MADAME, MÈRE DU RÉGENT

 

CHAPITRE DEUXIÈME

Le mariage. — Les premières années en France.

 

 

A l'époque où la princesse Liselotte devint duchesse d'Orléans et belle-sœur du roi de France, le règne de Louis XIV était dans tout son éclat. Les premiers en Europe par la puissance, nous l'étions aussi par une civilisation dont notre temps remarque surtout les défauts, tandis que les contemporains éblouis n'en voyaient que la splendeur et l'originalité. Les forces du pays s'étaient concentrées sous l'impulsion de la monarchie absolue, et la France donnait tout l'effort dont elle était capable, en attendant que le, même régime, tarissant chez elle les sources de la vie, la mît à deux doigts de sa perte.

Aucun signe de l'inévitable décadence n'était encore discernable en 1671, année du second mariage de Monsieur. La nouvelle Madame allait être accueillie dans sa patrie d'adoption par une société somptueuse et polie, en avance de plusieurs siècles sur le monde où elle avait grandi, dans ce malheureux Palatinat que des maux sans nom avaient rejeté à la queue de la civilisation. Il se pouvait que le contraste lui plût, qu'elle fût charmée et conquise par les magnificences de la cour de France, et par les régals qu'une littérature restée sans rivale, jointe à un art de la conversation délicieux, tenaient en réserve pour un esprit neuf et alerte. Il se pouvait aussi qu'une petite personne aussi indépendante, accoutumée à une extrême simplicité et naturellement rebelle à tous les raffinements, se sentît aussi gênée et aussi froissée que le Huron de Voltaire par les contraintes et les conventions sans lesquelles il n'y a pas de société polie. On verra tout à l'heure que l'impression de Madame tint à la fois de l'un et de l'autre, sans compter beaucoup d'imprévu, et que, tout compensé, la princesse Liselotte se tira infiniment mieux de sa nouvelle existence que ses compatriotes ne se le sont figuré.

Monsieur, duc d'Orléans[1] et frère puîné de Louis XIV, perdit sa première femme, Henriette d'Angleterre, le 30 juin 1660, à trois heures de la nuit. Le roi l'apprit à six heures et donna la matinée aux larmes et aux regrets, car il aimait tendrement sa jeune belle-sœur. L'après-midi du même jour, il offrit à sa cousine la Grande Mademoiselle de prendre la place de la morte, et personne ne s'étonna, car cette précipitation n'avait rien d'insolite pour un veuf de sang royal. Mademoiselle répondit évasivement ; elle avait Lauzun en tête. Le roi ne se tint pas pour battu et parla dès le lendemain à son frère, qui le reçut fort agréablement[2], mais témoigna quelque répugnance à avoir l'air si pressé. A dire le vrai, les favoris qui régentaient Monsieur hésitaient à lui permettre ce mariage, à cause du caractère résolu de la Grande Mademoiselle. Celle-ci n'était pas femme à se laisser mener, et il n'y avait aucun espoir de lui soutirer jamais le moindre petit morceau de ses millions. A quoi bon, alors ? Entre toutes ces mauvaises volontés, l'affaire traîna.

Au nombre des personnes qui avaient l'oreille de Monsieur dans les cas embarrassants se trouvait l'une des nombreuses tantes de la princesse Liselotte, celle qu'on appelait la Palatine[3] et qui habitait Paris, où elle s'était rendue considérable par son rôle pendant la Fronde. C'était une femme qui passait en France, auprès des fins connaisseurs tels que Retz, pour une manière de génie politique. En Allemagne, dans la famille de son mari, elle était jugée diversement ; son beau-frère Charles-Louis, le père de Liselotte, faisait le plus grand cas de ses conseils et l'employait dans les affaires qu'il avait à Paris ; sa belle-sœur Sophie, duchesse de Hanovre, lui reprochait de manquer de franchise et d'être fertile en chimères[4]. En dépit de ces divergences, l'un et l'autre entretenaient avec elle d'excellentes relations, qui se continuèrent après le veuvage d'Anne de Gonzague en 1663, si bien que cette dernière apprit la mort d'Henriette d'Angleterre au cours d'une série de visites à ses parents d'Allemagne. Elle venait de quitter Heidelberg et elle traversait Francfort, quand la nouvelle éclata, jetant partout l'émoi à cause des bruits d'empoisonnement qui volaient avec elle.

La correspondance d'Anne de Gonzague avec Charles-Louis[5] établit qu'il lui vint immédiatement à l'esprit de remarier Monsieur à la princesse Électorale, autrement dit à Liselotte. Dès la première lettre qui suit la mort de Madame, elle tâte discrètement le terrain : (A Francfort, ce 12 juillet 1670.) Je suis arrivée en cette ville avec la nouvelle surprenante de la mort de Mme la duchesse d'Orléans, arrivée en trois heures par une colique. Ce malheureux accident va faire bien du changement en plusieurs manières.... J'avoue que cette mort m'afflige fort, et, qu'étant tout ce je suis pour Monsieur, je souhaiterais d'être en France dans un si bizarre malheur.... Suivent des protestations de dévouement, et l'offre de repasser par Heidelberg en revenant de Hanovre, afin de prendre les ordres de l'Électeur sur toutes choses.

Nous n'avons pas la réponse ; mais on devine par la lettre suivante que Charles-Louis n'avait pas été décourageant : (A Salmunster, ce 14 juillet 1670.)... Je vous rends très humble grâce, Monsieur, des bontés que vous avez de prendre part à mon déplaisir. J'ai reçu deux lettres de Monsieur, qui est tout à fait touché de sa perte. Il faut qu'il y ait des gens bien abominables pour oser dire qu'il y ait contribué ; ils connaissent bien mal le cœur de ce prince, incapable d'une si horrible action.... L'on commence à penser que Monsieur est un bon parti, et l'on m'en écrit déjà quelque chose, c'est un peu bien tôt. Je ne laisse pas de me souhaiter à Paris.... Je ferai tout ce que je pourrai pour avoir l'honneur de vous voir en passant ; deux jours ne me retarderont guère, et nous trouverons peut-être assez de choses à dire sur les conjonctures présentes, pour les bien employer.

Ici, une lacune de plus de deux mois dans la correspondance ; les lettres ont sans cloute été perdues. Quand elles reprennent, vers le commencement d'octobre, la Palatine est de retour à Paris. Elle a vu Monsieur, lui a soufflé de bonnes idées, et elle résume la situation en ces termes : Je vous dirai seulement que le roi désire le mariage avec Mlle d'Orléans, mais que Monsieur ne le veut pas. Charles-Louis crut l'affaire manquée et répliqua : (21 octobre.) Pour le mariage de Monsieur avec la princesse Électorale ; il n'y faudra plus songer, puisque le roi le désire autrement. La Palatine s'entêta. Son amour-propre de femme politique était engagé, car il ne s'agissait pas seulement dans la situation où se trouvait l'Allemagne vis-à-vis de la France, de procurer un bel établissement à une nièce pauvre. Liselotte belle-sœur de Louis XIV, c'était le Palatinat assuré d'un protecteur tout-puissant, c'était le pot de terre germanique sauvé des heurts de son voisin, le pot de fer français. La Palatine n'était pas seule à le croire, et les circonstances pressaient.

Si jamais l'Allemagne a été à deux doigts de subir la domination française, ce n'est pas au lendemain d'Iéna, c'est au beau temps du règne de Louis XIV, alors qu'une habile diplomatie nous avait donné pour pensionnaires force princes allemands restés gueux depuis la guerre de Trente ans, et abandonnés dans leurs difficultés, ou à peu près, par leur recours naturel, l'empereur Léopold : L'empereur (est) une faible assistance, écrivait la duchesse Sophie, dont le mari et les beaux-frères étaient acquis à la France. Il me semble que ses commandements... ne sont nullement considérés dans l'Empire[6]. Léopold était en effet un pauvre homme qui ne comptait point : Je crains, disait encore la duchesse, que l'argent — du roi très chrétien — lui rende un jour toute l'Allemagne soumise ; pour moi, je suis fort pour la liberté germanique. Elle voyait juste ; l'indépendance même de l'Allemagne était en jeu. En même temps que les princes, la France achetait leurs ministres et leurs conseillers, les influences féminines de leur cour, le maître d'armes de leurs fils et le maître à danser de leurs filles, d'où un concert de complaisances qui faisait rendre le maximum aux traités officiels[7] : Louis, déclare Ranke[8], possédait dans l'Empire allemand une influence qui, tout au moins dans les cercles occidentaux, était égale sinon supérieure à l'autorité de l'Empereur. A la page suivante, Ranke reconnaît que, même au cœur de l'Allemagne, c'était à Louis qu'on obéissait. En 1664, la ville d'Erfurt ayant refusé d'accepter une décision impériale, le roi de France l'y contraignit, sans cloute pour le principe. Un petit corps français passa la frontière, traversa paisiblement la moitié de l'Allemagne, et exécuta sa mission avec l'aide de l'Électeur de Saxe, auquel il incombait de défendre Erfurt, mais qui avait été subjugué par ce témoignage de notre prestige.

Tandis que chacun, en Allemagne, visait à tirer son épingle du jeu, Charles-Louis s'arrangeait de façon à être mal avec tout le monde. En paroles, il était contre les envahissements de la France. Je suis prince allemand et électeur, disait-il fièrement, et j'entends ne dépendre que de Dieu et de l'Empereur. En fait, il avait accepté nos subsides[9] en 1658, lors de la ligue du Rhin, parce qu'il était au-dessus de ses forces de refuser de l'argent ; de sorte qu'il empochait et enrageait tout à la fois. Haüsser affirme qu'il ne toucha pas longtemps le salaire de Judas. Il était néanmoins à prévoir que cela finirait mal ; qu'entre l'acheteur de consciences qui voudrait en avoir pour son argent, et le vendu qui essaierait de tricher, les relations se tendraient à la première menace d'une guerre européenne ; et que Charles-Louis, mal avec l'Empereur, qui savait à quoi s'en tenir, mal avec ses voisins, qu'il harcelait pour des questions de gros sous, se trouverait dans une situation critique. Lui-même s'en rendait compte et désirait que le projet de sa belle-sœur réussit ; ce mariage pouvait servir de paratonnerre au cas d'une brouille avec la France.

Il fallut près d'un an pour y amener l'un après l'autre Monsieur, ses favoris, qui ne voulaient pas d'une princesse sans le sol, et le roi Louis XIV. Le 7 août 1671, la Palatine écrivit enfin : C'est à ce coup, Monsieur, que le mariage de Liselotte avec le Duc d'Orléans est absolument fait, si vous le voulez. Monsieur le veut, et le roi de France y a donné un plein assentiment.... Le seul obstacle est la religion... Une Duchesse d'Orléans ne pouvait être que catholique, et Charles-Louis n'osait pas donner son approbation à la conversion de sa fille ; il redoutait la colère de son peuple, pour qui la haine de Rome était le commencement de la piété. La Palatine lui suggéra un expédient. Il fut convenu entre eux que Liselotte abjurerait secrètement, et que son père jouerait la surprise et le mécontentement lorsque la chose se découvrirait. La jeune princesse se prêta à la comédie.

Ses sentiments, au cours de ces longues négociations, sont ce que nous connaissons le moins. On s'en occupait peu. Elle ne cachait pas qu'elle se mariait à contre-cœur : Il est bien vrai, écrivait-elle longtemps après[10], que je suis venue en France par pure obéissance à Sa Grâce, monsieur mon père, et à mon oncle et ma tante de Hanovre ; car ce n'était rien moins que mon inclination. Elle avouait aussi que le regret amer de quitter sa chère Allemagne entrait pour beaucoup dans sa répugnance. Se mêlait-il quelque inquiétude à son regret ? Fut-elle mise au courant de cc qui se disait de Monsieur et qu'en pensa-t-elle ? On l'ignore. En revanche, il est certain que l'abjuration la laissa assez indifférente. Son père avait toujours veillé à ce qu'on lui donnât une religion vague et tiède qui ne pût jamais lui devenir une gêne, et elle était habituée à l'idée qu'une conversion est une affaire. On possède une lettre où elle s'étonne que certain duc de Brunswick se soit fait catholique, car, dit-elle naïvement, cela ne lui rapportera pas un sol[11]. Quand son père lui parla de se convertir, elle craignit les jugements du monde si elle changeait de religion seulement pour avoir un mari[12], et sans s'être informée de ce qu'il lui faudrait croire en devenant catholique. On lui fournit les moyens de satisfaire le monde ; elle n'en demanda pas davantage.

Charles-Louis avait sous la main l'un de ces Français, commis voyageurs en bel esprit, que les princes allemands attachaient à leur cour pour avoir quelqu'un qui sût causer. Il se nommait Urbain Chevreau[13] et venait de Hanovre, où il était resté cinq ans. La duchesse Sophie l'avait recommandé à son frère comme ayant beaucoup d'esprit et ne coûtant pas cher ; 500 écus, la table et le logement, et l'entretien d'un valet. Très laid, par-dessus le marché : Quant à votre sérail, il n'y réussirait pas par ses charmes, car il est plus laid qu'Ésope. De l'étude et de la solidité : Il prétend se connaître en médailles et en peintures ; il a fait un abrégé de la vie des douze empereurs, dans lequel il dit tout ce que tous les auteurs ensemble en ont dit ; je ne l'ai point vu, mais lui-même l'admire fort[14]. Pour couronner le tout, pas dévot ; un esprit très libre. Sur ces renseignements, Charles-Louis avait pris Chevreau, et ce fut à lui qu'il confia le soin de convertir dans le plus grand mystère la future Duchesse d'Orléans : J'y employai, rapporte Chevreau[15], dix-huit ou vingt jours, quatre heures par jour, sans qu'aucun en pût former le moindre soupçon. Et quand Mme la princesse Électorale n'eut plus de scrupule ni de doute à m'opposer, j'écrivis en France à Mme la princesse Palatine et lui envoyai une copie de l'abjuration. Liselotte s'était laissé escamoter son protestantisme en esprit libre, auquel peu importe l'étiquette, puisqu'il n'y a rien dessous.

Débarrassée de la seule pierre d'achoppement sérieuse, Anne de Gonzague pressa son beau-frère d'en finir avec le contrat. On l'avait dressé à Paris d'après celui de la première Madame, mais il y manquait le chiffre de la dot de la future, et Charles-Louis s'obstinait à ne pas le donner, comme s'il espérait y gagner. La Palatine eut beau lui affirmer que Monsieur l'acceptait d'avance, quel qu'il fût, elle n'en put jamais tirer que les lignes suivantes, qui auraient certainement fait manquer le mariage s'il s'était agi de deux bons bourgeois discutant le contrat de leurs enfants : (19 octobre 1671.) Comme on n'a point demande le quantum de la dot, qui est peu de chose et que la somme doit être connue, je n'ai pas cru le devoir marquer. Monsieur était au courant de la réputation d'avarice de son beau-père, et s'attendait à ne jamais toucher un sol de la dot de sa femme. Il passa outre, et on lit dans son contrat : en faveur dudit mariage, mon dit Seigneur, prince Électeur Palatin, a constitué en dot et fait don à ma dite dame princesse sa fille de la même somme que les princesses de la maison Palatine ont accoutumé de recevoir et... qui sera délivrée partie en argent, partie en bagues, etc., dont inventaire et estimation sera fait[16]... On possède l'inventaire et estimation[17]. Liselotte apportait en France pour 10.400 livres de bijoux, colifichets, ustensiles de table ou de toilette en or ou en argent. Même pour une princesse allemande, c'était modeste.

Suivait la renonciation de la Dame princesse à tous droits successifs sur tous les biens souverains et féodaux, paternels et maternels ; situés en Allemagne, se réservant seulement ses droits sur les biens de même qualité situés hors l'Allemagne, et les allodiaux de sa maison. La France devait un jour s'appuyer sur ces derniers mots pour réclamer des morceaux du Palatinat.

Le reste du contrat suivait la coutume de Paris, avec une grosse exception toutefois : Seront les dits Seigneur et Dame futurs époux communs en tous biens, meubles et conquêts, immeubles, qui seront par eux faits durant et constant ledit mariage... étant néanmoins convenu que tous les biens appartenant de présent au Duc d'Orléans lui demeureront propres. C'est qu'il ne s'agissait pas d'une fortune ordinaire. D'après M. de Boislisle[18], les biens de Monsieur à l'époque de son second mariage se composaient d'un apanage rapportant 100.000 livres, d'une pension du roi de 560.000 l. et d'un supplément de 100.000 l. ; soit, en tout 760.000 l. de rentes, qui allaient s'augmenter prochainement d'un nouvel apanage de 200.000 l. — Lettres patentes du 24 avril 1672 —. Pour une princesse Liselotte qui apportait en dot quelques milliers de florins[19], Monsieur était ce que le monde appelle un beau parti.

Venaient ensuite la corbeille et le douaire. Monsieur donnait des pierreries, bagues et joyaux pour la somme de 150.000 l. Le douaire de Madame était de 40.000 l. par an, et outre... le château de Montargis, garni de meubles, comme il convient à sa qualité, pour son habitation et demeure sa vie durant. Cette dernière clause devait lui être dans la suite une source d'angoisses. Enfin, si Monsieur mourait le premier, sa femme avait trois mois pour renoncer à la communauté.

Quand Madame, beaucoup plus tard, connut nos usages, elle se plaignit amèrement de son contrat, parce qu'il ne marquait pas la différence entre une princesse Électorale et une marchande de la rue Saint-Denis : Mon contrat de mariage, écrivait-elle à sa sœur Louise[20], a été dressé aussi misérablement que si j'étais la fille d'un bourgeois ; je ne puis comprendre que l'Électeur me l'ait fait signer. La même législation servant pour Madame et les fournisseurs de Madame, c'était presque insultant. Ainsi nous avions déjà à de certains yeux, des airs de pays démocratique et révolutionnaire.

Pour le moment, Liselotte ignorait tout des affaires, et elle avait autre chose à penser. On désirait du côté français aboutir au plus tôt, et la Palatine avait écrit[21] qu'elle serait le 28 octobre à Strasbourg, pour y recevoir la future Madame des mains de son père. Sa lettre traitait ensuite la question du trousseau : L'on a fait vilement faire quelques habits et quelque linge, parce qu'il en fallait même un tout blanc pour le jour des épousailles. Un peu plus loin venait l'article de la chambre de voyage. On sait qu'au XVIIe siècle, les grands emportaient avec eux un mobilier qu'on déballait chaque soir en arrivant à l'étape, et qu'on remballait chaque matin ; précaution qui était pour beaucoup dans la lenteur de leurs voyages. La Palatine écrivait au sujet de la chambre : Je prends la liberté de vous dire qu'il faudra un petit lit et une tapisserie pour la Princesse seulement pour jusqu'à Metz, car là nous trouverons deux chambres complètes pour le reste du voyage. Elle ajoutait : L'on prépare au Palais-Royal un appartement magnifique pour Madame, et toute sa maison est déjà réglée.... Enfin elle trouvera tout prêt et magnifique, et sera très heureuse, s'il plaît à Dieu.

Au reçu de cette lettre, Charles-Louis se unit en devoir de conduire sa fille à Strasbourg. Parmi les membres de la famille qui firent cortège à la fiancée figurait un jeune garçon de treize ans, le raugrave Carl-Lutz[22], fils aîné de Louise de Degenfeld. Cette fois encore, l'Électeur n'avait point perdu de vue l'intérêt de ses bâtards. Puisque Liselotte allait être riche, et influente à la cour d'un grand roi, il comptait sur elle pour aider tous ces pauvrets, à qui leur pays faisait grise mine à cause de la bigamie de leur père, et il se préoccupait de les faire connaître en France. Seul des parents d'Allemagne, dont aucun autre n'allait plus loin que Strasbourg, Carl-Lutz fut désigné pour accompagner sa sœur jusqu'à Metz, où le maréchal du Plessis-Praslin devait épouser Liselotte an nom de Monsieur.

On trouva la Palatine au rendez-vous. Elle n'y était point venue seule : Elle avait amené avec elle, rapporte Chevreau qui était du voyage, le Père Jourdan, jésuite, pour voir si rien ne manquait à la nouvelle conversion. Mais les choses étaient en si bon état, qu'il ne trouva rien à faire pour lui de ce côté[23]. Chevreau avait le droit d'être fier ; ce n'était pas son métier d'enseigner la religion.

Les adieux commencèrent. Charles-Louis fit promettre à Liselotte d'aimer fidèlement les enfants de Louise de Degenfeld[24], et la mit, en voiture avec sa tante. Elle partit inondée de larmes, qui tournèrent en hurlements. On lit dans sa première lettre à sa tante Sophie : Mme de Wartenberg a dit vrai..., j'ai tant crié, que j'en avais le côté enflé ; depuis Strasbourg jusqu'à Châlons, je n'ai fait que crier toute la nuit. Jamais elle n'oublia l'horreur de ce voyage vers l'inconnu et vers le mariage. Vingt-cinq ans après, elle en parlait encore : Depuis que je suis en France, je mange trois fois moins qu'auparavant. Je crois que cela vient du chagrin effroyable que j'ai eu à Strasbourg en quittant Votre Dilection, papa et feu mon frère ; car j'ai été huit jours pleins, et même davantage, sans pouvoir boire ni manger qu'en nie forçant[25].

Tandis qu'elle se tuait de crier, son père avait repris le chemin de ses États dans les dispositions les plus riantes. Il était content d'être débarrassé de sa fille, et content du beau mariage qu'elle faisait : J'espère, écrivait-il de la route à la Palatine, qu'elle aura essuyé ses larmes entre ci et là et observera les préceptes du psaume : Obliviscere populum tuum et domum patris tui. Il avouait sa terreur des accidents qui font tout manquer à la dernière minute, et ajoutait[26] : Tant plus je songe à cette affaire que vous avez faite, tant plus je la trouve glorieuse à vous et importante à toute notre maison, et qu'elle vous en est éternellement obligée, comme je le suis en mon particulier.

Pour une fois, cet homme soupçonneux péchait par excès d'optimisme. Le mariage de la princesse Liselotte ne devait attirer que des malheurs au Palatinat, et la faute en fut à Charles-Louis. A l'époque où sa fille devint la belle-sœur de Louis XIV, un prince allemand ne pouvait, pas avoir à la fois, pour patron et protecteur, l'empereur et le roi de France. Il fallait choisir, et c'est ce que Charles-Louis ne sut pas faire.

La maison de la future Duchesse d'Orléans l'attendait à Metz. Avec les personnes de qualité venues à sa rencontre, cela fit un public parisien pour la petite comédie politico-religieuse arrangée entre son père et sa tante. On s'était préparé en France à instruire la princesse Électorale dans la religion catholique. Quand on apprit, le 13 novembre, à son entrée à Metz, que la Palatine amenait une néophyte toute convertie et tout abjurée, bien qu'à l'insu de son père, il n'y eut plus qu'à prendre acte du fait accompli. L'abjuration officielle eut, lieu le 14[27]. On m'a seulement lu quelque chose, racontait Madame, et je devais répondre oui ou non, ce que j'ai fait absolument à mon idée. J'ai dit non deux fois quand on voulait que je dise oui ; mais on a laissé passer cela, et j'en ai ri en dedans. J'ai protesté si haut contre la damnation des parents, qu'on n'en a pas soufflé mot devant moi. J'écoutais avec attention, et je répondais à mon idée.... Ces sortes de spectacles ne vont pas sans des battements de cœur[28].

Chevreau avait écrit à Charles-Louis après la cérémonie : Toutes les choses se sont passées agréablement et sans contrainte. Le compte rendu officiel fut moins exact et plus édifiant ; le nonce du Pape à Paris put écrire à Rome : Madame a l'air d'une très bonne princesse ; on raconte qu'en abjurant, elle donna les signes de la satisfaction la plus vive[29]. Le Palatinat apprit la nouvelle par une lettre de Liselotte à son père, dont les termes avaient été convenus d'avance : Monseigneur, je ne doute pas que la profession que je viens de faire de la religion catholique et romaine ne surprenne Votre Altesse Électorale ; que si je n'ai osé lui déclarer ce dessein avant de partir d'auprès Elle, je la supplie très humblement de croire que la seule appréhension de lui déplaire m'en a ôté la liberté, et que tous les avantages du monde n'auraient pu me faire prendre cette résolution, si je n'avais cru le devoir faire pour mon salut[30]... L'Allemagne protestante connut aussi la réponse de Charles-Louis : Par la manière dont vous avez vécu avec moi et par la tendresse que j'ai toujours eue pour vous, je m'étais persuadé, Madame ma très chère fille, que vous ne feriez jamais rien qui fût contraire à mes sentiments, ni contre la vérité, dont j'ai eu le soin de vous faire instruire.... Après cela, vous pouvez juger avec quel étonnement j'ai dû recevoir la nouvelle que vous me mandez de la profession que vous avez faite à Metz de la religion romaine, et vous ne pouvez nullement douter que ce changement n'ait dû me surprendre. Mais comme c'est Dieu seul qui sonde les cœurs, c'est aussi lui seul qui est le juge des consciences, etc. Charles-Louis en fut pour ses mensonges compliqués. Le monde protestant refusa d'y croire et qualifia durement sa conduite ; la presse hollandaise, en particulier, ne le ménagea point.

Le mariage par procuration se fit le 16 novembre. De la Palatine à Charles-Louis, à sept heures du matin : ... N'ayant que des moments à moi, je crois que vous me permettrez bien, Monsieur, de remettre à M. Chevreau la relation de tout ce qui s'est passé, et de vous dire seulement que notre Princesse sera dans trois heures Madame Royale de France, que tout le monde l'estime infiniment, et qu'il y a toutes les apparences du monde qu'elle sera très heureuse et en état de n'être pas inutile à sa maison.... Chevreau, dans sa relation, appuya davantage sur les succès de Liselotte, et n'oublia point, en courtisan expert, les succès de Carl-Lutz, le petit bâtard de Louise de Degenfeld : ... Mme la Princesse Électorale... a plu généralement à toute la cour qui est ici, et l'on est charmé de la douceur de son esprit et de sa gaieté.... M. le raugrave a été admiré de toutes les personnes qui l'ont vu, et il ne mange qu'avec M. le maréchal du Plessis-Praslin. Il me semble que la manière de France lui plaît assez, et, quoiqu'il soit naturellement un peu timide, on n'a pas laissé de remarquer en lui une grande et honnête liberté à se produire[31].

Le soir du même jour, la Palatine informe Charles-Louis que le mariage de Madame... a été fait avec toutes les cérémonies et les solennités possibles.... L'on lui a rendu depuis les mêmes honneurs que l'on aurait fait à la personne du roi même... et sur le soir on lui a donné le divertissement d'un feu d'artifice. Elle se conduit si bien en toutes les Manières, que je ne doute pas qu'elle ne gagne bientôt le cœur de Monsieur son mari et toute l'estime du roi ; à quoi je contribuerai de tous mes soins, puisque c'est ce qui doit rendre ce grand mariage utile pour votre service et pour la maison.... Dès le lendemain, la nouvelle Madame partait pour Châlons, où son époux devait l'attendre. Ils ne s'étaient jamais vus, et ne savaient pas grand'chose l'un de l'autre.

Philippe, Duc d'Orléans, avait alors trente et un ans. Tel Saint-Simon l'a connu vingt ans plus tard, tel il allait se découvrir aux yeux de Liselotte, un peu moins rondelet seulement : C'était un petit homme ventru monté sur des échasses tant ses souliers étaient hauts, toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets, de pierreries partout, avec une longue perruque tout étalée en devant, noire et poudrée, et des rubans partout où il en pouvait mettre, plein de toutes sortes de parfums, et, en toutes choses, la propreté même. On l'accusait de mettre imperceptiblement du rouge. Le nez fort long, la bouche et les yeux beaux, le visage plein mais fort long[32].

Il n'était pas méchant ; il aurait été incapable, ainsi que l'avait écrit la Palatine à Charles-Louis, de tremper dans un empoisonnement[33] ; mais une éducation trop politique en avait fait l'un de ces êtres dont le seul nom éveille des sourires. Sa mère et Mazarin l'avaient élevé en fille, de peur qu'il ne fut un jour pour Louis XIV un cadet brouillon et dangereux, et fille il était devenu, à ne plus pouvoir reprendre son sexe. La toilette fut son occupation sérieuse. Le frère du roi éprouva les grandes émotions de sa jeunesse devant nu miroir, à essayer une coiffure nouvelle, à se pomponner, se farder, se parer de bijoux de femme, trop heureux quand il avait un prétexte d'y joindre des jupes et de montrer son cou blanc. Ne pas être mis à son avantage était pour lui un vrai chagrin, être surpris en bonnet de nuit un vrai malheur. Il évitait de monter à cheval de peur de se gâter le teint. Son bonheur était de causer chiffons en croquant des bonbons, ou de jouer aux petits jeux avec d'autres jeunes filles. Louis XIV et Napoléon ont aussi joué à colin-maillard ou à cache-cache avec les dames ; seulement, ils ne faisaient pas que cela. Monsieur ne fit pas autre chose jusqu'à son mariage avec Henriette d'Angleterre, en 1661, ni dans les années qui suivirent. Par surcroît, il avait roulé dans le vice, ce qui lui valait d'être exploité et tyrannisé par une bande d'individus immondes, et il finissait sous la coupe de ces drôles, par devenir malfaisant à force de faiblesse. Les ravages d'une éducation honteuse paraissaient sans remède quand son aumônier, Daniel de Cosnac, évêque de Valence, entreprit de le tirer de cette fange et faillit y réussir.

Cosnac eut l'idée hardie, et dangereuse pour lui-même, de le tenter avec le fruit défendu[34]. Il fit miroiter à ses yeux de grands rôles, de hautes situations, et n'aboutit d'abord qu'à le remplir d'effroi l'idée de peiner et de travailler. Il réussit pourtant à chatouiller son ambition en lui offrant la couronne de Naples, — Cosnac s'avançait peut-être beaucoup, — mais Monsieur découvrit que le Vésuve est près de Naples et recula sans vergogne, saisi d'une peur d'enfant. Cosnac commençait à perdre courage ; ce fut Louis XIV qui vint à la rescousse, sans le savoir ni le vouloir.

Au printemps de 1667, le roi s'avisa soudain, pour la première fois, d'emmener son frère à la guerre[35]. On n'aurait jamais deviné que c'était la vocation de Monsieur. Les troupes qui assiégeaient Tournay se rendirent à l'évidence avec une surprise joyeuse, en apercevant le prince dans tous les endroits dangereux, son aumônier trottant sur ses talons. Les officiers lui faisaient cortège. On ne parlait au camp que de ce jeune héros, qui se révélait soudain digne petit-fils du grand Henri IV. On en parla tant, qu'on oublia de parler du roi, qui le remarqua et se répandit, en mots amers. La campagne finie, Cosnac ne tarda guère à apprendre que Monsieur lui ordonnait de vendre sa charge d'aumônier et de se retirer dans son diocèse. Il s'y était un peu attendu.

Après cette bouffée d'héroïsme, Monsieur retomba dans les puérilités qui formaient le tissu ordinaire d'une vie inutile entre toutes. Il était l'arbitre des élégances et l'organisateur des plaisirs. Le royaume n'avait pas de plus grande commère. On le méprisait, mais on le recherchait, parce qu'il était l'âme de la cour : Quand il la quittait, dit Saint-Simon[36], tout y semblait sans vie et sans action. Il était même assez aimé ; il avait de l'esprit naturel, il savait être aimable, il était bonhomme quand sa camarilla ne s'en mêlait pas, et, s'il était trop somptueux pour notre goût de citoyens d'une démocratie, il en fallait comme cela dans les monarchies du vieux temps. Sa campagne de 1667 l'avait d'ailleurs relevé dans l'opinion publique. Le pays savait maintenant qu'on avait gâté é plaisir, par raison d'État, un naturel où il y avait du bon. La princesse Liselotte répétait volontiers, sur ses vieux jours, qu'elle avait été l'agneau politique offert en holocauste sur l'autel de la patrie. Combien plus Monsieur aurait-il eu le droit d'en dire autant de lui-même ! S'ils avaient compris qu'ils étaient deux sacrifiés, la compassion les aurait aidés à se supporter mutuellement ; mais il ne fallait pas leur demander des façons de sentir aussi réfléchies.

Liselotte continuait à hurler sur la route de Metz à Châlons. Monsieur, sur la route de Paris, souriait au bel effet de ses livrées neuves. C'était pour lui la grande affaire : Vous comprenez bien, écrivait Mme de Sévigné[37], la joie qu'aura Monsieur de se marier en cérémonie. Tout le monde le comprenait, jusqu'au nonce du Pape, qui ne crut pas pouvoir se dispenser de revenir à plusieurs reprises[38], dans ses dépêches à Rome, sur la magnificence de l'équipage de Monsieur.

Ce prince fit son entrée solennelle à Châlons le 19 novembre. Le 21, ce fut le tour de Madame[39]. Les autorités les haranguèrent copieusement, l'évêque les remaria entre deux discours, et la ville célébra cet auguste événement par des réjouissances que Madame reconnaîtrait si son ombre repassait à Châlons, de nos jours, un 14 juillet. Rien ne change moins que les fêtes officielles. Liselotte reverrait les mêmes illuminations et entendrait les mêmes braillards avinés ; ils acclameraient autre chose, mais cela ne fait pas grande différence, dans le fond.

De Châlons, les mariés furent passer quelques jours à leur château de Villers-Cotterêts[40], et leur petite cour se hâta de faire part de ces impressions à Paris et à Saint-Germain. Mme de Sévigné en reçut les échos au fond de sa Bretagne : (Aux Rochers, 2 décembre.) On dit que la nouvelle Madame n'est point du tout embarrassée de la grandeur de son rang. On dit qu'elle ne fait pas cas des médecins et encore moins des médecines. On vous mandera comme elle est faite. Quand on lui présenta son médecin, elle dit qu'elle n'en avait que faire, qu'elle n'avait jamais été ni saignée ni purgée : que quand elle se trouvait mal, elle faisait deux lieues à pied, et qu'elle était guérie. Lasciamo la andar, che fara buon viaggio.

Le 27 novembre, Madame eut l'honneur de recevoir le roi à Villers-Cotterêts. Elle ne hurlait plus. Elle n'était pas intimidée. Le roi fut conquis d'emblée par sa franchise savoureuse et son bon rire : Il en revint si charmé, écrit la Grande Mademoiselle, que c'était la femme qui avait le plus d'esprit, d'agrément, qui dansait bien, enfin que feue Madame n'était rien auprès[41]. C'était un jugement sans appel ; la cour de Saint-Germain ne le ratifia pourtant pas sans résistance : Elle vint deux jours après, continue la Grande Mademoiselle ; elle arriva avec un habit de brocart d'argent, parée plus que lorsqu'elle vit Monsieur ; car il dit qu'il ne l'avait pas trouvée telle la première fois. Il faisait froid ; elle n'avait pas mis de masque ; elle avait mangé des grenades, qui lui avaient fait devenir les lèvres violettes. Quand l'on vient d'Allemagne, on n'a pas l'air français. Elle nous parut fort bien, et Monsieur ne la trouva pas telle et fut un peu étonné. Dans la langue du XVIIe siècle, étonné avait ici le sens de déconcerté, saisi. Monsieur avait été saisi, et désagréablement, du contraste que formait son petit sauvageon tudesque avec la cour de France. Le visage et le rustre d'un Suisse[42], déclarait Saint-Simon, en dépit de son respect pour Madame. C'était bien l'impression générale, et qui allait en s'accentuant. Le lendemain, dit encore Mademoiselle, on fut voir Madame, qui ne parut pas si bien au jour qu'aux flambeaux. Le roi et la reine la tirèrent de ce mauvais pas en la comblant d'amitiés et de prévenances. Quand on vit que Madame devenait importante, on ne prit plus garde à son air.

Cependant son père, l'Électeur Charles-Louis, était sans nouvelles depuis Metz, et se dévorait ; personne ne s'était donné la peine de lui écrire. Le 18 décembre, ayant enfin reçu des lettres[43], il informa la Palatine des sentiments officiels des nouveaux mariés : Les avis du dernier ordinaire ont bien récompensé l'inquiétude où j'étais pour n'avoir point eu des nouvelles, par les trois précédents, d'aucune personne de toute la caravane. Les lettres de Monsieur et de Madame me donnent beaucoup de joie en m'assurant qu'ils sont si contents.... J'envoie ce porteur... à ma fille pour la voir en l'état de gloire où elle se trouve.... Charles-Louis s'engageait en terminant à faire payer le reste du linge, promesse qui formait l'épilogue d'un grand démêlé avec sa correspondante. Il manquait à l'état de gloire de Madame d'avoir de quoi changer de chemise. Les commandes de sa tante attendaient encore chez les marchands parisiens l'argent de Charles-Louis, d'où une situation tragi-comique, selon l'humeur des personnes. La Palatine l'avait prise au tragique. Elle prédisait que cette lésinerie coûterait cher au Palatinat et écrivait à Rammingen, résident de son beau-frère à Paris : Vous savez bien qu'elle n'a que six chemises de nuit et autant de jour, et sera pour faire partout la plaisanterie qu'elle n'avait pas de chemise à mettre, et ces choses-là nuisent à tout.... L'affection de Monsieur et l'estime  du roi, c'est là le solide.... Cependant songez au linge... il sera honteux d'envoyer une fille de l'Électeur à un frère du roi de France avec six chemises. Il y a une douzaine de ce qui peut rendre ce mariage utile aux intérêts de Monsieur l'Électeur, pourvu qu'on n'y gâte rien. Je prendrai le même soin de la conservation que j'ai fait pour mettre les choses en l'état où elles sont, mais il faut que chacun y contribue de son côté. Madame se conduit admirablement bien et est admirée et aimée de tonte la cour[44]. Transmise à Heidelberg, cette lettre produisit l'effet désiré. Madame eut des chemises, et ne rencontra partout que des sourires de bienvenue.

Il est convenu en Allemagne que Madame a été extrêmement malheureuse pendant tout le demi-siècle qu'elle vécut en France. Ce n'est pas exact ; Mais la légende a pour elle, de l'autre côté du Rhin, presque tous les hommes en droit d'avoir une opinion. Fustel de Coulanges disait que l'érudition germanique est patriote. Le mot est toujours vrai. C'est par patriotisme que les écrivains allemands ont adopté Madame pour être un exemple éclatant de l'incompatibilité qui existait déjà au XVIIe siècle, entre son peuple et le nôtre ; entre une nature foncièrement allemande[45], remplie des vertus sérieuses de sa race, et le milieu frivole et corrompu où la princesse Liselotte avait été reléguée par son mariage avec un prince français. Plus un appuyait sur ces souffrances, plus le contraste s'accusait, et plus l'incompatibilité devenait évidente. Mon dessein n'est pas d'entrer dans une discussion sur les droits comparés de la patrie et de la vérité ; il suffit d'avoir indiqué que c'est ici un cas où ceux de la vérité ont pâti. Madame a eu en France — on en verra les témoignages en leur lieu — une existence mêlée de bon et de mauvais, comme la plupart des êtres humains. Il nous semble aujourd'hui, à cause du déclin de l'idée monarchique, que le mauvais fut plus mauvais que le bon ne fut bon ; les contemporains de Madame en jugeaient différemment, d'après des éléments qui commencent à nous échapper. L'Électrice Sophie, si maternelle pour sa nièce, écrivait au plus fort des chagrins de celle-ci : Madame a aussi des tribulations... mais dans le poste où elle est, il tue semble qu'il y a de quoi se consoler[46].

Les premières années furent heureuses. Le plus difficile aurait dû être de prendre son parti d'être la femme de Monsieur. Ce fut au contraire le plus facile ; les mœurs de ce prince laissèrent Madame indifférente. Les compagnons de débauche de Monsieur l'offusquaient parce qu'ils étaient souvent méchants et dangereux, et qu'ils dévoraient l'argent de la maison. Leur dépravation la touchait si peu, qu'elle n'aurait demandé qu'à bien vivre avec ce vilain monde, et à convaincre son époux, toujours inquiet, qu'elle ne solliciterait jamais du roi le mot qui l'en délivrerait : J'ai beau faire de mon mieux, écrivait-elle à l'Électrice Sophie[47], pour lui montrer que je ne veux aucun mal à ces garçons, que je cause amicalement et poliment avec eux, je ne parviens pas à le rassurer. Il avait tort. Ce qu'elle en faisait était si sincère, si peu par politique, que lorsqu'elle aura une fille à marier, elle désirera passionnément pour gendre un prince aussi pourri de vice que Monsieur, et insistera sur son estime pour lui.

En revanche, on ne peut que louer sans réserve sa perspicacité et son bon sens dans une question où il ne s'agit plus de vice, mais de crime. Monsieur avait-il empoisonné sa première femme ? Saint-Simon rapporte que Louis XIV avait pris soin de tranquilliser sa nouvelle belle-sœur en lui fournissant la preuve que son mari avait ignoré ce qui se tramait : Peu de jours, dit-il, après le second mariage de Monsieur, le roi prit Madame en particulier, lui conta ce fait[48], et ajouta qu'il voulait la rassurer sur Monsieur et sur lui-même, trop honnête homme pour lui faire épouser son frère, s'il était capable d'un tel crime. Pour une première conversation de famille, ce n'était point banal ; mais il n'est pas bien sûr qu'elle ait eu lieu ; Saint-Simon n'était pas né en 1671, et il en parle d'après des bruits déjà lointains. Quoi qu'il en soit, d'une manière ou d'une autre, Madame s'était renseignée, et son opinion ne varia jamais : Il est très vrai, disait-elle, que Madame a été empoisonnée, mais sans que Monsieur le sût[49]. Ce petit homme puéril et bavard, incapable de garder un secret et qui aurait fait pendre ses complices si on l'avait mis d'un complot, n'avait à aucun degré l'âme d'un criminel : Monsieur est le meilleur homme du monde, confiait Liselotte à sa tante Sophie au bout d'une année de mariage ; aussi nous entendons-nous très bien[50].

Ces deux points réglés, il restait un ménage mal assorti, où le plus efféminé des hommes, le plus coquet et le plus mignard, se trouvait lié à une turbulente petite personne brouillée avec la contrainte, qui courait les bois à pied pour sa santé, contait des saletés parce que ça fait rire et que le rire est salutaire, jurait à l'allemande et était éternellement coiffée de travers. Ses femmes travaillaient inutilement à la rendre présentable ; il n'y paraissait plus au bout de quelques instants, et cela à cinquante ans comme à vingt. On lit dans une lettre de 1706 à sa sœur Amélise : Quand par hasard je suis coiffée droit, on vient me faire des compliments, mais c'est rare. Monsieur devait souffrir en la regardant, lui qu'une boucle dérangée rendait malheureux, et l'Électrice Sophie craignait que le contraste entre ce coup de vent et cette poupée ne fût trop criant pour le bonheur des deux. Elle écrivait à Charles-Louis au lendemain d'une conversation avec l'un de ces nombreux maîtres de danse français que le gouvernement de Louis XIV, pour des raisons à lui connues, encourageait à aller exercer leur industrie dans les cours allemandes : (19 septembre 1673.)... Cependant un homme de conséquence arriva ici hier avec un flux d'éloquence ; c'est le sieur Jeme, qui m'entretient de Madame et m'a apporté son portrait avec celui de Monsieur, dont j'ai eu bien de la joie.... J'en ai une bien grande que Jeme m'assure qu'il y a une très parfaite amour et amitié entre Monsieur et Madame, car j'ai toujours appréhendé que les afféteries ne lui plairaient pas, mais on s'accoutume à tout... Jeme exagérait peut-être un brin ; mais le fond était vrai : pour le moment, Liselotte était contente.

Les débuts lui avaient été facilités par l'éloignement du chevalier de Lorraine[51], grand favori de Monsieur depuis 1667 et le plus redoutable de la bande, tant par sa méchanceté que par son pouvoir absolu sur un maitre qu'il menait à la baguette. Chose curieuse, cet ascendant illimité lui avait valu, pour des raisons politiques, la considération du roi, très dur à l'ordinaire pour les débauchés de son espèce. On sait que le souvenir de la Fronde pesa jusqu'à la fin du règne sur la politique intérieure de Louis XIV. L'insignifiance de Monsieur n'avait pu rassurer son aîné sur les dangers que font courir à l'ordre public les cadets de familles royales ; le roi avait gardé trop présent à la mémoire le rôle funeste de son oncle Gaston dans les troubles de la Fronde, alors que lui-même traînait avec sa mère le long des routes et couchait le soir dans des draps percés. Lorsqu'il y pensait, et il y pensait toujours, il ne trouvait pas que ce fût assez d'avoir écarté son frère des affaires ; il le voulait ployé à toutes ses volontés et bas devant lui[52], et c'était à quoi pouvait lui servir le favori. Le roi — que l'on nous passe l'expression ne fit pas le dégoûté. Il tenait le chevalier de Lorraine par l'argent et les distinctions. Le chevalier de Lorraine tint Monsieur et le ploya aussi bas qu'on le lui demanda ; de là son crédit en cour, qui ne laissait pas de scandaliser.

Il vint cependant un jour où la première Madame, moins indifférente que la seconde à de certaines malpropretés, excédée d'ailleurs de ne plus être maîtresse dans sa maison, obtint du roi l'exil du chevalier de Lorraine. Monsieur s'évanouit, pleura, devint furieux et fit une scène au roi ; puis il bouda, et finalement se résigna. Cinq mois plus tard Madame Henriette était emportée subitement, et la voix publique accusait l'ancien favori d'avoir envoyé le poison dont presque personne ne doutait. Ce n'était pas fait pour lifter la fin de son exil. Un jour que la Grande Mademoiselle s'entretenait avec le roi, ce prince lui dit : Le chevalier de Lorraine ne reviendra jamais, de mon consentement, auprès de mon frère. Quoique j'eusse beaucoup de considération pour feue Madame, il y a eu encore d'autres raisons qui me l'ont fait éloigner de mon frère, et par ces raisons il ne reviendra pas[53]. Si le roi s'en était tenu à cette décision, il aurait épargné bien des chagrins à sa nouvelle belle-sœur.

En attendant les mauvais jours, la princesse Liselotte faisait connaissance avec la vie qui allait être la sienne. Le 4 décembre, jour de son arrivée au château de Saint-Germain, le roi la régala d'un ballet dont la Gazette[54] célébra la pompe et la magnificence. Selon une habitude qui sentait le mot d'ordre, l'article rappelait aux Français que leur souverain avait bien gagné ce noble délassement par ses soins continuels pour la gloire de son État et le bien de ses sujets. Louis XIV tenait à ce qu'on sût qu'il était grand travailleur ; cela fait toujours bon effet.

Le 5, Madame reçut les cadeaux de noces de Leurs Majestés. De la reine, une rose en diamants, valant 40.000 écus d'après le nonce du Pape[55]. Du roi, trois cassettes renfermant 30.000 pistoles[56] pour les menus plaisirs de la jeune princesse. Madame s'étant plainte amèrement, et à de nombreuses reprises, qu'on la laissât manquer d'argent en France, il n'est pas hors de propos de noter ici que le présent du roi représentait à peu près la moitié du revenu total du Palatinat pendant une année. En 1671, par exemple, le budget de Charles-Louis se monta, pour les recettes, à la somme de 234.834 florins[57]. Ces chiffres rendaient l'économie de rigueur à Heidelberg, et Liselotte avait été dressée par son père à se passer d'argent de poche.

Le 7, le roi rendit une ordonnance où il était dit que Sa Majesté, voulant favorablement traiter Mgr le Duc d'Orléans, son frère unique, et lui donner moyen de soutenir les dépenses de sa maison, lui avait libéralement accordé la somme de 252.000 livres pour chacun an, pour l'entretien de la maison de Mme la Duchesse d'Orléans, à prendre en son trésor royal[58].... Dix ans auparavant, une pièce toute pareille — sauf la date — avait accordé exactement la même pension à Henriette d'Angleterre.

Le 7 également, le nouveau couple vint s'établir au Palais-Royal pour présenter Madame aux Parisiens. Toute la ville accourut la saluer, avec des nuances savantes, selon le titre, le rang, la charge, ou les prétentions de chacun. Des gens n'étaient venus qu'après avoir négocié avec Monsieur ; d'autres le fâchaient en usurpant un geste auquel ils n'avaient pas droit. Les corps constitués et les personnages officiels débitaient des harangues compassées. L'ambassadeur de la république de Venise fut si content de la sienne, qu'il en écrivit longuement à son gouvernement. Il avait dépeint la sincère impatience avec laquelle Leurs Excellences de Venise attendaient de Monsieur une abondante progéniture de héros, et Monsieur en avait accepté l'augure avec un contentement extrême[59]....

De temps à autre, on faussait compagnie à la foule pour montrer à Madame, Paris et ses environs : la place Royale et sa célèbre promenade ; les appartements du palais des Tuileries ; l'abbaye du Val-de-Grâce, riche en souvenirs d'Anne d'Autriche ; Saint-Cloud, le plus bel endroit qui soit au monde, répétait Madame ; Versailles, où Louis XIV plantait et bâtissait sans relâche, et sans dire pourquoi. On revint ensuite à Saint-Germain, où commença une féerie qui se prolongea jusqu'au carême. Mme de Sévigné écrivait le 13 janvier 1672 : Il y a tous les jours des bals, des comédies et des mascarades à Saint-Germain. Le roi a une application à divertir Madame, qu'il n'a jamais eue pour l'autre. L'amitié grandissait des cieux côtés. Louis XIV saisissait d'ailleurs tous les prétextes de multiplier les fêtes. Les plaisirs forcés faisaient partie de son système de gouvernement ; tandis que les courtisans dansaient ou s'ingéniaient à inventer des déguisements, ils ne s'occupaient pas de politique, et c'était autant de gagné. Le roi venait s'assurer de ses propres yeux qu'il était obéi et que sa Cour travaillait à s'amuser ; puis, s'il avait mieux à faire, il s'en allait.

Ces divertissements se déroulaient dans le château que chacun connaît. Il avait pour déversoir un second château, dit le Château neuf, dont il ne reste que le Pavillon Henri IV. Louis XIV se trouvait néanmoins à l'étroit à Saint-Germain ; les trois reines prenaient de la place, bien que Mlle de La Vallière et Mme de Montespan fussent un peu l'une sur l'autre dans le vieux château. D'autre part, le roi avait déjà le projet, né de sa rancune contre la Fronde et qu'il considérait certainement comme l'une des grandes idées du règne, de rendre sa noblesse impuissante et inoffensive en la domestiquant, tout entière, sous son toit, à portée constante des yeux et de la voix. Saint-Germain ne s'y prêtait pas. Versailles, construit tout exprès, s'y prêtera.

Au début de février 1672, une indisposition de Madame fit mesurer aux moins perspicaces ses progrès dans l'affection du roi. Il avait été le premier à s'apercevoir qu'elle était incommodée : Que vous avez donc mauvaise mine, disait-il[60], et il s'empressait, lui tâtant le pouls et la tête, et se joignant à Monsieur pour l'envoyer coucher. Ce n'était qu'une indigestion, juste châtiment d'avoir mangé deux soirs de suite à ne plus pouvoir remuer, et on aurait pu laisser agir la nature, qui ne s'en faisait pas faute, rapporte Madame avec détails à l'appui ; mais les médecins voulurent s'en mêler, et nous sommes au temps de Molière. Ils trouvèrent une malade déterminée à ne pas se laisser faire, d'où une première scène qui rappelle la course des apothicaires dans M. de Pourceaugnac, et à laquelle le roi mit fin en arrachant à Madame, à force de prières, la promesse de se soumettre à son sort. Ils voulurent ensuite la saigner : Madame a refusé, dit une dépêche du nonce au Saint-Siège[61], déclarant que son père l'avait prévenue que les médecins de Paris tuaient leurs malades par l'abus de la saignée. Elle refusa avec la même énergie de prendre une médecine : Ne sachant plus que faire de moi, le roi et Monsieur décidèrent de me tenir chacun par un bras... et de me faire saigner de force. Une crise inattendue leur fit abandonner leur projet ; mais la cour de France avait vu le grand roi faire fonction de garde-malade — comme au temps où il soignait sa mère — autour du lit du petit laideron allemand.

Aussi la surprise fut-elle vive quand, moins d'une semaine plus Lard, on entendit ce même prince demander soudain à Monsieur, qui avait nommé en passant le chevalier de Lorraine : Mais, y songez-vous encore, à ce chevalier de Lorraine ? Vous en souciez-vous ? Aimeriez-vous bien quelqu'un qui vous le rendrait ?En vérité, Monsieur, répondit Monsieur, ce serait le plus sensible plaisir que je pusse recevoir en ma vie. — Eh bien ! dit le roi, je veux vous faire ce présent. Il reviendra : je vous le redonne, et veux que vous m'ayez toute votre vie cette obligation, et que vous l'aimiez pour l'amour de moi. Je fais plus, car je le fais maréchal de camp de mes armées. Là-dessus, Monsieur se jeta aux pieds du roi, lui embrassa longtemps les genoux et lui baisa une main avec une joie sans égale. Le roi le releva et lui dit : Mon frère, ce n'est pas ainsi que des frères se doivent embrasser, et l'embrassa fraternellement[62].

C'est la seule fois que Louis XIV ne se soit pas conduit en galant homme envers Liselotte. Sans doute Monsieur avait donné quelque ombrage, ne s'était pas ployé assez bas devant son redoutable frère, et celui-ci, roi avant tout, avait jugé prudent de le replacer sous la férule de son favori. Les familles régnantes sont coutumières de ces misères. Un hasard sauva Madame, du moins pour le moment, des conséquences de cette sorte de trahison. Monsieur n'eut pas autant de plaisir à retrouver le chevalier de Lorraine qu'il s'en était promis de loin ; Monsieur avait pris d'autres habitudes. Le chevalier essaya des reproches, et s'aperçut que cela ne réussissait plus. Ils passèrent des années à se disputer et à se bouder, et ce fut autant de gagné pour Madame : Monsieur était occupé, Louis XIV tranquille, et Liselotte comblée de faveurs, car son illustre beau-frère ne lui voulait que du bien, pourvu qu'il n'en coûtât nul ennui, si léger fût-il, au roi de France. Tandis que son étoile est au zénith et qu'elle n'a pas de rancune à nous faire expier, voyons quelles furent ses impressions sur la France.

On s'était attendu à la cour à éblouir la nouvelle Madame. Il fallut en rabattre. Sauf de rares exceptions, elle trouva tout mal, en France. La cuisine, d'abord, dont elle se plaignit toute sa vie. On peut citer au hasard des dates ; à trente ans de distance, à quarante ans, ce sont les mêmes lamentations : Je ne peux pas m'y habituer. C'est de la cuisine au lard, il n'y a pas une miette de beurre. Du bouillon dans tout, et le bouillon la faisait enfler. Des soupes qu'il lui était impossible d'avaler, du poisson qu'elle ne pouvait pas digérer, des ragoûts trop gras qui l'écœuraient, et enfin, pour friandises, trois abominables drogues, trois inventions nouvelles, le thé, le café et le chocolat, qu'elle dépeignait aux amies d'Allemagne dans le langage ultra-réaliste dont il faut prendre son parti avec Madame, ou bien alors fermer le livre. Le chocolat était douceâtre et lui faisait mal à l'estomac. Ce n'était rien, cependant, auprès du café : Pour moi, l'odeur du café ressemble à celle d'une haleine puante ; feu l'archevêque de Paris avait cette odeur-là qui me donne mal au cœur. Le café n'était encore rien auprès du thé : Le thé me fait l'effet de foin et de fiente.... Il m'empêche, sauf votre respect, d'aller sur la chaise percée.

Elle s'étonnait que les estomacs français pussent résister à ces boissons infectes et à ces ratatouilles. Le sien n'y résistait pas, et elle se piquait pourtant de l'avoir solide ; mais c'était un brave estomac allemand, qui avait la digestion patriotique, de sorte qu'il suffisait pour le remonter d'une bonne lampée de bière chaude à la muscade, ou de quelque plat national : une bonne soupe à la bière, par exemple, ou un bon plat de choucroute avec des saucissons fumés. La difficulté était de se procurer ces panacées. A l'arrivée de Madame, il n'existait pas dans tout le royaume un seul cuisinier capable d'apprêter une choucroute. Quand les siens se furent familiarisés avec les recettes d'outre-Rhin, elle initia le roi aux délices de la cuisine allemande et le vit avec joie y prendre goût ; la princesse Liselotte caressait l'espoir de trouver désormais quelque chose de mangeable lorsqu'elle souperait chez Louis XIV. Elle énumère à plusieurs reprises dans ses correspondances, avec une pointe d'orgueil très marquée, les plats de son pays dont elle avait enrichi la table royale. La lettre dont voici un fragment est de 1718 : Personne, ici, ne s'étonne que j'aime le boudin[63]. J'ai aussi mis à la mode le jambon cru et beaucoup de nos plats allemands, comme la choucroute et le chou blanc, la salade au lard, le chou frisé, la venaison, dont on ne mangeait presque pas, et les crêpes au hareng saur. C'est moi qui ai mis tout cela à la mode. J'avais appris au feu roi à en manger, et il en mangeait très volontiers. J'ai tellement affriandé ma gueule allemande à la nourriture allemande, qu'il n'y a pas un seul ragoût français que je puisse souffrir. Je ne mange que du bœuf, du veau et du gigot rôtis, du poulet rôti, rarement des perdrix et jamais de faisan.

L'introduction de la cuisine allemande à la cour de France n'avait été, par malheur, qu'une satisfaction d'amour-propre. Madame n'avait pu faire que notre choucroute, ou nos saucisses, fussent comparables aux produits de son pays. Aussi continua-t-elle jusqu'à son dernier soupir à geindre sur la détestable chère à laquelle l'avait vouée son mariage. Je crains qu'elle ne fût un peu sur sa bouche. A soixante-cinq ans, elle écrivait à sa sœur Louise : (Paris, 10 décembre 1715.) Hier, une dame de Strasbourg m'a donné une terrine de choucroute au lard, avec un canard dedans. Ce n'était pas mauvais, mais les choux étaient des choux français, qui ne valent pas les choux allemands, tant s'en faut ; ils ont moins de goût, et ils sont aussi hachés plus gros ; on n'a pas ici les couteaux qu'il faudrait pour les hacher convenablement. Ce n'était donc pas mauvais, mais j'en ai mangé de meilleure ; je crois que la vôtre valait mieux... Ces derniers mots font allusion au parti qu'avaient pris les parents ou amis du Palatinat et du Hanovre d'envoyer à la pauvre Liselotte de quoi faire de temps à autre un bon repas.

On se partageait les expéditions ; l'un envoyait ceci, l'autre cela. M. et Mme de Harling[64] s'étaient fait une spécialité de certains saucissons fumés dont Madame raffolait. Ils y joignaient une provision de pumpernickel, ou pain noir de Westphalie. Leurs envois étaient toujours attendus avec impatience. La raugrave Louise était une Providence universelle. Madame en recevait de la choucroute allemande et quantité d'autres gourmandises, telles que de la soupe aux écrevisses, prête à être mangée. En outre, Louise avait toujours les bonnes recettes et savait les bons endroits ; ce fut par elle que les jardiniers du palais de Saint-Cloud eurent enfin des graines de la variété de chou qui guérit les toux opiniâtres. L'Électrice Sophie envoyait des caisses de boudin, de simples fonctionnaires offraient des oies ou du saumon. Il était si connu qu'on ne pouvait mieux faire sa cour à la Duchesse d'Orléans, belle-sœur du roi de France, que le duc de Wurtemberg, se trouvant à Paris en voyage d'agrément, lui fit porter une platée de choucroute : Je n'en avais pas mangé d'aussi bonne, écrivit Madame à sa sœur Louise[65], depuis que j'ai quitté le Palatinat ; mais elle avait été accommodée par un cuisinier allemand.

Presque autant que nos sauces, et à plus juste titre, l'habitude que nous avions de vivre au milieu des ordures révoltait Madame, qui n'avait pourtant pas été gâtée en Allemagne sur le chapitre de la propreté ; mais tout est relatif : Il est certain, disait-elle, que celui qui a vu la Hollande — elle l'avait vue avant son mariage — trouve l'Allemagne sale ; mais il n'y a qu'à venir en France pour trouver l'Allemagne propre et agréable ; car rien n'est plus puant ni plus cochon que Paris. Elle rentrait dans des détails à la Zola sur les odeurs de Paris le matin, alors que toutes les fenêtres s'ouvraient pour livrer passage aux détritus humains de la nuit, et se déclarait hors d'état de supporter cet air empesté : Dès que j'y suis seulement deux heures, j'ai mal à la tête, ça me pique à la gorge et je ne cesse plus de tousser[66].

A Paris et hors de Paris, les palais des princes, avec leurs foules sans cesse renouvelées, étaient les grands foyers d'infection. Le sans-gêne incroyable des hommes transformait les escaliers et les recoins du Louvre, ou les galeries de Versailles, en dépotoirs immondes où les femmes ne passaient qu'en relevant leurs jupes, et dont l'odeur vous poursuivait : Tout le Palais-Royal, disait Madame dans son langage naturaliste, pue le pissat à ne pouvoir y tenir[67]. Nos pères avaient réussi à dégoûter la princesse Liselotte, ce qui n'était pourtant point facile, et l'on ne trouve rien à dire pour leur défense : ils étaient positivement sales, et le roi laissait faire, n'imaginant pas que les choses pussent être autrement.

A aucun point de vue, les Français ne consolaient Madame de la France, et ce ne sont pas ses lettres qui nous feront une belle réputation à l'étranger. On y rencontre à l'état de refrain que nous sommes intrigants, faux, égoïstes, envieux, intéressés, corrompus et débauchés ; en quoi Madame avait tort et raison tout à la fois. Elle avait en partie raison si l'on considère le milieu artificiel où elle vivait, la petite cour perverse de Monsieur, la grande cour quémandeuse de Louis XIV. Elle avait tort si l'on porte ses regards plus loin, vers la France qui travaillait et qui pensait ; mais Madame ignorait cette France-là Elle ne connaissait rien en dehors du monde admis à fréquenter chez elle ou chez le roi. Paris, où elle aurait appris que Saint-Germain, ou Versailles, n'étaient pas toute la France, lui était à ce point insupportable, qu'elle le fuyait. Aussi en ignore-t-elle absolument tout. En voici un exemple. Madame croisait tous les jours chez le roi les Colbert, les Le Tellier, les membres du Conseil, les parlementaires. Néanmoins, dans les rares occasions où elle fait allusion à notre bourgeoisie, c'est toujours à de petites gens qu'elle pense, des gens qui ont le parler vulgaire et des façons de vivre inélégantes. On finit par se demander si elle avait jamais daigné remarquer l'existence d'une haute bourgeoisie qui ne le cédait à la noblesse ni en urbanité, ni en luxe, et qui, au surplus, détenait le pouvoir et la richesse. En tout cas, on sent qu'il n'y a pas de contact entre elle et cette classe grandissante dont l'importance lui échappe entièrement.

Dès qu'elle sort des personnalités et des faits divers, on a toujours l'impression que l'étroitesse de son horizon, sa monotonie, réagissent sur ses jugements. Cela est d'autant plus frappant que la princesse Liselotte, à défaut d'une grande intelligence, possédait un esprit vif et net ; et cela est très intéressant à observer, car ce qui s'est passé pour elle s'est passé pour toute la noblesse française quand nos rois l'eurent parquée à Versailles en dehors du courant des idées. Le provincialisme de cour — si j'ose ainsi parler — que l'on constate chez Madame explique que la cour de France ait perdu si vite la direction de l'opinion. Paris, toujours à l'avant-garde du mouvement intellectuel, eut vite fait de la lui enlever, et la garda ; au temps de Molière, c'était la cour qui décidait du succès des pièces ; au temps de Marivaux, c'était Paris. On en vint très rapidement à parler deux langues différentes, si différentes qu'on ne se comprit plus. La royauté s'en aperçut à la Révolution ; mais il était trop tard.

Il faudrait encore des pages pour épuiser les griefs de Liselotte contre sa patrie d'adoption. Nous n'en citerons plus qu'un, celui, peut-être, qui revient le plus souvent sous sa plume, et qui n'existait pourtant que dans son imagination, ainsi que le prouveront les événements.

Madame faisait profession de haïr la cérémonie ; elle se figurait aimer les mœurs simples et sans façon, et maudissait l'esclavage qu'entraînait l'étiquette des grandes cours. Si Madame avait pu voir jouer Ruy Blas, elle se serait certainement reconnue dans ces vers de la reine :

... Que ne suis-je encore, moi qui crains tous ces grands,

Dans ma bonne Allemagne, avec mes bons parents !

Comme, ma sœur et moi, nous courions dans les herbes !

Et puis, des paysans passaient, traînant des gerbes :

Nous leur parlions. C'était charmant....

En réalité, Madame attachait plus d'importance à la cérémonie que pas une princesse française : noble et grande en toutes ses manières, dit Saint-Simon, elle était petite au dernier point sur tout ce qui regardait ce qui lui était dû[68]. Elle avait toujours peur qu'on ne lui manquât, fût-ce involontairement et à deux cents lieues de distance. Sa correspondance en fait foi. Elle y donne des leçons de protocole à la raugrave Louise pour empêcher qu'à Hanovre, ou à Heidelberg, quelque obscure inconnue ne l'appelle en conversation madame la Duchesse d'Orléans au lieu de Madame tout court. Ailleurs, elle prie sa sœur de faire en sorte qu'un Allemand de condition modeste, qui avait été tout heureux de lui adresser la parole dans le parc de Saint-Cloud, apprenne pour une autre fois à s'exprimer congrûment : si ce brave homme revenait, qu'il ne m'appelle plus Altesse. Ce titre-là n'est que pour les princes du sang. Nous et nos enfants, on nous appelle Altesses royales, titre qui n'appartient qu'aux petits enfants de France.

Il faut dire, à la décharge de Madame, que les questions d'étiquette et de préséance présentaient alors une acuité qui a disparu avec le prestige des grands de la terre. Saint-Simon n'a jamais pu parler de sang-froid de l'affaire du bonnet. Le premier président du Parlement de Paris ôterait-il son bonnet en prenant l'avis des ducs et pairs ? Il semblait que le sort de la France en dépendit. Madame n'apporta pas moins de passion dans la querelle des ducs et pairs avec les princes allemands. On se disputait le pas depuis des générations. En bonne et fidèle Allemande, Madame ne vit qu'insolence dans les prétentions françaises, fut outrée et ne le cacha point : quoique nous autres princesses Palatines, nous ayons, pour ainsi parler, fait les princes les plus puissants du monde, on hésite à admettre ici que nous soyons de bonne maison, et s'il arrive un comte Palatin, le premier gueux de duc venu lui disputera le rang. Souvent cela m'a mise hors de moi. J'en crève dans ma peau[69]...

Les Allemands invoquaient en leur faveur une façon de droit divin, bien caractéristique de l'époque : j'ai eu une fois un plaisant dialogue avec le pauvre archevêque de Reims[70]. Il était, comme le sait Votre Dilection, le premier duc et pair. Un jour que nous nous promenions ensemble au Val, près de Saint-Germain, il me dit : — Il me semble, madame, que vous ne faites pas grand cas de nous autres ducs en France, et que vous nous préférez bien vos princes d'Allemagne. — Je répondis sèchement : — cela est vrai. L'archevêque voulut savoir le pourquoi de ce dédain. Madame lui repartit : c'est le roi qui vous fait ce que vous êtes.... Mais pour nos princes d'Allemagne, il n'y a que Dieu, leurs père et mère qui les font, ainsi ne peuvent-ils vous être comparés. — Je crus, ajoute Madame, que le pauvre homme allait crever de dépit ; mais il ne trouva rien à répondre.

Malgré tant de sujets de plainte, Madame écrivait à son ancienne gouvernante le 10 octobre 1676, quatre semaines après la naissance de sa fille[71] : voilà une Liselotte de plus au monde. Dieu veuille qu'elle ne soit pas plus malheureuse que moi, et elle n'aura guère à se plaindre.

 

On se rend assez bien compte de l'existence de Liselotte pendant ces années souriantes. Son rang la condamnait à vivre dans le sillage du roi, qui avait définitivement tourné le dos à sa capitale l'année même du mariage de Madame. Le dernier séjour de Louis XIV à Paris date en effet de 1671. Il en partit le mercredi des Cendres pour n'y plus revenir qu'à de longs intervalles, sans y coucher ; il évitait même de le traverser ; ou remarquait qu'il aimait mieux faire un grand détour, avouant par là qu'il n'avait point pardonné aux Parisiens les barricades de 1648 et sa propre fuite[72], la nuit, sans bagages, par un froid glacial. Après l'éloignement définitif, on le voit, onze ans de suite, faire la navette entre Saint-Germain et Versailles, où il passait des mois entiers à surveiller ses ouvriers ; chasser dans la plaine Saint-Denis et dans le bois de Boulogne, venir jusqu'à Montmartre et se comporter comme si Paris n'existait pas. C'est un état d'esprit qui méritait d'être signalé. Il confirme ce que l'on savait du caractère rancuneux de Louis XIV. D'autre part, il le montre plus chimérique qu'on ne s'y serait attendu.

Monsieur et Madame habitaient chez le roi, qu'ils suivaient dans ses déplacements. Tant pis s'ils n'en avaient pas envie ; le roi ne les consultait pas. Louis XIV voulait autour de lui des figurants nombreux et de bon air, afin de rehausser la pompe monarchique, et ceux-là étaient irremplaçables, avec leur rang princier et leur grand train. Aussi les tenait-il à la chaîne d'un bout de l'année à l'autre, sauf deux mois de vacances[73] à leur cher Saint-Cloud, — août et septembre, d'ordinaire, et quelques fugues, çà et là au Palais-Royal ou à Villers-Cotterêts.

En quelque lieu que fût la Cour, une grande princesse commençait sa journée par se donner en spectacle, avant même d'être devenue présentable selon les idées actuelles. Madame suivait l'étiquette. Hommes et femmes affluaient dans sa chambre pour assister à sa toilette, sans que l'on puisse préciser à quel moment de la toilette la porte s'ouvrait aux hommes. Elle s'en est expliquée, mais pas de façon claire. Voici les textes. A la tante Sophie : Le lundi et le jeudi, je me lève à huit heures, les autres jours à neuf ; je fais ma prière et je me lave les mains ; ensuite, je m'habille. Il vient à ma toilette des hommes de la cour, avec lesquels je cause. A la raugrave Louise : Je me lève ordinairement à neuf heures et vais où vous devinez. Ensuite je fais ma prière. Après la prière, je lis trois chapitres de la Bible : un de l'Ancien Testament, un psaume et un chapitre du Nouveau Testament. Ensuite je m'habille. Pendant qu'on me coiffe, il vient beaucoup d'hommes de la cour[74]... Ces passages prêtent à discussion ; d'autant que les mœurs du temps admettaient parfaitement qu'une femme s'habillât devant des hommes. Un autre texte en fournit la preuve. Il n'est plus de Liselotte ; il est de Mme de Maintenon, dans un écrit sans date trouvé parmi ses papiers et intitulé : Projet de la conduite que je voudrais tenir si j'étais hors de la Cour[75]. Voici le début de cette feuille volante : Je voudrais me lever à sept heures en été, à huit heures en hiver ; rester une heure en prières avant que d'appeler mes femmes, ensuite m'habiller et voir pendant ce temps-là les marchands, ouvriers, ou les gens à qui on peut avoir affaire...

Les rites du lever demeurèrent immuables jusqu'à la mort de Madame. La suite de sa journée dépendit des époques et des lieux. Les fragments qu'on va lire se rapportent tous aux huit premières années de son mariage.

Le tableau suivant, d'un séjour de plusieurs semaines à Versailles, n'a rien d'exceptionnel. Il était de règle, en ce lieu-là de s'amuser le jour et la nuit, sans une heure de répit : — Je vous supplie, écrit Liselotte à sa tante Sophie[76], de vouloir bien me pardonner si je suis restée une éternité sans vous écrire. D'abord je suis allée à Versailles, où nous étions occupés toute la journée. Depuis le matin jusqu'à trois heures de l'après-midi, l'on chassait. En revenant de la chasse, on changeait de costume et l'on montait au jeu, où l'on restait jusqu'à sept heures du soir ; puis on allait à la comédie, qui ne finissait qu'à dix heures et demie du soir ; après la comédie, on soupait ; après le souper venait le bal qui durait jusqu'à trois heures du matin, et alors seulement on allait se coucher. Je vous laisse à penser si j'avais le temps d'écrire.

Une autre lettre[77], nous montre Liselotte chez elle au Palais-Royal : Ici, on ne se lève qu'à dix heures et demie. On va à la messe vers midi. Après la messe, on bavarde avec ce qui s'est trouvé là Vers deux heures, on se met à table. Après le repas, il vient des dames, et cela dure jusqu'à cinq heures et demie. Ensuite arrivent tous les hommes de qualité qui se trouvent à Paris. Monsieur joue alors à la bassette, et je suis obligée de me mettre à une autre table et de jouer aussi.... Ou bien j'emmène ce qui ne joue pas à l'Opéra, qui dure jusqu'à neuf heures. En revenant de l'Opéra, il faut encore que je joue jusqu'à dix ou onze heures, et puis on se couche. Le lendemain, on recommençait, et Liselotte s'ennuyait à périr de cette existence calfeutrée. Elle n'aimait pas le jeu, parce qu'elle perdait toujours, et qu'elle n'aimait pas à perdre son argent.

De peur qu'on ne la plaigne plus que de raison il est bon de compléter les tableaux qui précédent, Liselotte avait toujours, pour peu qu'elle le désirât, des heures de liberté, qu'elle employait volontiers à gaminer, et dont elle ne se vante pas à sa tante Sophie, qui voulait que les princesses eussent de la tenue. Elle racontait plus tard à sa sœur Louise les bonnes parties de jeu et les réjouissantes sottises qu'elle avait faites avec son frère Carl-Lutz, âgé alors de quinze ans, quand leur père le lui avait envoyé (1673) pour le pousser dans le monde : (6 décembre 1721.) J'étais encore très enfant, lorsque je suis venue en France.... Avec Carl-Lutz et le petit prince de Eisenach, nous avons fait souvent un tel vacarme, que personne ne pouvait y tenir. Il y avait alors ici une vieille dame, appelée Mme de Fiennes, que nous tourmentions effroyablement. Elle avait peur des coups de feu, et nous lancions continuellement des pétards dans ses jupes. Ça la mettait au désespoir. Elle courait après nous pour nous taper ; c'était le grand plaisir. Ici encore, Liselotte ne dit pas tout. Mme de Fiennes[78] était une intrigante aux doigts crochus, qui avait pris beaucoup plus d'empire sur Monsieur qu'il ne pouvait convenir à Madame. Celle-ci se vengeait à coups de pétards, et la duchesse Sophie, personne prudente et politique, aurait certainement trouvé le procédé un peu vif.

Fontainebleau était le séjour de prédilection de la jeune princesse : Je passe très bien mon temps ici, car nous ne faisons que chasser et aller à la comédie et à l'opéra[79]. Le théâtre était l'une de ses grandes passions, et elle rendait justice à l'éclat de notre scène, dont elle demeura longtemps la fidèle habituée. Non contente de voir toutes les nouveautés, elle revoyait indéfiniment le répertoire, ne se lassant jamais d'une belle pièce, et la mémoire farcie de tirades en vers ou en prose, qu'elle citait volontiers, quitte à faire des vers faux. Si quelque chose avait pu la réconcilier avec la France, c'était assurément le théâtre ; mais son cœur allemand ne permettait pas ce miracle.

Elle avait une autre grande passion : la chasse à courre. La princesse Liselotte nous était arrivée ne sachant pas monter à cheval. Elle devint en France une brillante amazone, hardie, infatigable, riant des chutes, bravant les coups de soleil, et apportant au jeu une telle ardeur, que les grands chasseurs de la famille royale, Louis XIV et, plus tard, son fils le grand Dauphin, se faisaient un plaisir de l'emmener avec eux. Louis XIV avait présidé à ses débuts après trois mois de leçons : (Saint-Cloud, 10 octobre 1673.) La semaine prochaine, j'espère aller chasser avec le roi, car il m'a fait écrire par Monsieur qu'il prétendait m'emmener deux fois la semaine. Ce sera tout à fait dans mes goûts, car ma tante sait que sa Liselotte est toujours un petit démon[80].... Le monarque et sa belle-sœur furent promptement inséparables pour la chasse : (Versailles, 4 nov. 1677.) Je chasse avec le roi tous les deux jours, et très souvent deux ou trois jours d'affilée.... J'aime à chasser tout autant que le roi, et c'est un plaisir qui est fait pour un diable de mon espèce, car on n'a pas besoin de se parer, ni de mettre du rouge, comme pour le bal[81].

Les estampes de l'époque nous apprennent sous quel aspect, avec quelle physionomie et dans quelle attitude, la France se représentait les personnages importants de la cour. Dès le premier coup d'œil, on sait à quoi s'en tenir sur la seconde femme de Monsieur ; elle fut pour les contemporains la princesse qui chasse toujours. Une série de gravures[82] nous montrent et remontrent Madame en costume de chasse ; Madame un fusil dans une main et un éventail dans l'autre ; Madame en Diane chasseresse ; Madame et ses chiens ; Madame à cheval ; Madame avant la chasse, pendant la chasse, retour de la chasse et prête à se remettre en selle, car, sauf le soir où elle consentait à reprendre une robe, elle ne quittait plus son costume semi-masculin d'amazone ; elle l'avait trouvé plus commode que le grand habit, de rigueur à la cour pour les simples mortelles, et elle l'avait adopté pour l'usage ordinaire, tous les jours et toute la journée, d'oie une figure à part, et point banale. Le soleil aidant, Liselotte fut désormais seule de son espèce, à la cour de France, et pour la physionomie, et pour lu tournure.

On a beau être une grande princesse, on n'attrape pas impunément des coups de soleil. Madame en fit l'expérience. Longtemps après que le mal était fait, elle écrivait : Je sais ce que c'est que d'être brûlé à la chasse par le soleil. Il m'est arrivé souvent d'être au soleil depuis cinq heures du matin jusqu'à neuf heures du soir et de rentrer rouge comme une écrevisse, le visage tout brûlé ; c'est pour cela que j'ai maintenant la peau si hâlée et si rude. — Ma peau, dit une autre lettre, est d'un rouge tacheté de jaune[83]. Ce visage de brique était encadré dans une perruque d'homme, un chapeau rond — ou un tricorne — et une grosse cravate d'homme. Le reste du costume se composait d'un vêtement à longues basques, ouvert sur 'une manière de gilet, et d'une jupe traînante, le tout chargé de copieux affiquets : aiguillettes, franges, broderies, passements, dentelles, flots de rubans, etc., qui caractérisaient alors les modes masculines. Madame raconte quelque part qu'un moine, l'ayant rencontrée dans son couvent, l'avait prise pour un homme, et il est certain qu'on pouvait s'y tromper.

Il est certain aussi qu'elle étonnait lorsqu'en cet attirail, et toujours en train d'écrire une lettre, elle distribuait à la ronde de sa voix rude[84], dans son salon de Saint-Germain ou de Versailles, les vérités salutaires et les propos salés. Les premières fois qu'on la voyait, on était séduit par son intarissable gaieté et ce que Mme de Sévigné appelait sa charmante sincérité et son esprit non pas agréable, mais... de bon sens[85]. A l'user, ses amis l'aimaient pour son brave cœur, fidèle et loyal ; les autres apprenaient à leurs dépens à en avoir plutôt peur. Un de ses compatriotes l'a peinte disant son fait à tout le monde et sur toutes choses, ne pardonnant jamais quand on l'offensait, rarement disposée à arranger les choses au mieux, très peu traitable[86], et complètement fermée à l'esprit français. Le portrait est poussé au noir ; l'auteur a oublié le fond de tendresse passionnée et la belle humeur, souvent héroïque dans sa situation, qui rendent la princesse si attachante, malgré ses défauts et ses ridicules.

Louis XIV ne voyait que les côtés attachants de sa belle-sœur : (14 décembre 1676.) Le roi me témoigne chaque jour plus de faveur, car partout où il me rencontre, il m'adresse la parole, et il m'envoie maintenant chercher tous les samedis, pour faire medianoche avec lui et Mme de Montespan. Gela fait que je suis à présent très à la mode. Tout ce que je dis ou fais, que ce soit bien ou mal, les courtisans l'admirent.... Il en est ainsi à cette cour ; et à toutes les cours. Dans la même lettre, Madame conte longuement sa première chute de cheval et poursuit : Votre Dilection, qui admire tant notre roi de m'avoir si bien assistée dans mes couches, l'aimera aussi dans cette rencontre. Il est arrivé le premier auprès de moi, pâle comme la mort, et j'eus beau lui assurer que je ne m'étais fait aucun mal et que je n'étais pas tombée sur la tête, il n'eut pas de cesse qu'il ne m'eût examiné la tête dans tous les sens. Quand il se fut convaincu que j'avais dit vrai, il me reconduisit jusque dans ma chambre, où il resta quelque temps auprès de moi, pour s'assurer que je n'aurais pas d'étourdissements. Il ne s'en alla... que sur mes protestations réitérées que je n'avais pas le moindre mal[87]. Dans leurs relations, le monarque disparaissait pour laisser la place à l'homme, et celui-ci se montrait invariablement attentif et complaisant : La cour s'en va à Fontainebleau, écrivait madame de Sévigné[88] ; c'est Madame qui le veut. Ce Madame le veut n'étonnait personne, et c'est pourquoi les courtisans admiraient jusqu'à sa grande perruque, généralement de travers.

Monsieur continuait à se montrer agréable compagnon, malgré les efforts de son entourage pour l'aigrir contre sa femme, et Madame à se plaire avec Monsieur, malgré les taquineries de la cabale : (1er juillet 1678.) Pour ce qui est de l'idée de Votre Dilection, que, lorsque j'ai Monsieur, je ne demande rien au ciel ni à la terre, il est vrai que j'aime beaucoup à être avec lui[89]. Elle fut vraiment éprise de lui dans les premiers temps, et, si ce ne fut qu'un feu de paille, ils n'en restèrent pas moins un ménage d'amis. Madame s'inquiétait de tout son cœur quand Monsieur était à la guerre : Je suis si tourmentée ; il s'expose d'une manière inouïe ; on me l'écrit de tous les côtés[90]. Elle s'ennuyait sans lui : Le roi et Monsieur sont absents ; ce n'est pas gai, ici[91]. Elle souhaitait son retour. A Carl-Lutz, le 7 avril 1676 : Le roi et Monsieur arrivent demain ou après-demain. Je serai aussi joyeuse que nous l'étions au Palais-Royal il y a trois ans, l'année où vous êtes venu ; l'année des pétards. Le retour des princes ayant été retardé, elle récrit à son frère : Le temps me parut si long ! Autant de sentiments d'un bourgeois achevé, mais qui n'indiquent pas une femme malheureuse. Monsieur, de son côté, commandait les robes de Madame et lui mettait son rouge. Il la soignait quand elle était malade. Nous l'avons déjà vu à l'œuvre, avec le roi, pendant une simple indisposition de Madame. Il se surpassa en 1675, au cours d'une maladie qui faillit être mortelle.

La duchesse Sophie à l'Électeur Charles-Louis, IO avril 1675 : Je vous envoie ce qu'on me mande de Liselotte, pour laquelle j'ai déjà bien pleuré. Celte bonne princesse a parlé de vous, d'Ernest-Auguste et de moi, comme elle croyait mourir. Le médecin de l'évêque de Strasbourg a été obligé de se cacher, car le peuple l'aurait déchiré. Je ne vous envoie point la lettre de Hinderson[92] et celle que la femme de Jeme écrit à son mari, car vous ne les pourriez lire sans verser des larmes. Le roi a pleuré aussi, Monsieur ne bouge d'auprès d'elle la met lui-même sur la chaise percée, la sert mieux qu'une femme de chambre ne saurait faire, avec une passion et une tendresse qui ne se peut exprimer. Il a jeté dans le feu la troisième dose de poudre que le médecin allemand lui a voulu donner, qui l'aurait achevée à ce qu'on croit, si elle l'eût prise.

A la lettre de la duchesse Sophie en était jointe une de Monsieur qui l'avait beaucoup touchée : J'ai lu avec bien du plaisir la lettre de Monsieur ; il faut qu'il soit un des meilleurs princes du monde[93]. Nous la donnerons toute entière ; elle est importante pour la connaissance de ce prince et pour la biographie de Madame :

Paris, ce 30 de mars 1675. Je commencerai ma lettre par vous dire la joie où je suis de ce que Madame est entièrement hors de danger et quasi de fièvre, car elle a été vingt heures comme morte, qui ont été depuis mercredi à neuf heures du soir jusques au jeudi à trois heures après-midi qu'elle fut saignée du pied, qui est ce qui l'a sauvée car sans cela elle était morte d'une colique qui lui prit le mercredi à trois heures, après avoir été depuis les neuf heures du matin toujours en faiblesse ou évanouissements. Cet accident lui prit entre le dix et l'onzième accès, lequel lui prit plus violemment que de coutume. Elle a témoigné en cette occasion une dévotion, une fermeté et une tendresse pour vous, pour moi et pour le roi — qui fut trois heures auprès d'elle toujours pleurant — qui la font admirer et, aimer de tout le monde, car depuis le roi jusqu'au moindre bourgeois de Paris, tout le monde, était dans une affliction que je n'aurais pas crue, si je ne l'avais vue. Enfin, grâces à Dieu, elle est guérie, son accès d'aujourd'hui a été beaucoup plus petit. Cela n'empêchera pourtant pas qu'on ne lui fasse dans deux heures une petite saignée au bras, à cause qu'elle a encore une petite toux, qui empêche qu'on ne la puisse purger, qui est un remède dont elle a grand besoin, car elle jette mille ordures par de petits remèdes qui ne se prennent pas par la bouche. J'oubliais de vous dire qu'elle fut saignée au bras le mercredi à dix heures du soir, et que depuis cette saignée-là jusques à celle du pied, elle prit dix de ces petits remèdes avec mille fomentations, qui ne la soulageaient pas ; enfin elle fut si mal, que le Saint-Sacrement était céans avec l'Extrême-Onction. Sachant comme vous l'aimez, je vous ai mandé toutes ces particularités, croyant que vous seriez bien aise de les savoir. Elle recommanda fort au roi de se ressouvenir de ce qu'il lui avait dit pour vous, et que vous rentrassiez dans son amitié. Pour ce qui est de moi, j'étais plus mort qu'elle, car je ne crois pas que depuis que le monde est monde, il y ait eu un meilleur mariage que le nôtre ; je souhaite qu'il dure longtemps et que j'aie des occasions de vous pouvoir rendre quelque service et vous faire connaître combien je vous honore.

PHILIPPE.

Madame vient de me faire appeler pour me prier de vous faire ses compliments et de vous dire qu'elle aurait encore l'honneur de vous écrire et de vous assurer de ses respects.

 

Quelques semaines plus tard, Liselotte remerciait sa tante de ses témoignages d'affection. C'est lui disait-elle, Monsieur, papa, Votre Dilection et l'oncle qui m'avez guérie, bien plus que les médecins. La joie d'être plainte par vous tous a mieux purgé ma rate que les soixante-douze lavements que ces messieurs m'ont fait donner[94].

Tout cela était trop beau, Monsieur et Madame en petits saints, faisant assaut de sentiments édifiants et attendrissants : cela ne pouvait pas durer. Avec leurs caractères à tous les deux, des tempêtes étaient inévitables un jour ou l'autre. On conviendra qu'en attendant, Liselotte ressemblait aussi peu que possible à la triste princesse, persécutée et malheureuse, des historiens allemands. Aimée du roi et de la reine, estimée et respectée des grands, populaire dans le peuple et redoutée des intrigants, elle s'était fait sa place chez nous, au besoin à coups de boutoir, s'était arrangé, aux dépens de l'étiquette, une existence à son goût et ne cachait pas combien elle était satisfaite de son sort. Sans doute, la France était un vilain pays, et la cabale une amertume quotidienne. Mais, quand on est une personne très opiniâtre et très résolue, ainsi qu'en avait très bien jugé Mme de Sévigné[95], on lutte, on triomphe, et on pose un pied victorieux sur le dragon, comme les saintes en pierre des cathédrales gothiques.

 

 

 



[1] Philippe de France, duc d'Anjou, et plus tard duc d'Orléans, né le 21 septembre 1640, marié le 1er avril 1661 à Henriette-Anne d'Angleterre, fille de Charles Ier et petite-fille par sa mère de notre Henri IV.

[2] Mémoires de Mlle de Montpensier, t. IV, p. 153.

[3] Anne de Gonzague de Clèves (1616-1684), mariée en 1645 à Édouard, prince Palatin et frère de Charles-Louis ; veuve en 1663.

[4] Lettre à Charles-Louis, septembre 1667.

[5] Publicationen aus den K. Preussischen Staats Archiven, t. XXVI (Leipzig, 4 vol. in-8°, Hirzel). La correspondance de Charles-Louis avec sa belle-sœur Anne est placée à la fin du volume, à la suite de sa correspondance avec la duchesse Sophie de Hanovre. Ce ne sont que des fragments, se rapportant au mariage de Liselotte. Les lettres sont écrites en français.

[6] La duchesse Sophie à Charles-Louis, lettres des 17 juin 1665 et 30 mai 1667.

[7] La France avait conclu en 1658 une alliance défensive avec les Électeurs ecclésiastiques, l'Électeur Palatin, la Bavière, les maisons de Brunswick et de Hesse, etc. Ce fut la Ligne du Rhin.

[8] Französische Geschichte, vol. IV. p. 322 et 323 de la traduction française de J.-J. Porchat.

[9] 3.000 thalers par mois. Cf. Haüsser, Geschichte der Reinischen Pfalz, t. II, p. 616.

[10] Lettre du 9 novembre 1710 à la raugrave Louise.

[11] Lettre du 3 avril 1710, à la raugrave.

[12] Charles-Louis à la Palatine, le 31 juillet 1671.

[13] Urbain Chevreau, né à Loudun en 1613, mort en 1701, passa une partie de sa vie à aller de cour en cour. Il a beaucoup écrit ; tous ses ouvrages sont oubliés.

[14] Lettres à Charles-Louis, du 18 lévrier 1671 et du 5 novembre 1670.

[15] Chevrœana.

[16] Archives nationales, K. 542, n° 9.

[17] Archives nationales, K. 542, n° 10.

[18] Cf. les Mémoires de Saint-Simon, éd. de Boislisle, t. VIII, p. 357, notes 1 et 2. Monsieur possédait d'autre part le Palais-Royal, Saint-Cloud et plusieurs autres maisons.

[19] 32.000 florins d'Allemagne, valant 64.000 livres. La quittance est aux Archives nationales, K. 542, n° 14.

[20] Lettre du 10 décembre 1701.

[21] Lettre à Charles-Louis, du 10 octobre 1671.

[22] Il s'appelait en réalité Carl-Ludwig, Charles-Louis. On en avait fait Carl Lutz pour le distinguer de son père.

[23] Chevrœana.

[24] Lettre du 14 avril 1715 à la raugrave Louise.

[25] Lettres du 5 février 1672 et du 24 février 1695.

[26] Lettre du 4 novembre 1671.

[27] D'après le nonce (Archives du Vatican, Nunziatura di Francia, t. 145, non folioté, dépêche du 20 novembre 1671). L'acte d'abjuration porte la date du 15 (Archives nationales, K, 542, n° 15).

[28] Lettre du 22 mai 1707, à l'Électrice Sophie.

[29] Dépêche du 4 décembre.

[30] D'après une copie conservée au British Museum. Voyez la préface de la correspondance de l'Électrice Sophie avec son frère, p. XVII. La lettre suivante est tirée du même volume, p. 470. Les deux lettres sont écrites en français.

[31] Correspondance de la duchesse Sophie et de Charles-Louis, p. 467.

[32] Mémoires, éd., de Boislisle, VIII, 348.

[33] On sait que les médecins concluent aujourd'hui, d'après le procès-verbal d'autopsie et les récits de la maladie, à la mort naturelle de la première Madame.

[34] Cf. les Mémoires de Daniel de Cosnac (Paris, 1852, 2 vol. in-8°).

[35] La guerre dite de Dévolution. Le beau-père de Louis XIV, Philippe IV d'Espagne, venait de mourir, et le roi en profitait pour réclamer au nom de sa femme certaines parties des Pays-Bas.

[36] Mémoires, édition de Boislisle, VIII, 333.

[37] Lettre de Mme de Sévigné du 15 août 1671.

[38] Dépêches du 23 octobre au 20 novembre 1671 (Archives du Vatican).

[39] Recueil des Gazettes, nouvelles ordinaires et extraordinaires, etc., n° 143, p. 1145 (Paris, 1672).

[40] Le château de Villers-Cotterêts appartenait à Monsieur. Il est situé au milieu d'une forêt, à huit lieues de Soissons.

[41] Mémoires de Mlle de Montpensier, édition Chéruel, IV, 310.

[42] Saint-Simon veut dire d'un garde-suisse.

[43] Malheureusement perdues, à ce qu'il semble.

[44] Briefwechsel der Herzogin Sophie von Hannover, etc., p. 471.

[45] Préface des lettres de Madame à l'Électrice Sophie, par M. Édouard Bodemann, p. II. M. Ed. Bodemann a emprunté presque textuellement ce passage à Haüsser, l'historien du Palatinat, vol. II, p. 716. En opposition à ces partis pris, il est juste de signaler, pour son impartialité et la justesse de ses jugements, une conférence sur Madame faite à l'Université de Heidelberg, le 19 mars 1805, par M. J. Wille, et publiée depuis en brochure (Heidelberg, Gustav Kœster).

[46] Lettre du 4 juin 1688, au raugrave Carl-Lutz (Publicationen aus den K. Preussischen Staatarchiven ; Briefe der Kurfürstin Sophie von Hannover an die Raugräfinnen und Raugrafeu zu Pfalz, éd. Bodemann, Hirzel, 1888, Leipzig).

[47] Lettre du 17 janvier 1697.

[48] Allusion à un interrogatoire, par le roi en personne, de l'un des complices présumés. Saint-Simon, Mémoires, édition de Boislisle, 378.

[49] Lettre du 13 juillet 1716, la raugrave Louise.

[50] Lettre du 3 décembre 1672.

[51] Philippe de Lorraine, né en 1643, fils d'Henri de Lorraine, comte d'Harcourt.

[52] Addition de Saint-Simon aux Mémoires de Dangeau, IX, 60.

[53] Mémoires de Mlle de Montpensier, IV, 168.

[54] Recueil des Gazettes, etc., n° 143, p. 1166-1168 (Paris, 1672).

[55] Archives du Vatican : dépêche du 11 décembre 1671.

[56] D'après Michielli, ambassadeur de Venise. Dépêches des ambassadeurs vénitiens. Bibl. nat., ms. ital. 1872, p. 115.

[57] Haüsser, II, 660.

[58] Archives nationales, K 542.

[59] Dépêches des ambassadeurs vénitiens. Bill. nat., ms. ital. 1872, p. 119.

[60] Lettre du 4 février 1672 à Mme de Harling, l'ancienne Mlle d'Uffeln, gouvernante de la princesse Liselotte.

[61] Dépêche du 5 février 1672. — Archives du Vatican.

[62] Mme de Sévigné. Lettre du 12 février 1672.

[63] Lettre du 28 juillet 1718 à M. de Harling.

[64] Nous rappelons que Mme de Harling avait été la gouvernante de Liselotte.

[65] Lettre du 27 décembre 1715.

[66] Lettres du 24 juillet 1721 à la raugrave Louise, du 16 janvier 1695 à l'Électrice Sophie.

[67] Du 16 avril 1721, à M. de Harling.

[68] Mémoires, éd. Chéruel, XIX, p. 85.

[69] Lettre du 12 octobre 1702, à la raugrave Amélise. Traduction E. Jaéglé.

[70] Charles-Maurice Le Tellier, fils de Michel Le Tellier et frère de Louvois. Il venait de mourir. — Lettre à l'Électrice Sophie, du 5 mars 1710. Le passage cité est presque tout entier en français dans l'original.

[71] Elisabeth-Charlotte d'Orléans, née le 13 septembre 1676, morte le 23 décembre 1744.

[72] La Cour s'enfuit de Paris dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649.

[73] Davantage quand Monsieur croyait avoir à se plaindre de son frère.

[74] Lettres du 23 décembre 1710 et du 20 septembre 1714.

[75] M. Geoffroy le croit de 1675. Cf. Mme de Maintenon d'après sa Correspondance authentique, t. I, p. 61-62 (Paris, 2 vol. in-18, 1887, Hachette).

[76] Lettre du 14 décembre 1676 ; traduction de M. A.-A. Rolland (Lettres de la princesse Palatine, 1 vol. in-18, Paris).

[77] Du 22 mai 1675, à la duchesse Sophie.

[78] Mme de Fiennes avait épousé par amour le comte des Chapelles, fils de la nourrice de la reine d'Angleterre, mais elle ne voulut pas porter son nom. Sa fille, Mlle de Fiennes, fut enlevée par le chevalier de Lorraine, et en eut un fils.

[79] Du 23 septembre 1677, à Mme de Harling.

[80] Léopold Ranke, Franzözische Geschichte, vol. VI, p. 4. L'édition de Stuttgart coupe presque tout le paragraphe.

[81] Lettre à la duchesse Sophie.

[82] Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes. Il est à noter qu'aucun de ces portraits, qui portent son nom, n'essaie de lui ressembler, si peu que ce soit. Tous ont des figures de fantaisie.

[83] Lettres du 3 juin 1706 et du 22 avril 1698, à la raugrave Louise.

[84] Lettre du 30 mars 1720, à la raugrave Louise.

[85] Lettres du 6 janvier et du 30 décembre 1662.

[86] Léopold Ranke, Histoire de France, trad. de J.-Jacques Porchat, t. VI, p. 144.

[87] Lettre à la duchesse Sophie.

[88] Lettre du 26 juillet 1675.

[89] A la duchesse Sophie.

[90] Du 30 mai 1676, à Mme de Harling.

[91] Sans date, à Mme de Harling.

[92] Dame d'honneur de Madame. Jeme était le maitre à danser français.

[93] A Charles-Louis, du 24 avril 1675.

[94] Du 22 mai 1675.

[95] Lettre du 30 décembre 1672.