HISTOIRE DE CHARLES IX

LIVRE PREMIER. — AVANT LA SAINT-BARTHÉLEMY

 

CHAPITRE PREMIER. — INSTALLATION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT.

 

 

La mort de François II, non-seulement déplaça le pouvoir et le fit passer des ultra-catholiques, représentés par les Guises, à un parti mixte et de fusion représenté par Michel de l'Hôpital, et que la reine régente adopta, mais au moment même elle supprima le vent des rigueurs, et procura à la population une ère de soulagement et d'apaisement.

Ainsi le prince de Condé vit sa prison s'adoucir et, au bout de dix jours, fut envoyé dans une des maisons du roi de Navarre son frère, ce qui n'était plus qu'un éloignement ; il se rendit à Ham, puis à la Fère, accompagné par ses propres gardiens qui se dirent dès lors ses serviteurs.

Ainsi le connétable mandé par Catherine de Médicis, et venu sans délai d'Étampes, renvoya, dès son entrée à Orléans, les soldats placés aux portes, signala de la sorte qu'il rentrait en fonctions, et notifia publiquement que le système de compression cessait, car son acte voulait dire : le roi n'a pas besoin d'être gardé au milieu de son royaume.

Ainsi les états assemblés, jusque-là craintifs, prirent confiance et se préparèrent à exprimer ouvertement leur opinion ; suivant eux, le décès du feu roi était un acte providentiel, en ce sens qu'il allait les relever, eux qu'on avait appelés dans Orléans avec l'intention de les abaisser. Ils manifestèrent d'un commun accord leur désir de voir le roi de Navarre devenir gouverneur, et les princes du sang conseillers légitimes du nouveau roi ; c'était d'un seul coup écarter les Guises. Catherine de Médicis, parfaitement renseignée, avait par avance réalisé leurs espérances en promettant à Antoine de Bourbon l'emploi de lieutenant général de son second fils[1]. De la sorte, la direction du pays se trouvait entre des mains françaises, et les Lorrains — ce nom indique leur origine étrangère — étaient relégués au second plan, tout en conservant par leurs charges une grande et notable position.

Il faut en convenir, cette solution fut due en partie au bon sens de Catherine de Médicis qui, une fois avertie, ne s'entêta pas suivant la coutume des princes, et démêla de quel côté il lui fallait pencher. Non qu'elle entrevit dans cet arrangement un allégement complet aux difficultés qui obscurcissaient l'horizon, mais elle aperçut en ce changement de régime effectué suivant le courant des sentiments publics, une sauvegarde, et ce fut là du coup d'œil politique. Hélas ! elle aura plus d'une fois encore à se protéger elle-même, durant les règnes de ses deux fils, Charles IX et Henri III, et souvent contre des adversaires aussi redoutables que les Guises. Mais en écrivant le titre royal que prendra plus tard en France le duc d'Anjou, nous anticipons, car nul alors ne pouvait prévoir que la reine régente aurait le malheur de perdre, et sans qu'il eût d'enfant légitime, son second fils, son second pupille royal.

Antoine de Navarre[2] n'est pas pour nous un homme nouveau ; nous l'avons étudié et dépeint en traitant de l'histoire de François II. Tel il fut alors, nul et indécis, il le sera encore sous Charles IX, et pourtant sa nullité ou sa modération produisit un bien au début du règne du jeune monarque, en ce sens qu'il n'éleva aucune prétention et laissa la prééminence à la reine mère, ce qui, suivant Pierre de la Place, préserva le royaume de toute sédition et inconvénient. Le roi, sur lequel on fondait des espérances, n'avait pas encore assez vécu pour qu'on pût réellement asseoir une opinion sur son compte. Le nouveau chancelier nous offre une figure digne d'attention ; c'est lui qui a conseillé de ne pas mettre à mort le roi de Navarre et son frère le prince de Condé, proclamant le danger pour un pouvoir de condamner, d'exécuter surtout un monarque. Cette résistance aux Guises, cet adoucissement dans l'exercice de la souveraineté, ce ménagement habile envers un parti déjà rudement puni après la conjuration d'Amboise, annoncent un homme réfléchi et loyal, qui ne cédera ni à la colère ni à d'autres passions, qui ne voudra plus par exemple que la royauté manque de parole comme au moment où les princes avaient été mandés à Orléans sous promesse de leur liberté[3]. Le règne nouveau s'inaugure donc ainsi : Catherine de Médicis pour gouverner, c'est-à-dire pour prendre un parti sur l'avis de son conseil ; le roi de Navarre pour jouer un rôle de représentation, puisqu'il devait faire rapport à la régente de tout ce qui lui était demandé de vive voix ou par écrit ; Michel de l'Hôpital pour diriger.

Celui-ci devient fort et prend de l'influence parce qu'il appartient à un parti politique nouveau, dont sa haute position le rend le chef et le représentant, et qui l'appuie à son tour : nous voulons parler du parti des politiques, gens d'opinion moyenne, qui veulent l'accord de la royauté avec l'esprit d'examen et la liberté individuelle. Tel était ce parti sous le règne précédent, tel il allait se montrer sous un nouveau monarque dont l'avènement amenait, nous venons de le dire, mie modification dans la situation générale. L'Hôpital lui-même, confirmé clans son emploi de chancelier par Charles IX, se trouvera plus à l'aise, les princes de Guise, ses premiers protecteurs, étant écartés du pouvoir, d'autant qu'il s'était déjà séparé d'eux en conseillant à Catherine des mesures de modération pendant les derniers jours de François II.

Quelles sont les vues du chancelier ? On peut le conclure de la première notification officielle faite par le gouvernement le 21 décembre 1560, et dont voici un extrait : Le contrôleur des postes remettra les paquets qu'il recevra entre les mains des secrétaires d'État, chacun en sa charge ; ceux-ci, sans auculnement les ouvrir, les présenteront tous fermés incontinent à la reine mère, qui les verra à part, puis les fera lire en pleine compagnie du conseil des affaires, où se prendra la résolution de la réponse, qui devra estre faicte par le roy, accompagnée d'une lettre de la dicte dame sa mère... Suivant la délibération du conseil, les despeches seront faites par le secrétaire d'État et scellées par monsieur le chancelier. Ainsi tout devait se passer d'après une marche prévue et réglementée, qui diminuait les influences étrangères aux membres du gouvernement, permettait un examen plus pesé, et pouvait garantir des mesures adoptées légèrement ou ab irato. Chacun d'ailleurs devait rentrer dans les prérogatives de sa charge. Afin que toutes choses soient hors de dispute, veldt et entend aussi Sa Majesté que chacun de messieurs les connestables, grands maistres, mareschaux et admirai de France fassent et desservent leurs offices doresnavant[4] avec le pouvoir, autborité et puissance qui leur est attribuée par l'érection et institution d'iceux. Quant à la justice, les requêtes des parties devaient être entendues deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, et les supplians pourvus en toute bonne et briesve expédition de justice et equité. Le conseil royal siégeait le jeudi, pour s'occuper de toutes les affaires d'estat du royaume, principalement du faict des finances et de la police.

La mort du vidame de Chartres et le départ de Marie Stuart contribuèrent à l'installation du nouveau règne en le débarrassant de deux situations difficiles.

Le vidame mourut le 24 décembre, à l'âge de trente-huit ans. Cette mort, due à une rigueur précédente de la cour, eût pu raviver le mécontentement, mais on l'oublia vite en raison du changement de régime ; ses seuls amis firent en sa faveur un acte d'affectueuse souvenance en suspendant, au lieu le plus apparent de leur cabinet, un tableau revêtu de cette inscription : François de Vendosme, prince de Chabanois, d'aussi ancienne noblesse que gentilhomme de la chretienté, aussi grand terrien sans nul bienfaict du roi que seigneur qui fut en France mourut avec un extrême regret de toute la noblesse françoise. Dieu pardoint (pardonne) à celuy qui en fut cause, car les hommes ne lui pardonneront ni à sa postérité. Quel est le coupable ainsi vaguement désigné ? Ce ne peut être que François de Guise, à moins que, sous la forme masculine de l'imprécation, on ait voulu cacher le nom de la reine mère. De toute façon la malédiction semble avoir produit son effet, car la postérité de Catherine de Médicis, comme celle du duc de Guise, finit misérablement[5].

Marie Stuart fuit promptement obligée de quitter Paris. La haine de sa belle - mère ne lui avait pas pardonné et avait fait commettre à la France une de ces fautes politiques comme elle en fait parfois, et dont elle ne se relève qu'à la puissance de son épée et de son épargne ; cette faute gisait précisément dans ce départ, privant notre pays de l'alliance écossaise et notre race royale du trône d'Écosse ; mais il suffit ici de signaler cet écart de notre véritable ligne politique. La jeune veuve de François II gagna Reims pour se mettre à l'abri dans le diocèse de son oncle le cardinal de Lorraine. Elle y resta sept mois durant lesquels ses oncles ouvrirent des négociations pour son mariage avec don Carlos, fils de Philippe II. Catherine de Médicis, pour ne pas voir son ex-belle-fille — elle considérait tout lien rompu entre elles, ce qui était peu chrétien[6] — plus puissante que par le passé ; Elisabeth, afin que la reine d'Écosse sa voisine, et aussi l'héritière de son trône, restât abandonnée aux seules forces de son royaume, combattirent ce projet, et le roi d'Espagne, n'y trouvant que de maigres avantages, y renonça. Marie Stuart qui aimait tant la France où son souvenir est resté populaire, en raison sans doute de sa jeunesse, de sa beauté, de ses malheurs, s'embarqua pour sa triste Écosse le 14 août 1561.

Malgré les réclamations présentées par les députés d'une cinquantaine de bailliages[7], on résolut de tenir les états d'Orléans. Ces réclamations consistaient à dire que le pouvoir des députés venait de se terminer par le décès du roi qui avait mandé l'assemblée des états généraux[8], mais à cela il fut répondu que le pouvoir royal ne mourait point, et que le nouveau monarque succédait aux volontés et aux actes de son prédécesseur comme en sa dignité, qu'en conséquence les députés élus pour comparaître devant François Il pouvaient sans scrupule se présenter devant Charles IX. Aussitôt les états se préparèrent à tenir séance et refusèrent au cardinal de Lorraine de le choisir pour orateur malgré l'avis du clergé, le tiers état arguant qu'il ne voulait prendre pour porter la parole celui dont ils allaient se plaindre. Les harangueurs nommés furent :

Pour le clergé : JEAN QUINTIN d'Autun, docteur en droit canon de Paris ;

Pour la noblesse : JACQUES DE SILLY, baron DE ROCHEFORT ;

Pour le tiers état : JEAN L'ANGE, avocat au parlement de Bordeaux.

 

 

 



[1] Reportez-vous au chapitre XIV de notre Histoire de François II.

[2] Père du jeune comte de Viane, alors figé de sept ans, et qui sera depuis Henri IV.

[3] Voyez Histoire de François II, p. 102. On manquera encore de parole à la Saint-Barthélemy ; reportez-vous ci-après à notre livre IIe. Agir ainsi, c'est oublier que les fautes acquièrent en gravité plus celui qui les commet se trouve haut placé, et qu'un gouvernement perd en autorité ce qu'il abandonne en moralité.

[4] Ce mot seul constate que les Guises avaient enlevé à chacun sa part de pouvoir pour concentrer la suprématie entre leurs mains ; quand un gouvernement accapare ainsi toute autorité, il se croit parfois très-fort, tandis qu'il dispose eu réalité d'un simple expédient sans chance de durée.

[5] Le dernier Valois succomba sous le poignard de Jacques Clément ; le dernier des Guises faillit périr en 1618 dans la révolution de Naples.

[6] Henri III agit plus tard de même, car c'est une honte pour sa mémoire d'avoir laissé périr sur l'échafaud une reine de France, dont il était le beau-frère.

[7] Appartenant principalement à l'Aquitaine.

[8] Cette objection sera présentée aux étals mêmes ; voyez le chapitre suivant.