HISTOIRE DE CHARLES IX

LIVRE III. — APRÈS LA SAINT-BARTHÉLEMY

 

CHAPITRE IV. — ÉTAT DES LETTRES, DES SCIENCES ET DES ARTS PENDANT LE RÈGNE DE CHARLES IX.

 

 

Comment les lettres n'eussent-elles pas prospéré sous un petit-fils de François Ier, poète lui-même, élève d'Amyot, qui le premier institua la Bibliothèque royale[1] à Paris, et donna le nom d'Académie à une réunion[2] de lettrés ? Comment n'eussent-elles pas séduit plus d'un esprit indépendant au milieu de ces discordes sans fin, de ces malheurs journaliers dont il était bon de pouvoir s'abstraire ? Comment les grâces de la poésie et des contes galants n'eussent-elles pas plu à une société licencieuse et qui naviguait toutes voiles dehors ?

Nous voulons parler des lettres françaises et non des lettres latines et grecques ; les premières, en effet, commencent à sortir des langes, les autres continuent à être cultivées et forment, dans les choses intellectuelles comme dans les affaires politiques, un moyen de communication universel. Les lettres françaises reçoivent leur plus éclatante application dans la traduction de Plutarque par Amyot, qui appartient entièrement à ce règne, la traduction des Hommes illustres ayant paru en 1560, et celle des Œuvres morales en 1574, chez Vascosan[3]. Jusqu'alors on lisait Plutarque en latin, par exemple dans l'édition donnée à Lyon l'année[4] 1548 ; dorénavant tous purent le lire en français. Un pareil travail désignait le traducteur à l'attention publique, mais il eût peut-être été oublié, s'il n'eût consenti à en dédier les prémices au roi François Ier, qui lui donna une abbaye ; à l'abri du besoin et ayant des loisirs, il continua. Plus lard, Henri II le choisit pour précepteur de ses fils. C'est lui qui orna l'esprit de Charles IX et lui donna le goût des choses littéraires. Ce monarque l'aimait et l'appelait son maître : il le pourvut de plusieurs bénéfices et de l'évêché d'Auxerre ; en compensation, il se moquait de son avarice et lui reprochait parfois sa préférence pour les langues de bœuf[5].

Parmi les essais littéraires de Charles IX figurent en première ligne ses vers. Ronsard lui ayant dit :

Un roi sans la vertu porte le sceptre en vain,

il répondit par une pièce où se lit cette pensée :

Or donc je te diroy que bien heureux serois

Si de ton esprit un rayon je tirois

Ou bien que, sans t'oster rien du tien si exquis,

Par estude et labeur un tel m'estoit acquis.

On sait ce que signifient ces aveux entre monarque et poète ; ce dernier, en apparence, a toujours le côté le plus brillant, mais il reste relativement une mouche vis-à-vis d'un lion ; plus récemment, Frédéric de Prusse et Voltaire ont remis cette vérité dans tout son jour. L'historien doit aussi, lorsqu'il s'agit d'une pièce de vers attribuée à un roi, émettre un doute[6] et tenir le lecteur en garde ; Charles IX, en effet, a-t-il composé ceux-ci lui-même ? il est si facile à un monarque[7] d'en acheter de tout faits, au prix où étaient alors et où sont restées les œuvres de l'esprit, prix si bas que leur auteur, outre la peine de les faire, doit les imprimer à ses frais[8].

N'oublions pas une circonstance qui montrera les goûts littéraires en honneur à la cour de Charles IX ailleurs que dans le cabinet du monarque. Élisabeth d'Autriche, cette reine sage et douce, brebis égarée en ce siècle de loups, laquelle appréciait l'état de bouleversement de la France au point de remercier le ciel de ne lui avoir point donné de fils, a composé, dit-on, un écrit sur les événements les plus considérables qui arrivèrent de son temps dans le royaume ; cet écrit envoyé par elle, pendant son veuvage, d'Allemagne à sa belle-sœur Marguerite de Navarre, n'a pas, que je sache, été retrouvé.

Etudions les écrivains, les savants, les artistes vivant sous ce règne, en les classant par genre.

 

§ Ier. — POÈTES.

Les autres poètes, en dehors de ceux qui vivaient sons François II, sont : Philippe Desportes, âgé de vingt-huit ans à la mort de Charles IX, mais ayant alors produit ses principaux ouvrages ; Jean Passent, de dix ans plus vieux ; Antoine de Baïf, l'aîné de Passerai d'une année, et Charles Fontaine, chargé de dix-huit ans de plus que Baïf.

C'est ce dernier qui a dit, en s'adressant à son deuxième fils, nouvellement né :

Petit enfant ! peux-tu le bien venu

Estre sur terre, où tu n'apportes rien,

Mais où tu viens comme un petit ver nu ?

Tu n'as de draps, ne linge qui soit tien,

Or ny argent, n'aucun bien terrien ;

A pere et mere apporte seulement

Peine et soucy, et voilà tout ton bien.

Petit enfant, tu viens bien povrement.

Ce morceau ne manque ni de mélancolie, ni d'une certaine portée philosophique.

Jean Passerai, qui travaillera plus tard à la Satire Ménippée, a produit peu de poésies ; on connaît sa jolie vilanelle sur la perte d'une tourterelle, car tourtereau et amoureux exhalent les mêmes plaintes.

Antoine de Baïf, secrétaire de la chambre de Charles IX, est connu par sa manie de vouloir latiniser la langue française, ce dont Joachim du Bellay l'a ridiculisé dans un sonnet hérissé de mots latinisés, et qui se termine ainsi :

Ah nul de toi hardieurement en France

N'a pourchassé l'indoctime ignorance,

Docte, doctieur et doctime Baïf !

La tentative de Baïf rappelle celle de Ronsard voulant introduire dans les vers français l'emploi de syllabes longues et brèves qui eussent été scandées comme dans les vers latins. On doit encore à Baïf ce vers satirique sur son époque :

C'est estre fol que d'estre sage.

Quant à Philippe Desportes, il publia en 1572 trois poèmes : Roland furieux, dédié à Charles IX ; la Mort de Rodomont, présenté au marquis de Villeroy, alors ministre, et Angélique et Medor, composé pour le duc d'Anjou. Chacun de ces ouvrages est approprié au caractère de celui auquel il s'adresse.

Le début de Roland semble faire croire que Desportes méditait de célébrer les victoires royales remportées sur les protestants, et peut-être cette adroite indication fut-elle une des causes de sa faveur croissante. Voici le passage :

Charles, roy magnanime issu du sang des dieux,

Je chante en m'essayant ces regrets furieux,

Attendant qu'une fois plus hardiment j'entonne

Les combats achevés pour sauver ta couronne,

Quand le discord mutin, par la France allumé,

Rendoit contre l'enfant le père envenimé.

Le dernier accès de fureur de Roland est énergiquement décrit :

Il mord, il égratigne, il se tourne, il se vire ;

Des pieds, des poings, des dents, il rompt, froisse et déchire ;

Il hurle furieux, et fait un plus grand bruit

Que le flot courroucé qui bouillonnant se suit ;

D'un choc continuel ses dents se fout la guerre.

La Mort de Rodomont et sa descente aux enfers est, comme la pièce de Roland furieux, une imitation de l'Arioste cependant l'auteur y avait mis de son invention. Ecoutez-le :

Roger à ce combat est dextrement agile,

Et le fier Rodomont, qui tout partout distille

Et qui lance[9] le sang par tous les lieux du corps,

N'a les bras si tendus ny les membres si forts ;

Tellement qu'à la fin, apres mainte secousse,

Maint tour et maint retour, Roger si fort le pousse,

Mettant le pié devant, qu'il le fait trébucher

Comme une grosse tour ou comme un grand rocher,

Quand ils sont emportez par l'effet du tonnerre,

Puis qu'avec un grand bruit ils retombent en terre.

Et ici Desportes, qui a dit au début, s'adressant à Villeroy, que sa muse

Quitte de Cupidon le triomphe et la gloire,

y revient et s'y complaît comme dans un péché d'habitude. Ne montre-t-il pas, quand Roger combat contre Rodomont,

.......... l'amante désolée

Tremblant pour son Roger, son cœur, son tout, son Dieu ?

puis, lorsque de Rodomont

Le cerveau tombe à bas du test escarbouillé,

il la dépeint rassurée, joyeuse :

Maintenant, au contraire, elle est toute ravie,

L'appelle son esprit, sa lumière et sa vie,

Et souhaite en son cœur de voir la fin du jour

Pour cueillir le fruit de si parfaite amour.

Ainsi, chez Desportes, on rencontre un mélange d'énergie et de douceur, la peinture restant toujours riche et colorée.

Dans la pièce d'Angélique, tirée également de l'Arioste, car ces trois morceaux paraissent des fragments d'une traduction libre du poète italien, le ton amoureux domine, et le jeune héros Medon, qui plaît à la belle Angélique, se trouve esquissé de main de maître : je n'en veux qu'une citation pour preuve :

Or ce jeune Adonis, d'Angélique adoré,

Eut le chef tout couvert d'un petit poil doré,

Qui flotte mollement quand le vent qui s'y joue,

Ravi de sa beauté, doucement le secoue

 Une toison subtile au menton lui naissoit,

Qui comme un blond duvet mollement[10], paroissoit,

Prime, douce et frisée, et nouvellement creüe

Comme petits flocons de soye bien menue.

De coral fut sa bouche ..........

Il eut le teint de lys et d'œillets mis ensemble...

Ne dirait-on pas un adroit portrait du duc d'Anjou ? Les contemporains durent le supposer, le prince en être flatté, et les lectrices de la cour rêver à ce charmant Adonis dont le poète ose dire :

Amour n'est point si beau[11]..........

On le voit, la poésie affecte des allures plus dégagées, plus heureuses ; elle marche, elle vit, elle est en progrès, et, parodiant un vers de Desportes, on peut se la représenter disant alors :

J'aime mieux chanter point que chanter tiedement.

C'est Desportes surtout qui la perfectionne ainsi ; chez lui la pensée est abondante et presque toujours aussi gracieuse que la forme de là son succès, sa popularité, cette dernière telle qu'on chantait encore sous Louis XIV, un siècle plus tard, sa fameuse ode :

Ô nuict, jalouse nuict, contre moy conjurée !

Qui renflammes le ciel de nouvelle clarté ;

c'est-à-dire, nuit qui devrais rester noire et obscure pour faciliter mes amours.

Desportes, disons-le, est bien le précurseur de son neveu Regnier, qui lui-même tend la main à Boileau ; ces trois poètes français se rattachent d'ailleurs par un point de similitude : ils ont fait à leurs devanciers de nombreux emprunts[12], et la force créatrice n'a pas été chez eux entière. Mais Boileau l'emporte sur les deux autres non-seulement par un goût sûr, par une versification plus pure, mais par une morale élevée ; ce n'est pas lui qui eût composé certaines pièces hasardées comme Regnier, ou qui eût dit, avec la morale facile de Desportes, dans un des sonnets des Amours de Diane[13] :

C'est une vieille erreur, qui aux femmes se trouve ;

Car leur honneur ne git qu'en vaine opinion.

Disons en terminant que Desportes a composé plusieurs poésies chrétiennes, notamment des paraphrases de psaumes qui témoignent d'épreuves subies[14] et de sentiments plus dignes d'un abbé. Par ce côté de son œuvre il touche Racine et montre parfois un cœur ému :

Ô Père ! à toy seul je m'adresse,

Pecheur qui prens la hardiesse

D'elever le regard si haut ;

Et te descouvrant mon offence,

J'invoque, en pleurant, ta clémence

Pour me purger de tout défaut.

Si je suis tout noirci de vice,

Tu peux m'appliquer ta justice

Comme j'en ay parfaicte foy ;

Si je ne suis que pourriture,

Pourtant je suis ta créature

Qui ne veux m'adresser qu'à toy.

Nous évitons, en cette revue rapide, de parler des poètes de circonstances, auteurs d'une pièce détachée pour mettre en tête d'un livre ou joindre à un bouquet ; les noms de Chovayne, Biard, Joachim Blanchon[15] figureraient dans cette catégorie.

Une contemporaine, célèbre par son admirable beauté, la baronne de Fontenille, surnommée la belle Paule, laquelle habitait Toulouse, a composé des vers élégants qu'il convient de rappeler ici.

 

§ 2. — AUTEURS DRAMATIQUES.

Nous citerons, en tête de ce genre de lettrés, André de Rivaudeau[16], auteur d'une tragédie d'Aman et de poésies parues en 1566, rééditées[17] en 1859 ; il suivait la religion calviniste et mourut en 1579. Comme poète, Rivaudeau appartient à l'école de Ronsard, mais doit être rangé au deuxième ou troisième rang.

Hector — dit également Eustorge — de Beaulieu peut être mentionné ici, car il mourut à Genève, vers 1566, devenu calviniste, après avoir été prêtre catholique, mais sa principale pièce[18], l'Histoire de l'enfant prodigue mise par personnages, remonte beaucoup plus haut, et date du règne de François Ier, puisqu'elle fut jouée à Lyon, avec un grand succès, dès 1535.

Jean et Jacques de la Taille, deux frères, ont composé chacun des tragédies ; Jean a également fait représenter des comédies en prose, très-supérieures aux anciens Mystères et aux Moralités. On cite de Jacques[19] : Daire — Darius —, tragédie, et Alexandre, tragédie, toutes deux parues en 1573 ; cette dernière dédiée au roi de Navarre. La même année sa Manière de faire des vers en françois comme en grec et en latin vit le jour. Il était mort à vingt ans en 1562, et ses ouvrages ont été publiés par son frère. Celui-ci est l'auteur des deux tragédies : Saül le furieux, 1572, et la Famine ou les Gabaonites, 1573 ; il a composé un Art de la tragédie, un Éloge de son frère, le Negromant et les Corrivaux, comédies, enfin des poésies diverses. En outre, Jean de la Taille s'est fait écrivain politique ; on lui doit : Remontrance pour le roi â tous ses sujets qui ont pris les armes, 1563, et Discours notable des duels, paru en 1607, un an avant sa mort. C'était un homme aussi modéré que savant.

A la fin du règne de Charles IX, le poète Jacques de Champ-Repus vivait probablement ; mais, quoique les auteurs dramatiques de ce temps aient produit fort jeunes, il n'est pas certain que sa tragédie d'Ulysse fût composée avant 1574 ou dans cette année. La poésie de cette pièce est encore embarrassée et semée d'expressions qui nous paraissent vieillies plus que dans diverses œuvres de ce temps ; voici l'un des passages les plus réussis comme style

C'est assez discouru, n'en parlons d'avantage :

Il est temps que chacun serre son équipage,

De cheminer plus outre il ne nous est permis :

Car nous auons esté tant seulement commis

Pour le conduire icy, en son isle d'Ithaque,

Où il sera reçeu de son fils Telemaque,

Et de tous ses subiets comme vn roy généreux[20].

Le caractère des ouvrages dramatiques de ce temps, c'est une amélioration réelle, moins cependant comme entente de la scène que comme coupure et vivacité du dialogue.

 

§ 3. — ORATEURS.

Nommons Michel de l'Hôpital comme le premier de tous les orateurs politiques de ce règne ; nos longs emprunts à ses discours ont dû former la conviction du lecteur.

Du côté des catholiques, on doit mentionner le cardinal de Lorraine, à la parole fleurie et facile, et l'évêque Vigor, beaucoup moins prêt à faire des concessions aux huguenots. Du côté des réformés, Th. de Bèze se trouve hors de pair : il était venu en 1570 présider le synode des protestants à la Rochelle, ce qui lui appartenait comme successeur de Calvin ou chef des-calvinistes[21]. Nous avons assez souvent cité, dans le cours de cette histoire, les uns et les autres de ces orateurs religieux, pour n'avoir point besoin de revenir sur les caractères de leur talent.

 

§ 4. — HISTORIENS ET CHRONIQUEURS.

Davila, d'Aubigné, la Popelinière, tels sont les principaux historiens de ce règne[22]. Le premier s'occupe presque exclusivement des événements utilitaires, mais il est bien instruit des autres, au point de vue catholique et de la cour. François d'Aubigné, cet homme singulier qui, parmi un grand nombre d'aventures, trouva moyen de se remarier étant condamné à mort[23], reste précis dans ses Mémoires, mais touche à un grand nombre de sujets en son Histoire universelle, qui parut plus tard et commence à l'année 1550. La Popelinière, qui joua surtout un rôle militaire[24] dans les premières années du règne de Henri III, est une source vivace et abondante ; sa Vraye et entiere histoire des troubles et guerres civiles advenues de rostre temps date de 1571 et fut imprimée treize ans plus tard, non plus à Cologne, mais à Paris, avec le nom de Jean le Frère — de Laval — comme auteur. La Popelinière était protestant, et ; comme il traite principalement des guerres, son livre doit constamment être comparé avec celui de Davila : ce sont, remarquons-le, deux chefs, deux témoins oculaires qui écrivent.

Il faut aussi rappeler, outre les Mémoires d'État sous Charles IX, Marguerite de Valois et Guillaume Paradin.

Les Mémoires de Marguerite de Valois forment une source précieuse, particulièrement en ce qui concerne la Saint-Barthélemy et la jeunesse du Béarnais. On les a maintes fois réimprimés, annotés, et aucune des éditions ne manque d'intérêt ; c'est que cet écrit vit, respire, avec autant d'animation que la gracieuse et légère princesse qui en est l'auteur déclaré.

Guillaume Paradin a publié plusieurs ouvrages historiques, une Chronique de notre temps, continuée jusqu'en 1556, et les Annales de la Savoie et de la Bourgogne ; mais son nom mérite surtout de figurer en raison de son Journal[25] qui embrasse les années 1572 et 1573. C'est un écrivain exact, qui était chanoine à Beaujon, comme son frère Claude, l'auteur des Devises héroïques'[26].

Au dernier rang des historiens écrivant sous ce règne, nous mentionnerons un auteur médiocre, François de Belleforest, très-connu de son temps pour un livre courtisanesque et imprimé avec assez de luxe, l'Histoire des neuf rois de France qui ont eu le nom de Charles[27] ; cet auteur tenta de vains efforts pour se faire admettre dans la pléiade.

Les historiens et chroniqueurs de ce temps vivent trop en notre récit pour insister à leur égard plus longuement.

 

§ 5. — GÉOGRAPHES ET STATISTICIENS.

On a calculé, sous Charles IX, que la France mesurait en longueur et en largeur le même nombre, deux cents lieues ; qu'elle contenait cent millions d'arpents de terre labourable, cent vingt mille localités habitées[28], vingt-cinq millions de feux[29]. Ces résultats statistiques sont fort curieux, et semblent indiquer, s'ils sont exacts, que notre pays était alors plus peuplé que sous le règne de Louis XVI : seulement se rendait on bien compte alors de ce que c'était qu'un million ?

Les géographes sont peu nombreux avant Henri III, et c'est à peine si l'on commence, à la fin du règne de Charles IX, à graver des cartes dans ce pays. La traduction de Ptolémée est due à un Italien laborieux, Girolamo Ruscelli, qui a composé sur ce livre des Espositioni e Introdvtioni universali, imprimées sept ans après sa mort, c'est-à-dire en 1573, à Venise[30].

Cependant les Français voyageaient au loin, continuant à suivre les traces glorieuses des navigateurs hardis du début du siècle ; il nous suffira à ce sujet de rappeler l'essai tenté dans l'île d'Haïti, pour civiliser les boucaniers et flibustiers qui l'habitaient, par Bertrand Ognon, sieur de Berière-en-Allais, essai qui appartient bien au règne de Charles IX[31] et dont il subsiste encore un souvenir[32].

 

§ 6. — PAMPHLÉTAIRES.

Les pamphlets sont nombreux sous le règne de Charles IX ; ils pleuvent sans pitié sur les grands.

Catherine de Médicis n'est pas à l'abri de leurs coups, et cela prouve, en même temps que ses fautes, la grandeur de sa personnalité au milieu des troubles et des passions de ce temps. Le principal pamphlet publié contre elle appartient au règne suivant[33], mais d'autres ont vu le jour sous son second fils ; l'événement seul de la Saint-Barthélemy en a fait éclore : tels sont le Réveille matin des François et de leurs voisins, paru en 1574, et le Tocsain contre les Massacreurs, qui date d'un peu plus tard ; nous leur avons fait des emprunts.

 

§ 17. — PHILOSOPHES.

Que le lecteur ne s'étonne point de les voir prendre rang ici après les pamphlétaires ; ce sont encore des pamphlétaires à l'égard de la Providence quand ils nient son existence et refusent de reconnaître le côté utile et gouvernemental des idées religieuses.

C'était rare alors, même dans le camp protestant : on exagérait la religion plutôt qu'on ne la supprimait.

Mettant ici à part le côté religieux, nous dirons de la philosophie que, malgré la conversion de Ramus au protestantisme[34], cette science continuait la réforme proposée par ce professeur dès 1536, dans sa première thèse[35] à savoir la simplification — nous pourrions dire la suppression — de la scolastique, au profit de la logique, de la raison assez émancipée dorénavant pour socratiser un peu, et aussi l'adoption d'une prononciation plus rationnelle. Cette même continuation se produisit dans la vive opposition déjà soulevée par les Anti-Ramistes et dans laquelle son collègue Charpentier[36] mit un acharnement sans pareil : l'Oratio imprimée à Paris par ce dernier, en 1566, contra importunas Rami actiones[37] constitue un des factums de cette lutte. Lorsqu'elle parut, Ramus s'était déjà réfugié à Genève ; il en revint plus tard, et périt à Paris durant la Saint-Barthélemy, sur les incitations de Charpentier. Ramus vivait en philosophe, se nourrissant avec sobriété, couchant sur la dure, mangeant de la viande bouillie, buvant de l'eau, prenant trois heures d'exercice par jour, soit au jeu de la paume, soit par la marche, travaillant tout le reste du temps, se montrant avec autrui doux, sincère, charitable ; il donnait donc l'exemple et se distinguait ainsi dans la pratique de la philosophie autant que dans la théorie de cette science. Est-ce aussi à la modération qu'il faut attribuer son usage de ne jamais expliquer dans une leçon plus d'une page de Cicéron ou de Virgile[38] ? mais certes c'est demeurer modéré que de ne jamais répondre comme lui aux propos et aux écrits injurieux[39].

 

§ 8. — JURISCONSULTES.

La science du droit prend une grande extension et se trouve plus avancée qu'on ne le croit généralement. Les ouvrages de ce temps le prouvent.

Dès 1549 on voit apparaître un dictionnaire de législation. Ce n'est encore qu'un Sommaire des lois, statuz et ordonaces royaulx[40] dus aux précédents monarques, jusques au règne de Henri II, mais ce résumé est clair et substantiel. L'auteur relate à chaque mot les obligations légales qui s'y rapportent, et met en marge le nom des rois ayant rendu à cet égard des décisions, avec la date de chaque décision ou ordonnance, et le livre où elle se rencontre. Ses recherches remontent ainsi jusqu'à Philippe le Bel, par exemple en ce qui concerne les assises et l'usure.

Le règne de Charles IX vit se répandre un livre bien supérieur, le Recueil d'arrests de Jean Papon[41], dont la cinquième édition parut à Lyon en 1569, chez Jean de Tournes, imprimeur du roi. Ce recueil, riche de 1397 pages in-12 très-compactes, sans compter le discours dédicatoire et les tables, ne procède plus suivant l'ordre alphabétique ; il est partagé en 33 livres dont chacun traite d'un sujet spécial, le premier des Choses sacrées, le quatrième du Roi et de ses droits, le onzième des Donations, etc. Le nombre des matières traitées indique un jurisconsulte exercé, et la quantité d'arrêts cités et invoqués est prodigieuse ; dès la première page on en rencontre un de 1388.

Ce recueil ne fut pas le seul en usage à cette époque, mais il forme un excellent spécimen, et montre qu'il y a trois siècles on était presque aussi avancé qu'aujourd'hui dans l'art de faire des livres.

En jurisconsultes de ce règne nous mentionnerons encore Charles Dumoulin, auteur du Grand Covstvmier général[42] et s'y intitulant Jurisconsulte de France et de Germanie, parce que, réfugié en Allemagne à la suite de sa conversion au protestantisme, et d'un ouvrage en faveur de l'édit des petites dates, rendu par Henri II en 1550, dans le but d'empêcher la cour de Rome de continuer à toucher plusieurs fois des sommes pour l'investiture d'un seul bénéfice, il avait été bien accueilli dans ce pays et avait professé le droit à Tubingue et à Strasbourg, quoiqu'il fût un piètre orateur. De retour en France en 1557, il y vécut tranquillement durant cinq années, donnant tout son temps au travail ; mais ayant publié en 1562 une consultation contre les décisions du concile de Trente que l'on voulait alors recevoir en France, il fut à nouveau violemment attaqué ; le Parlement venait de décréter contre lui la prison, quand le roi le fit mettre en liberté sous la condition qu'il n'imprimerait plus rien sans une permission expresse. Le repos tua ce savant homme, l'un des meilleurs jurisconsultes que la France ait possédé.

Carondas le Caron[43], Parisien, poète et philosophe à ses heures ; il est l'auteur des Responses dv droict françois, confirmées par les arrests des cours souveraines de la France et rapportées aux lois romaines, publiées en 1586, à Paris, chez l'Huillier. Cet auteur, né en 1536, avait exercé des fonctions judiciaires sous Charles IX.

Adam Fumée, conseiller de Paris, envoyé auprès de M. de Crussol, en Provence et à Lyon, en qualité de conseil, l'an 1562 ; homme très-docte, ce magistrat était à la fois mathématicien, philosophe, historien et même poète ; on lui reconnaissait un don de parole claire et facile.

François Hotman, originaire de Silésie, appartient à la France comme professeur de droit, puisqu'il tint une chaire à Valence et à Bourges. Si son principal ouvrage Franco-Gallia, ou traité du gouvernement des rois de France et de l'ordre de leur succession, où il soutient que les états généraux peuvent choisir chaque monarque, a paru à Genève (1573), c'est qu'il s'y était réfugié après avoir échappé à la Saint-Barthélemy. Il était donc calviniste. Son Discours sur l'étude des lois ou Anti-Tribonien date de 1567 ; le recueil des lois de Justinien[44] se trouve critiqué avec verve dans ce travail, dont la politique contemporaine est entièrement absente[45].

En jurisconsultes étrangers à la France nous pouvons citer un Bolonais, Gabriel Palœoti, professeur de jurisprudence à l'âge de vingt-quatre ans, qui a composé et mis au jour en 1572, à Venise, un livre sur les bâtards[46], sujet assurément intéressant alors pour un grand nombre de familles, vu le relâchement des mœurs, vu les mariages contractés depuis la réforme par un assez grand nombre de prélats et de religieux, vu surtout la différence à établir, au point de vue des successions, suivant qu'ils étaient légitimés ou non. Palœoti constate l'indifférence de la loi civile relativement au concubinage, et termine par une table des noms des fils de naissance illégitime qui parvinrent à la célébrité.

 

§ 9. — LATINISTES.

L'emploi de la langue française se répand et devient plus général, mais les controverses religieuses maintiennent encore la langue latine, vu que par elle on se fait comprendre des savants et des prêtres de tous les pays.

Notre énumération de latinistes, car nous ne pouvons guère présenter autre chose, vu le défaut de sources, vu surtout notre incompétence, comprendra les noms suivants :

Jean Garet, de Louvain, auteur d'un traité de Vera Prœsentia, de la vraie présence du corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie, imprimé à Paris en 1562, chez Fremy.

François Balduin, auteur connu et qui apparaît avec autorité, au moins à partir de 1563 : auteur d'un travail profond sur la composition de l'histoire universelle et sur ses rapports avec la jurisprudence[47].

Andreas[48], dont un volume d'Exemplorum memorabilium, ce que l'on appelle vulgairement un Selectœ dans le sens classique moderne, a paru en 1569, à Paris, dans le format in-12.

Jacob Prœvosteau, auteur d'un recueil de discours grecs et latins à l'usage des élèves du collège de Calais (1570) ; un anagrammiste contemporain retourna le nom patronymique de ce latiniste de façon à former Avrevs poeta, et cela eût pu nous autoriser à le classer parmi les poètes.

Jean de Serres, ministre calviniste, retiré à Lausanne après la Saint-Barthélemy, et frère d'Olivier de Serres ; il a composé en 15 livres : Commentariorum de statu religionis et reipublicœ in regno Galliœ, qui a paru de 1571 à 1573. C'est un ouvrage sérieux, composé par un bon esprit qui est rentré au service diplomatique de la France sous Henri IV.

Mentionnons encore un professeur d'hébreu, Cinq-ArbresQuinquarboreus —, parce qu'il a mis en latin des psaumes, plusieurs extraits d'Avicenne, et qu'il a publié dans cette langue sa Grammaire hébraïque ; ses débuts remontent au règne de Henri II.

En poètes latins écrivant sous le règne de Charles IX, nous pouvons rappeler :

Vida — Marc-Jérôme[49] —, évêque d'Albe sur le Tanaro, poète à la fois exact et élégant, auteur de poésies sur la vérité chrétienne, sur l'art poétique, sûr les vers à soie, sur les échecs, auteur également d'églogues et de poèmes divers, dont les œuvres ont été réunies à Lyon[50] en 1561 : très-loué et très-blâmé, et poète de talent, quoiqu'il soit exagéré de le placer, comme un l'a fait, immédiatement après Virgile.

On réimprimait alors en France, à titre de curiosité sans doute, mais aussi parce que plus de personnes que de nos jours lisaient le latin, des poètes latins de la décadence, par exemple Juvencus, Sédulius et Arator, dont Jean de Tournes a donné un petit recueil en 1560[51]. Mieux valaient, au point de vue moderne, les réimpressions des auteurs classiques, telles que celles de la traduction d'Hérodien en latin par Ambrogini, dit Politien, précepteur de Léon X, dont l'imprimeur Plantin d'Anvers[52] gratifia le public en 1566.

 

§ 10. — HELLÉNISTES.

Amyot, outre sa traduction des œuvres complètes de Plutarque, qui fit accomplir des progrès à notre langue et fut lue de toute la France durant plus d'un siècle, a mis en français six livres de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile et le roman de Daphnis et Chloé, de Longus ; chacun sait que cette dernière traduction a été conservée par Courier, un connaisseur émérite, qui l'a revue, complétée, et a fini, à force de retouches, par la faire sienne.

Le règne qui nous occupe a vu d'autres hellénistes.

Jean Frison, lequel, en 1562, fait imprimer à Zurich une édition[53] de Opera et dies[54] d'Hésiode, avec une préface de Mélanchton, des annotations de Jacob Ceporinus, qu'il corrige et complète[55], une explication de la versification grecque, enfin la traduction en vers latins des deux livres de l'auteur grec dont il s'est fait l'éditeur. Frison annonce ladite traduction pour aussi littérale que possible. Cette édition d'Hésiode est peu connue et mériterait d'être consultée.

Le libraire Frédéric Morel, lequel a imprimé plusieurs livres utiles en grec et en latin, sous les règnes de trois fils de Henri II, était interprète et architypographe royal ; nous le plaçons surtout parmi les hellénistes, en ce sens que ses éditions grecques sont et correctes et fort belles[56].

On se préoccupait de la prononciation grecque ; un discours spécial publié en 1568, à Paris, par Denis Lambin[57], traite de ce sujet. L'auteur essaye de réformer des habitudes vicieuses, et, à ce propos, il examine successivement le sort de chaque lettre ; par exemple des trois voyelles longues α, η, ω, la première est la plus sonore, la deuxième doit être médiocrement aspirée — c'est, dit-il, un ε redoublé —, la troisième demande une bouche arrondie sans une trop grande compression des lèvres ; quant à la voyelle υ, c'est la moins bruyante.

Citons encore le célèbre philologue Adrien Turnèbe — Tournebœuf —, mort pendant le règne de Charles IX en 1565 ; professeur de littérature grecque et latine au Collège de France, il a donné d'excellents Commentaires, notamment sur les odes d'Horace et sur Varron. Ses éditions sont nombreuses ; ses commentaires sur Horace, par exemple, ont été réimprimés en 1586[58].

Pierre Danès — Danesius — survécut de dix ans à Turnèbe ; on lui doit une excellente édition de Pline. Il avait été élève de Guillaume Budé et fut lui-même précepteur de François II.

Henri Estienne, le célèbre imprimeur[59], élève de Danès, helléniste de premier ordre, a publié son fameux Thesaurus grœcœ linguœ en 1572 ; en œuvres secondaires, on lui doit un curieux petit volume dont voici le titre : Comicorvm Grecorvm sententiœ, latinis versibus ab Henrico Stephano reddite et annotationibus illustratæ, 1569.

Ces citations sommaires et les noms qu'elles contiennent mettent au grand jour le fait que les lettres grecques étaient plus cultivées sous Charles IX que de nos jours. Elles l'étaient aussi dans le voisinage de la France, car Guillaume Canter publiait à Anvers, chez le célèbre Plantin, en 1571, trois écrits où le grec figurait, savoir : Novarvm leetionvm libri octo, ouvrage rempli d'une saine critique ; les Epitaphes des héros d'Homère'[60], et De emendandi Grœcos avctores.

 

§ 11. — MATHÉMATICIENS.

On a dû s'occuper de science et de météorologie sous ce règne, puisqu'une question de calendrier s'est présentée et a été résolue en 1564, celle de fixer le commencement de l'année au ter janvier.

On s'occupe certainement de météorologie, mêlée à l'astronomie, afin de chercher à prédire non-seulement le beau ou le mauvais temps, mais l'avenir lui-même, témoin Michel de Nostredame, l'auteur des Centuries, livre fameux où l'on a cru découvrit la prédiction des événements de la Révolution française, qu'il appelle le Commun advenement, et même la prédiction des événements plus récents, et qui a été maintes fois publié et commenté[61]. Cet astrologue, juif d'origine quoique chrétien, avait d'abord exercé la médecine.

Quant aux mathématiciens purs, citons au moins Ramus, qui s'est occupé de géométrie et a blâmé, ou plutôt combattu, Euclide en géométrie, autant qu'Aristote en philosophie. On connaît son livre : Rami arithmeticœ libri dvo ; geometricœ septem et viginti, avec figures, petit in-4°, Bâle, 1569, qui est assez répandu en France.

 

§ 12. — ALCHIMISTES.

L'alchimie est la chimie du moyen âge ; elle revêt un caractère de secret et de fantaisie qui appartient bien à cette époque. Ses expériences sont merveilleuses ; seulement, on en tire de fausses déductions. Les alchimistes montrent une patience à toute épreuve ; mais ils se taisent et s'entourent de précautions mystérieuses dont leur vie dépend, car l'autorité spirituelle se méfie encore des sciences, et d'ailleurs elle ne laissera pas émettre une découverte qui contrarierait la foi et le dépôt des idées venues par tradition. D'un autre côté, l'alchimie s'était donné un but impossible, en voulant passer sans intermédiaires de ses faibles connaissances au problème le plus difficile, celui de fabriquer un corps de toute pièce, par exemple l'or, car la science doit procéder par des observations successives et des conquêtes assurées.

Pourtant c'est la recherche de l'or, but secret des alchimistes, et qui les a tous rendus malheureux, au point qu'on peut la comparer à la poursuite du bonheur échappant dans cette vie à ceux qui s'en occupent avec trop d'ardeur, cette recherche, disons-nous, s'explique mieux quand on sait que l'alchimie, procédant de l'art sacré de l'ancienne Égypte, croyait que le soufre et le mercure composaient tous les corps, et surtout les métaux ; on peut donc supposer qu'elle considérait l'or comme une agrégation particulière de ces deux corps, ou d'autres éléments, à la façon par exemple du sucre et de l'amidon, lesquels ont absolument la même composition sans jouir des mêmes propriétés.

Paris, parmi les villes d'Europe, renfermait le plus d'alchimistes ; ils se réunissaient sous les péristyles des églises, et notamment sous celui de Notre-Dame, pour se communiquer le résultat de leurs recherches, ou du moins cc qu'ils en voulaient dire. La plupart cherchaient à deviner le secret des autres, ou encore à trouver un élève ou un associé.

La seule expérience curieuse de ce temps est celle dévoilée par un Grec associé de Denis Zachaire[62], originaire de la Guyenne et qui tient une place parmi les alchimistes vivant sous Henri II ; elle consistait à mêler du cinabre avec de l'argent et à en retirer par la coupellation un poids d'argent un peu plus considérable que celui introduit. L'augmentation était très-faible et devait tenir à la présence d'un peu d'argent dans le cinabre ; en tout cas il n'y avait pas de quoi s'enrichir.

Les poudres qui semblaient provenir de la pierre philosophale étaient des composés aurifères adroitement dissimulés et dont, par une simple projection, on extrayait l'or paraissant ainsi sortir d'une transformation. Il y eut des quantités assez considérables de ces poudres fabriquées à l'époque qui nous occupe, mais le secret même de leur fabrication n'a jamais été divulgué ; l'alchimiste Kelley, qui fit à Prague tant de bruit en 1585, et devint même un instant maréchal de Bohême, grâce à l'enthousiasme de l'empereur Maximilien II, cet alchimiste, croyons-nous, employait de la poudre dont il avait trouvé un dépôt, mais ne savait point la composer, même en employant de l'or, ce qui fut cause de ses malheurs et de sa fin.

Cosme Ruggieri n'était pas un alchimiste, quoiqu'il dût se connaître en opérations de fourneaux et de creusets ; c'était plutôt un adepte des sciences occultes, on nommait alors ainsi les sciences physiques, c'était surtout un supputateur, un astronome, ou mieux un astrologue. Il fallait pour un tel rôle de la science et de l'habileté ; celui qui le jouait devait être à la fois philosophe et dominateur. Cosme réunissait ces qualités diverses ; de là son empire sur la reine mère.

Le magnétisme et l'un de ses effets, la seconde vue, n'étaient pas inconnus en ce siècle ; Nostradamus semble les avoir employés alors qu'il prédit à Catherine de Médicis, par une femme dont il dirigeait les réponses, l'avenir de ses cinq enfants, tous rois ou reines, tous mourant sans postérité, le dernier des rois étant assassiné.

Et, fait curieux, les prédictions de la seconde vue s'accordaient de tout point avec celle de l'horoscope tiré par Cosme à la naissance de la reine mère.

Mais, dira le lecteur, nous voilà loin de l'alchimie ; non, certes. L'alchimiste était parfois astrologue, et l'astrologue était souvent médecin, tant les connaissances humaines restaient encore mêlées, tant surtout l'extraordinaire et le désir de deviner l'avenir agitaient encore les meilleurs esprits et les détournaient de recherches plus pratiques et plus utiles.

Une dernière branche de l'alchimie, ou plutôt de la chimie, comprenait l'art de composer les poisons, que l'on excellait encore à administrer comme an moyen âge proprement dit, qui dans une fleur, qui avec une paire de gants, qui au moyen d'une lettre ; mais c'était assurément un art italien, nullement un art français, quoique le Dauphin, frère aîné de Henri II, ait succombé, croit-on, par suite d'un empoisonnement. Que cette mention du plus abominable moyen de vengeance ou de politique suffise ici.

 

§ 13. — MÉDECINS.

Il en coûtait cher pour se faire recevoir médecin ou chirurgien, 881 livres[63] d'après le témoignage de Ramus dans ses Advertissements sur la réformation de l'Université de Paris (1562) ; ce n'était donc pas une profession accessible à tous, et il fallait jouir par sa famille d'un certain patrimoine[64].

A cette époque, l'art de la chirurgie se perfectionne, non-seulement par l'enseignement dans les universités, mais aussi par la pratique que développent les guerres civiles en multipliant le nombre des opérations.

Nous avons déjà mentionné Ambroise Paré, dans l'histoire du règne précédent. Sous Charles IX, il ne s'associa pas, quoique catholique, au mouvement général d'entraînement en faveur du massacre de la Saint-Barthélemy[65].

L'un des élèves d'Ambroise Paré, Jacques Guillemeau, parrain de son petit-fils Charles, se fit l'éditeur des œuvres de son célèbre ami, traduites en latin ; il était lui-même chirurgien.

Citons encore Postel, Acquapendente, Tagault, Honoré de Castellan et Louis du Laurens.

Postel soigna d'Aubigné après la Saint-Barthélemy, alors qu'après une collision dans un village de la Beauce, avec un homme qui le poursuivait à cheval, il fit 22 lieues étant blessé, et arriva épuisé chez le sieur de Talcy. Je fus visité durant ma maladie, relate d'Aubigné en ses Mémoires, par plusieurs médecins, et entre autres de Postel, qui me conseilla de me confesser pour empêcher que je ne fusse massacré par les catholiques ; ce que n'ayant pas voulu faire, il resta auprès de moi jusqu'à ma guérison, afin de rompre les mauvais desseins que l'on pourrait tramer contre ma vie[66].

Acquapendente, médecin italien, fut également envoyé auprès des victimes de ce jour néfaste.

Jean Tagault, docteur en médecine, est l'auteur d'un livre intitulé : la Chirvrgie, publié d'abord en latin, traduit en français, puis réimprimé à Lyon, avec diverses figures, en 1580, dans le format in-12, par Barthélemy Honorat. Cet ouvrage se partage en six livres consacrés : le premier aux tumeurs contre nature, le deuxième aux plaies récentes, le troisième à la guérison des ulcères, le quatrième aux fractures et à leur guérison, le cinquième aux luxations et à leur réparation, le sixième à la matière chirurgicale. Cela paraît un travail sagement élaboré, exposant le domaine de la science sans l'agrandir. Les figures des pages 239 et 240 sont curieuses comme images, mais elles n'apprennent rien, surtout la seconde qui représente un chirurgien ouvrant une poitrine humaine au-dessus du sein droit, pour en extraire une plombée, c'est-à-dire une balle de plomb. Tagault, ne l'oublions pas, à l'imitation de plusieurs médecins de ce temps, était versé dans les bonnes lettres.

Honoré de Castellan[67], devenu célèbre à Montpellier et dans tout le Languedoc, fut appelé à la cour par Charles IX et exerça les fonctions de médecin du roi.

Son ami et beau-frère Louis du Laurens, père du médecin de ce nom qui devint médecin[68] de Henri IV et composa un gros traité d'anatomie[69], exerçait à Tarascon ; il se transporta ensuite dans la ville d'Arles. Là, il enseignait le matin aux chirurgiens, dans l'après-dînée aux apothicaires, et, pour ses visites et consultations, ne prenait rien aux pauvres, aux écoliers, aux gens de lettres ; les clients abondèrent tellement autour de lui qu'il finit par prendre une petite mule, afin de moins perdre de temps. Quand Charles IX s'arrêta dans Arles, l'an 1565, Honoré de Castellan l'accompagna, descendit chez du Laurens, et présentant ses neveux au monarque : Sire, dit-il, vous aurez ici un jour de braves serviteurs. — Je les reconnaîtrai, répondit le roi[70].

Enfin rappelons que Nicolas Ellain, mentionné comme poète dans l'Histoire de François II, était médecin.

On envoyait des médecins aux armées. Deux médecins du roi, dont le nom se ressemblait et qui plaisantaient eux-mêmes de cette similitude, Jean Chapelain et Honoré Chatelain, remplirent souvent ces fonctions périlleuses et honorables ; ils les remplissaient ensemble, car, fort amis, jamais on ne songea à les séparer. Ils moururent tous deux en 1569, au siège de Saint-Jean-d'Angély, et à peu de jours d'intervalle : on les enterra sous la même pierre, et, dans une pièce de vers latins, Michel de l'Hôpital célébra leur tombeau et leur science. Je ne sache rien de plus honorable que cette carrière confraternelle. Il va sans dire que, sur le champ de bataille, ces deux médecins soignaient tous ceux qui avaient besoin de leur habileté, qu'ils fussent catholiques ou qu'ils fussent protestants.

Les médecins de ce temps cultivaient soupent la philosophie ; cela se rencontre encore de nos jours, mais pas avec le même caractère. Ceux du XVIe siècle parlaient, philosophaient sur toutes choses, témoin Cardan le Subtile, qui traite de Dieu, des éléments, de la nature et de la forme de l'homme, des sens et des choses sensibles, des bêtes parfaites, de celles engendrées par la putréfaction[71], des pierreries, des plantes, des arts et des inventions merveilleuses : Cardan était également mathématicien et chimiste, mais nous ne faisons ici que le citer, nous étant déjà occupés de lui dans l'histoire du règne précédent.

Nous terminerons ce paragraphe en rappelant que la guérison des possédés relevait plus de la religion que de la médecine ; l'histoire du diable de Laon, qui tourmentait Nicole Aubry, au commencement de 1565, en est la preuve. Cependant, dans la première adjuration à laquelle il se livre, l'évêque de Laon est accompagné de deux docteurs, entre autres du docteur Chausse, de la faculté de Paris, et chaque fois qu'on essaye de délivrer cette femme par la présentation de l'hostie, des médecins et chirurgiens experts sont présents et étudient jusqu'à quel point s'étend son insensibilité.

 

§ 14. — ÉCRIVAINS CYNÉGÉTIQUES.

Du Fouilloux doit ouvrir la liste de ces auteurs spéciaux ; il a eu effet écrit sur la chasse un livre dont le texte a été plusieurs fois imprimé, du moins on en cite une édition de 1561 et j'en connais une publiée en 1573 par le libraire juré Galiot du Pré, habitant à Paris, rue Saint-Jacques[72]. Son traité de la Vènerie contient les préceptes résultant de son expérience pour le choix et l'élevage des chiens de chasse, pour la découverte du gîte du cerf, la recherche de ses routes, l'établissement des relais, sa poursuite, son atteinte, sa curée. C'est un livre des plus curieux, orné de planches et reproduisant les notes musicales des cris et sonneries. Les ruses du cerf, cet animal donné pour le plaisir des rois, y sont admirablement décrites, puis déjouées ; il en est de même des habitudes d'autres animaux ; en cette partie surtout de son œuvre, l'auteur se décèle comme un fin observateur. Toutefois plus d'une fable obscurcit ce livre : telle est celle du serpent venimeux qu'un vieux cerf mange pour se purger et se renouveler, c'est-à-dire se rajeunir. Du Fouilloux demeure dans une meilleure sphère, celle des remarques propres au chasseur émérite, quand il assure que le cerf, même forcé, préfère se rendre à l'homme et non aux chiens[73].

En tête de la Vènerie une image représente du Fouilloux à genoux, faisant hommage au roi de son ouvrage. Charles IX lui-même doit être rangé au nombre des écrivains cynégétiques comme au milieu des poètes, et cela doit peu étonner, car Pierre de l'Estoile déclare qu'il aimoit trop la chasse, mortis causa Diana fuit. Ce prince a composé un livre intitulé : de la Chasse du cerf, mis en lumière à nouveau en 1859 seulement, d'après le manuscrit de la bibliothèque de l'Institut[74]. Cette composition renferme vingt-neuf chapitres. L'auteur royal s'y montre profond connaisseur des habitudes du cerf et des qualités du chien. Ainsi, pour reconnaître le cerf par le pied, il différencie le pied du jeune cerf, du vieux cerf, d'avec le pied de la biche, assurant que le cerf, malgré sa jeunesse, a tousiours le pied de derrière meilleur, c'est-à-dire plus grand, et la jambe plus large qu'vne vieille Bische. Ainsi il distingue les chiens gris qui n'ont pas le nez si bon que les noirs ; cela est cause que leur façon de chasser est toute différente, car comme les autres chassent par le menu, ceulx cy estant extremement vistes et ayant deffault du sentiment chassent à grandes randonnées (circuits) loing des voyes, et à la voue les vns des aultres. Quant au veneur, son opinion est nette : Il fault que le jeune Gentilhomme que l'on veult rendre bon Veneur, soit bien sain, dispost et de belle taille, qu'il ayt l'esprit bon, notamment le jugement prompt et vif, d'aultant que la principalle partie de l'art consiste en la promptitude du jugement, et d'aultant que le prouerbe dict que l'aage d'yu homme n'est suffisant pour bien et parfaictement apprendre vn art ; le plus jeune que l'on y peult entrer est le meilleur et singulièrement en celuy de la Venerye, auquel on voit et congnoist chascun jour choses nouuelles, que la nature des bestes apprend aux hommes.

 

§ 15. — CATALOGUE DES LIBRAIRES FRANÇAIS DE CE RÈGNE.

Leurs noms figurent déjà dans les notes de plusieurs chapitres de cette histoire, mais il nous semble utile de réunir les principaux et de les classer par ville, en nous bornant aux deux villes les plus considérables.

Libraires de Paris : Frédéric Morel, 1560 ; — Vincent Sertenas, à l'image de saint Jean l'évangéliste, 1561 ; — Claude Fremy, à Saint Martin, rue Jacob, 1562 ; Guillaume Julien, à l'enseigne de l'Amitié, près le collège de Cambrai, 1562 et 1569 ; — Charles Perier, au Bellérophon, 1565 ; — Gabriel Buon, à Saint Claude, 1566 ; Jean Charron, à Saint Jean, 1568 ; Ægide Gorbin, à l'Espérance, 1567 ; — Thomas Brumen, à l'Olive, 1569 ; Jean Rallier, à la Rose blanche, 1569 ; — Denis du Pré, à l'enseigne de la Vérité, 1570 ; — Galiot du Pré, à la Galère d'or, 1573 ; — Nicolas du Mont, 1574 ; — Michel Buffet, à la Couronne, 1574 ; — Michel de Vascosan, imprimeur et beau-père de Féderic[75] Morel, 1574[76].

Libraires de Lyon : Mathias Bonhomme, à la Clef d'or, 1560 ; — Jean de Tournes, éditeur d'un grand nombre d'ouvrages ; — Antoine Gryphe, 1561 ; — Jean Frellon, 1567 ; — Benoist Rigaud, 1570 ; — Michel love, 1571 ; — Guillaume Rouille, 1574.

 

§ 16. — ARCHITECTES.

Trois architectes brillent sous Charles IX et décorent la France de monuments remarquables ; ce sont Bullant, Delorme, Lescot.

Jean Bullant, qui exerçait aussi les arts de la sculpture et de la gravure, a construit vers 1540 le château d'Écouen pour le connétable de Montmorency, et est devenu en 1557 contrôleur des bâtiments du roi. En 1560 il embellit le château de Chenonceaux échangé et possédé alors par Catherine de Médicis[77]. Il travailla également aux Tuileries et acheva pour la reine mère l'hôtel dit plus tard de Soissons. Il exécuta plusieurs tombeaux, notamment celui du connétable. Cet artiste complet a mérité d'être appelé le prince des architectes français. Il a écrit sur son art et publié un traité de l'horlogerie (1561).

Philibert Delorme, déjà célèbre sous François Ier et auteur de la cour en fer à cheval du château de Fontainebleau, projeta, par ordre de Catherine de Médicis, le palais des Tuileries et en acheva la partie centrale. Il est l'inventeur d'un système de charpente pour les toitures qui nous parait fort lourd, mais était léger par rapport aux grosses charpentes précédemment en usage et qui calaient très-cher en surchargeant les bâtiments ; ce système fut essayé au château de la Muette. Philibert Delorme jouit d'une grande faveur ; il a écrit sur l'architecture ; le sentiment religieux se fait jour dans ses ouvrages et en élève les pensées et le style.

Pierre Lescot, l'auteur du vieux Louvre terminé en 1548, était de quelques années l'aîné des précédents ; dans ce palais il employa la sculpture pour décorer son attique, ayant commencé au rez-de-chaussée par l'ordre le plus riche, par le corinthien. Cet architecte vivait encore sous ce règne, et s'appelait l'abbé de Clagny, d'un riche bénéfice qu'il possédait près de Versailles, et dans les terrains duquel cette cité a, de nos jours, créé un quartier.

 

§ 17. — PEINTRES.

Un petit portrait de Charles IX par Fr. Clouet se trouve au musée du Louvre. Ce Clouet a peint également, en 1563, un beau portrait du même monarque, lequel appartient à la galerie du Belvédère à Vienne, et y a été sans doute envoyé lorsqu'il s'est agi du mariage du roi avec Élisabeth d'Autriche.

On pouvait être docteur et avoir porté les armes ; on pouvait même, en remplissant ces deux conditions, savoir peindre. Tel était un nommé Gleyse[78], neveu des médecins du Laurens, lequel avait servi le roi à Montauban, devant la Rochelle et même en Hollande, où il comptait parmi les défenseurs de Breda contre Spinosa. Ce Gleyse connaissait bien les mathématiques et peignait ; il exécuta une collection de vues de cette dernière ville.

 

§ 18. — SCULPTEURS.

Trois sculpteurs méritent attention.

Simon Le Roy, peintre et sculpteur établi au faubourg Saint-Germain et ami du graveur Bechot et du peintre Clouet.

2° Germain Pillon, sculpteur du roi, aux gages annuels de 33 livres. En 1573, il fut nommé contrôleur général des monnaies, avec charge de fournir au tailleur des monnaies des figures en cire du roi que celui-ci n'aurait plus qu'à copier. La nouvelle création ne fit pas plaisir à Claude de Hery, ledit tailleur, mais il dut se soumettre. Germain Pilon, né à Paris, où il passa sa vie entière, est célèbre par son groupe des trois Grâces et par divers autres morceaux de sculpture, ainsi que par des terres cuites.

Michel Gaultier, beau-frère de Germain Pilon[79].

 

§ 19. — GRAVEURS.

Mentionnons Claude de Hery, qui d'orfèvre était devenu également graveur sur métaux, comme l'usage le voulait alors ; il obtint en 1558, malgré la concurrence d'un autre graveur nommé Guillaume Martin, l'office de tailleur et graveur général des monnaies de France[80], qu'il exerça jusqu'en 1581. A l'avènement de Charles, il exécuta les coins nouveaux, et durant neuf ans les testons furent ainsi frappés. En 1569, il en fit d'autres que François Clouet dit Janet, peintre du roi — Clouet III —, approuva quant à la ressemblance, mais qui déplurent au monarque et à sa mère, connaisseurs en choses artistiques, en sorte que leur emploi fut ajourné[81].

Le graveur Aubin Olivier était aussi attaché à la fabrication des monnaies en qualité de maître ouvrier et de conducteur des engins.

Signalons encore Olivier Codoré, auteur des belles planches qui décorent la publication Entrée de Charles IX à Paris, le 6 mars 1572, et Perissin et Tortorel, les graveurs populaires du massacre de la Saint-Barthélemy et des autres événements de ce règne.

Enfin parlons du graveur et orfèvre d'Avignon Bernardin Megières, lequel grava les coins, aux armoiries du pape et du légat, avec lesquels on frappa dans cette ville des écus et testons durant la mise en état de défense de ladite cité, pendant l'année 1562.

 

§ 20. — MUSICIENS.

Le roi Charles IX aimait la musique, ressemblant en cela à son père ; il eut de bons chanteurs et les payait avec largesse, notamment un castrat du nom de Leroy[82] qu'il entendait avec plaisir. On le montre même se mêlant aux chœurs et y faisant sa partie. Tous les plaisirs vifs séduisaient ce prince[83].

Citons à ce sujet son autorisation de la création de l'Académie des deux sciences (4 décembre 1570), laquelle subsista sous son règne et sous celui de son frère Henri III, et fut en réalité une Académie française aidée par le secours de la musique.

 

 

 



[1] Par le transport dans la capitale de la bibliothèque de Fontainebleau dont la fondation remonte à son grand-père.

[2] La société d'Ant. Baïf, en 1570.

[3] L'édition in-8° de 1574 des Œuvres morales (on disait alors les Œuvres meslées) s'intitule 2e édition.

[4] Plutarchi Cheronei Græcorum Romanorumque illustrium vitæ, è Græco in Latinum versæ. Lygdvni, apud Paulum sub insigni D. Pauli, in-12, 1548. Le tome II se termine par une Vie de Platon, également en latin et due à Guarinus (de Vérone).

[5] Histoire de Charles IX, par Papyre Masson.

[6] On donne comme le premier billet de Charles IX à Ronsard celui qui débute ainsi :

Ronsard, je conçois bien que si tu ne me vois,

Tu oublies soudain de ton grand roi la voix.

En général, même sur le trône, on ne se décerne pas à soi-même l'épithète de grand, quoique ici elle puisse fort bien être simplement une cheville ; cette remarque corrobore le doute émis et porte à croire que ledit billet ne provient pas de Charles IX. Les vers attribués à Charles IX par Voltaire en son Dictionnaire philosophique, au mot Charles IX, nous paraissent pas plus authentiques, et cet article du célèbre dictionnaire semble être fait pour déclarer qu'un bon poète ne peut être un barbare.

[7] On affirme pourtant qu'il dicta son épître à Ronsard comme son Traité de la chasse à Mesnil, lieutenant de vénerie, qui l'avait initié à cet art.

[8] Ceci ne concerne pas Desportes, qui fut pourvu de riches abbayes et reçut 800 couronnes d'or de Charles IX pour son Rodomont ; aussi le recueil de ses vers imprimé en 15'73 est-il magnifique. Desportes avait composé des vers pour réconcilier Charles IX avec Marie Touchet, el cela avait réussi ; pareil incident explique, la libéralité du roi. — A l'égard des poètes Ronsard et Baïf, Chaules IX fut plus réservé ; chacun connaît son propos : Il faut les traiter comme les chevaux, leur donner à manger sans trop les engraisser. Et cela afin de les contraindre à travailler.

[9] Le mot de l'auteur est plus trivial,

[10] Cet adverbe répété constitue une négligence ; Desportes n'en manque pas.

[11] Autre exemple de répétition chez Desportes ; un des vers suivants s'exprime ainsi sur Medor :

C'est son Dieu, c'est son tout, c'est l'âme de son âme ;

et ces expressions, il les a déjà employées vis-à-vis de Rodomont.

[12] Desportes à l'Arioste, Regnier aux poètes latins et italiens, Boileau à Horace.

[13] Un de ses plus longs poèmes ou plutôt recueil ; il y a deux livres dans cette œuvre, le 1er de 69 pièces, le 2e de 76.

[14] La perte d'un ami et d'autres chagrins.

[15] Auteur de vers mis sur une carte du Limousin, 1791.

[16] Petit-fils du jurisconsulte Tiraqueau, le buveur d'eau. Son vrai nom s'écrivait Ribaudeau ; il en changea une lettre afin d'éviter les plaisanteries, et cela en effet lit meilleure figure quand il fut anobli et s'intitula Robert de Rivaudeau, seigneur de la Guillotière.

[17] Par M. Ch. de Sourdeval. — Rivaudeau avait débuté par des traductions : la Noblesse civile d'OSORIO, Paris, 1549 ; et Doctrine d'Épictète, Poitiers, 1567.

[18] On cite de lui les Deux Moralités.

[19] Jacques de la Taille était aussi un bon helléniste.

[20] Les Œuvres de ce poète ont été rééditées en 1861, chez Bachelin, par un de ses descendants, M. Malignes de Champ-Repus, capitaine d'état-major.

[21] Th. de Bèze, fort versé dans les littératures anciennes, était en outre poète, et assez, non-seulement pour traduire des psaumes, mais pour composer une tragédie en vers de dix syllabes, le Sacrifice d'Abraham, Lausanne, 1550.

[22] Jacques-Auguste de Thou n'appartient à ce règne, ni comme magistrat, ni comme historien ; il ne comptait en effet que vingt et un ans à la mort de Charles IX.

[23] En 1622 ; il avait alors soixante-dix ans.

[24] En 1575 il réussit dans une expédition contre l'île de Ré.

[25] Publié en 1838.

[26] C'est un des derniers Emblemata, fort à la mode dans ce siècle. In-12, Anvers, avec nombreuses figures, 1563, chez Jean Stelsius, imprimé par Christophe Plantin. Ces recueils sont plus sérieux qu'on ne le croit généralement, et il y règne une douce philosophie. Choisissons pour exemple la devise Cœcus amor prolis ; voici la réflexion de Paradis : Le singe naturellement aime tant et estant fol de ses petits, qu'en les embrassant et acolant, les estraint si fort, que souvent les oppresse et tue. Et ainsi fait come plusieurs peres, qui amignardet tant, et sont tant douillets, et tendres de leurs enfans, qu'en fin n'en font chose qui vaille.

[27] Paris, 1568, in-folio.

[28] En parcourant les cartes de ce temps, on est frappé du très-petit nombre de villes fondées depuis trois siècles ; par exemple en France on aurait de la peine à, en citer, surtout avant certaines agglomérations déterminées, sur les lignes de chemins de fer, en des points déjà habitées.

[29] Le proiect et calcvl faict par le commandement du Roy de la grandeur de son Royaume, 1566.

[30] Chez Giordano Ziletti, à l'enseigne de l'Étoile, in-4°. — Le médecin Moleto publie la même année, chez le même libraire, un opuscule sur la facilité d'apprendre la géographie ; le titre le désigne ainsi : Medico, filosopho et matematico excellentissimo.

[31] Berière séjourna dans l'île en 1561 et 1565.

[32] L'église Saint-Severin de Paris offre à la vue des curieux, au-dessus du bénitier de gauche, une plaque en marbre blanc qui porte une inscription funéraire dressée à la mémoire de ce hardi colonisateur.

[33] Il est de Henri II Estienne et parut en 1575 sons ce titre : Discours merveilleux de la vie, actions et deportemens de la reine Catherine de Médicis, declarant tous les moyens qu'elle a tenus pour usurper le gouvernement du royaume de France et ruiner l'estat d'iceluy ; traduit plus tard en latin et dénommé alors : Legenda beatæ Catharinœ. — Suivant Antoine Tessier, Henri II Estienne serait aussi l'auteur de la Vie de Catherine de Médicis publiée sous le nom du sieur de la Grière et aurait été récompensé pécuniairement de ce travail, le 15 octobre 1579, par Henri III ; on a peine à croire qu'il ait écrit tour à tour le panégyrique et le pamphlet.

[34] Cette conversion ne peut être que postérieure au colloque de Poissy (1561).

[35] Et plus tard dans ses Aristotelicæ animadversiones, 1543, ouvrage dédié à Charles (depuis cardinal) de Lorraine, mais censuré.

[36] Voyez ci-dessus, dans notre livre sur la Saint-Barthélemy, le chapitre, intitulé : le Massacre à Paris ; il y est question de Ramus et de Charpentier. Ce dernier était aussi en relations avec Lambin et lui écrivait ; une de ces lettres a paru, à Paris, en 1569, dans le format in-12.

[37] In-12, de 19 pages, y compris la préface.

[38] De là son surnom de paginarius.

[39] Il devint victime, comme le général académicien de Guibert, sous Louis XVI, de son système de ne rien articuler contre les calomnies.

[40] Par Michel Berland, procureur au grand conseil du Roy, Paris, in-12, chez l'Angelier, libraire, rue des Canettes. Ce livre ne porte pas de numéros à ses feuillets, mais l'ordre alphabétique des matières y supplée.

[41] Seigneur de Marcilly, conseiller et lieutenant général au bailliage de Forests.

[42] In-folio, Paris, 1567, par Iaques du Puys, libraire iuré de l'vniversité. Dumoulin comptait, dit-on, une Courtenay parmi ses ancêtres.

[43] Il s'intitule ainsi sur ses livres, tandis que ses biographes le nomment Loys le Caron, dit Charondas. Il était avocat et lieutenant général au bailliage de Clermont en Beauvoisis ; il mourut en 1617. On lui doit un Grand Coutumier de France, in-4°.

[44] Qu'il nous soit permis de rappeler une magnifique édition du Digeste, un de ces volumes comme on n'en fait plus : Digestorvm seu pandectarvm libri qvinquaginta ex Florentinis pandectis re præsentati, Florientiæ in officina Laurentii Torrentini dvcalis Typographi, 1553, in-f° de 1666 pages sans compter les préliminaires, l'index et un supplément.

[45] Son Brutum fulmen, en faveur du roi de Navarre, écrit excommunié, date de 1588. Il y a des éditions dépourvues de l'indication du lieu d'impression ; les meilleures sont celles de Leyde et Genève. On doit, à M. Rodolphe Dareste un Essai sur Hotman, 1850.

[46] De nothis speriisqve filiis liber, in-18, apud Iacobum Leoncinum.

[47] De Institutione historiæ universæ et eius cem irrispredentiœ coniunctione, Paris, chez Wechel, in-4°, 1561. Dédié au roi de Navarre Antoine de Bourbon, et précédé d'une lettre au chancelier Michel de l'Hospital.

[48] Né à Evora en Lusitanie (Espagne). Il ne faut pas le confondre avec le ministre protestant Jacques André, né dans le Wurtemberg, latiniste et hébraïsant.

[49] Mort en 1566.

[50] Un volume in-32 de 575 pages imprimées en caractères italiques.

[51] Pour Sédulius, c'est une réimpression de l'édition incunable de 1499 ce poète a été réédité à Rome en 1794. On rencontre souvent ses œuvres jointes à celles de Fortunat.

[52] Plantin, né Français, posséda également une maison d'imprimerie à Paris.

[53] Un volume in-12 de 266 pages.

[54] Œuvres et jours, poème de 826 vers.

[55] En tête de ces annotations se trouve une planche représentant les instruments aratoires des Grecs.

[56] Son fils, portant aussi le prénom de Frédéric, fut comme lui professeur royal. Ne les confondons pas avec Guillaume Morel, correcteur chez Tilletan, puis aussi imprimeur royal pour le grec, en remplacement de Turnèbe.

[57] Lambinvs Monstroliensis, c'est-à-dire né à Montreuil-sur-Mer ; très-compassé dans ses habitudes, ce professeur (il enseignait au Collège de France) a, dit-on, donné naissance aux mots lambiner et lambin. Ce détail, qui décèle contre Lambin un peu de ce penchant de moquerie naturelle au caractère français, n'est pourtant pas indigne de l'histoire lorsqu'elle s'occupe de philologie. — Lambin était également latiniste et a contribué à restituer à Cornélius Nepos les Vies des hommes illustres dont il a donné en 1569 une édition avec commentaires ; son édition d'Horace a été imprimée à Venise.

[58] Adriani Tvrnebi, philosophiæ et grœcarvm litterarvm Regij professoris, Commentarius in librum primum carminum Horatij, Paris, in-12, chez Guillaume Julien, à l'enseigne de l'Amitié, près le collège de Cambrai.

[59] Reportez-vous sur Henri Estienne à la note du § 6 de ce chapitre.

[60] Ce livre rédigé en latin est moins connu (editio secvnda, in-12 de31 pages). Guillaume Canter avait voyagé en France vers 1588 et s'était lié avec Jean Dorat et Morel.

[61] Nostredame a succombé en 1566 à Salon. Deux ans auparavant, Charles IX, passant par cette ville, l'avait mandé auprès de lui. Mentionnons parmi ses commentateurs vivants M. l'abbé de Torné-Chavigny (1860), M. Buget (1862). M. Le Pelletier (1867).

[62] Assassiné et dépouillé en 1566 à Cologne.

[63] En théologie, 1.002 livres.

[64] Cependant on pouvait parvenir de très-bas ; l'exemple de Ramus, d'abord berger et domestique, le prouve. Toutefois de pareils travailleurs forment exception.

[65] Il perdit sa femme Jeanne Maselin en novembre 1573 ; remarié l'année suivante, il eut encore plusieurs enfants. On le voit qualifié de noble homme dans plusieurs actes notariés ; sa charge de premier chirurgien du roi devait en effet, comme plus tard certains emplois, donner au moins le titre d'écuyer.

[66] D'Aubigné avait alors vingt ans et était amoureux, ce qu'il explique avec complaisance.

[67] Ce n'est pas Jules Castellan, philosophe et évêque italien, mort à cinquante-huit ans.

[68] Il s'agit d'André du Laurens, docteur de Montpellier et professeur en cette faculté. Quant à Honoré du Laurens, il avait suivi les cours de médecine aux frais de son oncle Castellan, qui mourut jeune, mais lui laissa la somme nécessaire ; toutefois il ne persévéra pas et s'adonna au droit. Dans cette partie de l'enseignement comme dans la médecine, il en coûtait déjà pour se faire recevoir docteur.

[69] Publié, je crois, en 1595.

[70] Une famille au XVIe siècle, Paris, 1867, p. 49.

[71] C'est presque de la génération spontanée.

[72] Dans le format petit in-4°. — Le lecteur fera bien de lire le chapitre LXII relatif aux renards et à la manière de les prendre.

[73] Du Fouilloux, malgré sa réputation, a fait plus d'un emprunt aux Deduitz de la chasse de Gaston Phœbus.

[74] Paris, chez Aubry, lin de nos meilleurs bibliophiles, M. Henri Chevreul, a donné ses soins à celle édition. — Une édition antérieure avait vu le jour en 1625 ; l'éditeur Alliot l'avait dédiée au roi Louis XIII. On ignore d'après quel manuscrit elle fut publiée, mais son texte n'est pas entièrement conforme à celui de l'édition de 1859. L'édition de 1625 a été réimprimée en 1857 et en 1858. Ainsi la Chasse du cerf a eu, en trois années, les honneurs de trois éditions, fait qui montre combien la grande chasse avait alors repris faveur en France.

[75] Cette forme adoucie est remarquable ; deux siècles plus tard le grand Frédéric l'adoptera pour sa signature.

[76] Nous ne citons pas les libraires ayant édité des livres postérieurement à 1574, parce que nous ne sommes plus certain qu'ils fussent déjà établis sous Charles IX ; par exemple Guillaume Chaudière, 1579, rue Jacob, à l'enseigne du Temps et de l'Homme sauvage.

[77] Montaigne témoigne en faveur de la reine mère, signalant sa libéralité naturelle et munificence, exercée durant de longues années, en faveur des bâtiments somptueux et utiles, autant que ses moyens suffisoient à son affection. Les Essais, III, 6.

[78] Ce nom existe encore dans le midi de la France.

[79] Le peintre Nicolas Le Blond, qui appartient plutôt au règne suivant, était son autre beau-frère.

[80] Il avait eu pour prédécesseur un graveur très-habile, Marc Béchot.

[81] M. de Laborde, Renaissance des arts, 1855, p. 583, et Dictionnaire de biographie et d'histoire par M. Jal, au mot Hery. L'ordre d'ajournement remonte au 5 février 1570.

[82] Voyez Brantôme et Papyre Masson.

[83] A la fin du deuxième prologue de son livre IV, composé en 1552, Rabelais cite un grand nombre de musiciens ses contemporains, mais ils sont tous antérieurs au règne de Charles IX, au moins comme célébrité ; car plusieurs moururent sous ce règne ; par exemple : Cyprien de Rore, Belge d'origine, décédé maître de la chapelle Saint-Marc à Venise en 156.5, et Rousseau ou Roussel, d'origine italienne, mort après 1572 maître de la chapelle Saint-Jean de Latran à, Rome, tous deux ayant paru en France ; Philippe Verdelot, Belge d'origine, décédé en 1567 ; et peut-être Jean du Mollin, maître de la chapelle de la cathédrale de Sens, car on ignore la date précise du jour où il quitta cette terre.