : il avait le droit de faire mettre à mort non-seulement ceux qui venaient de prendre les armes, mais encore ceux qui avaient applaudi à leurs actes de rébellion ou les avaient favorisés ; un prévôt, nommé Genton, l'accompagnait pour les exécutions[16]. Il se dirigea d'abord vers Gisors ; sept compagnies de gendarmes ne tardèrent pas à se concentrer en ce lieu ; marchant avec elles, il en posta trois au château Gaillard, et quatre au grand et au petit Andely. Au lieu d'entrer immédiatement dans Rouen et d'y causer quelque effervescence au détriment de la population et des propriétés, il manda au parlement de lui envoyer un conseiller bien informé de ce qui s'était passé. Celui-ci lui apprit que des sentinelles avaient été placées aux portes, afin d'empêcher les fauteurs de la sédition de pouvoir s'échapper ; et M. de Vieilleville, accompagné de cent gentilshommes de choix outre son escorte ordinaire, s'approcha de Rouen, où il fut reçu par soixante notables. Comme il se logeait à l'abbaye du Bec, un gentilhomme du gouverneur[17] vint, de la part de ce dernier, le prier de se rendre au château, afin de se soustraire à un coup de main de la part des hérétiques, qui voulaient le tuer. Dites à qui vous envoie, riposta-t-il, que je ne saurais l'imiter ; si, au lieu de s'emprisonner lui-même au château, il avait couru la ville jour et nuit, à cheval, et eût emprisonné les plus mutins, la rébellion n'eût pas eu de gravité. Le gentilhomme[18] eut sans doute trop de prudence pour répéter à son chef cette rude apostrophe. Le lendemain, comme lieutenant général du roi, Vieilleville réunit le parlement, y fit donner lecture publique de ses pouvoirs, reçut un compliment du président, reprocha que l'on n'eût pas désarmé plus tôt la population, et procéda immédiatement à cette opération. Ce désarmement s'opéra facilement, grâce à deux mesures : la première consista dans l'occupation militaire des portes et des principales places de la ville par des postes d'une trentaine de cavaliers chacun ; la seconde fut un ban promettant la pendaison immédiate et la confiscation des biens à quiconque serait ensuite trouvé nanti d'armes. Les magistrats et ecclésiastiques donnèrent l'exemple ; toutes les armes furent promptement portées à l'hôtel de ville ; le prévôt Genton visita d'ailleurs, avec ses archers, les maisons pour s'en assurer. Le lendemain, trente séditieux furent arrêtés sur la désignation du parlement ; dix-huit furent mis à mort, les autres fouettés, mais aucun sous prétexte de religion, tous pour avoir porté les armes contre les ordonnances du roy, n'estant soldats... s'estre battus et tués, et... en leur ivrognerie, estre entré aux églises et avoir ravagé icelles. L'auteur des Mémoires sur Vieilleville[19] prétend que ces malheureux appartenaient à l'une et à l'aultre religion. C'était agir au mieux, en vue de la conservation du principe d'autorité alors si fortement battu en brèche.

§ 9. — Troubles de Dieppe. — De Rouen, M. de Vieilleville écrivit aux nobles du pays de Dieppe de se tenir prêts à marcher sur sa première réquisition, sous peine d'être déclarés rebelles. Les Dieppois lui envoyèrent aussitôt le lieutenant civil de la ville, ainsi que celui de l'amirauté, accompagnés de six notables, à l'effet de le saluer, de lui présenter leur justification, et de s'en remettre à son bon plaisir pour être exemptés de garnison. M. de Vieilleville leur accorda leur demande, mais en leur imposant la démolition du local bâti par eux pour l'exercice de la religion protestante. En vain prétendirent-ils que ce bâtiment avait été élevé par le commandement exprès de l'amiral, lequel y avait contribué de ses deniers. Vous auriez dû remontrer au Conseil du roi l'usurpation qu'on voulait faire sur son autorité. Résolvez-vous à sa démolition, car l'ung des princilpaulx commandemens de ma charge est de le faire porter par terre ; et ne partiray poinct de ce pays que je ne l'aye exécuté, quand je devrois abrazer toute la ville de Dieppe. Les députés promirent de s'employer à la disparition dudit local. Pour presser l'exécution de cette mesure, M. de Vieilleville partit le lendemain matin, à l'aube, sans faire sonner la trompette, franchit d'une traite les douze lieues qui séparent Rouen de Dieppe, et parut soudainement à la porte de cette dernière cité. Les députés le précèdent et annoncent aux habitants la condition royale ; un grand nombre se mutinent, la populace court aux armes, plusieurs maisons sont embrasées. Mais déjà les troupes royales se trouvent barricadées contre la porte et ont occupé la tour qui recèle le tocsin ; les premiers rebelles qui attaquent sont jetés bas par une fusillade. M. de Vieilleville accourt avec le gros de ses forces, trompettes sonnantes, se rend dans la rue où se trouvait le bâtiment condamné, et force la population à s'employer incontinent à sa démolition. Au bout de trois jours il n'en restait plus rien. De Dieppe M. de Vieilleville revint à Rouen, d'où il gagna Orléans, sa mission extraordinaire comme lieutenant général du roi se trouvant entièrement terminée. Son secrétaire, Vincent Carloix, attribue son succès dans sa dernière répression, celle qui concerne les Dieppois, à sa rapidité, et il a raison ; le futur maréchal de France avait eu sous les yeux l'exemple du vidame de Chartres, qui avait manqué d'entrer par surprise dans Saint-Omer, pour s'être amusé à dîner en route, et celui du maréchal de Termes, vaincu près de Gravelines, pour avoir dormi une heure de trop[20] ; depuis lors il faisait toujours diligence et s'en trouvait bien, comme dans cette circonstance particulière.

 

 

 



[1] Nous mentionnons les édits d'abolition y relatifs en notre chapitre VIII.

[2] Histoire, II, XVIII.

[3] Le roi à Gaspard de Tavannes, de Marmoustier, le 12 avril 1559.

[4] C'est lui qui, pris au siège de Valence (1562), fut pendu par ordre du baron des Adrets.

[5] Lettre du 3 octobre 1560.

[6] Compris l'arrière-ban.

[7] Consultez l'Histoire universelle, par DE THOU, fin du livre XV.

[8] Celui dont il est souvent question dans les Commentaires de Montluc, qui durant les guerres civiles fut en Guyenne son principal lieutenant, presque son égal.

[9] Instruction pour le sieur de Montpezat, allant devers le maréchal de Termes, octobre 1560.

[10] Lettre du comte de Villars au connétable, 12 octobre 1560.

[11] Avec assez de boulets et de poudre pour tirer sept à huit cents coups.

[12] Instruction au comte de Pignan, envoyé air roi par le comte de Villars, 15 octobre 1560.

[13] Lettres au duc de Guise et au cardinal de Lorraine, 27 et 29 octobre 1560.

[14] Histoire de M. G. Bosquet sur les troubles advenus en la ville de Toulouse l'an 1562, chapitre X.

[15] Dans les archives du département du Finistère.

[16] Remarquons à ce sujet que cette adjonction d'un prévôt à un chef désigné pour une mission spéciale de répression se trouvait dans les usages du temps ; donc, quand Montluc, dans ses Commentaires, met ses prévôts en relief, c'est qu'il se vante de tout, même de ses cruautés, mais il n'innove pas et agit comme les autres chefs militaires.

[17] M. de Villebon.

[18] Il se nommait La Barre.

[19] Livre VIII, chapitres X et XI.

[20] Mémoires sur la vie du maréchal de Vieilleville, livre VIII, chapitre XIII.