LA FEMME BIBLIQUE

 

LIVRE PREMIER. — LA FEMME DEVANT LA RELIGION

Dieu, le culte, la loi morale, l'immortalité de l'âme

CHAPITRE TROISIÈME. — RÉVÉLATION PROPHÉTIQUE.

 

 

Les Hébreux sur la Terre de promission. — Le prophétisme dégage le sens spirituel de la loi mosaïque, et prépare, avec l'avènement du Messie, le règne de la vérité sur toute la terre. — Les prophétesses ; leur part dans le développement des idées messianiques. — Les premières prophétesses célèbrent le Dieu vengeur. L'image de la Divinité se rassérène dans l'hymne d'Anne, mère de Samuel, dans les Psaumes de David ; — unit la tendresse du père à la sévérité du juge dans les prophéties d'Isaïe et de Holda ; — s'assombrit de nouveau dans les menaces et les plaintes de Jérémie. Ézéchiel pressent dans le Christ le Bon Pasteur. — La Jérusalem nouvelle. Prophéties concernant le rôle des femmes à l'avènement du règne messianique. — Prières, complaintes, chants et danses des femmes. — Les femmes au temple, — aux assemblées qui se tiennent chez les prophètes, — aux fêtes de pèlerinage. — Prédominance de la loi morale sur les sacrifices. Le prophétisme devient le véritable sacerdoce des Hébreux. — Il s'élève à l'idée de l'humanité. — Les femmes proclament les premières l'immortalité de l'âme.

 

Les Hébreux étaient entrés par la force des armes dans cette Terre de promission où les appelait la voix de Dieu. Mais une main puissante eût seule pu établir l'homogénéité au sein de ces tribus habituées à l'indépendance du régime patriarcal, et les liens religieux qui les unissaient ne tardèrent pas à se relâcher sous l'influence des cultes polythéistes que, contrairement aux ordres de Moïse, les Israélites avaient laissés subsister autour d'eux. A l'heure du péril, le peuple élu, privé de l'action décisive d'un gouvernement central, cédait aux attaques des peuples étrangers, et le Cananéen même asservissait Israël. Alors un homme, une femme, reprenant la pensée de Moïse. ; rappelait momentanément les vaincus à l'idée de Jehova, à l'amour de la patrie ; et sous l'inspiration et la conduite du Juge, du Schophêt, les Hébreux, en recouvrant leur foi, reconquéraient aussi leur indépendance.

Au gouvernement des Juges succéda le pouvoir des Rois qui, glorieusement inauguré, devait néanmoins amener le schisme politique et religieux de dix tribus, et l'asservissement des deux royaumes divisés, Israël et Juda.

Mais, dans la gloire des armes ou dans la force des institutions politiques, n'était pas la véritable mission des Hébreux. Et le dernier des juges avait posé les fondements d'un ordre qui, destiné tout d'abord à contrebalancer la prépondérance de la royauté, devait dégager le sens libéral de la loi mosaïque et préparer le règne du Messie : ce fut l'ordre des Prophètes.

Déjà au temps de l'Exode apparaît la mission religieuse du prophète ; et, incident digne de remarque, elle est pour la première fois directement attribuée à Miriam, sœur de Moïse[1]. Il appartenait à la nature impressionnable et enthousiaste de la femme de frémir la première sous le souffle sacré de l'inspiration. Et l'un des prophètes de Juda n'hésitait pas à placer Miriam parmi les trois libérateurs[2] qu'envoya Jehova à son peuple asservi en Égypte.

Nous n'essaierons pas de peindre maintenant les femmes inspirées que nous verrons plus loin occuper le rang le plus éminent dans les scènes imposantes de l'Ancienne Alliance. Nous ne ferons qu'indiquer sommairement ici la part qu'elles eurent dans le développement des idées messianiques contenues dans la loi de Moïse. Elles devaient à la fois aider à conserver intact le dépôt que Jehova avait confié à sou peuple, et préparer le moment où l'amour répandrait dans le monde entier le trésor que la crainte avait placé sous la sauvegarde d'une seule nation.

Les premières prophétesses, Miriam et Débora, nourries des fortes doctrines de Moïse, rappellent plus l'Ancienne Alliance qu'elles ne pressentent la loi nouvelle. S'élevant au moment où Israël cherchait à se créer une patrie ou à s'affermir dans sa nationalité, elles furent, non les apôtres de l'avenir, mais les sévères gardiennes du présent.

C'est donc encore un Dieu jaloux et vengeur qu'elles exaltent. Leur imagination le reflète dans sa grandeur menaçante, dans son éclat fulgurant, tel enfin qu'il descendit dans le buisson d'Horeb et sur le Sinaï.

Peu à peu l'idée de Dieu se dessine avec non moins de douceur que de majesté, avec non moins de clémence que de justice ; et l'âme forte et tendre d'une femme, d'Anne, mère de Samuel, célèbre le Dieu miséricordieux qui soutient le faible et qui juge l'humanité que régénérera le Christ.

Quand Samuel, dont la naissance avait excité l'enthousiasme prophétique de sa mère, régularisa les fonctions des Nebiîm ou orateurs inspirés ; quand ceux-ci furent à la fois et les interprètes de la pensée de Dieu, et les défenseurs des droits de l'homme, les femmes aussi furent admises dans leurs associations.

Les prophètes suivaient, en l'élargissant, la voie religieuse où les avaient précédés Miriam, Débora, Anne. Des lèvres d'un roi, leur élève, devait s'échapper vers le ciel, non plus le cri de terreur d'un esclave de Jehova, mais le murmure de tendresse d'un enfant de Dieu.

Les chants du roi-prophète, vibrants d'un enthousiasme divin, mais palpitants aussi d'une vie vraiment humaine ; ces chants, entendus par les femmes aux jours solennels, imprimaient dans leur âme une image à la fois imposante et attendrie de la Providence céleste.

Oui, David voit en Dieu un ami. Ce que son cœur affectueux et expansif a donné aux hommes d'amour et de confiance lui a échappé. Même son meilleur ami, l'homme de sa paix[3], l'a trahi. Même son père et sa mère l'ont abandonné[4] ; mais il s'est réfugié dans le sein de Jehova, et l'Immuable Bonté l'a recueilli. Défendu par le Maître suprême de l'univers, couvert d'une égide protectrice, la piété, comment craindrait-il l'homme, l'impie que ses richesses même ne préserveront pas du schéol ? C'est cette ferme assurance d'une protection divine qui imprime au juste une force surnaturelle.

Dans les images de ses psaumes, David reflète les impressions que, pasteur, il dut éprouver. Il emprunte à la nature les scènes les plus imposantes ; à la vie rurale, les plus agrestes paysages[5]. Dans le calme de la nuit, il avait vu les myriades d'étoiles, jaillissant du sein des ténèbres, témoigner de la grandeur de Dieu. Il avait entendu le rugissement des lionceaux quittant leurs tanières à la faveur de l'obscurité. — Au matin, il avait assisté au réveil de la nature ; il avait salué dans la lumière le manteau de Dieu[6]. Il avait erré sous les cèdres, les arbres de Jehova[7], qui étendant leurs mille bras, recélaient les nids des chantres des bois. Il avait vu la cigogne bâtir sur le cyprès son aérienne demeure. Le jeune pâtre avait, sur les rochers escarpés, suivi les traces de la gazelle. Fatigué de ses courses, la vigne, l'olivier, le froment, lui avaient donné et le vin qui réjouit le cœur de l'homme, l'huile qui rend brillante sa face, et le pain qui soutient le cœur de l'homme[8].

Accablé par les ardeurs du soleil, il avait béni dans la pluie la rivière du ciel[9] qui, abreuvant la terre altérée, ceignait les collines d'un diadème de verdure, faisait jaillir des plaines les moissons. Alors les troupeaux broutaient dans les pâturages l'herbe rafraîchie, les oiseaux aspiraient les gouttes d'eau scintillant sur le feuillage, les bêtes fauves brisaient leur soif[10] aux sources de la forêt ; et toute la nature, tressaillant d'allégresse, semblait par ses voix multiples, par ses vagues murmures, chanter à Jehova, qui nourrit l'homme et le lion, l'arbre et l'oiseau, l'hymne d'actions de grâces, l'Alléluia !

Fuyant la colère de Saül, il avait erré jusqu'aux rivages de la mer. Il avait adoré la main qui dirige au sein des vagues écumantes l'esquif qui s'y confie. Partout la nature lui avait révélé la Providence ; la création, le Créateur.

Le Dieu d'Isaïe, plus sévère, mais non moins tendre, est à la fois un juge redoutable et un père indulgent. Oui, dans sa colère, Jehova est le juge qui châtie, le Dieu qui lance la foudre, fait souffler le semoun, ébranle les fondements de la terre, et amoncelle les ténèbres sur la nature. Mais dans son apaisement, c'est le père, non, c'est la mère[11] qui, avec des accents d'une ineffable tendresse, attire dans ses bras Ieschouroune[12], son enfant ingrat, lui rappelle ses bienfaits, le console, le bénit ; c'est le Dieu qui fait jaillir la source du rocher, germer les ombrages au sein des sables brillants, et remplit la nature de repos et de lumière. Si, dans ses menaces, Isaïe est le prophète de l'Ancienne Alliance, dans ses consolations il est le digne précurseur de la Médiation évangélique.

Au temps des douleurs patriotiques, la prophétesse Holda sut aussi montrer en Jehova le Dieu qui punit l'homme dans son crime, et le soulage dans son malheur.

Dans les chants de Jérémie, l'idée de Dieu inspire plus d'effroi que d'attrait. Isaïe, Holda, placés entre les dernières gloires et les premières hontes de Juda, sont encore les poètes de l'espérance. Jérémie, qui assista à la ruine morale et politique de sa patrie, Jérémie, qui voyait avec un mélange de colère et de douleur les filles de Juda encenser la reine du ciel[13], Jérémie est le plus souvent le poète du désespoir. Isaïe fortifie, Jérémie abat. En entendant les accents lugubres, plaintifs de celui-ci, on réagit contre cette douleur presque irrémédiable, la nature humaine proteste contre l'éternité du malheur. Et l'on se sent tenté, après avoir été assombri par ces hymnes funèbres, de répéter avec Isaïe ce cri de triomphe : Réveille-toi, réveille-toi, lève-toi, Jérusalem ![14]

Cependant, quand les malheurs qu'il a prédits se sont réalisés, Jérémie sait trouver des paroles d'espoir, de tendresse et de paix. Mais il a trop souffert pour ne pas donner au bonheur même une teinte mélancolique, et c'est au milieu d'une peinture de la Jérusalem nouvelle qu'il évoque le souvenir de Rachel.

L'acheminement progressif de la loi ancienne vers la loi d'amour, un moment arrêté par les imprécations de Jérémie, s'accentue dans les prophéties d'Ezéchiel. Ce sombre génie qui, s'élevant à la conception matérielle de Dieu, donnait à cette image un éclat étrange et terrible, sut pressentir dans le Christ le Bon Pasteur recueillant sa brebis égarée[15].

Comme tous ceux qui souffrent du présent, les prophètes vivent dans l'avenir, et saluent la Jérusalem nouvelle qui naîtra sous les pas du Fils de la Vierge[16], ouvrira ses portes aux femmes[17], sera témoin de leur apostolat[18], et abritera leur douleur quand, en l'Homme-Dieu, l'homme mourra, le Dieu quittera la terre[19].

 

Aussi bien dans leurs douleurs et dans leurs espérances patriotiques que dans leurs souffrances et dans leurs joies intimes, les femmes se souvenaient encore de la Providence[20]. Dans les calamités publiques, elles imploraient la miséricorde divine, et leurs voix modulaient la complainte[21]. Dans les triomphes nationaux, elles rendaient grâces au Dieu des armées, à Jehova Sabaoth, et s'accompagnant du toph[22], unissant leurs danses à leurs chants, faisaient vibrer dans leurs accents tous les enivrements de la victoire[23].

Au tabernacle avait succédé le temple de Jérusalem, et de l'une de ses cours les femmes pouvaient participer aux cérémonies du culte. Pendant les fêtes sabbatiques et les néoménies, les femmes se rendaient aux assemblées religieuses et politiques qui se tenaient chez les prophètes, et dans lesquelles les orateurs inspirés spiritualisaient la loi en l'interprétant, et décidaient, au nom de Jehova, du sort des nations[24].

 

Les femmes savaient aussi monter à Jérusalem quand les trois fêtes annuelles appelaient les fidèles au sanctuaire central[25]. Sous les ardeurs du soleil de la Syrie, sur la route poudreuse de Bacca, les regards alourdis des pèlerins cherchaient à l'horizon les portes de Jérusalem, et leurs lèvres brûlantes laissaient échapper ces psaumes qui allégeaient les fatigues du voyage par la perspective du but, et qui, au sein des déserts, évoquaient les vivantes splendeurs de la cité sainte[26].

 

Mais alors ce n'était plus sur les sacrifices que les prophètes appelaient la pieuse attention des Hébreux. Qu'importent à Dieu les prémices de la terre ? Le monde entier ne lui appartient-il pas ? Ce qu'il demande, ce sont les fruits de sagesse, de justice, de charité, que l'intelligence de la vérité fait éclore dans l'âme de l'homme. Que lui importe la victime qui se consume sur l'autel ? Ce qu'il exige, c'est l'anéantissement des passions mauvaises qui entravent le perfectionnement de l'humanité. Que lui importe le sacrifice expiatoire ? Ce qui le touche, c'est le sanglot d'un cœur brisé et repentant. Que lui importe le sacrifice d'actions de grâces ? Ce qu'il aime, c'est l'hommage filial et reconnaissant de ce cœur, son plus sublime ouvrage.

Ce fut ainsi que le prophétisme devint-le sacerdoce des Hébreux. Sans doute, David et Jérémie ne surent pas toujours pratiquer cette charité dont ils élevaient l'exercice au-dessus des sacrifices. On éprouve une impression pénible en les entendant appeler sur les femmes de leurs ennemis les douleurs du veuvage[27]. Et devant leur appel à Jehova : Frappe ceux qui nous haïssent ! nous, enfants de l'Évangile, nous remplaçons involontairement cette imprécation par les dernières paroles du divin Crucifié : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ![28]

Néanmoins les orateurs inspirés furent les véritables prophètes de l'humanité. Naguère, Anne, mère de Samuel, avait pressenti le moment où tous les peuples de la terre s'uniraient en une même foi[29]. Isaïe, développant cette idée, fut le premier prophète de Juda qui, digne héritier de la pensée des patriarches, et véritable précurseur de l'esprit du Christ, sut s'élever à ce sentiment dont seul l'Évangile devait alimenter la flamme : l'amour de l'humanité ! Quand il lit dans l'avenir le châtiment réservé aux ennemis d'Israël, quand il le leur annonce, son regard brille d'un saint courroux, sa voix éclate comme la dernière fanfare du jugement dernier. Mais quand il contemple les désastres de ceux qu'il a menacés, cette voix imposante sait s'attendrir, ce regard fulgurant sait se noyer de larmes. Et le prophète vengeur d'Israël pleure sur l'ennemi de sa patrie, abattu et désarmé !

Jérémie même enjoint à ses compatriotes transportés à Babylone de prier pour le lieu de leur exil[30]. Et les prophètes s'accordent à faire de tous les étrangers les citoyens de la Jérusalem nouvelle.

 

A mesure que le culte se spiritualisait, l'idée de l'âme se dégageait avec plus de netteté et de lumière. Ici encore, ce furent les femmes, Anne[31], Abigaïl[32], qui les premières proclamèrent la croyance à l'immortalité de l'âme et à la justice rémunératrice de Dieu. — L'Éternel n'est pas le Dieu de la mort, il est le Dieu de la vie. Il est Jehova, il est celui qui est !

 

 

 



[1] Dieu avait indirectement donné à Abraham le nom de prophète, quand il fit entendre sa voix dans un songe au roi de Gerar.

[2] Moïse, Aaron, Miriam, Cf. Michée, VI, 4.

[3] Psaume XLI, 10.

[4] Car mon père et ma mère m'ont abandonné, mais Jehova me recueillera. Psaume XXVII, 10, traduction de Cahen.

[5] Principalement dans l'admirable psaume CIV, duquel nous nous sommes inspirée ici.

[6] Psaume CIV, 2.

[7] Psaume CIV, 16. Cette dénomination désigne les arbres qui croissent sans la culture de l'homme. Cf. la note de Cahen.

[8] Psaume CIV, 15.

[9] Psaume LXV, 10.

[10] Psaume CIV, note 11 de Cahen.

[11] Isaïe, LXVI, 13.

[12] C'est le nom enfantin que Dieu donne parfois à Israël. Cf. pour les diverses interprétations de ce mot : Deutéronome, XXXII, note 15 de Cahen.

[13] Cf. Jérémie, VII, 18, et XLIV. — D'après Gramberg, cité par Cahen, la reine du ciel serait Astarté. Voir aux notes supplémentaires de la traduction de Jérémie, par Cahen.

[14] Isaïe, LI et LII.

[15] Ézéchiel, XXIV.

[16] Isaïe, VII, 14.

[17] Isaïe, LX, 4.

[18] Joël, III, 1, 2.

[19] Zacharie, XII, 12-14.

[20] I Samuel, I ; Psaume CXLVIII, 12-13 ; Joël, II, 16.

[21] Cf. Ézéchiel, XXXII, 16, et note de Cahen.

[22] Le tambour de basque, que les Arabes nomment encore aujourd'hui doff, et les Espagnols aduffa. Palestine, par M. Munk.

[23] Juges, XI, 34 ; I Samuel, XVIII, 6,7 ; Psaumes LXVIII, 12-15.

[24] II Rois, IV, 23.

[25] Luc, II.

[26] Cf. Psaumes LXXXIV, LXXXV.

[27] Psaume CIX, 9 ; Jérémie, XVIII, 21.

[28] Luc, XXIII, 34, traduction de Le Maistre de Sacy.

[29] I Samuel, II, 10.

[30] Jérémie, XXIX, 7.

[31] I Samuel, II, 6.

[32] I Samuel, XXV, 29.