LE RHIN DANS L'HISTOIRE

LES FRANCS DE L'EST : FRANÇAIS ET ALLEMANDS

 

CHAPITRE VIII. — LA CONQUÊTE DU RHIN SOUS LA RÉVOLUTION ET LE CONSULAT.

 

 

I

LES PAYS RHÉNANS AU DÉBUT DE LA RÉVOLUTION.

 

Reconstituer les limites naturelles de la France, reconquérir les Pyrénées, les Alpes et le Rhin, telle avait été la pensée directrice, permanente et inlassablement invétérée de la Monarchie française. Cette tradition ininterrompue de la politique extérieure de nos Rois, qu'il s'agît de conquérir la Bourgogne ou les Flandres ou d'arracher la rive gauche du Rhin à la suzeraineté du Saint-Empire germanique, les Capétiens ne s'en départirent jamais, que par accident et en croyant encore la servir. Ils en cherchèrent la réalisation de toutes les manières, par les armes, la diplomatie, les alliances de famille. Elle était en si parfaite harmonie avec le sentiment national que la Révolution, tout en rompant violemment avec la Monarchie, devait l'adopter et la faire sienne avec une brutale et splendide énergie.

A la vérité, aux premiers jours de la Révolution, le pacifisme, l'humanitarisme, l'internationalisme et toutes les rêveries sentimentales que les idéologues avaient puisées chez les philosophes du XVIIIe siècle, avaient cours, et nous les vîmes renaître, à nos dépens, hélas ! à la veille des guerres de 1870 et de 1914. On croyait à la Paix universelle comme à la Liberté. Une guerre n'est-elle pas le plus horrible des fléaux ! L'homme qui aime la guerre pour elle-même est un monstre. Horace n'a-t-il pas dit avec frémissement l'épouvante qu'est la guerre pour toutes les mères !

Les grands conflits entre nations ne peuvent-ils donc point, comme ceux qui s'élèvent quotidiennement entre les individus, se régler toujours par voie d'arbitrage ou par quelque tribunal supérieur ? Pour prévenir l'effusion du sang, ne peut-on faire appel à la raison aussi bien qu'au sentiment ? Éternels et captivants paradoxes, généreuses conceptions d'esprits géométriques et abstraits, rêves vaporeux d'harmonie mondiale ! La Paix perpétuelle et universelle est aussi chimérique que la Monarchie universelle que d'autres époques ont poursuivie, dans l'espoir aussi que la paix humaine en découlerait. Non ! tant que l'humanité vivra, il y aura des guerres abhorrées : c'est la loi des sociétés et des peuples, comme la mort est la loi de la vie des individus. Et si l'on parvenait à supprimer, par un système mondial nouveau, les barrières entre nations, qui ne voit qu'on ne ferait que remplacer les guerres étrangères par les guerres de classes et de conditions sociales, bientôt plus atrocement injustes et meurtrières que les autres ?

Au début de la période révolutionnaire, le plus dangereux et le plus inexorable de ces sophistes logiciens, Robespierre, demanda à l'Assemblée Constituante, le 22 mai1790, de déclarer que la France renonçait aux conquêtes et qu'elle regardait ses limites présentes comme posées par les destinées éternelles. Mirabeau, esprit positif, se leva : La Paix perpétuelle, s'écria-t-il, demeure un rêve et un rêve dangereux s'il entraîne la France à désarmer devant une Europe en armes. On sait que l'Assemblée suivit Robespierre et qu'elle vota sa motion ; elle alla plus loin. Elle, qui devait déchaîner la guerre générale en Europe, inscrivit dans la nouvelle Constitution de la France cet article, proclamé comme dogme républicain : La nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes.

Les événements ne devaient pas tarder à faire éclater l'inanité du principe, la folie du rêve. Une nation peut-elle tenir un pareil engagement lorsqu'elle est entourée d'autres nations qui n'ont point fait le même serment ? lorsque des questions commerciales ou autres, conséquences du progrès et du développement de la vie économique, se présentent, qui provoquent des rivalités, des concurrences, des ruptures d'équilibre ? En 1914, la Belgique, certes, ne voulait pas la guerre, et cependant elle a été entraînée à la faire dans les conditions les plus terribles. Les guerres, si elles ne sont pas provoquées par l'ambition des hommes ou des nations, éclatent comme les incendies dans les forêts, pour des causes fortuites, impossibles à prévoir ou à conjurer, ou même sans qu'on sache comment. L'histoire du monde entier, depuis le commencement des âges, proclame que rêver une humanité sans guerres, c'est imaginer l'homme ou les sociétés humaines sans passions, sans travail, sans ambitions, sans développement, sans rapports et sans conflits avec leurs voisins et leurs concurrents. Peut-on dire que cette atonie, cette mort morale soit un rêve généreux ? C'est, dans tous les cas, une conception contre nature. Et cependant, ô contradiction ! chacun de nous doit désirer la paix et l'appeler de tous ses vœux ! On ne fait la guerre que pour assurer une paix qui soit aussi longue et aussi stable que possible : mais elle ne saurait être éternelle.

La Révolution française fut amenée à faire la guerre aux monarchies de l'Europe. De quelque côté que vint la provocation occasionnelle, la guerre était fatale ; l'antagonisme des idées et de l'état social, la propagande révolutionnaire à l'extérieur, le bouleversement de toutes choses morales et matérielles, devaient troubler les rapports internationaux, dépasser la frontière et entraîner un conflit sanglant. Le public contemporain d'une guerre, en voit beaucoup plutôt les prétextes immédiats et les causes petites et accidentelles, que les raisons profondes, générales, lointaines qui l'ont rendue inéluctable. Il est surtout frappé des fautes, des perfidies, des sottises qui en ont précipité l'échéance, et il croit volontiers qu'en les évitant on eut empêché la guerre : le plus souvent, tout au plus l'eût-on retardée, en risquant de la rendre plus terrible. Quelle était, au début de la Révolution, la situation sociale respective de la France, de l'Allemagne, de la Rhénanie et des Pays-Bas ?

La France se proclamait une et indivisible ; elle était depuis longtemps centralisée ; elle poussa l'abus de la centralisation jusqu'au point de supprimer les provinces qui composaient la Monarchie, parce que chacune d'elles avait conservé ses coutumes, ses mœurs, sa mentalité, son langage populaire, son particularisme.

L'Alsace, ne l'oublions point, n'était pas plus disparate dans cette admirable mosaïque de nos provinces de l'ancienne France, que la Bretagne, la Flandre, la Picardie, la Provence, le Limousin ou le Béarn. L'Alsacien ne veut point être pris pour Allemand. Pour lui, les Allemands d'outre-Rhin sont des Souabes, et il les déteste à ce point que l'épithète de Souabe (Schwob) est une injure[1].

Louis XIV avait délivré les Alsaciens de l'emprise de cette lourde et vieille machine gothique, qui avait son moteur usé à Vienne, qui n'avait jamais bien fonctionné : institution que l'Église avait théoriquement échafaudée avec des débris incohérents de l'Empire de Charlemagne et qu'on appelait toujours, ô dérision ! le Saint-Empire-Romain-Germanique. En dehors de l'Autriche, domaine familial des Habsbourgs, le Saint-Empire n'était, dans la plupart des régions de l'Allemagne et surtout sur la rive gauche du Rhin, qu'une espèce de tradition protocolaire, à moins que l'Autriche n'entretînt, comme dans les Pays-Bas, une forte armée pour s'imposer, et dans ce cas, la puissance impériale était tyrannique et odieuse aux populations. Au XVIIIe siècle, le Saint-Empire, remarque Albert Sorel[2], est un colosse désarticulé, disloqué dont les membres sont épars sur la surface, de l'Europe. Ce sont les fragments bizarres d'un être qui n'a ni squelette, ni cerveau, ni entrailles.

L'immensité de cet Empire, du temps de Philippe II, produit sur la carte géographique un effet fantasmagorique, puisqu'il fait le tour du globe et que le soleil, disait-on, ne se couchait point sur son étendue. Mais déjà, et à plus forte raison à la fin du XVIIIe siècle, son unité n'était guère représentée que par la cérémonie de l'élection de l'Empereur, à laquelle participaient les sept, puis les neuf Électeurs, les colonnes, les chandeliers, les flambeaux de l'Empire. L'archaïsme étrange de la cérémonie, à Francfort, était bien le symbole de la vétusté de l'institution, et Gœthe traduit le rire inextinguible dont fut prise, en sa présence, la belle Marie-Thérèse lorsque, du balcon de la maison Trauenstein, elle vit apparaître son mari, l'empereur François Ier, affublé en fantôme de Charlemagne et sortant de la cathédrale pour se rendre dans la grande salle du Rœmer. Ce rire de carnaval gagna la foule lorsqu'on vit s'avancer les grands dignitaires de l'Empire, avec leurs attributs symboliques et l'éclat fripé et terni de leur prérogative d'officiants ; puis, le festin impérial, servi, de la cour à la cuisine, par quarante burgraves ou marquis, en costume de cour. Une orgie sans nom terminait la fête populaire, autour d'une fontaine de vin qui demeurait intarissable pendant deux jours.

Le baron de Lang qui assista au couronnement de Léopold II, en 1790, dit irrévérencieusement que ce fut la splendeur en haillons déchirés[3]. Une querelle vraiment homérique s'éleva entre les barons qui servaient la table de l'Empereur, pour savoir lequel d'entre eux présenterait le trente-septième plat. Il est vrai que le plat devait rester, à titre de revenant-bon, à celui qui l'aurait présenté.

Sans ses possessions autrichiennes de famille, l'Empereur n'eût pas été en mesure d'entretenir une armée pour faire respecter son rôle impérial. Quand il voyageait, c'était une ruine pour les villes obligées de l'héberger ; il est vrai qu'elles se rattrapaient en lui extorquant des privilèges qui les rendaient de plus en plus indépendantes et libres. L'Empereur n'était qu'un simulacre doré, paré et honoré comme ces vieilles statues habillées, devant lesquelles se prosternent des pèlerins venus de loin et des pays les plus divers.

A côté de cette plénitude de majesté, l'unité de l'Empire était encore représentée par la Diète, assemblée des délégués des divers États. Mais les États ne tenaient point à y réclamer leur place, car y assister était une marque de dépendance vis-à-vis de l'autorité impériale ; s'abstenir, c'était indiquer qu'on était vraiment État souverain, libre et fort. Aussi, la Diète ne se réunissait pas régulièrement, ses attributions n'étaient pas définies, on n'y venait pour ainsi dire plus ; le byzantinisme des questions qu'on y agitait parfois, confond la raison ; quand elle se fâchait, sous la poussée de certaines circonstances, ses décisions étaient foulées aux pieds par les plus puissants, comme le roi de Prusse, qui en faisait autant de cas que son lointain successeur d'aujourd'hui, des règlements internationaux de la Conférence de La Haye.

Quant au Tribunal d'Empire, qui représentait aussi l'Unité, c'était, disent plaisamment les légistes du XVIIIe siècle, le joyau de la Constitution allemande ; la vénalité et la stupidité des juges et greffiers de Wetzlar étaient passées à l'état de proverbe[4].

La division de l'Empire en Cercles, — il y en avait neuf, à la fin du XVIIIe siècle — n'encerclait rien, que sur le papier, et ne créait pas l'ombre de cohésion administrative entre les divers États englobés dans chacun d'eux : le représentant de l'Empereur, chargé de veiller à l'exécution des lois, au recrutement des soldats et au prélèvement des taxes impériales, n'obtenait que des consentements bénévoles, en échange de toutes sortes de marchandages.

Était-ce là un véritable Empire comparable à la Monarchie française ? Il ne faut donc pas se laisser leurrer par les mots ni par cartes géographiques de nos atlas et considérer, dans l'histoire, l'Allemagne impériale comme une puissance politique organisée, ayant une tête, une âme, un foyer, et constituant une Patrie pour les populations qu'elle embrassait nominalement. Parmi les princes féodaux, ceux qui affichaient.la plus complète indépendance vis-à-vis de l'Empereur, étaient précisément ceux auxquels il devait son élection.

Il y avait neuf grands Électeurs, savoir : les trois archevêques de Trèves, Mayence et Cologne ; — le comte palatin du Rhin, le duc de Bavière, le roi de Bohême ; — l'Électeur de Saxe, devenu roi de Pologne en 1697 ; — l'Électeur de Brandebourg, devenu roi de Prusse en 1701 ; — l'Électeur de Hanovre, roi d'Angleterre depuis 1714. Que pouvait être la suzeraineté de l'Empereur, par exemple, sur l'Électeur de Brandebourg, l'astucieux roi de Prusse ; sur l'Électeur de Hanovre, roi d'Angleterre ; sur l'Électeur Palatin, concurrent à l'Empire ?

On comptait, en outre, une soixantaine de villes libres, autant de souverains séculiers, ducs, comtes, burgraves, margraves, près de quarante princes ecclésiastiques, abbés ou évêques et d'autres seigneuries indépendantes, ce qui portait à environ 360 ce grouillement d'États souverains qui se partageaient l'Allemagne.

Encore une fois, ils ne constituaient ni un peuple, ni une nation ; ils n'avaient rien de commun entre eux. Ces États suivent chacun sa destinée, sans le moindre souci d'une solidarité quelconque. Nulle unité, nulle cohésion ; il n'y a pas de Patrie allemande. Lessing a écrit qu'il n'avait aucune idée de ce que peut être l'amour de la Patrie, et Schiller parait bien aussi être dans le même état d'esprit[5].

Il y a encore moins unité de race, car les populations d'origine wende ou slave et d'autres éléments ethniques, sont plus nombreux en Allemagne que l'élément germanique et n'ont pas encore été absorbés ou dominés par ce dernier, au XVIIIe siècle.

Chaque prince allemand, laïque ou ecclésiastique, chaque ville libre a ses privilèges particuliers, usurpés à l'origine, mais qu'il s'est fait confirmer adroitement et qui, suivant l'expression de Voltaire, le mettent en droit de mal servir. L'un ne sert point du tout, et l'Empereur n'a nul moyen de l'y contraindre ; l'autre a le droit de ne pas servir hors des limites de telle province ; celui-ci, de ne fournir que tant de soldats, celui-là, de ne payer que telle redevance.

Tous ces petits princes ou chevaliers se jalousent, se volent, se battent, vivent de rapines, aspirent à devenir grande puissance, à l'exemple du roi de Prusse.

Comme à l'époque de Tacite, les plus proches voisins sont, parce que limitrophes, les ennemis les plus acharnés. Aussi, en dehors des villes, la culture est fort peu avancée et les mœurs sont demeurées barbares. Au temps de Louis XIV, dans toute l'Allemagne du Nord, le luxe, dit Voltaire, était inconnu et les commodités de la vie étaient encore très rares chez les plus grands seigneurs.

C'est toujours, comme nous l'avons constaté tant de fois, l'éternelle barbarie germaine. Chez ces barons farouches, grands chasseurs, ignares, à peu près sans ressources autres que celles qu'ils extorquent à leurs sujets ou à leurs voisins, il n'y a ni gouvernement, ni justice supérieure, ni tutelle, ni protection, ni police, rien de ce qui tempérait, plus ou moins, dans les grands États, les abus du régime. A part quelques familles de haute culture intellectuelle... tous ces comtes et barons de l'Empire s'enorgueillissaient de leur isolement, de leur misère morale et de leur grossièreté politique ; c'étaient comme les stigmates de leur souveraineté abâtardie, et ils en étaient fiers. Véritables tyrans de village, lourds parodistes du despotisme prussien dont ils n'imitaient que les violences, ils formaient, au cœur de l'Allemagne, comme un archipel d'îlots, plus séparés de l'Europe, par les clôtures de leurs domaines qu'ils n'auraient pu l'être par les flots de l'Océan[6].

A la fin du XVIIIe siècle, comme au IXe, l'anarchie féodale s'épanouit dans toute l'Allemagne, avec le servage et son anachronisme de corvées et de redevances, le paysan abruti et à peine élevé à la dignité humaine. Un historien allemand, Pertz, cité par Albert Sorel, compare la demeure d'un noble mecklembourgeois à la tanière d'une bête féroce qui ravage tout alentour et dévore en silence. Le paysan de la Lusace est esclave. Le landgrave de liesse vend ses sujets aux Anglais, à cent écus par tête. Le Bavarois abrutit les siens : c'est, disait Frédéric, le paradis terrestre habité par des bêtes[7].

Le roi de Prusse traite lui-même de Vandales les paysans de ses Etats ; il les représente défiants, farouches, s'enfonçant dans la profondeur des bois et derrière leurs marécages, dès qu'un homme civilisé veut les approcher ou leur parler ; il a le front, lui, de les appeler fourbes et parjures. Les villes seules ont une bourgeoisie éclairée et prospère, parfois turbulente et révoltée.

Tel n'était point, loin de là, l'état social des pays de la rive gauche du Rhin, même dans les campagnes ; l'influence française y avait toujours pénétré ; les populations y étaient plus cultivées, y jouissaient de plus de liberté et de bien-être. Elles présentent, d'ailleurs, entre elles, des contrastes sensibles, suivant les régimes politiques auxquels elles sont soumises.

La Belgique vit entièrement sons l'action impulsive de ses villes industrielles et commerçantes où domine une bourgeoisie jalouse de ses libertés, active, avide de progrès, détestant la noblesse féodale, ouverte hardiment aux idées nouvelles qui viennent de France. Les persécutions religieuses de Joseph II dans ce pays, à la veille de la Révolution, en provoquant l'agitation à la tête de laquelle se plaça l'avocat Henri van der Noot, ne firent que pousser les Belges du côté de la France. Il y eut des échauffourées, puis une révolte qui, en 1787, proclama l'indépendance de la Belgique. Cet état insurrectionnel dura deux ans ; les Autrichiens revinrent en persécuteurs. Le parti national appela les Français, préférant à la domination du Saint-Empire l'incorporation à la France révolutionnaire.

Les idées nouvelles pénétrèrent aussi en Hollande où elles furent propagées avec ardeur par le parti des Patriotes. Le stathouder, Guillaume V d'Orange, fut chassé. Restauré avec l'appui de la Prusse et de l'Angleterre, il eut la maladresse de se venger, en forçant 40.000 personnes à s'exiler. On conçoit que la Révolution française ait aussi trouvé, dans ce pays, des adhérents, des propagateurs enthousiastes.

Les territoires allemands de la rive gauche du Rhin sont, comme ceux de l'Allemagne proprement dite, partagés en une foule de petites souverainetés et en villes libres impériales. Depuis le démembrement de l'Empire carolingien, les habitants de la Rhénanie étaient sans patrie : les villes ne sont attachées qu'à leur indépendance et à leurs libertés locales : si elles eussent été assez fortes pour se défendre elles-mêmes, elles eussent, toutes, préféré leur autonomie municipale, leur république, comme celle des Cantons suisses, à leur annexion aux grandes Puissances de l'Est ou de l'Ouest. Elles formèrent entre elles, à diverses reprises, des hanses ou ligues surtout commerciales ; dès le XIIIe siècle, Mayence groupait jusqu'à 100 villes rhénanes autour d'elle. Dans ces villes, brillantes, si développées au point de vue commercial, industriel, artistique, littéraire même, dont le clergé et la bourgeoisie sont les classes dirigeantes, et où les corporations de métiers manifestent une activité rivale de celles de la Belgique ou de la Hollande, la politique et les idées philosophiques travaillent les cerveaux. D'aucuns veulent changer ce qui, dans les rouages sociaux, leur semble archaïque, étroit, puéril. Les citoyens s'y divisent en partisans de l'ancien état de choses et partisans d'une rénovation : ceux-ci sont tout acquis à la France, d'où leur vient la doctrine.

Le long du Rhin, le burgrave gothique, ruiné, endetté, vorace, le fléau du canton, ayant épuisé le paysan qui cultive pour lui son champ et sa vigne, en est réduit à se vendre. Enraciné dans son orgueil de caste, il sert dans la domesticité impériale ou, le plus souvent, dans les armées de la France contre la Prusse ou contre l'Empire. Le Roi trouve, dans ce pays, non seulement des alliés ou des clients qu'il soudoie, mais il continue à y lever des régiments, si bien que le Rhin est, en fait, depuis Mazarin, la frontière militaire de la France[8].

Vers 1789, il n'y avait guère d'hostile à la France, dans la région rhénane, que l'archevêque Électeur de Cologne, et c'était l'archiduc Maximilien, frère de Marie-Antoinette. Un agent français, Gérard de Rayneval, écrit en 1787 : L'Électeur de Mayence se conduit très bien à l'égard de la France ; l'Électeur de Trèves voudrait être Français ; l'Électeur de Cologne hait la France et les Français ; l'Électeur de Deux-Ponts est attaché à la France par sentiment, par intérêt et par reconnaissance ; le landgrave de Hesse-Cassel déteste la France ; le prince-évêque de Liège est attaché à la France[9].

Le burgrave allemand qui opprime le pays, ne saurait être confondu avec la population foncière qui, bien que submergée par les infiltrations allemandes, est toujours restée lorraine et franque. D'origine transrhénane, introduits là par transmission d'héritage ou en vertu d'une combinaison politique, les barons féodaux et leurs noms changent et se succèdent, sous l'œil indifférent des paysans, sans que ceux-ci s'en inquiètent, sans que naisse même l'ombre d'un sentiment de loyalisme ou d'attachement.

Les Électeurs ecclésiastiques, membres, eux aussi, des plus puissantes familles féodales d'Allemagne, s'installent à Trèves, Mayence ou Cologne pour jouir de leurs prérogatives princières et des opulents revenus de leur charge épiscopale ; d'aucuns se posent vis-à-vis du pape en demi-rebelles, en promoteurs de schismes ; d'autres, ne sont guère connus du bas clergé et des habitants que par le scandale de leur vie. A Mayence, la cour de l'archevêque Joseph d'Erthal (1774-1802) est composée de beaux esprits, de libertins et de valets[10].

Quelques vertueux prélats passent au milieu des autres, mais ceux-là même ne changent rien à la routine, aux vieux usages. Leur chancellerie gouverne pour eux, attentive uniquement à faire valoir des droits féodaux séculaires. Ennemis de tout progrès, chatouilleux sur l'étiquette vétuste et puérile, ils languissent, dit le duc de Broglie, dans une longue enfance[11]. Rien de plus suranné, vieillot, comique parfois, que les us et coutumes de ces grands Électorats ecclésiastiques dont tout le bien qu'on puisse dire, c'est que les tenanciers de ces évêques, dans les campagnes, ne se plaignaient pas trop de leur sort ; ils se trouvaient moins pressurés que ceux des seigneurs laïques du voisinage.

Parmi ces féodaux rhénans, laïques ou ecclésiastiques, qui se déclarent attachés à la France, combien en est-il qui soient sincères ? D'aucuns même ne sont que des calculateurs, fourbes et cupides autant que plats valets. Dans ces derniers, il faut placer, en tête, les comtes palatins des multiples branches de la famille bavaroise. Maximilien-Joseph, duc, puis roi de Bavière, né le 27 mai 1756, fut d'abord duc de Deux-Ponts, après la mort de son frère Charles II, colonel du régiment français Royal-Deux-Ponts, en garnison à Strasbourg. En 1788, Louis XVI paya les dettes de ce personnage : elles s'élevaient à 945.000 livres. A la mort de son cousin Charles-Théodore, en 1799, il devint Électeur de Bavière. Plus tard, il fit sa cour à Napoléon comme il l'avait faite à Louis XVI, si bien qu'en 1806, par la grâce de l'Empereur des Français, il devint roi de Bavière.

Son fils, Louis-Charles-Auguste, naquit à Strasbourg en 1786 et Louis XVI fut son parrain. En 1806, il fut l'un des courtisans les plus assidus de Napoléon et de l'impératrice Joséphine, et sa sœur épousa le prince Eugène de Beauharnais. Mais, remarque Albert Sorel, si le courtisan s'inclinait en public, le patriote protestait secrètement, et, entre deux visites à ses protecteurs français, le prince allemand écrivait dans son journal : Ce serait pour moi la plus chère fête de victoire, si cette ville où je suis né pouvait un jour redevenir allemande ![12] Celui-là justifie bien, comme tous les autres, d'ailleurs, l'amère réflexion de George Forster en 1791 : Notre politique est de tromper tout le monde, de négocier avec tout le monde, de ne tenir aucune parole[13].

Tandis que cette triste féodalité rhénane cherche en France les moyens de vivre, mendie à la porte des palais de nos rois, se fait une carrière dans les régiments à la solde de la France, tous ceux qui pensent et observent le mouvement des idées et la fermentation universelle des esprits, tournent aussi leurs regards du côté de la France et lui demandent une direction philosophique et sociale. Gœthe, qui naquit à Francfort en 1749 et étudia à Leipzig et à Strasbourg, salue avec confiance les débuts de la Révolution française. On pressentait aussi une révolution dans les pays rhénans, si prompts à adopter tout ce qui venait de France. Il s'était formé dans les villes, notamment à Mayence, des groupements de citoyens qui recevaient le mot d'ordre des clubs de Paris et se faisaient les propagateurs passionnés des idées françaises. Ces associations composées d'hommes généreux, pour la plupart, tous épris de liberté, se recrutent surtout dans la petite bourgeoisie intellectuelle, avocats, médecins, tabellions, professeurs, boutiquiers, beaux parleurs et commentateurs des gazettes. Leur centre d'attraction est Strasbourg ; ils envient pour leur pays le sort de l'Alsace. Ils entretiennent peu de relations avec le reste de l'Allemagne ; la Révolution, qu'ils adopteront avec enthousiasme, achèvera de les en séparer. Leur rêve serait de constituer de petites républiques autonomes, à la manière des Cantons suisses ; mais s'il faut choisir, ils préfèreront la domination de la France, qui fait prévaloir leur idées, à la domination d'un prince allemand qui les étoufferait[14].

 

II

LES FRANÇAIS SUR LE RHIN EN 1792.

 

Au commencement de 1792, la grosse affaire pour les révolutionnaires n'était plus le rêve de la Paix universelle qui s'était bien vite évanoui sous la poussée des événements. La France venait d'être provoquée par la fameuse Convention de Pilnitz, du 27 août 1791. Partout, le pressentiment de la guerre ; partout, le frémissement des préparatifs. Le roi de Prusse écrit à l'Empereur, à Vienne, pour lui proposer la conquête, en commun, de l'Alsace, de la Lorraine, du Hainaut et de la Flandre[15].

Louis XVI déclara la guerre à la Coalition le 20 avril 1792 : telle était alors la surexcitation des esprits que c'est cinq jours après seulement, le 25 avril, que Rouget de l'Isle, capitaine du génie, composait la Marseillaise, à Strasbourg.

Dumouriez, dès le premier jour, proposa au Roi un plan de campagne qui marque éloquemment le caractère traditionnel et national de la lutte qui va s'engager : Prendre l'offensive sur le Rhin, dans les Pays-Bas et en Savoie, c'est-à-dire partout où les frontières naturelles de la France ne sont point encore atteintes ; rester sur la défensive partout où la France a déjà ses limites naturelles. Dans le Conseil terni par le Roi, Dumouriez est l'interprète de la pensée de tous, par cette déclaration : La France, dit-il, ne peut avoir de sécurité qu'avec la barrière du Rhin.

Ainsi dégagée de l'idée de propagande révolutionnaire et des boursouflures des forcenés, la guerre qui débute en 1792 et durera 22 ans, n'est, comme le remarque Albert Sorel, qu'un des épisodes du long procès armé qui se poursuivait depuis le XVe siècle, entre la maison d'Autriche et la maison de France. Ce conflit était la condition même de la formation territoriale de la France[16]. C'était toujours la revendication du Rhin. On reprenait d'instinct la tradition de notre glorieuse et incomparable Monarchie, et en même temps on répondait aux vœux des populations rhénanes qui sollicitaient l'intervention de la France et aspiraient à être débarrassées d'une oppression féodale surannée. Sans le vouloir, sans le rechercher, par une sorte d'impulsion atavique, la Révolution faisait sienne la grande pensée des rois de France, dix fois séculaire ; le programme national de la Monarchie devint celui de la Révolution, le jour même où celle-ci la renversa. Telle était l'unanimité des sentiments à cet égard, que le plan de Dumouriez fut accueilli avec enthousiasme par tous les chefs de nos armées cantonnées sur la frontière, le vieux maréchal de Beauvau, La Fayette, Custine, Biron, Montesquiou qui appartenaient à l'ancienne armée royale, aussi bien que par les généraux acquis aux idées de la Révolution.

Les doctrinaires appliquaient à la France cet aphorisme de Rousseau, dans son Traité de la Paix perpétuelle : La situation des montagnes de l'Europe, des mers et des fleuves qui servent de bornes aux nations qui l'habitent, semble avoir décidé du nombre et de la grandeur de ces nations, et l'on peut dire que l'ordre politique de cette partie du monde est, à certains égards, l'ouvrage de la nature.

Cet ouvrage de la nature, limite de la France, c'était du côté de l'Est, les Alpes et le Rhin, les anciennes bornes de la Gaule. Tel est le principe affirmé, avec la phraséologie de charlatan, à la mode dans ce temps-là, par Grégoire, dans son Rapport à la Convention, le 27 novembre 1792. Nous n'avons point à raconter, ici, les causes de l'insuccès de notre première campagne militaire ni les événements intérieurs qui, après le 10 août 1792, jetèrent la France dans l'anarchie sanguinaire.

La forteresse de Luxembourg, que Louis XIV avait dû abandonner, après l'avoir fortifiée, ouvrit aux Prussiens les portes de la France. C'est par là que, venant de Coblence, ils entrèrent, forçant la frontière lorraine à Redange. Paris apprit avec stupeur, le 4 septembre 1792, que Verdun venait de capituler et que Lille était assiégée. Les Prussiens, comme jadis Charles-Quint, s'avancèrent dans les plaines de la Champagne, à 40 lieues de Paris.

De même qu'en septembre 1914, à la suite de notre défaite de Charleroi, le gouvernement parla de se retirer au delà de la Loire ou même jusqu'à Bordeaux. Servan, le ministre de la Guerre, voulait se réfugier à Blois ; Barbaroux trouvait que le plateau de l'Auvergne était un asile plus sûr ; Roland proposait Tours ; c'était un affolement général parmi les théoriciens du pacifisme, les rédacteurs de l'Encyclopédie, tous les idéologues. Un homme d'énergie se dressa : La France est dans Paris, s'écria Danton, alors ministre de la Justice. Il fallait, disait-il, provoquer une convulsion nationale qui chasserait l'ennemi et, avant tout, donner l'exemple de la fermeté et de la confiance. Il obtint que le Gouvernement restât.

Et voilà que les Prussiens sont arrêtés dans l'Argonne. Le 20 septembre 1792, la victoire de Valmy les force à repasser la frontière : la France est sauvée. Bientôt nos armées, débordant au dehors, vont envahir la Belgique et la Rhénanie.

Le 24 octobre 1792, le Conseil exécutif de la Convention décrète que les armées françaises ne quitteront point les armes et ne prendront point de quartiers d'hiver, jusqu'à ce que les ennemis de la République aient été repoussés au delà du Rhin[17]. Il adresse aux armées cette proclamation : Vous poursuivrez les ennemis jusqu'au delà de ce fleuve rapide qui, comme pour balayer leurs souillures, coule entre la terre des hommes libres et la terre des hommes esclaves.

Dumouriez écrit à Kellermann : Vous avez une fort belle mission à remplir, c'est de municipaliser la Rue aux Prêtres, c'est-à-dire les gros évêchés et abbayes qui farcissent cette frontière d'Allemagne. J'espère qu'au printemps, vous viendrez me donner la main par Cologne. Le Rhin doit être la seule borne de notre campagne[18].

Custine reçoit des ordres semblables : Il faut, lui mande-t-on, balayer tout ce qui est devant et à côté de vous, le long du Rhin, en traitant les villes impériales et, partant, les peuples, avec fraternité. Vainqueur à Jemmapes, le 6 novembre 1792, Dumouriez entre à Mons, Bruxelles et Liée : la Belgique est délivrée, l'ennemi rejeté sur la Roër.

En Suisse, une armée française, partie d'Alsace, pénétra dans le pays de Porentruy. Les habitants, qui dépendaient de l'évêque de Bâle, accueillirent nos soldats avec transport et se déclarèrent affranchis de tous les liens qui les attachaient à l'empire d'Allemagne et aux évêques de Bâle, Le 27 novembre ils se constituèrent en République de Rauracie, sous la protection de la France. Après quatre mois d'indépendance ils envoyèrent une députation à la Convention pour demander leur incorporation à la République française. Accédant à ce vœu, le 23 mars 1793, la Convention décréta que le pays de Porentruy faisait partie intégrante de la République française et qu'il formerait un département particulier sous le nom de Mont Terrible[19].

Pendant ce temps, Custine avait conquis le Palatinat et l'Électorat de Mayence ; lui aussi, était pénétré de l'idée classique de la frontière du Rhin ; il voulait mettre sa gloire à conquérir cette frontière à la France3[20]. Dumouriez lui avait écrit, après Jemmapes : Il est certain que nous ne devons pas poser les armes avant de nous être assurés que le Rhin servira de limites à notre empire, soit par agrégation de républiques libres, sous notre protection, soit par acceptation des peuples qui s'offriront à nous et entreront dans la composition de l'Empire français... Allez donc jusqu'à Coblence, mais arrêtez-vous là. Quand vous serez une fois maitre de ce confluent, la République sera en sûreté, parce que vous aurez fixé la barrière naturelle, parce que nous serons sûrs de pouvoir défendre et maintenir ce que nous aurons pris[21]. On presse nos généraux : le 27 novembre, Brissot écrit à Dumouriez : La République française ne doit avoir pour bornes que le Rhin.

La région rhénane s'agite à l'approche des Français. De Landau, Custine avertit l'Électeur palatin qu'il va traverser son territoire, mais que les troupes françaises n'y commettront aucune déprédation. Il n'avait que 1.300 fantassins, 4.000 cavaliers et 40 canons. Le 29 septembre il enjoint à ses troupes, par un ordre du jour, de respecter les personnes et les propriétés et d'observer la plus rigoureuse discipline : Le Français, dit-il aux habitants, combat pour la liberté des peuples ; il leur offre d'une main le symbole de la paix, pendant que, de l'autre, il plonge ses armes dans le sein de leurs oppresseurs. Custine emporta presque sans coup férir Spire, Frankenthal, Worms. Sur son chemin, les populations, qui accueillent ses soldats au chant du Ça ira, se montrent heureuses d'être débarrassées du régime féodal allemand. Gœthe, témoin de l'invasion, raconte : Les Français arrivaient, mais ils ne semblaient apporter que l'amitié, et réellement ils l'apportaient ; ils avaient tous l'âme exaltée ; ils plantaient allègrement les gais arbres de la Liberté. Ils promettaient à chacun son droit et son gouvernement propre. Ils gagnèrent bientôt, ces Français prépondérants, d'abord l'esprit des hommes par leur ardente et vaillante entreprise, puis le cœur des femmes par leur irrésistible aménité. Le poids même de la guerre et toutes ses exigences nous paraissaient légers. L'espérance flottait devant nos yeux autour de l'avenir et attirait nos regards vers les voies nouvellement ouvertes[22].

Bientôt, l'avant-garde de Custine fut signalée en vue de Mayence qui, d'avance, était disposée à capituler. En vain l'Électeur exhorte les habitants à se défendre ; il est contraint de se retirer à Wurtzbourg, en faisant enlever les armoiries de son carrosse pour n'être pas reconnu de la foule. Les agents de la Cour ne songèrent plus qu'à emballer les trésors des églises et ceux des palais. Gentilshommes, ecclésiastiques, émigrés français, tout ce qui avait à redouter l'invasion s'entassa sur des bateaux ou dans des voitures, emportant tout ce qu'on pouvait sauver, jusqu'au vin des caves[23].

Spontanément, dès le 5 octobre, les habitants arborèrent la cocarde tricolore. Enfin, le 19 octobre, Custine parut et fit mine de vouloir faire le siège. La garnison autrichienne se retira. La capitulation fut signée le 21 octobre 1792. Les employés de l'Électeur eurent la faculté de rester en fonctions ; la sécurité des biens et des personnes fut garantie : Vers midi, les portes de la ville s'ouvrirent. C'était un dimanche, la population se porta en foule vers le camp français. Forster[24] s'y rendit avec sa femme : Vive la République ! cria-t-il, en saluant le premier soldat qu'il aperçut. Elle vivra bien sans vous ! répondit le républicain. Les Français distribuèrent force cocardes, et la populace allemande profita de l'événement pour saccager les vignes de l'Université. A 6 heures, Custine fit son entrée. Il se rendit au Palais épiscopal où la valetaille le reçut princièrement, puis il s'en alla dans la maison de ville ; il y avait convoqué le Conseil de la ville[25]. Des compliments furent échangés ; le général français fut d'autant mieux accueilli que la discipline de ses soldats inspirait confiance.

Dès le même jour, le 21 octobre, Forster écrivit au gouvernement prussien : Heureusement pour l'Allemagne que le Rhin est là. Il doit former la frontière entre le pays de la République et l'Allemagne... Tout conseille de faire la paix en cédant Trèves  et Mayence à la France. Jean de Muller, secrétaire de l'Électeur, déclarait partager cet avis. C'est ainsi que Mayence devint républicaine, tandis que l'Électeur et tous les tenants de la vieille féodalité, apeurés, affolés, déménageaient des villes et des campagnes, et se réfugiaient au delà du Rhin.

Dès le 26 octobre, arrivèrent à Mayence les délégués de Coblence qui offrirent aux Français de leur livrer la ville ainsi que les forteresses d'Ehrenbreitstein et de Rhinfels. Custine envoya ses lieutenants dans toutes les directions, recevoir la soumission du pays. Houchard se rendit à Mannheim ; lui-même, enivré de ses faciles succès et séduit par l'enthousiasme des populations, traversa le Rhin pour aller prendre Francfort qu'il rançonna, parce que le besoin d'argent se faisait sentir dans son .armée qui s'était abstenue de vivre sur le pays conquis.

Les historiens reprochent, peut-être non sans raison, à Custine de s'être laissé entraîner à la poursuite de l'ennemi, d'avoir pris Francfort et envahi la Hesse, an lieu de répondre aux sollicitations pressantes des villes de Coblence, de Saint-Goar, de Rhinfels qui l'appelaient et l'attendaient. On ne sait, dit Thiers, jusqu'où il aurait pu aller en s'abandonnant au cours du Rhin. Peut-être aurait-il pu descendre jusqu'en Hollande.

Custine fut-il entraîné à franchir le Rhin par des nécessités financières ou militaires ? toujours est-il qu'il avait la conviction que le Rhin devait former notre frontière. Le 21 décembre 1792, il écrira encore au ministre de la Guerre, Lebrun : Les puissances allemandes sentent que si les bornes de la République sont reculées jusqu'au Rhin, c'en est lait de l'empire d'Allemagne. Et moi, je pense jusqu'à la conviction, que si le Rhin n'est pas la limite de la puissance de la République, elle périra[26]...

Le gouvernement républicain que Custine installa, dès le 19 novembre, englobait Mayence, Worms, Spire, Frankenthal et les cantons qui dépendaient de ces villes. Dorsch en fut nommé président, et Bœhmer y représenta le général français. Parmi les conseillers, on remarquait le professeur Hoffmann, révolutionnaire exalté, Reuter, ancien conseiller de l'Électeur, le Strasbourgeois Stamm, le médecin Metternich, Pape, ancien moine, le relieur Zech, le bibliothécaire naturaliste George Forster, l'honneur et l'intelligence du Conseil. Les curés reçurent une instruction qu'ils devaient lire en chaire aux populations. Elle leur annonçait l'abolition du régime féodal, l'accessibilité des emplois pour tous les citoyens, la liberté, la sécurité, le bien-être : Fiez-vous en à Dieu qui soutient si visiblement les entreprises des Français[27].

Sans attendre cette invitation, un grand nombre de communes rhénanes avaient déjà sollicité leur annexion. Dès le 3 novembre 1792, on avait lu à la Convention une lettre envoyée de Strasbourg, annonçant que les Mayençais voulaient leur réunion à la France. Le 15 novembre, était de même arrivée une adresse de huit communes du pays de Nassau-Sarrebruck demandant leur incorporation : La France, dit cette adresse, est notre ancienne patrie... Nos relations commerciales et la conformité de langue semblent nous placer naturellement dans le département du Bas-Rhin.

Le 18 novembre, la Convention reçut un vœu analogue de Bergzabern qui, depuis 1789, était, ainsi que Landau, en lutte avec le duc de Deux-Ponts[28]. De Spire jusqu'à Bingen, rapporte Forster, tous les suffrages se sont prononcés unanimement pour l'acceptation de la République française et pour la réunion à la France[29]. Ils enviaient bien légitimement la situation de l'Alsace. Et puis, n'était-ce pas la voix de leurs ancêtres gallo-romains et lotharingiens qui parlait par la bouche des citoyens de Trèves, de Mayence, de Coblence, lorsqu'ils pétitionnaient pour entrer dans la Patrie française ?

A Mayence même, le parti français recevait les adhésions des plus timorés ; ceux qui s'étaient enfuis rentraient dans la ville et s'empressaient de protester de leur dévouement à la France. Le 15 novembre, George Forster fit, au club municipal, la solennelle déclaration suivante : Le Rhin est la frontière naturelle d'un grand État libre qui ne prétend faire aucune conquête ; il reçoit seulement dans son sein les nations qui se donnent librement à lui... Le Rhin sera, conformément à la justice, la frontière de la France[30].

Cependant, à Paris, au sein de la Convention, les doctrinaires irréductibles voulaient bien que les armées françaises s'employassent à provoquer des révolutions chez les autres nations, mais en vertu du dogme de 1790, ils s'opposaient systématiquement à toute annexion territoriale, même sollicitée par ces peuples. Le 19 novembre 1792, la Convention invita tous les peuples à s'affranchir et elle entendit planter elle-même chez nos voisins l'étendard de la liberté. Elle voulait éclairer tous les peuples et brûler tous les trônes ; elle eut la prétention d'exercer partout son tyrannique patronage en s'immisçant dans les affaires des pays étrangers. La Révolution s'y fera, disait Brissot, ou la nôtre doit rétrograder, et le 21 novembre 1792 le même orateur s'écrie : Le Piémont doit être libre ; votre épée ne peut être remise dans le fourreau que tous les sujets de votre ennemi ne soient libres, que vous ne soyez environnés d'une ceinture de républiques.

Au nom de la doctrine robespierriste, des Conventionnels voulurent s'opposer à l'annexion de la Savoie, sollicitée par les habitants. Il fallut que Grégoire, nommé rapporteur, vint déclarer qu'ayant compulsé les archives de la nature, sa conclusion était que la France ne pouvait avoir d'autres frontières que les Pyrénées, les Alpes et le Rhin. Pour la Belgique et la Rhénanie, Danton fut mis à la tête d'une commission qui alla étudier sur place les archives de la nature, c'est-à-dire moins pompeusement, cet éternel problème des frontières naturelles de la France. En décembre 1792, il parcourt la Belgique et pousse jusqu'à Aix-la-Chapelle ; puis, il revient affirmer devant la Convention que la seule frontière possible et raisonnable de la France est le Rhin ; que les vallées de la Meuse et de la Moselle ne sont que des chemins d'invasion chez nous, à l'usage de l'étranger ; que le Rhin seul constitue une barrière protectrice et efficace.

Muret déclare, le 7 janvier 1793, que, sans doute, les représentants de la Nation française ont décrété que la France n'entreprendrait jamais aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, mais qu'il ne s'ensuit nullement que toute puissance voisine ait le droit d'attaquer la France et d'en conspirer le démembrement sans courir d'autre risque que de se voir reconduite à la frontière. La France, attaquée, ajoute-t-il, a le droit de s'indemniser des dommages que lui a causés une agression injuste. Elle n'a pas entendu décréter l'inviolabilité des monarchies. Si vous voulez qu'à l'avenir la France renonce à tout projet d'agrandissement, exigez, en même temps, que toutes les puissances renoncent à l'attaquer jamais. Et Maret conclut : En incorporant à son territoire la Savoie, Nice, Mayence, la France ne ferait que se payer de ses pertes en hommes et en argent ; elle se rembourserait, elle ne s'enrichirait pas ; elle se dédommagerait et ne s'agrandirait point à proprement parler[31].

Vers le même temps, c'est-à-dire en janvier 1793, Bernstorff, ministre du roi de Prusse, déclare aux agents de la République française que son maitre est las de la guerre ; que si les Français lui avaient seulement promis de ne point passer le Rhin, il se serait retiré ; qu'il bornait son rôle à protéger l'Empire[32]. Le roi de Prusse admet ainsi, sans ambages, le Rhin comme limite de la République.

Enfin, dix jours après l'exécution de Louis XVI, Danton s'élance à la tribune de la Convention : Je dis, s'écrie-t-il, que c'est en vain qu'on veut faire craindre de donner trop d'étendue à la République !... Ses limites sont marquées par la nature. Nous les atteindrons toutes, des quatre coins de l'horizon : du côté du Rhin, du côté de l'Océan, du côté des Alpes. Là doivent finir les bornes de notre République, et nulle puissance ne pourra nous empêcher de les atteindre. C'est en vain qu'on nous menace de la colère des rois. Vous leur avez jeté le gant. Ce gant est la tête d'un roi. C'est le signal de leur mort prochaine[33].

A partir de ce jour, l'extension de la République française jusqu'au Rhin devint l'un des principes intangibles de la Révolution. L'enthousiasme des pays occupés par nos armées répond à celui de la Convention lui-même ; partout, il semble que les Français opèrent la délivrance de captifs et fassent réellement, comme on le disait alors, tomber les chaînes de fa servitude. A Maure que se produisent les demandes d'annexion à la Patrie française, — elles sont presque quotidiennes, — la Convention rend des décrets analogues à celui-ci :

Décret de la Convention du 14 février 1793. — Art. 3. Les communes de Petlarige, Pontpierre, Tetting, Trullen, Kœpen, Hiltsch, Schwen, Eppenbrunnen, Oberstimbach, Entzelhart et Armsberg sont réunies au territoire de la République et font partie du département de la Moselle.

Des décrets de la Convention répondent, de même, tic demandes formulées par les villes de Belgique : le 1er mars 1793, c'est Bruxelles ; le 2 mars, c'est Mons et Gand ; les jours suivants, arrivent les pétitions de Florennes, Tournai, Louvain, Namur, Ostende, Bruges, etc. En une séance, la Convention prononce l'incorporation de 32 villes ou communes ; d'autres fois, c'en est 66, ou jusqu'à 88, qui sont admises en bloc, sur leur demande, dans la famille française.

Le 8 mars 1793, Merlin de Thionville, en mission à Mayence, écrit au ministre de la Guerre : Nous municipalisons à force et bientôt vous serez ministre d'un département de plus. Et témoin de ce magnifique élan vers nous des populations belges et rhénanes, le grand historien que nous aimons à citer, Albert Sorel, s'écrie en jugeant l'œuvre de la Convention : Jamais la France n'a été si splendide au dehors et si souillée au-dedans.

 

III

DE 1793 AU TRAITÉ DE BÂLE (5 AVRIL 1795).

 

La Convention devait se charger elle-même de compromettre par ses excès et ses violences son œuvre d'annexion des populations belges et rhénanes, pourtant si bien disposées. La Terreur, en installant partout la guillotine, donnait un étrange aspect au régime de liberté républicaine qui venait se substituer au régime féodal. Les habitants des contrées nouvellement incorporées à la France commencèrent à se demander ce qu'ils gagnaient au change. Ce fut bien pis lorsqu'aux persécutions sanguinaires de la Convention vinrent s'adjoindre la banqueroute et les revers, de nos armées qu'un enthousiasme irréfléchi avait fait regarder comme invincibles.

On institua péniblement pour les départements allemands, une Convention rhénane qui fut convoquée à Mayence pour le début de mars 1793 ; à ce moment même, on annonçait que l'armée prussienne de la rive droite du Rhin s'approchait du fleuve. Inquiets ou effrayés, les délégués des villes rhénanes, après six mois d'allégresse, n'osaient phis répondre à l'appel qui leur était fait. Les députés, raconte Albert Sorel, n'arrivèrent que lentement. Plusieurs, ceux de Spire, en particulier, prétextèrent les difficultés du voyage en pays occupé et ne vinrent pas. Tout de même, 67 furent présents, le 17 mars, pour l'ouverture de l'Assemblée. Fait qu'il n'est pas indifférent de noter, la séance fut précédée d'une messe solennelle[34]. Quelques délégués arrivèrent encore ; bref, à l'unanimité des cent membres présents, la réunion du pays rhénan à la République française fut votée, le 21 mars 1793, sous cette déclaration formelle : Le libre peuple rhénan-allemand veut son incorporation à la République française[35].

Trois représentants, George Forster, le jurisconsulte Adam Lux et le marchand Potocki, furent délégués pour porter cette décision à Paris, avec une adresse où on lisait cette phrase : Par notre union avec vous, vous acquérez ce qui de droit vous appartient. La nature elle-même a voulu que le Rhin fût la frontière de la France ; il l'était, en effet, dans les premiers siècles du royaume de France. Ainsi, en 1793, au lendemain lugubre de l'exécution de Louis XVI, on retrouve, nettement exprimée, la tradition de la politique de nos Rois qui, toujours à travers les siècles, avaient pris pour base de leur revendication de l'Austrasie franque, les limites de la Monarchie constituée par Clovis. Les députés mayençais furent acclamés et l'annexion de leur ville proclamée d'enthousiasme par la Convention, le 30 mars 1793.

Mais dans le même temps, de grands revers accablaient nos armées. Après une série de brillants succès, Dumouriez, battu à Nerwinde, le 18 mars, fut forcé d'évacuer les Pays-Bas ; ses lieutenants, sur la Roër, furent refoulés jusqu'à Aix-la-Chapelle. La Convention, prise d'une fureur exaltée, crut se tirer d'affaire par (les mesures violentes qui ne firent qu'augmenter le désordre. La confusion des pouvoirs était partout ; chacun des Conventionnels en mission se croyait investi d'une autorité absolue et s'érigeait en tyran. Rousseau a dit justement : Plus l'État s'agrandit, plus le gouvernement doit se resserrer ; tellement que le nombre des chefs diminue en raison de l'augmentation du peuple. Le gouvernement, pour être bon, doit être relativement plus fort, à mesure que le peuple est plus nombreux. La Convention avait pris le contre-pied de ce précepte de l'expérience. Elle multiplie les chefs, en multipliant les Commissions, les Comités, les Délégués chargés, chacun, d'exercer l'autorité suprême, dans des domaines dont l'étendue n'était pas bien nettement circonscrite. Ses Commissaires aux armées eurent la prétention de gourmander les généraux et de se substituer à eux dans le commandement des troupes en campagne. Ce fut alors qu'à la suite de démêlés avec les Conventionnels qui lui furent envoyés, Dumouriez passa dans le camp ennemi.

L'armée autrichienne, sous les ordres du prince de Cobourg, envahit le pays entre l'Escaut et la Meuse et se porta sur Mons, renouvelant la tactique du prince Eugène en 1712.

Les populations belges, si empressées, deux ans auparavant, à accueillir les Français, et qui avaient demandé leur incorporation à la République, prirent peur et changèrent d'attitude, en voyant avec effroi, à la place de la liberté promise et entrevue, la plus épouvantable tyrannie, les exécutions capitales, les réquisitions incessantes, les exactions, la persécution religieuse, les assignats, la banqueroute. Les horreurs révolutionnaires eurent aussi un contre-coup funeste dans le pays rhénan, non moins profondément que la Belgique, attaché à la religion catholique. L'ennemi, profitant de ce revirement d'opinion contre nous, se livra à une active propagande dans les pays occupés par nos troupes, agissant surtout sur les commerçants et les groupements d'artisans appelés Zünfte.

Lorsque l'Angleterre eut déclaré la guerre et que les Prussiens parurent sous les murs de Mayence, ce fut une défection générale, en dépit des fonctionnaires et des agents qui s'efforçaient de maintenir dans la fidélité des populations qui n'entendaient pas tout à fait la liberté comme la comprenait la Convention. Les menaces, les violences, les mesures les plus déplorables auxquelles eurent recours les commissaires français, ne firent que grossir les rangs des partisans de la réaction, qui, en désespoir de cause, devenait le parti le plus nombreux et celui des gens raisonnables[36]. Les habitants d'Aix-la-Chapelle, entre autres, ayant manifesté leur mécontentement, le général Dampierre leur tint cet imperturbable discours : Vous n'êtes pas mûrs pour la liberté ; vans tes comme des malades que leurs amis doivent contraindre à une opération salutaires[37].

Tandis que notre armée d'Alsace, sous Custine, était rejetée sur Landau et les lignes, de Wissembourg, les Prussiens assiégeaient Mayence où s'étaient enfermés, avec 20.000 soldats, Beauharnais, Kléber et deux conventionnels, Rewbel et Merlin de Thionville. Les assiégés furent décimés par la famine. Malgré leur héroïsme, désespérant d'être secourus, ils durent livrer la place, le 25 juillet : ils furent autorisés à se retirer avec leurs armes et sous la seule condition de ne pas servir contre la Coalition pendant un an : ils allèrent achever Leur célébrité en Vendée.

A Mayence-, la réaction allemande et féodale, heureusement pour la cause française, se fit aussi violente que l'était le régime terroriste en France. Tous ceux qui s'étaient compromis dans le parti de la République, les clubistes, furent chassés ou obligés de se cacher : ils se mêlèrent, raconte Albert Sorel, aux soldats français et se dissimulèrent dans les rangs des troupes qui sortaient de la place avec les honneurs de la guerre. Ceux qui ne parvinrent pas à s'échapper, se virent en butte à une populace furieuse qui les poursuivit de cris de mort et saccagea leurs maisons... On incarcéra tous les membres de là Convention rhénane et tous les clubistes que l'on put découvrir. Puis, l'archevêque-Électeur, rentré dans son palais, aux acclamations de la populace, se rétablit dans son pouvoir absolu et restaura tous les abus[38]... Partout s'exercèrent des vengeances, des sévices contre les personnes, si bien que les nouveaux maîtres, à peine réinstallés, firent, malgré tout, regretter les Français : La nation française, dit Bruno Bauer, un Allemand, — s'était montrée sauvage et barbare dans la terreur et dans les désastres ; les Allemands mirent la terreur en action, au milieu de leur victoire[39].

Pendant de longs mois, nos affaires gardèrent une tournure alarmante. Enfin, vers la fin de l'année, Hoche, à la tête de l'armée de la Moselle, et Pichegru, avec l'armée du Rhin, réussirent à sauver l'Alsace et la Lorraine, en reprenant les lignes de Wissembourg, forçant môme les Autrichiens et les Prussiens à repasser le Rhin : nos bataillons hivernèrent dans le Palatinat en partie reconquis.

Dans le Nord, les places fortes de Vauban barrèrent, encore une fois, la route à l'invasion. Cobourg usa ses forces et son temps à prendre Condé, Valenciennes et le Quesnoy ; puis, il échoua sous les murs de Maubeuge qui fut secourue à temps par Jourdan et Carnot. L'ennemi échoua aussi devant Dunkerque. L'hiver de 1793-94 fut employé par les Français comme par les coalisés, à préparer une nouvelle campagne. En dehors des opérations de guerre sur les Alpes et les Pyrénées, la lutte, dans le Nord et l'Est, s'engagea, comme aujourd'hui, sur un front qui s'étendait depuis les Vosges jusqu'à la mer du Nord.

Après la victoire de Jourdan à Fleurus, le 26 juin 1794, l'armée de Sambre-et-Meuse rentra dans Bruxelles. Celle du Rhin reprit Kaiserslautern, puis Trèves, le 9 août, forçant les Autrichiens à se réfugier sous le canon de Mayence ou à repasser le pont de Mannheim.

Nos affaires étaient rétablies ; malheureusement, les Français ne revenaient plus dans les mêmes conditions qu'en 1792. A cette date ils étaient venus, appelés par les populations, acclamés par elles comme des libérateurs ; ils apportaient, croyait-on, la liberté, la tolérance, le respect des personnes, des biens et de la religion. Ordre avait été donné aux soldats de s'abstenir de toute déprédation. En 1794, l'armée française était une armée de conquérants en territoire ennemi ; n'ayant point de ressources, elle fut forcée, pour vivre, de rançonner le pays occupé. Cette situation fut encore aggravée par l'état d'esprit persécuteur et l'attitude des représentants en mission qui, derrière les combattants, poussèrent les agents du fisc, les pillards, les exploiteurs et concussionnaires de toute catégorie, à se montrer impitoyables envers les populations. Ce fut la dernière des fautes : Vaincre l'ennemi et vivre à ses dépens, écrivait stupidement Baudot, c'est le battre deux fois[40]. Et Albert Sorel fait cette triste réflexion : Les coalisés furent, en ce sens-là, battus à fond sur le dos des malheureux habitants du Palatinat et du pays de Trèves. Tout ce qui pouvait être emporté fut requis et expédié en France. Cette évacuation du Palatinat, c'est le terme qu'on employait, — peut être considérée, rapporte un Conventionnel, comme une compilation de monstruosités, de scélératesses, d'exécutions, de vols et de rapines. Sous l'invasion des bandits qui arrivèrent, munis de commissions de Saint-Just, de Lebas, de Hentz surtout, qui opérait lui-même avec une férocité odieuse, la maxime : Paix aux chaumières, ne fut plus que l'enseigne menteuse de charlatans cyniques d'humanité. Les paysans, traités à la vendéenne, comme les Vendéens Pavaient été à la palatine, se virent enlever toutes leurs ressources ; leurs maisons furent fouillées depuis le grenier jusqu'à la cave ; on arracha et évacua jusqu'aux serrures des portes. Et Albert Sorel ajoute : C'est l'époque de la grande déception, du désespoir et de la fuite d'une partie de ces peuples sur la rive droite du Rhin. Gœthe en a fait un tableau immortel, aussi vrai dans ses traits lamentables que celui qu'il avait fait auparavant de la confiance dont ces braves gens avaient accueilli, en 1792, la nouvelle de la délivrance et l'Évangile républicain[41].

Ces flibustiers sinistres, non seulement ruinaient le pays en remplissant leurs poches, mais ils affamaient l'armée, composée de soldats sans paye, déguenillés, mais malgré tout, pleins de la belle humeur de nos braves poilus d'aujourd'hui, enivrés de victoires, pitoyables autant qu'ils le pouvaient individuellement, aux malheureuses populations qui subissaient leur passage.

Les nouveaux Commissaires qu'on nomma après le 9 thermidor (27 juillet 1794), pour remplacer les forbans terroristes, furent consternés et navrés du spectacle de souffrances et d'oppression, qu'ils trouvèrent en arrivant. Ils s'efforcèrent d'arrêter l'émigration en rassurant les paysans. Ils déclarèrent que le pillage serait réprimé, que les objets requis seraient payés, que justice serait faite aux habitants de bonne volonté, que les Droits de l'homme leur seraient garantis. Les Palatins, toujours bons, dit le Rapport du conventionnel Becker, savaient pardonner, et étaient toujours portés d'inclination vers la nation française.

Malheureusement, l'armée était forcée de vivre sur le pays et par conséquent de le rançonner ; presque toujours et quoi qu'on fasse, la guerre nourrit la guerre. On confisqua les biens des églises et ceux des habitants qui avaient émigré. Ces mesures draconiennes, bien que plus régulières que le pillage désordonné, ne contribuèrent pas moins à nous aliéner des populations qu'il eût fallu avant tout ménager.

Il faut dire à la décharge des Français, remarque Sorel[42], que les armées anglaises cantonnées en Hollande, soi-disant pour protéger ce pays contre nous, s'y rendaient odieuses par leurs déprédations et leurs forfaits ; eux aussi, dit le colonel hollandais Bentinck, enlevaient jusqu'aux serrures des portes.

Aussi, les Hollandais accueillirent les Français comme des libérateurs. Pichegru prit Bois-le-Duc, le 10 octobre 1794 ; Nimègue, le 8 novembre ; il entra à Amsterdam, le 20 janvier 1795 et instaura la République batave.

Pendant ce temps, l'armée de Sambre-et-Meuse rejetait les Impériaux au delà de la Roër, puis au delà du Rhin. Les Français entrèrent à Cologne, le 6 octobre 1794. Les jours suivants, Bonn et Coblence ouvrirent leurs portes. L'ennemi ne posséda bientôt plus, sur la rive gauche dû Rhin, depuis Clèves jusqu'à Bâle, que la forteresse de Luxembourg, Mayence et le pont de Mannheim. C'était, enfin, la complète réalisation du plan traditionnel de la Monarchie, celui de Dumouriez et de Danton. Les frontières de la République, écrit le Comité de Salut public de 1793, doivent être portées au Rhin. Cc fleuve, l'ancienne limite des Gaules, peut seul garantir la paix entre la France et l'Allemagne.

Le drapeau tricolore allait, pendant vingt ans, déployer ses plis glorieux sur le grand fleuve gaulois et franc, protéger les populations pacifiques qui l'accueillirent avec sympathie, en dépit de la Terreur révolutionnaire qui lui fit, un instant, cortège. A travers la crise intérieure, pourtant si terrible, que subissait la France, l'opinion publique était si bien conquise à l'idée du Rhin-frontière, que les plus pusillanimes se trouvaient emportés par l'entraînement général[43].

Dans son Projet de Traité de paix, présenté au Comité de Salut public, en l'an III (1795), Sieyès préconise une paix durable sinon perpétuelle, dont la base est la cession de la rive gauche du Rhin à la France[44]. Il observe sagement qu'il ne suffit pas seulement de conquérir cette limite, naturelle comme les Pyrénées ou les Alpes, mais qu'il est indispensable de prendre des mesures pour la conserver dans l'avenir. Ce n'est pas une question de race ou de langue ; ces points de vue ne sont pas envisagés un seul instant par Sieyès. Les habitants, même d'origine allemande, sont toujours disposés à devenir Français ; toutefois, il importe de procéder à leur égard avec douceur et équité et de leur faire valoir les bienfaits et les avantages du régime français. Les princes allemands possessionnés sur la rive gauche, seront dédommagés par des États sur la rive droite, plus importants pour eux et plus compacts : ils gagneront au change, et ces petits Etats intermédiaires et neutralisés tiendront à distance de trop puissants voisins, comme la Prusse et l'Autriche. Ils jouiront, comme la Suisse, d'une paix assurée et garantie. Tout cela s'obtiendra à la satisfaction de tous, sécularisant les évêchés et les principautés ecclésiastiques de la rive droite.

Lorsque les négociations préliminaires du traité de Bâle s'engagèrent avec la Prusse, le Comité de Salut public rédigea, pour notre ambassadeur Barthélemy, des instructions qui disaient : Le citoyen Barthélemy déclarera que la République regarde le Rhin comme sa limite naturelle, qu'elle est résolue de conserver. Et le Comité recommande à Barthélemy de serrer de près les diplomates prussiens, dont la réputation de cautèle était fort répandue en Europe. Malgré Leur intérêt à traiter, il fallait agir avec eux comme si l'on doutait de leur sincérité[45]. On était toujours en défiance contre la fourberie germanique.

La France, ajoutaient les Instructions, étendue jusqu'à ses limites naturelles, loin d'être dangereuse pour l'Allemagne, en sera la plus fidèle alliée ; elle verra volontiers les princes laïques possessionnés sur la rive gauche, s'indemniser par le partage des territoires ecclésiastiques de la rive droite. Et les diplomates du Comité invoquent, sur ce point de droit, l'autorité des négociateurs de la Paix de Westphalie, qui s'étaient eux-mêmes inspirés de la théorie des légistes de Philippe le Bel, et avaient admis, en principe, la sécularisation des évêchés d'Allemagne. Les armées françaises étant passées sur la rive droite du Rhin, le roi de Prusse comprit la nécessité de donner corps aux pourparlers déjà officieusement entamés. Il était, alors, en querelle avec l'Autriche et la Russie, à propos du partage de la Pologne ; son intérêt était de négocier avec les Français pour arracher l'Allemagne du Nord à l'hégémonie autrichienne et avoir sa liberté d'action du côté de la Russie ; en cédant la rive gauche du Rhin, Frédéric-Guillaume escomptait l'appui des Français pour obtenir des compensations, soit en Pologne, ou aux dépens de petits États allemands qu'il n'aurait aucun scrupule à spolier, soit par des sécularisations de biens ecclésiastiques. Il lui convenait donc de se hâter : il demanda à traiter.

Notre plénipotentiaire à Bâle, Barthélemy, reçut l'ordre de faire savoir à la Prusse que la première condition de la paix était la cession à la France du duché de Clèves et de la Haute-Gueldre, les provinces que le roi possédait héréditairement sur la rive gauche du Rhin. On croyait éprouver, sur ce point, une ferme résistance. Loin de là, cette condition fut acceptée comme si le roi de Prusse s'y fût attendu. Le 5 avril 1795, à 6 heures du soir, le traité fut signé à Bâle, par Barthélemy, au nom de la République française, et Hardenberg, au nom du roi de Prusse.

Par un article secret, le roi de Prusse reconnaît, en principe, la cession à la France de tous les États allemands .de la rive gauche du Rhin, quels qu'en soient les possesseurs ; la République lui promet ses bons offices pour que, lui-même, obtienne comme compensation, à la pacification générale, la moitié de l'évêché de Münster et d'autres territoires ecclésiastiques. Les Français s'engagent à évacuer la rive droite du Rhin, aussitôt que le permettront les opérations contre l'Autriche. Les États de l'Allemagne du Nord seront neutralisés, sous la garantie de la Prusse[46].

Le traité fut porté, le 10 avril, par Rewbell à la Convention et ratifié dès le 14. La satisfaction, remarque Sorel, fut aussi grande à Berlin qu'à Paris. Cette paix, Sire, me paraît sûre, profitable et honorable, écrit Hardenberg au roi de Prusse. Le prince Henri de Prusse, frère du roi, exulte, dans la pensée que la Prusse va pouvoir travailler à établir son hégémonie sur l'Allemagne du Nord et s'étendre du côté de la Pologne : Puisse cette paix, écrivit-il, devenir l'objet de la félicité de la République française ! Puisse-t-elle resserrer, comme je le désire, les liens de l'amitié entre les peuples, mais plus particulièrement entre la Prusse et la France ![47]

Un mois après, le 16 mai. 1795, la République batave concluait avec la République française une alliance générale, offensive et défensive. On lui laissa les bouches du Rhin et le Brabant. La France garda la Flandre flamande, Maëstricht, Venlo, Flessingue dont le port devait rester commun aux deux pays contractants[48]. Elle se réserva, en cas de guerre, de pouvoir placer des garnisons à Grave, à Bois-le-Duc et à Berg-op-Zoom. C'est seulement aux environs de Wesel que le Rhin devenait limite de la France, depuis là jusqu'à Bâle.

Plusieurs princes allemands qui avaient des possessions sur la rive gauche du Rhin, firent comme la Prusse et offrirent spontanément de les abandonner, moyennant des compensations sur la rive droite. Ainsi, le 25 avril 1795, le landgrave de Hesse-Cassel céda à la France, Rhinfels, Saint-Goar et quelques autres bourgs rhénans ; on promit des agrandissements à la Saxe ; plus tard (en 1796), le duc de Wurtemberg devait, suivant la même politique, nous abandonner les comtés de Montbéliard et de Horbourg ; le margrave de Bade renonça aux seigneuries qu'il avait dans le duché de Luxembourg, et à tous les territoires, droits et revenus qu'il possédait sur la rive gauche du Rhin ; il abandonna même, sur la rive droite, près de Strasbourg, la ville, fort et territoire de Kehl, plus un terrain de. cinquante arpents, au bas de l'ancien pont de Huningue. Tous ces princes s'engagèrent, le moment venu de la pacification avec l'Empire, à concourir par leurs suffrages à ce que tous les territoires dépendant de l'Empire, situés sur la rive gauche du Rhin, les îles et le cours du fleuve, fussent réunis à la République française. En même temps, celle-ci prit l'engagement de faire donner à ces princes des indemnités territoriales dans l'intérieur de l'Allemagne, aux dépens des États ecclésiastique sécularisés.

Le 8 juin 1795, les armées françaises parachevèrent l'œuvre de la diplomatie, en emportant d'assaut la forteresse de Luxembourg, défendue par les Impériaux. Mais l'Autriche ne désarma point, et c'est avec elle que la guerre allait continuer.

Sans se préoccuper du sort -des armes, la Convention prit à tâche d'organiser à la française les pays que le traité de Bâle nous avait concédés et que nos troupes occupaient. Le 1er octobre 1795, elle vota l'assimilation pure et simple de la Belgique, du Limbourg, de la principauté de Liège et du Luxembourg, au reste de la France. Elle en forma neuf départements : le département de la Lys (Bruges) ; de Jemmapes (Mons) ; de l'Escaut (Gand) ; des Deux-Nèthes (Anvers) ; de la Dyle (Liège) ; de Sambre-et-Meuse (Namur) ; de la Meuse-Inférieure (Maëstricht) ; des Forets (Luxembourg) ; de l'Ourthe (Liège). Trèves devint le chef-lieu du département de la Sarre. Ces pays furent ce qu'on appela la frontière décrétée ou constitutionnelle : leur sort était définitivement fixé.

Quant aux territoires allemands de la rive gauche du Rhin, cédés par la Prusse et la Hesse, on ne pouvait encore les incorporer, parce que Mayence restait toujours aux mains des Impériaux et que la plus grande partie d'entre eux relevait de l'Empereur qui n'avait pas encore traité. Mais, comme leur annexion était décidée en principe, on discuta si, le moment venu, on constituerait cette région en petites républiques indépendantes, sous le protectorat de la France, ou si on les annexerait comme la Belgique. Carnot se déclara contre l'annexion, en arguant que la possession de la place de Luxembourg était suffisante pour garder la France et la protéger contre toute agression[49]. Il la compare à l'inexpugnable forteresse de Gibraltar. L'affaire fut laissée en suspens ; toutefois, la Convention précisa que quel que fut le régime auquel ces pays seraient soumis, elle donnait à la France le cours du Rhin comme frontière ; elle appela le pays rhénan frontière déclarée, en attendant qu'il pût être légalement statué sur son sort. De plus, en en déclarant ainsi la prise de possession, la Convention tint à affirmer qu'elle ne faisait point acte de conquête : elle rentrait purement et simplement dans le droit historique de la France, dans les limites que la nature, la géographie, l'histoire lui avaient assignées.

L'Assemblée souveraine, résume Albert Sorel, traduisant en décrets les lois éternelles de la nature, fixait à jamais les limites de la République, comme elle en fixait à jamais les lois. Le principe des frontières naturelles entra dans le droit public de la France ; il devint comme un des principes de la Révolution. L'idée s'établit dans les esprits que l'on ne pouvait les laisser entamer, sans porter atteinte à la dignité de la République et en ébranler le fondement.

Ajoutons qu'au point de vue de l'équilibre des nations européennes, l'acquisition par la France de la rive gauche du Rhin, formait une balance équitable avec ce que la Prusse, l'Autriche, la Russie venaient de prendre en Pologne ; or, en Pologne, ces puissances s'étaient imposées par le fer et par le sang ; elles prirent par brigandage ; ce fut la plus inique des spoliations, tandis que la France, sur la rive gauche du Rhin, avait été, en 1792, appelée par le vœu presque unanime des habitants, aussi bien que par le droit historique hérité de la Monarchie française.

 

IV

LE DIRECTOIRE. - TRAITÉ DE CAMPO-FORMIO (17 OCTOBRE 1797).

 

Cependant, il ne suffisait point de réduire l'Autriche par les armes, il était nécessaire qu'elle consentit diplomatiquement, elle aussi, à abandonner à la France toutes les terres d'Empire de la rive gauche du Rhin, qui étaient, en fait, occupées par nos soldats. Au point de vue du droit international, son acquiescement était indispensable, de même que celui de l'Angleterre, de l'Espagne, de la Russie et des autres Puissances, pour qu'en aucun cas, à l'avenir, la possession des pays rhénans ne pût nous être contestée, ni diplomatiquement ni autrement. De nouvelles victoires de nos troupes pouvaient seules décider l'Autriche à traiter : elles se firent attendre longtemps.

Suivant un plan concerté, Jourdan et Pichegru franchirent le Rhin, simultanément, pour marcher à la rencontre l'un de l'autre. Le premier passa le fleuve à Dusseldorf, le 6 septembre 1795, le second à Huningue. Les Impériaux, sous les ordres de Clerfayt, étaient concentrés sur le Mein, entre Francfort, Mayence et Heidelberg : on devait les attaquer de deux côtés à la fois. Malheureusement, Pichegru, après avoir enlevé Mannheim, le 20 septembre, étant entré dans la conspiration royaliste, demeura dans l'inaction et regagna son quartier général d'Altkirch. Jourdan, abandonné, fut obligé de repasser le Rhin ; il se retira par Neuwied et Dusseldorf. Cet échec raviva les espérances des Impériaux et la guerre recommença, sur de nouvelles bases, avec plus d'acharnement que jamais.

Le Directoire, comme la Convention, proclame, à la vérité, le Rhin limite naturelle et limite constitutionnelle de la France : ces termes sont inscrits dans la Constitution de l'an III, promulguée le 26 octobre 1795. Mais les habitants des pays rhénans auxquels la France, suivant l'expression d'Albert Sorel, offrait une patrie, étaient bien désillusionnés. Ils avaient espéré qu'avec l'affranchissement de la servitude féodale, la République leur donnerait le bien-être que la Monarchie avait si heureusement procuré à l'Alsace. La Convention avait changé ces espérances en déception terriblement cruelle ; le Directoire, moins sanguinaire, se montra tout aussi persécuteur, plus intolérable peut-être encore dans ses doctrines philosophiques et ses procédés vexatoires, qui nous aliénaient l'esprit et le cœur des populations annexées.

Qu'est-il besoin de faire ressortir ici, après Albert Vandal, l'incapacité et les violences de ce gouvernement des Révolutionnaires nantis ? La crise financière acculait ces petits tyrans, que tout le monde méprisait, aux plus funestes expédients, aggravés par les dilapidations et la concussion. L'agitation jacobine et la conspiration royaliste troublaient les provinces ; il y avait, à demeure, des bandes de brigands dans les forêts, des professionnels de l'émeute dans les villes. Les gens paisibles étaient outrés des persécutions contre le clergé, de l'agiotage, des accaparements, de la dépravation des mœurs. Tout cela n'était point fait pour rattacher à la France les départements du Rhin et de la Belgique, qui s'étaient pourtant donnés à elle, d'abord en masse, puis, lui restaient en majorité attachés, non seulement sans arrière-pensée, mais avec une fidélité tenace qui, en vérité, est aussi éloquente que méritoire. A la fin, pourtant, il faut le reconnaître, bien des habitants, désabusés et obsédés par le repentir, prirent, part à l'effervescence qui se manifestait dans toute la France. Seulement, chez eux, le mouvement insurrectionnel risquait, — si l'on n'y prenait garde, — de dégénérer en soulèvement contre la Patrie française. Ainsi, tandis que les Chouans menacent l'ouest de la France d'un nouvel embrasement général, que Lyon et les villes de la vallée du Rhône sont prêtes pour l'insurrection, aussi bien que Toulouse et Bordeaux, et que, dans toute la France, suivant le mot d'Albert Vandal, il y a comme une épidémie de brigandages et d'assassinats, voici comment cet éminent historien résume la situation en Belgique et dans la Rhénanie :

L'hostilité aux lois et institutions républicaines prend toutes les formes. Les fêtes civiles se célèbrent dans le désert ; le 14 juillet, à Courtrai, le général commandant a été obligé de faire la fête tout seul avec la garnison. En fait de cérémonies et d'observances, on ne veut que les anciennes. Dans les campagnes des Deux-Nèthes, limitrophes de la Hollande, un grand nombre de cultivateurs s'en vont, chaque dimanche, entendre la messe en territoire batave, en ce pays protestant où les catholiques ont, au moins, le droit de pratiquer leur culte. L'influence des prêtres et des moines, pourchassés, enfermés, persiste invincible. A Luxembourg, bourgeois et artisans demandent, en foule, à visiter leurs prêtres dans la maison où ils sont détenus ; on y apporte des offrandes, des douceurs ; les administrateurs prétendent qu'il s'y fait des orgies et proposent, pour couper court à ces scandales, de hâter l'envoi des prêtres au lieu de déportation. Partout, les autorités se sentent environnées, harcelées d'inimitiés. En Belgique, le Français révolutionnaire est odieux à tout le inonde ; il est doublement odieux, comme étranger et comme païen, ennemi du peuple des Flandres et ennemi de Dieu... L'insurrection est dans tous les esprits.

L'insurrection couve également sur la rive gauche du Rhin, dans les quatre départements de race allemande, formés des anciens Electorats de Trèves, de Mayence et de Cologne. Beaucoup d'habitants ont acclamé, jadis, les Français comme libérateurs, ils les maudissent aujourd'hui comme tyrans et continueront de les haïr jusqu'à ce que l'ordre napoléonien et le Code civil les réconcilient pour longtemps avec la France.

Aujourd'hui, pour combler le malheur d'un peuple écrasé par les passages de troupes et les charges militaires, une nuée d'agents voraces s'est abattue sur le pays et le ronge. A Coblence, à Mayence Il se commet des abus révoltants, aussi ruineux pour le Trésor public que vexatoires pour les citoyens. Par représailles, les habitants surprennent çà et là des Français isolés, de malheureux militaires et les tuent. On écrit de Cologne : Des assassinats aussi fréquents, tous commis sur des Français, annoncent ouvertement un système de révolte prêt à éclater dans ces départements.

Un peu plus tard, à Neuwied, sur le faux bruit que les Autrichiens passent le Rhin, ou verra des groupes entiers de population, hommes, femmes, enfants, et parmi eux des frocs de capucins, accourir au bord du fleuve et là, levant les bras au ciel, se féliciter de l'arrivée de leurs libérateurs. Qu'un secours étranger paraisse vraiment, que l'ennemi touche le sol des départements réunis, cette magnifique conquête se détachera spontanément de la France. En attendant, le cri des autorités civiles et militaires est le même qu'en Bretagne et dans le Midi : la situation, disent-elles, devient de plus en plus alarmante. Au lieu d'une Vendée, la Révolution se sentait sur le point d'en avoir trois ou quatre à combattre : Vendée du Nord, belge et rhénane, grande Vendée de l'Ouest, Vendée méridionale, pyrénéenne, languedocienne, provençale[50].

Cette longue anarchie intérieure se trouva encore aggravée par les défaites de nos armées, chassées de la rive droite du Rhin et de l'Italie. Ces revers effrayèrent le Directoire qui crut devoir entamer des négociations pour la paix. Il était disposé à hi conclure à des conditions désavantageuses, car, écrit Carnot à notre plénipotentiaire Clarke, le besoin de la paix est si grand par toute la France, ce cri est si universel, la pénurie de nos moyens, pour continuer la guerre, est si absolue, qu'il faut bien s'y borner. Il ajoute : Je crois qu'il sera inutile de rien stipuler, dans le traité, sur la limite du Rhin : vous savez d'ailleurs les inconvénients que je trouve à cette limite.

En effet, le Directoire déclara à l'Empereur se contenter de la Belgique et de quelques autres possessions de la rive gauche ; il abandonnait à l'Empire les Electorats ecclésiastiques et le Palatinat. Telle était l'étrange aberration de la Cour de Vienne, que ces propositions, quelque déplorables qu'elles fussent pour nous, furent repoussées. Allions-nous céder davantage ?

Soudain, les événements changent de face. Tandis que Bonaparte étonne le monde par ses campagnes de 1796 et 1797, en Italie, de nouvelles armées françaises, commandées par Hoche, Championnet et Desaix, franchissant le Rhin, au printemps de 1797, forcent partout les Autrichiens à battre en retraite. Bonaparte, audacieux, allait menacer Vienne ; l'archiduc Charles fut contraint de de mander la paix et de signer l'armistice de Leoben, le 29 avril 1797. Par cette convention préliminaire, l'Empereur déclare renoncer à tous ses droits sur les provinces belgiques ; il reconnaît, en outre, les limites de la France, décrétées par les lois de la République française. Des conventions particulières assuraient à l'Autriche des compensations en Italie. Le traité de Campo-Formio, signé enfin le 17 octobre porte :

Art. 3. S. M. l'Empereur renonce, pour elle et ses successeurs, en faveur de la République française, à tous droits et titres sur les ci-devant provinces belgiques, connues sous le nom de Pays-Bas autrichiens. La République française possédera ces pays, à perpétuité, en toute souveraineté et propriété, et avec tous les biens territoriaux qui en dépendent.

Ce traité tant vanté, nous donnait peu, relativement au prodigieux effort accompli par nos armées ; il livrait la Vénétie à l'Autriche, et surtout, il laissait à résoudre la question de notre frontière rhénane. A Campo-Formio, l'Empereur avait entendu traiter seulement comme chef de l'État d'Autriche, et non point comme chef du Saint-Empire romain germanique. Ses représentants déclarèrent, en vertu de cette subtilité, ne pouvoir aborder la question du Rhin, qui fut réservée pour un Congrès ultérieur.

Une convention additionnelle propose à la France de lui donner pour limite la rive gauche du Rhin, mais seulement depuis Bâle jusqu'au confluent de la Wèthe (Nette), au-dessus d'Andernach ; cette ligne suivait ensuite le cours de la Nette et, par des zigzags mal définis, gagnait, à Gemund, un cours d'eau qui la conduisait jusqu'à la Roër. Le 'cours de la Roër servait, dès lors, de frontière jusqu'à Limmich, et de là, la ligne gagnait Venlo où l'on atteignait la frontière batave[51]. La République française s'engageait, par contre, à indemniser les princes allemands possessionnés sur la rive gauche, c'est-à-dire les trois Électeurs ecclésiastiques, l'Électeur palatin, le duc de Wurtemberg, le margrave de Bade, le duc de Deux-Ponts, les landgraves de Hesse-Cassel et de Darmstadt, les princes de Nassau-Sarrebruck, de Salm-Kirbourg, de Lowenstein-Wertheim et de Wiedruncken, et le comte de la Layen.

Ces stipulations déplurent souverainement à Paris. Cette limite, du Rhin à la Roër, si peu conforme à l'attente universelle et aux conventions faites avec le roi de Prusse, toutes ces restrictions en faveur de princes féodaux, exécrés dans leur propre pays, tout cela créa un courant d'opinion dont les plénipotentiaires français furent obligés de tenir compte en allant à Rastadt. Effectivement, ils paraissent ne s'être guère préoccupés des propositions autrichiennes.

Dès l'ouverture de ce Congrès, qui siégea à partir du 9 décembre 1797, les plénipotentiaires français demandèrent que le Rhin fût reconnu comme limite de la France, depuis sa sortie du territoire helvétique jusqu'à son entrée sur le territoire batave ; ils proposèrent, en même temps, d'indemniser les princes ainsi dépossédés, par des seigneuries ecclésiastiques de l'intérieur de l'Allemagne. Et cela fut admis, tant l'idée des limites naturelles de la France paraissait aux États qui venaient de se partager la Pologne, une condition fondamentale de l'équilibre européen. Il ne restait plus qu'à l'insérer dans la rédaction définitive. Mais ici, les représentants de l'Autriche mirent tout en œuvre pour soulever des chicanes, traîner les choses en longueur, parce que, dans le même temps et en secret, la Cour de Vienne manœuvrait pour jeter les bases d'une nouvelle coalition contre la France.

Après avoir patienté dix-huit mois, en présence du mauvais vouloir systématique de leurs collègues, et protesté contre leurs manœuvres, le 28 avril 1799, les négociateurs français, Bonnier, Roberjot et Debry, se retirèrent, munis de leurs passeports, pour gagner Strasbourg ; ils n'avaient pas fait 200 pas hors de Rastadt, que le gouvernement autrichien les fit assassiner, pour voler leurs papiers. Ce crime fut accompli sur l'ordre de l'archiduc Charles, par le général Schmidt, son quartier-maître général ; Debry, quoique blessé, put s'échapper. L'archiduc Charles, assassin vulgaire, était sans doute l'un de ces personnages, de tenue chevaleresque, qui frémissaient d'indignation au récit des horreurs de la Révolution française.

 

V

LES DÉPARTEMENTS DU RHIN APRÈS LE TRAITÉ DE CAMPO-FORMIO.

 

Le traité de Campo-Formio laissait dans quelque incertitude la reconnaissance, par l'Autriche, de la limite du Rhin pour la France, telle que la Prusse l'avait .admise au traité de Bâle et que la Convention l'avait sanctionnée par son vote. Ce fut alors que les habitants des quatre départements de ce qu'on appelait la frontière déclarée, c'est-à-dire les pays rhénans, pétitionnèrent pour que leur incorporation à la France fût nettement spécifiée et confirmée dans le traité de paix générale dont les négociateurs de Rastadt jetaient les bases. Les habitants de ces départements, non encore décrétés constitutionnels, redoutaient par-dessus tout, d'être de nouveau rattachés à l'Autriche dont ils connaissaient les propositions cauteleuses. Se trouvant, d'autre part, mis en tutelle par la France, ils furent amenés, par la force des circonstances, à réclamer la plénitude des droits de citoyens français. C'était aussi, pour eux, le moyen de n'être plus traités en pays conquis et d'échapper, autant que les autres Français, aux exactions des armées et à l'arbitraire d'une administration provisoire. Le Commissaire du gouvernement, Rudler, les autorisa, au cours de l'année 1797, à adresser au Directoire des pétitions, pour demander la concession de ces droits de citoyens et désigner la nationalité voulaient choisir. Ce vote d'option par requête écrite et signée, fut organisé, suivant l'usage de cette époque, par feux, c'est-à-dire par chefs de famille[52]. Presque tous signèrent et optèrent pour la nationalité française. Le détail de ces opérations forme aux Archives Nationales, à Paris (Série F), une suite de dossiers considérables, qui sont encore, — et ceci est fort regrettable, — en grande partie inédits. M. le commandant Espérandieu en a extrait quelques documents qui concernent seulement le département du Mont-Tonnerre (Mayence). Il les a reproduits dans sa brochure le Rhin français ; c'est à cette précieuse publication que nous empruntons les extraits suivants, à titre d'exemples[53] :

Pétition des habitants de Mayence.

Nous soussignés, citoyens de Mayence, quoique déjà réunis à la République française par la loi irrévocable du 30 mars 1793, vieux style, ou 10 germinal, première année républicaine, loi rendue par la Convention nationale de France, revêtue de tous les pouvoirs de la Nation française, sur la demande libre et spontanée de la Convention nationale rhéno-germaine, revêtue également de tous les pouvoirs de la Nation rhéno-germaine, déclarons néanmoins de nouveau, librement et d'un mouvement spontané, que nous persistons dans cette première résolution des deux Conventions nationales ; que non seulement nous abjurons, de nouveau, toute soumission à tout gouvernement arbitraire, despotique, oligarchique, monarchique, aristocratique, théocratique et toutes leurs diverses nuances, mais que nous voulons sincèrement, et salis retour, être réunis à la République française 'une et indivisible, et que notre présent vœu soit adressé au Directoire exécutif, avec prière de l'adresser au Corps législatif, pour que celui-ci nous adopte, par une loi définitive, au nombre des citoyens français, et qu'il nous fasse jouir au plus tôt des précieux bienfaits de la Constitution de l'an Trois.

Nous déclarons, en outre, que nous maintiendrons nos présents votes par toutes nos forces physiques et morales, ce que nous jurons par les ruines de la Bastille, par le canon du Dix août, par la foudre vengeresse du Treize vendémiaire, par la chute des conspirateurs au Dix-huit fructidor, et par les mânes de tous les Français et Rhéno-Germains morts pour la Liberté.

Cette pétition, aussi ferme qu'enthousiaste, est suivie de plus de 4.000 signatures, chaque signataire représentant un feu, c'est-à-dire étant chef de famille ou de maison. M. Espérandieu observe que la population de Mayence ne dépassait pas 22.000 habitants en 1797 ; or, si l'on compte cinq ou six personnes par famille ou par feu, on voit que le nombre des abstentionnistes fut presque insignifiant.

Voici la pétition des habitants de Worms :

CITOYENS DIRECTEURS,

La loi du 30 mars 1793 (vx. st.) réunit notre commune à la République française. Cinq ans, pleins de terreur par les vicissitudes de la guerre, en ont suspendu l'exécution. Maintenant, la valeur de nos défenseurs de la Patrie et la sagesse du gouvernement ont fait disparaître tous les obstacles..... Nous vous conjurons que vous nous accordiez la pleine jouissance des droits des citoyens français et de la liberté qu'assure la Constitution de l'an III à la Nation entière. Dès ce moment, tous nos maux et souffrances seront oubliés ; nous ne vivrons que pour la Liberté et la Patrie, et le dernier mot sortant de nos lèvres sera : vive la République !

Les communes du canton de Deux-Ponts rappellent leurs origines gauloises :

Issus, disent leurs habitants, des mêmes ancêtres, imbus des mêmes principes, parce que ce sont les principes de la raison et de la justice, nous sommes dignes d'être rangés sous les mêmes lois que les Français.

Winnweiler se souvient, de même, des origines gauloises, franques et carolingiennes. Les signataires, chefs de familles, sont au nombre de 341.

Le 12 floréal an VI, le commissaire du Directoire du canton de Worstadt écrit au commissaire du Directoire exécutif pris l'administration centrale du département :

Ci-joint, Citoyen commissaire, les 24 procès-verbaux des 24 communes de notre canton, du vœu de la pluralité absolue des habitants pour la réunion à la République française. Dans plusieurs communes, on s'est disputé l'honneur de signer le premier. Veuillez les agréer, ces faisceaux de volonté sincère, cette déclaration solennelle et libre, ces prières enfin des hommes qui, des nuits de l'esclavage, sont adressées à cette grande Nation qui a promis de les sauver ; qui demandent la restitution des droits que la nature leur a avoués et que des hommes oppresseurs leur ont si cruellement ôtés. Ne leur refusez pas vos secours, Citoyen commissaire ; adressez ces vœux, avec appui, au Directoire, et dites-lui que son refus ferait autant de, malheureux qu'il y a de signataires.

Pour l'ensemble des communes de ce canton, il y a 1.886 signataires ; on signale, dans une note, qu'il se trouva seulement, comme abstentionnistes, 354 individus. Le canton de Niederolm n'eut que 193 abstentions contre 2.157 signataires.

Dans les communes des cantons de Grunstadt, d'Annweiler, d'Otterberg, il n'y a parfois aucun opposant.

... Pénétrés, écrivent-ils, du sentiment de notre dignité humaine, nous vous prions, citoyens législateurs, de nous réunir à la Nation la plus généreuse et la plus noble, à la Nation pour la liberté de laquelle vous vous êtes battus avec tant de courage.... Vous ne pouvez pas nous rendre à la fureur de nos maîtres absolus, que nous avons irrités par notre attachement prononcé à la République française. Le fléau du tyran nous frapperait plus cruellement que jamais, parce qu'il nomme crime de haute trahison ce que l'humanité nous dicte en devoir. Ainsi, nous déclarons hautement, à la face de Dieu et devant vous : La Liberté ou la mort.

M. Espérandieu remarque que la pétition des habitants de Bingen fait allusion à l'opposition du caractère et du tempérament des habitants de la rive gauche du Rhin avec ceux de la rive droite :

Citoyens Directeurs, dit-elle, vos guerriers qui ont tant de fois combattu sur nos champs, et qui, revenant de leurs champs de bataille, se sont alternativement reposés chez nous, vous diront combien ils ont appris à distinguer les habitants de la rive gauche de ceux des autres pays conquis ; qu'étant à l'abri de toute trahison et hostilités comme au sein de leurs propres familles, ils se pouvaient livrer au sommeil avec sécurité ; que le plus pauvre d'entre nous partageait d'un grand cœur le dernier morceau de pain avec eux ; et que même les excès inséparables de la guerre n'ont pu nous porter à des violences.

La lettre au Directoire, du canton de Bechtheim, revêtue de 1.282 signatures, contient ce passage :

... Déjà les peuples du pays conquis viennent de goûter les prémices salutaires de la sage Constitution française, voyant organiser parmi eux toutes les autorités conformément aux lois bienfaisantes de la République : déjà les sentiments d'amour et de générosité du gouvernement qui en sont exprimés, nous font oublier les souffrances d'une guerre cruelle dont nos contrées ont été le théâtre sanglant pendant six ans ; déjà nous apercevons que la mère-patrie, loin de nous traiter en ennemis vaincus et de nous tenir plus longtemps sous le joug de la conquête, s'empresse de nous faire approcher au bonheur de ses enfants et de bannir pour jamais de notre souvenir les horreurs des pillages des évacuations et autres suites funestes de la guerre auxquelles nos contrées furent exposées.

Mais, Citoyens directeurs, si c'est là l'intention de la mère-patrie, achevez le grand œuvre de nous mettre au sommet de notre félicité, accordez-nous l'entière jouissance des hommes libres, en déterminant le Corps législatif à déclarer ces contrées définitivement partie intégrante de la République.

Dans le canton de Frankenthal, il n'y a pas un seul opposant ; leur pétition dit :

Tous les habitants du canton, après l'invitation faite, ont demandé publiquement et à haute voix, la réunion fraternelle avec la grande Nation et la République ; ils ont manifesté le désir général, savoir : ceux qui savent écrire, par les souscriptions des mains propres, et ceux qui ne peuvent pas écrire, par leurs marques ordinaires, de manière comme il peut être complaisant et agréable à la République.

Les gens du canton d'Ober-Ingelheim ont pris soin, nous dit M. Espérandieu, de lier le cahier de leur pétition, de rubans de soie tricolores. Ils s'excusent d'arriver tard :

Si, nous soussignés, habitants des communes d'Ober-Ingelheim, Nieder-Ingelheim, Frei-Weinheim, Gross-Winternheim, Sauber-schwabenheim, Elsheim et Wakernheim, n'avons pas demandé, il y a longtemps, à grands cris, la réunion avec la grande République, à l'exemple de plusieurs communes de nos environs, ce n'était pas tant le désir qui manquait que notre situation fatale, laquelle nous en a empêché. Les habitants des dites communes, étant entourés et gardés d'ennemis différents, n'osaient pas même manifester leurs vœux, tout ardents qu'ils étaient, s'ils ne voulaient pas se perdre tout à fait. Mais maintenant que les victoires immortelles des Français nous en ont délivrés et, grâce à la fermeté et à la sagesse de ses représentants et à la valeur de ses défenseurs, nous ont rendus libres nous-mêmes, nous déclarons que nous abjurons toute soumission à tout gouvernement arbitraire, despotique.....

Ils demandent leur incorporation à la France dans les mêmes termes que les habitants de Mayence.

Les communes des cantons de Pfeddersheim et de Gœllheim déclarent librement par le présent et par leur propre signature qu'ils ne souhaitent rien plus ardemment que d'être réunis maintenant, par un décret, tout à fait à la grande Nation française.

Quelques communes, comme Rodenbach, se prononcent à l'unanimité pour la France ; il en est qui se montrent encore timides et réservées, attendant les événements. Enfin, plusieurs, Eisenberg, Dreisen, Stauf, Ramsen, Kersenheim se déclarent hostiles ; et de ce fait, comme du libellé des adresses, il résulte bien, ainsi que le remarque M. Espérandieu, qu'aucune pression administrative n'a été exercée sur les habitants ; nulle trace d'intimidation, de menace ou de coercition, de la part des agents français, pour extorquer les signatures de leurs administrés. Les adresses sont rédigées à la fois en allemand et en français.

D'ailleurs, le commissaire du canton de Wolfstein écrit, à cet égard, au Directoire du département :

Je n'ai pu obtenir la souscription des habitants de ce canton, pour la réunion avec la République, que de cinq communes, et cela, en partie seulement. Les habitants de ces contrées sont assez stupides. Ils ne veulent pas signer, sachant qu'on ne les y contraindra point.

Dans quatre autres cantons, ceux de Pirmasens, Mendelsheim, Rockenhausen, Kirchenbolanden, la majorité des habitants paraît hésitante, plutôt hostile aux Français, tant ils ont souffert de la guerre et de la Terreur. Spire qui compte 739 feux, fournit seulement 426 signatures ; mais les Communes du canton votent à l'unanimité, et il en est presque de même des cantons d'Ober-Moschel, d'Otterberg, de Lauterecken, d'Edenkoben.

La plupart des cas de manifestation de sentiments antifrançais sont dus, remarque M. Espérandieu, à des considérations religieuses ; ils sont imputables aux persécutions contre les catholiques, ordonnées en, France par le gouvernement de la Convention et du Directoire.

Dans les départements du Nord, celui de la Roër, notamment, les sentiments français se manifestent avec la même ardeur et la même persévérance. Les administrateurs de la Roër écrivent, en janvier 1799, au Directoire : ...tel est le vœu de tous, non-seulement des bourgeois républicains, mais des paysans. C'est le vœu tacite de tous les habitants des campagnes qui n'osent encore le proclamer, parce que la malveillance aristocratique ne cesse de leur présenter vos retards momentanés sous l'aspect le plus effrayant...[54]

On ne saurait le nier : quelque part qu'on fasse à l'influence morale des administrateurs français, la ferme volonté des populations de devenir françaises, en masse, ne saurait être un instant contestée. Elle s'est exprimée, dès le premier jour et pendant cinq années consécutives, malgré les attentats conventionnels coutre la religion, les personnes et la propriété privée, malgré les maux engendrés par les mouvements de troupes obligées de vivre sur le pays, malgré enfin l'appréhension que ces populations pouvaient concevoir de revers de fortune pour les armées de la République. La réaction féodale, si cruelle, qui s'était produite en 1793 ne pouvait-elle plus se renouveler ? Qu'importe ! Librement, de propos délibéré et réfléchi, elles se donnent à la France libératrice.

 

VI

LE TRAITÉ DE LUNÉVILLE ET LA PAIX D'AMIENS.

 

Ce magnifique élan vers la France, qui allait se développant dans les départements du Rhin, eut son contre-coup sur les pays voisins qui étaient parvenus jusque-là à sauvegarder leur indépendance politique : ils furent entraînés dans le mouvement. C'est ainsi que, le 29 janvier 1798, fut conclu le traité d'incorporation à la France de la ville libre de Mulhouse, amiablement et sur la demande de presque la totalité des habitants. Six semaines plus tard, le 15 mars, la ville célébra la fête officielle de cette réunion, avec un éclat et un enthousiasme dont la mémoire est restée dans tous les cœurs et qui marqua, pour la cité, l'ère d'une prospérité sans précédent[55].

Le 26 avril, un autre traité déférant aux vœux des habitants de Genève, annexait à la France la patrie de Jean-Jacques et son canton. Les Républiques de Mulhouse et de Genève, disent les traités, renoncent aux alliances qui les unissaient à des États étrangers ; elles déposent et versent dans le sein de la grande Nation, tous leurs droits à une souveraineté particulière. Mulhouse fut incorporée au département du Haut-Rhin et Genève forma celui du Léman avec une portion de la Savoie. Ces annexions furent complétées par les nouvelles conventions avec la Suisse. Ce pays, de races mêlées, était partagé en treize cantons que gouvernaient les bourgeoisies locales, indépendantes les unes des autres et très jalouses de cette indépendance. La République unitaire qui essaya de s'y installer, à l'imitation de celle de la France, n'enfanta que l'anarchie à laquelle Bonaparte devait être bientôt appelé à mettre un terme. Pour l'instant, le premier acte du nouveau gouvernement fut de conclure, le 19 août 1798, avec la République française, une alliance offensive et défensive qui plaçait la Suisse sous la tutelle de la France. La Suisse s'engageait à fournir à la République française un contingent de 18.000 soldats ; son territoire devait nous rester ouvert par deux routes militaires, celle de Bâle, qui remontait le Rhin par le Frikthal, jusqu'au lac de Constance ; et celle de Genève qui traversait la Savoie et le Valais pour aboutir en Italie. Tout l'ancien évêché de Bâle et le canton de Porentruy furent reconnus partie intégrante de la République française. La Suisse reçut, en compensation, les Villes forestières ainsi que des cantons des Ligues grises et du Vorarlberg.

Mais, comme au temps de Louis XIV, ces accroissements de territoire, ces arrangements et d'autres en Italie, réglés sans la participation des Puissances de l'Europe, mécontentèrent ces dernières et les inquiétèrent. L'Angleterre les décida à intervenir. Les désordres intérieurs de la France, l'incohérence gouvernementale, les conspirations quotidiennes, en même temps que le pitoyable état de nos armées et l'éloignement de Bonaparte, alors en Égypte, firent juger à nos-ennemis le moment opportun pour une nouvelle coalition : elle engendra la guerre qui commence en mars 1799. Mais soudain, Bonaparte revient d'Égypte et, après le coup d'État du Dix-huit Brumaire, rétablit l'ordre partout.

Par une lettre fameuse, au lendemain de la promulgation de la Constitution de l'an VIII (13 décembre 1799), le Premier Consul offrit la paix au roi d'Angleterre et à l'empereur d'Allemagne. Ses avances ayant été dédaigneusement repoussées, il fallut de nouveau combattre. Tandis que Bonaparte, escaladant les Alpes, est victorieux à Marengo (14 juin 1800), Moreau franchit le haut Rhin et concentre ses forces vers Schaffouse, d'où il devait partir, à l'automne, pour aller vaincre à Hohenlinden.

Nos retentissantes victoires, en rétablissant le prestige militaire de la France, amenèrent, en février 1801, le traité de Lunéville, avant-coureur de la paix générale qui devait être, enfin, signée à Amiens, en mars 1802. La première condition du traité, dicté par Bonaparte et négocié, à Lunéville, par son frère Joseph, fut la reconnaissance formelle de la ligne du Rhin comme frontière naturelle et constitutionnelle de la France. L'article 6 est ainsi conçu :

Sa Majesté l'Empereur et Roi, tant en son nom qu'en celui de l'Empire germanique, consent à ce que la République française possède, désormais, en toute souveraineté et propriété, les pays et domaines situés à la rive gauche du Rhin et qui faisaient partie de l'Empire germanique ; de manière qu'en conformité de ce qui avait été expressément consenti au Congrès de Rastadt par la députation de l'Empire et approuvé par l'Empereur, le thalweg du Rhin soit désormais la limite entre la République française et l'Empire germanique : savoir, depuis l'endroit où le Rhin quitte le territoire helvétique jusqu'à celui où il entre dans le territoire batave. En conséquence de quoi, la République française renonce formellement à toute possession quelconque sur la rive droite du Rhin, et consent à restituer à qui il appartient, les places de Dusseldorf, Ehrenbreistein, Philippsbourg, le fort de Castel et autres fortifications vis-à-vis Mayence, à la rive droite, le fort de Kehl et le Vieux-Brisach, sous la condition expresse que ces places et forts continuent à rester dans l'état où ils se trouveront lors de l'évacuation.

L'article 2 consacre de nouveau la cession des ci-devant provinces belgiques à la République française, du comté de Faikenstein, du Frikthal et de tout ce qui appartient à la maison d'Autriche sur la rive gauche du Rhin, la République française se réservant de céder ce dernier pays à la République helvétique.

Dans les autres articles, il est stipulé que les princes dépossédés sur la rive gauche du Rhin, en conformité des principes établis au Congrès de Rastadt, obtiendront un dédommagement qui sera pris dans le sein de l'Empire[56].

Quelques semaines après la signature du traité de Lunéville, le Corps législatif le ratifiait et votait, le 8 mars 1801, la loi suivante : Art. 1er : Les départements de la Roër, de la Sarre, de Rhin-et-Moselle et du Mont-Tonnerre font partie intégrante du territoire français.

Le nombre de nos départements était porté à 101 ; les limites de la France étaient légalement celles de l'ancienne Gaule[57]. Le Consulat parachevait glorieusement l'œuvre de la Monarchie et de la Révolution. Le Rhin reconquis, remarque Lavallée, la frontière artificielle de Louis XIV avait terminé son rôle de transition à la frontière naturelle la France se retrouvait telle que la Providence l'a faite. — Des peuples séparés longtemps d'elle, dit le Premier Consul, se sont rejoints à leurs frères et ont accru d'un sixième sa population, son territoire et ses forces[58].

La France peut le proclamer hautement à la face du monde Jamais conquête ne fut plus légitime et plus complètement sanctionnée que la prise de possession, par elle, de la rive gauche du Rhin. Revendication séculaire basée sur l'histoire, acquiescement formel et réitéré de la population, vote presque unanime exprimé par les signatures de tous les chefs de famille sur des pétitions en français et en allemand qui sont, encore aujourd'hui, déposées aux Archives nationales ; traités diplomatiques signés avec la Prusse, à Bâle, le 5 avril 1795 ; avec l'Autriche, à Campo-Formio, le 17 octobre 1797 ; avec l'empereur d'Allemagne à Lunéville, le 9 février 1801 et avec l'Angleterre, à Amiens, en mars 1802.

Je le demande en toute sincérité aux ennemis de la France les plus opiniâtres : y eut-il jamais, dans l'histoire, une annexion de territoire mieux définie en droit, plus universellement considérée juste et irrévocable, que cette annexion de la rive gauche du Rhin à la France ? Qui pourrait soutenir qu'il y eut surprise, violence, usurpation, oppression tyrannique, abus de la force ? Qu'on mette les procédés de la France en parallèle avec ceux de l'Allemagne contre la Pologne ou contre la France elle-même en 1814, en 1815, en 1871 !

Pourtant, on a osé traiter de paradoxe cette recherche par la France, de ses limites naturelles : c'est alors le paradoxe de tous les siècles de notre histoire ! C'est aussi le paradoxe de l'Italie, aujourd'hui !

Eh quoi ! un paradoxe, la France complète et définitive, garantissant la paix et la sécurité de l'Europe ? Arrière les pusillanimes qui redoutent des difficultés de toutes sortes ! Sans doute, il y aura des questions à régler, au point de vue commercial, économique, militaire, douanier, policier ou autre ; mais la solution de ces problèmes multiples est, en général, plus simple, plus facile à établir nettement, lorsqu'entre deux pays voisins, il existe la tranchée indiscontinue d'un grand fleuve ou l'arête d'une montagne. Non ! le vrai paradoxe, et il a été caressé, hélas ! par bien des gens, chez nous, c'est de croire que la France serait laissée en paix par les Allemands si sa frontière était reculée en deçà des Vosges ou des Ardennes ou de la Meuse ou du Rhône. Les incursions des Germains jadis, et la guerre actuelle se chargent de répondre à cette utopie du désintéressement, à cette politique du recul. La barbare agression du pangermanisme exalté sur notre pays sans frontière, n'a même pas été arrêtée par l'existence d'États-tampon comme le Luxembourg et la Belgique.

Paris, trop près de la frontière de l'Est, parut aux Allemands une proie facile, et cela seul suffit pour exciter les corbeaux avides ; comme toujours, ce n'est point une question de frontière de races ou de langues, à défaut de la frontière naturelle, qui a inspiré leur politique d'invasion armée : c'est l'ambition de dominer, l'ivresse de l'accaparement. Croyant avoir la Force en mains, les pangermanistes se sont élancés vers l'abîme, à la voix du Tentateur : sicut dii eritis ! Il faut à de tels appétits opposer la barrière de la nature.

Jamais la France n'eut une position aussi forte, aussi splendide, aussi loyale que sous le Consulat. Le Rhin lui formait, dit encore Lavallée, une magnifique frontière, grâce aux alliances de la Suisse et de la Hollande qui en protégeaient les extrémités, grâce aux boulevards de Strasbourg, de Mayence, de Wesel, qui en gardaient le centre ; les Alpes et les Pyrénées la terminaient d'autre part, non pour l'isoler, mais pour l'unir à ses deux sœurs, de race latine, qui rentraient, libres et indépendantes, dans son action et son alliance[59].

Notre jugement dit qu'il eût fallu s'arrêter là. Mais, et en ceci Albert Sorel a raison, la Révolution pouvait-elle s'arrêter dans son expansion au dehors, étant adoptée, appelée par d'autres nations ; plus que jamais jalousée, attaquée par les vieilles monarchies ? La halte, n'est-ce pas, souvent, le symptôme de la fatigue, le point de départ de la décadence ? Lorsque Rome s'arrêta dans son expansion, son prestige fut atteint ; elle fut bien vite réduite à la défensive ; elle lutta désormais, en reculant, jusqu'à la chute finale. L'homme fascinateur et prestigieux sur lequel étaient fixés les regards du monde entier, pouvait-il faillir à sa mission à la fois révolutionnaire et ordonnatrice, et s'arrêter ?

La France révolutionnaire s'était, depuis longtemps, mêlée aux affaires intérieures des autres nations ; elle était intervenue partout, même en Amérique ; elle s'était engagée dans les agitations de l'Italie, de la Suisse, de la Hollande, qu'elle eut la prétention de régénérer. De là, en janvier 1802, Bonaparte fut élu Président de la République cisalpine. Chose étrange ; il parut logique et naturel à tout le monde que le Piémont fût annexé à la France. La même année, le Premier Consul fut appelé à intervenir en Suisse. Des délégués des cantons vinrent solliciter Bonaparte qui accepta le titre de Médiateur de la Confédération suisse. Il rédigea pour ce pays une Constitution qui fut promulguée le 9 février 1803, et dont il assura le respect par une armée de 20.000 hommes.

Cela fait, Bonaparte fut amené à s'occuper des affaires d'Allemagne : c'était la conséquence des traités. En exécution du traité de Bâle et de la paix de Lunéville, une convention avait été signée, le 13 mai 1802, pour régler la sécularisation des évêchés de la rive droite du Rhin. La France ne s'était-elle pas engagée à aider la Prusse à en prendre possession, pour s'indemniser des territoires qu'elle nous avait cédés sur la rive gauche ? La Prusse reçut ainsi les évêchés sécularisés de Paderborn, Hildesheim, Eichstœdt, Erfurt, Untergleichen, Münster, qui lui donnaient un territoire compact et bien plus considérable que ses duchés de Clèves, Gueldre, Meurs et Juliers. En effet, elle nous abandonnait une population de 137.000 habitants, en échange de laquelle elle en recevait une, plus allemande, de 400.000.

Pour une nation vaincue, la Prusse, désormais plus homogène, se trouvait satisfaite bien au delà de ses espérances : elle ne pouvait se plaindre d'être mal traitée par la France victorieuse. C'en était donc bien fini, pour elle et de son absolu consentement, de la rive gauche du Rhin : ceci, qui ne saurait être oublié, proteste d'avance contre la création d'une Prusse rhénane, en 1815. Les autres princes rhénans furent aussi indemnisés, à leur entière satisfaction : le prince de Nassau reçut les domaines des abbayes de Fulda, de Corwey et de Weingarten.

Glorieuse et triomphante à l'extérieur, régénérée à l'intérieur par le génie de Bonaparte, comme elle l'avait été par le bon sens d'Henri IV après les guerres de Religion :

Ô Corse aux cheveux plats ! Que ta France était belle

Au grand soleil de Messidor !

Cette France du Consulat était trop puissante, trop active, trop prospère pour ne pas exciter, comme au temps de Louis XIV, la jalousie des Puissances voisines : la rupture de la paix d'Amiens est de l'année 1803.

 

 

 



[1] ROD. REUSS, l'Alsace au XVIIe siècle, p. 32.

[2] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 439.

[3] Mémoires du baron de Lang, t. I, p. 208.

[4] ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 55.

[5] ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 26.

[6] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, pp. 98-99.

[7] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, pp. 95-96 ; ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 105 et suivantes.

[8] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 417 ; ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 26.

[9] Résumé de l'état actuel, etc. Ms. des Affaires étrangères, cité par A. SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 417, note 2.

[10] GEORGES GOYAU, l'Allemagne religieuse, t. I, p. 63.

[11] Duc DE BROGLIE, Marie-Thérèse, t. I, ch. III ; ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 434 ; ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 116.

[12] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, pp. 417-418.

[13] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 419.

[14] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 431-432.

[15] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 546.

[16] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. I, p. 258.

[17] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 152.

[18] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 155.

[19] Le département du Mont-Terrible devint, à partir de 1800, un arrondissement du département du Haut-Rhin. Il fut annexé à la Suisse par les traités de 1815.

[20] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, pp. 97-98.

[21] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 174.

[22] GŒTHE, Hermann et Dorothée. Clio.

[23] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 105.

[24] George Forster, naturaliste, né à Dantzig, compagnon de voyage du capitaine Cook, bibliothécaire de l'Électeur de Mayence depuis 1788. Sur Forster, voir surtout : ARTHUR CHUQUET, Etudes d'histoire, 1re série, pp.149-288 ; ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 161 et 220.

[25] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 106.

[26] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 250.

[27] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 178.

[28] ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 238.

[29] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 288 ; ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 242.

[30] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 176.

[31] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 257.

[32] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 32.

[33] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 279.

[34] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 350.

[35] ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 253.

[36] ALFRED RAMBAUD a exposé les effets de cette réaction dans son livre, les Français sur le Rhin, p. 226 et suivantes.

[37] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 290 ; cf. ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 214.

[38] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 483.

[39] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. III, p. 484.

[40] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 159.

[41] GŒTHE, Hermann et Dorothée, Clio ; ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, pp. 159-160 ; ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 134.

[42] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 161.

[43] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, pp. 338-339.

[44] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 299.

[45] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 226.

[46] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 285 ; cf. DE CLERCQ, Traités de la France, t. I, p. 232 et suivantes.

[47] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 290.

[48] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 333.

[49] ALBERT SOREL, l'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 429.

[50] ALBERT VANDAL, l'Avènement de Bonaparte, t. I, pp. 162 à 164.

[51] Cf. TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, pp. 159-161 ; ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 291 et suivantes.

[52] Ce mode de votation par feux, c'est-à-dire par chefs de famille, n'a pas été bien compris par certains historiens, qui se sont, bien à tort, étonnés du petit nombre de suffrages, comme s'il se fut agi de suffrages individuels, tels que les fournit aujourd'hui, en France, l'application du suffrage universel. Il faut aussi observer qu'il y avait alors, encore plus qu'aujourd'hui, un grand nombre d'illettrés.

[53] Voir aussi l'étude documentée de M. PHILIPPE SAGNAC, l'Organisation française et la réunion des pays rhénans, dans la Revue des Etudes Napoléoniennes, mars-avril et sept.-oct. 1916.

[54] PH. SAGNAC, dans la Revue des Études Napoléoniennes, sept.-oct. 1916, p. 129.

[55] CH. GRAD, l'Alsace, p. 208.

[56] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 171.

[57] Sur le mode d'administration des départements rhénans, de 1794 à 1801, voir notamment ALFRED RAMBAUD, les Français sur le Rhin, p. 299 et suivantes.

[58] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 173.

[59] TH. LAVALLÉE, les Frontières de la France, p. 174.