I LE VOYAGE DE NAPOLÉON SUR LE RHIN EN 1804.Sous l'Empire, les départements rhénans témoignèrent d'un loyalisme absolu, ralliés sans arrière-pensée à la France, patriotes, Français de cœur comme de fait, attachés à Napoléon et lui fournissant des soldats d'élite, heureux de jouir d'une administration ordonnée et équitable, bienfaisante et réparatrice. L'affranchissement des paysans, la liberté de conscience et le respect de la religion, l'égalité devant la loi, la qualité de citoyen français, titre d'honneur comme l'avait été celui de citoyen romain ou celui de franc, la gloire des armes, la fierté d'être soldat de Napoléon, comme jadis de servir dans les armées romaines : toutes ces nouveautés étaient appréciées des masses populaires aussi bien que des hommes lettrés et des bourgeois. Napoléon prit toujours à tâche d'envoyer dans cette région les plus expérimentés de ses préfets, parmi lesquels il faut citer Jean Bon Saint-André, assagi après le plus odieux passé révolutionnaire, et qui fut préfet de Mayence jusqu'à sa mort, en 1813. L'Empereur voulut visiter ces populations nouvellement françaises, qu'on appelait les Allemands de France, comme il y avait des Basques de France ou des Flamands de France ; il avait déjà parcouru les départements de la Belgique en 1803. Parti du camp de Boulogne, il arrive à Aix-la-Chapelle le 2 septembre 1804, accompagné de l'Impératrice Joséphine. L'allégresse publique est à son comble, écrit le correspondant du Moniteur relatant son arrivée, et tous nos citoyens envient le bonheur de nos magistrats qui ont joui, ce matin, de son auguste présence. Napoléon s'installe au Palais impérial ; il donne audience aux ministres étrangers. Par une attention qui dut lui plaire, c'est dans ce palais de Charlemagne qu'il reçut l'ambassadeur de l'empereur d'Allemagne, Cobentzel, envoyé pour lui notifier la reconnaissance de son titre d'Empereur des Français par son maître. Sans cesse acclamé par la foule, il assiste à des fêtes publiques ; il visite la fabrique de drap Ignace Vanhorten, et la fabrique d'épingles Jecker ; il fait une excursion à Borcette pour voir d'autres fabriques d'aiguilles et d'épingles. Il assiste à un Te Deum chanté en son honneur à la cathédrale ; l'enthousiasme populaire est à son comble. On lui montre et il contemple respectueusement et pensif, le trône de pierre sur lequel le squelette de Charlemagne, paré des attributs impériaux, fut assis durant trois siècles, jusqu'à Otton III. Il examine, un autre jour, dans tous les détails, une Exposition industrielle organisée dans la salle de la Redoute. La foule se presse sur le passage de l'Empereur, pour le voir et l'acclamer. Il ne fait rien dans le seul but de plaire ou de rechercher la popularité ; mais chacun est fasciné par son regard pénétrant et dominateur. De longues heures de chacune de ses journées sont consacrées à écouter des rapports et à prendre des décisions pour le gouvernement de l'Empire, car, avant 1814, Napoléon ne constitua jamais de Régence. Il quitte Aix-la-Chapelle, le 11 septembre, après un séjour de dix jours, qui ne furent qu'une longue et universelle ovation[1]. Tandis que Napoléon va reconnaître les défenses militaires du bas Rhin, l'Impératrice se dirige directement sur Cologne. On lit dans le Moniteur : Sa Majesté l'Impératrice part en ce moment pour Cologne. La bonté avec laquelle elle a daigné accueillir toutes les personnes qui ont eu l'honneur de l'approcher, et les grâces qu'elle a répandues sur toutes les classes de citoyens, lui ont à jamais conquis tous les cœurs. Dès le 11 septembre, Napoléon inspecte les fortifications de Juliers. De là, il gagne Neuss, puis Crefeld où il inaugure une exposition locale. Il quitte Crefeld le 12, au matin, passe à Venlo et descend au château de Lahaye, près Gueldres. Le 13, il visite les digues et franchit le Vieux-Rhin. Il arrive le soir à Cologne : tel est l'enthousiasme universel que les plus renommés des bourgeois détellent les chevaux et se disputent l'honneur de traîner eux-mêmes la voiture de l'Empereur. Le 14 septembre, dès 5 heures du matin, Napoléon visite le port et les entrepôts ; il fait ensuite le tour de l'enceinte extérieure et passe en revue la garnison. Une affaire importante, celle de la navigation du Rhin, retient particulièrement son attention. Un règlement général était devenu nécessaire, après la suppression des innombrables barrières et droits de péage que, jusqu'à la Révolution, toutes les petites souverainetés riveraines avaient établies tout le long du fleuve. Déjà en 1803, la Diète allemande avait admis, en principe, la liberté du parcours fluvial réclamée par les plénipotentiaires français au Congrès de Rastadt, et Napoléon venait de ratifier, le 15 août 1804, une convention d'octroi conclue sur la base de la liberté de navigation, depuis Huningue jusqu'à l'embouchure du fleuve. Passant à Cologne, un mois après, l'empereur règle différents points de cette question sur laquelle il aura encore à revenir au cours de son règne, notamment en 1810. Le 17 septembre, au matin, départ de Cologne. Le même jour, Napoléon passe à Bonn ; le soir, il arrive à Coblence où il descend à la Préfecture. Les 18 et 19, l'Empereur séjourne à Coblence, au milieu des ovations et des réceptions ; il inspecte rigoureusement les défenses du confluent de la Moselle et du Rhin. Le 20, il part pour Mayence, en suivant la route qui remonte le Rhin. En passant à Rolandseck, il concède à des religieuses la jouissance de 60 arpents de terre dans une ile du Rhin. Du 21 au 24, à Mayence, réceptions officielles de la foule des princes allemands qui viennent faire leur cour à Napoléon : on remarque l'Électeur de Bade, le prince souverain de Hesse-Darmstadt, le prince souverain d'Isembourg, les ambassadeurs de Bavière, de Wurtemberg, de Nassau, de Tour-et-Taxis, de Francfort, etc. Tous s'empressent, accourent, font agréer leurs humbles hommages, veulent saluer celui qu'ils appellent le héros du siècle, et qu'ils disent tant ressembler au premier de nos Césars romains, qui franchit le Rhin pour chasser les Barbares[2]. Ils rappellent leurs anciennes alliances avec la France, se font gloire des états de service de leurs ancêtres dans les armées françaises. Ils sollicitent Napoléon comme leur protecteur naturel, et ainsi sont jetées, suivant les vœux de tous, sans secousse ni violence, les bases de la nouvelle Confédération du Rhin. Mais Napoléon ne se laisse pas éblouir par ces hommages intéressés. Il presse la lutte contre l'Empire des Habsbourg ; aussi, du 25 au 28 septembre, il étudie avec une attention particulière les fortifications de Mayence sur les deux rives du fleuve ; il leur consacre huit heures chaque jour. Entre temps, le 27, il confère avec l'Électeur Charles-Théodore de Dalberg, archichancelier du Saint-Empire, prince-archevêque de Ratisbonne ; il reçoit aussi le prince Frédéric, Électeur de Bade. Le 30 septembre, Napoléon passe en revue les troupes de la garnison. Il séjourne à Mayence les 1er et 2 octobre 1804, frénétiquement acclamé par la population, dès qu'il parait en public. Le 3 octobre 1804, Napoléon quitte Mayence. Il arrive à la porte de Frankenthal à 3 heures. Avant d'entrer dans la ville, se dérobant à l'attente de tous, il va suivre la rive du Rhin jusqu'au pont de Mannheim, et les bords du canal, qu'il inspecte au point de vue stratégique, puis il revient à la nuit pour coucher à Frankenthal. Le 4, à la pointe du jour, Napoléon quitte Frankenthal et arrive à Kaiserslautern, l'après-midi, à 3 heures. Il visite les fortifications. Le 5, il part de Kaiserslautern avant le jour, pour se rendre à Simmern, où il couche. Le 6, Napoléon quitte Simmern, toujours à la première heure, et à 4 heures du soir il arrive à Trèves, à 22 lieues de Simmern. Les 7 et 8 octobre 1804, Napoléon séjourne à Trèves, toujours acclamé, s'intéressant aux ruines de la vieille capitale des Césars romains et surtout à ses fortifications. Le 8, il visite les positions des environs et celles du confluent de la Moselle et de la Sarre. Le 9, départ de Trèves, avant le jour. Arrivée à Luxembourg dans la matinée, à 11 heures. L'Empereur inspecte les fortifications jusqu'à la nuit. Le lendemain, il donne audience dès 7 heures du matin. A 11 heures, départ de Luxembourg pour Stenay. Napoléon est de retour à Saint-Cloud, le 12 octobre, avant midi. Tel fut le rapide et triomphal voyage de Napoléon dans les départements du Rhin, en septembre 1804. Dégagé du cérémonial officiel, de la banalité des cortèges, des adresses et des discours, des fêtes et banquets, auxquels Napoléon se déroba toujours, il fut la consécration de la prise de possession du Rhin par la France, la reconnaissance par les populations, enivrées d'allégresse, de la souveraineté de Napoléon, dans lequel elles retrouvaient un empereur, mais welche comme elles, à la place d'un empereur gibelin ; les professeurs répétaient à l'envi : major rerum nascitur ordo. Tous les témoignages contemporains sont d'accord, et c'est en vain que des historiens allemands, après 1815, devenus insulteurs, se sont donné le mot d'ordre pour taire ce voyage ou pour en travestir certains épisodes où la servilité allemande s'était étalée jusqu'à la bassesse. A un point de vue plus relevé, ce voyage de Napoléon nous rappelle, d'une manière singulièrement frappante, celui de Louis XIV dans l'Est, après la paix de Nimègue. On se souvient que le grand Roi dissimulait, sous le rideau de la pompe et des fêtes de la Cour en déplacement joyeux, l'inspection sévère des forteresses dont Vauban dirigeait en silence et hâtait la construction. II LA CONFÉDÉRATION GERMANIQUE.C'est l'année suivante seulement, en 1805, que Napoléon visita Strasbourg, pour la première fois, à l'occasion de la campagne d'Austerlitz : la nouvelle coalition continentale formée contre la France le forçait d'abandonner son projet de descente en Angleterre. Avec une rapidité qui déconcerte l'ennemi, Napoléon transporte son armée des bords de l'Océan du nord à ceux du Danube. Le 26 septembre 1805, venant de Nancy, il fait son entrée à Strasbourg, par la porte de Saverne, à 5 heures du soir. Le 1er octobre, à 3 heures de l'après-midi, Napoléon quitte Strasbourg, après avoir interrogé l'espion Schulmeister. Il franchit le Rhin et arrive, à 9 heures, à Ettlingen, où il donne audience au duc de Bade et à son fils. De là, l'Empereur se dirige sur Stuttgart où il est reçu par l'Électeur de Wurtemberg. Le 6 octobre, Napoléon voit, pour la première fois, le Danube, à Donauwerth, où il devance le corps d'armée de Murat. La campagne d'Austerlitz fut couronnée par le traité de Presbourg, signé le 25 décembre 1805, qui démembra et abolit définitivement le Saint-Empire romain germanique. L'empereur d'Allemagne devient, dès lors, simplement empereur d'Autriche. Napoléon réunit au royaume d'Italie la Vénétie, l'Istrie et la Dalmatie ; avec d'autres portions du Saint-Empire il crée les royaumes de Bavière et de Wurtemberg et le grand-duché de Bade, posant ainsi les premières bases de la nouvelle organisation politique de l'Allemagne du Sud. Avant même que cet arrangement fût sanctionné diplomatiquement, la volonté de l'Empereur était si fermement arrêtée, qu'on lit dans le Bulletin de la Grande armée : Les Électeurs de Bavière et de Wurtemberg vont prendre le titre de rois, récompense qu'ils ont méritée par l'attachement et l'amitié qu'ils ont montrés à l'Empereur dans toutes les circonstances. Par le traité de Presbourg, le chef-d'œuvre diplomatique de Napoléon, l'Autriche et la Prusse sont éloignées de nos frontières. Les 370 États souverains qui se partageaient l'Allemagne et y entretenaient, comme le dit Duruy, une anarchie permanente, sont supprimés et remplacés par des États plus vastes, mieux groupés et agglomérés, qui forment, sous le protectorat de Napoléon, la nouvelle Confédération germanique. Telle est l'œuvre grandiose que proclame magnifiquement, en bas-reliefs sculpturaux et en style d'épopée, l'Arc de triomphe de la place du Carrousel, ce joyau architectural de Paris : A LA VOIX DU
VAINQVEUR D'AVSTERLITZ L'EMPIRE
D'ALLEMAGNE TOMBE LA CONFÉDÉRATION
DU RHIN COMMENCE LES ROYAUMES DE BAVIÈRE ET DE WURTEMBERG SONT CRÉÉS, etc. Il importe d'observer qu'au traité de Presbourg, Napoléon,
malgré ses décisives victoires d'Ulm et d'Austerlitz, n'annexe à la France
aucun territoire nouveau. Il prend à tâche de respecter pour la France la
limite naturelle du Rhin, sanctionnée par le traité de Lunéville et la paix
d'Amiens. Ni à cette époque, où il eût pu profiter du démembrement du
Saint-Empire, ni plus tard, après la ruine de la Prusse et le traité de
Tilsitt, en 1807, Napoléon ne donna à la France un agrandissement territorial
sur la rive droite du Rhin, en dehors des forteresses de Wiesel, de Castel en
face de Mayence et de Kehl, près de Strasbourg, qui formant des têtes de
pont, ménageaient des passages stratégiques et nous assuraient la maîtrise du
grand fleuve. J'ai assez du Rhin est le mot
qu'il oppose aux suggestions de ceux qui le poussent aux annexions, et qu'il
répète aux étrangers qui redoutaient les débordements de son ambition[3]. L'Empereur a déclaré, fait-il dire à la Diète
germanique, qu'il ne porterait jamais les limites de
la France au delà du Rhin. En Hollande, dès le début de 1806, Rutger Jan Schimmelpenninck, chef du Pouvoir exécutif de la République batave, fut chargé par son gouvernement de se rendre à Paris, avec une députation de Hollandais, pour demander à l'Empereur de leur donner pour roi son frère Louis. Une Convention fut signée à Paris, le 24 mai 1806, et le 5 juin suivant, Louis-Napoléon fut intronisé roi de Hollande. C'était la solution logique et pacifique de la politique séculaire de la France qui, tant de fois au cours de l'histoire de l'ancienne Monarchie, avait cherché à étendre son influence sur les Provinces-Unies et avait même été appelée, dès le XVIe siècle, par les Hollandais, pour lutter contre la domination autrichienne ou espagnole : politique que la Révolution avait elle-même adoptée, en faisant la conquête des Pays-Bas et en y établissant la République batave. Pour l'Allemagne, c'est donc hors des limites de la France que Napoléon exerce son protectorat, comme jadis, par droit d'héritage féodal, les rois de France étaient rois de Navarre, ou comme l'empereur d'Autriche est roi de Hongrie et de Bohême. Napoléon, Empereur, est en même temps Roi d'Italie, Médiateur de la Confédération suisse, Protecteur de la Confédération germanique. A Presbourg, Napoléon reprend, complète, adapte aux conditions politiques et aux idées nouvelles de l'Europe occidentale, l'œuvre des traités de Westphalie qui avaient, en principe, dégagé les princes allemands de toute dépendance vis-à-vis du Saint-Empire. Malgré ces traités, ces princes, trop faibles pour se défendre eux-mêmes, et trop jaloux les uns des autres pour s'unir, n'avaient cessé d'être en butte aux tracasseries et aux empiétements de l'Autriche ou de la Prusse ; ils étaient constamment menacés d'absorption par ces grandes puissances ; si bien que le jour où se leva, à l'Occident, une force nouvelle, capable de les protéger, on les vit se tourner vers elle avec bonheur : De toute l'Allemagne occidentale, remarque Rambaud, s'élevaient des voix pour supplier Napoléon de prendre en main les destinées de la Germanie. Si la Révolution leur avait paru dangereuse et anarchique, le Vainqueur de l'Europe, avec son génie d'organisation, leur sembla reprendre la tradition de la Monarchie, socialement régénérée. Napoléon s'offrait pour continuer et développer la Ligue rhénane créée par Mazarin en 1658. En reconstituant l'antique alliance du Rhin, dit Rambaud, Napoléon avait conscience de suivre la tradition de ses plus augustes prédécesseurs, Henri IV, Richelieu, Louis XIV[4]. Avec des moyens d'exécution plus efficaces que ceux dont pouvait disposer Louis XIV, Napoléon fit stipuler, à Presbourg, que tous les princes allemands posséderaient dans leurs États, la pleine souveraineté et tous les droits qui en découlent, au même titre que l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse (art. 14). Désormais, l'Empire d'Autriche et le royaume de Prusse étaient séparés de nos frontières par de modestes États-tampon qui sollicitaient d'être notre clientèle allemande. La Ligue du Rhin de Louis XIV se trouvait singulièrement élargie à notre avantage, puisque la nouvelle Confédération était reportée toute entière sur la rive droite du Fleuve où le Protectorat du souverain de la France était recherché, solennellement affirmé et reconnu. De 1805 à 1807, Napoléon et Talleyrand organisent politiquement la nouvelle Confédération germanique, déterminent les limites des nouveaux États et les principautés à supprimer, fixent les indemnités qu'on doit aux petits souverains dépossédés. On fit des mécontents. La foule des petits princes féodaux qui se sentent sacrifiés, cherchent à se rattacher à la Prusse ou à l'Autriche, qui les encouragent secrètement dans leur opposition ; mais ils n'osent manifester au grand jour leurs sentiments hostiles, dans la crainte de n'être pas investis de quelque dignité de Cour, qu'ils sollicitent servilement. Il ne faut pas croire,
disait Napoléon, aux protestations (amicales) des
petits princes ; ils ont fait la même chose à Rastadt, et nous n'avons pas
d'ennemis intérieurement plus acharnés... Quel
scrupule pourrait-on avoir ? Si les alliés eussent été victorieux, ils
auraient donné la Bavière à l'Autriche... Il est
dans la nature des circonstances actuelles de détruire tous ces petits
princes... Pour des raisons locales, on n'en conserve que trente-six ;
tous les autres sont annexés aux États plus grands, dans lesquels ils étaient
enclavés. Le système napoléonien reçoit les approbations de toute l'Allemagne, et plus d'un prince allemand écrit qu'on veuille bien se hâter d'exécuter ces réformes, parce que les délais retardent sa félicité[5]. C'est le 19 juillet 1806, que le traité de la Confédération germanique fut ratifié, à Saint-Cloud, par Napoléon. Les États principaux qui, dès l'origine, adhèrent à cette Convention, sont, dans le sud, les royaumes nouvellement créés, de Bavière et de Wurtemberg et le grand-duché de Bade. Au centre, il y avait, entre autres, les grands-duchés de Francfort et de Hesse-Darmstadt, le duché de Wurtzbourg. Dans le nord, le grand-duché de Berg, le duché de Nassau, etc. De tous ces États, le plus considérable et le mieux nationalisé par ses traditions historiques et sa situation géographique était la Bavière, l'ennemie héréditaire de l'Autriche qui l'avait souvent envahie ; à maintes reprises, notamment en 1777, en 1784, en 1797, les Habsbourg n'en avaient-ils pas projeté la conquête ? D'un autre côté, comme la Bavière était profondément catholique, elle avait pour la Prusse une antipathie marquée, aggravée encore par une divergence de race et d'habitat. Les Prussiens étaient, en grande partie, de race slave ; leur pays était pauvre, marécageux et forestier ; leur organisation sociale était restée féodale. La Bavière, belle région, fertile en céréales, encerclée de hautes montagnes boisées, restait marquée de l'empreinte de sa race primitive, foncièrement celtique. D'instinct, la Bavière se tournait du côté de la France, redoutant l'Autriche, détestant la Prusse. Les Bavarois disaient des Prussiens : luxure honteuse, hypocondrie, fausseté, lâcheté, esprit de rancune, voilà leur caractère[6]. A Munich, on exécrait le borussisme étroit, rapace, hostile à l'esprit national bavarois. Le premier roi de Bavière, Maximilien Joseph, avait reçu une éducation française, à la cour de son oncle, Christian IV de Deux-Ponts ; celui-ci avait passé sa joyeuse carrière à Paris, à la cour de Louis XV dont il était l'un des favoris. Nous avons vu qu'à 21 ans, en 1777, Max-Joseph était entré lui-même au service de France. Devenu Electeur de Bavière et Electeur Palatin, il prit pour ministre un Français, le baron de Montgelas. Dès le temps du Consulat, Napoléon chercha à s'attacher la Bavière ; il avait fait rayer Max-Joseph de la liste des émigrés où il figurait comme colonel d'un régiment français. Le 24 août 1801, le Premier Consul signa avec lui un traité d'alliance. L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres fut, ultérieurement, chargée de composer une médaille pour consacrer le souvenir de cette Convention. La légende proposée portait : Bavari in amicitiam recepti. Ce projet, soumis à Napoléon, revint du cabinet de l'Empereur avec la modification suivante : Bavari in veterem amicitiam recepti. On voit combien l'Empereur tenait à renouer la tradition, et à faire ressortir que l'alliance de la France avec la Bavière était naturelle, traditionnelle, remontait jusqu'au passé de la Monarchie française. Après la proclamation de l'Electeur Maximilien-Joseph, comme roi de Bavière, la Statszeitung de Munich, du 1er janvier 1806, s'écrie, dans le lyrisme de son enthousiasme : Vive Napoléon ! le Restaurateur du royaume de Bavière ![7] Le premier roi de Wurtemberg, Frédéric Ier, avait servi dans l'armée prussienne, puis dans l'armée russe. D'une corpulence peu ordinaire, il était si empressé à faire sa cour à Napoléon, que l'Empereur disait en plaisantant qu'il accourait toujours à Paris ventre à terre. Le grand-duc de Bade, Charles-Frédéric, dont la puissance et les États furent décuplés, fut aussi comblé par Napoléon. Son petit-fils, prince héréditaire de Bade, épousa Stéphanie de Beauharnais, nièce de l'impératrice Joséphine. Eh bien ! ces trois princes de Bavière, de Wurtemberg, de Bade, si empressés à servir les desseins de Napoléon et à solliciter des alliances matrimoniales avec les Bonaparte ou les Beauharnais, devaient être des premiers à abandonner l'Empereur et à le trahir ! Le grand-duc de Hesse-Darmstadt, Louis Ier (1753-1830) avait jadis, lui aussi, servi en Russie. Après avoir longtemps hésité, il se rallia loyalement à Napoléon Ier et en reçut le titre de grand-duc. Il fut fidèle à l'alliance française et s'honora en restant longtemps attaché à Napoléon dans les mauvais jours. En 1813, il disait courageusement : Napoléon est mon ami, je lui dois de la reconnaissance et je lui serai reconnaissant tant que je vivrai[8]. Le grand-duc de Francfort, le Prince-Primat, Charles-Théodore, baron de Dalberg, archevêque de Ratisbonne, fut institué Président de la Confédération germanique. Né en 1744, à Heinsheim, près Worms, et élevé dans la diplomatie ecclésiastique, il fut longtemps gouverneur d'Erfurt. Il avait cherché d'abord un Protecteur à l'Allemagne dans le roi de Prusse et il essaya, en 1785, de constituer avec le grand Frédéric la fameuse Ligue des Princes allemands (Furstenbund) ; plus tard, en 1797, il crut pouvoir compter sur l'archiduc Charles ; enfin, il trouva le Protecteur rêvé dans Napoléon. Il était devenu en 1802, archevêque de Mayence. Dès avant le traité de Presbourg, il donna publiquement
les raisons pour lesquelles il abandonnait le parti autrichien pour se
rallier à celui de Napoléon, en la personne duquel,
dit-il, renaît l'Empire d'Occident, tel qu'il avait
existé sous Charlemagne, quand il comprenait l'Italie, la France et
l'Allemagne. On croirait entendre l'archevêque de Reims, Adalbéron, au
temps des derniers Carolingiens. Il écrit à l'Empereur des Français : Sire, le génie de Napoléon ne doit pas se borner à procurer
le bonheur de la France ; la Providence a fait naître les hommes supérieurs
pour le monde entier. La noble nation allemande gémit dans .les maux de
l'anarchie politique et religieuse. Soyez, Sire, le régénérateur de sa
constitution...[9] Au sacre de Napoléon, à Paris, Dalberg fut comblé de prévenances et d'honneurs par le Pape et l'Empereur. En 1810, ayant dû céder Ratisbonne à la Bavière, il reçut, en compensation, les principautés de Fulda et de Hanau dont furent dépouillées les maisons d'Orange-Fulda et de Hesse-Cassel. Le duché de Berg, sur la rive droite du Rhin, en aval de Cologne, qui appartenait aux comtes palatins de Neubourg, avait pour capitale Dusseldorf ; il comprenait aussi les villes d'Elberfeld et de Barmen. En 1806, Napoléon l'érigea en Grand-Duché, en l'augmentant du pays ecclésiastique de Munster, du comté de la Marck, de l'abbaye d'Essen et de quelques autres territoires. Il en investit son beau-frère Murat, parce qu'il jugeait prudent d'avoir un prince français dans le sein même de la Confédération. Le traité de Tilsitt, le 8 juillet 1807, érigea en royaume la Westphalie, pour le frère de l'Empereur, Jérôme Napoléon, qui en prit possession le 18 août ; quatre jours après, le roi Jérôme épousait Catherine, fille du roi de Wurtemberg. N'est-il pas étrange de constater que ce roYaume de Westphalie, destiné, dans la pensée de l'Empereur, à être comme un foyer d'idées et de culture françaises au cœur de la Confédération germanique, était précisément le pays où les vieilles traditions teutonnes étaient restées le plus âprement enracinées ? Là, en effet, se trouvait la forêt de Teutobourg, qui avait abrité le massacre des légions de Varus et retenti de la vengeance de Germanicus ; là, se trouvait le mont Suntal et serpentait le Weser, sur les bords duquel Witikind et ses Saxons avaient si longtemps, au nom de l'indépendance barbare, tenu en échec l'empereur Charlemagne. Le nœud du Harz est resté le fanatique foyer des légendes odiniques. Les Guelfes de Brunswick firent de cette ténébreuse région le centre de leur puissance, lorsqu'ils luttèrent contre les Gibelins. A Smalkalde, à Magdebourg, à Mulhausen, à Munster, on frémissait encore aux terribles souvenirs de la guerre de Trente ans. Paderborn, Osnabruck, Hildesheim, Halberstadt, Gosslar, Gœttingue, Marburg, Halle, étaient pleines de leurs traditions médiévales et des monuments qui les racontaient à tous les yeux. Par là, s'explique peut-être l'éclosion du mouvement insurrectionnel qui éclata contre le roi Jérôme, dès qu'on crut voir chanceler la fortune de Napoléon. De même qu'il y avait deux royaumes dans l'Allemagne du Sud, Napoléon voulut en créer deux, également, dans l'Allemagne du Nord. A côté du royaume de Westphalie, il érigea, au traité de Tilsitt, l'Électorat de Saxe en royaume, au profit du sage et loyal Frédéric-Auguste. Napoléon le fit, en môme temps, grand-duc de Varsovie, ne pouvant, par égard pour l'Empereur de Russie, restaurer, pour l'instant, le royaume de Pologne, sur lequel la famille de l'Électeur de Saxe s'était autrefois acquis des droits. Frédéric-Auguste fut le dernier des Saxons à abandonner Napoléon, sur le champ de bataille de Leipzig : Deux fois, s'écriait-il, il a été au pouvoir de Napoléon de me détruire, il ne l'a pas fait ; je lui en aurai une gratitude éternelle. Tous ces rois, princes, grands-ducs, ducs et autres souverains, signataires de la Convention, déclarent former, sous le Protectorat de Napoléon, une Confédération à tout jamais séparée du Saint-Empire et dégagée de tout lien avec lui comme avec la Prusse. Ils s'engagent à ne jamais contracter d'alliance avec l'Autriche et la Prusse et à ne jamais servir dans leurs armées. Les intérêts communs de la Confédération devaient se traiter dans une Diète dont le siège fut fixé à Francfort. Voilà l'Allemagne désormais morcelée suivant les indications de la géographie et des mœurs régionales, placée sous le puissant protectorat de Napoléon, et incapable d'inspirer à la France la moindre inquiétude de voisinage. Les nouveaux États forment notre clientèle bénévole. Ils ont, l'autonomie politique, un certain esprit national, des intérêts indépendants, parfois même rivaux. Que doivent-ils à Napoléon, en retour de ces bienfaits ? Les États confédérés coopèrent à toutes ses campagnes, en lui fournissant des contingents et des contributions de guerre : telle est la rançon principale du nouveau régime. Il leur faut aussi se plier aux idées et aux habitudes françaises, adopter le Code Napoléon, appliquer en toutes choses les principes d'égalité de la Révolution française. Tout cela, ils l'admettent, tant l'opinion publique est passionnée pour l'Homme du Destin. La Confédération germanique ou Rheinbund fut ce qu'on appela l'Allemagne française, se substituant à ce qui avait été l'Allemagne autrichienne et à ce qui avait failli devenir l'Allemagne prussienne. Comment, dit justement Alfred Rambaud, les princes de la Confédération n'eussent-ils pas été dévoués à Napoléon ? ils lui devaient tout. Il les avait, à la fois, affranchis du joug de l'Autriche et de l'avidité prussienne, rassurés vis-à-vis de la terreur que leur avait inspirée la Révolution, débarrassés de leurs incessantes querelles de voisinage. Il les avait enrichis, agrandis et il leur avait donné la Souverainté pleine et entière. Par lui, ils étaient devenus, de principicules allemands, des Puissances européennes. Les maisons de Bade, de Wurtemberg, de Bavière sont admises à l'honneur de s'allier par le sang aux Beauharnais et aux Bonaparte, comme, jadis, les alliances matrimoniales préparaient souvent ou scellaient les alliances ou les combinaisons politiques de la Monarchie française. Telle est la satisfaction et la joie de tous ces princes allemands, qu'ils sollicitent à tout propos l'intervention de l'Empereur. Napoléon est obligé de leur répondre par des déclarations comme celle-ci : Le gouvernement des peuples que la Providence nous a confiés occupant tous nos moments, nous ne saurions voir croître nos obligations sans en être alarmé. Il ne veut pas s'occuper des affaires intérieures de leurs États, à plus forte raison de leurs affaires privées. Un jour, le prince de Wittgenstein et Hohenstein va jusqu'à prier l'Empereur d'accorder sa protection au fils dont la princesse son épouse vient d'accoucher. C'était, remarque Rambaud, ne pas perdre de temps[10]. Nulle cour asiatique de l'antiquité ne vit pareilles démonstrations d'hommages, de sollicitations et d'obséquiosité débordante. Le 1er janvier 1808, le duc George de Brunswick, le second fils de celui qui fut vaincu à Valmy et mourut de ses blessures après Iéna, écrit au roi de Westphalie, Jérôme-Napoléon, à l'occasion de son avènement : ... J'ai attendu l'heureux moment de l'arrivée de Votre Majesté dans ses États pour mettre à ses pieds ma respectueuse demande (de rentrer dans le Brunswick), et pour lui offrir, en même temps, mes félicitations sur son avènement au trône et mes vœux les plus ardents pour la conservation de sa personne sacrée, ainsi que pour la prospérité de son illustre maison[11]. Mais Napoléon, informé de cette pétition si soumise et si humble, en est écœuré et fait refuser la grâce demandée. Le frère de ce triste prince, le duc de Brunswick-Œls devait, quelques années plus tard, rentrer, les armes à la main, dans ses États, pour aller se faire tuer à Waterloo. Les princes de Hohenzollern-Sigmaringen se faisaient aussi remarquer par leur zèle napoléonien. L'un d'eux était aide-de-camp du roi Jérôme ; il fait tout servilement : omnia serviliter, disait déjà Tacite des courtisans. En 1807, ne proposa-t-il pas de former, pour le service de l'Empereur, un corps de troupe nouveau, recruté parmi les paysans et les déserteurs prussiens[12] ! Mais ce zèle fut considéré comme intempestif : le général Clarke, ministre de la Guerre, parle dédaigneusement de cet officier d'une incapacité notoire. Telle était la popularité de Napoléon en Allemagne, que ce furent les savants allemands qui, les premiers, contribuèrent à la formation du Mythe de l'Étoile de Napoléon. Le 23 juillet 1808, l'Université de Leipzig, sous la signature de tous ses professeurs, prit la décision suivante : Notre Université
donnera à l'avenir le nom d'Étoiles Napoléon aux étoiles qui se rattachent au
baudrier et à l'épée d'Qrion. Ce nom
immortel leur convient sous tous les rapports. Ce brillant et splendide
groupe d'étoiles, si connu de tout le inonde, s'élève latéralement au-dessus
de l'Eridan (Pô), sur les rivages duquel s'est, autrefois, manifestée
l'aurore napoléonienne dans de premiers exploits ; il s'étend jusqu'à
l'Équateur, embrassant ainsi les intérêts du Nord avec ceux du Sud ; il
comprend, en même temps, les plus belles et les plus grandes de toutes les
nébuleuses connues ; et nous ouvre une échappée sur des mondes innombrables,
inaccessibles aux yeux. Quel nom des temps modernes pourrait s'inscrire dans
la liste des grands noms de l'ancien monde, avec plus de droits à l'immortalité
que celui de Napoléon ?[13] L'esprit de parti s'est appliqué, plus tard, à dénigrer cette œuvre admirable, malheureusement éphémère, de Napoléon en Allemagne. On a dit qu'en dissolvant, le Saint-Empire qui n'était qu'un fantôme d'État, Napoléon avait créé ou posé les bases de l'unité de l'Allemagne. Mais il faut se garder d'oublier que la régénération de ce pays était pour ainsi dire dans l'air ; que le grand Frédéric, en 1785, avait déjà projeté l'unification de l'Allemagne du Nord ; que la France avait admis en principe, au traité de Campo-Formio, cette hégémonie de la Prusse au nord du Mein ; enfin, que l'unification de l'Allemagne était dans les vœux de tous les Allemands : les écrivains du XVIIIe siècle en ont déjà conscience. Il va de soi que la France ne pouvait laisser la Prusse ou l'Autriche prendre la direction de ce mouvement unitaire ; il était sage et habile, non de le contrecarrer, ce qui eut été désastreux et sans doute impossible, mais de le diriger suivant les principes mêmes de la Révolution, qu'on venait d'appliquer en Italie, en Suisse et sur la rive gauche du Rhin, c'est-à-dire en aidant l'Allemagne à sortir de l'ornière féodale et en créant une suite d'États, de médiocre importance, entre la France d'une part, la Prusse et l'Autriche de l'autre. Rêver le maintien du chaos tudesque et du régime pourri et absurde du Saint-Empire en Allemagne, c'eut été courir au devant de cruels et rapides mécomptes ; c'eut été laisser l'Autriche et la Prusse s'agrandir démesurément, à notre porte, jalouses, aigries par leurs défaites et le regret de leurs provinces perdues, avec leurs projets de reprises, leur soif de vengeance, leur haine pour-tout ce qui était la Révolution française. Si, plus tard, la Prusse est revenue sur l'une et l'autre rive du Rhin, autant par notre faute que par la fourberie de sa diplomatie et l'âpreté de ses convoitises tolérées par l'Europe, ce n'est point une raison pour dénigrer le système politique dont le but essentiel était de l'en éloigner à tout jamais et de la cantonner chez elle. III L'ALLEMAGNE FRANÇAISE.Pour être durable, une œuvre politique comme celle de Napoléon en Allemagne, eut eu besoin de la consécration du temps. Le génie d'un puissant conquérant peut bien bâtir l'édifice social le plus grandiose, en s'appuyant sur l'entraînement populaire, sur ses armées, sur des nécessités politiques ; c'est en vain qu'il paraîtra répondre aux aspirations universelles des peuples, si le temps ne vient cimenter l'œuvre, invétérer une tradition et des usages, solidifier la nouvelle organisation, en donnant aux esprits et aux mœurs une empreinte indélébile, dans laquelle se moulent spontanément et comme par un instinct naturel et atavique, les générations successives : l'édifice sera emporté par la première tempête et l'on verra réapparaître, sur ses débris, les traces mêmes des anciennes constructions auxquelles on l'avait momentanément substitué. Ainsi en fut-il de l'empire d'Alexandre ; l'empire romain fournit l'exemple opposé. Or, la tempête grondait autour de l'œuvre de Napoléon. On a parlé de la tyrannie oppressive, intolérable de Napoléon, comme cause de sa ruine. Qu'était-ce donc que cette tyrannie et quels en étaient les mobiles ? On oublie que, depuis 1803 jusqu'en 1814, c'est-à-dire durant tout son règne, Napoléon n'a jamais cessé d'être en guerre avec l'Angleterre. Cette lutte sans fin, contre un ennemi insaisissable, créant pour l'Empire une sorte d'état de siège permanent, imposait des mesures évidemment attentatoires à certaines libertés des citoyens.. Les circonstances dans lesquelles se déroule la guerre actuelle sont de nature à nous faire juger plus équitablement les mesures draconiennes prises par Napoléon. N'avons-nous pas aussi, nous-mêmes, depuis plus de deux ans, le blocus continental, la censure de la presse, la surveillance de la correspondance privée, et sous un autre nom, la levée en masse, les réquisitions, les emprunts de guerre et bien d'autres institutions coercitives de la liberté, nécessitées par l'état de guerre, mais intolérables en temps de paix ? L'Angleterre, — on le sait de reste, — ne se borna pas à combattre sur mer et sur nos côtes : sa diplomatie fut assez habile et son or assez puissant pour pousser contre la France, après Austerlitz, à la fois la Prusse et la Russie. La Prusse crevait de dépit de voir notre influence se développer en Allemagne. Elle détestait l'Autriche, sa rivale ; elle avait été singulièrement favorisée par nous, sous la Révolution et le Consulat ; néanmoins, sa diplomatie avait perfidement manœuvré contre la France au Congrès de Rastadt et dans les traités qui suivirent. Sa jalousie de la France l'emporta sur sa haine de l'Autriche. Un beau jour de l'arillée 1806, on apprit que l'armée prussienne avait envahi la Saxe, alliée de la France. De là, la campagne de Prusse. Après Iéna (14 octobre 1806), les lèvres de Napoléon, dit Henri Fleine, n'avaient qu'à siffler et la Prusse n'existait plus. Il l'épargna. Après Friedland, au traité de Tilsitt (juillet 1807), Napoléon érigea la Saxe et la Westphalie en royaumes, pour compléter, comme nous l'avons dit, la Confédération germanique. Puis, en 1809, tandis que Napoléon est occupé à soumettre l'Espagne où il avait entraîné une partie des contingents que lui fournissaient les princes de la Confédération germanique, il apprend que les Autrichiens ont, soudain, repris les armes et menacent l'Allemagne. De là, la dure campagne d'Autriche, terminée à Wagram, le 6 juillet 1809. Alfred Rambaud fait ressortir avec complaisance la part, d'ailleurs bien réelle, que prirent les princes de la Confédération du Rhin à nos éclatantes victoires de Friedland et de Wagram. Ces princes ne marchandèrent pas à Napoléon le contingent de troupes qu'ils lui devaient, d'après la constitution de leurs États respectifs. Leur seule appréhension, c'était que leurs soldats, nouvellement formés, ne fussent pas dignes de la confiance d'un chef comme Napoléon, et n'eussent pas l'intrépidité et l'endurance des vieilles troupes de l'Empereur. Ils ne se firent jamais le moindre scrupule de combattre les Prussiens ou les Autrichiens, aussi bien que les Russes. N'est-ce pas là leur histoire toute entière ? Les Allemands luttent sans remords les uns contre les autres, au temps de Napoléon Ier comme à l'époque de l'antique Germanie. Jamais on eut l'idée de traiter ces guerres de luttes fratricides ou de guerres civiles. Depuis les campagnes romaines sur le Rhin, depuis les batailles d'Attila où les tribus germaniques se combattaient au hasard, dans une mêlée universelle, depuis le duel légendaire d'Hadebrand et Hildebrand, quand donc le Germain avait-il été sacré pour le Germain ? Ce n'avait été, assurément, ni dans les guerres des Carolingiens contre tous les peuples teutoniques, ni dans la longue rivalité des Welf et des Hohenstaufen, ni dans l'effroyable guerre de Trente ans, ni dans la lutte, déjà plus que séculaire, de la Prusse et de l'Autriche. En 1866, les Prussiens se sont-ils fait scrupule de répandre le sang des Hanovriens, des Autrichiens et des Allemands du Sud ? Ont-ils rougi d'être les vainqueurs et les conquérants de l'Allemagne ?[14] Sous Napoléon, l'Angleterre avait mis les côtes de France en état de blocus, pris nos colonies, ruiné notre marine ; elle tenait les mers, assaillant et capturant tout navire de commerce qui battait pavillon français, soulevé et armé l'Europe contre nous. Après Iéna, en 1806, Napoléon voulut répondre à l'Angleterre en décrétant, à son tour, le blocus continental : chose étrange, ce décret, considéré par les historiens, comme un prodige de folie et d'orgueil, nous l'avons renouvelé de nos jours contre l'Allemagne et sans l'obtenir plus efficace. L'application du blocus continental rendit tyrannique les exigences de Napoléon en Hollande et nécessita l'occupation, par nos troupes, des villes libres hanséatiques. Par l'enchaînement des choses, Napoléon fut entraîné à s'immiscer dans les affaires intérieures de ces États, dans leur police, complaisante à l'excès pour ses ennemis, dans leurs gazettes et leur librairie, dans la surveillance de leurs ports et de leurs côtes, car ces pays maritimes, étrangers à la France, se refusaient à exécuter les prescriptions d'un blocus qui était si contraire à leurs intérêts. Les bourgeois de ces villes s'étaient enrichis par leur commerce avec les Anglais, et voilà que toutes leurs affaires se trouvaient entravées. Dès 1807, Napoléon entreprend de les franciser, en abolissant leurs anciennes coutumes et en introduisant chez elles les principes égalitaires de la Révolution. Les Anglais, installés dans l'île d'Héligoland, pratiquaient la contrebande, au grand jour, avec les Hanséates et les Hollandais qui favorisaient des projets de débarquements anglais sur les côtes. Pour couper court à ces difficultés et à tous ces complots, Napoléon résolut d'annexer la Hollande et les villes hanséatiques à l'Empire français. Il commença par la Hollande, qu'il importait d'enlever au
commerce anglais, aux intrigues, aux conspirations subventionnées par
l'Angleterre. En constituant la Hollande en royaume, en 1805, Napoléon avait
compté sur son frère, le roi Louis, pour faire appliquer avec vigueur les
règlements du blocus continental. La Hollande était devenue un royaume
vassal, dans la dépendance de la France ; les Hollandais s'applaudissaient de
leur roi, mais ils voulurent s'affranchir des exigences du blocus. Le roi,
lui-même, pour complaire à ses sujets, favorisait la contrebande, si bien que
son royaume devint un véritable entrepôt de marchandises anglaises. Napoléon,
après avoir adressé à son frère les reproches les plus sévères, finit par lui
imposer, le 16 mars 1810, un traité de rectification de frontières au profit
de la France, où on lit les considérants qui suivent : Etant de principe constitutionnel, en France, que le thalweg
du Rhin est la limite de l'Empire français, et les chantiers d'Anvers étant
découverts et exposés par la situation actuelle des limites des deux États[15]... En
conséquence, Napoléon se fait céder une partie du Brabant hollandais et de la
Zélande, jusqu'au cours du Wahal ; de ces territoires on forma le département
des Bouches-du-Rhin, et l'on réunit les îles de Zélande au département des
Deux-Nèthes. Par cette annexion, les bouches du Rhin et de l'Escaut furent désormais fermées à la contrebande anglaise. Ce traité, dit Th. Lavallée, considéré au point de vue des limites naturelles, pouvait être excusé, puisqu'il rectifiait ce que le traité de 1795 avait laissé d'irrégulier et de défectueux dans les frontières de la France ; ce n'en était pas moins un démembrement difficile à justifier et qui irrita profondément la Hollande ; d'ailleurs, on prévoyait que c'était le commencement d'une annexion complète. En effet, le roi Louis-Napoléon essaya de résister, puis il se décida à abdiquer. Après la fuite de son frère, Napoléon ne pouvait laisser la Hollande maîtresse de ses destinées : c'eut été la livrer aux Anglais. Il prit le parti de la réunir à son Empire, ce qui fut accompli par le sénatus-consulte du 9 juillet 1810 ; Amsterdam fut proclamée la troisième ville de l'Empire français ; Rome était la seconde. C'était compléter, disait l'Empereur, son système de guerre, de politique et de commerce ; d'ailleurs, ce pays était réellement une portion de la France, puisqu'il n'était que l'alluvion du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut, c'est-à-dire des grandes artères de l'Empire. Cette théorie avait déjà été soutenue par Louis XIV et par la Convention. Mais, n'étant pas ratifiée par le consentement des Hollandais, ce n'en était pas moins une spoliation à la prussienne. D'autres cantons des bouches du Rhin furent aussi annexés à l'Empire, pour compléter le blocus et fermer toute la côte aux Anglais. Enfin, en décembre 1811, vint le tour des villes hanséatiques, Brême, Hambourg et Lubeck, puis celui du duché d'Oldenbourg, entre les bouches du Weser et de l'Ems. Il ne manque pas d'historiens qui se scandalisent de ces mesures de guerre et de ces annexions, justifiées seulement par la nécessité de fermer les côtes de la mer du Nord aux Anglais[16]. Cependant, qui pouvait faire un pareil reproche à Napoléon ? En Europe, ce n'étaient pas les Anglais qui, eux-mêmes, convoitaient la Hollande et voulaient occuper Anvers et les villes hanséatiques. Était-ce les Prussiens, ce peuple de proie, tortionnaire de la Pologne, et qui n'avait constitué son conglomérat que par la force brutale ? Était-ce l'Autriche qui avait si odieusement, avec la Prusse, démembré la Pologne et menacé la Bavière ? La liberté des villes hanséatiques fut-elle respectée par Blücher, lorsqu'en 1806, après Iéna, il se jeta sur Lubeck ? par Schill, lorsqu'il voulut rançonner Hambourg ? par le duc de Brunswick-Œls, lorsqu'il mit dans Brême une garnison ? Et comme le remarque Alfred Rambaud, à une époque plus voisine de nous, en 1866, qu'ont fait les Prussiens de la ville libre de Francfort[17] ? Que dis-je, en France même, quels avaient été les agissements de la Révolution qui était partout intervenue, à l'étranger, pour affranchir les peuples, à sa façon[18] ? Carnot dit lui-même au prussien Sandoz, en parlant de Hambourg : Ces gens-là sont trop riches et il est indispensable qu'ils achètent chèrement leur neutralité[19]. Napoléon était-il de tempérament à avoir plus de scrupules que ses ennemis et à se laisser distancer par eux dans les moyens de combattre ? Après l'annexion de la Hollande, l'Empereur voulut la visiter. Dans les premiers jours d'octobre 1811, il partit d'Anvers, ce pistolet, comme il disait, braqué sur la poitrine de l'Angleterre. Il emmenait avec lui, Marie-Louise, la nouvelle impératrice. Le 6 octobre, il est à Utrecht, où il passa en revue l'armée du maréchal Oudinot. Le 9, Napoléon et Marie-Louise sont à Amsterdam où ils séjournent jusqu'au 24, faisant diverses excursions. Les Hollandais contemplent, avec un étonnement plein de respect admiratif, l'Homme extraordinaire qui tenait en sa main les destinées de l'Europe. Napoléon, sans doute pour pallier les ressentiments, flatter les Hollandais et leur donner l'espoir de meilleurs jours, tint à prolonger son séjour au milieu d'eux. A Dusseldorf, où le couple impérial arrive le 2 novembre, l'enivrement de la population est indescriptible. C'est que le mariage de Napoléon avec l'archiduchesse Marie-Louise, avait été accueilli avec enthousiasme dans toute l'Allemagne. Napoléon avait fait, lui-même, comme son frère Jérôme, et comme les Beauharnais, un mariage allemand. Il était devenu le gendre du Chef de la maison de Habsbourg, naguère encore le suzerain de tous les princes du Saint-Empire. Alfred Rambaud constate que beaucoup de ces princes, restés fidèles à la tradition autrichienne, se rallièrent à Napoléon qui participait, par son mariage, à cette légitimité et entrait dans la tradition du Saint-Empire en la modernisant. Bourrienne, ministre de France à Hambourg, écrit : La joie que causa cette grande nouvelle fut vive, franche, générale et profondément sentie ; l'espoir d'une longue paix y semblait attaché. On crut que c'en était fait, définitivement, de la longue rivalité de la France et de l'Autriche et que, par cet accroissement de puissance, l'Angleterre serait réduite à composition. En 1811, Napoléon était à l'apogée de sa puissance. Dans les pays latins, les royaumes d'Espagne, de Naples et d'Italie, étaient dans sa dépendance. La Suisse était une annexe de l'Empire. En Allemagne, il avait pour vassaux quatre rois, cinq grands-ducs, vingt-trois princes souverains. Près de vingt millions d'Allemands le reconnaissaient pour leur Protecteur ou leur Souverain. La Confédération du Rhin pouvait armer, sur un signal donné de Paris, 150.000 hommes. La Prusse et l'Autriche elles-mêmes étaient, d'après les traités, dans l'alliance, on pourrait dire, dans la dépendance de Napoléon. Il n'y avait plus, en Europe, hors de là main de l'Empereur, que deux puissances, la Russie et l'Angleterre. Tant de conquêtes prodigieuses semblaient avoir, pour elles, la consécration du droit ; les maisons de Bade, Wurtemberg, Bavière, étaient rattachées à la famille de Bonaparte ; lui-même était le gendre de François d'Autriche. Mais l'Angleterre n'avait pas désarmé et montait, pour ainsi dire, à l'assaut de l'Empire sur toutes ses frontières à la fois ; la Prusse terrassée n'avait pas dépouillé son esprit de rancune et sa soif de vengeance. Napoléon se rendait compte de l'instabilité de cet Empire d'Occident qu'il avait façonné de son épée et de ses institutions. Les populations allemandes éloignées du Rhin, moins préparées à l'assimilation, plus ancrées dans leurs traditions médiévales, résistaient à ces changements tyranniques, imposés par des étrangers. Le temps seul pouvait cimenter les éléments dont étaient composées ces annexes de la France. En attendant cette coopération de la tradition et du temps, nécessaire pour que son œuvre put vivre par elle-même, Napoléon la soutient par des victoires et par des mesures coercitives. A la longue, la lutte fatale contre l'Angleterre et les mesures qu'elle entraîna, fatiguèrent ; on n'en comprit ni la portée ni la nécessité temporaire. Comme tout régime politique nouveau, qui vient de s'implanter et qui veut durer, comme tout État engagé dans une guerre nationale, Napoléon châtie, pour étouffer l'opposition à l'intérieur, réduire au silence les anciens partis, bâillonner la presse hostile, arrêter la contrebande et les libelles qu'on cherche à propager, surtout en Allemagne, grâce à l'or anglais. Avant Wagram, en 1809, l'Autriche est le réceptacle et Vienne le quartier général de tous les mécontents, comme le duc de Brunswick qui préparait sa noire légion de la vengeance, l'Electeur de Hesse et un ramassis d'autres féodaux. Le Tugendbund étend ses ramifications, non seulement en Autriche et en Prusse, mais dans les pays de la Confédération germanique. Stein, Blücher, Scharnhorst, Gneisenau, rongent leur frein, méditent dans la haine. Partout, des conspirateurs, des espions, des traîtres. Des pamphlets clandestins commencent à parler de la nation allemande, des frères allemands, de l'unité de la race, de la profonde humiliation de l'Allemagne, des États allemands appauvris et affamés par l'armée française, des honteuses exactions qui les plongent dans la plus cruelle misère. La police impériale est impuissante à saisir tous ces écrits incendiaires. Napoléon parait d'autant plus tyrannique qu'il exige d'être ponctuellement obéi et personnellement renseigné sur toutes choses. Il dicte lui-même, aux princes de la Confédération, les mesures de répression qu'il leur enjoint de prendre contre ces menées de l'Angleterre, de l'Autriche et de la Prusse. II est un Protecteur terrible. Les rois et les princes de la Confédération deviennent des préfets sous la férule de Napoléon : c'est vrai. Mais, sont-ils autre chose, aujourd'hui, sous le gantelet de fer des Hohenzollern ? Ayant tout fait pour écarter l'Autriche et la Prusse de l'Allemagne occidentale, et pour constituer la Confédération germanique en États indépendants et autonomes, Napoléon ne pouvait tolérer une propagande qui tendait à éveiller, chez les Allemands, un sentiment national collectif et contraire au système politique de l'Allemagne française. Les sots de France, suivant une expression de Chateaubriand que nous répétons, parce qu'elle est de circonstance, ont souvent fait un grief à Napoléon d'avoir interdit, en particulier, le livre de Mme de Staël, De l'Allemagne. Ils prennent. le livre, le considèrent en lui-même et pour sa valeur littéraire, et sans égard pour le temps et les circonstances de la publication, ils estiment qu'il n'y avait, dans aucun de ses chapitres, vraiment pas de quoi provoquer les foudres impériales. Mme de Staël raconte qu'elle remit le manuscrit de son livre à son libraire, en 1810, et hypocritement elle ajoute : Comme j'y gardais le même silence sur le gouvernement actuel des Français que dans mes écrits précédents, je me flattais qu'il me serait aussi permis de le publier. Et plus loin, après que l'ouvrage eut été examiné par des censeurs : Je m'étais cependant interdit dans ce livre toute réflexion sur l'état politique de l'Allemagne... Mais le temps présent ne permet pas qu'on l'oublie. Plusieurs censeurs examinèrent mou manuscrit ; ils supprimèrent les diverses phrases que j'ai rétablies en les désignant par des noies ; enfin, à ces phrases près, ils permirent l'impression du livre... Il me semble curieux de montrer quel est un ouvrage qui peut attirer maintenant, en France, sur la tête de son auteur la persécution la plus cruelle. Puis, elle raconte que le ministre de la police, le duc de Rovigo, finit par interdire de mettre en vente un seul exemplaire. Le ministre lui écrit : Votre ouvrage n'est point français, et Mme de Staël reconnaît qu'elle aime, en effet, particulièrement l'Angleterre et l'Allemagne. La baronne de Staël-Holstein, fille du genevois Necker, femme de l'ambassadeur de Suède à Paris, n'était pas française : c'est là sa seule excuse ; elle pouvait bien préférer l'Allemagne et l'Angleterre à la France. Elle a beau jeu, lorsqu'elle souligne les phrases que tel ou tel censeur imbécile a biffées comme étant blessantes pour l'Empereur. Napoléon était bien au-dessus de ces coups d'épingle ; mais, c'est le livre en lui-même qui était criminel, car il n'avait pour but que de protester contre la constitution de l'Allemagne napoléonienne, contre le morcellement de la race allemande ; il est un plaidoyer pour l'unité de l'Allemagne, unité dont il importait essentiellement à Napoléon et à la France d'empêcher la formation. Un Allemand, Henri Heine, l'a bien remarqué : La haine contre l'Empereur est l'âme de ce livre De l'Allemagne, et quoique Napoléon n'y soit nulle part nominé expressément, on voit partout qu'à chaque ligne qu'elle écrit, Mme de Staël jette un regard furtif vers les Tuileries. D'où venait la haine de cette femme, dont le père avait pourtant, en des temps difficiles, rendu de grands services à la France ? On raconte les obsessions, poussées jusqu'à l'importunité, de Mme de Staël à l'égard du Premier Consul, qui n'était, dit Heine, nulle part à l'abri de son adulation, puisqu'elle le poursuivit jusque dans son bain. Ayant, un jour, demandé à Bonaparte quelle était la plus grande femme contemporaine, il lui fut répondu : C'est celle, Madame, qui a mis au monde le plus grand nombre d'enfants. Inde irae. Revenant encore sur le livre de cette femme, vraiment odieuse dans son orgueil froissé, Henri Heine ajoute : Elle ne loue guère la vie intellectuelle, l'idéalisme des Allemands, que pour fronder le réalisme qui dominait alors parmi les Français, et la magnificence matérielle de l'établissement impérial. Son livre, sous ce rapport, ressemble à la Germanie de Tacite qui, peut-être aussi, en écrivant son apologie des Allemands, a voulu faire la satire indirecte de ses compatriotes. Les causes morales qui paraissent aux historiens, avoir miné sourdement l'Empire de Napoléon, eussent été d'un poids bien léger si Napoléon fût demeuré victorieux. Ces causes, au lieu de les considérer comme les prodromes de la chute, n'eussent été envisagées que comme les dernières et impuissantes manifestations des partisans d'un ancien régime détesté. Ce n'est qu'après 1814 que, rétrospectivement, de pitoyables écrivains, torturant la vérité historique, se sont donné beaucoup de mal pour gonfler le rôle, avant la bataille de Leipzig, des pamphlets, du Tugendbund, des plaintes des populations opprimées. Qu'est-ce que cela ! Quelle pauvreté que cette insurrection de quelques montagnards du Tyrol avec Andreas Hofer ; que ces mutineries militaires de Katt et de Dœrnberg dispersées par les gendarmes, que ces tentatives de Schill et du duc de Brunswick, réduits à l'état de chefs de bandes qui se cachent dans les forêts ! Il a fallu les désastres de la campagne de Russie pour donner, quelque importance à ces mouvements honteux d'eux-mêmes, sournois et souterrains. La Révolution française en avait vu bien d'autres, avec les insurrections de Lyon et de la Vendée et avec la Chouannerie. L'Empire romain avait eu à terrasser, dans toutes ses provinces, même en Gaule, des révoltés d'une autre envergure, et sous Napoléon même, l'Espagne insurgée fut autrement terrible. Non ! reconnaissons-le historiquement : ce qui fit tomber Napoléon, c'est la trahison — toujours la trahison — du général prussien York pendant la campagne de Russie ; ce fut aussi la défection des Autrichiens, l'insurrection de l'Espagne ; enfin, la trahison des Saxons à la bataille de Leipzig, qui entraîna celle des autres armées de la Confédération du Rhin, car l'Allemand, comme le disait déjà le Pape Innocent III, va au succès : il a toujours eu le culte de la Force. Le sentiment de l'honneur, le respect au malheur, la reconnaissance envers un bienfaiteur abandonné par la fortune des armes : autant de sentiments étrangers aux cœurs tudesques, comme ils l'étaient aux antiques Barbares de la forêt germaine. Celui d'entre eux qui mit le sceau à l'ignominie fut peut-être ce roi de Wurtemberg, Frédéric Ventre-à-terre, qui avait été si heureux de marier sa fille au roi Jérôme. Lorsque l'édifice napoléonien se fut effondré et que Napoléon partit pour l'exil, on vit le gros Frédéric s'efforcer cyniquement de pousser sa fille à abandonner son mari malheureux et lui faire un grief irrémissible de sa fidélité conjugale[20]. En voilà encore un qui, comme les anciens Germains, met en échec les principes de la morale humaine : La reine Catherine de Westphalie s'honora devant l'histoire en résistant à ces infamantes suggestions et en préférant la pauvreté et les tristesses de l'exil au faste d'une Cour déshonorée. Mais le peuple allemand ne partagea pas tout entier la honte de ses princes, des Junker prussiens, des Ritter découronnés et des conspirateurs de la Tugendbund. Les populations de la Confédération germanique n'avaient point pour la France une telle aversion. La conscription militaire, les charges écrasantes des impôts qui pesaient sur elles, comme sur toute la France, n'avaient pas changé leurs plaintes en haine de race. Ceux-là surtout qui avaient servi dans les armées de Napoléon, conservèrent pour lui, jusqu'à leur mort, un culte qui contraste noblement avec les déclarations haineuses élaborées dans les sociétés secrètes, ou avec les thèses d'histoire travestie, dont les livres allemands de notre temps sont remplis. Même après l'année
1813, où nos alliés du Rhin durent se tourner contre nous, remarque Alfred
Rambaud, même après l'année 4814, où ils suivirent les armées de la Prusse et
de la Russie contre Napoléon, les sympathies françaises et le souvenir d'une
longue et glorieuse confraternité d'armes ne put s'éteindre dans leur âme.
Les sentiments qui, au souvenir de l'Empereur d'Occident, animaient les cœurs
des vétérans napoléoniens sur la rive gauche, devaient, avoir leur écho sur
la rive droite. Aux uns comme aux autres, à ceux de Munich, de Stuttgart et
de Darmstadt, comme à ceux de Cologne, de Mayence et de Sarrelouis, Niklas
Müller dédiait, en 1837, son Livre de chants pour les vétérans qui
servirent dans la Grande armée de Napoléon, de 1803 à 1814 (Mayence, 1837). Au frontispice du livre, on voit deux militaires
allemands qu'on prendrait, à leur costume, à leurs favoris, à leur façon
crène de porter le bonnet de police, pour de vrais grognards de la Loire :
ils pleurent sur la tombe de Sainte-Hélène, sur l'épée et le petit chapeau,
ombragés du saule légendaire. Et l'auteur allemand, dans sa préface, exalte Napoléon : Transfiguré, il
continue à illuminer nos heures de joie ; nous lui dédions, ainsi qu'à nos
victoires immortelles, de bienfaisantes fêtes commémoratives. Le vétéran s'y
rajeunit, il recherche ses compagnons d'armes, ses fidèles camarades... Quel
souverain pourrait prendre ombrage à voir fêter les anciennes victoires,
jeter un regard ému sur les aigles brisées de Leipzig et de Waterloo, laisser
tomber une larme de douleur dans les flots de la Bérésina ? Et Alfred Rambaud qui cite ce passage fait cette juste réflexion : Tous ces débris héroïques des légions Rheinbundistes, de 1807 et de 1812, étaient loin des sentiments de haine soigneusement attisés depuis, par les professeurs prussiens dans le cœur de leurs descendants. Non, certes, ils n'avaient pas honte d'avoir vaincu à Wagram, à Eylau, à Smolensk, à la Moskowa ! et ils ne croyaient pas que cette épopée de cent victoires communes fût une ignominie pour la valeur allemande ! L'auteur allemand ajoute encore : Napoléon, sur le
théâtre du monde, a été l'image classique du héros ; mais il était aussi le
père des soldats, le fort bouclier de l'honneur. Le camp, la misère, le
danger, la fatigue, il partageait tout en camarade ; il partageait la faim ou
la mauvaise soupe et guérissait nos esprits malades. Quel Charlemagne, quel
Otton, quel Alexandre a fait autant que lui ? Tout le monde les nomme grands
; mais Lui est encore au-dessus d'eux. Sous ses étendards victorieux nous
avons servi, fidèles, intrépides. Son nom ne peut nous rappeler que des
sentiments, que des souvenirs sans cesse nouveaux d'héroïsme[21]. Bien des années après l'Empire, Gœthe a écrit, dans ses conversations avec Eckermann : Napoléon, c'était là
un homme ! toujours lumineux, toujours clair, décidé, possédant à toute heure
assez d'énergie pour mettre immédiatement à exécution ce qu'il avait reconnu
comme avantageux et nécessaire. Sa vie fut celle d'un demi-dieu qui marchait
de bataille en bataille, et de victoire en victoire. On peut dire que, pour
lui, la lumière qu'illumine l'esprit ne s'est pas éteinte un instant ; voilà
pourquoi sa destinée a eu cette splendeur que le monde n'avait pas vue avant
lui et qu'il ne reverra peut-être pas après lui. IV 1814.A la fin de l'année 1813, tandis que Napoléon faisait voter par le Sénat une nouvelle levée de 300.000 hommes et se préparait à la lutte suprême, les Coalisés, réunis à Francfort et, parmi eux, les princes de la Confédération du Rhin, publièrent leur fameux Manifeste dans lequel ils protestaient qu'ils ne faisaient point la guerre à la France mais à Napoléon. Au nom de tous les Alliés, Metternich déclara que la France resterait désormais renfermée dans ses limites naturelles qui sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées[22]. Napoléon ayant repoussé ces avances qu'il savait perfides, les Alliés insistent, peu après, sur ce point. Ils jugent nécessaire, disent-ils, s'adressant aux Français : de promulguer de
nouveau à la face du monde, les vues qui les guident dans la présente guerre,
les principes qui font la base de leur conduite, leurs vœux et leurs
déterminations. Les Puissances alliées, affirment-ils, ne font pas la guerre
à la France, mais à cette prépondérance que, pour le malheur de l'Europe et
de la France, l'empereur Napoléon a trop longtemps exercée hors des limites
de son empire... Ils désirent que la France soit forte, grande, heureuse,
parce que la Puissance française est une des bases fondamentales de l'état
social... Ils confirment à l'Empire français une étendue de territoire que
n'a jamais connue la France sous ses rois, parce qu'une nation valeureuse ne
déchoit pas pour avoir, à son tour, éprouvé des revers dans une lutte
opiniâtre et sanglante, où elle a combattu avec son audace accoutumée... Cette déclaration, aussi habile que peu sincère, comme les événements l'ont démontré, avait un double but : séparer la cause de Napoléon de celle de la Nation française, et gagner du temps pour permettre aux armées d'invasion de se rassembler et d'accourir. Malheureusement, la France ne vit point le piège qui lui était tendu ; lasse de la guerre, elle ajouta foi à la Déclaration de Francfort et fit un grief à Napoléon de n'avoir pas, tout de suite, accepté ce qu'on considéra comme leur proposition de paix : la limite du Rhin. Elle ne répondit que mollement à l'appel aux armes, au cri de détresse de l'Empereur. Des Français, des royalistes aidèrent les Alliés à renverser Napoléon et crurent voir dans sa chute une délivrance de la France ; c'était, du moins, le premier acte de la contre-Révolution. Blücher passa le Rhin à Caub, entre Bacharach et Saint-Goar, dans la nuit du 1er janvier 1814, à la tête de l'armée dite de Silésie. Schwartzenberg, violant la neutralité de la Suisse, avec l'armée de Bohême, pénétra en France par la trouée de Belfort. Bernadotte vint menacer la Belgique avec une armée de Suédois, de Prussiens et de Russes. Les Anglo-Espagnols franchirent les Pyrénées sous les ordres de Wellington. Napoléon qui ne disposait pas de 100.000 combattants, débordé de toutes parts, allait avoir sur les bras près d'un million d'ennemis. Au début de son règne, Napoléon avait soigneusement inspecté les places fortes du Rhin, et considéré le grand fleuve comme l'infranchissable défense de la France. Mais cette tranchée fluviale bastionnée, avait besoin, à ses deux extrémités, de s'appuyer sur la neutralité de la Suisse et de la Hollande. Il fallait aussi que les places fortes du Rhin fussent occupées par des garnisons nombreuses. Or, la Hollande s'était soulevée contre la domination française et avait accueilli les Alliés ; la Suisse, rompant avec toutes ses traditions et ses engagements formels, laissa passer les armées de l'Autriche qui allaient tourner celles de Napoléon ; enfin, les garnisons des forteresses rhénanes étaient tout à fait insuffisantes, même pour soutenir un siège. Grâce à leur immense supériorité numérique, les Coalisés purent négliger les forteresses, se contentant de les bloquer avec des corps d'observation. La situation était telle que, sans le génie et l'activité de Napoléon, l'ennemi eut pu se présenter sous les murs de Paris en moins de quinze jours. Nos frontières étaient franchies de toutes parts, lorsque s'ouvrit le congrès de Chatillon où les Alliés, jetant le masque et croyant désormais superflu de cacher leurs projets, annoncèrent qu'ils avaient l'intention de ramener la France aux limites qu'elle avait avant la Révolution. Dès le 4 janvier 1814, Napoléon fit déclarer par son représentant au Congrès, le duc de Vicence, qu'il était disposé à accepter la limite du Rhin, suivant les propositions faites par les Alliés eux-mêmes, quelques semaines auparavant, à Francfort ; mais qu'il ne céderait rien au delà, et qu'il ne consentirait jamais au démembrement de la France. La France sans ses limites naturelles, mande-t-il à son ambassadeur, ne serait plus en rapport avec les autres États de l'Europe. L'Angleterre et toutes les puissances ont reconnu ces limites, à Francfort. Les conquêtes de la France en deçà du Rhin et des Alpes ne peuvent que compenser ce que l'Autriche, la Prusse, la Russie ont acquis en Pologne et en Finlande, ce que l'Angleterre a acquis en Asie... J'ai accepté les bases de Francfort, mais il est plus que probable que les Alliés ont d'autres idées... Veut-on réduire la France à ses anciennes limites, c'est l'avilir. Il n'y a pas un cœur français qui n'en sentit l'opprobre au bout de six mois, et qui ne le reprochât au gouvernement assez lâche pour le signer... Pour ce qui est de lui, ajoutait-il le 17 janvier, il ne laisserait pas la France moins grande qu'il ne l'avait reçue. Si donc les Alliés voulaient changer les bases acceptées et proposer les limites anciennes, il ne voyait que trois partis : ou combattre et vaincre, ou combattre et mourir glorieusement, ou enfin, si la nation ne le soutenait pas, abdiquer[23]. Les Alliés qui, alors, avaient eu le temps de se remettre de l'étourdissement de leurs premiers succès et qui se rendaient mieux compte de la faiblesse des moyens militaires dont disposait Napoléon, affectèrent de répondre que l'acceptation de la limite du Rhin par l'Empereur venait trop tard. Puis, leurs représentants rédigèrent le factum, intentionnellement amphigourique, qui suit : Les Puissances
alliées, réunissant le point de vue de la sûreté et de l'indépendance future
de l'Europe, avec le désir de voir la France dans un état de possession
analogue au rang qu'elle a toujours occupé dans le système politique, et
considérant la situation dans laquelle l'Europe se trouve placée à l'égard de
la France à la suite des succès obtenus par leurs armes ; les
plénipotentiaires des cours alliées ont ordre de demander : Que la
France rentre dans les limites qu'elle avait avant la Révolution, sauf des
arrangements d'une convenance réciproque sur les portions de territoire au
delà des limites de part et d'autre, et sauf des restitutions que
l'Angleterre est prête à faire pour l'intérêt général de l'Europe contre les
rétrocessions ci-dessus demandées à la France ; qu'en conséquence la France
abandonne toute influence directe hors de ses limites futures, et que la
renonciation à tous les titres qui ressortent des rapports de souveraineté et
de protectorat sur l'Italie, l'Allemagne et la Suisse, soit une suite
immédiate de cet arrangement[24]. Ce qui signifie, presque sans qu'on s'en doute à la première lecture, que le 8 février, six semaines après leur solennel engagement de Francfort, les Alliés déclarent qu'ils entendent désormais ne point respecter les limites naturelles du Rhin et des Alpes pour la France, et qu'ils veulent ramener notre pays à ses frontières de 1789. Ils étaient, alors, parvenus au cœur de l'Empire ; ils connaissaient la situation précaire de l'Empereur, ses faibles ressources, l'opposition politique qui semait le découragement, le désir général de paix. Ils voulaient profiter d'une fortune qu'ils n'eussent jamais osé espérer quelques semaines plus tôt. Ils faisaient donc la guerre non pas seulement à Napoléon, comme ils l'avaient proclamé, mais bien à la France où ils trouvaient pour alliée la hideuse politique, la contre-Révolution qui voulait effacer tout ce qui était sorti de la Révolution et de l'Empire ! Ils exigeaient une prompte réponse ; les ministres de Napoléon, déconcertés, démoralisés, le pressaient de souscrire : Quoi, s'écria
l'Empereur, vous voulez que je signe un pareil traité ! que je foule aux
pieds le serment que j'ai fait de maintenir l'intégrité du territoire de la
République ! Des revers inouïs ont pu m'arracher la promesse de renoncer aux conquêtes
que j'ai faites ; mais que j'abandonne aussi celles qui ont, été faites avant
moi ; que je viole le dépôt qui m'a été remis avec tant de confiance ; que,
pour prix de tant d'efforts, de sang et de victoires, je laisse la France
plus petite que je ne l'ai trouvée, jamais ! Le pourrais-je sans trahison ou
sans lâcheté !... Et que serai-je pour les Français quand j'aurai signé leur
humiliation ? Que répondrai-je aux républicains quand ils viendront me
redemander leur barrière du Rhin ? Napoléon reprend dès lors la lutte, en désespéré, pour la limite du Rhin et pour l'honneur de la France. II bat coup sur coup Blücher et Schwarzenberg, dans d'immortels combats. Il veut négocier et écrit le 17 février au duc de Vicence : Je suis prêt à cesser les hostilités et à laisser les ennemis rentrer chez eux, s'ils signent les préliminaires basés sur les propositions de Francfort. Les ennemis battus, mais dont les forces s'accroissent tous les jours, présentent un nouveau projet de traité : Art. 2. Sa Majesté
l'Empereur des Français renonce, pour lui et ses successeurs, à la totalité
des acquisitions, réunions ou incorporations de territoire faites par la
France depuis le commencement de la guerre de 1792. Sa Majesté renonce
également à toute influence constitutionnelle directe ou indirecte hors des
anciennes limites de la France, telles qu'elles se trouvaient établies avant
la guerre de 1792, et aux titres qui en dérivent et, nommément à ceux de roi
d'Italie, roi de Rome, protecteur de la Confédération du Rhin et médiateur de
la Confédération suisse. Art. 3. Sa Majesté
l'Empereur des Français reconnaît, formellement la reconstruction suivante
des pays limitrophes de la France : 1° L'Allemagne
composée d'Etats indépendants unis par un lien fédératif ; 2° L'Italie divisée
en États indépendants ; 3° La Hollande, sous
la souveraineté de la maison d'Orange, avec un accroissement de territoire ; 4° La Suisse, État libre, indépendant, replacé dans ses anciennes limites, sous la garantie de toutes les grandes puissances, la France y comprise... Par l'article 6, l'Empereur des Français devait remettre immédiatement les places occupées par ses troupes en Allemagne, en Italie, en Hollande et sur le Rhin, avec toute leur artillerie. Au reçu de ces propositions, Napoléon écrit au duc de Vicence : La France, pour être
aussi forte qu'elle l'était en 1789, doit avoir ses limites naturelles, en
compensation du partage de la Pologne, de la destruction de la république de
Venise, de la sécularisation du clergé d'Allemagne et des grandes
acquisitions faites par les Anglais en Asie. Je suis si ému de l'infâme
projet que vous m'envoyez que je me crois déjà déshonoré rien que de m'être
mis dans le cas qu'on me le propose... J'aimerais mieux voir les Bourbons en
France, avec des conditions raisonnables, que de subir les infâmes
propositions que vous m'envoyez. En vain le duc de Vicence réitère à Napoléon ses conseils de céder aux exigences des Alliés, sans quoi, des millions d'hommes marcheront contre la France, si les huit cent mille qui menacent Paris ne suffisent pas. L'Empereur reste inflexible et refuse de sauver son trône en mutilant la France par l'abandon de la frontière du Rhin. Le Congrès de Châtillon se sépara le 19 mars. Six jours après, les Alliés, dans une nouvelle Déclaration datée de Vitry, renouvellent l'engagement qu'ils avaient pris à Chaumont, le 1er mars, de ne point faire de paix séparée et de ne pas déposer les armes avant d'avoir atteint le grand objet de leur alliance conclue pour vingt années. La France, et non plus l'Empereur, était mise au ban de l'Europe et déclarée son unique ennemie. On sait le reste et comment la France fut trahie, trompée et mutilée après l'abdication de l'Empereur à Fontainebleau (6 avril 1814). On s'aperçut trop tard que la cause de Napoléon était celle de la France elle-même, de la France de Louis XIV, aussi bien que de la France nouvelle, et que les Alliés étaient décidés à réduire à un État de second ordre cette aînée des monarchies de l'Europe qu'ils jalousaient depuis tant de siècles[25]. V LE TRAITÉ DE PARIS. (30 MAI 1814).L'abdication de l'Empereur à Fontainebleau et la
restauration des Bourbons rendaient plus facile la conclusion de la paix.
Tout le monde en France — les maréchaux de Napoléon eux-mêmes — crut que les
Alliés tiendraient leurs engagements, feraient honneur à leur parole. Eux,
qui avaient, tant de fois et solennellement, répété qu'ils ne faisaient pas
la guerre à la France, mais à un homme, à l'empereur Napoléon, les voilà
débarrassés de cet Homme qui se retire de la scène pour que la France ne soit
pas amoindrie ; vont-ils confirmer à la France, comme ils le promirent à
Francfort, une étendue de territoire qu'elle n'avait
jamais eue sous ses rois, c'est-à-dire la limite du Rhin ? Bien loin
de là ! Une fois délivrés du cauchemar de la peur, leur timidité se mue en
arrogance ; ils jettent par-dessus bord, sans scrupule, promesses et
engagements. Artisans habituels de fourberies et de violences, ils ne
traitent pas mieux le gouvernement de Louis XVIII que Napoléon. Naguère
encore, aux derniers jours de la monarchie française et durant la Révolution,
ils s'étaient eux-mêmes, — on sait avec quelle âpre convoitise, agrandis de
la Pologne, de la Finlande, des États ecclésiastiques d'Allemagne, de ceux de
la République de Venise ; en conséquence, ils vont répétant qu'ils sont animés du seul désir de voir l'Europe
reconstruite sur une juste échelle de proportion entre les Puissances.
Comment ne pas ajouter foi à leurs paroles, lorsqu'ils proclament qu'ils
tiendront compte à la France de ses conquêtes révolutionnaires et impériales,
en lui laissant, par compensation et par souci de l'équilibre
européen, sa limite du Rhin, qui eût pu, effectivement, devenir la
garantie d'une paix de longue durée ? Or, dès que Paris leur est livré par trahison, les Coalisés déclarent que leur intention est de ramener la France à ses limites du 1er janvier 1792, et cela, en affirmant, que, par là ils respectent l'intégrité de l'ancienne France, telle qu'elle a existé sous ses souverains légitimes... parce qu'il faut que la France soit grande et forte[26]. Quelle ironie amère ! Cette déclaration fut confirmée par la Convention du 23 avril 1814, que signa, avec une déplorable précipitation, le comte d'Artois, sur les conseils de Talleyrand, pour récolter quelque popularité malsaine en hâtant l'évacuation du territoire français ; mais à quel prix ! Les Puissances
alliées, est-il dit dans cette Convention, feront évacuer par leurs armées le
territoire français tel qu'il se trouvait le 1er janvier 1792, à mesure que
les places occupées encore hors de ces limites par les troupes françaises
seront évacuées et remises aux Alliés. Le lieutenant général du royaume de
France (le comte d'Artois) donnera, en conséquence, aux commandants de ces
places l'ordre de les remettre dans les termes suivants, savoir : les places
situées sur le Rhin, non comprises dans les limites de la France du 1er
janvier 1792, et celles entre le Rhin et les mêmes limites, dans l'espace de
dix jours, à dater de la signature du présent acte ; les places du Piémont
et, des autres parties de l'Italie qui appartenaient à la France, dans celui
de quinze jours, etc. Par cet arrangement, nous abandonnâmes sans délai, non seulement les places fortes que nos armées occupaient encore en Allemagne, sur l'Elbe et sur l'Oder, mais celles de l'Escaut, de la Meuse et du Rhin, avec leurs arsenaux et leurs approvisionnements. Le nombre en était de 58, avec 12.000 canons et un immense matériel de guerre. On se privait par là, à la légère et brusquement, d'un gage qui nous eût nécessairement été compté dans les négociations ultérieures. L'artisan responsable de cette Convention néfaste, Talleyrand, trahit la France, comme il avait trahi l'Empereur, comme il va trahir encore au Congrès de Vienne les intérêts français. L'effet de la Convention du 23 avril eut sa répercussion dans les stipulations du traité signé à Paris, le 30 mai suivant. La France, livrée pieds et poings liés à la discrétion de ses ennemis, ne reçut d'eux que d'insignifiantes améliorations linéaires à sa frontière de 1792, et ces légères rectifications, les Alliés — toujours habiles à manier l'ironie, eurent l'impudeur de les faire valoir comme une marque de leur générosité magnanime envers notre pays. Après tout, qui eût pu, en effet, les empêcher de se partager la France comme ils s'étaient partagé la Pologne ? Le royaume de France,
dit l'article 2 du Traité de Paris, conserve l'intégrité de ses limites,
telles qu'elles existaient à l'époque du ter janvier 1792. Il recevra, en
outre, une augmentation de territoire comprise dans la ligne de démarcation
fixée par l'article 3. Du côté de la
Belgique, de l'Allemagne et de l'Italie, dit cet article 3, l'ancienne
frontière, ainsi qu'elle existait au ter janvier 1792, sera rétablie, en
commençant de la nier du Nord, entre Dunkerque et Nieuport, jusqu'à la
Méditerranée, entre Cannes et Nice, avec les rectifications suivantes : 1° Dans le
département de Jemmapes, les cantons de Dour, herbes-leChâteau, Beaumont et
Chimay resteront à la France ; 2° Dans le
département de Sambre-et-Meuse, les cantons de Valcour, Florennes, Beauraing
et Gedinne appartiendront à la France ; 3° Dans le
département de la Moselle, la nouvelle démarcation, là où elle s'écarte de
l'ancienne, sera formée par une ligne à tirer depuis Perle jusqu'à
Fremesdorf, et par celle qui sépare le canton de Tholey du reste du
département de la Moselle ; 4° Dans le
département de la Sarre, les cantons de Sarrebruck et d'Arneval resteront à
la France, ainsi qu'une partie de celui de Lebach, etc. ; 5° La forteresse de Landau ayant formé, avant l'année 1792, un point isolé dans l'Allemagne, la France conserve, au delà de ses frontières, une partie des départements du Mont-Tonnerre et du Bas-Rhin pour joindre la forteresse de Landau et son rayon au reste du royaume. Quelques rectifications analogues furent aussi indiquées à notre avantage le long de la chaîne du Jura, de la Suisse, de la Savoie. On fit grand état de ce que les Alliés consentaient à laisser à la France Montbéliard, Mulhouse, Avignon et le Comtat Venaissin, comme si ces enclaves eussent pu, jamais, être reprises par les Étrangers ! Enfin, l'article 32 dit : Dans le délai de deux mois, toutes les Puissances qui ont été engagées de part et d'autre dans la présente guerre, enverront des plénipotentiaires à Vienne pour régler, dans un Congrès général, les arrangements qui doivent compléter les dispositions du présent Traité. Des articles secrets portaient que les pays compris entre la mer, les frontières de la France, fixées par le présent traité et la Meuse, seraient à la Hollande ; que les pays allemands de la rive gauche du Rhin, qui avaient été réunis à la France depuis 1792, serviraient à l'agrandissement des Pays-Bas et à des compensations pour la Prusse et autres États allemands. Telles furent, pour notre frontière de l'Est, les grandes lignes de la Convention du 30 mai, qui annulait les glorieux traités de Bâle, de Campo-Formio, de Lunéville, d'Amiens, de Presbourg, de Tilsitt, de Vienne. Nous retournions, après 23 années de guerres glorieuses, presque aux limites fixées par le traité d'Utrecht. Napoléon ayant été abandonné, c'est l'ombre de Louis XIV qui sortait du tombeau pour nous protéger contre les hommes de proie qui, abusant de la force et foulant aux pieds la parole donnée, trafiquaient de nos provinces et nous arrachaient des populations d'autant plus attachées à la France qu'elles venaient de verser héroïquement leur sang pour elle. VI LE CONGRÈS DE VIENNE (1814-1815).Au Congrès de Vienne qui s'ouvrit en août 1814 et devait durer jusqu'au 20 novembre 1815, Talleyrand admit sans mot dire la déchéance de la France et la réduction de ses frontières telles que le traité de Paris les avait faites. Que dis-je ! cet homme habile pour lui-même, paraît s'en féliciter ; il trouve toute naturelle la reprise de la rive gauche du Rhin par les Alliés : La France, dit-il dans son Rapport au roi Louis XVIII, alors à Gand, n'a perdu que ce qu'elle a conquis, et pas même tout ce qu'elle a conquis. On ne lui a rien ôté qui fût essentiel à sa sûreté ; elle perd des moyens de domination qui n'étaient point pour elle des moyens de prospérité et de bonheur et qu'elle ne pouvait conserver avec les avantages d'une paix durable. Il était de l'intérêt de la France, il était de la gloire des principaux officiers de son armée de renoncer volontairement à l'idée de recouvrer la Belgique et la rive gauche du Rhin. Replacée dans ses anciennes limites, la France ne songe plus à les étendre, semblable à la mer qui ne franchit ses rivages que quand elle a été soulevée par les tempêtes. Mais la France qui se sentait jouée et trahie, et qui avait versé le plus pur de son sang, ne fit point aussi bon marché de son abaissement et des mutilations que lui imposaient la déloyauté et la perfidie. Une sourde colère grondait partout, surtout dans les rangs de l'armée. Le mécontentement fut encore aggravé par les fautes et les maladresses du gouvernement intérieur de Louis XVIII ; l'Exilé de l'île d'Elbe envers lequel aussi, on affectait de ne respecter aucun engagement, résolut de tirer parti du malaise général, par un coup d'audace désespéré qui vint, hélas ! mettre le comble à sa propre infortune et aux malheurs de la France. Peu avant de quitter l'île d'Elbe, Napoléon disait à Fleury de Chaboulon La France reprendra tôt ou tard ses limites naturelles, celles du Rhin, qui sont un décret de Dieu, comme les Alpes et les Pyrénées. C'est peut-être là, dans la pensée de l'Empereur, le programme qu'il voulait tenter de réaliser. Quand les souverains et les ambassadeurs réunis à Vienne, apprenant le retour de l'île d'Elbe (1er mars 1815), résolurent de ne pas poser les armes tant que Bonaparte ne serait pas mis absolument hors de possibilité d'exciter des troubles, ils prirent l'engagement formel de maintenir, en ce qui concernait la France et ses limites, le traité de Paris. En adhérant au pacte d'alliance au nom de Louis XVIII, Talleyrand eut soin d'y faire mentionner le maintien de l'ordre de choses établi par le traité du 30 mai 1814. Ce n'est qu'à cette condition expresse que Louis XVIII entra dans la coalition contre Napoléon, et cette déclaration du plénipotentiaire français fut agréée sans objection par toutes les Puissances. On va constater que cet engagement vis-à-vis du roi de France ne fut pas plus respecté que ne l'avaient été les précédents envers Napoléon. La Coalition poursuivant son œuvre de perfidie, s'armait de nouveau, en 1815, non pas contre Napoléon, comme elle le proclamait, mais contre la France, quelque fût son gouvernement et son drapeau. La guerre qui devait être, au début, a écrit Albert Sorel[27], une guerre politique et personnelle, prit le caractère d'une guerre nationale et d'une guerre de races. Ce fut surtout en Allemagne que ce caractère s'accentua. L'esprit de haine et d'envie contre la France se réveilla, en Prusse et chez les petits princes allemands, avec la féroce convoitise des anciens Germains se ruant à la curée de la Gaule romaine. Aussitôt après le 20 mars, Napoléon avait écrit à la Diète helvétique pour l'inviter à faire respecter sa neutralité. Mais les Suisses qui étaient sous l'influence autrichienne, refusant de l'écouter, signèrent, le 20 mai, une convention avec les Alliés par laquelle ils autorisaient le passage des armées de la coalition sur leur territoire. C'était, disait le traité, sans tirer à conséquence pour l'avenir et pour accélérer l'époque où le principe de la neutralité de la Suisse pourrait être appliqué d'une manière avantageuse et permanente[28]. Ainsi, la neutralité était suspendue quand il s'agissait d'envahir la France ! Après Waterloo et la seconde abdication de Napoléon, le Gouvernement provisoire envoya des ambassadeurs aux Souverains alliés, alors à Haguenau. Leurs instructions portaient : Si la guerre déclarée par les Puissances alliées à l'empereur Napoléon n'était, en effet, déclarée qu'à lui seul, l'intégralité de notre territoire n'est point menacée. Il importe à l'équilibre général que la France conserve au moins les limites que le traité de Paris lui a assignées[29]. Mais ceci ne faisait point l'affaire des Prussiens. Blücher et Gneisenau veulent faire fusiller Napoléon, brûler Paris, et ravager la France, à leur gré ; ils le proclament hautement, si bien que Wellington traite leurs projets d'acte criminel. Gneisenau pousse le cynisme jusqu'à avouer que le motif de la vengeance qu'il veut exercer contre Napoléon, c'est qu'il était la cause de l'appauvrissement de la Noblesse prussienne[30]. Voilà le mot vil lâché : la France subit la vengeance de la noblesse de Prusse, les Junkers, ces automates de caserne. Voilà pourquoi la deuxième restauration de Louis XVIII n'arrête point, même après que l'Empereur est prisonnier à bord du Bellérophon, l'irruption des armées alliées ; la France se trouva bientôt couverte de plus d'un million de pillards, comme la Gaule au temps de l'empereur Gallien. Des proclamations répandues en Allemagne convièrent tous ceux qui pouvaient se mettre en route au sac de la nouvelle Babylone, promettant le démembrement de cette ennemie commune du genre humain. — Marchons, disaient les hoberaux allemands, pour écraser, pour partager cette terre impie, que la politique des rois ne peut laisser subsister sans danger pour les trônes. Il faut exterminer cette bande de brigands qu'on appelle l'armée française. Le monde ne peut rester en paix tant qu'il existera un peuple français[31]. Et les plénipotentiaires de Vienne reprennent leurs travaux, sur la base d'un nouveau démembrement de la France. Seuls, l'empereur de Russie et ses représentants, ainsi que les négociateurs anglais, se montrent animés, vis-à-vis de la France, d'un sentiment d'équité et ont le souci de respecter leurs engagements. Capo d'Istria, le plénipotentiaire russe, écrit, le 28 juillet 1815 : Les Puissances alliées, en prenant les armes contre Bonaparte, n'ont point considéré la France comme un pays ennemi — Déclaration du 13 mars ; traité du 25 mars ; déclaration du 12 mai). Maintenant qu'elles occupent le royaume de France, elles ne peuvent donc y exercer le droit de conquête. Le motif de la guerre a été le maintien du traité de Paris, comme base des stipulations du Congrès de Vienne... En portant atteinte à l'intégrité de la France, il faudrait revenir sur toutes les stipulations de Vienne[32]... Capo d'Istria ajoute : Affaiblir directement ou indirectement les forces de la nation française, pour l'obliger à respecter le gouvernement que l'Europe veut reconnaître comme légitime, c'est dire à la France qu'un gouvernement légitime est pour elle une calamité, c'est justifier peut-être, aux yeux de la postérité, toutes les horreurs de la Révolution, c'est faire croire à la France que la guerre n'est point terminée... Telle était la pensée de l'empereur Alexandre qui, par là,
posait comme base des délibérations, le principe de l'intégrité territoriale
de la France. Quant aux plénipotentiaires prussiens, ils déchirent, en
soudards sans scrupule d'aucune sorte, leurs engagements écrits. Humboldt et
Hardenberg spécifient : Notre sûreté exige
absolument et impérieusement que la France cède ses forteresses de Condé,
Valenciennes, Maubeuge, Philippeville, Charlemont, Givet, qui sont
indispensables aux Pays-Bas ; Thionville et Sarrelouis, à la Prusse ; Bitche,
Landau, Huningue, à l'Allemagne du Sud ; Fort Joux et l'Écluse à la Savoie ;
Quesnoy, Mezières, Sedan, Montmédy doivent être rasés ; Strasbourg doit redevenir
une ville libre d'Empire... Le hollandais Gagern appuie ces prétentions, en protestant que le retour de Napoléon est l'une des plus vilaines taches faites à l'honneur, depuis que l'espèce humaine est civilisée. L'Allemagne se montrait-elle donc alors civilisée ? Si l'on descend à la meute affamée des représentants des petits États, c'est l'ignoble spectacle de la frénésie sauvage, les instincts et l'appétit de l'oiseau de proie. Lisez, par exemple, dans Albert Sorel, les revendications d'un Wintzingerode, ministre de Wurtemberg, qui les écrivit sous la dictée de Ventre-à-terre qui, pour être roi, avait donné sa fille au plus jeune des frères de Napoléon. Les diplomates prussiens et autrichiens convoitent d'abord l'Alsace et la Lorraine, et comme on sait les Alsaciens et les Lorrains très attachés à la France, le farouche Gagern, si indigné contre l'abus de la force qu'il 'impute à Napoléon, suggère, lui, à Metternich, le recours à la force : L'archiduc Charles, me paraît, dit-il, le 16 juillet, le plus propre à venir à bout des Alsaciens et des Lorrains. D'autres vont plus loin encore ; le général Carlovitz conseille de partager la France en deux États, Langue d'oc et Langue d'oïl. Guillaume de Humboldt, pris tout de même de quelque scrupule, répond à Gagern : Pour l'Alsace, je ne crois pas : c'est contre les engagements pris à Vienne. La nation anglaise y verra un manque de bonne foi. On a dit qu'on ne faisait la guerre que contre Bonaparte et qu'on ne voulait pas faire une guerre de conquête. Et Gagern réplique : J'ai répondu que les monarques d'Autriche et de Prusse ne pourraient rentrer dans leurs propres capitales avec honneur et sécurité, en laissant les frontières de la France intactes... que raser les forteresses seulement était quelque chose, mais tout à fait insuffisant à mes yeux... Les projets de démembrement et de pillage proposés par Blücher et Gneisenau, par le ministre Stein, par Gruner, gouverneur de Dusseldorf, par Gœrres et Arndt, par tous les Prussiens qui se ruent sur la France en corbeaux avides, bien que la guerre eût cessé, ces projets, dis-je, dépassent toute vraisemblance ; Wellington et l'empereur de Russie déclarent qu'ils ont peine à maîtriser ces Barbares qui déshonorent la victoire commune et semblent au paroxysme de la haine. Le conseiller d'État prussien Bütte demande que les Alliés fassent raser les monuments français humiliants pour l'étranger. Blücher veut faire sauter le pont d'Iéna. Lord Castlereagh écrit le 8 juillet : La difficulté est de faire garder quelque mesure aux Prussiens et à Blücher. Wellington écrit, le 7 août : Ils ressemblent à des gens qui ayant pris un gâteau veulent à la fois le garder et le manger. L'empereur Alexandre répugne, lui aussi, aux représailles vulgaires des Prussiens[33]. Un Allemand plus pondéré et qui se croit raisonnable, parle d'organiser méthodiquement l'exploitation du pays : pas de gaspillage, même dans le pillage ! C'est déjà la méthode scientifique et forte[34]. L'un des secrétaires allemands du Congrès, Frédéric de Gentz, parlant de la conduite abusive des Allemands dans les pays qu'ils sont chargés d'occuper militairement jusqu'à la signature définitive de la paix, c'est-à-dire la Normandie, l'Anjou, la Bretagne, ne peut s'empêcher d'écrire : Les Prussiens, les Bavarois et les Wurtembergeois poussent la chose jusqu'à l'extravagance. D'Allemagne s'élèvent des protestations furieuses, à la supposition que la France ne sera peut-être pas mise en morceaux. Gentz, mandé de Vienne à Paris par Metternich, écrit de Francfort, le 7 août : De Nuremberg ici, je n'ai entendu que des éclats de colère à la seule pensée qu'on ne leur prendra pas au moins l'Alsace, la Lorraine, les Trois Évêchés et toutes les forteresses frontières des Pays-Bas[35]. Ces Allemands, ces Prussiens, tout à l'heure si plats, si rampants sous la botte de Napoléon, si bas dans leurs sollicitations et leurs protestations .de fidélité, on les voit partout hurlant, montrant le poing, piétinant le sol de rage, menaçant le ciel et la terre et leurs Alliés si ceux-ci ne donnent pas toute satisfaction à leur haine et à leur envie de toujours prendre. C'est cette noblesse allemande, ce sont ces tristes princes qui ont provoqué, de la part d'un poète allemand cette exclamation méprisante : L'Allemagne est un pays de valets ![36] Quand le parti de dépouiller et de démembrer la France l'eut emporté dans les déclarations du Congrès, Talleyrand protesta au nom de Louis XVIII, dans les termes suivants : ... Les Puissances
alliées n'ont pas un instant cessé de reconnaître Sa Majesté très Chrétienne
comme roi de France. Elles n'ont pas cessé d'être avec Elle dans des
relations de paix et d'amitié, ce qui seul emporterait avec soi l'engagement
de, respecter ses droits. Elles ont pris cet engagement d'une manière
formelle, bien qu'implicite, dans leur traité du 25. Elles l'ont rendu plus
étroit en faisant entrer le Roi, par son accession à ce traité, dans leur
alliance contre l'ennemi commun ; car si l'on rie peut conquérir sur un ami,
à plus forte raison ne le peut-on sur un allié... Mais les Alliés étaient tous trop jaloux de la France, de
sa grandeur et de sa gloire pour ne pas prêter, au moins dans une certaine
mesure, l'oreille aux suggestions perfides des Prussiens qui insistaient pour
profiter de l'occasion d'enlever à la France les
principales conquêtes de Louis XIV. Il fut question de nous amputer en
bloc de la Flandre, du Hainaut, de la Lorraine, de l'Alsace, de la Savoie et
d'une partie de la Champagne et de la Franche-Comté. A ce projet de
démembrement, il ne marquait plus que l'adhésion de la Russie. Lorsque Louis
XVIII en eut connaissance, il songea à abdiquer : Mylord,
dit-il au duc de Wellington, je croyais, en rentrant
en France, régner sur le royaume de mes pères ; il paraît que je me suis
trompé. Je ne saurais rester qu'à ce prix. Croyez-vous que votre gouvernement
consente à me recevoir, si je lui demande encore un asile ? Quant au
ministre des Affaires étrangères, le duc de Richelieu, qui avait enfin
remplacé Talleyrand, le 25 septembre 1815, il s'écria qu'on voulait une nouvelle guerre de vingt-cinq ans ; qu'on l'aurait,
et que la France monarchique ne se montrerait pas moins redoutable que la
France républicaine. Et il fit appel à la loyauté comme aux vrais intérêts de l'empereur de Russie, dont il était l'ami. Alexandre s'étant fait remettre la carte du démembrement, dressée par l'état-major prussien, la présenta au duc de Richelieu, en lui disant ces, paroles devenues célèbres : Tenez, mon cher duc, voilà la France telle que mes alliés veulent la faire ; il n'y manque que ma signature ; je vous promets qu'elle y manquera toujours. Et Alexandre, ainsi que les diplomates anglais, ne cessait de répéter : Cela est contraire aux promesses données à Vienne, au commencement de la guerre. On irriterait ainsi le peuple au plus haut degré, on amènerait des guerres nouvelles. Les. Alsaciens répugnent à devenir allemands. Leurs intérêts commerciaux exigent leur union à la France. Ces nobles et loyales protestations ne demeurèrent pas sans effet ; elles forcèrent les Autrichiens et les Prussiens à quelques concessions. Albert Sorel cite le témoignage d'un Allemand, Schaumann, auteur d'une Histoire du traité de Paris, qui reconnaît que les diplomates allemands voulaient abuser de la situation faite à la France : Chaque Français, écrit Schaumann, aurait senti la honte d'une cession de territoire au plus profond de l'âme, comme une atteinte à l'honneur national ; car l'aménagement intérieur de la France est tel que le Béarnais tient de plus près à l'Alsacien, que chez nous, le Poméranien au Souabe et, en général, l'Allemand du Nord à celui du Midi. Mais, ajoute Schaumann, on avait la force de triompher de tous les obstacles. On dut renoncer à amener les Allemands au respect intégral du traité de Paris. En vain, Louis XVIII et son ministre luttent avec l'accent
du désespoir, faisant valoir que les cessions
exigées de Sa Majesté très Chrétienne lui seraient imputées à crime par la nation,
comme si elle eût acheté, par là, le secours des Puissances alliées ; que ce
serait un obstacle insurmontable à l'établissement de son pouvoir, et
peut-être une cause de nouvelles révolutions ; ils font observer
encore que, par ces conditions, la France serait réduite à un État de
deuxième ordre ; que l'équilibre européen en serait bouleversé, etc.[37] A la fin, le duc de Richelieu, pressé d'apposer sa signature à ce démembrement de la France, recula et offrit au Roi sa démission. Les supplications de Louis XVIII le décidèrent à rester. Il signa le 20 novembre, au soir. Tout est consommé, écrivit-il pendant la nuit à Decazes ; j'ai apposé hier, plus mort que vif, mon nom à ce fatal traité. Voici les principaux articles, qui concernent notre frontière de l'Est, ramenée aux limites antérieures à la Révolution. Art. Ier. — Les
frontières de la France seront telles qu'elles étaient en 1790, sauf les
modifications de part et d'autre qui se trouvent indiquées dans l'article
présent : 1° Sur les frontières
du Nord, la ligne de démarcation restera telle que le traité de Paris l'avait
fixée, jusque vis-à-vis de Quiévrain ; de là, elle suivra les anciennes
limites des provinces belgiques, du ci-devant évêché de Liège et duché de
Bouillon, telles qu'elles étaient en 1790, en laissant les territoires
enclavés de Philippeville et de Marienbourg avec les places de ce nom, ainsi
que tout le duché de Bouillon, hors des frontières de France. Depuis Villers,
près d'Orval, jusqu'à Perle, la ligne restera telle qu'elle avait été
désignée par le traité de Paris. De Perle elle passera par Launsdorf,
Waldwich, Schardof, Niederweiling, Pellweiler — tous ces endroits restant avec
leurs banlieues à la France — jusqu'à Rouvre ; et suivra de là les anciennes
limites du pays de Sarrebruck, en laissant Sarrelouis et le cours de la
Sarre, avec les endroits situés à la droite de la ligne ci-dessus désignée et
leurs banlieues, hors des limites françaises. Des limites du pays de
Sarrebruck, la ligne de démarcation sera la même qui sépare actuellement de
l'Allemagne les départements de la Moselle et du Bas-Rhin jusqu'à hi Lauter,
qui servira ensuite de frontière jusqu'à son embouchure dans le Rhin. Tout le
territoire sur la rive gauche de la Lauter, y compris la place de Landau,
fera partie de l'Allemagne ; cependant, la ville de Wissembourg, restera tout
entière à la France avec un rayon sur la rive gauche n'excédant pas mille
toises. 2. A partir de
l'embouchure de la Lauter, le long des départements du Bas-Rhin, du
Haut-Rhin, du Doubs et du Jura jusqu'au canton de Vaud, les frontières
resteront comme elles ont été fixées par le traité de Paris. Le thalweg du
Rhin formera la démarcation entre la France et les États de l'Allemagne ;
mais la propriété des îles, telle qu'elle sera fixée à la suite d'une
nouvelle reconnaissance du cours de ce fleuve, restera immuable, quelque
changement que subisse ce cours par la suite des temps. La moitié du pont
entre Strasbourg et Kehl appartiendra à la France ; et l'autre moitié au
grand-duché de Bade. Ce traité de Vienne, du 20 novembre 1815, consécration diplomatique du mensonge et de l'abus de la force, convention imposée à la France qui n'a jamais cessé de protester contre elle, créa en Europe le malaise d'où sortit la guerre de 1870 ; la guerre actuelle en est encore la conséquence directe ; la France ne saurait jamais en prendre son parti. Au point de vue militaire, le territoire français restait désormais ouvert, sans défense d'aucune sorte, plus exposé aux invasions et aux coups de force qu'il ne le fut à aucune époque de notre histoire. Le traité, combiné avec une habileté machiavélique, en nous prenant Philippeville, Marienbourg, Sarrelouis, Landau, en démolissant Huningue, livrait à nos voisins les portes des trois vallées qui mènent sur Paris : c'étaient les clefs de notre maison. En effet, observe Th. Lavallée : Philippeville et Marienbourg, ces places acquises par Mazarin avec tant d'intelligence et de sollicitude, gardaient avec Avesnes et Rocroy le triangle entre Sambre et Meuse dont Namur occupe le sommet, et dans lequel se trouvent les sources de l'Oise. Ce triangle, — garni à sa base de Landrecies, Avesnes, Rocroy et Mézières ; sur les côtés, de Maubeuge et de Givet ; et, dans le milieu, de Philippeville et Marienbourg, formait une bonne frontière, qui gardait très bien les sources de l'Oise : c'est pour cela que l'ennemi, en 1712, en 1793, avait mieux aimé aborder l'autre partie de la trouée, entre Escaut et Sambre ; d'ailleurs, ce triangle nous permettait d'attaquer directement la Sambre vers Charleroy et de faire de cette rivière la base de nos opérations en Belgique : c'est ce que l'armée française avait fait en 1793 ; c'est ce que venait de faire Napoléon en 1815. En nous enlevant Philippeville et Marienbourg avec les cantons adjacents, on a formé sur la frontière un rentrant qui fait aller tortueusement notre limite de Maubeuge aux sources de l'Oise et des sources de l'Oise à Givet ; qui laisse Maubeuge et Givet sans communications ; qui isole et rend inutiles Avesnes et Rocroy, enfin qui permet à l'invasion d'arriver sans obstacle dans la vallée de l'Oise et de là sur Paris. L'état-major prussien ne fut pas moins habile dans le choix de Sarrelouis, clef du chemin qui mène dans la vallée de la Marne. Ce chemin, intermédiaire entre la trouée de l'Oise et celle de Belfort, part de Mayence, traverse le large espace compris entre la Moselle et les Vosges, franchit la Moselle et arrive sur la Marne à Saint-Dizier. Louis XIV, après la paix de Nimègue, avait vu le danger de cette partie de la Lorraine qui tourne l'Alsace et ouvre la Champagne, et c'est pour cela qu'il avait, pris et fortifié Sarrelouis. Sarrelouis, appuyée à gauche sur Thionville, à droite sur Bitche, ayant Metz en arrière, couvrait complètement cette ouverture qui n'avait été franchie qu'en 4814, et avec une témérité extrême : car, à la fiai de la campagne, aucune des places de cette partie de la frontière n'appartenait à l'ennemi, et c'était là que Napoléon, dans sa dernière marche sur Saint-Dizier, voulait reporter le théâtre de la guerre. Sarrelouis, donnée par la coalition à la Prusse, replace la France au traité de Nimègue, isole Metz de Strasbourg, rouvre de toutes parts la Lorraine et donne la clef de la vallée de la Marne. La frontière d'Alsace, de Huningue à Landau, est la meilleure frontière de la France : d'abord, un grand fleuve, garni de belles places, avec ses affluents, puis la chaîne parallèle des Vosges, avec ses défilés fortifiés ; en arrière, la Moselle et la Meuse : tout cela semble composer un ensemble redoutable ; mais c'est à la condition expresse que le Rhin ne puisse être tourné ni par le nord ni par le midi. Or, du côté du nord, la grande place de Mayence ouvre le Rhin et menace tout le pays entre Rhin et Vosges ; au midi, la ville de Bâle ouvre, en avant de la trouée de Belfort, la vallée de l'Ill et le chemin de Strasbourg. Voilà pourquoi Louis XIV, dans le Règlement de ses frontières, avait pris et fortifié Landau, qui garde la route de Mayence à Strasbourg avec tout le nord de l'Alsace ; voilà pourquoi il avait fortifié Huningue, qui garde de même le midi de cette frontière, et plus encore la porte de Bâle ; voilà Pourquoi aussi le traité de 4845 nous a pris Landau et démoli Huningue. Par là, la belle frontière de l'Alsace devient secondaire : on peut aborder directement Strasbourg, soit au nord, soit au sud ; enfin, et pour comble, la démolition de Huningue a pour principal objet d'ouvrir la trouée de Belfort, et par conséquent la grande route de Paris par la Seine. Ainsi qu'on le voit, les brèches faites à notre frontière par le traité de 1815, presque insignifiantes en apparence, ont été faites avec un art profond, avec une parfaite connaissance de la géographie militaire de la France, dans un but d'avenir ![38] Cette agression prévue par l'historien de nos frontières, a été réalisée par les armées allemandes, au mois d'août de 1914. |
[1] Nous empruntons les détails de l'itinéraire de Napoléon au précieux ouvrage de SCHUERMANS, Itinéraire de Napoléon Ier.
[2] ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 376.
[3] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 199.
[4] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 20.
[5] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 9.
[6] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 57.
[7] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 11.
[8] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 38.
[9] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 11.
[10] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 30.
[11] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 126.
[12] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 158.
[13] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 86.
[14] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 151.
[15] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 191.
[16] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 195.
[17] ALFRED RAMBAUD, l'Allemagne sous Napoléon Ier, p. 451.
[18] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. V, p. 69.
[19] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. V, p. 70.
[20] FRÉDÉRIC MASSON, Napoléon et sa famille, t. X, 1814-1815, p. 22.
[21] Cité par RAMBAUD, p. 183.
[22] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 198.
[23] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 224.
[24] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 225.
[25] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 200.
[26] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 240.
[27] A. SOREL, le Traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 30.
[28] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 261.
[29] A. SOREL, le Traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 57.
[30] A. SOREL, le Traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 60, note 2.
[31] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 261.
[32] A. SOREL, le Traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 92.
[33] Tous ces témoignages et beaucoup d'autres sont rassemblés par ALBERT SOREL, le Traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 68 et s.
[34] A. SOREL, le Traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 75.
[35] A. SOREL, le Traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 74.
[36] Ce mot est généralement attribué à Gœthe ; mais je dois avouer que je n'ai pu le retrouver dans ses œuvres. Dans tous les cas, il a été dit aussi par HOFFMANN DE FALLERSLEBEN, l'auteur du chant fameux Deutschland über Alles : Notre peuple est un peuple de domestiques (Unser Volk von Bedienlen). Cité par ARTHUR CHUQUET, dans la Revue hebdomadaire, 6 novembre 1915, p. 33.
[37] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 274.
[38] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 284.