MADAME, MÈRE DU RÉGENT

 

CHAPITRE CINQUIÈME

Allemagne et religion. — Maternité. — Mort de Monsieur. — Apaisement.

 

 

LA pauvre Liselotte usait ses yeux à pleurer l'incendie du Palatinat. Ce ne fut pas la fin de ses épreuves. Il lui en vint d'autres où il n'y avait point de sa faute, et d'autres encore dont elle était l'unique auteur. Dans les deux cas, c'était chez elle même violence, parce que la jalousie la dévorait et qu'elle haïssait Mme de Maintenon à la folie. Elle n'avait aucune idée, aucune pensée sauf celle du roi — qui pût lui rendre l'office de frein quand ses passions l'emportaient. La plupart des femmes de son temps se tournaient dans leurs épreuves vers Dieu, et s'en trouvaient bien. Madame n'avait pas cette ressource. La religion ne lui était d'aucun secours quelconque ; son père et sa tante l'Électrice y avaient mis bon ordre, avant et depuis son mariage. La pensée de ses enfants n'était pas non plus capable de l'arrêter et de lui épargner une imprudence. Elle les aimait beaucoup et luttait bravement pour soustraire son fils aux mauvaises influences ; mais il ne fallait pas lui demander l'impossible. Faire taire ses haines et se tenir tranquille, dans l'intérêt des enfants, c'était l'impossible.

En revanche, l'empire du roi sur Madame était immense. De quelque nom que l'on nomme le sentiment qu'elle éprouvait pour lui, on ne saurait nier qu'il ne fùt très absorbant. Il remplissait sa vie de l'idée du roi, du besoin de voir le roi, d'être près de lui et d'entendre le son de sa voix. Dans les périodes de défaveur où Louis XIV la tient à distance, Madame semble une personne à qui l'air respirable fait défaut. Il suffit d'une légère attention du prince, d'un mot gracieux, pour qu'elle renaisse et s'épanouisse.

Il y a là une Liselotte intime que nous voudrions faire bien connaître. Force nous sera de faire d'abord un retour en arrière, car c'est en Allemagne, et dès son enfance, qu'elle a reçu un premier pli définitif en devenant libertine. C'est ensuite par les lettres et les nouvelles d'Allemagne, par le rôle équivoque qu'elle a vu jouer aux siens dans les affaires religieuses de leur pays, en particulier dans la fameuse tentative de réunion des deux Églises, que Madame s'est confirmée et acoquinée dans son incroyance. Non pas qu'elle n'eût trouvé en France abondance de sceptiques ; mais l'impiété française lui déplaisait : nos libertins faisaient trop d'esprit. L'impiété allemande, moins frivole et très utilitaire, était bien mieux son fait. C'est un des points où la différence de race se fait sentir le plus vivement, et de la façon la plus curieuse.

Le sentiment religieux avait toujours fait défaut à Liselotte. Elle était la première à dire qu'elle ne comprenait pas le mistique, et aucun des éducateurs de sa jeunesse ne s'était trouvé propre à lui en faciliter l'intelligence. Son père, et sa tante Sophie en étaient bien incapables, n'y comprenant rien eux-mêmes. D'ailleurs, ils l'auraient pu, qu'ils ne l'auraient pas voulu, par scrupule : ils considéraient la religion comme une maladie : La religion fait plus de mal que de bien dans ce monde, déclarait la duchesse[1]... les nations les plus stupides y adhèrent le plus. Et elle ne tarissait pas en railleries. Charles-Louis se rendait mieux compte de l'importance sociale des Églises. Il s'occupait des âmes de ses sujets avec la même conscience que de la levée des impôts ou de l'entretien des forteresses, quoique avec infiniment moins de sympathie ; c'était l'une des corvées de son métier de prince.

Il aimait à dire des impiétés, et la présence de ses enfants ne l'arrêtait point. J'avoue, écrivait Madame en 1709 à Étienne Polier[2], son ancien précepteur, que les plaisanteries que j'avais ouï faire (à) mon père même, avaient fort ébranlé ma foi. Une autre lettre à sa sœur Amélise, contient un passage encore plus significatif sur les irrévérences paternelles : Feu notre papa s'est toujours gaussé de toutes les religions ; affaire de plaisanter, et uniquement pour se divertir[3].

Les efforts de quelques subalternes, — Étienne Poher, Mme de Darling, — pour empêcher leur élève de se gausser à son tour de toutes les religions, étaient voués d'avance à la stérilité. Personne n'avait d'influence sur Liselotte, si ce n'est son père et sa tante, deux voltairiens avant la lettre, et ce ne fut pas la comédie de sa conversion au catholicisme, réglée et mise en scène par Charles-Louis lors de son mariage, qui put lui enseigner à prendre les choses spirituelles au sérieux. Vainement le bonhomme Polier, de Paris où il était venu s'établir, reprit et redoubla ses pieuses exhortations. Madame lui protestait qu'elle craignait Dieu, bien que Dieu lui demeurât incompréhensible ; qu'elle espérait aller au Paradis, quoiqu'elle ne fût pas sure qu'il existât ; et elle le suppliait de ne pas lui en demander plus, de peur de l'envoyer aux Petites-Maisons, car elle avait l'esprit trop faible pour les subtilités de la théologie.

En revanche, elle comprenait à merveille la politique religieuse de son père et de son oncle Ernest-Auguste, et elle l'approuvait sans réserve, précisément à cause du peu de part qu'y avait le mistique. C'était la politique du sens pratique ; la plupart des princes protestants de l'Allemagne d'alors n'en avaient point d'autre. Son objet était de faire rapporter des biens temporels aux subtilités théologiques qui cassaient la tête à Liselotte. Le pays était resté si las, si meurtri de ses longues querelles religieuses, que bien des gouvernants en arrivaient à regretter tout bas le tranquille giron de l'Église romaine et à envisager l'idée d'une réconciliation, mais ils exigeaient que Rome y mit le prix. Les moins croyants, ceux qui se guidaient par des vues purement humaines, étaient naturellement les plus disposés à se faire marchander, et c'est ainsi qu'on a la surprise de rencontrer Charles-Louis et son beau-frère de Hanovre parmi les parrains d'un projet de réunion des deux Églises qui traîna longtemps dans les chancelleries allemandes et devint l'occasion de la célèbre correspondance entre Bossuet et Leibniz. L'histoire de cette curieuse négociation est encore à faire ; on en sait assez, cependant, pour ne conserver aucune illusion sur les mobiles des deux princes qui nous intéressent.

Dans les premiers mois de 1677[4], un personnage qui voyageait incognito se présenta au château de Heidelberg, où il fut reçu par Charles-Louis. Il se fit reconnaître pour l'évêque de Tina[5], et se dit chargé par l'empereur Léopold de négocier en secret un rapprochement, sur le terrain dogmatique, entre les catholiques et les protestants. L'Électeur lui fit l'accueil le plus empressé, tout en se demandant pourquoi tant de mystère, et si la véritable mission de l'évêque ne serait pas de diviser les protestants entre eux[6] ? Dans l'incertitude, il se borna provisoirement à raisonner l'affaire en gros avec la duchesse Sophie. Le dogme, lui disait-il, tout le monde s'en moquait, catholiques aussi bien que protestants : Comme, par exemple, de croire que Jésus-Christ soit réellement présent à la Sainte-Cène : qu'est-ce que ça fait ? Mais de rendre à un prince étranger, tel qu'était le Pape, le droit d'exercer une autorité quelconque sur vos sujets, c'était autre chose, et Charles-Louis se promettait d'y regarder de très près. Au surplus, il ne pensait pas qu'il sortit rien de celte tentative. Il était convaincu que les pasteurs s'y opposeraient, non par des raisons de conscience, c'était une idée qui ne lui venait même pas, — mais parce qu'ils n'accepteraient jamais de se remettre de bon gré sous le fouet du pédagogue de Rome. Cependant, si l'on parvenait à s'entendre sur les biens d'Église, peut-être arriverait-on à quelque résultat, car personne ne voudrait se battre pour maintenir ou renverser la doctrine du purgatoire.

S'entendre sur les biens d'Église, tout était là en effet. C'était aussi l'opinion de la duchesse Sophie. Rome se soumettrait-elle à ce chantage ? Au début, la duchesse n'osait s'en flatter : Je ne vois point, écrivait-elle à son frère[7], qu'en ce temps ici on offre beaucoup pour une âme. Cela dépendait ; il y a âme et âme, comme il y a fagot et fagot. La vérité était que l'âme de son époux, le duc Ernest-Auguste, était cotée très bas à Rome ; les Archives du Vatican en renferment maint témoignage[8]. Ernest-Auguste n'avait pas encore hérité du Hanovre. Il n'était toujours qu'évêque d'Osnabrück, évêque protestant et marié, et le Saint-Siège avait peu de considération pour les prélats de cette farine. On ne saurait le trouver mauvais.

L'évêque de Tina l'avait cependant compris dans sa tournée de princes à convertir. La lettre où la duchesse Sophie racontait sa visite est malheureusement perdue. Dans une autre lettre[9], postérieure à l'entrevue, elle eut cette réflexion qui sentait le découragement : Je crois que les catholiques se soucieront fort peu de notre âme tant que nous ne croirons point le purgatoire, les indulgences et les messes, qui leur apportent de l'argent. Son visiteur n'avait pas réussi à lui donner confiance, peut-être parce qu'il n'avait pas qualité, à cette date, pour en venir à des offres fermes. L'évêque de Tina ne parlait qu'au nom de l'Empereur ; le Saint-Siège, quelque incroyable que cela puisse paraître, n'avait pas été tenu au courant, officiellement du moins, de ce qui se brassait en Allemagne, témoin sa correspondance, pour l'année 1678, avec son nonce à Vienne, Francesco Buonvisi, archevêque de Thessalonique.

Le 12 février, dépêche sévère du cardinal Alderano Cibo secrétaire d'État du Saint-Siège, au nonce à Vienne. On s'étonne à Rome que le nonce, qui ne néglige pourtant jamais de donner connaissance de ce qui mérite une mention, n'ait rien écrit de l'affaire de l'évêque de Tina, qui est d'une importance extrême[10]. Ordre au nonce, poursuit le cardinal, d'exécuter avec la sagacité qui lui est propre ce que je lui écris confidentiellement (in piano) sur cette matière. Une instruction, qui n'a pas été retrouvée jusqu'ici, accompagnait la dépêche.

Le 6 mars, réponse embarrassée du nonce. Il s'excuse comme il peut : Votre Éminence s'étonne à bon droit que je ne lui aie rien dit de l'affaire de l'évêque de Tina... ; mais, puisqu'il faut confesser mon péché à Votre Éminence, j'ai toujours en horreur de mêler le maître à des choses que j'estime irréalisables. J'ai une expérience des artifices des hérétiques qui remonte à huit ans. Ils promettent beaucoup.... Ils promettent, et ne tiennent pas. Le nonce n'avait pas voulu mêler le Saint-Père à une négociation qu'il ne prenait pas au sérieux.

Le 23 avril, la secrétairerie d'État prévient Mgr Buonvisi que l'évêque de Tina a reçu des brefs de créance qu'il avait sollicités. La dépêche laisse percer une certaine défiance à l'égard de ce prélat trop entreprenant ; Rome craint qu'il n'ait quelques vues intéressées.

Le 7 mai, avis est donné à Vienne de l'arrivée à Rome du Père Pekhenius, jésuite, lequel a représenté à Sa Sainteté que le duc — Ernest-Auguste —, pseudo-évêque d'Osnabrück, avait l'intention de se convertir au catholicisme avec sa femme et ses enfants, moyennant une juste part des biens l'Église, faveurs et privilèges dont la papauté avait conservé la disposition. Suivait l'énumération des dépouilles et grâces convoités. On faisait remarquer au nonce que ces demandes étaient exorbitantes, et qu'il conviendrait d'exciter le prince à ne se soucier que de son salut éternel. En même temps, on était obligé de prévoir le cas où le prince persévérerait à rechercher les biens de ce monde, et l'on faisait comprendre au nonce qu'il importait de le ménager. L'exemple de sa conversion, disait la dépêche, pourra donner le branle aux autres, tandis que, s'il est mécontent, il peut déranger toute la combinaison.

Pendant que le Père Pekhenius discutait avec Ernest-Auguste et la duchesse Sophie, l'évêque de Tina continuait ses voyages. Plusieurs petites cours allemandes, dont celles d'Osnabrück et de Celle, l'avaient abouché avec des théologiens protestants, et il était sorti de ces conférences de savants mémoires destinés à être montrés ; mais la vraie besogne se faisait dans des conversations qui ne s'écrivaient point : En discours, rapportait la duchesse Sophie[11], ils ont ajusté beaucoup de points. L'évêque dit que le Pape les reconnaîtrait pour de vrais pasteurs.... Les biens d'Église accommoderaient bien nos cadets. La duchesse avait beaucoup d'enfants à établir. Un jour qu'elle avait vu l'évêque de Tina s'agiter pour des difficultés dogmatiques, elle écrivit à son frère[12], assurée d'en être comprise : Ce ne sont pas ces points-là qui nous touchent fort le cœur, pensais-je en moi-même ; il faudrait de bons bénéfices pour nos enfants, ce qui les accommoderait plus que des spéculations où personne n'entend rien. Si l'on doit rentrer dans l'Église romaine, il faut qu'on nous récompense pour cela, car nous sommes d'opinion que nous pouvons être sauvés comme nous sommes, et qu'on le peut être aussi de l'autre manière ; pourquoi donc changer pour rien ? Elle y revenait sans cesse, et quelques théologiens protestants étaient de son avis : Ne point rendre les biens d'Église, mais, au contraire, en pouvoir posséder davantage[13]. Pour certaines personnes, l'affaire de la réunion des deux Églises tenait tout entière dans cette formule.

Rome était résignée à payer. Elle ne voulait pourtant pas faire un marché de dupe, et son nonce à Vienne l'engageait toujours à se défier : il jugeait l'entreprise impraticable. Charles-Louis en était venu de son côté à la proclamer chimérique[14]. Tous les deux savaient à quelle opposition formidable on se heurterait en dehors des châteaux des princes. La duchesse Sophie elle-même était forcée d'en convenir : Contre mon attente, ceux de notre religion sont les plus sots dans cette rencontre[15]. Et même dans les châteaux, les plus avides étaient arrêtés par une idée indépendante des articles de foi. Les princes protestants, Charles-Louis en tête, craignaient que la réunion des deux Églises n'amenât des conflits d'autorité avec Rome. Depuis la Réforme, charbonnier était maître en sa maison : il ne supportait plus la pensée que le Pape se mêlât de ses affaires.

Un théologien protestant, l'abbé Molanus, dont il est souvent question dans Bossuet avait trouvé un expédient propre à rassurer les princes. Il avait confié à la duchesse Sophie, au cours d'un entretien sur les points à régler, qu'il espérait obtenir de l'évêque de Tina, pour les États qui accepteraient de se réconcilier avec Rome, un régime ecclésiastique analogue à celui de la France : L'un (des points), avait dit l'abbé, serait la souveraineté des princes sur leur Église, de la même manière que le roi de France la tient[16]. Autrement dit, l'abbé Molanus réclamait pour l'Allemagne nos libertés gallicanes, idée qui avait peu de chances d'agréer au Saint-Père. Il fallait même être singulièrement ignorant des affaires de France pour s'imaginer que le pape Innocent XI consentirait à étendre à d'autres pays un régime qui le blessait dans le nôtre, et qui faillit le brouiller avec Louis XIV.

Nous ne possédons pas, et c'est grand dommage, la suite des conversations de la duchesse Sophie avec l'évêque de Tina et l'abbé Molanus ; la mort de Charles-Louis (1680) en a privé l'histoire. Nous savons seulement que le zèle catholique d'Ernest-Auguste et de la duchesse sa femme alla se refroidissant à mesure que des coups de fortune imprévus assuraient l'avenir de leurs enfants. Le jour où la duchesse Sophie put se dire que ses cadets ne seraient pas des gueux, ce couple pratique fut définitivement acquis à la Réforme, qui n'a pas lieu d'en être autrement fière.

Quant au projet de réunion des deux Églises, il languit longtemps. Il avait naturellement attiré l'attention générale. En dehors de l'Allemagne, Louis XIV le suivait avec infiniment de soin et d'intérêt, et sans doute, les raisons religieuses y étaient pour beaucoup, mais les raisons politiques y étaient aussi pour quelque chose, ne fût-ce qu'à cause du trouble qu'un événement de cette envergure aurait jeté dans le système d'alliances de la France. Pour des considérations analogues, la question ne préoccupait pas moins les États protestants tels que la Hollande et l'Angleterre. Ajoutez enfin que la correspondance où Leibniz et Bossuet ont discuté la possibilité de la réunion a commencé en 1091, et que ces deux grands noms apportèrent à l'entreprise l'autorité qui manquait à l'évêque de Tina. Malgré tant de motifs de frapper les esprits, l'affaire s'en alla en fumée, à une date et pour des causes qui n'ont pas encore été tirées au clair ; j'ai déjà dit que l'histoire de cette tentative était à faire. On en trouvera probablement le dernier mot aux Archives du Vatican.

Madame ne paraît pas en avoir jamais saisi l'importance. Elle s'était intéressée aux biens d'Église à cause de sa tante ; le reste l'avait laissée indifférente. Pour elle comme pour les siens, les conversions raisonnables étaient toujours des marchés. Se faire catholique moyennant un bon évêché, cela en valait bien la peine, ainsi qu'elle l'écrivait à la duchesse Sophie[17]. Si cela ne rapportait rien, à quoi bon ? Il y avait un moyen plus simple que la réunion des deux Églises d'assurer la paix religieuse ; c'était de ne pas s'occuper de ce que croient les gens[18], et de les laisser aller à l'église où il leur plaisait... sans y trouver à redire. Moyen admirable en effet, et qui n'avait d'autre défaut que d'être impraticable. Laisser chacun croire en paix ce qu'il lui plaît[19], cela ne s'est jamais vu, ni en religion, ni en politique, ni en rien, et cela ne se verra jamais.

Autre motif de ne pas se tourmenter de ce grand projet ; Madame était convaincue qu'il échouerait. Je ne me figure pas, déclarait-elle en 1695, que le bon (Molanus) vienne de sitôt à bout de réunir les religions ; quand il y a des intérêts en jeu, il est rare que l'on cède[20]. Elle ajoutait, certainement sans se rendre compte de la brutalité de son insinuation, car elle aimait beaucoup Bossuet, qu'elle trouvait amusant : Je ne crois pas que M. de Meaux lui-même le souhaite ; si tout le monde était de la même religion, les évêques et la prêtraille n'auraient plus rien à dire.

Il va de soi que les affaires religieuses de notre pays la touchaient encore moins que celles de l'Allemagne. La révocation de l'Édit de Nantes fut signée le 18 octobre 1685. Le lendemain, M. le chancelier scella... la cassation[21], qui devint aussitôt publique et fut la grande nouvelle du jour, sauf pour Liselotte. Le ter novembre, elle écrit à sa tante, lui parle de ses affaires d'héritage, de ses ennemis : de la révocation, pas un mot. La correspondance se poursuit : même silence. Ce n'est pas, au moins, que Madame approuve ce qui se passe. Il était impossible d'avoir une tolérance plus large et plus sincère. Les persécutions lui faisaient horreur, et elle ne s'y accoutumera jamais. Elle écrivait en 1696 : J'avoue que j'ai toujours des impatiences quand j'entends louer le grand homme, du haut de la chaire, de persécuter les Réformés[22]. Mais il faut la prendre comme elle est. Liselotte n'était pas faite pour les idées sérieuses. Les questions religieuses l'ennuyaient, les cultes l'ennuyaient, et les petites pratiques, et tout ce qu'elle appelait les grimaces.

Le plain-chant lui était insupportable : A-a-a-ii-i... ; de sorte que la première vertu d'un aumônier consistait pour Madame à en avoir vite fini. On se le tenait pour dit : J'ai un chapelain qui m'expédie la messe eu un quart d'heure ; c'est tout à fait mon affaire[23]. Les sermons l'endormaient : Il m'est impossible d'en écouter un sans dormir ; pour moi, c'est de l'opium. Un jour qu'elle avait été trois nuits sans fermer l'œil, à cause d'une toux opiniâtre, elle prit le parti de se rendre à un couvent où l'on devait prêcher : Je dormis d'une traite pendant les trois heures que dura l'office, et je sortis complètement remise[24]. C'était de famille : J'ai comme Votre Dilection, et comme Sa Grâce feu mon père, la bénédiction de dormir à l'église. En vieillissant, elle se mit à ronfler bruyamment. Le roi, qui jusque-là l'avait laissée dormir en paix, la réveillait maintenant à coups de coude. Madame alla ronfler dans la tribune, où personne n'osait la troubler.

Elle répétait volontiers qu'elle ne croyait à aucun dogme ; que Dieu n'exige de l'homme que de tonnes actions et une vie pure ; que la vraie religion est dans le cœur ; et que tout le reste n'est que bavardage de la prêtraille[25]. Elle concluait : Je sers mon Dieu comme je peux et comme je le comprends[26]. Sa manière de servir Dieu était de lire sa Bible allemande ; de faire tous les jours sa prière, bien qu'elle fût convaincue que c'est chose absolument inutile ; et de haïr vigoureusement les dévots, de tous les humains les plus haineux et les plus remplis de fiel. Que faut-il de plus à Dieu ? A quoi bon entendre trois messes à la file, ainsi que faisait le roi aux grandes fêtes ? Le roi était niais en religion. Il ne l'était pas pour le reste, s'empressait d'ajouter Madame, mais, en religion, il l'était extraordinairement. Il l'avait toujours été, et il l'était devenu plus encore, depuis qu'il était gouverné par Mme de Maintenon.

Pourquoi, par exemple, attacher une importance quelconque à ce qu'on soit catholique plutôt que luthérien ou calviniste ? C'est une pure manie. Madame racontait à ce sujet sa célèbre anecdote de l'Anglais : Il s'appelait Fielding. Un jour, Wendt[27] lui demande : — Êtes-vous huguenot, monsieur ?[28] Non, dit-il. — Vous êtes donc catholique ?Encore moins. — Ah ! dit Wendt, c'est que vous êtes luthérien !Point du tout. — Et qu'êtes-vous donc ?Je m'en vais vous le dire, repartit l'Anglais ; j'ai un petit religion à part moi. — Je crois, ajoutait Madame, que j'aurai bientôt, moi aussi, un petit religion à part moi. C'était déjà fait, si toutefois le déisme nébuleux de Madame peut encore s'appeler un petit religion, et la cour de France n'en ignorait point. Dans ses lettres à ses sœurs, qu'elle scandalisait par son impiété, Madame s'essayait quelquefois, pour les consoler et les rassurer, à parler, elle aussi, le patois de Chanaan et à raisonner sur la grâce et le péché ; mais elle ne se mettait pas en frais de bonnes paroles pour des Français ; aussi passait-elle chez nous pour une franche libertine. Un jour qu'elle avait fait en public une violente sortie contre les calotins du haut clergé, Mme de Maintenon, devenue à cette époque une mère de l'Église, écrivit au maréchal de Noailles : On m'avait appris l'emportement de Madame sur les évêques dévots, et effectivement, c'est un grand abus de mettre dans de pareilles places des gens qui croient en Dieu. Mais, mon cher duc, nous sommes tombés dans cet inconvénient, et il faut prendre patience[29].

En résumé, la religion n'était pour Madame ni une discipline, ni un soutien, mais uniquement un rite machinal, héritage des ancêtres, et elle devait cet état d'esprit à sa famille d'Allemagne. D'autres, à sa place, ayant trouvé le ciel vide, se seraient réfugiées dans la maternité. Son instinct ne l'y portait pas. Ce ne fut pourtant pas une faillite comme la religion. Sans être de ces femmes que les enfants dédommagent de tout, Liselotte se montra mère excellente, et c'est une vertu qui porte sa récompense avec soi.

 

Au XVIIe siècle, les enfants des grands sentaient d'ordinaire leurs parents très lointains. Ils les voyaient à peine, et seulement en cérémonie ; on ne jouissait pas les uns des autres. Liselotte eut l'esprit de jouir de ses petits comme la dernière des bourgeoises. Elle pouponnait ; cela est évident à la façon dont elle parsème ses lettres à la tante Sophie, ou à Mme de Harling, de détails sur ses deux enfants, leurs premières dents, leurs premiers pas, leurs petites maladies, la première culotte du futur Régent, avec laquelle il était si gentil.

Grâce à elle, nous ne les perdons jamais de vue. La fille, Élisabeth-Charlotte[30], était fort laide, mais bien découplée. Pour la tenue, un franc polisson : c'est le nom qui veut ça, déclarait Madame. Elle se reconnaissait dans cette gamine tapageuse et ingouvernable, mais très farceuse et très drôle. Le garçon, le petit Duc de Chartres, était beaucoup mieux de figure et un peu plus sérieux que sa sœur.... C'est un bon enfant, ajoutait sa mère, docile, qui fait tout ce qu'on veut[31]. A douze ans, son dressage de prince destiné à figurer dans les cérémonies monarchiques en avait fait un petit bonhomme qui prenait les révérences très au sérieux : En cela, disait Madame, il ne me ressemble pas du tout.... Il a répondu l'autre jour à quelqu'un qui lui demandait s'il aimait les cérémonies et la parure :Je ne les hais pas tant que Madame, mais aussi je ne les aime pas tout à fait autant que Monsieur[32]. Madame l'adorait, et ne l'en fessait que plus rudement : — On doit la sévérité aux enfants, disait-elle. Les siens s'en aperçurent : Quand mon fils était petit, écrivait-elle en 1710[33], je ne lui ai jamais donné un soufflet, mais je l'ai fouetté si vigoureusement avec les verges, qu'il s'en souvient encore. Les soufflets sont dangereux ; ils peuvent causer des désordres dans la tête.

Fille et garçon la craignaient et l'aimaient. Ils la payaient en respect et en affection de l'indomptable énergie avec laquelle Madame les disputait aux favoris de Monsieur, acharnés à mettre la main sur les enfants de la maison. Pour sauver ces innocents de contacts pernicieux, pour tâcher d'en faire d'honnêtes gens, rien n'arrêta jamais leur mère, ni les menaces, ni les dangers. C'est le beau chapitre de la vie de Madame. Son fils était tout spécialement visé ; elle le défendit en lionne à qui l'on veut prendre ses petits. Il n'a pas tenu à Liselotte que le Régent eût d'autres mœurs, la Régence une autre réputation devant l'histoire.

L'assaut de 1689 fut le plus terrible. Le marquis de Sillery, gouverneur du Duc de Chartres, prenait sa retraite. Le chevalier de Lorraine saisit la balle au bond. Il entreprit de le remplacer par d'Effiat[34], et c'était chose faite sans Madame. Monsieur avait promis. Le roi avait permis ; on le disait du moins, et Dangeau l'a cru[35]. Madame se mit en travers : Je sais avec toute la France, disait-elle[36], que cet homme-là est un des drôles les plus abjects et les plus débauchés qu'il y ait au monde. Lui livrer son fils, c'était l'envoyer à sa perte. Elle déclara qu'elle ne donnerait jamais son consentement, et Monsieur eut beau faire et beau dire, beau tempêter et menacer, il n'était pas plus avancé au bout de six mois que le premier jour. Enfin Madame finit par où elle aurait dû commencer[37] : J'ai parlé au roi. Sa Majesté m'a dit que ce sont de purs mensonges de dire qu'il veut avoir d'Effiat pour gouverneur de son neveu ; qu'il y a au contraire un an qu'il en détourne Monsieur. Il promit à sa belle-sœur de choisir lui-même un honnête homme pour son fils, et tint parole ; le place fut donnée au marquis d'Arcy.

Les avis sont aujourd'hui partagés sur un autre choix pour lequel Madame, chose rare, se trouva d'accord avec d'Effiat et le chevalier de Lorraine. Le fameux abbé Dubois, alors très petit personnage, était sous-précepteur du Duc de Chartres. Il l'aidait à faire ses devoirs, lui cherchait les mots dans le dictionnaire, et du reste ne comptait pas : Je l'ai vu mille fois dans les commencements, rapporte Saint-Simon, lorsque j'allais jouer avec M. de Chartres'[38]. Petit à petit, l'abbé prit de l'importance. Il donna les leçons, et les donna fort bien, étant extrêmement intelligent et très instruit. De moralité, point, si l'on s'en rapporte à Saint-Simon, qui n'a jamais pu le souffrir ; ou à Torcy, qui le déclarait sans la moindre ombre de probité, sans mœurs, connu pour tel des Français et des étrangers[39] ; ou encore à d'Argenson, le plus violent des trois ; il croyait l'abbé Dubois capable de tous les crimes et coupable de plusieurs.

Ce sont de terribles accusateurs ; mais Dubois a aussi ses défenseurs. Sans parler de deux historiens récents[40], qui ont vu dans sa mauvaise réputation une injustice à réparer, il avait su se faire estimer de beaucoup d'honnêtes gens à la Cour de Louis XIV, soit qu'il le méritât en effet, soit qu'il trompât son monde. Sourches le disait homme d'esprit, d'érudition et de bonnes mœurs[41]. Fénelon s'était lié avec lui ; on lit dans une de ses lettres, du 14 octobre 1711 : M. l'abbé Dubois... est mon ami depuis un grand nombre d'années[42]. Il suffit de ces citations pour expliquer comment le petit sous-précepteur, protégé du chevalier de Lorraine, fut nommé précepteur par le roi, en 1687, sans que Madame, si attentive au bien de ses enfants, y ait fait d'opposition.

Loin de s'en défier, elle lui donna toute sa confiance. Ses lettres à Dubois[43] sont tout à l'honneur de ce dernier. Madame s'y montre pleine de gratitude pour le bon et loyal serviteur qui se dévouait, elle le croyait du moins, à maintenir son fils dans le droit chemin : Je voudrais trouver l'occasion de vous faire plaisir, lui écrivait-elle le 21 août 1691... je le ferais de bon cœur, pour vous marquer mon estime, la justice que je vous rends et la reconnaissance que je vous ai de ce que vous faites auprès de mon fils, qui m'oblige aussi à avoir de l'amitié pour vous. Dans la même lettre : Avec la vertu et le bon esprit que vous avez.... Ces lignes donnent le ton général de la correspondance. Le précepteur y joue le rôle de confident d'une mère tourmentée, qui s'entend avec lui pour la direction de son fils. Survint le mariage forcé du Duc de Chartres avec l'une des bâtardes du roi. L'abbé Dubois y prit une part active, mais Madame ne l'apprit que bien des années après.

Chacun sait quelle passion, et quelle ténacité, mit, Louis XIV à agrandir démesurément ses bâtards. C'était une question d'orgueil, une façon de prouver qu'il était au-dessus des lois et des règles. Mme de Maintenon l'encourageait, à cause de ceux des bâtards qu'elle avait élevés et qu'elle aimait, et ces deux illustres dévots demeuraient convaincus que Dieu, au jour du jugement, comprendrait la différence, en matière de morale, entre un grand monarque et un autre mortel, duc et pair ou simple croquant. C'était faire à Dieu beaucoup d'honneur. Dans cette heureuse persuasion, et avec une parfaite insouciance de l'opinion publique, qui se montrait dure, le roi avait marié deux de ses bâtardes[44] à deux princes du sang, et il destinait la troisième, Mlle de Blois[45], issue comme la seconde d'un double adultère, à son neveu le Duc de Chartres, le plus grand parti de France après lui-même et le Dauphin. Il n'ignorait pas à quelles difficultés il allait se heurter : Monsieur, rapporte Saint-Simon, était infiniment attaché à tout ce qui était de sa grandeur, et... Madame était d'une nation qui abhorrait la bâtardise et les mésalliances, et d'un caractère à n'oser se promettre de lui faire jamais goûter ce mariage[46]. Louis XIV était un prince rusé ; il s'y prit de loin.

Dans les premiers mois de 1688, — le Duc de Chartres avait treize ans, Mlle de Blois onze, — le roi fit marché avec le chevalier de Lorraine. Il promettait l'Ordre du Saint-Esprit à cet immonde personnage et à son frère, M. le Grand. En échange, le chevalier de Lorraine répondait du consentement de Monsieur au mariage, et des moyens d'y faire venir Madame et M. le Duc de Chartres[47]. Le roi paya d'avance ; la promotion de l'Ordre eut lieu le 31 décembre de la même année. Il fallut attendre pour les noces que les deux enfants eussent grandi.

Madame avait eu vent de quelque chose. Elle profita d'une occasion sûre pour s'en ouvrir à sa tante Sophie : (Saint-Cloud, le 14 avril 1688.)... On m'a dit en confidence les vraies raisons pour lesquelles le roi traite si bien le chevalier de Lorraine et le marquis d'Effiat ; c'est qu'ils lui ont promis d'amener Monsieur à prier humblement le roi de marier les enfants de la Montespan avec les miens, savoir ma fille avec ce boiteux de duc du Maine, et mon fils avec Mlle de Blois. La Maintenon, dans cette circonstance, est tout à fait pour la Montespan, car c'est elle qui a élevé ces bâtards-là et elle aime ce vilain boiteux comme s'il était son enfant....

Tout, dans ce projet, blessait profondément Madame ; tout lui était odieux : Le duc du Maine ne serait pas l'enfant d'un double adultère, il serait un prince légitime, que je n'en voudrais pas pour gendre, non plus que de sa sœur pour bru, car il est horriblement laid et boiteux, et il a encore d'autres défauts : il est avare en diable, et n'a pas une bonne nature. Sa sœur, elle, a bon caractère, mais elle est effroyablement malsaine, et sa vue est si faible, qu'elle finira, je crois, par devenir aveugle. Ajoutez à cela qu'ils sont nés d'un double adultère, comme je vous l'ai déjà dit, et de la femme la plus méchante et la plus mauvaise que la terre ait portée. Je laisse à penser à Votre Dilection combien je dois désirer ce mariage.... Toutes les fois que j'aperçois ces bâtards, cela me fait tourner le sang. Je laisse à penser à ma tante bien-aimée ce que je souffre de voir mon fils unique et ma fille unique victimes de mes plus cruels ennemis.... Madame s'alarmait à tort pour sa fille ; M. le Prince se réservait le Duc du Maine pour l'une des siennes ; mais elle n'avait que trop raison en ce qui regardait son fils.

Vers le jour de l'an de 1692, le roi et Mme de Maintenon, qui n'avaient jamais perdu leur dessein de vue, jugèrent le moment venu de l'exécuter. Le chevalier de Lorraine fit ce qu'il voulut de Monsieur. De Madame et de ses colères, personne n'avait jamais cure. Restait le Duc de Chartres, qui avait juré à sa mère de ne jamais consentir. Mme de Maintenon manda en cachette l'abbé Dubois, et lui conseilla de se faire bien venir du roi en décidant son élève : L'abbé Dubois se trompe fort, écrivait Madame dans sa vieillesse[48], lorsqu'il pense que je crois qu'il n'a pas contribué au mariage de mon fils. Je suis persuadée que lui seul l'a fait. Il est vrai qu'au commencement il était pour moi, mais après que la vieille l'eut mandé trois ou quatre fois auprès d'elle, il changea bien vite.... Monsieur était aussi mécontent de la chose que moi ; mais le roi et sa vieille guenipe le firent menacer de chasser ses favoris ; cela le fit consentir à tout. Dans une autre lettre[49] : Je sais combien de fois — l'abbé Dubois — s'est rendu la nuit chez elle, pour vendre et pour trahir son maître.

Il avait d'abord hésité[50] : L'abbé, très perplexe, consulta le Père La Chaise, et Fénelon, précepteur du Duc de Bourgogne. Leur réponse fut que la volonté du roi était apparente ; et que, comme souverain, il avait le droit de disposer des alliances de sa famille. Dubois ne résista plus. Il fit peur du roi à son élève, et la duchesse Sophie reçut ce cri de désespoir : (10 janvier 1692.) Quoique j'aie les yeux si gros et si enflés que c'est à peine si j'y vois, pour avoir eu la sottise de pleurer toute la nuit, je ne veux pas laisser passer cet ordinaire sans dire à Votre Dilection le chagrin que j'ai eu hier, au moment où je m'y attendais le moins. Monsieur est entré chez moi à trois heures et demie, et il m'a dit : Madame, j'ai une commission pour vous de la part du roi, qui rie vous sera pas trop agréable, et vous devez lui rendre réponse ce soir, vous-même ; c'est que le roi vous mande que lui, et moi, et mon fils, étant d'accord du mariage de Mlle de Blois avec mon fils, vous ne serez pas la seule qui vous y opposerez[51]. Je laisse à penser à Votre Dilection quelles ont été ma consternation et ma douleur. Elle ajoutait en termes brefs qu'elle avait vu le roi, et que, se souvenant des recommandations de sa tante, elle s'était contenue en sa présence : Je dis : Quand Votre Majesté et Monsieur me parlerez en maîtres, comme vous faites, je ne puis qu'obéir.... J'ai si mal à la tête, que je ne puis en écrire davantage.... Nous savons le reste par Saint-Simon ; le mariage du jeune prince avec lequel il avait été comme élevé[52] forme presque le début de ses Mémoires.

Le Duc de Chartres n'avait pas osé dire non au roi, et Madame était rentrée chez elle outrée : Monsieur son fils l'y suivit incontinent, auquel, sans donner le moment de lui dire comment la chose s'était passée, elle chanta pouille, avec un torrent de larmes, et le chassa de chez elle. Un peu après, Monsieur, sortant de chez le roi, entra chez elle, et, excepté qu'elle ne l'en chassa pas comme son fils, elle ne le ménagea pas davantage : tellement qu'il sortit de chez elle très confus, sans avoir eu loisir de lui dire un seul mot[53].

Le soir de ce même jour, 9 janvier, le roi déclara le mariage à ses proches, chez Mme de Maintenon et en présence des deux jeunes gens. La nouvelle se répandit soudain dans les salons. On se groupa, on se regarda ; chacun guettait l'entrée des fiancés et de leur famille. Ces augustes personnes parurent enfin, Monsieur, l'oreille basse et l'air honteux, le futur, la mine désolée, la future, dans un embarras et une tristesse extrême ; elle avait quinze ans, ne se doutait de rien une demi-heure auparavant, et sentait peser sur elle la désapprobation publique. Quant à Madame.... Madame se promenait dans la galerie avec Châteautiers, sa favorite[54]... ; elle marchait à grands pas, son mouchoir à la main, pleurant sans contrainte, parlant assez haut, gesticulant, et représentant fort bien Cérès après l'enlèvement de sa fille Proserpine, la cherchant en fureur et la redemandant à Jupiter. Chacun, par respect, lui laissait le champ libre, et ne faisait que passer.... Nul ne fut assez hardi pour lui parler du mariage[55].

Il fallut souper avec le roi : Madame avait les yeux pleins de larmes, qui tombaient de temps en temps, et qu'elle essuyait de même.... Monsieur son fils avait aussi les yeux bien rouges, et tous deux ne mangèrent presque rien. Le roi avait beau se faire attentif et empressé, pour une fois il perdait ses soins ; Liselotte restait hérissée, intraitable ; Liselotte le brusquait et le rembarrait. Sans se décourager, il la salua très bas lorsqu'on se sépara pour la nuit : en relevant la tête, il ne vit plus qu'un clos qui s'enfuyait. Telle était Madame, les jours où elle se contenait pour obéir à sa tante.

Le lendemain matin, 10 janvier, la Cour attendait dans la galerie le passage du roi se rendant à la messe : Madame y vint : monsieur son fils s'approcha d'elle, comme il faisait tous les jours, pour lui baiser la main ; en ce moment, Madame lui appliqua un soufflet si sonore qu'il fut entendu de quelques pas, et qui, en présence de toute la Cour, couvrit de confusion ce pauvre prince, et combla les infinis spectateurs, dont j'étais, d'un prodigieux étonnement[56].

Le 11, le mariage devint officiel, et le marquis de Sourches nota dans ses Mémoires : On ne peut pas s'imaginer quel fut le désespoir de Madame ; il était si grand qu'elle ne songea pas même à le cacher, et il y eut des gens qui dirent qu'il avait été jusqu'à la pousser à maltraiter son fils.

La future avait surmonté son embarras, et prenait la chose du bon côté. Un jour que Mme de Caylus lui parlait en badinant de son fiancé, cette petite fille de quinze ans repartit nonchalamment : Je ne me soucie pas qu'il m'aime ; je me soucie qu'il m'épouse[57]. Mot qui contient toute la philosophie des mariages politiques entre princes et princesses.

Mme de Maintenon montra combien peu elle craignait Madame, en revendiquant, par une lettre à Mme de Ventadour[58], l'honneur d'avoir travaillé à cette affaire de concert avec Mme de Bracciano, la future princesse des Ursins[59] : Mme de Braquiane a fait le mariage de M. le Duc de Chartres pour être dame d'honneur ; c'est une intrigue qu'elle a commencée avec moi... et nous voyons aujourd'hui qu'elle ne veut pas être dame d'honneur[60]. Suivaient quelques allusions obscures, un compliment sur le bon esprit de Madame, et elle poursuivait : Vous savez que ma folie est de vouloir faire entendre raison ; je vous assure que je le voudrais encore plus pour Madame dont vous m'avez dit tant de bien et qui a des qualités qui pourraient la rendre plus heureuse. Est-il possible que, ne pouvant éviter ce mariage, elle ne le fera pas de bonne grâce, qu'elle ne s'expliquera pas avec le roi, qu'elle ne se mettra pas dans une bonne intelligence avec lui, et qu'elle aimera autant demeurer comme elle est ? Ainsi, Mme de Maintenon avait poussé le roi à un acte parfaitement impopulaire, parfaitement impolitique au point de vue monarchique, pour le plaisir de procurer une place de 8.000 francs à une amie qui la dédaigna. C'était d'un esprit médiocre, qui envisageait les choses par leurs petits côtés. En revanche, le ton amical de la lettre, à l'égard d'une personne qui ne cessait de la vilipender, part d'un bon naturel : la vieille ordure n'était pas vindicative.

La duchesse Sophie gronda Liselotte, qui, cette fois encore, nia effrontément : On a mal renseigné Votre Dilection en lui disant que je m'étais conduite comme un enfant à l'occasion du mariage. Je ne suis malheureusement plus d'âge à faire l'enfant[61].... Il y a des gens qui oublient ce qu'ils ont dit et fait dans la colère ; Madame aurait-elle été du nombre ?

Les noces furent célébrées le 18 février, et laissèrent après elles comme un vent de mauvaise humeur : Si encore il n'y avait que le mariage, écrivait Madame[62], j'en prendrais mon parti ; mais il m'arrive tous les jours tant de choses désagréables et j'ai si peu de consolations, qu'il n'y a pas moyen de ne pas être triste. Elle était tout particulièrement excitée contre sa bru, qui ne sentait pas comme elle l'aurait dû l'honneur d'être Duchesse de Chartres, et se permettait de le prendre de haut avec sa nouvelle famille. Quand on pense, disait Madame[63], que ça n'est qu'une crotte de souris ! Un autre jour, elle traçait de verve ce portrait, digne de la main d'une belle-mère : La femme de mon fils est une désagréable et méchante créature, qui ne s'inquiète pas de mon fils et méprise Monsieur, comme si elle était une personne importante. Elle ne fait rien contre moi, mais elle me montre une horrible indifférence, ne parle jamais devant moi de ce qu'elle fait, et est souvent quinze jours sans mettre les pieds chez moi. Je la laisse faire, et n'ai pas l'air de m'apercevoir de rien, mais son orgueil et sa mauvaise humeur sont insupportables, et sa figure parfaitement désagréable : elle ressemble comme deux gouttes d'eau à un derrière, sauf votre respect. Avec cela, elle est toute de guingois, elle a une prononciation affreuse, comme si elle avait la bouche pleine de bouillie, et une tête qui branle toujours. Voilà le beau cadeau que nous a fait la vieille ordure... mais la naissance tient lieu de tout.... Elle tourmente ferme son mari[64].

Le Duc de Chartres en voulait au roi, le roi en voulait à Madame, Monsieur en voulait à la fois au roi et à Madame, et de toutes ces bouderies jaillissaient des piques et des tracas. Le 10 mai, Louis XIV partit pour assiéger Namur[65]. Il emmenait toutes les dames, sa belle-sœur exceptée, afin de lui marquer son mécontentement. Madame joua l'indifférence, mais elle ne pouvait se passer de le voir, et elle fut sottement malheureuse pendant l'absence de la Cour, au lieu de jouir de ses deux mois de paix et de liberté dans son citer Saint-Cloud. Son fils ne se montra pas plus sage. Il faisait la campagne, flanqué, comme un petit garçon, de son gouverneur et de son précepteur, et il la faisait très brillamment : Depuis le roi jusques aux harengères, tout le monde parle de vous, lui écrivait sa mère[66] après la bataille de Steinkerke, où il avait été blessé en chargeant. Du même jour, le soir : Continuez, mon cher enfant, je vous en conjure, et rendez-vous un prince parfait ; et si la fortune ne vous a pas rendu un des maitres du monde, confondez-la, en montrant à toute la terre que vous méritiez de l'être, et régnez sur les cœurs, c'est le plus grand et le plus beau règne du monde, et que tout honnête homme doit le plus désirer. Le Duc de Chartres était un prince parfait tant qu'il se battait ; hors de là il ne faisait plus que des sottises : Sa protestation — d'époux malgré lui —, dit un historien récent[67], fut d'humilier l'épouse et de braver le roi par les déportements les plus scandaleux. Braver Louis XIV n'était pas un plaisir qui pût aller sans ennuis ; le Duc de Chartres en eut beaucoup, de mérités et, encore plus, d'immérités ; dans les deux cas, sa mère, amie fidèle et vaillante, recevait les contre-coups. Madame a toujours soutenu que ses enfants lui avaient apporté plus de peines que de joies. Ainsi la maternité n'avait pas été pour elle le bonheur éclatant qui console de tout.

 

On sait par une Relation[68] allemande que la disgrâce de Madame paraissait sans remède dés avant le mariage forcé de son fils. L'auteur de ce mémoire, Ézéchiel Spanheim, envoyé de Brandebourg à Paris, s'y montre très bien informé des cabales, ou des dissentiments, qui avaient coûté à Liselotte la confiance et l'affection de Monsieur et la considération particulière que le roi avait eue assez longtemps pour elle. Il en augurait mal de l'avenir pour cette bonne princesse, ainsi qu'il l'appelle. Les mêmes causes continuant d'agir puisque le chevalier de Lorraine était toujours tout-puissant, Madame toujours incapable de se contraindre... dans les rencontres et de plus en plus anti française, Spanheim, qui l'aimait et la plaignait, ne voyait guère d'apparence que sa condition devînt plus heureuse avec le temps.

C'était une impression assez générale. Les ambassadeurs étrangers, observateurs par métier, étaient tous frappés de cette princesse qu'on sentait si lointaine, qui vivait isolée dans la plus grande cohue du monde, et n'avait jamais l'air chez soi[69] nulle part. Pour des hommes politiques, la leçon était grave. Depuis que le chagrin avait éveillé sa sensibilité, Madame était le vivant symbole de l'incompatibilité d'alors, — et de tous les temps, — entre la nature des Allemands et celle des Français[70]. L'impossibilité de se comprendre éclatait dans sa personne et ses paroles avec une telle évidence qu'on ne voit pas comment les choses auraient pu tourner autrement pour elle si Mme de Maintenon, qu'elle accusait de tous ses maux, n'avait pas existé. Les raisons qui ont rendu la princesse Liselotte justement populaire dans son pays, où on lui est reconnaissant d'avoir aimé passionnément l'Allemagne et de n'avoir aimé qu'elle, ne pouvaient point ne pas irriter le roi de France contre la mauvaise amie, la belle-sœur déloyale, qui s'empressait, dans les heures sombres du règne, de trompeter au dehors' que le trésor était vide et le pays épuisé. Madame ne le comprit jamais, — c'est du reste son excuse, — de sorte que sa haine pour Mme de Maintenon s'exaspérait d'année en année. Ses griefs personnels se compliquaient du dégoût que lui inspirait la cour de France nouvelle manière, œuvre de la favorite.

Celle-ci caressait le rêve de ramener la société française, avec l'aide et à l'exemple du roi, à une piété solide et pratiquante. Les directeurs spirituels de Mme de Maintenon l'encourageaient dans la pensée que Dieu l'avait choisie pour être l'instrument du salut d'un grand prince, et pour l'intéresser aux âmes de ses sujets. Une coterie dévote approuvait son dessein. Le reste, y compris bien des gens qui s'estimaient bons catholiques, rechignait à se laisser régenter par une ancienne gouvernante ; mais on n'osait pas le laisser voir.

Mme de Maintenon s'était mise à la besogne à la mort de Marie-Thérèse (30 juillet 1683), et les débuts avaient passé ses espérances. Deux mois n'étaient pas écoulés qu'elle écrivait triomphalement à son bohème de frère, Charles d'Aubigné : Je crois que la reine a demandé à Dieu la conversion de toute la Cour ; celle du roi est admirable, et les dames qui en paraissaient les plus éloignées ne partent plus des églises[71]. Le Journal de Dangeau contint désormais à toutes les grandes fêtes une note en ce genre : Le roi fut presque toute la journée à la chapelle. En 1646, à Noël, il relevait de maladie ; on lui avait fait la grande opération ; il avait énormément souffert et ne sortait pas encore. Il assista néanmoins aux trois messes de minuit et à une partie de matines, puis, dans la journée de Noël, à trois autres messes, au sermon, aux vêpres et au salut[72]. Cela faisait bien des choses pour un homme dont ce n'était pas le métier. Madame trouvait que c'était trop ; que les princes ont mieux à faire que d'être quatre ou cinq heures en oraison ; et elle enrageait, car l'étiquette obligeait la famille royale à suivre son chef aux offices du dimanche et des jours de fête.

L'assiduité à l'église n'était qu'un premier pas dans la voie des observances. Le second pas se fit le 7 mars 1685, non sans murmures de la part des courtisans. Voici le récit du marquis de Sourches : Au commencement du carême, le roi appela un matin le grand prévôt[73] et lui dit qu'il lui réitérait les ordres qu'il lui avait donnés les années précédentes, pour qu'il empêchât qu'on ne mangeât de la viande à la Cour ; qu'il voulait qu'ils fussent observés plus sévèrement qu'ils ne l'avaient été par le passé ; qu'il lui ordonnait de lui nommer tous ceux qui en mangeraient et en donneraient à manger à d'autres, de quelque qualité qu'ils pussent être, et qu'il lui en répondrait. Le grand prévôt lui répondit que Sa Majesté lui donnait une commission très onéreuse, et qu'elle allait lui attirer sur les bras tout ce qu'il y avait de gens à la Cour ; mais le roi lui répliqua qu'il le voulait absolument. Et cette conversation, qui se fit au lever du roi, en présence de la meilleure partie de la Cour, ne finit que par l'assurance que le grand prévôt donna au roi, qu'il serait ponctuellement obéi. On se savait déjà surveillé jour et nuit dans les escaliers et les corridors de Versailles par une police secrète qui rendait ses comptes au roi. Il fallut se faire à l'idée d'être espionné dans sa cuisine. Ce fut amer.

Deux mois après, le roi s'en prenait aux gros mots et aux propos égrillards en usage à sa Cour ; puis ce fut d'autres réformes, tantôt bonnes, tantôt mauvaises, mais qui avaient ceci de commun de n'être que des apparences, des attitudes, sans effet sur les cœurs, ni sur le fond de la conduite. Madame déclarait sans ambages que la Cour devenait hypocrite ; qu'elle cachait sous ses mines dévotes plus de perfidie et de méchanceté que jamais ; que les femmes s'y perdaient de plus en plus ; et que tel jouait la piété à Versailles qui faisait l'athée à Paris. Elle disait l'ennui accablant d'un monde où les hommes et les femmes n'osaient plus se parler ouvertement[74] sous peine de scandale ; la grossièreté des jeunes cavaliers sevrés de conversations féminines ; le danger de retrancher les plaisirs honnêtes à des gens condamnés à ne rien faire : et elle se refusait à admirer la nouvelle austérité du roi, qui s'admirait pourtant lui-même : Nous avons manqué ne plus avoir de comédies, écrivait-elle à sa tante le 23 décembre 1694. La Sorbonne a voulu la faire interdire pour plaire au roi, mais on prétend que l'archevêque de Paris et le Père de la Chaise lui ont dit qu'il serait trop dangereux de bannir les divertissements honnêtes[75] ; que cela pousserait la jeunesse à des vices abominables. De sorte que la comédie nous reste, grâce à Dieu. On assure que la vieille ratatinée du grand homme en sera effroyablement dépitée, car c'était elle qui avait inventé de la supprimer.... Tant que la comédie existera, j'irai ; ils auront beau faire piailler contre elle du haut de la chaire.

Il y a quinze jours, on prêchait contre elle ; on disait qu'elle animait les passions. Le roi se tourna de mon côté et me dit : Il ne prêche pas contre moi, qui ne va plus à la comédie, mais contre vous autres, qui l'aimez et y allez. Je répondis : Quoique j'aime la comédie et que j'y aille, M. d'Agen[76] ne prêche pas contre moi, car il ne parle que contre ceux qui se laissent exciter les passions aux comédies, et ce n'est pas moi ; elle ne me fait autre effet que de me divertir, et à cela il n'y a nul mal. Le roi ne souffla mot.

L'année suivante, l'archevêque de Paris[77], au mieux à cette époque avec Mme de Maintenon, forma le dessein d'ôter la foire Saint-Germain pendant le carême[78], à cause des lieux de plaisir où se pressaient la Cour et la ville ; et de fermer dans le même temps les théâtres de Paris. Le roi trouva cela exagéré, et Mme de Maintenon en avertit le prélat, qui abandonna son projet. L'archevêque prit sa revanche en 1696, à l'occasion d'un jubilé de quatorze jours qui commença le lundi gras (5 mars), et pendant lequel furent interdits les spectacles, danses, mascarades et autres divertissements[79]. Défense aux marchands de la foire Saint-Germain de donner à jouer[80], ou à boire et à manger. Monsieur ayant osé se plaindre au roi, l'archevêque le sut aussitôt par Mme de Maintenon : Monsieur est celui qui parait le plus peiné de la piété. Il dit l'autre jour au roi[81].... Suivaient les paroles de Monsieur. Mme de Maintenon croyait de bonne foi travailler pour la religion et la morale, mais c'était Madame qui avait raison ; la piété ne s'improvise pas avec des règlements de police, et la cour de France se peuplait de Tartuffes des deux sexes.

A mesure que l'atmosphère générale se modifiait, Liselotte sentait le roi lui échapper plus complètement, et elle en déraisonnait de jalousie. A la duchesse Sophie, le 30 juin 1691 : Tant que la vieille ordure vivra, je serai mal en cour, car sa haine contre moi est sans bornes ; plus je lui fais de politesses, plus ça va mal. A la même, le 31 mai 1692 : Si un diable voulait emporter notre vieille ripopée, je le tiendrais pour un homme d'honneur, et je prierais volontiers pour qu'il soit anobli. A la même, devenue l'Électrice Sophie par l'érection du Hanovre en Électorat[82] : (10 octobre 1693.) La duchesse de Hanovre[83] pourra dire à Votre Dilection quel méchant diable, et faux, est la vieille ordure, et que ce n'est pas ma faute si elle me hait atrocement, car j'ai fait tout au monde pour être bien avec elle. Sa Dilection savait à quoi s'en tenir sur les amabilités de Liselotte pour Mme de Maintenon : (27 février 1695.) Monsieur m'a donné hier une nouvelle qui serait excellente, si elle était vraie, mais j'ai peur que non. La vieille ordure aurait un cancer de la matrice, sauf votre respect. Ce serait un bien grand bonheur, mais je ne peux pas croire que ce soit vrai. C'était en effet une fausse joie : (16 mars.) La nouvelle n'est malheureusement pas vraie. J'ai vu hier la vieille ordure manger avec nous ; elle était fraîche et bien portante.

C'est féroce. Ne jugeons pas Madame trop durement. La femme la meilleure peut devenir un monstre quand la jalousie la possède ; Hermione était peut-être douce et bonne avant d'aimer Pyrrhus. Ayons compassion de cette Liselotte douloureuse qui en arrivait à blasphémer les souvenirs heureux, et à vouloir effacer de toutes les mémoires les dix années de bonheur qu'elle avait eues en France : (2 mai 1697.) Je plains Votre Dilection de ne pas avoir de meilleur passe-temps que de lire mes vieilles lettres. Tant que feu papa a vécu, vous les trouverez pleines de contentement de Monsieur[84], car je ne voulais pas que Sa Grâce pût apprendre ce qu'il en était au vrai ici ; je ne l'ai jamais dit dans aucune lettre. Quand Votre Dilection est venue ici, je ne lui ai rien caché, mais j'ai tout caché à Sa Grâce... ça l'aurait tourmentée et attristée. Il est fâcheux de ne pas posséder la réponse de l'Électrice Sophie, qui avait bonne tête et le parler franc.

Quelques événements de cette période de détresse morale sont à noter. Au mois de juillet 1693, Madame eut la petite vérole. Elle fut à la mort, mais garda sa présence d'esprit, et se défendit contre les médecins avec son énergie accoutumée : Cette princesse, rapporte Sourches le 7 juillet, suivant son génie ordinaire, se traitait seulement avec des poudres sudorifiques, et mangeait presque de la même manière que si elle n'avait pas été malade. Le 9, Dangeau écrit à son tour : Madame a toujours bu à la glace ; ses fenêtres sont ouvertes ; elle change de linge quatre fois le jour, ne veut point être saignée, ne veut point avoir d'autre médecin que le sien. A peine hors d'affaire, elle devient énorme, et ses lettres ne tarissent plus sur la laideur prodigieuse de toute sa personne : Ma graisse s'est mal placée, de sorte qu'elle me va mal. J'ai, sauf votre respect, un derrière effroyable, un ventre, des hanches et des épaules énormes, le cou et la poitrine très plats ; pour dire la vérité, je suis épouvantable, mais j'ai le bonheur de ne pas m'en soucier[85]. Voilà pour la tournure, et voici pour la figure : J'ai toujours été laide et le suis devenue encore plus depuis la petite vérole. Ma taille est monstrueuse[86] d'épaisseur ; je suis carrée comme un dé à jouer. Ma peau est d'un rouge tacheté de jaune ; je commence à grisonner, et mes cheveux sont poivre et sel ; mon front et mes yeux sont, tout ridés, mon nez toujours aussi de travers et, par-dessus le marché, tout brodé par la petite vérole, ainsi que mes deux joues plates. J'ai un double menton, les dents gâtées, la bouche un peu endommagée, plus grand et plus ridée ; vous jugez de ma jolie figure[87].

Elle s'essoufflait à présent en marchant. A cheval, elle était toujours la première écuyère de la cour de France. Le 15 avril 1696, elle écrivait à Mme de Harling : J'ai beau être grosse, cela ne m'empêche pas de chasser ; j'en suis quitte pour monter de grands chevaux qui puissent me porter. Je suis maintenant, grâce à Dieu, en excellente santé ; jeudi dernier, j'ai chassé le loup pendant six heures... après quoi, je me suis sentie parfaitement bien. Il est certain que rien n'est meilleur pour la santé. Le Dauphin l'emmenait volontiers à la chasse.

Le 7 décembre 1697, le Duc de Bourgogne épousa Marie-Adélaïde de Savoie, fille de Victor-Amédée II et d'Anne-Marie d'Orléans, seconde fille de Monsieur et de sa première femme[88]. Ce mariage avait été une déception pour Madame, qui aurait voulu le Duc de Bourgogne pour sa fille, mais il n'était pas désavantageux à la maison d'Orléans, puisque Monsieur se trouvait être le grand-père de la future reine de France. La petite Duchesse de Bourgogne, quoique tout enfant, — elle n'avait pas onze ans à son arrivée en France, — s'aperçut par malheur que Madame ne comptait pas, et la négligea pour de plus importants : Elle est effroyablement politique, écrivait Madame[89], fait peu de cas de son grand-père, nous regarde à peine, mon fils et moi, mais dès qu'elle aperçoit Mme de Maintenon, elle lui sourit et va à elle les bras ouverts. La charmante Duchesse de Bourgogne devint une épine de plus dans la chair de Liselotte.

La mort de son oncle de Hanovre, survenue le 24 janvier 1698, affligea Madame à cause de l'Électrice Sophie ; toutefois elle en fut promptement distraite par la grande affaire de l'établissement de sa fille. Élisabeth-Charlotte d'Orléans coiffait sainte Catherine, quand le roi accepta pour elle Léopold, duc de Lorraine. Aux yeux de sa mère, ce fut un mariage de raison ; Madame disait que son gendre n'avait pas beaucoup d'esprit, pas beaucoup d'argent, mais qu'au moins ses enfants pourraient entrer dans un chapitre d'Allemagne, ce que ne pourraient pas ceux du Duc de Chartres. Mademoiselle se montra parfaitement contente ; elle était peu exigeante, et ravie de se voir délivrée de la dure férule de Madame[90]. La cérémonie se fit par procuration le 13 octobre 1698, à Fontainebleau, en présence d'une foule qui s'acquitta de ses devoirs de politesse à la satisfaction de Madame : Tout le monde pleurait, écrivit cette dernière à sa tante Sophie[91] ; le roi, le roi et la reine d'Angleterre, toutes les princesses, tous les membres du clergé, tous les courtisans, jusqu'aux gardes et aux Suisses, tous les ambassadeurs, le peuple, en un mot, tous, tous ont versé des larmes amères, excepté M. le Dauphin, qui n'en a pas versé une seule, et qui regardait tout comme s'il était au spectacle. Mademoiselle ne laissait pas de regrets : sa mère l'avait tenu de si court qu'on la connaissait à peine ; mais ainsi le voulait l'usage, et les yeux secs du Dauphin avaient offensé Madame : Si c'était par raison qu'il n'a pas pleuré, disait-elle, j'approuverais... mais c'est parce qu'il a mauvais cœur et qu'il aime à voir les gens tristes et affligés[92]. Il est curieux que l'on parle toujours de la sensiblerie et des torrents de larmes du XVIIIe siècle, et jamais de ceux du XVIIe.

Vers le même temps, il se fit dans l'esprit de Monsieur un revirement qui fut gros de conséquences pour Madame. La santé de ce prince déclinait, et son confesseur, le rude Père du Trévou, ne manquait pas une occasion de lui répéter qu'il prît bien garde à lui, qu'il était vieux, usé de débauches, gras, court de col, et que, selon toute apparence, il mourrait d'apoplexie, et bientôt[93]. Monsieur en conçut une peur épouvantable du diable, se fit dévot, et les favoris reçurent leur congé. D'autre part, il était en froid avec le roi. Louis XIV lui avait promis monts et merveilles pour son fils, lors du mariage, et lui avait ensuite manqué de parole, craignant, s'il donnait des commandements au Duc de Chartres, que la comparaison avec ce brillant soldat ne fit du tort à ses bâtards. L'irritation de Monsieur se tourna en regain de confiance à l'égard de sa femme, qui lui avait prédit ce qui arrivait. Ayant besoin d'elle, il s'en rapprocha, et la paix se rétablit dans cet intérieur agité. C'était un événement capital pour Liselotte. Chose inexplicable, elle en fit mystère à sa tante et lui continua ses plaintes : Monsieur est comme toujours.... Il me donne de bonnes paroles, vit bien avec moi en apparence ; en réalité, il ne peut pas me souffrir, et me nuit autant auprès du roi que la vieille ordure[94].

Telle était la situation au printemps de 1701, quand un accident imprévu vint rejeter Madame dans les difficultés. La guerre de la succession d'Espagne se préparait. Le Duc de Chartres n'avait pu obtenir de servir et, de découragement, faisait derechef des sottises. Le roi, qui ne comprenait plus qu'on pût être un mari infidèle, s'avisa de reprocher à Monsieur les fredaines de son fils. Rabroué une première fois, le monarque revint à la charge, et trouva devant lui un timide poussé à bout, qui ne se connaissait plus et qui lui criait des choses désagréables, portes grandes ouvertes, dans un cabinet de Marly. Louis XIV outré s'emporta aussi, et les voilà se chantant pouille devant des centaines d'oreilles attentives, Monsieur s'excitant de plus en plus, le roi en arrivait à la menace. Il fallut l'annonce du dîner pour les interrompre. A table, on remarqua que Monsieur était bien rouge. Cela se passait le 8 juin.

Rentré chez lui, à Saint-Cloud, Monsieur trouva Madame encore mal remise d'un accès de fièvre, et fut souper sans elle. Au milieu du repas, la prédiction du Père du Trévou s'accomplit : Monsieur fut foudroyé par une apoplexie. Il tomba sur son voisin ; on l'emporta, on essaya des remèdes ; rien n'y fit. Il ne reconnut pas le roi, accouru de Marly dans la nuit, et tous les siens durent sortir de sa chambre, à cause de la règle qui interdisait aux princes de voir mourir. La famille royale se dispersa dans le château, et Saint-Simon a résumé l'impression du public sur ce qu'éprouvait Madame durant cette attente cruelle : Madame était cependant dans son cabinet, qui n'avait jamais eu grande affection ni grande estime pour Monsieur, mais qui sentait sa perte et sa chute, et qui s'écriait dans sa douleur, de toute sa force : Point de couvent ! qu'on ne me parle point de couvent ! je ne veux point de couvent[95]. Ce fut précisément un couvent qu'on vint lui offrir de la part du roi. Elle s'en défendit, discuta, négocia, et obtint finalement de rester à Versailles ; mais l'avenir s'annonçait mal.

Il était environ sept heures du matin lorsqu'elle écrivit à sa tante Sophie, d'une écriture tremblée, le billet que voici : C'est la plus malheureuse de toutes les créatures qui écrit à Votre Dilection. Monsieur a été frappé d'apoplexie hier soir à dix heures. Il est à l'agonie, et moi dans le plus grand malheur du monde. Entre huit et neuf heures, le roi repartit pour Marly. A midi, Monsieur expira, et Madame monta sur-le-champ en carrosse. Elle prit la route de Versailles dans un grand trouble d'esprit. Monsieur, même aux jours de brouille, lui était un rempart contre Mme de Maintenon, qu'il ne pouvait souffrir : Ce n'était pas sa faveur qui le blessait, explique Saint-Simon[96] ; mais, d'imaginer que la Scarron était devenue sa belle-sœur, cette pensée lui était insupportable. Monsieur disparu, qui protégerait Madame ? Qu'allait-elle devenir ?

 

Le secours vint à Madame d'où elle l'attendait le moins : Mme de Maintenon me fit dire par mon fils que ce serait le bon moment pour me réconcilier avec le roi[97]. Louis XIV était attendri ; il fallait se hâter d'en profiter. Là-dessus, poursuit Madame, j'ai fait mes réflexions et me suis rappelé combien de fois Votre Dilection m'avait conseillé de me raccommoder avec cette dame elle-même. J'ai donc prié le duc de Noailles de lui dire de ma part que j'étais si touchée de l'amitié qu'elle m'avait montrée dans mon malheur que je la priais de venir chez moi, puisque je ne pouvais pas sortir. Ce qu'elle a fait hier à six heures. Mme de Ventadour assistait à l'entrevue.

D'après Saint-Simon, qui dit l'avoir su d'original, Mme de Maintenon se présenta en personne officielle, chargée par le roi de communiquer à une sujette en disgrâce les vraies causes du déplaisir royal : Outre la brouillerie du roi et de Monsieur dont Madame avait sa part commune, il y en avait une autre plus sérieuse d'elle au roi, qui avait vu de ses lettres en Allemagne, où elle parlait fort mal de lui. Il en fut d'autant plus piqué que Mme de Maintenon y était mêlée, et qu'on y voyait en plein combien cette princesse était allemande et peu française[98]. Les indiscrétions de Madame, pour ne pas user d'un mot plus fort, furent le thème principal de l'entretien. Comme elle essayait de nier, Mme de Maintenon tira de sa poche une lettre arrêtée par la poste, et il fallut se rendre : Liselotte y annonçait à l'Électrice Sophie la ruine irrémédiable de la France. L'humiliation fut amère, les larmes brûlantes, d'avoir à implorer son pardon par le canal d'une ennemie abhorrée, qui profitait de l'occasion pour se plaindre avec politesse des injures de Madame. Finalement on s'embrassa, et Mme de Maintenon répondit du raccommodement avec le roi, lequel, en effet, consentit à passer l'éponge[99]. Ce récit cadre avec tout ce qu'on sait d'ailleurs. Il est bon de lui comparer la version de Madame.

Le lendemain de l'entrevue, elle écrivit à sa tante combien elle l'avait pris de haut avec celte pauvre petite herbe de Mme de Maintenon : Je lui ai... répété que j'étais très contente d'elle, et lui ai demandé son amitié. Je lui avouai... que j'avais été fâchée contre elle, me figurant qu'elle me haïssait et m'ôtait les bonnes grâces du roi... mais que j'étais prête à tout oublier, pourvu qu'elle devînt mon amie[100]. La situation est retournée ; c'est à Mme de Maintenon à se faire pardonner. La suite est à l'avenant ; l'affaire des lettres tourne à l'honneur de Liselotte, que Louis XIV finit par prier d'oublier le passé, et l'ensemble du récit est criant d'invraisemblance. Le désir naturel d'avoir le beau rôle devant l'Allemagne a entraîné Madame à romancer, et personne ne lui en fera un crime ; mais on n'oubliera plus, en lisant sa correspondance, que diverses considérations y prennent le pas sur la vérité.

Nous rentrons dans la réalité avec une autre lettre de Madame, beaucoup moins glorieuse pour la fierté palatine. Le roi avait comblé le Duc de Chartres de grâces et de pensions à la mort de son père. C'était son gendre, et puis, le roi n'était pas sans remords ; il n'était pas bien sen- de ne pas avoir contribué à l'apoplexie de Monsieur par leur prise de bec de Marly. Madame écrivit à Mme de Maintenon Si je n'avais eu la fièvre et de grandes vapeurs, madame... vous auriez eu plus tôt de mes nouvelles ; mais je ne puis tenir de vous marquer à quel point je suis touchée des grâces que le roi a faites hier à mon fils et de la manière qu'il en use pour lui et pour moi. Comme ce sont des suites de vos bons conseils, madame, trouvez bon que je vous en marque ma sensibilité, et que je vous tiendrai très inviolablement que je vous ai promise. Je vous prie de me continuer vos conseils et avis et de ne jamais douter de ma reconnaissance, qui ne peut finir qu'avec ma vie[101]. Cette lettre-là va avec la version de Saint-Simon.

A travers toutes ces émotions, il avait fallu prendre le deuil, affaire sérieuse en ce temps-là surtout par la chaleur. Madame a décrit son appareil de veuve : (26 juin 1704.) Hier, j'ai dû recevoir le roi et la reine d'Angleterre en cérémonie, et clans un costume insensé. J'avais un bandeau blanc sur le front ; par-dessus le bandeau une coiffe, attachée sous le menton ; par-dessus la coiffe une cornette[102], par-dessus la cornette un voile en étoffe de lin, rattaché sur les deux épaules comme un manteau de crêpe, et formant une queue de sept aunes de long ; sur mon corps, une longue robe en drap noir, avec des manches retombant sur le poing et garnies d'une bande d'hermine de deux mains de haut ; une autre bande d'hermine, de la même largeur, partant du col et allant jusqu'en bas de la jupe : une ceinture de crépon noir retombant par devant jusqu'à terre, et une queue en hermine, ayant aussi sept aunes de long. Dans cet attirail, on m'a couchée sur un lit tout noir, dans une chambre toute noire, où le parquet même était tendu de noir et les fenêtres masquées par des tentures noires, ma queue étalée, l'hermine en dessus. Dans la chambre, un grand candélabre avec douze bougies allumées, dix ou douze autres bougies sur la cheminée.... Saint-Simon reproche à Madame d'en avoir pris à son aise avec l'étiquette et de s'être bientôt montrée partout sans mante, sans voile, sans bandeau, qui, à ce qu'elle disait, lui faisait mal à la tête[103]. Saint-Simon en parle à son aise ; au mois d'août, et couverte de fourrure, la tentation d'alléger devait être irrésistible.

Tandis que ces incidents se déroulaient à Versailles, la famille d'Allemagne se réjouissait discrètement de l'apoplexie qui avait délivré la princesse Liselotte d'un époux hostile et d'un esclavage insupportable. De l'Électrice Sophie à la raugrave Louise : (10 juillet 1701.) Le bon naturel de Madame fait qu'elle est triste, car, lorsqu'on a un bon naturel, on a toujours de la sympathie[104] pour un homme qui est le père de vos enfants. Du reste, il ne semble pas que feu Monsieur ait eu beaucoup d'amitié pour Madame, car il n'a pas pensé à elle dans son testament[105]. C'était vrai. Le 12 juin, le roi était venu chez Madame ouvrir le testament de Monsieur. Ce prince faisait son fils légataire universel. Il distribuait quelques souvenirs à ses filles et à sa petite-fille, la Duchesse de Bourgogne ; Madame n'était pas nommée. Le testament était de 1699.

Le 31 juillet, nouvelle lettre de l'Électrice à Louise : En ce qui touche Madame, j'espère avec vous que Sa Dilection sera plus heureuse qu'auparavant, car le roi et Mme de Maintenon, qui ne font qu'un pour moi, sont très bons pour elle, et on dit que Monsieur lui rendait beaucoup de mauvais offices, à l'instigation de ses petits-maîtres, car au fond c'était un excellent homme. Le bon naturel de Madame fait qu'elle ne pense qu'à ses bonnes qualités. Ici encore, l'Électrice se montre bien renseignée. De quelque façon que se fia passée l'entrevue avec Mme de Maintenon, la réconciliation avait été sincère de sa part et de celle du roi. Les témoignages de Madame sont formels : (19 juin.) Le roi m'a fait la grâce de revenir me voir et a été très bon ; Mme de Maintenon était venue avant lui et avait aussi été très amicale.... (14 juillet.) Je reçois de grandes consolations du roi.... (21 juillet.) Mme de Maintenon continue à être très gracieuse, je suis très contente d'elle ; si elle continue, je resterai certainement son amie.... Je me creuse la tête pour deviner la cause de ce changement.... A Louise, le 29 juillet : Ma plus grande consolation est la faveur du roi qui persiste. Sa Majesté... m'a emmenée à la promenade avec Elle.

Madame, bien femme en cela, avait trouvé la solitude de son cabinet insupportable du jour où les règles du deuil, et non plus sa seule fantaisie, l'avaient condamnée à vivre en ermite. Louis XIV vint galamment à son aide : Il veut, nota Dangeau le 28 juillet, que Madame soit de tout ; il dit qu'elle est ici dans sa famille, et qu'ainsi il faut qu'elle n'y soit pas retirée. Ce fut le roi qui l'entraîna à la chasse, en tête à tête, dans la voiture légère, aux quatre petits chevaux rapides, qu'il conduisait lui-même ; Mme de Maintenon suivait dans une autre voiture. On se représente la joie intense de Liselotte en filant sous les voûtes de verdure, comme aux jours radieux de leur jeunesse, avec le prince qui tenait une si grande place dans sa pensée. Ce fut encore le roi qui, sachant son chagrin d'être sevrée de théâtre, la fit inviter par Mme de Maintenon à voir jouer chez cette dernière par une troupe d'amateurs, une tragédie sainte, où Madame eut le plaisir de pleurer comme une folle[106] et d'admirer son fils en roi David.

L'Électrice Sophie et les raugraves s'étonnaient de la savoir encore à la cour de France. Elles s'étaient figuré, ses lettres sous les yeux, que Liselotte devenue libre, n'aurait rien de plus pressé que de fuir ce monde odieux, et sa conduite les déroutait. Pourquoi leur avoir fait mystère du rapprochement avec Monsieur ? Pourquoi avoir continué à se plaindre de lui et de ses favoris ? Un mois après son veuvage. Madame avait écrit à sa tante Sophie brusquement sans autre explication : (7 juillet.) Si Monsieur avait vécu, j'aurais pu mener une existence paisible ; j'étais arrivée à me faire craindre des favoris, le pauvre homme commençait à devenir dévot : il s'était donc amendé et ne me faisait plus de mal[107]. Elle répéta cette même information, avec de légères variantes, à plusieurs correspondants. Par exemple : Ces trois dernières années, il était tellement revenu pour moi, que ses favoris ne me pouvaient plus nuire, et pour lui plaire j'avais fait avec eux un sincère accommodement[108]. Ou encore, longtemps après : Trois ou quatre ans avant la mort de Monsieur, mon époux, je me réconciliai pour lui faire plaisir avec le chevalier de Lorraine. Depuis, le chevalier ne m'a pas donné aucun sujet de plainte[109]. Ainsi de suite. Pourquoi ne l'avoir pas dit au moment même ?

Le raccommodement avec Monsieur n'empêchait pas la cour de France d'être peuplée de méchants et de pervers qui en rendaient le séjour intolérable à une honnête Allemande. Qu'attendait Madame pour la fuir ? La raugrave Amelisse hasarda une question qui fut mal reçue : (15 juillet 1701.) Je n'ai jamais pensé, répliqua Madame assez sèchement, à me mettre dans un couvent. La vie de couvent n'est pas du tout mon affaire. Elle avait mieux à sa disposition, s'il lui convenait de quitter Versailles. Son contrat de mariage lui assurait, en cas de veuvage, le château de Montargis, garni de meubles comme il convenait à sa qualité, pour son habitation et demeure sa vie durant[110]. Une résidence seigneuriale à quinze lieues de Fontainebleau, un pays de grands bois et de gros gibier, une liberté parfaite, une primauté incontestée, le plaisir de faire centre, comme la Grande Mademoiselle au temps de son exil à Saint-Fargeau, et enfin, couronnant le tout, la joie de pouvoir restreindre ses dépenses et être au large : c'était fait pour Liselotte, et il lui fut désormais impossible de récriminer contre la cour de France sans qu'on lui répondît d'Allemagne d'aller à Montargis.

Elle avait toujours quelque raison à alléguer pour n'en rien faire. En 1704, le 21 avril, elle écrit à sa tante : Je ne possède plus d'autre maison que mon douaire, le vieux château de Montargis ; mais il est à trois ou quatre journées de voyage d'ici. Si j'allais y habiter, on me laisserait dans mon coin ; je mènerais une vie de daine de campagne fort ennuyeuse, sans considération ni rien. Ça ne me va pas, et j'aime mieux continuer à traîner ici, quoique je ne sois pas au nombre des élus et admise au saint des saints. Elle appelait saint des saints le cabinet de Louis XIV, où ce prince, depuis sa conversion, finissait vertueusement ses soirées en famille. Madame ignorait qu'elle en était bannie à la prière de la Duchesse de Bourgogne et des autres jeunes princesses, qu'elle terrifiait par son acharnement à leur dire publiquement leurs vérités, et elle s'en prenait à Mme de Maintenon. C'était même l'un de ses gros griefs contre cette dernière, car rien ne lui avait été aussi sensible, pas même l'exclusion des chasses royales.

On s'étonnait aussi en Allemagne d'apprendre que Liselotte allait être plus gênée que jamais. Elle avait répété tant de fois qu'elle était à l'étroit par la faute de Monsieur, qui lui refusait des chemises pour donner tout l'argent de la maison à ses favoris, qu'on s'était attendu à la voir riche le jour où on la verrait veuve. Amelisse avait même fait à ce propos quelques bavardages qui mécontentèrent Madame ; il lui importait, pour son repos, qu'on la crût sans le sol, et elle écrivit à Louise : (15 juillet 1701.) Amelisse est très mal renseignée de me croire si bien pourvue. Les lamentations n'étant pas du tout mon genre, je me tais ; je me contenterai d'ajouter qu'il s'en faudra cette année de 80.000 francs que je joigne les deux bouts ; ma maison manque du nécessaire, sans parler de ce qu'il me restera pour mon agrément ou mon plaisir. Les raugraves avaient eu une fausse joie ; le veuvage ne rendrait pas Liselotte plus donnante.

La vérité est que Madame, ses affaires réglées, se trouva dans une grande situation. Son fils y avait veillé. Elle avait des reprises à exercer ; le Duc d'Orléans fit largement les choses, de manière qu'entre sa dot, son douaire de 40.000 livres l'an, ce qu'elle avait hérité de son père ou de son frère et les bienfaits du roi, Liselotte eut mauvaise grâce à se plaindre. Tout Versailles sut le chiffre exact de ses revenus le 2 janvier 1702, par une de ses communications officieuses venues on ne savait d'où, qui étaient l'un des traits caractéristiques de la cour de Louis X1V. Dangeau nota dans son Journal : Les affaires de Madame avec M. le Duc d'Orléans sont entièrement réglées. Ce prince en a très bien usé ; il donne à Madame au delà de ce qu'elle pouvait prétendre. Elle aura de lui 200.000 livres par an, et le roi lui donne, comme du vivant de Monsieur, 250.000 livres, et outre cela de grosses étrennes ; ainsi Madame jouira de 450.000 livres de rente.

La mère et le fils devaient partager ce qu'il reviendrait encore du Palatinat pour la fameuse affaire des allodiaux, toujours pendante à Rome ; mais ce morceau-là qui aurait pu être le plus gros, s'en alla en fumée. On se rappelle que le Pape avait été pris pour arbitre, et qu'il s'agissait de faire le départ entre ce qui devait revenir à Madame dans la succession de son père, l'Électeur Charles-Louis, et ce qui devait passer avec le Palatinat aux électeurs de la nouvelle branche. L'affaire fui, jugée le 18 février 1702, et Madame perdit son procès. Elle réclamait des terres qui en auraient fait une façon de puissance ; la sentence de Clément XI la réduisait, pour toutes ses prétentions, à toucher de l'Électeur palatin 300.000 écus romains, en défalquant même ce qu'elle pouvait avoir déjà reçu de ce prince[111], et ce dernier retranchement terminait tout : elle avait déjà reçu plus que ne lui allouait le Pape. Il ne me reviendra rien, concluait-elle dans une lettre à ses sœurs, et elle profitait de l'occasion pour crier misère : Si j'avais gagné... cela m'aurait mise dans une bonne situation, tandis qu'à présent, j'ai à peine de quoi vivre selon mon rang.... Si j'avais eu de gros revenus, on m'aurait considérée[112]. Les pauvres raugraves, toujours malchanceuses, toujours besogneuses, comprenaient et ne demandaient rien.

Au moment où nous sommes, la princesse Liselotte tient son sort entre ses mains. La petite cour de Monsieur, si haïssable et si dangereuse, a disparu avec lui ; plus de méchants tours ni de délations. Le roi a rendu son amitié à sa belle-sœur apaisée et heureuse, qui jouit profondément de leur familiarité retrouvée. Elle a reçu de Mme de Maintenon (les services qui l'ont réduite au silence, et elle se promet bien de ne pas compromettre la paix par des imprudences : (7 juillet 1701.) Votre Dilection, écrit-elle à l'Électrice Sophie, pense bien que je ferai tout mon possible pour me conserver la faveur du roi et l'amitié de Mme de Maintenon. Madame fera-t-elle vraiment tout son possible, et pendant combien de temps ?

 

 

 



[1] Du 3 août 1663, à Charles-Louis.

[2] Lettre du 23 décembre. Étienne Polier de Bottons, d'une famille originaire du Rouergue et transplantée à Lausanne, avait suivi Liselotte en France et s'était fixé à Paris, où il mourut dans un âge très avancé. Madame lui écrivait en français.

[3] Du 26 novembre 1705.

[4] Ou à la fin de 1676.

[5] Tina ou Thina, en Croatie. L'évêque d'alors était Cristophe Rojas, comte de Spinola. Il passa en 1686 au siège de Wiener-Neustadt.

[6] Lettre à la duchesse Sophie, du 3 mars 1677.

[7] Du 14 janvier 1677.

[8] Correspondance de Rome avec le nonce S Vienne : Archives du Vatican, Nunziatura di Germania, t. 198, passim. Il n'y a pas de pagination.

[9] Lettre du 29 juillet 1677.

[10] Archives du Vatican. — Nunziatura di Germania, t. 198.

[11] A Charles-Louis, le 8 décembre 1678.

[12] Lettre du 26 janvier 1679.

[13] Lettre du 7 février 1679.

[14] Lettre du 8 février 1679.

[15] Lettre du 8 décembre 1678, à Charles-Louis.

[16] Lettre du 7 février 1679 à Charles-Louis.

[17] Lettre du 6 décembre 1687.

[18] Lettre du 22 janvier 1697, à la raugrave Louise.

[19] Lettre du 21 décembre 1698, à la duchesse Sophie.

[20] Lettre du 7 avril 1695 à la duchesse Sophie.

[21] Journal de Dangeau, du 19 octobre 1685.

[22] Lettre du 20 mai, à la duchesse Sophie.

[23] Lettre du 7 juillet 1695, à la même.

[24] Lettre du 19 mars 1693.

[25] Lettre du 13 décembre 1701, à la raugrave Louise.

[26] Lettre du 12 mai 1702, à la même.

[27] Lettre du 13 septembre 1690, à la duchesse Sophie. Wendt était grand maitre de la maison de Madame. C'était un Allemand ; il avait été son page à Heidelberg.

[28] Les mots en italique sont en français dans l'original.

[29] Lettre du 12 septembre 1695. Correspondance générale de Mme de Maintenon, IV, 20.

[30] Née le 13 septembre 1676.

[31] Lettre du 29 septembre 1683 à la duchesse Sophie.

[32] Lettre du 4 juillet 1686, à la même. Les mots en italique sont en français dans l'original.

[33] Lettre du 15 février 1710, à la raugrave Louise.

[34] Antoine Coiffier, marquis d'Effiat (1638-1719), premier écuyer de Monsieur.

[35] Voir son Journal, le 5 août et le 25 septembre 1689.

[36] Lettre du 26 août 1689, à la duchesse Sophie. L'édition de Stuttgart a supprimé plusieurs passages de cette lettre.

[37] Lettre du 21 septembre 1689, à la duchesse Sophie.

[38] Mémoires, édition de Boislisle, I, 61. L'abbé Dubois avait été nommé sous-précepteur le 15 juin 1683.

[39] Lettre du 4 mars 1720 au cardinal Gualterio. Cf. Wiesener, le Régent, l'abbé Dubois et les Anglais, I, 262-263.

[40] Wiesener, loc. cit., et le comte de Seilhac : l'Abbé Dubois, premier ministre de Louis XV, Paris, 1862, 2 vol. in-8°.

[41] Mémoires. Du 24 décembre 1690.

[42] Lettre à Mme Roujaut, femme de l'intendant de Maubeuge, Cf. Seilhac, I, 126, note.

[43] Elles sont conservées aux Archives de Chantilly. M. de Seilhac les a publiées, loc. cit. Il y en a quarante-trois, dont quarante-deux du 19 mars 1691 au 25 octobre 1706 ; plus cinq lettres de Madame à son fils.

[44] Marie-Anne de Bourbon, dite Mademoiselle de Blois (1660-1739) et fille de Mlle de La Vallière, épousa le 16 janvier 1680 Louis-Armand de Bourbon, prince de Conti. Veuve en 1685. Louise-Françoise de Bourbon, dite Mademoiselle de Nantes (1673-1743) et fille de Mme de Montespan, épousa le 24 juillet 1685 Louis III, duc de Bourbon-Condé.

[45] Françoise-Marie de Bourbon, dite Mademoiselle de Blois, née le 4 mai 1677, et fille de Mme de Montespan.

[46] Mémoires, éd. de Boislisle, I, 60.

[47] Saint-Simon, op. cit., I, p. 61.

[48] Lettre à la raugrave Louise, du 2 novembre 1717. Traduction Brunet.

[49] Du 7 novembre 1719. Fragments de lettres originales, II, 267.

[50] Wiesener, loc. cit., I, 243-244.

[51] Les passages en italique sont en français dans l'original.

[52] Mémoires, éd. de Boislisle, I, 28.

[53] Pour toute cette partie, voyez Mémoires, I, p. 68 et suivantes.

[54] Anne, fille de Roland de Fondras, comte de Châteautiers.

[55] Cette dernière ligne est tirée d'une Addition à Dangeau, pour le 10 janvier 1692.

[56] Saint-Simon, éd. de Boislisle, I, 74.

[57] Souvenirs et Correspondance de Mme de Caylus. Éd. Émile Raunier, p. 172.

[58] Dame d'honneur de Madame.

[59] Elle prit ce dernier titre après son veuvage en 1698.

[60] Correspondance générale, III, 323.

[61] Lettre du 21 février 1692.

[62] Lettre du 21 février 1692, à Mme de Harling.

[63] Lettre du 7 août 1692, à la duchesse Sophie.

[64] Lettre du 10 octobre 1693.

[65] Le siège de Namur dura du 26 mai au 30 juin. L'année 1692 était la quatrième de la guerre contre la ligue d'Augsbourg, qui se termina en 1697 par le traité de Ryswick.

[66] Le 10 août 1692. La bataille de Steinkerke eut lieu le 4 août.

[67] Wiesener, loc. cit., p. 244.

[68] Ézéchiel Spanheim (1629-1710) avait été longtemps au service du père de Madame. Il représenta le Brandebourg à Paris de 1680 à 1689, et de 1698 à 1701. Sa Relation de la Cour de France est de 1690. Publiée par la Société de l'Histoire de France (Paris, Renouard, 1882, 1 vol. in-8°).

[69] Französische Geschichte, par Léopold Ranke, t. VI, préface, p. 3.

[70] Französische Geschichte, par Léopold Ranke, t. VI, préface, p. 3.

[71] Correspondance générale, II, 324. Lettre du 28 septembre 1683.

[72] Cf. Dangeau et Correspondance générale, III, 54, lettre de Mme de Maintenon à Mme de Brion.

[73] Le grand prévôt n'était autre que le marquis de Sourches lui-même.

[74] Lettre à la duchesse Sophie, du 13 février 1695.

[75] Les mots en italique sont en français dans l'original.

[76] Mascaron, prédicateur en renom.

[77] Louis-Antoine de Noailles, nommé archevêque de Paris le 19 août 1695, et beaucoup plus rigoriste que son prédécesseur.

[78] Mme de Maintenon à l'archevêque de Paris, lettres des 21 et 27 décembre 1695. Correspondance générale, IV.

[79] Sourches, 4 mars 1696.

[80] Dangeau, 5 mars.

[81] Lettre du 11 mars 1696, à l'archevêque de Paris.

[82] Le 2 décembre 1692.

[83] Bénédicte, femme de Jean-Frédéric, frère et prédécesseur d'Ernest-Auguste. Elle s'était fixée en France après son veuvage (1679) et retournait en Allemagne en voyageuse.

[84] Les mots en italique sont en français dans l'original.

[85] Lettre du 10 octobre 1699 à l'Électrice Sophie.

[86] Les mots en italique sont en français dans l'original.

[87] Lettre du 22 août 1698 à la raugrave Louise.

[88] Anne-Marie, appelée Mademoiselle, avait épousé le Duc de Savoie en 1684. La Duchesse de Bourgogne était née le 6 décembre 1685.

[89] Lettre du 8 novembre 1696, à l'Électrice Sophie. La Duchesse de Bourgogne était arrivée en France le 16 octobre 1696.

[90] Saint-Simon, éd. de Boislisle, VI, 5.

[91] Lettre du 15 octobre.

[92] A l'Électrice Sophie, le 5 novembre 1698.

[93] Saint-Simon, éd. de Boislisle, VIII, 313.

[94] Du 19 avril 1701, à l'Électrice Sophie.

[95] Éd. de Boislisle, VIII, 327.

[96] Éd. de Boislisle, VIII, 346.

[97] Lettre du 12 juin 1701, à l'Électrice Sophie.

[98] Addition à Dangeau pour le 12 juin 1701. Saint-Simon s'est trompé en plaçant l'entrevue le 12 ; elle eut lieu le 11.

[99] Cf. les Mémoires de Saint-Simon, éd. de Boislisle, t. VIII, p. 340 et suivantes.

[100] Du 12 juin 1701.

[101] Du 15 juin 1701. En français, dans l'original, Correspondance générale de Mme de Maintenon, t. IV, p. 436.

[102] Les mots en italique sont en français dans l'original.

[103] Mémoires, éd. de Boislisle, VIII, 362.

[104] Les mots en italique sont en français dans l'original.

[105] Briefe der Kurfürstin Sophie von Hannover on ic Raugräfinnen, etc. (Leipzig, 1888).

[106] Lettre du 5 février 1702 à Philippe V, roi d'Espagne. La pièce s'appelait Absalon, tragédie sainte par Duché de Vancy. La représentation eut lieu le 24 janvier.

[107] Jaéglé, I, 242. Supprimé dans l'édition allemande.

[108] Lettre en français, sans date, au duc Antoine-Ulrich de Brunswick-Wolfenbuttel (éd. de Stuttgart, VII, 583).

[109] Du 31 mars 1716. (Fragments de lettres originales, II, 129.)

[110] Arch. nat., K. 552.

[111] Saint-Simon, éd. de Boislisle, X, 127. Dangeau dit la même chose, et presque dans les mêmes termes.

[112] Lettres du 8 et du 22 avril 1702, aux raugraves.