LA FEMME GRECQUE

 

TOME DEUXIÈME

CHAPITRE V. — LES HÉROÏNES DE L'HISTOIRE.

 

 

Les femmes pendant les guerres de Messénie. — Les femmes des archontes et les complices de Cylon. — Guerre sacrée entreprise pour venger des femmes. — Phérétime, régente de Cyrène. — La sœur d'Harmodios. Léæna. — Télésilla. — Les Phocéennes. — Gorgo, femme de Léonidas. — La fille du plongeur. — Artémise. — Les Athéniennes pendant et après la seconde guerre médique. — La mère du roi Pausanias. — Phthia, reine des Molosses, et Thémistocle. — La femme de Thémistocle. — Aspasie. L'hermès d'Aspasie, découvert sur le rivage de Civita-Vecchia, et le portrait de Lais d'après une médaille corinthienne. Ovation faite à Périclès par les Athéniennes. Elpinice, sœur de Cimon. Oraison funèbre des guerriers tués dans la guerre du Péloponnèse, chef-d'œuvre attribué à Aspasie. — Argiléonis, mère de Brasidas. — L'hiérophantide Théano et Alcibiade. — Femmes spartiates devant l'invasion thébaine. — Thébé et Pélopidas. — Eurydice, mère de Philippe II. — Olympias. — Respect d'Alexandre pour la femme. Timoclée. Les princesses de la famille royale de Perse. Ada. — Roxane. — Cynna et sa fille Eurydice. Phila, fille d'Antipater. — La compagne de Phocion. Femme recueillant les ossements de ce général. — Cratésipolis, reine de Sicyone. — Lacédémoniennes devant l'invasion de Pyrrhus. Argienne tuant ce roi. — Cinq grands types de femmes spartiates : Chélonis, Agésistrate, Agiatis, Cratésicléa, la compagne de Pantéas.

 

Ainsi que nous le disions plus haut, les femmes d'Athènes nous sont apparues dans le théâtre d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide ; et la tragédie a complété pour nous l'esquisse de leur vie intime.

Suivons maintenant sur une autre scène, celle de l'histoire, les femmes grecques qui y jouèrent un rôle. Peu d'Athéniennes s'y montreront ; leur éducation, leurs habitudes, ne le permettaient pas. Nous rencontrerons surtout dans cette étude les Doriennes, les Éoliennes, et les femmes de la Grèce septentrionale.

Lorsque les Spartiates, imposant à leurs frères du Péloponnèse le régime oppressif sous lequel ils avaient écrasé les Laconiens, commencèrent leurs hostilités contre les Messéniens, l'un des prétextes de cette irruption fut la vengeance de leurs filles, outragées, disaient-ils, par ceux-ci ; mais leurs adversaires n'acceptaient pas cette version[1].

Pendant la lutte admirable, plus légendaire toutefois qu'historique, soutenue par les Messéniens contre les Spartiates, et où la victoire resta longtemps indécise, l'oracle de Delphes ordonna aux premiers de sacrifier aux dieux infernaux une vierge appartenant à la maison royale d'Épytos, et dont le choix serait réservé au sort. La victime désignée ayant été dérobée à cette immolation, un homme du sang royal, Aristodème, offrit sa propre enfant. Les moyens par lesquels le fiancé de celle-ci s'opposa à un semblable sacrifice, provoquèrent chez Aristodème une colère qui lui fit tuer sa fille. Présent à cette scène, le devin Épébolus déclara que ce meurtre n'ayant pas le caractère d'un acte religieux, une autre vierge devait être immolée. Irrités contre le malheureux fiancé dont l'intervention avait fait répandre inutilement un sang destiné à leur patrie, les Messéniens se jetèrent sur lui pour le faire périr ; mais le roi Euphaès, qui aimait beaucoup ce jeune homme, le sauva en assurant au peuple que, quelle que frit la manière dont l'oracle eût été accompli, les dieux avaient été satisfaits.

Ce dénouement calma les terreurs des princes que le sort avait menacés dans leur amour paternel[2].

A la mort du roi, le peuple désigna Aristodème pour lui succéder, bien que les devins se fussent opposés à ce que la puissance royale fût attribuée à un homme qui avait trempé ses mains dans le sang de sa fille. Malgré une victoire qu'il remporta sur les Spartiates dans la cinquième année de son règne, Aristodème ne tarda pas à s'apercevoir que le ciel n'avait pas agréé son sacrifice. Déjà effrayé par quelques prodiges, le roi eut un songe qui le découragea complètement. Il était armé et se disposait au combat. Sur une table placée devant lui, étaient les entrailles des victimes qu'on avait immolées avant la bataille. Sa fille apparut à ses regards. Elle était habillée de noir, et, montrait la plaie béante où s'était enfoncé le glaive paternel. Faisant tomber les offrandes qui étaient sur la table, elle désarma son père, mit une couronne d'or sur la tête de ce prince et le couvrit d'un vêtement blanc.... C'était le costume dont les Messéniens paraient les morts illustres.

Aristodème avait donné à ses compatriotes le meilleur de son existence. Pour eux, il avait répandu un sang qui était le sien. Il ne put supporter la pensée de survivre à un sacrifice devenu vain, et se donna la mort.sur le tombeau de sa fille[3].

Après une longue résistance, les Messéniens subirent le joug spartiate (723 av. J. C.) Ils furent durement traités. Quand mourait à Lacédémone, un roi ou un grand personnage, les Messéniens et les Messéniennes étaient obligés de se rendre dans cette ville, et d'assister aux funérailles de leurs maîtres[4]. Amère dérision de faire porter aux vaincus le deuil des vainqueurs !

Dans la trente-neuvième année qui suivit l'assujettissement des Messéniens, ils se révoltèrent. Aristomènes, leur jeune et vaillant général, les conduisit à la victoire ; et lorsqu'il revint de Sténycléros, les femmes, lui jetant des bandelettes et des fleurs, chantaient son exploit avec le même enthousiasme que les filles d'Israël célébraient le triomphe de David sur Goliath.

Poursuivant le cours de ses brillants succès, Aristomènes parvint à enlever les jeunes Lacédémoniennes qui formaient à Caryes leurs chœurs de danse en l'honneur de Diane. Le jeune général conduisit dans un bourg messénien, celles de ses prisonnières qui appartenaient à de riches ou de puissantes familles. Gardien sévère de leur honneur, il tua ceux de ses soldats qui, malgré ses avis, voulaient les outrager ; puis il les rendit à leurs parents en échange de fortes rançons[5].

Il ne réussit pas à s'emparer des femmes lacédémoniennes qu'une cérémonie religieuse avait rassemblées à Ægila, dans un temple de Cérès. Elles se défendirent courageusement avec : les instruments du sacrifice, et firent prisonnier celui qui avait voulu les enlever. Mais l'amour veillait sur lui. La prêtresse de Cérès, Archidamie, qu'une longue affection attirait à l'héroïque jeune homme, le rendit à la liberté. Accusée, elle se défendit en déclarant que, pour s'enfuir, Aristomènes avait mis le feu à ses liens[6].

Plus tard, le général dut encore son salut à une femme. Quelques Crétois s'étant saisis de lui dans une embuscade, firent annoncer leur capture aux Spartiates par deux d'entre eux, et emmenèrent le général dans une métairie messénienne qu'habitaient une veuve et sa fille. Celle-ci avait eu, la Unit précédente, un songe bizarre. Elle avait rêvé que des loups conduisaient chez elle un lion enchaîné et qui avait perdu ses ongles. Par elle, le fier animal avait vu tomber ses liens ; par elle, il avait retrouvé ses puissants moyens de défense. Délivré, il avait déchiré les loups.

L'arrivée du captif, le nom qu'il portait et que lui révéla sa mère, firent comprendre à la jeune fille le sens de son rêve. Suivant les conseils d'Aristomènes, elle enivre les Crétois, et lorsqu'ils se sont endormis, elle prend le poignard de celui que le vin a le plus appesanti, s'en sert pour couper les liens du captif ; et la même arme, passant dans la main d'Aristomènes, ôte la vie aux gardiens du général.

Le héros reconnaissant maria à son jeune fils, sa courageuse libératrice[7].

Les Lacédémoniens ressaisissent enfin la victoire sous l'influence de Tyrtée, le poète dont les hymnes pleins d'une belliqueuse ardeur, les excitent à mourir glorieusement plutôt que de traîner dans l'exil leurs mères, leurs pères, leurs épouses et leurs enfants ; et à se parer de cette beauté guerrière qui exalte jusqu'à l'amour le cœur de la femme.

Pendant la première campagne de Messénie, c'est sur le mont Ithôme que les sujets d'Aristodème ont concentré leur dernière résistance. C'est encore sur une montagne, l'Ira, que les Messéniens d'Aristomènes voient le dernier jour de leur existence nationale.

La trahison a livré aux Spartiates l'entrée de la citadelle d'Ira ; les Messéniens défendent encore la ville. Quel spectacle saisissant offre la montagne ! Pendant que les assiégés combattent avec la double énergie du courage et du désespoir, les Messéniennes bravant une pluie torrentielle, la sinistre lueur des éclairs, les éclats de la foudre, les Messéniennes sont montées sur les toits de leurs demeures, et lancent des tuiles aux assaillants ; d'autres se sont armées, et, selon la noble expression de Pausanias, témoignent qu'elles aiment mieux succomber avec leur patrie que de subir l'esclavage sur la terre étrangère. Elles se soutiennent jusqu'à la fin de la troisième nuit. Alors la fatigue les a vaincues.... Aristomènes les place avec leurs enfants au milieu de son bataillon ; il fait signe aux Spartiates que la garnison demande à se retirer ; et les ennemis, frappés du furieux désespoir des vaincus, n'osent braver cette frénésie : ils laissent passer l'héroïque phalange qui se retire parmi les Arcadiens. (668 av. J. C.)

L'esclavage, et quel esclavage que celui des Dilates ! attendait les autres habitants de la Messénie.

Aristomènes vaincu se trouvait à Delphes quand un roi de l'île de Rhodes, cherchant une compagne, désira qu'Apollon le guidât dans cette poursuite. La Pythie lui ayant conseillé d'épouser la fille du plus vaillant des Grecs, il pensa à Aristomènes et devint le gendre du héros. Le général messénien conduisit la jeune reine dans l'île de Rhodes. Il y mourut[8].

Dans le siècle où les Doriennes de la Messénie déployèrent tant de patriotique courage, les Athéniennes passent silencieusement dans l'histoire, non sans y laisser la trace de l'influence miséricordieuse qui doit s'attacher à la femme. Les conjurés qui ont aidé Cylon dans sa coupable et vaine tentative contre la liberté d'Athènes, sont indignement massacrés ; mais quelques-uns d'entre eux, allant aux femmes des archontes, se jettent à leurs pieds, et les suppliants sont sauvés[9]. (612 av. J. C.)

Plusieurs années après, les habitants de Cirrha enlèvent une Phocéenne et des Argiennes qui revenaient du temple d'Apollon, et les Delphiens entreprennent pour venger ce rapt, la première guerre sacrée[10]. (595 av. J. C.)

Éloignons-nous momentanément de la Grèce continentale pour voir se développer dans une colonie dorienne, un remarquable type de femme.

Phérétime avait épousé un roi de Cyrène, Battus III, fils d'Arcésilaüs II et d'Éryxo, femme qui joignait à l'énergie du caractère, la bonté du cœur, mais qui malheureusement, pour venger son mari et pour défendre la couronne de son enfant, avait fait assassiner le meurtrier du feu roi[11].

Sous le règne de Battus, les prérogatives royales furent restreintes aux attributions sacerdotales, et la direction des affaires publiques fut dévolue à la nation. Le fils et le successeur de ce prince, Arcésilaüs III[12], dont le caractère impérieux reflétait celui de sa mère Phérétime, prétendit ressaisir le pouvoir absolu de ses aïeux. A la suite d'une infructueuse tentative, il dut fuir ; et tandis qu'il se retirait à Samos, Phérétime, se rendant chez Évelthon, roi de Salamine de Chypre, supplia ce prince de lui donner une armée qui pût la ramener ainsi que son fils, dans son ancien royaume. Évelthon lui témoignait son désir de lui être agréable, mais ne pouvait lui accorder la seule grâce qu'elle sollicitât. Fatigué enfin de ses obsessions, il lui donna un fuseau d'or avec une quenouille de même métal, chargée de laine. L'exilée remerciant Evelthon en disant comme d'habitude qu'une armée serait à ses yeux le don le plus précieux, le roi lui répondit que les présents qui convenaient aux femmes, étaient les objets qu'il lui avait offerts, et non des troupes.

Arcésilaüs revint néanmoins dans sa patrie ; mais ayant oublié la clémence que lui avait recommandée la Pythie, il redouta le châtiment qui devait suivre la violation de ce conseil, et, se retirant à Barcé, auprès de son beau-père, il laissa à sa mère le gouvernement de Cyrène. C'était même en présence de la régente que le sénat délibérait.

Phérétime apprit à Cyrène qu'Arcésilaüs avait été tué ainsi que son hôte par les habitants de Barcé.

Elle s'enfuit sur la terre des Pharaons ; et son fils ayant naguère soumis Cyrène à Cambyse, alors maître de l'Égypte, elle implora le secours d'Aryandès, satrape de ce pays. Aryandès consentit à la venger, et entreprit contre Barcé une expédition dont le véritable motif était de conquérir la Libye.

La reine déchue accompagnait l'armée. Barcé fut prise ; et les Perses livrèrent ses habitants à Phérétime. La mère d'Arcésilaüs fit empaler autour des murs ceux qui avaient eu la plus grande part au meurtre de son fils ; et par un raffinement de cruauté, elle ordonna que les seins de leurs femmes fussent coupés, et que ces sanglantes dépouilles fussent attachées près d'eux.

Phérétime fit saccager Barcé. Elle n'excepta de ce pillage que la famille royale, ainsi que les habitants qui n'avaient pas contribué à la mort de son fils.

La barbare princesse expia par une mort affreuse les crimes dois elle s'était chargée. Les vers la rongèrent vivante. Hérodote voit dans cette fin le juste châtiment de la divinité[13].

Ainsi disparut cette femme qui, reine d'un pays corrompu par l'influence orientale, fit servir l'énergie d'une Dorienne au sanguinaire despotisme d'une sultane[14].

Une contemporaine de Phérétime, une habitante d'Athènes, montra un courage digne d'une Dorienne ; seulement ce ne fut pas, comme la reine de Cyrène, en persécutant les hommes ; ce fut en souffrant pour eux.

Une jeune fille, sœur d'Harmodios, citoyen d'Athènes, s'étant rendue à une fête pour y remplir les nobles et gracieuses fonctions de canéphore, en fut ignominieusement renvoyée. L'auteur de cet affront était Hipparque, frère du tyran d'Athènes[15], Hippias, et le fils de Pisistrate satisfaisait ainsi sa colère contre Harmodios.

Le respect qu'avaient les Athéniens pour le foyer domestique, la réclusion où ils retenaient les jeunes filles et qui était seulement interrompue par les fêtes religieuses, rendaient plus cruelle encore l'humiliation infligée à la sœur d'Harmodios. Outragé dans son amour fraternel. et dans son honneur, Harmodios, secondé par son ami Aristogiton, ourdit un complot contre la vie d'Hipparque et celle du tyran lui-même. C'était là un de ces crimes politiques envers lesquels les lois antiques se montraient indulgentes, et que flétrit justement la plus pure expression de la morale humaine : la morale chrétienne.

Hipparque tomba sous les coups de ses ennemis ; mais Hippias n'ayant pas été frappé par eux, garda un pouvoir qui lui permit de venger son frère. Déjà Harmodios avait été tué par des Athéniens : Aristogiton et ses complices demeurèrent seuls pour assouvir la fureur d'Hippias, souverain jusqu'alors aussi modéré qu'éclairé[16].

Une femme que son talent sur la lyre avait admise dans l'intimité des deux principaux conjurés, et qui était surtout l'amie d'Aristogiton, Léæna, fut mise à la torture. Craignant que la souffrance ne lui arrachât une parole qui compromît l'un de ses complices, elle coupa sa langue avec ses dents et la jeta au visage de son persécuteur. Quand les Athéniens eurent brisé le joug du tyran, ils consacrèrent à Léæna une statue sur l'Acropole. Mais ce ne fut pas sous ses traits qu'ils la représentèrent : Léæna était une courtisane ; et quel qu'eût été l'héroïsme de sa mort, le souvenir de sa vie eût souillé le sanctuaire des dieux et des grands hommes d'Athènes, ce sanctuaire plus pur que le temple delphique où s'éleva la statue de Phryné ! Le monument qui fut élevé à Léæna, rappelait son nom et immortalisait son courage c'était une lionne, léæna, une lionne sans langue[17].

Le supplice de Léæna eut lieu en 514. Cette même année, une femme déploya le caractère dorien dans toute sa pureté. Télésilia poétesse ne peut nous occuper maintenant ; mais Télésilla guerrière appartient à l'histoire.

Les Spartiates marchent sur Argos qu'ils ont privée de ses défenseurs. La poétesse Télésilla fait monter sur les murs les vieillards, les enfants, les esclaves. Ayant, joint à toutes les armes qui restent dans les maisons, celles qui se trouvent dans les temples, elle en munit les femmes auxquelles leur âge permet de supporter les fatigues et les dangers d'un combat, et place ses compagnes en ordre de bataille, au lieu où elle attend

Conduits parleurs deux rois, les Spartiates se présentent et jettent le cri de guerre. Sans se laisser intimider par cette redoutable clameur, les femmes résistent à l'attaque des ennemis, et ceux-ci jugeant qu'il leur serait en celte circonstance, aussi déshonorant d'être victorieux que vaincus, laissent leurs fières adversaires maîtresses du champ de bataille[18].

Devant le temple de Vénus, les Argiens élevèrent un cippe décoré d'un bas-relief où Télésilla ayant ses livres à ses pieds, se disposait à mettre son casque sur sa tête[19]. A fin de délivrer sa patrie, elle avait quitté les sereines régions de la pensée pour les luttes généreuses de l'action.

Les Éoliennes de la Phocide sont dignes de figurer auprès des Doriennes d'Argos.

Avant l'invasion médique, les Phocéens ayant secoué le joug des Thessaliens, voient leur territoire envahi Par ces derniers.

La mort pour eux, l'esclavage pour leurs femmes et pour leurs enfants, c'est là ce que leur ont promis leurs oppresseurs. Le Phocéen Daïphantus propose à ses compatriotes d'aller chercher eux-mêmes le combat, mais de réunir avant leur départ leurs femmes et leurs enfants, et de les entourer d'un bûcher auquel des gardes mettront le feu si les Thessaliens sont vainqueurs.

Les Phocéens adoptent ce projet ; mais l'un d'eux fait observer qu'il est juste de le soumettre aux femmes, et d'y renoncer si elles le repoussent.

Dans une assemblée qu'elles tiennent entre elles, les Phocéennes acceptent le sacrifice qui leur est demandé. Elles font plus encore. Elles se rendent immédiatement auprès de Daïphantus, et couronnent le citoyen qui sauvegarde au prix de leur vie, l'honneur de leur foyer et la fierté de leur race.

Le décret que rendirent à cette occasion les anciens sujets des Thessaliens, fut nommé par les Grecs le Désespoir ; et depuis, toute résolution extrême porta parmi eux le nom de désespoir phocéen.

Les Phocéens livrent la bataille. Comment n'y déploieraient-ils pas une bouillante ardeur ? Ces époux,

ces pères, ces frères, ne voient-ils pas dans leur imagination, le bûcher qui s'embrasera après leur défaite pour consumer les objets de leur amour ? Ils doivent être vainqueurs.... Ils le sont[20].

Les querelles des peuples grecs entre eux, vont faire place à la grande lutte des Hellènes et des Perses.

La révolte d'Aristagoras, tyran de Milet, contre son satrape, précipita le choc inévitable dans lequel devaient se heurter un monde ancien aspirant à étendre encore sa puissance séculaire, et un monde nouveau, ivre de liberté, avide de gloire, et brûlant de déployer la force de sa jeunesse.

Ce fut d'abord à Lacédémone qu'Aristagoras demander du secours. Cléomène, l'un des deux rois spartiates qui avaient reculé devant Télésilla, refusa son aide au rebelle. Tentant une dernière démarche, l'ionien se présente comme un suppliant chez ce souverain. Auprès de Cléomène est sa fille Gorgo, âgée de huit à neuf ans. Aristagoras veut éloigner l'enfant ; mais le roi la retient. Le tyran de Milet, essayant d'attirer Cléomène à sa cause par l'appât du gain, lui offre une somme que son hôte refuse, et qu'Aristagoras augmente successivement jusqu'au quintuple. L'or ionien et la fière pauvreté spartiate sont en présence.... Celle-ci fléchirait-elle ? Gorgo en a la crainte ; et l'enfant avertit son père que s'il ne se retire pas, l'étranger le corrompra.

Reconnaissant avec bonheur dans cette voix innocente, l'accent même de la vertu, Cléomène suit le conseil de sa fille[21].

Aristagoras n'eut pas besoin de recourir à des offres d'argent pour faire accueillir sa demande par les Athéniens. Le secours qu'ils lui accordèrent, alluma en Darius le courroux qui excita le grand roi à faire envahir la Perse par l'armée que les Athéniens vainquirent à Marathon[22].

Quand le successeur de Darius entreprit la seconde guerre médique, les Hellènes durent la connaissance de ses desseins à la perspicacité de Gorgo, mariée alors au roi Léonidas. Démarate, souverain que les Spartiates avaient déposé et qui s'était réfugié chez les Perses, écrivit de Suse à ses concitoyens que Xerxès allait marcher sur la Grèce. Afin de n'être pas découvert, l'exilé enduisit son message d'une couche de cire, et l'envoya ainsi à Lacédémone. Les Spartiates ne comprirent pas ce stratagème ; mais Gorgo le devina, et la jeune femme, conseillant aux Lacédémoniens d'enlever la cire qui cachait la lettre qu'ils avaient reçue, leur permit ainsi de faire connaître à la Grèce le péril qui la menaçait[23].

Gorgo vit alors partir Léonidas avec les trois cents Spartiates qui allaient mourir aux Thermopyles en essayant de fermer à l'immense armée perse, le chemin de la Grèce. Avant de quitter Lacédémone, Léonidas et ses compagnons d'armes célébrèrent devant leurs familles les jeux funèbres qui, chez Homère déjà, solennisaient les obsèques des héros. La jeune reine se sentant peut-être déjà veuve, pria Léonidas de lui dire ses dernières volontés. Il lui répondit d'épouser un homme de bien, et d'avoir des enfants semblables à leur père[24] (480 av. J. C.).

Nous ne savons si Gorgo fut plus fidèle à la mémoire de son mari qu'au testament de celui-ci ; et si elle jugea qu'après avoir été la femme de Léonidas, elle pouvait le remplacer par un homme digne de ce héros.

Elle perdit son jeune fils peu de temps après son époux[25]. Nul doute que si l'enfant eût vécu, il n'eût été formé aux rudes vertus spartiates par la femme qui dédaigna de bonne heure la fortune et la mollesse[26], et qui, entendant une étrangère lui dire : Vous autres Lacédémoniennes, vous êtes les seules femmes qui commandiez aux hommes[27], répondit : C'est que nous sommes les seules qui mettions au monde des hommes[28].

En était-elle cependant bien sûre ? Beaucoup de Lacédémoniennes avaient-elles le droit de parler ainsi ? L'homme tout entier, l'homme dans le complet développement de ses idées et de ses sentiments, le trouverons-nous souvent à Sparte ? Son cœur y bat-il souvent sous la cuirasse du soldat ? La ville de Lycurgue ne nous offre-t-elle pas surtout le type du guerrier ?

Avant que Xerxès eût franchi les Thermopiles sur les cadavres des Lacédémoniens, sa flotte avait essuyé un grand désastre. Près du mont Pélion, une violente tempête s'était déchaînée[29]. Alors un homme et une femme, s'enfonçant dans la mer orageuse, coupèrent les ancres et les câbles qui retenaient au rivage les vaisseaux perses : c'était le plongeur Scyllis de Sicyone et sa fille Cyané qu'il avait instruite dans son art. Tout point d'appui manquant désormais aux navires, ceux-ci furent livrés aux fureurs de la tempête, et un grand nombre d'entre eux se brisèrent dans cette tourmente.

Les Amphictyons consacrèrent dans le temple de Delphes les statues de Scyllis et de Cyané, le père et la fille qui, par leur présence d'esprit et par leur intrépidité, avaient diminué la force de cette armée navale destinée à la défaite de Salamine[30].

Dans la flotte perse, on remarquait la Dorienne Artémise, reine de Carie[31]. Cette princesse qui exerçait la régence pour son fils, avait voulu se Mettre elle-même à la tête des troupes navales qu'elle devait fournir à Xerxès. Elle commandait cinq vaisseaux qui étaient les meilleurs de l'armée après les navires sidoniens.

Artémise jouissait d'une grande considération auprès de Xerxès. Loin de s'irriter lorsque, après la prise d'Athènes, elle lui déconseilla de combattre sur mer ces Grecs que la Dorienne jugeait aussi supérieurs aux Asiatiques que les hommes le sont aux femmes, Xerxès n'en estima que davantage la reine de Carie, bien qu'il n'adoptât pas son opinion[32].

Le désastre de Salamine prouva au grand roi l'excellence du conseil que lui avait donné Artémise.

Pendant la mêlée, la galère que montait la princesse dorienne, fut poursuivie par un vaisseau athénien commandé par Aminias de Pallène. Dans ce pressant danger, Artémise s'apercevant qu'elle est placée entre un vaisseau allié et un vaisseau ennemi, attaque le premier et le coule à fond. Croyant que la galère qu'il poursuivait, a passé aux Grecs, Aminias se retire.... S'il avait su que c'était Artémise qui lui échappait, quelle ardeur n'eût-il pas déployée contre une reine dont la capture avait été mise à prix par les Athéniens, irrités de ce qu'une femme osât les combattre[33] ! Les Spartiates n'avaient certainement pas éprouvé ce sentiment d'humiliation, eux qui honorèrent le courage féminin dans cette brillante ennemie, d'ailleurs issue de leur race : parmi les personnages représentés sur le portique des Perses, à Lacédémone, se trouvait Artémise[34].

Le vaisseau qui avait été, perdu par la guerrière, était celui de Damasithyme, roi des Calyndiens. Hérodote ne sait si quelque inimitié personnelle n'encouragea pas Artémise à sauver sa vie aux dépens de celle d'un allié.... Etait-ce bien la femme qui se vengeait ? N'était-ce pas plutôt la Dorienne qui se réveillait pour aider au triomphe de la cause hellénique ?

Quoi qu'il en soit, l'action d'Artémise fut aussi habile que déloyale. Non-seulement la reine échappa ainsi aux Grecs ; mais pendant que Xerxès, assis sur un trône d'or, contemplait du rivage le combat naval[35], on lui fit remarquer la hardiesse avec laquelle Artémise coulait un navire que l'on croyait grec.... Le roi déclara que dans cette bataille, les hommes s'étaient conduits comme des femmes, et les femmes comme des hommes[36] (480 av. J. C.).

Ayant éprouvé la sûreté des avis qu'il avait reçus d'Artémise, Xerxès consulta la souveraine après la bataille de Salamine. Elle engagea le roi à écouter une proposition de Mardonius ; c'est-à-dire, à rentrer en Perse, et à laisser en Grèce une armée avec laquelle ce capitaine continuerait la guerre. Par cette combinaison, Xerxès, à l'abri dans ses États, ne pourrait que gagner à la victoire de son général, et la défaite de ce dernier serait moins humiliante pour la Perse que ne le serait celle du roi.

Xerxès loua la sagesse d'Artémise, et accueillit le projet que lui recommandait cette princesse, aussi prudente au sein du conseil qu'impétueuse dans le combat[37].

Rendus à leur patrie par la victoire de Salamine, les Athéniens ont perdu une seconde fois leur cité prise par Mardonius, et se sont réfugiés dans la même île qui fut témoin de leur triomphe. Le sénateur Lycidas, ayant essayé de faire écouter aux Athéniens les propositions d'alliance que leur adresse Mardonius, ils le lapident ; et leurs femmes, instruites de cet événement, s'excitent les unes les autres à infliger le même supplice à la femme et aux enfants de Lycidas, l'homme qui a osé conseiller l'alliance de ce peuple barbare dont l'irruption les a, deux fois déjà, arrachées à leurs foyers[38].

Nous aimons mieux voir les Athéniennes aider à la reconstruction de leurs murailles, après le triomphe de la Grèce[39]. Nous nous plaisons à croire que beaucoup d'entre elles se refusèrent à faire périr une femme et des enfants. Un acte aussi féroce et contre lequel protestait la douceur de leurs mœurs, serait digne de ces dures Lacédémoniennes parmi lesquelles figure plus tard la mère du roi Pausanias.

Accusé d'avoir trahi sa patrie pour le roi de Perse, Pausanias s'est réfugié dans le temple de Minerve Chalcicecos. Arrêtés par la double majesté du roi et du suppliant, les Spartiates hésitent à punir le traître..,. Alors, dit-on, la vieille mère de Pausanias se présente. Elle pose en silence une pierre devant la porte du temple et se retire. Les Spartiates l'imitent ; et ainsi se trouve murée la porte du temple où le roi mourra de faim[40] (467 av. J. C.).

Bien qu'innocent, Thémistocle, le vainqueur de Salamine, fut-compromis dans la conspiration de Pausanias.

Fuyant la colère de ses ennemis et la haine des Spartiates, le général athénien cherche un refuge auprès d'un homme dont il a souvent contrarié les intérêts, Admète, roi des Molosses. D'après une tradition, le prince étant absent, le proscrit s'adresse à Phthia, épouse d'Admète. La reine accueille la prière du suppliant, et lui indique la manière la plus sacrée et la plus infaillible d'obtenir l'hospitalité d'un Molosse. Elle-même fait agenouiller Thémistocle près du foyer ; elle-même dépose entre ses bras l'enfant qu'elle a donné au roi. Et lorsque, dans cette attitude, le vainqueur de Salamine s'offre à la vue d'Admète et en appelle à sa magnanimité, la tendresse du père et l'honneur de l'homme ne laissent aucune place aux ressentiments et aux craintes du souverain. Admète fait lever son adversaire humilié ; et résistant à la pression des Athéniens et des Spartiates, il facilite le départ de Thémistocle pour la Perse[41].

Il devait être sauvé par une femme, l'homme d'État qui reconnaissait si gaiement autrefois l'influence que sa compagne exerçait sur lui. Confessant que son fils était le plus puissant des Grecs, il ajoutait : Car les Athéniens commandent aux Grecs, je commande aux Athéniens, sa mère me gouverne, et il gouverne sa mère[42].

Cet aveu nous touche particulièrement chez l'un de ces Athéniens que nous ne voyons guère livrés à l'influence du foyer. Comme nous le 'rappelions plus haut, c'étaient d'ordinaire les courtisanes qui les dominaient.

La plus célèbre de ces hétaïres fut élevée au rang d'épouse par le plus grand homme de son temps : Aspasie fut la femme de Périclès. On ne saurait, du reste, ranger parmi les courtisanes vulgaires cette femme qui devait surtout son empire à l'élévation de son esprit. Pour éviter une semblable confusion, il suffit de comparer son portrait avec celui de Laïs[43]. Une médaille de Corinthe donne à cette dernière une figure plutôt irrégulière que jolie, un regard vif, des lèvres rieuses qui viennent de lancer l'épigramme. Aspasie dont le buste est représenté en hermès[44], honneur réservé aux grands hommes, nous fait admirer une beauté accentuée dont le caractère grave et recueilli respire l'intelligence et rappelle Minerve.

La maison d'Aspasie réunissait les hommes les plus illustres. Cette étrangère, cette courtisane, voit venir à elle des Athéniens qui lui amènent leurs chastes et respectables épouses afin que celles-ci reçoivent en l'écoutant, les attraits intellectuels qui leur manquent. Initiée par Socrate à la philosophie, Aspasie lui enseigne la rhétorique, art qu'elle développe et perfectionne par ses recherches. Elle se fait aimer de Périclès, non-seulement par son instruction, mais par des connaissances politiques que peut apprécier l'homme d'État ; et l'on a pu se demander si son éloquence ne contribua point à fortifier le génie oratoire de celui-ci[45].

Aspasie inspira à Périclès une passion telle, que, pour s'unir à elle, il se sépara de l'épouse qui lui avait donné deux fils, mais qui d'ailleurs consentit facilement à ce divorce. Le temps n'altéra pas l'amour de Périclès. L'illustre Athénien ne quittait jamais sa maison, il n'y rentrait jamais, sans embrasser sa compagne. Enfin quand une accusation d'impiété et d'immoralité menaça la vie d'Aspasie, Périclès, cet homme si fier et d'ailleurs si maître de lui-même, laissa couler devant les juges des pleurs qui sauvèrent sa femme[46].

L'influence d'Aspasie sur son époux ne fut pas toujours jugée salutaire à la Grèce. Ce fut, dit-on, pour plaire à la belle Milésienne que Périclès entreprit l'expédition de Samos[47], à la suite de laquelle il prononça l'oraison funèbre des guerriers qui y avaient péri. Lorsqu'il quitta la tribune, les Athéniennes allèrent l'embrasser et le couronner. Une seule fit entendre une voix sévère au milieu de cette ovation enthousiaste : c'était Elpinice, fille de Miltiade, sœur de Cimon, et qui se souvenait probablement plus du tort que Périclès avait fait à son frère que de la bienveillance qu'en faveur d'elle, il avait deux fois témoignée à celui-ci. Elpinice reprocha à Périclès d'avoir versé le sang des Athéniens, non comme Cimon, pour combattre l'étranger, mais pour attaquer une cité fille et alliée d'Athènes[48].

Pourquoi, au lieu de citer ce frère né d'une autre mère qu'elle, Elpinice ne nommait-elle pas plutôt son père, le vainqueur de Marathon ? Ne serait-ce point parce que, naguère mariée secrètement à Cimon[49], cette femme cependant légère n'avait pu oublier qu'elle l'avait aimé au point de lui sacrifier sa tendresse même en le quittant malgré lui, pour épouser l'homme qui devait le sauver à ce prix[50] ?

On attribua encore à l'ascendant d'Aspasie sur Périclès la guerre du Péloponnèse[51] ; mais la véritable cause en était la rivalité de Lacédémone et d'Athènes. Au début des hostilités, les Thébains, alliés des Spartiates, prirent la fidèle amie d'Athènes, Platée. Les femmes de cette dernière ville, jetant des tuiles aux assaillants, aidèrent à les repousser[52].

Aux obsèques des Athéniens qui tombèrent les premiers dans cette guerre, l'honneur de prononcer l'oraison funèbre des victimes échut encore à Périclès, et ce discours d'une inimitable grandeur, fut, d'après Platon, l'œuvre même d'Aspasie.

Thucydide a reproduit ce panégyrique[53]. L'éloge des guerriers qui sont tombés pour Athènes, est dominé par celui de leur patrie, cette patrie qui leur a donné le sentiment de l'égalité, l'amour de la liberté, le respect de la loi, l'élan du courage, le culte du beau, la saine habitude du travail ; cette patrie qui leur a transmis son héritage de puissance et de gloire. A la pensée qu'elle pouvait leur être ravie, ils ont été transportés d'une généreuse indignation, ils ont donné leur vie pour la défendre ; et tous ceux qui leur survivent brûlent de souffrir pour elle[54].

En exaltant son pays, l'orateur a célébré en grande partie la gloire des citoyens qu'Athènes regrette. La mort a mis au grand jour leur valeur : elle a commencé par la faire connaître, et a fini par l'immortaliser[55]. Que ceux qui sont restés debout se consacrent à la cause nationale ; qu'ils en acceptent les féconds sacrifices ! Qu'ils se souviennent que la patrie doit sa grandeur à l'abnégation des héros qui se sont immolés pour elle ! Leur tombe n'est pas le lieu où ils ont éte ensevelis, c'est l'univers entier où leurs noms et leurs exemples vivront à jamais dans la mémoire et dans le courage des hommes.

Périclès console enfin les familles des nouvelles victimes. Est-ce lui, est-ce Aspasie, qui donne cet avis aux veuves : Vous contenir dans les devoirs prescrits à votre sexe, telle est votre plus grande gloire : elle appartient à celle dont les vices ou les vertus font le moins de bruit parmi les hommes ?[56]

En écrivant ces dernières lignes, Aspasie avait-elle compris que si, par l'étendue de son savoir et par l'éloquence de sa parole, elle captivait l'admiration, elle n'obtiendrait jamais l'estime due à ces humbles vertus domestiques que le génie ne saurait suppléer chez la femme, mais dont il devrait toujours être accompagné ?

Nous avons rappelé l'oraison funèbre des premiers guerriers athéniens qui furent tués dans la grande lutte, dont la responsabilité pesa sur Aspasie. Quelques années après, Sparte eut à regretter son meilleur général. Brasillas ayant glorieusement perdu la vie devant Amphipolis (422 av. J. C.), des hommes de ce pays annoncèrent à ses concitoyens sa victoire et son trépas. Argiléonis, sa mère, leur demande si sa mort a été digne de sa patrie, et les messagers répondent que Lacédémone n'a pas de fils aussi vaillants que lui. Ils ont cru flatter l'orgueil de la mère : ils ont blessé le patriotisme de la Spartiate. Que dites-vous là ? réplique Argiléonis. Brasidas était un homme de cœur ; mais Lacédémone a bien d'autres citoyens plus braves que lui[57].

Cette réponse valut à Argiléonis des honneurs publics que lui décernèrent les éphores[58].

Pendant la guerre, les Athéniens se privent de leur brillant et valeureux défenseur. Accusé d'avoir profané les mystères, Alcibiade n'échappe à la mort que par la fuite. Un soir, les prêtres et les prêtresses d'Éleusis doivent maudire le sacrilège en se tournant vers l'occident et en secouant leurs robes de pourpre. L'hiérophantide Théano refuse de prononcer les imprécations, et dans une réponse qui décèle la douceur de son sexe d la charité d'une âme religieuse, elle déclare qu'elle est prêtresse non pour maudire, mais pour bénir[59]. N'est-ce pas surtout devant de telles paroles qu'on sent que partout et toujours le Verbe a parlé dans l'humanité ? C'était sur les lèvres d'une Athénienne que devait vibrer la voix de la miséricorde, cette voix que les femmes spartiates ne nous ont pas fait entendre encore.

L'an 369 avant J. C., le fier courage des Lacédémoniennes se démentit lors de l'invasion thébaine. C'était, du reste, la première fois que Sparte voyait l'ennemi à ses portes. L'émotion des Lacédémoniennes troubla plus leurs concitoyens que l'approche même des envahisseurs[60].

Thèbes avait alors en Grèce la prépondérance que jusqu'alors s'étaient disputée Sparte et Athènes. Ce fut sous la protection de cet État que se mirent les cités thessaliennes dont Alexandre de Phères menaçait l'autonomie.

Par la trahison, Alexandre de Phères s'empara de Pélopidas, l'ambassadeur que lui envoyaient les Thébains pour lui faire respecter la liberté de ces villes. De sa prison, le héros bravait son persécuteur, et faisait espérer la prochaine punition d'Alexandre aux habitants de Phères qui venaient le consoler lui-même. Le roi ne permit plus que personne du dehors approchât le captif. Néanmoins la femme même du tyran, Thébé, qui avait entendu citer la fière attitude de Pélopidas, se rendit auprès de lui. En voyant l'état auquel était réduit l'homme qui avait reçu les enivrants sourires de la gloire, elle le crut affligé, et la noble femme pleura.

Devant cette douce apparition de la pitié sous une forme féminine, le prisonnier s'étonnait. Il ne tarda pas à savoir que les larmes versées sur son sort, étaient répandues par l'épouse même de son ennemi.

Le général avait été lié avec le père de Thébé, le prédécesseur de son mari. Aussi ne fut-ce pas comme la femme d'Alexandre qu'il la salua ; ce fut comme la fille de Jason.

La reine pensa que dans Thèbes vivait la compagne de Pélopidas ; et, devant le prisonnier, elle la plaignit ! Le général lui répondit qu'il plaignait plus encore la femme qui, n'étant pas esclave, tolérait un homme tel qu'Alexandre. Cette parole remua tous les sentiments de colère et de douleur qu'avait amassés dans le cœur de Thébé, la cruauté d'un tyran qui, pour se distraire, massacrait les hommes ou les faisait enterrer vivants. La fille de Jason retourna souvent auprès de Pélopidas. Elle lui confiait ses chagrins, et le héros alimentait en elle la haine de la tyrannie et le besoin de la vengeance.

Délivré par Épaminondas ; le général thébain battit Alexandre de Phères à Cynocéphales.

Pélopidas fut tué dans le combat ; mais sa mort, aussi bien que sa victoire, fut le salut de ces Thessaliens que Thèbes délivra, complètement pour le venger. Ce triomphe posthume était digne de l'homme qui, dans sa jeunesse, avait exposé sa vie pour arracher sa patrie à la tyrannie de l'intérieur et au joug étranger ; et qui, en secourant les Thessaliens, était fier de prouver que tandis qu'Athènes et Sparte flattaient les oppresseurs, Thèbes seule se voulait à la défense des opprimés.

L'esprit de Pélopidas n'avait pas disparu de la terre ; il animait encore la femme d'Alexandre. Thébé ourdit un complot avec ses trois frères.

Des gardes remplissaient le palais pendant la nuit ; et la chambre haute où couchait le tyran, était gardée par un chien enchaîné qui ne connaissait que ses maîtres et un esclave.

Un soir, Thébé entra, comme d'habitude, dans cette chambre. Son mari dormait. La reine commanda à l'esclave de faire sortir le chien, parce que, disait-elle, Alexandre voulait que rien ne troublât son sommeil.

Dès le matin, Thébé avait placé ses frères dans une pièce voisine. Afin que les jeunes gens ne fussent pas trahis par le bruit de leurs pas, elle avait tapissé de laine les degrés de l'échelle qui conduisait à l'appartement royal.

La reine fait monter les conjurés. Armés de poignards, ceux-ci arrivent à la porte de la chambre ; ils y restent. Thébé rentre chez son époux. Détachant du chevet d'Alexandre l'épée qui y est suspendue, elle montre cette arme à ses frères.... C'est le signal qui apprend aux meurtriers que leur victime dort toujours.... Mais les jeunes gens n'avancent pas. Au moment de tuer, ils ont peur.... La reine s'irrite, et leur jure qu'elle réveillera Alexandre et leur imputera devant lui, le complot qu'ils craignent d'exécuter  Ils entrent alors. Une lampe à la main, leur sœur les guide vers le lit de son époux.... Et le roi expire sous les efforts de ses beaux-frères.

L'œuvre de Thébé n'était pas terminée. La reine dut s'appliquer à gagner les troupes mercenaires qui avaient servi son mari, et à placer l'autorité souveraine entre ses mains et celles de son frère aîné.

Le peuple se vengea d'Alexandre sur son cadavre qu'il foula aux pieds, et qu'il livra aux oiseaux de proie.

Alexandre de Phères fut le premier tyran que fit périr sa compagne[61].

Nous comprenons les tortures morales qu'éprouva la femme généreuse dont le sort était rivé à celui d'un monstre tel qu'Alexandre ; mais nous n'admettons pas que la haine du mal puisse entraîner à l'assassinat, ni que les droits de la vertu doivent être vengés par le crime.

Eurydice, mère de Philippe, roi de Macédoine ; Olympias, femme de ce souverain, n'eurent même pas une semblable excuse pour atténuer leurs forfaits.

L'Illyrienne Eurydice, femme d'Amyntas II, mit au service de son* ambition les farouches instincts des barbares. Épouse, une affection coupable lui fait tramer la mort de son mari ; et Amyntas, qui déjoue ce complot, pardonne à la mère le crime de la femme. Mère, elle sacrifie à cette même passion la vie de ces enfants en faveur desquels son mari l'a absoute[62].

Après le meurtre de son fils aîné, son second fils, Perdiccas II, et le tuteur du jeune prince, le complice même d'Eurydice, Ptolémée d'Aloros, sont attaqués par un prince de la maison royale. Iphicrate, le chef des mercenaires athéniens et l'ancien ami d'Amyntas, se trouvant alors près d'Amphipolis, la reine lui présente ses -deux enfants, Perdiccas et Philippe, et leur fait embrasser les genoux de ce capitaine. Fidèle aux sentiments de générosité et d'humanité qui distinguent sa race, l'Athénien devient le défenseur des jeunes suppliants. Aurait-il pu supposer que si Eurydice lui faisait raffermir la royauté de Perdiccas, elle voulait sourtout consolider l'autorité du tuteur de l'enfant ?

Perdiccas, en prenant les rênes du pouvoir, punit de mort le complice de sa mère, l'assassin de son frère[63]. Pour venger Ptolémée, Eurydice prépara le meurtre de son fils.

Ce ne fut pas sans crainte que le troisième fils d'Eurydice, Philippe, monta sur le trône : il redoutait que sa mère ne lui fit partager le sort de ses frères[64]. Cependant il témoigna à cette reine un respect qui a fait douter qu'une mère si vénérée eût été criminelle[65]. Lorsqu'il défit à Chéronée les Athéniens et les Thébains, il associa le souvenir de sa mère à la commémoration de sa victoire parmi les statues d'or et d'ivoire qui décoraient le monument qu'il fit élever à Olympie pour consacrer sa gloire, on remarquait celles d'Eurydice et d'Olympias[66].

Olympias était fille d'un souverain des Molosses, et, suivant Athénée, elle apporta en dot à son mari le royaume paternel[67]. Quand elle épousa Philippe, ce prince avait déjà plusieurs femmes, et son nouveau mariage ne l'empêcha pas de contracter encore d'autres unions[68].

Cependant, disait-on, l'amour avait présidé à l'hymen d'Olympias. Philippe, très-jeune encore, avait admiré la princesse d'Épire le jour où celle-ci, enfant et déjà orpheline, avait été initiée en même temps que lui aux mystères de Samothrace[69].

La légende racontait que, la veille de son mariage, Olympias avait eu un songe étrange. Elle avait entendu un violent coup de tonnerre, la foudre était tombée sur elle, et avait produit une grande flamme qui, s'étant divisée en plusieurs branches, s'était rapidement éteinte. Ce feu allumé par la foudre, c'était le prince qui aimait à se dire fils de Jupiter, c'était le conquérant qui ravagea le monde ancien, c'était Alexandre le Grand ! Ces flammes qui s'écartaient du foyer, c'étaient les généraux dont les ambitions et les querelles démembrèrent l'immense empire laissé par le fils d'Olympias.

D'après une opinion controversée, la divine extraction que s'attribuait Alexandre blessait profondément sa mère : Alexandre ne cessera-t-il pas de me susciter des querelles avec Junon ?[70] disait-elle. En cette circonstance, la vanité de la princesse était vaincue par sa piété. Cependant cette piété païenne et superstitieuse d'ailleurs, la livrait à de grossières pratiques. On avait vu Olympias se mêler aux bacchantes en délire, tandis que des serpents se jouaient autour d'elle[71].

De semblables habitudes ne devaient pas adoucir une nature déjà farouche. L'amour maternel même, loin d'attendrir la reine, la rendit encore plus cruelle. Olympias voyait croître Arrhidée, fils de Philippe, mais d'une autre femme qu'elle. L'aimable et noble caractère qui se révélait dans ce jeune prince, inquiéta la mère d'Alexandre. Elle donna à l'enfant des breuvages qui troublèrent sa belle intelligence et affaiblirent son corps[72].

Olympias fit partager à Alexandre les ressentiments que lui causaient les nouveaux mariages de Philippe, et détruisit ainsi la bonne harmonie qui existait entre son époux et son fils. Lorsque Philippe se disposa à épouser Cléopâtre, celle-ci le pria, dit-on, de renvoyer Olympias, dont le caractère sauvage répugnait d'ailleurs au roi et qu'il soupçonnait aussi d'infidélité. Au festin nuptial qui célébra l'hymen de Cléopâtre, l'oncle de la mariée prononça une parole imprudente qui fit éclater le courroux d'Alexandre. Philippe s'emporta. Le père voulut tuer le fils, le fils insulta le père ; et Alexandre, s'éloignant avec sa mère, la conduisit en Épire[73].

Philippe mourut assassiné (336 av. J. C.). Olympias, qui n'était probablement pas restée étrangère à cet événement[74], revint promptement en Macédoine, sous le prétexte ironique de rendre à celui qui l'avait répudiée, les devoirs d'une veuve.. Ses efforts n'avaient pu assurer la fuite du meurtrier : ses hommages honorèrent la mémoire de cet homme.

La nuit même qui suit l'arrivée d'Olympias, une femme se dirige vers un gibet. Elle tient une couronne d'or qu'elle dépose sur la tête du supplicié : c'est la veuve de Philippe qui glorifie ainsi l'assassin de son mari.

Peu de jours après, Olympias fait détacher ce cadavre ; elle le brûle sur celui de Philippe, et mêle ainsi les cendres du meurtrier et celles de la victime. Elle élève en ce lieu un tombeau au premier, et ordonne que des sacrifices annuels soient offerts par le peuple aux mânes du régicide. Et, comme si elle craignait encore qu'on ne reconnût pas assez la part qu'elle avait prise à la fin tragique de Philippe, elle consacre à Apollon le poignard qui a tué son époux, et donne à cette arme le nom qu'elle portait dans son enfance, Myrtale[75].

Sa haine n'est pas assouvie. Olympias éprouve l'âpre besoin de torturer à son tour la femme qui lui a valu les souffrances de sa répudiation et de son exil. Elle veut jouir d'un horrible spectacle. Devant elle, la fille que Cléopâtre a donnée à Philippe, est égorgée dans les bras de sa jeune mère ; et devant Olympias aussi, meurt la rivale qui l'a supplantée[76].

Absent à l'époque où se passaient ces tristes scènes, Alexandre n'épargna pas à sa mère l'humiliation de ses reproches[77]. Pendant son règne, il ne lui permit pas de diriger les affaires publiques ; et devant les exigences de cette altière et sauvage nature, il exprima quelquefois ses pénibles regrets. La reine se plaignait-elle de se voir exclue par lui du gouvernement, il ne lui répondait qu'avec douceur. Bien qu'il lui refusât une influence politique, il lui témoignait une profonde vénération et la comblait de prévenances[78]. Ce fut sans doute le respect dont il entourait sa mère, qui lui enseigna le respect de la femme, ce sentiment que nul héros de l'antiquité ne porta plus haut que lui.

Après qu'il eut pris Thèbes et qu'il l'eut livrée au pillage, des soldats thraces dévastèrent et rasèrent la maison de Timoclée, femme dont la vertu égalait la naissance. Leur capitaine l'outragea, et lui demanda l'or et l'argent qu'elle possédait. La Thébaine guida cet homme vers un puits où, disait-elle, étaient cachés ses trésors. A peine y est-il descendu que Timoclée et ses gens le lapident. Il meurt ; et la courageuse femme, arrêtée avec ses enfants, est conduite à Alexandre par les soldats thraces qui lui dénoncent l'acte qu'elle a commis.

Timoclée frappe le roi par la dignité de sa démarche, par la fermeté de son attitude ; et Alexandre l'interroge sur son origine. Elle répond au prince avec assurance, qu'elle est la sœur de Théagène, guerrier qui mourut à Chéronée en combattant contre les. Macédoniens pour épargner à sa patrie les horreurs que Thèbes subit maintenant. Timoclée déclare qu'après l'ignominieux traitement dont elle a été victime, la mort n'a rien de sinistre pour elle, et que si Alexandre ne la protège pas contre le retour d'un semblable affront, elle aime mieux perdre la vie.

Auprès du roi, tous ceux que l'aspect de la vertu malheureuse pouvait émouvoir, pleuraient en entendant ces paroles si énergiques et si tristes. Alexandre qui, plus tard, devait faire mourir deux Macédoniens coupables d'avoir déshonoré les femmes de quelques mercenaires[79], comprit le caractère de Timoclée, et les paroles mêmes qu'elle lui avait adressées et qui étaient pour lui un sévère reproche. Il rendit la prisonnière à la liberté, et ordonna que les nobles maisons de Thèbes fussent désormais respectées[80].

Nous ne blâmerons pas ici le meurtre que commit Timoclée. Femme et mère, elle dut affranchir son honneur d'un joug honteux et veiller au salut de ses enfants ; et, s'il est inique de se venger d'un ennemi, il est légitime de se défendre contre lui.

La victoire d'Alexandre sur Darius prouva d'une manière éclatante le respect du conquérant pour l'honneur de la femme. La mère du roi vaincu, sa belle compagne et ses deux filles, ayant été amenées au camp macédonien, le vainqueur les traita avec la plus délicate déférence. Plus tard, il épousa Statira, l'une des filles de Darius ; il s'était déjà uni alors à une femme qu'il aimait, la belle Roxane, fille d'un satrape[81]. — Au début de sa campagne contre les Perses, Alexandre avait vu venir à lui une princesse déchue, Ada, reine de Carie. Elle le suppliait de la rétablir dans ses États, et le jeune roi, accédant à la prière d'une femme malheureuse, la replaça sur le trône, et devint pour elle un fils[82].

Pendant l'expédition d'Asie, Alexandre reçut d'Olympias des lettres importantes. Tout en le louant de sa générosité à l'égard de ses amis, la reine lui exprimait une crainte qui se réalisa après la mort du conquérant : c'était que les généraux du roi ne profitassent des richesses qu'ils lui devaient pour augmenter leur influence au détriment de l'autorité royale[83].

Mais le principal objet des communications d'Olympias était sa haine contre Antipater, gouverneur de la Macédoine. De son côté, Antipater se plaignait de son ennemie auprès du roi[84]. Après avoir lu un long message où le gouverneur de la Macédoine n'épargnait pas Olympias : Antipater, dit Alexandre, ne sait pas que dix mille lettres pareilles sont effacées par une larme d'une mère[85].

La lointaine expédition d'Alexandre dans l'Inde, ayant encouragé les peuples conquis à se révolter, Olympias se ligua contre Antipater avec sa fille Cléopâtre, qui jouissait d'un grand crédit auprès du roi. Les deux princesses se partagèrent le royaume européen d'Alexandre. Olympias choisit l'Épire ; et sa fille, la Macédoine. Le souverain approuva sa mère d'avoir préféré l'Épire à une nation qui, selon lui, ne consentirait jamais à subir le joug d'une femme[86].

Cet événement avait fait éclater les sentiments malveillants qu'Olympias nourrissait contre Antipater. Longtemps Alexandre fut impartial entre les deux ennemis ; mais le temps vint où le prince témoigna moins de confiance au gouverneur de la Macédoine. Quelques historiens ont cru qu'Antipater prévint sa disgrâce complète en faisant empoisonner le roi ; mais peut-être cette accusation avait-elle été surtout propagée par la mère d'Alexandre[87].

A la mort du roi, Roxane avait l'espoir de devenir mère. En vraie Orientale, elle était jalouse de Statira. L'ayant attirée dans un piège, elle la fit mourir ainsi que l'autre tille de Darios ; et, par son ordre, les deux cadavres furent jetés dans un puits que l'on combla[88].

Roxane devait un jour expier ce crime.

Perdiccas, l'un des généraux d'Alexandre, avait été le complice de Roxane. Il fut régent du royaume laissé par son maître ; et le trône fut occupé par le fils de Philippe, Arrhidée, et par l'enfant que Roxane mit au monde. Ainsi, un être condamné à une perpétuelle enfance et un nouveau-né recueillaient l'héritage du grand conquérant.

Perdiccas se rapprocha d'abord d'Antipater, et lui demanda en mariage sa fille Nicée ; mais Olympias séduisit le régent par l'offre d'un autre hymen, celui de Cléopâtre, veuve alors du roi d'Épire[89].

A cette époque, Cynna, fille de l'Illyrienne Audata et du roi Philippe, princesse courageuse, habile même dans le maniement des armes[90], se rendit au camp des Macédoniens avec sa fille Eurydice. Les soldats acclamèrent chaleureusement la nièce et la vaillante sœur d'Alexandre. Cette ovation alarma Perdiccas ; et Cynna paya de sa vie l'enthousiasme qu'elle avait excité. L'armée se révolta, et Perdiccas ne put l'apaiser qu'en lui promettant ce qu'elle demandait : le mariage d'Eurydice avec Arrhidée.

En montant sur le trône, Eurydice n'oublia pas à quel prix elle devait son élévation, et le nom du meurtrier ne tarda pas à devenir aussi odieux à son époux qu'à elle.

Perdiccas fut égorgé par ses propres soldats, lors de la ligue dirigée contre lui par les généraux d'Alexandre. Les deux régents qui lui succédèrent, furent obligés de se retirer devant les embarras que leur suscitait Eurydice, et leur charge fut confiée à Antipater[91].

La fille aînée d'Antipater, Phila, était alors mariée à Cratère, l'un des généraux d'Alexandre. Elle avait un esprit si élevé qu'au temps où elle était jeune fille, son père, homme d'État d'une haute prudence politique, la consultait sur les affaires les plus graves. Après la mort d'Antipater, elle devint veuve, et épousa le beau Démétrius, fils d'Antigone. Elle fit de son existence une touchante mission de charité. Nous la voyons apaiser des troubles militaires, sauver des accusés innocents, élever maternellement les sœurs et les filles des guerriers sans fortune[92]. A travers les scènes souvent barbares de l'histoire macédonienne, il nous est doux de contempler la fugitive image de cette femme intelligente et généreuse, qui porta si dignement un nom béni : Phila, aimée !

Ce fut probablement sous la régence d'Antipater qu'Olympias se retira en Épire[93]. Elle y fut vraiment reine. Un discours d'Hypéride la représente écrivant aux Athéniens des lettres impérieuses pour leur reprocher d'avoir envoyé au temple de Dodone une ambassade religieuse, et d'avoir ainsi violé son territoire. Elle-même cependant ne leur demandait pas l'autorisation de laisser passer sur leurs domaines les offrandes qu'elle faisait à leurs temples[94].

Antipater laissa en mourant la régence à son vieil ami Polysperchon, qui rappela Olympias pour lui confier l'éducation d'Alexandre, fils de Roxane. Le régent désirait ainsi s'appuyer sur la famille royale pour résister à la ligue que formaient contre lui Cassandre, fils de son prédécesseur, Ptolémée Lagos et Antigone[95].

Avant de rentrer en Macédoine, Olympias consulta Eumène, l'ancien secrétaire de son fils, le fidèle soutien de Perdiccas et de Polysperchon. Eumène lui écrivit de différer son retour, à moins qu'elle n'abdiquât le ressentiment des injures qu'elle avait reçues[96]. Que ne suivit-elle l'un de ces nobles conseils !

Encore en Épire, la reine prescrivit de rendre Munychie et le Pirée aux Athéniens qui la vénéraient profondément, et qui attendaient en même temps que son triomphe, leur propre délivrance[97].

Tout en essayant d'attirer Olympias à sa cause, Polysperchon cherchait un autre appui dans la démocratie athénienne à laquelle il faisait livrer l'austère et intègre Phocion[98]. La compagne de ce grand homme vivait-elle encore lorsque son mari bit la ciguë ? Quelle douleur lui fut épargnée si la mort l'atteignit avant une semblable épreuve ! Célèbre par sa simplicité, elle revêtait en sortant, le manteau de Phocion ; et un jour une Ionienne lui montrant avec une naïve satisfaction l'or et les pierreries de sa toilette, elle dit : Pour moi, toute ma parure, c'est Phocion, qui, depuis vingt ans, est toujours élu général des Athéniens[99].

Phocion mort fut expulsé du sol natal qu'avait tant ah : é la noble victime ; et il fut défendu aux Athéniens de donner du feu pour brûler son cadavre. Cet ordre fut éludé, et le corps du général reçut les honneurs funèbres au delà d'Éleusis. Une femme de cette région assista par hasard à cette cérémonie avec ses esclaves. Elle éleva à l'illustre mort un cénotaphe sur lequel elle répandit des libations ; et, recueillant pieusement dans sa robe les ossements de Phocion, elle les porta chez elle pendant la nuit. Ces restes qu'avait animés une âme juste, furent déposés par elle sous ce foyer qui, chez les Hellènes, symbolisait les vertus domestiques : Ô mon foyer, dit-elle, je dépose dans ton sein ces précieux restes d'un homme vertueux. Conserve-les avec soin pour les rendre au tombeau de ses ancêtres, quand les Athéniens seront revenus à la raison[100].

C'était par le roi Arrhidée que Polysperchon avait sacrifié Phocion à la plèbe athénienne ; mais il trouva dans la femme de son pupille un obstacle à son autre projet, celui de faire revenir Olympias. Eurydice ne put se résoudre au retour d'une femme qui avait été si fatale à son mari. Ce fut probablement alors qu'elle prit elle-même la régence du royaume. Elle appela Cassandre à son secours, et tenta d'éblouir par sa magnificence et par ses promesses les Macédoniens les plus énergiques.

Eurydice était à Évia, au milieu de son armée, quand des troupes marchent contre les siennes. Avec celles-là est une femme.qui, telle qu'une bacchante, s'avance en délire et bat du tambour : c'est Olympias que ramènent et défendent Polysperchon et les Épirotes. A l'aspect de la vieille princesse, les soldats d'Eurydice se souviennent, non de l'ennemie de leur reine, mais de la mère d'Alexandre. En vain Eurydice, digne élève de Cynna, a-t-elle revêtu l'armure macédonienne, les guerriers qu'elle commande se saisissent d'elle et de son époux, les livrent à Olympias, et l'exilée remonte sur le trône[101]. Ah ! si cette dernière avait eu le cœur d'une femme, elle eût béni la divinité de lui avoir accordé une victoire qui ne s'était pas achetée par le sang, et le premier acte de sa royauté eût été un épanchement de miséricorde ! Loin de là, ne trouvant pas une prison assez étroite pour y renfermer ses royaux captifs, Olympias en fait construire une nouvelle ; et, lorsqu'elle s'aperçoit que, par sa cruauté, elle a réveillé la pitié chez son peuple, et que les Macédoniens l'estiment d'autant moins qu'ils plaignent plus ses victimes, alors la cage où elle retient sa proie ne lui paraît pas encore assez sûre. Elle fait poignarder Arrhidée, forfait moindre assurément que celui dont elle se rendit coupable en enlevant à ce prince l'exercice des facultés morales qui constituent l'homme. Sa vengeance ne se borne pas à ce meurtre. Olympias n'ignore pas que si Arrhidée lui a dû la perte de son intelligence, il a trouvé dans une autre femme l'âme de sa vie. Eurydice la régente, Eurydice, la princesse qui a hautement déclaré que ses droits au trône primaient ceux d'Olympias ; Eurydice qui a voulu lui disputer par les armes la possession de la couronne, voilà l'ennemie sur laquelle la reine s'acharne avec le plus de cruauté. C'est en présence de la jeune femme que son époux est frappé ; mais du moins Arrhidée n'a pas su qu'il allait périr, et le trépas l'a surpris à l'improviste. Pour Eurydice, il faut quelle boive à longs traits l'amertume de la mort. Olympias lui envoie une épée, un lacet, une portion de ciguë ; et, comme une grâce et suprême et royale, lui permet de choisir ! Eurydice appelle sur sa rivale les malédictions des dieux, et prie les Immortels de réserver à sa persécutrice des dons pareils à ceux qu'elle en reçoit. Toujours dévouée au malheureux souverain dont elle a été la compagne, elle essuie les plaies d'Arrhidée avant de mourir ; et, sans qu'une larme ait humecté sa paupière pendant ces dernières scènes, elle se suspend à sa ceinture, et meurt avec la même fermeté qu'elle a vécu[102].

Bien que les intrigues politiques que noua Eurydice, lui aient nui auprès des historiens, nous ne dissimulerons pas la sympathie que nous ressentons pour cette pure et courageuse victime qui nous apparaît toujours auprès de son époux, soit qu'elle soutienne le courage du vivant, soit qu'elle essuie les plaies du mort. E :le eut aussi un mérite bien rare dans le pays où elle vécut : nulle tache de sang ne ternit sa mémoire. Eurydice maudit, il est vrai, avant de mourir, l'ennemie qui la torturait dans son âme et dans son corps ; mais à cette époque n'avait pas retenti la sublime parole du Calvaire : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font.

Olympias s'enivre de sang. Parmi les plus illustres Macédoniens, elle en voue une centaine à la mort, hécatombe qui solennise sa rentrée. Si la mort a déjà frappé l'un des hommes que la reine accuse d'avoir empoisonné Alexandre, elle violera une tombe et se vengera sur un cadavre[103]. Et un grand nombre de ses sujets, répondant à ses crimes par leur haine, se souviennent trop tard des paroles que prononça Antipater mourant : Gardez-vous bien de jamais laisser monter une femme sur le trône[104].

Le jour du châtiment, ce jour que, selon la belle pensée de Plutarque, la justice humaine trouve quelquefois tardif, mais que la justice divine, éternelle, tient toujours en réserve, ce jour va projeter sur la souveraine sa sinistre lueur.

Cassandre a appris le triomphe et les nouveaux crimes d'Olympias. Il accourt. La reine se retire à Pydna après avoir nommé le général de ses troupes. L'enfant d'Alexandre, Roxane, Thessalonice, fille de Philippe ; Déidamie, sœur de ce Pyrrhus qui fut l'ennemi des Romains[105] ; d'autres princesses encore, des amis, des parents, accompagnent Olympias et encombrent inutilement la ville. Cette situation ne réserve à Pydna que la disette ; mais la reine brave ce danger, et reste dans une cité d'où elle peut recevoir des secours par mer. Cassandre bloque la ville. Æacide, roi d'Épire, s'avance pour secourir sa tante ; mais la plupart de ses soldats refusent de marcher contre les Macédoniens. Æacide les congédie, et persiste à défendre Olympias avec le peu d'hommes qui lui restent. Les mécontents rentrent dans leur patrie, font exiler le roi par le peuple, décret sans précédent chez les Épirotes, et s'allient à Cassandre[106]. Quelle influence exerçait une femme figée pour laquelle un souverain perdait son armée et enfin sa couronne !

A Pydna, un hiver entier s'écoula dans les horreurs de la famine. Les cadavres d'hommes et d'animaux remplissaient la ville, et y répandaient une odeur pestilentielle que ne pouvaient plus supporter, non-seulement les femmes de la cour, mais les rudes guerriers. La chair des cadavres humains servait même d'aliment à quelques Barbares. Les soldats demandèrent à Olympias la permission de quitter Pydna. La reine fut obligée d'accéder à leur prière. Elle-même allait prendre la fuite sur un navire ; mais une trahison prévint l'exécution de ce projet. Olympias envoya des parlementaires à Cassandre ; celui-ci ne voulut d'autre accommodement qu'une reddition.

Le vainqueur aigrit les douloureux ressentiments des familles qui s'étaient vu ravir de leurs membres par Olympias. Son influence les conduisit à mettre la reine en accusation devant l'assemblée du peuple. Absente, Olympias fut condamnée à mort. Cassandre désirait que par la fuite, la reine se reconnût coupable et justifiât la sentence du peuple ; il désirait aussi lui faire trouver sur mer un trépas qui eût été attribué à la justice divine. Mais, loin de se prêter à l'évasion que lui proposait secrètement son ennemi, Olympias déclara qu'elle était disposée à se présenter devant les Macédoniens pour en appeler de leur jugement. C'était précisément ce que voulait éviter Cassandre. Il connaissait l'ascendant qu'exerçait cette femme, fille et veuve de rois, mère d'Alexandre le Grand. Il se rappelait sans doute cette armée envoyée pour la combattre et l'élevant au trône. Il savait enfin que la mobilité et l'enthousiasme de la race grecque, se retrouvaient dans le caractère macédonien. Qui sait si les mêmes hommes qui avaient condamné la reine absente, ne l'eussent pas acclamée présente ? Pour empêcher ce revirement, il fit appliquer la sentence avec une rapidité qui donnait à une exécution juridique tout l'odieux d'un assassinat.

Entre les plus dévoués de Ses soldats, Cassandre en choisit deux cents, et leur ordonne de tuer immédiatement Olympias. Ces hommes font irruption dans le palais..... Drapée dans ses vêtements royaux, appuyée sur deux de ses femmes, la reine s'avance vers eux. Dans la majesté de son attitude se lisent tous les souvenirs de grandeur qui se rattachent à son origine, à sa maternité, à son rôle. Devant cette femme âgée, les soldats fuient... Et, pour les remplacer, Cassandre ne peut plus désigner que les parents des victimes d'Olympias. Ceux-ci, en la voyant, penseront plus à sa cruauté qu'à sa gloire, et ses vêtements royaux ne leur apparaîtront que tachés de leur propre sang.

Nul cri, nulle plainte, ne trahirent dans Olympias la faiblesse de son sexe : seul le noble courage de son aïeul Achille et de son fils Alexandre se fit remarquer en elle. La femme ne se révéla que par le sentiment d'exquise pudeur avec lequel en tombant, elle s'enveloppa de ses cheveux et de sa robe[107].

La mort d'Olympias est la plus belle page de la vie de cette princesse farouche et vindicative, que les blessures de son orgueil et les dérèglements de son ambition conduisirent au crime, mais à laquelle on ne saurait refuser ut caractère d'une rare énergie et d'une étrange grandeur.

Aspirant au trône de Macédoine, Cassandre épousa Thessalonice, sœur d'Alexandre. Exerçant déjà les attributions de la puissance souveraine, il avait fait donner à Cynna, â Eurydice et à Philippe Arrhidée la sépulture royale, et célébré en leur honneur les jeux funèbres[108].

C'est avec une triste satisfaction que l'on assiste à ce retour de gloire qui n'éclaira que des tombeaux.

Afin que nul héritier de la couronne ne fit obstacle à ses prétentions, Cassandre fit mourir Roxane et le fils d'Alexandre[109].

Une dernière figure de femme terminera le groupe de ces Macédoniennes qui jouèrent un si grand râle historique.

Le fils de Polysperchon, Alexandre, qui régnait à Sicyone, ayant été assassiné pendant une expédition, sa veuve Cratésipolis prit les rênes du gouvernement.

Douée d'une intelligence et d'un courage virils, elle avait, pour soulager la souffrance, le cœur d'une femme. Touchés des bienfaits qu'elle répandait sur eux, ses soldats l'aimaient. Ils la soutinrent quand les Sicyoniens, impatients du joug étranger, crurent que sous une femme privée de son protecteur, il leur serait facile de se révolter. Cratésipolis vainquit les rebelles dans une bataille qui leur fut meurtrière. Jusqu'à présent la douce et vaillante figure de l'héroïne nous attire.... Mais ses mains, tout à l'heure si pures, vont recevoir cette tache sanglante qui souille d'autres femmes de son pays. Cratésipolis fait crucifier trente Sicyoniens choisis parmi le s plus séditieux et ce n'est qu'au prix de cette exécution qu'elle affermit son pouvoir royal[110].

Il est temps de nous arracher à cette histoire macédonienne qui, trop souvent, est plus barbare que grecque. D'ailleurs Sparte nous appelle à de grands spectacles.

Pyrrhus attaquant Lacédémone qu'une autre guerre privait alors de la majeure partie de ses soldats, les Spartiates voulurent envoyer leurs femmes en Crète : celles-ci n'y consentirent pas. L'une d'elles, Archidamie se présenta au sénat, l'épée à la main, et prenant la parole, dit Plutarque, elle se plaignit au nom de toutes les femmes qu'on les crût capables de survivre à la ruine de Sparte[111].

Non, ce n'est pas au jour des anxiétés nationales que la femme peut se résigner à quitter son pays. Il en est de la patrie comme d'un être cher : il faut le voir en danger pour comprendre combien on l'aime : est-ce alors qu'on l'abandonnerait ? Certes la femme n'est pas obligée de se mêler directement aux luttes guerrières ; mais elle soutiendra le courage des combattants, elle pansera les plaies des blessés ; et son dévouement doit s'accroître avec le péril même.

Ce sont les Lacédémoniennes qui arment leurs jeunes compatriotes en leur vantant la gloire de mourir pour la patrie entre les bras d'une épouse ou d'une mère ; ce sont elles encore qui, à l'heure du danger suprême,-se tiennent auprès des soldats, leur remettent des traits, donnent des aliments à ceux qui restent debout, et emportent ceux qui tombent[112]. (273 av. J. C.)

L'héroïsme des femmes spartiates auxquelles Pyrrhus dut sa défaite, racheta amplement la faiblesse qu'avaient montrée leurs aïeules devant l'invasion thébaine.

Pendant que Pyrrhus attaquait Argos, il fut tué par une tuile que lui lança une pauvre Argienne qui, le voyant se battre contre son fils, sauva ainsi ce dernier[113].

Quelque temps après, les mêmes événements rapprochèrent des femmes dont les types n'ont pas d'égaux dans l'histoire spartiate.

Agis IV venait de monter sur le trône. Fils et petit-fils de deux femmes dont les richesses étaient plus considérables que la fortune de tous les Lacédémoniens réunis, il avait été élevé par elles dans tous les raffinements du luxe. Cette éducation n'avait pu altérer la simplicité de sa grande âme. Il méprisa ce faste au sein duquel il était né ; et vivant par la pensée au milieu des anciens Spartiates, il en adopta la vie austère. Avant de devenir roi, il ne désirait l'autorité souveraine que pour la mettre au service de ses desseins, et pour rendre aux lois antiques leur primitive vigueur.

Repeupler une ville où le nombre des citoyens s'était abaissé de neuf mille à sept cents ; renouveler le partage de ces terres qui se trouvaient en grande partie entre les mains des femmes, tels étaient les projets du jeune roi. Il désira y associer Agésistrate, sa mère, dont l'influence était notable à Sparte. Elle s'y refusa d'abord ; mais lorsque son fils lui eut exposé la grandeur et la gloire d'une pareille entreprise, elle fut saisie d'un généreux enthousiasme que partagèrent les femmes qui lui étaient attachées ainsi que sa mère Archidamie. Elles voulurent toutes donner des adeptes à la cause qu'elles avaient embrassée : elles s'adressèrent à leurs amies, à leurs compagnes ; mais celles-ci ne surent pas les comprendre. Ces femmes repoussèrent l'idée d'abandonner volontairement les richesses auxquelles elles devaient plus que leur luxe, leur puissance I Elles ne sentirent pas que leur véritable autorité, celle de leur caractère, grandirait en proportion même de leur sacrifice. Loin de seconder Agésistrate, elles se rendirent auprès de Léonidas, celui des deux rois spartiates qu'un long séjour en Orient avait amolli ; et les Lacédémoniennes l'engagèrent à faire échouer les desseins de son collègue.

Léonidas n'avait pas assez d'énergie pour s'opposer ouvertement aux projets d'Agis ; mais il les mina sourdement. A la majorité d'une voix, le sénat refusa de sanctionner des réformes qui avaient été accueillies avec bonheur par le peuple, qu'elles devaient sauver, et aussi par les jeunes Spartiates qui savaient qu'ils ne seraient jamais plus libres qu'en renonçant à l'esclavage de leurs richesses.

L'éphore Lysandre qui avait prêté son appui au roi Agis, ne quitta pas sa charge sans avoir vengé le jeune souverain. Traduisant Léonidas en justice, il l'accusa d'avoir violé les lois qui défendaient aux Héraclides d'épouser des étrangères, et punissaient de mort le citoyen spartiate coupable de s'être établi dans un pays étranger. Léonidas, l'hôte de Séleucus, l'époux d'une Asiatique dont il avait eu deux enfants et dont les dédains l'avaient cependant obligé de quitter la Perse, Léonidas ne se méprit pas sur la gravité de l'accusation qui pesait sur lui. - Abandonné de son gendre Cléombrote, Héraclide que Lysandre avait sollicité de réclamer la couronne, Léonidas se réfugia dans le temple de Minerve Chalcicecos. Il n'était pas seul. Chélonis, sa fille, l'épouse même de Cléombrote, était auprès de lui. La jeune femme avait préféré souffrir avec son père que de régner avec son mari.

Cependant de nouveaux éphores acquittèrent Léonidas, et accusèrent leurs prédécesseurs d'avoir proposé les réformes d'Agis. Les deux rois s'unirent pour déposer les nouveaux magistrats, pour les remplacer et pour rendre la liberté aux avant-derniers éphores ; mais Agis protégea la fuite de Léonidas qui se retirait à. Tégée avec sa fille.

Les jeunes souverains furent perdus par Agésilas, l'un des éphores qu'ils avaient nommés. Très-endetté, mais possesseur d'une grande fortune territoriale, Agésilas voulut profiter des réformes d'Agis pour se délivrer de ses créanciers et pour conserver ses biens. Il obtint d'Agis que l'abolition des dettes, au lieu d'accompagner le partage des terres, le précéderait. Une guerre obligea ce roi à quitter Sparte, et quand il revint, il trouva sa patrie déchirée par une révolution. Les riches étaient demeurés en possession de leurs biens ; et le peuple, frustré de ses espérances, surchargé d'impôts par Agésilas, vit avec plaisir les ennemis de l'éphore ramener Léonidas.

Agis chercha un asile dans le même temple où naguère Léonidas s'était réfugié ; mais ce n'était pas sur lui que l'ancien exilé voulait décharger d'abord le poids de son ressentiment. Léonidas se rendit au temple de Neptune : c'est là que s'était retiré son gendre.

Suivi d'une troupe de soldats, Léonidas entra dans le sanctuaire, et reprocha avec indignation à Cléombrote d'avoir détrôné et chassé en lui un beau-père. Assis dans le temple, le suppliant se taisait.... Tout à coup une femme en deuil et les cheveux épars, se met auprès de lui, le presse étroitement sur son cœur, tandis que deux enfants sont à ses pieds : c'est l'épouse, ce sont les enfants de Cléombrote. Chélonis qui a accompagné son père exilé, revient maintenant à son époux en danger. Dans l'un et dans l'autre, elle a suivi le malheur !

Montrant à Léonidas le désordre de sa chevelure et ses vêtements lugubres, elle lui dit que ce n'est point par pitié pour Cléombrote qu'elle a pris le deuil ; mais que ce deuil est celui qu'elle n'a plus quitté depuis le jour où l'infortune a atteint son père. A présent que Léonidas a reconquis le pouvoir, faut-il qu'elle soit éternellement condamnée à la souffrance ? Pourrait-elle revêtir les habits royaux alors qu'elle est exposée à perdre l'époux que, jeune fille, elle reçut de son père ? Si ses larmes et celles de ses enfants ne peuvent arracher Cléombrote au trépas, son mari sera plus sévèrement châtié d'avoir obéi à de mauvais conseils que ne le voudrait Léonidas : avant de fermer les yeux, il aura vu mourir la femme qu'il aime tendrement. Comment la veuve se présenterait-elle devant les Lacédémoniennes lorsque, n'ayant pu obtenir, ni de son mari, la grâce de son père, ni de son père, la grâce de son mari, elle aura été méprisée

comme épouse et comme fille, et vouée au malheur par ses proches ? Rappelant encore à Léonidas qu'elle

n'a point partagé la triste victoire de Cléombrote, elle lui dit que lui-même justifie aujourd'hui son gendre en prouvant que pour s'assurer la royauté, on peut sacrifier les liens du sang.

Chélonis cessa de parler ; et, appuyant son visage contre la tête chérie que menaçait la mort, elle attacha ses yeux fatigués par les pleurs, sur les témoins de cette scène, émus eux-mêmes jusqu'aux larmes et qui l'admiraient.

Après s'être concerté avec ses amis, Léonidas ordonna à Cléombrote de fuir rapidement, et supplia sa fille de ne point délaisser un père dont l'amour lui avait conservé un époux. Cléombrote se leva, Chélonis lui remit un de leurs enfants, emporta l'autre dans ses bras, et suivit son mari.

Plutarque dit que si l'ambition n'avait pas troublé 'le cœur de Cléombrote, il aurait préféré à la royauté, l'exil que partageait une telle femme.

Agis était resté dans le temple de Minerve. Léonidas tenta vainement de l'en faire sortir par la ruse ; enfin le noble roi fut trahi par un ami d'Agésistrate, Ampharès, qui, ayant emprunté de précieux objets à cette princesse, avait résolu pour ne les point rendre, de perdre Agis, sa mère et son aïeule.

Après avoir été entraîné dans la prison, le roi y fut jugé par un tribunal improvisé.

 

Cependant la foule, informée qu'Agis avait été arrêté, vint aux portes de la prison avec des flambeaux, et réclama le roi pour que celui-ci pût se défendre devant le peuple, et se voir jugé par lui. Cet appel ne fit qu'accélérer l'œuvre des exécuteurs.

Bientôt Ampharès paraissait sur le seuil de la prison, et Agésistrate se jetait aux pieds de cet ancien ami. Ampharès la releva, et lui assura que son fils serait à l'abri de la violence, et qu'elle pouvait pénétrer auprès du captif.

Agésistrate désirait qu'Archidamie, sa vieille mère, entrât avec elle. Ampharès y consentit. Les deux femmes pénétrèrent dans la prison, et leur ami en ferma les portes. Archidamie fut admise la première auprès de son petit-fils. Quand Agésistrate fut conduite dans le cachot, elle y vit les cadavres de son fils et de sa mère. Archidamie était encore suspendue au cordon qui l'avait étranglée.

Agésistrate aida les bourreaux à détacher le corps d'Archidamie ; elle le coucha auprès de celui d'Agis, et le couvrit. Se jetant alors sur le cadavre du roi :

Mon fils, dit-elle, c'est l'excès de ta modestie, de ta douceur et de ton humanité, qui a causé ta perte et la nôtre[114].

De la porte, Ampharès avait tout vu, tout entendu. Il s'avança, et jouant la colère, le traître déclara à la princesse que, puisqu'elle avait partagé les sentiments de son fils, elle subirait le même châtiment que lui.

Agésistrate se présenta elle-même au supplice en disant : Puisse du moins cette injustice être utile à Sparte ![115]

Les trois cadavres ayant été portés hors de la prison, le peuple manifesta hautement sa douleur et son indignation. C'était, disait-il, la première fois qu'était violée la majesté de ces rois spartiates que respectaient même dans les combats, les ennemis de leur pays.

Léonidas enleva de la maison d'Agis, la jeune et riche veuve de ce rai : c'était Agiatis, la plus belle, la plus gracieuse et la plus sage des femmes grecques, selon le témoignage que lui rend Plutarque. Elle était déjà mère ; et, pressée par Léonidas d'épouser Cléomène, fils de celui-ci, elle voulut rester fidèle au jeune et noble époux que la mort lui avait ravi. Léonidas rejeta ses prières, et Agiatis fut contrainte de s'unir au fils de l'homme qui avait fait périr son mari. Elle n'étendit pas sur son second époux la haine que lui inspirait son beau-père. Elle fut bonne et douce pour ce prince encore enfant alors, ce prince qui l'aimait avec passion et partageait avec elle le culte pieux de son premier mari. Cléomène se plaisait à interroger sa femme sur la vie d'Agis, à lui voir exposer les généreux projets du jeune martyr. C'est ainsi qu'Agiatis insufflait en Cléomène les pensées de l'héroïque réformateur.

Comme Agis, Cléomène avait un caractère aussi simple que grand ; mais il n'avait pas la douceur de celui-là. Il se portait au bien avec fougue, et sa générosité avait des emportements.

Léonidas mourut, et Cléomène monta sur le trône avec la volonté de faire triompher la cause pour laquelle Agis était tombé. Lui aussi, il reçut dans son œuvre l'appui de sa mère, Cratésicléa, femme d'un caractère antique, et qui, peu disposée par goût à un second mariage, épousa néanmoins l'homme le plus influent de Sparte, pour augmenter. ainsi l'ascendant de son fils.

Cléomène imposa par la violence, les réformes que n'avait pu faire accepter la modération d'Agis. Après avoir régénéré Sparte, il lui rendit sa prééminence dans le Péloponnèse. Au temps de ses victoires guerrières, il n'oubliait pas la femme qui avait fait de lui le sauveur de son peuple. Il quittait souvent les camps pour aller voir Agiatis à Lacédémone.

Mais des revers militaires suivirent ses succès. Affligé, il ramenait son armée à Sparte, quand, à Tégée, des courriers lui apportèrent une triste nouvelle : Agiatis était morte. Le roi renferma en lui-même sa poignante douleur. Ni le changement de son attitude, ni le trouble de son visage, ni l'altération de ses traits, ne décelèrent ce qu'il éprouvait. Maître de lui-même, il donna à ses officiers les instructions nécessaires, et se rendit à Sparte. Il y arriva dès l'aube, et se retirant dans sa demeure, il put s'abandonner à son chagrin auprès de ses enfants et de sa mère, veuve alors pour la seconde fois.

Quelques jours après, Cléomène reprit le maniement des affaires publiques. Mais d'autres angoisses encore que celles de son veuvage, torturaient son cœur. Chaque fois qu'il allait voir sa mère, un secret paraissait l'oppresser, et au moment où il se disposait à ouvrir son âme, un inexprimable sentiment de confusion l'arrêtait. L'instinct maternel ne trompa point Cratésicléa ; elle devina que son fils n'osait lui faire une confidence, et questionna sur ce mystère les amis du roi.

Cléomène lui avoua enfin qu'il avait demandé à Ptolémée des secours contre les Achéens et les Macédoniens, et que le roi d'Égypte exigeait comme otages sa mère et ses enfants.

Voilà donc, dit sa mère en éclatant de rire, voilà ce grand secret que tu as été si souvent sur le point de me déclarer, et que tu n'as jamais osé prononcer ? Qu'attends-tu donc pour me jeter dans un vaisseau, et m'envoyer partout où tu croiras que ce corps pourra être utile à Sparte, avant que la vieillesse vienne le consumer dans l'inaction ?[116]

L'armée entière escorta lés otages jusqu'au port de Ténare. Avant de monter sur le navire qui allait l'éloigner pour toujours de sa patrie, la reine emmena son fils, son fils seul, au temple de Neptune, grotte qui, disait-on,- était une entrée des Enfers. Ce fut là que la princesse fit ses adieux à Cléomène. L'héroïne disparut un instant, et la mère embrassa son fils avec amour. Le prince ne put maitriser son émotion. Allons, roi de Lacédémone, dit Cratésicléa, reprenons courage ; et qu'au sortir de ce temple personne ne nous voie verser des larmes, ni rien faire qui soit indigne de Sparte. C'est la seule chose qui soit en notre pouvoir, les événements dépendent de Dieu[117].

Quand la reine sortit du temple, son visage était calme. Elle tenait son petit-fils par la main en montant sur le vaisseau dont elle accéléra le départ.... Le navire s'éloigna....

Ah ! la mort avait été miséricordieuse envers Agiatis ! Avant de fermer les yeux, la jeune reine avait vu, il est vrai, quelques nuages obscurcir la gloire de son mari, cette gloire qui était son 'ouvrage ; elle n'eut même pas la consolation d'exhaler entre les bras de Cléomène, l'âme dont elle l'avait animé. Mais du moins elle n'assista pas au départ de ce vaisseau qui conduisait ses enfants sur le sol étranger ; elle ne sut pas quelle fin cruelle les attendait sur les bords du Nil ; et la mort violente qui frappa son second mari, ne lui apporta pas la douleur d'un nouveau veuvage.

Quant à la reine-mère, son courage ne se démentit pas. Apprenant en Égypte que le souvenir des chers otages que Cléomène avait livrés à Ptolémée, empêchait le souverain spartiate d'accepter sans l'aveu de celui-ci, les pacifiques propositions que lui faisaient les Achéens, elle écrivit à son fils de n'avoir qu'une préoccupation : l'intérêt de Lacédémone.

Cléomène vit encore la fortune lui sourire ; mais la bataille de Sellasie le perdit, et ouvrit aux Macédoniens le chemin de Sparte. Avec le peu d'hommes qui avaient survécu au désastre de son armée, le roi devança les ennemis à Lacédémone. Il exhorta les habitants à accepter la domination étrangère ; et voyant les femmes accourir au-devant de ses soldats, les décharger de leurs armes et les fortifier avec du vin, il entra chez lui. Rien, hélas ! ne l'y attendait, ni les consolations d'une épouse et d'une mère, ni les caresses de jeunes enfants. Une captive lui offrit des soins qu'il refusa. Altéré, fatigué, il ne prit aucune boisson et ne s'assit pas. Il s'appuya contre une colonne, laissa retomber sa tête sur son coude ; soudain il partit, ses amis le suivirent, et gagnèrent avec lui une flotte qui les attendait.

Les vaisseaux firent voile pour l'Égypte. Là régnait le seul monarque qui pût rendre encore la vie de Cléomène utile à sa patrie ; là aussi vivaient les êtres chéris qui pouvaient donner encore quelque charme à cette existence agitée.

Cependant Cléomène n'était pas privé de toute consolation. Parmi les compagnons qui partageaient volontairement son infortune, il comptait le plus cher de tous, Pantéas.

Jeune et beau, Pantéas était, comme Agis et comme Cléomène, un Spartiate de la race antique. Pour suivre son royal ami, il avait sacrifié les premières joies d'un heureux hymen. Sa belle compagne avait voulu partir avec lui ; mais les parents de la nouvelle épouse avaient prévenu l'exécution de ce dessein en enfermant leur fille. Quelques jours après le départ de son mari, la jeune femme parvient à acheter un cheval. Elle s'échappe pendant la nuit, et, au grand galop de son coursier, elle va où l'entraîne son cœur. Elle atteint le port, s'embarque et rejoint son époux.

Le noble caractère de Cléomène avait touché Ptolémée et celui-ci avait promis à son hôte de l'aider à reconquérir Lacédémone, lorsque le roi d'Égypte mourut. Il fut remplacé par Ptolémée Philopator, homme méprisable qui ne pouvait que craindre en Cléomène le grand caractère que son père admirait. Sous son règne, l'exilé fut enfermé. Quelque brillante que fût cette prison, elle n'avait d'autre issue que l'arrêt fatal dont Cléomène était menacé. Le roi de Sparte préféra à, la mort d'un captif, celle d'un héros. Il parvint à tromper ses gardiens ; et, suivi de ses amis, il essaya de soulever les Égyptiens. Cet appel ne fut pas entendu. Les conjurés se tuèrent.

Cratésicléa apprit ce cruel événement. Sa fermeté l'abandonna. Tenant dans ses bras ses petits-enfants, elle pleura son malheur. Véritable Spartiate, le fils aîné de Cléomène s'arracha à cette étreinte, atteignit le toit, et se précipita sur le sol. Quand on le releva, il respirait encore, et se débattait avec colère contre ceux qui voulaient le rendre à la vie.

On le réservait pour une suprême immolation : le roi qui fit châtier le cadavre même du héros lacédémonien, ordonna le supplice de Cratésicléa, de ses petits-enfants et de ses compagnes. Au nombre de ces dernières était la femme de Pantéas ; son mari s'était tué sur le cadavre de Cléomène. Aussi dévouée à Cratésicléa que Pantéas l'était au roi, elle la soutint et l'encouragea au moment de la dernière épreuve. La reine ne craignait rien pour elle-même ; elle ne demanda aux bourreaux que la grâce de mourir avent ses petits-enfants. Cette faveur lui fut refusée, et la mort la frappa dans ceux qu'elle aimait, avant de l'atteindre personnellement. Elle ne se plaignit pas néanmoins, et dit ces simples paroles : Ô mes enfants, où étiez-vous venus ![118]

La femme de Pantéas ne perdit pas sa sérénité au milieu de ces scènes sanglantes ; mais à mesure que ses compagnes tombaient, elle les enveloppait afin que les cadavres des chastes Lacédémoniennes fussent dérobés aux regards des hommes. Quant à elle, sachant qu'elle devait mourir la dernière, elle se drapa dans' son vêtement jusqu'aux pieds, et ne permit qu'à l'exécuteur de s'approcher d'elle et de la voir.

Elle mourut en héroïne, dit Plutarque, sans avoir besoin, après sa mort, que personne la couvrît ou l'enveloppât : tant elle sut conserver, jusque dans la mort même, la pudeur de son âme, et environner son corps de ce voile de décence qui l'avait défendue toute sa vie ! Ainsi, dans cette tragédie sanglante, où les femmes, à leurs derniers moments, disputèrent de courage avec les hommes, Lacédémone fit voir, d'une manière éclatante, qu'il n'est pas au pouvoir de la fortune d'outrager la vertu[119].

Chélonis, Agésistrate, Agiatis, Cratésicléa, la femme de Pantéas, constituent le plus admirable groupe féminin que nous offre l'histoire grecque. Ce qui nous surprend particulièrement, c'est qu'elles joignent à la fermeté et à l'abnégation des anciennes Spartiates, une douceur, une tendresse, que nous ne sommes pas habitués à rencontrer chez leurs concitoyennes. Ce sont des héroïnes, mais ce sont aussi des femmes. Il faut en conclure, soit que les dons de la nature triomphèrent en elles de leur éducation, soit plutôt qu'au temps où elles vivaient, l'éducation des filles avait subi le même sort que les autres institutions de Lycurgue.

Deux de ces types reportent notre pensée, ici vers un autre pays, là vers une autre époque. Pour trouver le modèle d'une Chélonis, nous devons ouvrir les poèmes sanscrits ; pour admirer des femmes plus célestes que la compagne de Pantéas, nous ne pouvons que suivre les traces de ces premiers chrétiens qui appliquèrent les sublimes enseignements de la Bible.

Chélonis, c'est Sîtâ, c'est Damayantî, c'est Sâvitrî, c'est la femme indienne, c'est-à-dire le devoir et l'amour incarnés dans le même être[120]. L'épouse de Pantéas, soutenant le courage de ses compagnes d'infortune, faisant respecter leur pudeur jusque dans leur trépas, ne se préoccupant elle-même de la mort que pour tomber dans une chaste attitude, l'épouse de Pantéas ne ressemble-t-elle point par sa charité et par sa pureté, à ces martyres chrétiennes dont elle eût été digne, deux siècles plus tard, de partager les croyances immatérielles ?

 

 

 



[1] Pausanias, IV, 4.

[2] Pausanias, IV, 9.

[3] Pausanias, IV, 13.

[4] Tyrtée, cité par Pausanias, IV, 14.

[5] Pausanias, IV, 16.

[6] Pausanias, IV, 17

[7] Pausanias, IV, 19.

[8] Pausanias, IV, 21-24.

[9] Plutarque, Solon.

[10] Athénée, XIII, 13. Suivant Douris, cité par Athénée, la deuxième guerre sacrée qui dura dix ans, et qui fut terminée en 346 par Philippe, roi de Macédoine, aurait eu pour cause le rapt d'une Thébaine par un Phocéen. Mais le véritable motif de cette guerre fut l'amende que le tribunal amphictyonique infligea, sous l'influence thébaine, à des Phocéens qui avaient cultivé des terres consacrées à Apollon. Cf. Duruy, Histoire de la Grèce ancienne.

[11] Hérodote, IV, 160 ; Plutarque, Actions courageuses des femmes.

[12] Il monta sur le trône vers l'an 530.

[13] Hérodote, IV, 162-165, 167, 201, 202, 205 ; d'Avezac, Afrique ancienne, Paris, 1844.

[14] Cf. Ottfried Müller, Die Dorier.

[15] Chez les Grecs, le nom de tyran n'avait pas une mauvaise acception ; il désignait seulement l'homme qui exerçait le pouvoir absolu dans un pays où les lois avaient établi soit la démocratie, soit l'oligarchie. Cf. Duruy, Histoire de la Grèce ancienne.

[16] Thucydide, VI, 58-59 ; Élien, Histoires diverses, XI, 8.

[17] Pausanias, I, 23, et notes de la traduction de Clavier ; Athénée, XIII, 6 ; Duruy, Histoire de la Grèce ancienne ; Beulé, L'Acropole d'Athènes.

[18] Pausanias, II, 20. Suivant un auteur cité par Plutarque, Actions courageuses des femmes, l'un des deux rois de Sparte, Démarate, ayant déjà pris un quartier de la ville, en aurait été chassé par les Argiennes.

[19] Pausanias, II, 20. Hérodote, VI, 77, rapporte un oracle qui semblerait annoncer la victoire de Télésilla ; mais l'historien ne mentionne nullement cet exploit. Ottfried Müller, tout en ne niant pas que Télésilla ait existé, considère comme fabuleux les récits qui se rapportent à son attitude devant les Spartiates. Il suppose que le bas-relief où Pausanias crut voir Télésilla, représentait une Vénus s'armant. Die Dorier.

[20] Plutarque, Actions courageuses des femmes ; Pausanias, X, 1.

[21] Hérodote, V, 51 ; Plutarque, Apophtegmes des Lacédémoniens.

[22] Cf. Duruy, Histoire de la Grèce ancienne.

[23] Hérodote, VII, 239.

[24] Plutarque, Apophtegmes des Lacédémoniens ; De la malignité d'Hérodote.

[25] Pausanias, III, 5.

[26] Voir les traits que cite d'elle Plutarque, Apophtegmes des Lacédémoniens.

[27] Plutarque, Lycurgue, traduction de Ricard.

[28] Plutarque, Lycurgue, traduction de Ricard.

[29] Hérodote, VII, 188-197.

[30] Pausanias, X, 19. Le voyageur grec ne vit pas à Delphes la statue de Cyané : l'empereur Néron avait fait enlever cette œuvre d'art.

[31] Il ne faut pas confondre cette Artémise avec une autre reine de Carie qui porta le même nom, et qui lui fut postérieure. Femme de Mausole, la seconde Artémise domina son mari et lui fit partager son ambition. Suivant des traditions, elle mourut du chagrin d'avoir perdu l'époux dont elle aurait mêlé les cendres à sa boisson. Cette princesse avait élevé à son mari un monument magnifique, qui fut l'une des sept merveilles du monde. C'est du tombeau de Mausole que vient le nom de mausolée. Cf. Barthélemy, Voyage d'Anacharsis.

[32] Hérodote, VII, 99 ; VIII, 68, 69.

[33] Hérodote, VIII, 87, 93.

[34] Pausanias, III, 11.

[35] Plutarque, Thémistocle.

[36] Hérodote, VIII, 87, 88. Ce fut Artémise qui, rosant flotter parmi les nombreux cadavres, le corps d'Ariamène, frère du roi, le reconnut et le rendit à Xerxès. Plutarque, Thémistocle.

[37] Hérodote, VIII, 101, 103. L'historien rapporte qu'après cet entretien, Xerxès confiant à Artémise ceux de ses enfants qu'il avait emmenés, la fit partir pour Ephèse.

[38] Hérodote, IX, 5. C'est le second acte de cruauté qu'Hérodote attribue aux Athéniennes. Les Athéniens envoyés contre Égine, ayant perdu la vie clans cette entreprise, et un seul d'entre eux ayant échappé à la mort, les veuves des victimes se précipitèrent sur lui. Demandant à cet homme où étaient leurs époux, elles le firent mourir en le perçant avec les fibules qui attachaient la tunique dorienne, vêtement commun alors à toutes les Grecques. Indignés de cette barbarie, les Athéniens imposèrent à. leurs femmes la tunique ionienne qui pouvait se porter sans être retenue par ces bijoux. Les femmes des Éginètes et de leurs alliés, les Argiens, augmentèrent au contraire la dimension de leurs fibules, et firent de ces broches le principal objet de leurs offrandes religieuses. Hérodote, V, 87, 88.

[39] Thucydide, Guerre du Péloponnèse, I, 90.

[40] Diodore de Sicile, XI, 45 ; Cornélius Nepos, Pausanias, V.

[41] Thucydide, I, 136, 137 ; Plutarque, Thémistocle.

[42] Plutarque, Thémistocle, traduction de Picard.

[43] Voir ces deux figures dans l'ouvrage de Visconti, Iconographie grecque.

[44] L'hermès, gaine surmontée d'une tête, doit son nom à l'image qui y était généralement représentée : celle de Mercure, nommé Hermès en grec. L'hermès d'Aspasie a été découvert à notre époque sur le rivage de Civita-Vecchia. Visconti, ouvrage ci-dessus.

[45] Plutarque, Périclès ; Athénée, V, 19 ; Théodoret, Thérapeutique, premier discours.

[46] Plutarque, Périclès ; Athénée, XIII, 6.

[47] Plutarque, Périclès.

[48] Plutarque, Périclès ; Cimon.

[49] On se souvient que la loi athénienne permettait le mariage entre les enfants du même père.

[50] Suivant une tradition dont Hérodote ne parle pas, Cimon ayant été emprisonné parce qu'il ne pouvait payer l'amende à laquelle son père avait été condamné, un riche Athénien offrit de lui fournir cette somme en échange d'Elpinice. Cimon repoussa cette proposition avec mépris, mais Elpinice l'accepta. Plutarque, Cimon, V ; Cornélius Nepos, Cimon, I. — Cimon épousa une autre femme, Isodicé, et Plutarque lui reproche de l'avoir trop aimée et de n'avoir pu se consoler de sa perte. La douleur conjugale du héros inspira même des élégies attribuées au physicien Archélaüs. Plutarque, Cimon.

[51] Plutarque, Périclès.

[52] Thucydide, II, 4.

[53] Thucydide, II, 34-47.

[54] Thucydide, II, 41, traduction de l'Évesque.

[55] Thucydide, II, 41.

[56] Thucydide, II, 45.

[57] Plutarque, Lycurgue, traduction de Picard ; Apophtegmes des Lacédémoniens.

[58] Diodore de Sicile, XII, 74.

[59] Plutarque, Alcibiade. Pour la cérémonie des imprécations, voir Lysias, Sur l'impiété d'Andocide ; Maury, Religions de la Grèce antique.

[60] Aristote, Politique, II, 6.

[61] Xénophon, Helléniques, VI, 4 ; Plutarque, Pélopidas ; Grote, Histoire de la Grèce. Deux traditions diverses, citées par Xénophon, donnent au complot ourdi par Thébé, des motifs moins purs que ceux dont parle Plutarque. — Environ trois siècles plus tard, une femme dorienne, Arétaphile de Cyrène, s'inspira de l'exemple de Thébé. Elle amena la mort de deux tyrans, son époux et son gendre. Ses concitoyens voulaient que leur libératrice partageât avec les principaux d'entre eux le gouvernement de Cyrène ; mais elle s'y refusa, et consacra le reste de sa vie aux occupations de son sexe. Plutarque, Actions courageuses des femmes.

[62] Justin, VII, 4, 5.

[63] Duruy, Histoire de la Grèce ancienne.

[64] Justin, VII, 6.

[65] Visconti, Iconographie grecque. Ainsi que nous le disions plus haut, Visconti décrit et reproduit une médaille frappée à Eurydicée, et paraissant représenter une reine dont le nom aurait été donné à cette ville. Mais plusieurs souveraines ayant porté ce nom, il est difficile de donner à cette médaille une attribution certaine.

[66] Pausanias, V, 20. Cette statue d'Eurydice fut transportée dans le temple de Junon, où Pausanias la vit, V, 17.

[67] Athénée, XIII, 13 ; Justin, VII, 6. Le pays des Molosses, qui comprenait alors toute l'Épire, paraît en effet avoir été, sous les règnes de Philippe et d'Alexandre, une annexe de la Macédoine ; seulement cet Etat eut toujours ses souverains particuliers. M. Grote pense qu'Olympias le gouverna, soit comme associée à la royauté de son frère, soit comme tutrice de son neveu.

[68] Athénée, XIII, 13.

[69] Plutarque, Alexandre.

[70] Plutarque, Alexandre, traduction de Ricard.

[71] Plutarque, Alexandre, traduction de Ricard.

[72] Plutarque, Alexandre, traduction de Ricard.

[73] Plutarque, Alexandre ; Justin, IX, 5 ; Grote, Histoire de la Grèce.

[74] Plutarque, Alexandre ; Justin, X, 6.

[75] Justin, X, 6.

[76] Justin, X, 6. Pausanias raconte différemment le supplice de Cléopâtre et de son enfant, VIII, 7.

[77] Plutarque, Alexandre.

[78] Plutarque, Alexandre ; Grote, Histoire de la Grèce.

[79] Plutarque, Alexandre.

[80] Plutarque, Alexandre. Actions courageuses des femmes.

[81] Plutarque, Alexandre ; Diodore de Sicile, XVII, 37, 38.

[82] Diodore de Sicile, XVI, 69 ; XVII, 24 ; Plutarque, Alexandre.

[83] Plutarque, Alexandre.

[84] Plutarque, Alexandre ; Arrien, Expéditions d'Alexandre, VII, 3 ; Diodore de Sicile, XVII, 118 ; Grote, Histoire de la Grèce.

[85] Plutarque, Alexandre, traduction de Ricard.

[86] Plutarque, Alexandre.

[87] Diodore de Sicile, XVII, 118 ; Plutarque, Alexandre ; Arrien, Expédition d'Alexandre, VII, Grote, Histoire de la Grèce.

[88] Plutarque, Alexandre.

[89] Diodore de Sicile, XVIII, 23 ; Grote, Histoire de la Grèce.

[90] Athénée, XIII, 13.

[91] Diodore de Sicile, XVIII, 39 ; Grote, Histoire de la Grèce ; Duruy, Histoire de la Grèce ancienne.

[92] Diodore de Sicile, XVIII, 18 ; XIX, 59 ; Plutarque, Démétrius.

[93] Diodore de Sicile, XVIII, 49.

[94] Grote, Histoire de la Grèce.

[95] Diodore de Sicile, XVIII, 49, 57 ; Duruy, Histoire de la Grèce ancienne.

[96] Diodore de Sicile, XVIII, 58 ; Cornélius Nepos, Eumène, VI.

[97] Diodore de Sicile, XVIII, 65.

[98] Duruy, Histoire de la Grèce ancienne.

[99] Plutarque, Phocion, traduction de Ricard ; Elien, Histoires diverses, VII, 9.

[100] Plutarque, Phocion, traduction de Ricard.

[101] Diodore de Sicile, XIX, 11 ; Douris de Samos, cité par Athénée, XIII, 13. Après de mûres réflexions, nous avons cru pouvoir rapporter à cet événement la citation d'Athénée.

[102] Diodore de Sicile, XIX, 11 ; Pausanias, I, 11, 25 ; VIII, 7 ; Justin, XIV, 5.

[103] Diodore de Sicile, XIX, 11 ; Plutarque, Alexandre ; Justin, XIV, 6.

[104] Diodore de Sicile, XIX, 11, traduction de M. Hoefer.

[105] Une fille de Pyrrhus, nommée Olympias, fut régente d'Épire. Justin, XXVIII, 1.

[106] Diodore de Sicile, XIX, 35, 36 ; Pausanias, I, 7.

[107] Diodore de Sicile, XIX, 49-51 ; Pausanias, I, 11, 25 ; IX, 7 ; Justin, XIV, 6.

[108] Diodore de Sicile, XIX, 52.

[109] Diodore de Sicile, XIX, 52, 105 ; Pausanias, IX, 7.

[110] Diodore de Sicile, XIX, 67. Plutarque ne mentionne Cratésipolis que pour citer un fait défavorable à son honneur. (Démétrius.)

[111] Plutarque, Pyrrhus, traduction de Ricard.

[112] Plutarque, Pyrrhus ; Justin, XXV, 4. En celte rencontre, les femmes avaient aussi contribué à fortifier Sparte.

[113] Plutarque, Pyrrhus.

[114] Plutarque, Agis et Cléomène, traduction de Ricard. Nous continuerons d'employer cette version dans le cours de ce récit.

[115] Plutarque, Agis et Cléomène.

[116] Plutarque, Agis et Cléomène.

[117] Plutarque, Agis et Cléomène.

[118] Plutarque, Agis et Cléomène.

[119] Plutarque, Agis et Cléomène.

[120] Voir notre livre : La Femme dans l'Inde antique. Ajoutons cependant que la femme indienne n'aurait rempli qu'une partie du rôle de Chélonis, et que, pour suivre son père, elle n'eût jamais délaissé son époux même coupable.