LE RHIN DANS L'HISTOIRE

L'ANTIQUITÉ : GAULOIS ET GERMAINS

 

CHAPITRE VI. — LA GAULE RHÉNANE ROMANISÉE. - LA GERMANIE TRANSRHÉNANE.

Armée - Démographie – Langues.

 

 

I

L'ARMÉE DU RHIN DURANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES DE L'EMPIRE ROMAIN.

 

Un des phénomènes que les historiens de la Gaule romaine se sont, à l'envi, le plus appliqués à mettre en évidence, et qui surprend toujours, c'est que — la frontière du Rhin exceptée, — les Romains ont gardé la Gaule, sans soldats. Dès le temps de Tibère, il n'y a presque point de garnisons dans l'intérieur de la Gaule, en dehors des postes de police municipale ou de la garde des gouverneurs des provinces : toutes les troupes sont concentrées sur la frontière, le long du limes, dans les deux provinces de Germanie. Pour les Romains, comme pour les Gaulois, le péril est extérieur, sur la rive droite du Rhin ; il n'existe point dans la Gaule elle-même. Et ceci peut donner à réfléchir aux conquérants modernes qui prétendent imposer leur domination par la force, aux pays étrangers qu'ils ont envahis et qu'ils ont l'ambition de garder par la contrainte, la persécution, la brutalité armée, partout répandue et organisée. Rome domina sans garnisons intérieures, pacifiquement, la Gaule et le reste du monde romain ; elle conquit le cœur des nations par les bienfaits de la civilisation et du bien-être qu'elle leur apporta, par le respect des religions, des traditions et des usages nationaux, par la protection des frontières de tous ces peuples contre la barbarie extérieure. Pour la Gaule, le compte a été fait : En dehors des deux gouvernements militaires de Germanie où étaient concentrées les armées, dit Ernest Desjardins[1], il n'y avait point de soldats dans les Gaules : une cohorte légionnaire, tout au plus, dans chaque siège des gouvernements provinciaux, à Narbonne, à Bordeaux, dont la présence est attestée seulement par quelques militaires des cohortes proconsulaires et prétoriennes ; une cohorte de la garde urbaine de Rome, détachée à Lyon ; quant à la Belgique, nous ne savons où se trouvait le détachement ; enfin, la cohorte de Liguriens dont nous retrouvons la trace dans la petite province équestre des Alpes-Maritimes. Cela faisait environ 3.000 hommes, et c'était tout pour l'intérieur du pays. On a peine à comprendre que 3.000 hommes armés aient suffi à maintenir la paix, pendant trois siècles d'occupation militaire, dans une région qui correspond à la France, à la Suisse, à la Belgique, à une partie de la Hollande, de la Prusse et de la Bavière rhénanes.

Cette absence de soldats romains dans l'intérieur de la Gaule, en laissant nos cités à l'administration municipale, ne contribua pas peu à maintenir et à perpétuer l'esprit national. L'administration romaine elle-même, nullement tracassière, n'intervenait guère que pour l'établissement des registres de l'impôt et sa perception : cela seul, souvent, nous devons le reconnaître, parut bien dur aux Gaulois.

En revanche, les forces échelonnées sur les confins militaires, dans les deux provinces de Germanie, étaient imposantes.

Elles variaient suivant les circonstances et le danger, mais elles furent rarement inférieures à huit légions, c'est-à-dire environ 48.000 soldats éprouvés, sans compter les troupes auxiliaires d'infanterie et de cavalerie qui doublaient ce chiffre. On peut donc évaluer à près de cent mille hommes les troupes permanentes auxquelles la garde du Rhin était confiée. C'était, remarque Desjardins, plus du quart de toute l'armée de l'Empire romain, mais c'était une armée de défense et de protection et non point une armée d'oppresseurs. D'ailleurs, la plus grande partie de ces troupes était recrutée en Gaule : les deux tiers au moins étaient des Gaulois. Dès le temps de Jules César même, une légion, celle de l'Alouette (legio Va Alaudæ), avait été formée de Gaulois. En outre, on sait que la cavalerie romaine, sous l'empire, était presque exclusivement composée de Gaulois ; les commandements s'y faisaient en gaulois ; les manœuvres restèrent celles de l'ancienne cavalerie gauloise d'avant la conquête.

C'était évidemment habile, de la part des Romains, d'intéresser les Gaulois à la défense du Rhin. César poursuivant les Suèves au delà du Rhin, Drusus, Tibère, Germanicus avaient eu soin de présenter leurs expéditions dans les forêts de la Germanie, comme des campagnes auxquelles le salut de la Gaule était attaché : et c'était vrai. En combattant sur le Rhin, les Gaulois combattaient pro aris et focis, c'est-à-dire, comme jadis, pour leur patrie. Mais, remarquons que leur présence prépondérante dans les légions rhénanes, contribuait, autant que l'absence de garnison dans l'intérieur de la Gaule, à maintenir l'esprit et les mœurs gallo-romaines dans les deux Germanies. Cette politique de Rome avait donc son avantage, puisque les Gaulois se battaient d'autant mieux qu'ils défendaient leurs foyers, mais elle eut aussi son inconvénient, au point de vue romain : ce fut de maintenir dans les légions rhénanes un état d'esprit séparatiste et national. Les révoltes des légions du Rhin furent, nous le verrons, inspirées par le sentiment national gaulois.

Dès l'époque de Drusus, Mogontiacum (Mayence), en face du confluent du Mein et du Rhin, fut la base de la défense de la Gaule et des expéditions transrhénanes. C'était la principale porte d'entrée de la Germanie par la faille du Mein. De part et d'autre du pont de Mayence, comme de part et d'autre du pont de Cologne, c'étaient deux mondes bien différents, hostiles irréductiblement. Les Romains bâtirent comme tête de pont sur la rive droite du fleuve, en face de Mayence, le fameux castellum Mogontiacense (Castel) ; ils fortifièrent aussi solidement le Taunus : là, se trouvait, chez les Mattiaques, l'Arctaunon qui protégeait des mines d'argent et les sources thermales appelées Aquæ Mattiacæ (Wiesbade), si fréquentées par les Gallo-Romains avant celles d'Aquæ Grani (Aix-la-Chapelle).

Avant la création de la colonie romaine de Cologne, le grand quartier général de la Germanie inférieure, était Vetera (castra vetera) auprès de Wesel, qui joua un si grand rôle dans la révolte de Civilis. Nous avons vu que la limite des deux provinces, c'est-à-dire des deux districts militaires, se trouvait sur le Rhin, là où commençait le limes, entre Andernach et Remagen, auprès de Brohl, au confluent du Vinxbach. Bonn et Cologne étaient dans la Germanie inférieure, Coblence et Bingen dans la Germanie supérieure. Au point de jonction des deux provinces, les soldats romains avaient consacré deux autels dont on a retrouvé les substructions. L'un, élevé à côté d'Andernach par la huitième légion de Germanie supérieure, était en l'honneur de Jupiter, de Junon et du Génie local. L'autre, auprès de Remagen, était dédié aux Limites, au Génie local et à Jupiter — Finibus et Genio loci et Jovi optimo maximo[2] —. Les limites de la civilisation, comme les colonnes d'Hercule auprès de Cadix, étaient divinisées au point où la Gaule finit.

De ces deux grands centres militaires, Mogontiacum et Vetera, dépendaient les légions ou les détachements, cohortes, vexillationes, alæ, qui tenaient garnison dans les différents postes de la frontière. Voici comment E. Desjardins a réparti les principaux cantonnements des troupes du Rhin, en partant de la mer du Nord : Prætorium Agrippinæ (Romburg, près Leyde) ; Castra Herculis, près Nimègue ; Arenatium (Bindern) ; Grinnes (Druten ?) ; Batavodurum (Wyk-by-Duurstede ?) ; Vada ; Vetera Castra (Colonia Ulpia Trajana, Xanten), cantonnement de la légion XXXa Ulpia ; Asciburgium (Asberg-Duisbourg), cantonnement de cavalerie ; Novæsium (Neuss) ; Colonia Agrippinensis (Cologne), centre militaire et colonie de vétérans ; Bonna (Bonn), cantonnement de la légion Ia Minervia ; Confluentes (Coblence) ; Mogontiacum (Mayence), cantonnement de la légion XXIIa Primigenia Pia Fidelis ; Argentoratum (Strasbourg) ; Vindonissa (Windisch).

Il y avait d'ailleurs beaucoup d'autres cantonnements moins importants, où étaient installés des détachements ou des corps auxiliaires. Les castra stativa étaient nombreux et tous les præsidia et les castella du limes avaient leur garnison. Les postes fortifiés de la frontière étaient construits à environ 500 mètres en deçà de la muraille, et ils étaient espacés les uns des autres d'une demi-journée de marche, c'est-à-dire environ quinze kilomètres ; une route militaire les reliait les uns aux autres.

Les légions avaient leur dépôt fixé à demeure et sans changement, sauf des cas graves, dans une place forte déterminée. On en voit qui restent plus d'un siècle au même endroit. Quand ils ne faisaient pas la guerre, les soldats cantonnés sur la ligne rhénane étaient occupés à restaurer les remparts et les douves, à construire et réparer les casernes, les édifices publics, les routes et les ponts. Et tout cela développait la civilisation romaine, embellissait le pays, l'enrichissait par le mouvement commercial qui en résultait, donnait du lustre et du bien-être à l'existence de tous, sur le front même de la barbarie germanique.

Le service militaire durait 20 ans pour les légionnaires, et 25 ans pour les auxiliaires. Beaucoup se rengageaient. Une fois libéré, le légionnaire, devenu civis romanus, était exempt de certains impôts et recevait des terres dans les colonies où il était heureux de s'installer et de jouir de ces avantages et du pécule qu'il avait amassé. Par lui, la civilisation romaine se développait on peut dire ense et aratro. Ces vétérans formaient dans leur pays des associations de camarades, un cercle ; ils entraient dans les fonctions municipales, étaient honorés, fiers de leurs décorations, de leurs diplômes gravés sur de petites plaques de bronze portatives ; ils constituaient dans les villes, bourgs et villages une espèce de chevalerie populaire. Ils affectaient de bien parler le latin, avec des fautes qui provoquaient le sourire des gens de bureaux ; ils entremêlaient leur langage d'expressions empruntées au parler gaulois, qui finirent, grâce à eux, par trouver place dans la langue latine des derniers siècles. Souvent, ils se fixaient et se mariaient dans la ville même où ils avaient tenu garnison si longtemps. Leur famille formait le noyau solide de la population gauloise de la localité ; en même temps, ils conservaient des rapports suivis avec les soldats de la légion dans laquelle ils avaient servi, et en cas de nécessité, ils pouvaient même prêter main forte à la défense de la ville, si elle venait à être attaquée ou si la légion était débordée par l'ennemi.

Ainsi constituée en soldats, en vétérans et en population gallo-romaine, aussi bien qu'en remparts bastionnés, en fossés et en postes bien armés, la frontière était solide et la tranchée du grand fleuve n'était pas facile à franchir ; les troupes et les populations qui la gardaient, lorsqu'elles étaient appelées à prendre les armes, étaient étroitement unies par un lien de solidarité réelle. Ce fut la garantie de la paix romaine. Les provinces de l'intérieur de la Gaule, dès qu'on avait quitté la zone de défense, c'est-à-dire les confins militaires, vécurent, malgré quelques alertes, dans une quiétude qu'on peut qualifier de tout repos, et une prospérité inconnue jusque-là, qui se prolongèrent jusqu'au milieu du IIIe siècle. La sécurité de la frontière assurée par les légions, voilà le secret de la romanisation si rapide et si complète de la Gaule.

 

II

LA GAULE BELGIQUE ET LA GERMANIE. - DÉMOGRAPHIE.

 

Que sont, au point de vue ethnique, les Gaulois de l'Est, les seuls dont nous nous occupons ici, — vers le temps de Tacite ou de Trajan, c'est-à-dire lorsque la domination romaine est bien installée, universellement respectée, bienfaisante, et que la limite de la civilisation est définitivement tracée ?

La Gaule Belgique s'étend, à cette époque, depuis le pays des Séquanes, c'est-à-dire le Jura, jusqu'au delta du Rhin et de la Meuse. Ses éléments ethniques sont, d'après leur vieille ou récente origine, singulièrement bigarrés. Aux autochtones de race inconnue, se sont superposés, en dominateurs, mais non point en expulseurs, des Ligures, des Celtes ; puis, des Gaulois ou Gallo-Belges qui ne sont eux-mêmes qu'un rameau des Celtes ; des Germains de tribus multiples, venus par infiltrations ou invasions ; enfin, des Romains, c'est-à-dire surtout des Italiens et des gens du midi de la Gaule, amenés par la conquête, soldats, vétérans, colons, fonctionnaires, marchands, propriétaires de domaines ruraux, artisans laborieux des villes et des bourgs. Ce sont ces derniers, les Gallo-Romains, qui s'imposant par leur culture plus avancée aux vieux éléments indigènes, aux Celtes et aux Germains, ont laissé dans ces contrées de l'Est, l'empreinte la plus profonde, les vestiges indéracinables de leur brillante et active civilisation.

C'est en vain que, chez certains de ces peuples, l'élément germanique a fini par avoir numériquement la prépondérance ; ce qui est bien démontré, c'est que les Germains, qui se sentaient d'un rang social inférieur, ne dominèrent nulle part en Gaule, durant les quatre premiers siècles de l'Empire. Ils n'ont rien laissé après eux, hormis le souvenir des déprédations qui accompagnèrent leur installation dans le pays.

L'élément social prépondérant et dirigeant fut toujours l'élément celto-gaulois, appuyé sur l'armée, l'administration, la culture romaines. L'ambition constante et avouée des Germains envahisseurs, fut de s'élever de leur niveau barbare et grossier à la classe la plus policée, de manière à s'y faire admettre et à s'absorber en elle. En deux générations tout au plus, ces Germains deviennent des semi-Galli, comme on les appelait, puis des Gallo-Romains. Le même phénomène se produit dans l'histoire grecque où nous voyons les barbares voisins des Hellènes, par exemple, les Macédoniens et les Épirotes, faire tous leurs efforts pour entrer dans la civilisation hellénique ; Philippe veut être considéré comme un Grec ; il tient à être admis dans les assemblées panhelléniques. La culture de la Grèce a séduit les Barbares.

Pour les Germains de la Gaule Belgique, la preuve de cette transformation recherchée parait, comme nous le verrons, jusque dans les noms gaulois ou romains qu'ils prennent à la place de leurs noms germains répudiés.*A toutes les époques de l'histoire. la Gaule a été comme le pôle d'attraction des Germains, la Terre promise. Ils sont fascinés par le prestige gallo-romain, par la richesse de notre pays. Un contemporain, Josèphe, ne s'écrie-t-il pas : En Gaule, les sources de la richesse sortent du pays lui-même et se répandent sur toute la terre[3].

L'admiration du Germain, bien qu'empoisonnée, comme aujourd'hui encore, par la basse envie, avait quelque chose de naïf comme l'extase d'un enfant devant un bel uniforme. Un jour que l'armée de 'l'ibère était campée non loin du cours de l'Elbe, raconte Velléius Paterculus, les Romains voient tout à coup venir à eux un vieillard, d'un port majestueux et richement vêtu, assurément d'une condition supérieure. Il quitte le camp des Barbares, s'embarque sur une pirogue creusée dans un tronc d'arbre, et s'approche seul, en ramant lui-même, de la rive où se trouvaient les légions. Il demande qu'il lui soit permis de débarquer sans péril, pour qu'il puisse contempler le général romain ; il voulait voir César. On y consent. Alors, ayant fait accoster sa nacelle, longtemps il regarde Tibère en silence. Puis, il s'écrie qu'il lui semble avoir vu un dieu : ce jour, dit-il, est le plus heureux de ma vie. Il obtient ensuite de toucher la main de l'empereur ; puis, regagnant sa barque, les yeux toujours attachés sur César, il rejoint la rive où campait sa tribu.

Aussi, dès que les Germains ont réussi à franchir le Rhin et à s'installer sur le sol gaulois, ils ne conservent pas la moindre attache avec leur pays d'origine ; ils se prêtent avec une merveilleuse souplesse aux exigences de la vie sédentaire ; ils défrichent les forêts, cultivent le sol, s'approprient les conditions d'existence du nouvel habitat qui les transforme et en fait ce qu'ils ambitionnent d'être : des civilisés, des Gallo-Romains. Ils prennent part aux assemblées générales des anciens peuples du pays, venus, — eux aussi, de Germanie, ne l'oublions pas, à une époque plus ancienne. Ils adoptent les mœurs des Gaulois, leurs usages, leur langue, leur industrie agricole, leurs habitudes commerciales, leurs dieux mêmes. Le plus qu'ils peuvent, ils se dépouillent de leur germanisme, parce qu'ils veulent être du monde, comme nous disons aujourd'hui. Ils tiennent à paraître éduqués, à porter le costume gaulois, à parler le beau langage à la place de leur jargon germanique : tel, un paysan d'aujourd'hui s'efforce de s'endimancher et de renoncer à son patois pour parler français dés qu'il a affaire au monde bourgeois. Comme ils fournissent des soldats à l'Empire, le contact prolongé de ces Germains dans les camps avec les guerriers gaulois, facilite leur éducation gallo-romaine, autant que leurs rapports avec la population gauloise des villes et des campagnes.

La situation sociale qui leur est donnée et qu'ils améliorent d'eux-mêmes, fait qu'ils ont les mêmes intérêts à sauvegarder que leurs maîtres ou leurs voisins, Gallo-Romains d'ancienne date. Et de ce moment, la patrie gauloise n'a pas de meilleurs défenseurs que ces néo-Gaulois ou semi-Galli, contre les Germains d'outre-Rhin, lorsque ceux-ci tentent de franchir le fleuve à leur tour. Il n'y a point de question de race ou d'affinité ethnique. L'histoire des Ménapiens, des Trévires, des Ubiens, des Sicambres et d'autres Germains de la rive gauche, mêlés aux anciens Gallo-Romains, est là pour l'attester : elle n'est qu'une longue et incessante lutte contre les Germains d'outre-Rhin, en même temps qu'au point de vue social elle présente une adaptation aux mœurs et aux institutions gallo-romaines étonnante par sa rapidité, sa sincérité et sa profondeur.

Ainsi, il faut se garder de croire, comme on le dit trop souvent, que les invasions germaniques ont chassé la population indigène et que le pays s'est germanisé ; qu'il n'y a plus de Gaulois, par exemple dans les cantons où des terres furent données aux Triboques, aux Némètes, aux Vangions, aux Ubiens ou à d'autres Germains. C'est là une erreur invétérée contre laquelle l'historien doit protester. Mommsen l'a bien reconnu[4] : Les Tribocci, les Némètes, les Vangions, établis depuis longtemps au milieu des Celtes, dit ce savant, partagèrent la fortune de la Gaule. Le Rhin resta toujours de ce côté la principale ligne de défense des Romains. Et l'historien allemand ajoute que les Germains de la rive gauche du Rhin, sujets de Rome, ne se fondirent pas moins dans l'empire que les Gaulois romains[5].

Répétons-le donc avec Fustel de Coulanges : les Germains qui franchissaient le Rhin s'établissaient, soit du consentement des populations gauloises, soit par la force, dans ces immenses terres incultes, solitudes de prairies, de forêts vierges, de plaines plus ou moins marécageuses ou de montagnes chauves. Rarement ils dépossédaient les Gaulois ; lorsqu'ils s'avançaient sur les terres appartenant à des Gaulois dont la population était plus dense, dans des terrains plus fertiles, déjà mis en culture, où la propriété immobilière et individuelle était déjà bien établie et respectée, ou bien on prenait ces Germains à gages, on les employait à la culture des champs ou au service des particuliers dans les villes, ou bien on les enrôlait dans l'armée à titre auxiliaire. Comme au temps d'Arioviste et des Suèves, lorsqu'ils se présentaient trop nombreux, par bandes, par masses, enhardis par leur nombre, ils devenaient arrogants, insolents, autant qu'ils étaient humbles et obséquieux quand ils n'étaient pas en force. Un conflit s'élevait, une guerre même. Ils prenaient tout ou partie des terres de la population gauloise ; ils s'installaient en maîtres et en dominateurs, mais ils n'expulsaient pas les anciens habitants : il arriva bien rarement que les Gaulois devenus sédentaires depuis longtemps, fussent contraints de s'expatrier et d'aller au loin chercher un refuge et une autre patrie.

L'élément celto-gaulois n'a jamais été expulsé de la Gaule Belgique par les invasions d'outre-Rhin. Il est demeuré à la base de la société gallo-romaine dans cette région comme dans la Gaule Celtique : c'est lui qui a absorbé les Germains. Sous l'Empire, les Germains admis de gré ou de force à occuper des terres en Gaule, loin d'avoir germanisé notre pays, n'eurent rien de plus pressé que de se faire Gallo-Romains. Ils ne sont pas plus restés Germains en Gaule que les Celtibères, en Espagne, ne sont demeurés des Gaulois. Ces peuples germains ne reculent nullement les frontières de la Germanie ; ils ne font qu'augmenter la population gallo-romaine de la Gaule.

Leur assimilation n'a été si parfaite que parce que leur installation en Gaule, dans un nouvel habitat, fut pour eux une amélioration, un progrès, un véritable bonheur, et aussi parce qu'elle a eu lieu par intermittence, graduellement, disons par petits paquets. Les terres assignées à ces Germains formaient des enclaves, des -villages ou portions de villages, des cantons disséminés au milieu de la population gauloise et souvent fort éloignés les uns des autres. Les preuves que le peuplement de la Gaule romaine s'est complété de cette façon, à travers les siècles, ressortira en toute évidence des faits que nous exposerons plus loin. Il n'en sera plus tout à fait de même au Ve siècle, où le flot germanique envahisseur sera si puissant, si formidable qu'il submergera et dénaturera, malgré lui-même, la société gallo-romaine.

A côté de ces installations régulières, il y avait en Gaule des multitudes de pauvres hères qui passaient le Rhin individuellement, des gens sans aveu, que César appelle gentes et perditi[6], rôdeurs et cheminots qui vivent dans les forêts, cherchent un abri autour des villas, et qu'on emploie, par occasion, à l'exploitation agricole ou aux plus bas métiers de l'esclavage.

C'est de la fusion de tous ces éléments ethniques que s'est formée la civilisation gallo-romaine et la race qui habite notre pays. Aujourd'hui, l'anthropologie serait aussi impuissante à débrouiller l'ethnogénie, de la race française que les origines ethniques des Germains : on l'a vu plus haut. Les observateurs sont contraints de se borner, sous ce rapport, à des indications superficielles, générales, comme celles qui nous font distinguer un Méridional d'un Flamand ou d'un Breton. Mais ces différences tiennent plutôt à l'habitat, au climat, au langage, au milieu, au genre de vie et aux occupations, à des circonstances historiques, au niveau moral, qu'à des particularités ethniques survivantes et encore reconnaissables.

De même, à la fin des temps antiques, à l'époque de Grégoire de Tours, par exemple, s'il était encore possible de distinguer à. la physionomie ou à l'aspect extérieur d'un individu, à quel peuple il appartenait, s'il était Gallo-Romain, Franc, Burgonde ou Visigoth, cette distinction se manifestait moins par l'aspect physique que par la différence des mœurs, du langage, des institutions, du costume, du groupement social, de l'inscription sur des rôles officiels. Et encore, il, est à noter que si Grégoire de Tours distingue les Barbares entre eux et les Gallo-Romains, il ne s'agit que des Barbares récemment installés en Gaule, les nouveaux arrivés, car il eût été impossible à Grégoire de différencier ethniquement les peuples qui s'étaient fixés en Gaule, deux, cinq ou dix siècles avant lui. La fusion, la pénétration réciproque s'était opérée depuis longtemps : ceux-là étaient proprement les Gallo-Romains opposés aux Francs, Burgondes, Visigoths et autres conquérants du jour.

Au point de vue physiologique, avons-nous dit plus haut avec les anthropologues, rien rie distingue le type gaulois du type germain. A plus forte raison ne saurait-il exister une différence, sous ce rapport, entre les Germains de la rive droite et ceux qui, tout le long de la chaîne des siècles, sont venus, sur la rive gauche, se fondre dans les Gaulois, puis dans les Gallo-Romains. Mais il en est tout autrement au point de vue social et pour tout ce qui touche aux mœurs, aux usages, aux institutions, à la langue, à la religion, aux arts, aux productions industrielles. Le Rhin sépare deux mondes. Comme au temps de Jules César, le Germain transrhénan de Tacite reste un non-civilisé . L'isolement farouche des tribus et leur instabilité atavique les maintiennent dans la barbarie de leur habitat ; elles n'en sortent, les unes après les autres, que lorsqu'elles s'installent en Gaule.

Les Germains en Germanie vivent sur eux-mêmes, hostiles à l'étranger quel qu'il soit, rebelles surtout à l'alliance par le sang ; ce sont eux que les civilisés appellent les immanissimæ gentes. Les peuples de la Germanie, dit Tacite[7], n'ont point été altérés par des mariages avec aucun autre peuple ; c'est une race indigène, qui se renouvelle d'elle-même et ne ressemble qu'à soi. C'est ce que prouve la parfaite analogie de conformation entre tous les individus de cette race, quoique si nombreuse, leurs yeux bleus et farouches, leurs cheveux d'un blond ardent, leurs grands corps, capables seulement d'un premier élan, mais incapables de fatigue et de travail, ne supportant ni la soif, ni la chaleur, mais résistant au froid et à la faim, par l'habitude du climat ou du sol. Tertullien remarque que les Germains ont de longs cheveux nattés comme les nomades[8].

La Germanie, dit encore Tacite, est une région aux contours mal définis, au ciel âpre, à l'aspect triste et inculte. Les Germains chantent dans des vers antiques, qui sont leurs seules traditions et leurs annales, le dieu Tuiston, fils de la Terre, et son fils Mann ; tels sont les fondateurs de leur nation. Ils donnent à Mann trois fils, les ancêtres des trois branches de leur race, qui s'appellent les Ingævons, fixés sur les bords de l'Océan, les Herminons, au centre, et les Istævons dans le reste du pays. D'autres traditions font de Mann le père d'un plus grand nombre de fils, dont les Marses, les Gambriviens, les Suèves, les Vandales tiraient leurs noms.

Pline partage autrement que Tacite les populations de la Germanie : Il y a, dit-il, cinq races germaines, les Vindiles, auxquels appartiennent les Burgondes, les Varins, les Carins, les Guttons ; seconde race, les Ingævons, auxquels appartiennent les Cimbres, les Teutons et les nations des Chauques ; troisième race, la plus voisine du Rhin, les Istævons auxquels appartiennent les Sicambres ; quatrième race dans l'intérieur des terres, les Hermions, auxquels appartiennent les Suèves, les Hermondures, les Cattes et les Chérusques ; cinquième race, les Peuciniens et les Bastarnes, limitrophes des Daces[9]. Pline énumère ensuite, aux embouchures du Rhin et de la Meuse, les Bataves et les Caninéfates, les Frisons, les Chauques, les Frisiabons, les Sturiens, les Marsaeiens.

On retrouve bien, dans ces groupes et sous-peuplades, quelques données analogues dans Pline et dans Tacite : les grandes familles de peuples dénommées Ingævons, Istævons, Hermions. Mais ces groupements n'ont jamais eu un rôle dans l'histoire. Ils ne reposent sur aucun principe fédératif qui aurait pu exister, même à l'origine ou temporairement. Ils ne se justifient pas davantage par les caractères des langues de ces tribus ou la similitude des institutions politiques. La tradition dont Pline et Tacite se sont faits les échos, paraît n'avoir pour base qu'un système imaginé par quelque voyageur vaguement informé ; Pline reconnaît lui-même que, de son temps, on ne sait presque rien sur l'intérieur de la Germanie.

A aucun point de vue, les trois groupes de Tacite ne sauraient servir de fondement à l'histoire politique des peuplades germaines, instables à la fois dans leur habitat et dans leurs conglomérats amorphes, qui se sont modifiés au hasard des accidents des migrations, comme la boule de neige qui dévale. Tacite mentionne 45 peuples germains qu'il répartit dans ses trois groupes. Ptolémée en énumère 66, et dans ce nombre on n'en trouve que 21 de ceux que Tacite a connus, bien qu'il n'y ait qu'un demi-siècle de distance entre Tacite et Ptolémée. Citons pourtant, sous ces réserves, vers le début du IIe siècle :

Les Hermondures, peut-être fraction importante détachée des Suèves, qui occupent le bassin de la Saale et les confins de la forêt Hercynienne jusqu'aux Champs décumates ;

Les Marcomans que Marbod, leur roi, conduisit dans la Bohême où ils subjuguèrent les Boïens et les autres populations celtiques ;

Les Quades qui se fixèrent en Moravie, au nord de la grande station commerciale de Carnuntum ; les Narisciens, les Marsigniens, les Buriens, dans les monts de Bohême ; les Vendes, les Ligiens, en Silésie et en Pologne, voisins des Bastarnes et des Sarmates ;

Les Guttons et les Gotlions sur la Vistule ; les Naharvales ; les grandes tribus des Suèves Semnons, dans le Brandebourg, entre l'Elbe et l'Oder ; les Suions ; les Teutons, résidu de la grande migration arrêtée par Marius ; les Silinges ; les Lemovii, les Angles, les Viruns, les Sidins ;

Les Longobards, entre le Weser et l'Elbe ; les Burgondes, leurs voisins de l'Est ; les Rugiens, les Hérules, les Turons, les Ambrons, dans le bassin de l'Ems et du Weser et jusque sur le Rhin ; les Cattes, dans la Hesse ; les Mattiaques sur les pentes du Taunus ;

Les Chérusques, les Usipètes, les Tenctères, les Tubantes, les Chamaves, les Ampsivariens, les Bructères, les Angrivariens, les Sicambres, les Gambriviens, les Marses, sur la Sieg, la Ruhr et la Lippe ; ces derniers disparaissent de l'histoire à la suite de l'expédition de Germanicus ;

Les Frisons, à l'est de l'embouchure du Rhin ; les Chauques, entre l'Ems et l'Elbe ; les Saxons, entre l'Elbe et l'Eider, dans le Holstein ; les Goths dans la Scandinavie.

Ce serait une entreprise chimérique de chercher à grouper ces peuples suivants leurs origines et leurs affinités ethniques, les populations de la Germanie n'étant qu'une juxtaposition inconsistante de tribus instables et rivales. Cette dissémination leur est imposée par la nature même du sol de la Germanie, sol, remarque César[10], qui ne saurait être comparé à celui de la Gaule, non plus que la manière de vivre des deux nations.

Les forêts et les marécages les tenaient à distance les unes des autres, comme les tribus sauvages de l'Amérique. Tacite aussi signale le particularisme ombrageux des Germains qui ne sont point mêlés aux autres peuples — minime aliarum gentium adventibus et hospitiis mixtos —. A l'exception de certaines tribus voisines du Rhin et celles de la Bavière qui cultivaient leurs champs comme la population celtique de ces régions, les Germains continuaient leur vie de hasard et de paresse, à la lisière de leurs forêts ou autour de leurs lacs et de leurs tourbières. Les routes de l'ambre seules, jalonnées de stations celtiques, sillonnaient leur pays.

Nous l'avons déjà maintes fois constaté et la suite de notre exposé historique en fournira de nouvelles preuves, tant que les Germains demeurent en Germanie, leurs forêts sont leur sécurité. Ils y sont chez eux, à l'abri de tout danger d'incursions de la part des civilisés. Ils n'ont aucune ville, à peine des camps de refuge, fortifiés par des levés de terre et des fourrés épineux ; ils ne connaissent pas la propriété foncière individuelle. Ils sont insaisissables. Mais les marécages sur lesquels s'appesantit un perpétuel brouillard, sont lieux de pestilence ; les populations qui y séjournent trop longtemps, y mènent une existence de fiévreux et de décharnés, en proie à des myriades d'insectes propagateurs des fièvres paludéennes : cette vie forestière est incompatible avec le développement de la civilisation.

Aussi, dans ce pays où les aventures de son existence errante l'obligent parfois à trop séjourner, le Germain se trouve mal à l'aise. Il veut en sortir, il tend vers l'occident ; il se déplace incessamment ; il veut franchir le Rhin. A un siècle de distance on est étonné de ne plus retrouver les mêmes peuples dans la région où ils avaient fait, un beau jour, parler d'eux par leurs rapines. Ils disparaissent à l'horizon comme les nuages, constituent parfois avec d'autres, un nouvel assemblage hétéroclite qui s'en va tenter la fortune du pillage sur un autre point de la frontière. Voilà pourquoi les Germains du temps de Tacite ne sont plus à la place que leur assigne César, sauf exceptions ; ceux d'Ammien Marcellin ne sont pas les mêmes que ceux de Strabon ou de Ptolémée ; ceux de Grégoire de Tours ont encore des noms tout autres ; ou ceux dont les noms ont persisté à travers les siècles, comme les Suèves, ont changé d'emplacement, de fortune, de puissance, même de composition ethnique. Voici, soudain, à la fin du IIIe siècle, de nouveaux groupements constitués, en partie, avec les débris des anciens. Ce sont : les tribus des Francs qui apparaissent dans le voisinage des Frisons ; celles des Thuringiens sur le Weser ; celles des Saxons qui se sont avancés sur l'Elbe ; les Bavarois, descendants des Boïens et des Marcomans ; les Alamans qui remplacent les Hermondures, et bien d'autres enfin, d'une existence plus ou moins éphémère et transitoire qu'entrainent ou absorbent les grandes migrations.

Il est à peine besoin, à présent, de faire ressortir la différente de cette vie instable des tribus germaines, avec celle des Gaulois ; ceux-ci, partout sédentaires, même les derniers venus qui sont d'origine germanique, s'adonnent aux travaux et aux industries que la vie sédentaire impose dans un pays de toute salubrité : tout autre est leur niveau moral et social.

Trop souvent, comme l'a justement remarqué Fustel de Coulanges, nous voyons les Germains à travers l'Allemagne contemporaine tout récemment unifiée, et nous nous figurons que les tribus germaines énumérées par Tacite ou d'autres auteurs anciens, étaient comme les Gaulois, une nation ancêtre de l'Allemagne actuelle. C'est une théorie chère aux écrivains allemands de notre époque, qui altérant l'histoire, ont essayé de constituer une Germanie idéale, comme ils ont fait d'Arminius une espèce de Kaiser germanique. Je ne sais si les Allemands ont dans les veines, comme ils le disent, du sang chérusque ou usipète ; ce qui porterait à le penser c'est qu'ils ont bien l'âme de ces Barbares. La France moderne hésite à faire travailler les grands criminels condamnés au bagne, au drainage de terres de la Guyane saturées d'eaux croupissantes ; mais dans l'été de 1915, le gouvernement allemand emploie à de tels travaux les soldats français prisonniers de guerre.

L'idée de nation, la conception d'un groupement germanique ethnique était absolument étrangère à l'esprit des Germains de l'antiquité. C'est seulement pour les conduire au pillage, pour une invasion ou pour un acte de brigandage armé, qu'un chef audacieux, comme Arioviste, parvient à grouper plusieurs tribus sous son commandement, et dans ce cas même, on constate que la horde se compose de tribus hétérogènes dont le rapprochement occasionnel ne saurait, à aucun degré, être comparé à ce qu'on appelle une fédération politique ou ethnique. Chaque fois que nous pouvons contrôler et faire le dénombrement des grandes invasions, nous voyons marcher ensemble une cohue de peuples qui appartiennent à des races variées et parlent des langues différentes. Voyez l'invasion des Cimbres et dés Teutons, celle d'Arioviste, celle qui porte le nom de Chrocus, celle d'Attila : c'est un ramassis de pillards de toute origine et de toutes langues.

Tandis que les peuples de la Gaule sont rapprochés les uns des autres par un lien fédératif et qu'il existe un commune concilium totius Galliæ, rien de semblable entre les peuples de la Germanie. Jaloux et rivaux, dès qu'un peuple germain entre en révolte contre Rome, c'est souvent une raison, comme le remarque Fustel de Coulanges, pour que le peuple voisin se montre l'auxiliaire dévoué des Romains, et réciproquement. Le jour où Germanicus porte la guerre contre les Chérusques, les Chauques lui offrent tout de suite leur concours[11]. Nous avons constaté qu'après la défaite d'Arminius, les Chérusques se firent les serviteurs empressés des Romains à qui ils demandèrent un roi. L'un des successeurs d'Arminius, Chariomer, roi des Chérusques, lors de la guerre de Domitien contre les Cattes, prend si fermement parti pour les Romains qu'à la fin de la guerre il est détrôné par les Cattes.

L'effondrement du groupement Chérusque avait, en effet, provoqué la formation d'un autre conglomérat, celui des Cattes. A leur tour, au IIIe siècle, les confédérations des Francs et des Alamans se créeront, après l'anéantissement des Cattes. De la même façon, celles des Chérusques et des Marcomans s'étaient constituées après la déconfiture d'Arioviste. Tous ces groupements se ressemblent et déploient une barbarie héréditaire. Comme le reconnaît Mommsen, la civilisation dans la haute Germanie ne franchit pas le limes romain, et dans la Germanie inférieure, le Rhin.

Les peuples qui, vingt siècles durant, sont passés par la Germanie et y ont stationné parfois longuement, de gré ou de force, n'entrent dans l'histoire que le jour où ils sortent de la nuit de leurs forêts, des brouillards de leurs tourbières. Les Grecs et les Romains ne prennent contact avec eux qu'au fur et à mesure qu'ils apparaissent en bordure et à la lisière de la civilisation, c'est-à-dire sur le Rhin et sur le Danube. Les auteurs anciens qui en ont parlé, ne les ont guère connus que du dehors, car ces peuples n'ont point écrit leurs annales. Mais ce que les sources historiques laissent apercevoir, nous montre un pays inorganique et impropre au développement et au progrès.

Quand la Germanie, par son contact avec la Ronlanie, paraît, malgré tout, par places, s'élever dans la civilisation et s'imprégner de quelque culture, de nouveaux arrivages de tribus accourues des steppes scythiques, la retrempent sans cesse dans la barbarie. Le sang germain ne se renouvelle que par l'afflux en Germanie de nouveaux barbares. Qui sait ! c'est pour cela peut-être qu'aujourd'hui (1915) des Intellectuels allemands, plastronnant en manière de défi, s'écrient : Eh bien, oui ! nous sommes les Barbares (odium generis humani).

Comme les peuplades sauvages, les tribus germaines luttent entre elles pour la possession d'un bois, d'une prairie, d'une récolte de fruits naturels, d'une source salée ; elles se volent leurs troupeaux, leurs approvisionnements, leurs campements, leurs récoltes ; elles se réduisent réciproquement en esclavage. L'âpreté de la haine des peuples germains entre eux est particulièrement signalée par Tacite[12] ; six siècles plus tard, Grégoire de Tours ajoute que ce sont les plus proches voisins qui se détestent le plus, quoniam propinqui sunt[13]. Pour le Germain, l'ennemi permanent, c'est le Germain ; les Romains qui le savaient, en tiraient avantage. Une fois chassés, refoulés dans les bois par des tribus plus fortes, décimés ou réduits en esclavage, les restes de la tribu errent à l'aventure, se dispersent par bandes, finissent par disparaître, comme les nuages après l'orage.

 

III

LES LANGUES.

 

Avant Jules César, la langue gauloise était l'idiome officiel des pays rhénans. Les monnaies des Médiomatrices, des Éburons et de tous les autres peuples de la Belgique portent, en légendes, des noms gaulois comme celles de tout le reste de la Gaule. Les Germains ne parlaient pas la même langue que les Gaulois ; leur jargon, qui ne fut point fixé par l'écriture, devint, dans les contrées où ils s'établirent en masse, le parler populaire, méprisé comme le patois de nos paysans. Mais tout Germain qui voulait s'élever dans la hiérarchie sociale et tenait à être considéré, apprenait le gaulois, c'est-à-dire la langue de la population à laquelle il avait l'ambition de s'agréger. C'est ce que firent, nous dit César, les Suèves d'Arioviste qui séjournèrent longtemps chez les Séquanes et les Éduens. Une longue habitude rendit la langue gauloise tout à fait familière à Arioviste[14].

Les Gaulois écrivaient leur langue en lettres grecques ou latines ; nous avons des inscriptions et des monnaies gauloises en ces deux alphabets ; parfois, les caractères des deux alphabets se trouvent mélangés clans un même texte. César dit que les Druides écrivent la langue gauloise en caractères grecs, aussi bien pour les affaires privées que pour les affaires publiques[15].

Le latin s'introduisit en Gaule bien avant la conquête de Jules César, surtout dans le midi où il fit concurrence au grec de Marseille, dès l'établissement de la province romaine et la fondation de Narbonne, en 118 av. J.C. L'usage du latin remonta graduellement la vallée du Rhône où il était la langue du commerce. Au cours de ses campagnes en Belgique, César dit qu'il écrivit à son lieutenant une lettre en grec, afin qu'elle ne put être comprise des Nerviens si elle venait à tomber entre leurs mains ; le latin était donc connu déjà des Gaulois instruits, même dans le nord de la Belgique. Cependant, l'histoire d'Arioviste est là pour attester qu'à son époque, les Séquanes et les Éduens employaient encore le gaulois comme langue officielle.

Avec l'installation de la conquête romaine, le latin devint en Gaule la langue noble, la langue de l'administration et des affaires, celle des tribunaux, des citoyens éclairés, des classes aisées dans les campagnes, de presque tout le monde dans les centres urbains. Dans les écoles on n'enseignait aux enfants que le latin ; les armées n'avaient que le latin pour langue officielle, de même que les temples et le forum.

Les Gaulois instruits abandonnèrent graduellement leur propre langue pour adopter le latin, plus clair, plus facile, plus distingué. Le latin devint ainsi le parler élégant dans la région rhénane comme dans le reste de la Gaule, mais le gaulois resta le parler populaire de la campagne, de la plebs rustica, comme le germanique dans certains cantons retirés et isolés. Les Gaulois, sous l'empire, finirent par n'écrire qu'en latin ; de même qu'aujourd'hui, dans nos villages les plus arriérés, on s'efforce d'écrire en français et non en patois. Un paysan qui parle patois, s'il essaye d'écrire en patois ne fait que provoquer les rires universels de son village. Réfléchissez à ce fait journalier et vous comprendrez pourquoi les parlers ou jargons germaniques n'ont point été écrits dans l'antiquité.

Dans la région rhénane, sur les bords même du Mein et du Neckar, on grava des textes publics en latin, dès que la domination romaine s'y établit ; ils y sont aussi nombreux que dans le reste de la Gaule. Toutes les inscriptions sont en latin, généralement sur marbre ou sur pierre : épitaphes funéraires, bornes des routes, dédicaces de monuments publics, autels ou ex-votos ; marques de fabrique de potiers ou de verriers, d'ustensiles de bronze. Jusque sur ces produits vulgaires de l'industrie privée, la langue est, à quelques exceptions près, le latin qui s'est substitué au gaulois. Parler et écrire en latin, dans les deux provinces romaines de Germanie comme dans le reste de la Gaule, c'est le signe d'une bonne éducation ; le latin est le beau langage ; le gaulois et, à plus forte raison, le jargon des Germains illettrés, sont relégués au rang de patois, d'argot de cuisine ou d'écurie. Par là encore, on voit comment le Gaulois ou le Germain gallicisé se fait un point d'honneur d'entrer dans la culture romaine. Aussi, de même que les noms propres gaulois disparaissent à peu près complètement dès le second ou le troisième siècle, la langue gauloise elle-même est évincée ; il n'y a plus d'inscriptions gauloises ; seuls, des mots gaulois ont réussi à s'introduire dans le latin sous une forme latinisée.

Mais dans le peuple des campagnes, la langue gauloise fut plus tenace ; nous avons des preuves positives qu'elle persista au moins jusqu'à la fin des temps antiques, sinon plus tard. Saint Irénée, prêtre à Lyon, vers la fin du ne siècle, voulant évangéliser le peuple des campagnes, dit qu'il vit au milieu des Celtes et qu'il est obligé de parler gaulois. Une druidesse prédit en gaulois la mort de l'empereur Sévère Alexandre[16]. Les formules notariées sont encore en gaulois au IIIe siècle ; le fameux calendrier de Coligny, gravé sur bronze et bien d'autres monuments, nous attestent que le gaulois resta la langue des usages locaux pour le comput des jours, pour les poids et mesures, les pratiques populaires des foires et marchés, les cultes des sanctuaires ruraux. A Trèves, on parlait encore gaulois du temps de saint Jérôme qui vécut tour à tour au milieu des Trévires et à Ancyre, chez les Galates d'Asie-mineure : les uns et les autres, nous dit-il, parlent la même langue[17]. Et cependant, nous avons vu que les Trévires, jadis, se disaient d'origine germanique.

L'invasion germanique, à travers tous les siècles de l'empire romain, n'a donc nullement, comme on le dit quelquefois, fait disparaître la langue gauloise. C'est le latin qui, à titre de langue officielle et supérieure, s'est peu à peu substitué au gaulois. Les Germains venus en Gaule mirent toute leur application à apprendre le gaulois comme langue populaire, et l'élite d'entre eux, le latin comme langue officielle. Ils ont répudié leurs jargons originaires. Ils étaient illettrés ; ils n'avaient pas d'écriture et ils n'ont laissé aucun texte. Leurs coutumes mêmes n'étaient pas écrites, mais purement traditionnelles. Aucune de leurs tribus n'avait d'annales, mais leurs guerriers se transmettaient de bouche en bouche des poésies où ils chantaient les prouesses de leurs anciens rois : majorum laudes clamoribus stridebant, dit Tacite.

Quant aux peuples de la Germanie transrhénane, ils parlaient des langues variées qui ne se rattachaient même pas toutes à la grande famille des langues indo-européennes. L'échec notoire de l'essai de classification des peuples de la Germanie par groupes ethniques, a donné à penser à certains savants qu'on pouvait répartir ces peuples si nombreux, d'après les caractères des langues qu'ils parlaient. Des linguistes ont proposé de classer comme Germains, seulement ceux de ces peuples dont la langue paraît avoir été un dialecte germanique, soit du groupe teutonique, soit du groupe gothique.

Les dialectes des Teutons, des Suèves, des Marcomans, des Vandales, des Burgondes, des Hérules et de la plupart des peuples germains mentionnés par Tacite, se rattachaient probablement au groupe dit teutonique ; de ces dialectes ou de leurs congénères, sont peut-être dérivés les dialectes modernes ou médiévaux tels que le souabe, le franconien, le frison, le bas-allemand, le hollandais, le flamand. Ces dialectes, en tous cas, nous donnent quelque idée des différences qui ?existaient entre ceux des anciennes tribus germaniques. On sait que le haut allemand n'est devenu la langue allemande de la société et des lettres, que depuis Luther et sa traduction de la Bible dans ce dialecte.

Mais il y avait, en Germanie, des tribus nombreuses dont la langue n'était pas teutonique. Les Lemovii, sur les bords de la mer Baltique, parents des Lemovici du Limousin, devaient parler un dialecte celtique. Tacite dit que les Gothins qui sont cantonnés en Germanie parlent la langue gauloise, preuve qu'ils ne sont pas Germains : Gothinos gallica... lingua coarguit non esse Germanos[18]. Ces Gothins parlaient donc un dialecte celtique. Faut-il en conclure qu'ethniquement ils étaient un rameau de cette grande race celtique qui a fondé les stations des routes commerciales du Danube à la mer Baltique ? Ou bien, peut-on croire que ces Barbares avaient abandonné leur langue originaire pour adopter celle de ces Celtes dans le pays desquels ils sont venus s'installer ? Les Osi, voisins des Gothins, parlaient le pannonien qui n'était probablement qu'un dialecte celtique. La langue dace se rattachait aussi au groupe celtique, comme sans doute d'autres dialectes de l'Allemagne du Sud et des bords du Danube où les Celtes sédentaires ont dominé pendant tant de siècles et ont même battu monnaie.

Les Gothins dont nous venons de parler, étaient-ils parents des Goths ? Qui peut le dire ? Dans tous les cas, la langue des Goths n'avait rien de commun avec celle des Gothins ; nous la connaissons, c'était une langue germanique. Elle est parvenue jusqu'à nous, grâce à la traduction de la Bible faite dans cette langue, par Ulphilas ou Vulfila, évêque des Goths, après qu'ayant quitté la Scandinavie ils se furent installés sur la Theiss et le bas Danube, au IVe siècle de notre ère. C'est à cause d'elle que des savants ont voulu partager les langues germaniques en deux grands rameaux, le groupe gothique et le groupe teutonique.

Il y eut aussi en Germanie, dès l'antiquité, de nombreuses tribus scythiques, puisque l'Elbe est donnée par des géographes anciens comme limite à la Scythie : leurs langues se rattachaient au groupe slave, comme par exemple, aujourd'hui encore, le polabe dans la région de l'Elbe et le sorabe de la Lusace. Les langues d'autres peuplades rentrent même dans le groupe hindou, comme celle des Bohémiens Tsiganes, arrivés seulement à l'époque médiévale : avant eux, des tribus de migrateurs ont pu parler des dialectes de même origine. Au contraire, la langue des Huns ou Hongrois et 'celle des Finnois appartiennent au groupe finno-ougrien, dit aussi altaïque ou mongolique. Les Bulgares, peuples d'origine hunnique, parlèrent primitivement une langue de cette famille. Ils l'abandonnèrent sous l'influence de leurs vicissitudes politiques, pour adopter la langue et les mœurs des Slaves du sud.

Nous touchons, ici, un point délicat sur lequel il y aura lieu de revenir pour l'époque moderne. C'est par la langue que Tacite et Strabon distinguent, d'une manière générale, les Celtes ou les Gaulois des Germains. La communauté de langage crée effectivement un lien étroit entre des populations même éloignées géographiquement. Par contre, la diversité de langage, en compliquant les relations entre populations qui cohabitent dans le même pays, amène la gêne, des conflits, des malentendus, l'hostilité. De ces faits incontestables, l'opinion générale de nos jours est portée à conclure que la langue distingue les races et doit être prise pour base de la répartition politique des nations. L'histoire est en complète opposition avec cette théorie ; il est, en très grand nombre, des peuples de même race, que des circonstances de leurs annales ont amenés à adopter des langues différentes, en abandonnant leur langue originaire. Nous venons de citer l'exemple des Gaulois, des Germains établis en Gaule et des Bulgares. Mais tous les peuples barbares qui quittèrent la Germanie pour trouver enfin une patrie en Gaule, en Italie, en Espagne, abandonnèrent de même leur langue maternelle. Les Francs, les Burgondes, les Visigoths, les Vandales, les Suèves, les Lombards et les autres envahisseurs de l'Occident désapprirent leur langue germanique, pour adopter, le roman ou bas-latin d'où sont sortis le français et les autres langues néo-latines. Sans insister, ici, sur les conséquences de ces constatations que l'on peut multiplier, nous nous bornerons à dire que partout, en Gaule, se trouve justifié le principe général formulé par M. Meillet : La langue qui dépend d'événements historiques est indépendante de la race qui est une chose toute physique. C'est un préjugé, en histoire, de croire que c'est la langue qui distingue les races ou les nationalités.

 

IV

ONOMASTIQUE.

 

1. Les noms de lieux gaulois.

On a vu qu'un grand nombre de noms de lieux très anciens, non seulement en Gaule mais en Germanie et dans la région danubienne, ont conservé une forme qui atteste leur origine celtique ou celto-ligure. Nul n'en peut douter : ils ont été créés par les Celtes et les localités qui les portent sont de fondation celtique[19].

Comment expliquer que les Ligures ou les Celtes aient fondé, partout où ils ont habité, un aussi grand nombre de centres urbains, tandis que les Germains de l'antiquité paraissent n'en avoir bâti peut-être aucun, même en Germanie ? La réponse à cette question est simple : c'est que les Celtes étaient des peuples devenus sédentaires, socialement organisés, des civilisés, tandis que les Germains demeurèrent des peuples essentiellement migrateurs, des groupements amorphes et instables. Il en est pour les peuples comme pour les individus : en général, celui qui donne le nom d'un domaine, d'une maison, d'un château, qui les baptise, en un mot, c'est celui qui les construit ou qui s'y installe à demeure, le premier. S'agit-il d'une exploitation agricole ? c'est celui qui défriche le sol, y bâtit soi habitation, y groupe sa famille et ses serviteurs. La même constatation s'applique aux groupes d'individus, aux clans, aux villages, bourgs ou villes, ainsi qu'aux régions, aux rivières, forêts, montagnes, accidents extérieurs du sol : toutes ces entités reçoivent leurs dénominations, non point des tribus de migrateurs qui passent et les traversent, mais de celles qui s'y attachent d'une manière définitive ou prolongée durant des générations. Ce sont, en un mot, les sédentaires qui donnent son nom à l'habitat de leur choix.

Voyez ce qui se passe sous nos yeux dans les pays de colonies. Pour ce qui est des colonies à population dense et sédentaire, nous adoptons les noms indigènes préexistants : par exemple, au Tonkin et à Madagascar. En ce qui concerne les colonies de' peuplement, lorsque nous y fondons des établissements, nous leur donnons, en général, un nom français ; nous les baptisons d'un vocable qui trouve sa raison d'être dans les incidents de la fondation ou les souvenirs que les fondateurs veulent rappeler.

Dans l'Afrique septentrionale, les Arabes conquérants ont donné des noms arabes aux villes qu'ils ont fondées ou peuplées d'Arabes qui y sont devenus sédentaires. Là où la population berbère est demeurée, ses villages ont gardé leurs noms berbères. Lorsque deux ou trois populations sédentaires sont juxtaposées, côte à côte, dans une même ville, cette ville porte deux ou trois noms différents. L'exemple le mieux caractérisé de cette multiplicité d'appellations pour une même localité, est peut-être la ville de Lemberg, qui s'appelle ainsi pour les Allemands, mais qui porte les noms de Lwow pour les Slaves et de Leopol pour les Gréco-Latins.

Dans l'antiquité, les choses ne sont pas passées autrement. Les Celtes sédentaires ont jalonné de stations fortifiées les routes de l'ambre, depuis le Danube jusqu'à la mer Baltique. Il faut, avec une entière certitude, en conclure que le commerce du nord était entre leurs mains, et ceci est confirmé par ce que nous savons de leurs aptitudes commerciales, appliquées, au cours de tant de siècles, aux relations de la Gaule proprement dite avec les pays helléniques, par la voie du Danube, de la Morava, du Vardar ou du Strymon.

Les noms de localités, en Gaule, reçurent le même traitement de la part des Romains. Lorsque ceux-ci s'installèrent dans un bourg ou une ville indigène préexistante, ils respectèrent son nom, auquel ils ajoutèrent seulement une terminaison latine ; quand ils constituèrent de toutes pièces un établissement nouveau, colonie ou autre, ils lui donnèrent une appellation romaine.

Or, dans le pays rhénan, on trouve effectivement deux catégories de noms de lieux. D'abord, de nombreux noms qui sont purement romains, notamment ceux des colonies, comme Colonia Agrippina (Cologne) ; Colonia Augusta Treverorum (Trèves) ; Colonia Trajana, près Xanten ; Vetera castra (Birten) ; Taberna (Zabern, sur le Rhin) ; Concordia (Altstadt), près Wissembourg ; Stabula (Bantzenheim), Confluentes (Coblence), et cent autres. Il y a, en second lieu, des noms gaulois romanisés, qui sont, les uns, antérieurs à la conquête romaine, les autres postérieurs à cette conquête. Aucun des noms germaniques qui s'y trouvent aujourd'hui ne remonte à l'antiquité. Ainsi, ce pays qui fut si souvent envahi par les bandes germaines et où elles ont réussi à prendre pied dès avant Jules César, a si peu été germanisé que les lieux-dits y sont demeurés gaulois ou sont romains[20]. Par là encore, nous voyons que les Germains cisrhénans deviennent des semi-Galli, et bientôt des Gallo-Romains.

Il ne saurait entrer dans le plan de ce livre, d'étudier dans le détail philologique les noms de lieux gaulois de la Gaule Belgique, en particulier ceux des deux provinces rhénanes. Citons pourtant quelques exemples, la plupart empruntés à Holder ou aux ouvrages sur la matière, qu'on doit à H. d'Arbois de Jubainville et à Godefroid Kurth.

Ambitarvius (aujourd'hui Konz ou Henten, près Zerf), nom d'un vicus des environs de Coblence, où Pline place le lieu de naissance de Caligula ; formé de l'élément Ambi qu'on retrouve dans le nom d'Ambigat, des Ambiani (Amiens), des Ambivareti et d'une foule d'autres noms gaulois, et de l'élément tarvos qui entre dans les noms : Tarvanna (Thérouane), Tarva (Tarbes), Tarvisium (Trévise).

Antunnacum, aujourd'hui Andernach, sur le Rhin, entre Coblence et Remagen, formé du nom d'homme Antunnos et du suffixe gaulois ac (acus) qui désigne l'appartenance : propriété d'Antunnos. Ce fut sans doute, à l'origine, un fondus particulier, qui devint une ville dans la suite des temps.

Argentoratum ou Argentorate, Strasbourg, forteresse d'Argentos ou mieux d'Argantos. Ce nom gaulois, qui paraît dès le début de la domination romaine, a de nombreux similaires formés sur le même thème, avec des suffixes variés (Argentan, Argentay, Argentré, Argentat, Argenteuil, etc.)[21]. Le nom Strateburgum n'est pas antérieur à l'époque mérovingienne.

Argentovaria, Horbourg, près Colmar, ville des Rauraques. Batavodurum, Bois-le-Duc, forteresse des Bataves.

Bonconica, Oppenheim (dans la liesse).

Bondobriga, Boppart, château de Bondos.

Bonna, Bonn ; ce nom gaulois entre en composition dans d'autres noms comme Augustobona (Troyes), Juliobona (Lillebonne), Vindobona (Vienne).

Borbetomagus, Worms, la capitale des Vangions.

Brocomagus ou Breucomagus, Brumath, la capitale des Triboques.

Caradunum, Carden, près Coblence.

Ditiagus ou Disiacus, près de Wissembourg ; le même nom a formé Dizy (Marne) et d'autres analogues, en Gaule.

Deuso(n), Diviso(n), Divitium, Deutz, en face de Cologne ; comparez le nom de chef gaulois Divitiacus, et le surnom de l'Hercule Deusoniensis.

Divodurum, Metz.

Dumno, station près Bingen (Kirschberg ?) ; comparez le nom du chef gaulois Dumnorix.

Durnomagus, Dormagen, entre Cologne et Neuss, champ de Durnos.

Ecorigium ou Icorigium, Junkeradt, entre Trèves et Cologne ; comparez Igoranda, Igoranda (Ingrande).

Eponiacum, Eppenich, près d'Aix-la-Chapelle, nom formé sur celui de la déesse gauloise Epona.

Juliacus, Juliers, propriété de Julius.

Lugdunum Batavorum, Leyde ; le nom de Lugdunum est celui d'un grand nombre de localités de la Gaule.

Marcomacus, Marmagen, entre Trèves et Cologne.

Materna (?), Maderna, Matrona, nom probable de la Moder ; le nom de cette rivière se retrouve dans celui du peuple gaulois des Medio-matrici. Le nom de la Marne est aussi Matrones.

Mattiacum, Wiesbade, sur la rive droite du Rhin, la capitale des Mattiaques.

Mettis, Metz. Le nom Mettis est, d'après d'Arbois, le datif pluriel du gentilice Mettius ; il a été substitué à celui de Divodurum vers la fin du IVe siècle.

Mogontiacus, Mayence, nom dérivé peut-être d'un gentilice romain, Mogontius, avec addition du suffixe gaulois latinisé acus. Mais on connaît aussi la déesse gauloise Mogontia, parèdre d'un dieu Mogont(us).

Nava, la Nahe, qui se jette dans le Rhin, près de Bingen ; le même nom, Néhe, est donné à la rivière de Dax (Landes). Ce nom, sous la forme Neha, au pluriel Nehæ, entre dans la composition d'un grand nombre de noms de divinités locales de la région rhénane, par exemple, les déesses-mères Rumanehæ, Vacallinehæ, Veteranehæ, Aserecinehæ, Vesuniahenæ, etc. La déesse Nehallenia dont nous avons déjà prononcé le nom, et dont on a retrouvé un autel dans l'île de Walcheren, aux bouches de l'Escaut, rentre dans le même groupe de noms gaulois. En France, outre la Néhe de Dax, les nombreux noms comme Nehou, Nao ou Anao, Nées, Néez, Nez, Nay, Naives, Nayve, etc., se rattachent à la même racine ; d'où il résulte que l'origine celtique du nom de la Nahe ne saurait être mise en doute. Les efforts des érudits allemands pour en faire un nom d'origine germanique ont pitoyablement échoué[22].

Nemetes, nom du peuple qui forma plus tard, au moins en partie, l'évêché de Spire ; on dit ce peuple d'origine germanique, comme les Triboques et les Vangions. Cependant, son nom est celtique ou gaulois. Nemetos, en gaulois, signifie temple ; il est employé aussi comme nom d'homme. On le retrouve dans des noms comme Nemetodurum (Nanterre), Nemetacum (Arras) ; et même, en gallois, sous les formes Nimet, Nevet. Dès lors, les Némètes ne seraient-ils pas une ancienne tribu celtique engagée dans les hordes d'Arioviste ?

Novæsium, Neuss, sur la rive gauche du Rhin, en face de Dusseldorf.

Noviomagus, Spire, chez les Némètes ; Nimègue ; Neumagen, entre Trèves et Mayence ; c'est aussi le nom de Noyon ; commun en Gaule, il parait signifier le nouveau champ et avoir été donné à des bourgs installés sur des terres récemment défrichées.

Ricciacus (Ritzingen), station entre Trèves et Thionville, propriété ou domaine de Riccius.

Rigomagus, Remagen, sur le Rhin ; c'est le même nom que celui de Riom (Cantal), de Riom (Puy-de-Dôme) ; Rigo entre dans le nom de Rueil, Rigoiolum, près Paris.

Saletio, Seltz, comme Salicetum, lieu planté de saules.

Salodurum, Soleure (Suisse), forteresse de Salos.

Sentiacum, Sinzig, près Coblence, nom dérivé du gentilice romain Sentius.

Tarodunum, Zarten, dans le grand-duché de Bade. Le nom gaulois Taro se retrouve dans Dejot-aros, Brogi-taros, et dans Tarusco (Tarascon).

Vindonissa, Windisch (Suisse), nom formé sur Vindonius, comme Vendenesse (Saône-et-Loire), etc.

Vosavia, Ober-Wesel.

Un des éléments verbaux qui entre souvent en composition dans la formation des noms de lieux et sur lesquels on a le plus disserté, est celui de briga, auquel on assimile bria et brium et même brica et briva. Ce terme qui a donné son nom à notre pays de Brie, se retrouve, tantôt au commencement, comme dans le nom du peuple des Brie-mies, en Grande Bretagne, celui des villes de Briançon, de Brivodurum (Briodurum) et celui des rivières appelées Briante ; tantôt, comme élément terminal, par exemple, le peuple des Ségobriges, Admagetobriga, Nemetobriga, Domnobriga, Bonobriga, Litanobriga, Sodobria, Sadebria, Donobrium, Vedenobrium, etc. Ces noms, surtout ceux de la dernière catégorie, sont extrêmement répandus en Gaule, en Grande-Bretagne, en Espagne et dans les autres régions où a essaimé la race celtique, comme en Thrace, où l'on a Mesembria, Selymbria, Paltuobria, et même jusqu'en Galatie où nous trouvons Ecobria. Or, il existe de tels noms en Prusse rhénane et en Bavière, ainsi que chez les Médiomatrices[23]. Quelles que soient les objections qu'on puisse faire à l'assimilation hypothétique des éléments briga, bria, briva, brica ; quel que soit le sens de ces mots (château, pont, colline ?) ; qu'ils soient, enfin, ligures ou celtiques, il est bien certain qu'ils n'ont rien de germanique et que les localités, peuples ou rivières qui les portent, dans le pays rhénan, n'ont pas été baptisées par les Germains.

Nous avons, comme on le voit, introduit parmi ces exemples, des noms gaulois antérieurs à l'époque romaine et quelques autres qui ont été formés seulement après la conquête. Cette nomenclature pourrait être singulièrement développée. Il résulte de là, avec évidence, que la toponymie géographique de toute la rive gauche du Rhin est ligure, celto-gauloise ou romaine et non point germanique. Après avoir remarqué que la Gaule Belgique des Tables de Ptolémée ne nous donne partout que des noms gaulois, Ernest Desjardins ajoute :

Si nous descendons le cours du Rhin, nous ne rencontrons, même dans les itinéraires rédigés longtemps après Tacite, que des noms gaulois, variés, de loin en loin, par ceux des fondations romaines et de quelques vocables germaniques résultant d'établissements postérieurs à César : Tenedo, Vindonissa (Windisch), Carabes (Kembs), Argentovaria (Horbourg- Colmar), Argentoratum (Strasbourg), Brocomagus (Brumath), Noviomagus (Spire), Borbitomagus (Worms), Bonconica (Oppenheim), Mogontiacum (Mayence), Bingium (Bingen), Vosolvia (Ober-Wesel), Baudobriga (Boppart), Antunnacum (Andernach), Ricomagus (Remagen), Novæsium (Neuss), Marcomagus (Marmagen), Bonna (Bonn), Asciburgium (Asberg-Duisbourg), Burginacium, Noviomagus encore (Nimègue), Caspingium, Blariacum (Blerick[24]). Ainsi, à ne considérer que les noms de la ligne rhénane, noms qui, pour la plupart, n'apparaissent qu'assez tard dans la période impériale, on se croirait en pleine Celtique. Cette observation s'applique, à plus forte raison, à toute l'onomastique belge au temps de la conquête.

Concluons de ces observations multipliées que les Germains qui sont venus se fixer sur la rive gauche du Rhin, à diverses époques, n'en ont jamais chassé les habitants. Ils ont trouvé dans ce pays des populations organisées, sédentaires, avant des villes et des bourgs dont ils ont respecté les noms, comme ils ont adopté les vocables des rivières et des accidents du sol, qui ainsi, à travers les siècles sont demeurés gaulois. Loin de germaniser l'onomastique régionale du pays rhénan, les Germains, en s'y établissant, n'ont fait, à ce point de vue comme sous tous les autres, que s'infiltrer dans l'organisation sociale gauloise et gallo-romaine.

2. — Les noms de personnes gaulois.

L'étude des noms individuels portés par les habitants de la région rhénane dans l'antiquité conduit à la même conclusion.

Les listes des noms propres d'hommes gaulois qu'on a relevés sur les monnaies, dans les textes épigraphiques et les auteurs, permettent de constater que, de toutes les provinces de la Gaule, la haute et la basse Germanie sont au nombre de celles qui en ont fourni le plus. Ils s'y trouvent en aussi grande abondance que dans la vallée du Rhône et la Narbonnaise.

Rappelons-nous, en premier lieu, les noms purement gaulois que portent les chefs trévires Indutiomarus et Cingetorix. D'autres Trévires du début de l'époque impériale s'appellent Indus et Indutillus. Tandis que le terme gaulois Indu ou Induti forme la première partie de ces noms, l'élément marus, grand, qui lui est associé dans Indutiomarus, se rencontre dans une foule d'autres noms gaulois, comme Illiomarus, Solimarus, Comatumarus. Quant au suffixe latinisé — illus, nous l'avons dans Celtillus, le nom du père de Vercingétorix, et dans les noms des Allobroges Abducillus et Raucillus. Une inscription funéraire d'un Gaulois de Brescia porte Joincillus ; une autre, de Bordeaux, Indercillus ; une autre, de Lengfeld (Hesse), donne Troveillus qui se lit aussi à Nîmes. Des textes épigraphiques du pays rhénan et de la Styrie ont les noms, de même terminaison, Vindillus et Vindillius.

Un Trévire décédé en Dacie s'appelle Ibliomarus, nom qui est peut-être le même que Illiomarus qu'on trouve à Orléans et à Avignon. Les noms gaulois Solimarus, Solimara, Solimarius se rencontrent sur des inscriptions de Trèves, Mayence, Niewbach, Francfort, aussi bien qu'à Soulosse, Solimariaca (Vosges) et à Bourges. On trouve Litugenius à Luxembourg et Litugena à Narbonne. Le suffixe gaulois genus est répandu aussi bien dans les pays rhénans que dans le reste de la Gaule.

Il n'est pas besoin d'insister sur la forme gauloise du nom d'Ambiorix, le chef fameux des Eburons, que César eut tant de peine à réduire ; non plus que sur le nom Vassorix que fournit une inscription de Niederberschdorf, en Alsace, ou celui d' Agio-munis, père de Bella, sur une stèle de Saverne.

Novionia est un nom de femme, à Mayence, formé du gaulois Novi°, qui entre en composition dans une foule de noms géographiques de toutes les parties de la Gaule, comme Noviodunum ou Noviomagus.

Bellatorix et Bellorix sont des noms de femmes, sur des inscriptions du Rhin aussi bien que dans d'autres provinces de la Gaule. D'autres noms formés sur ce thème Bella ou Bela, existent dans la région rhénane aussi fréquents qu'ailleurs (Belatulla, Belatulus, Bellaisis, Belatucadrus, Bellatu, etc.).

Le nom Digines se rencontre à la fois à Cologne et à Béziers. Citons encore : Divixta, nom de femme à Strasbourg, à Langres et à Bordeaux ; Divixtus, Divixtilla, à Bâle, à Virieu-le-Grand.

Le radical Join ou Joinc entre dans la composition de Joincatius à Trêves ; de Joincissius, à Bonn ; de Joincata, à Bâle ; de Joincillus, à Brescia.

Le radical gaulois Seno ou Senno, si commun, entre dans la composition de noms propres des pays rhénans, comme Sennus, Sennianus, Sennocendus. De même, le radical Togi qu'on trouve dans Togirix, entre dans Togitius, fils de Solimarus, à Mayence et dans d'autres noms de la même région.

Le thème gaulois Camulo ou Camalo a formé des noms nombreux, comme Camulus, Camulogenus, Camulognata, etc., usités aussi bien dans la Rhénanie que dans la Belgique, la Celtique, la Narbonnaise.

Visurio et Visurix que nous fournissent des inscriptions rhénanes, ont un élément qui entre en composition dans le nom Vitousurio, à Béziers.

Nertomarus et Nertomir, noms gaulois de la région rhénane, se rencontrent également ailleurs ; un Boïen et un Eduen, notamment, portent le nom de Nertomarus. On trouve Nerta, à Bordeaux ; Nertobriga, ville d'Espagne. Le gaulois Nerto paraît signifier la force.

Adnamatus (ou Adnamtus, Adnamatius, Adnamto), se lit sur une dalle funéraire à Cologne, ainsi qu'à Castel près Mayence, à Utrecht et sur des inscriptions des musées de Bâle et de Stuttgart ; on le trouve aussi en Carinthie et sur des stèles de Gap et de Bordeaux. Il est donc répandu dans toutes les parties de la Gaule.

En gaulois, ambactos est un mot bien connu qui signifie vassal, serviteur ; on le trouve à la base de noms géographiques comme Ambactia, Amboise, et dans le nom d'homme Januarinius Ambacthius, sur une inscription de Zélande.

Ammacius, nom d'homme, sur un autel de la déesse Néhallenie, au musée de Leyde, est de même formation que Ammaca, fille de Superus, à Zulpich. Le même nom se trouve dans celui du fundus Ammaciacus, à Belley. C'est probablement la même racine qu'on a dans Ammausius, trouvé à Birken, sur le Vieux Rhin.

Ces exemples, choisis parmi des centaines, attestent que les habitants des provinces belges et en particulier des deux provinces romaines de Germanie, étaient des Gaulois ou des Germains gallicisés, au moins dans les classes supérieures de la société. Il n'y a point de noms germains.

De cette constatation, il appert que dans tous ces pays, comme dans le reste de la Gaule, l'élément social prépondérant était formé par la population gauloise. Elle y était la classe dirigeante, propriétaire du sol, imposant la langue officielle, gardant tous les cadres de ses institutions traditionnelles. Le troupeau germanique, formé d'esclaves ou de colons, d'artisans ou de serviteurs, lui était subordonné, ne comptait pas, restait anonyme. Il n'y avait d'exception que pour les chefs de tribus et de clans et pour tous ceux qui réussissaient à s'élever au rang social des Gaulois ou des Gallo-Romains : ceux-là prirent la langue gauloise, un nom gaulois et plus tard, un nom romain. Ici encore, nous constatons qu'ils se fusionnèrent dans la société gallo-romaine.

Disons à présent comment les noms gaulois, qu'ils fussent portés par des Gaulois de vieille souche ou par des Germains devenus néo-Gaulois (semi-Galli), se sont romanisés sous l'Empire.

3° Les noms de personnes en Gaule sous la domination romaine.

Les Gaulois furent conquis par la culture romaine aussi vite que par les armes. De même que les Germains, une fois installés en Gaule, voulurent être Gaulois, puis Gallo-Romains et s'y appliquèrent de toute leur fne, de même, les Gaulois tinrent à être Romains : pour eux, c'était s'ennoblir. Les Gaulois étaient fiers d'être assimilés aux Romains, d'entrer dans l'administration romaine, de devenir citoyens romains, de parler latin, de se draper dans la toge, d'être incorporés dans les légions et non plus dans les cohortes auxiliaires : on sait que, de bonne heure, ils parvinrent au Sénat et que sous Claude déjà, on disait que l'assimilation de la Gaule à l'État romain était complète.

Il serait superflu d'insister, ici, sous ce point de vue, mis en lumière par tous les historiens et qui rappelle la conquête morale de Rome par la Grèce vaincue ; remarquons cependant que l'une des conséquences de cette attitude et de cet état d'esprit des Gaulois, aussi bien dans les provinces rhénanes que dans les autres, fut que, pour se plier plus vite aux exigences de l'état social et de l'administration romaine, non seulement ils voulurent parler latin, mais ils latinisèrent leurs noms.

A l'époque de l'indépendance, les Gaulois n'avaient ni prénom ni nom de famille ou gentilice, mais seulement un nom personnel auquel, en cas de chance de confusion, on joignait occasionnellement un surnom ou le nom du père au génitif : un tel fils d'un tel, Vercingétorix, fils de Celtil. D'Arbois de Jubainville cite les exemples suivants : Licnos Contextos ; — Andecamulos Toutissi-cnos, Andecamulos, fils de Toutissos.

Quelquefois, on supprime le mot cnos, fils, en laissant le nom du père au génitif : Doiros Segomari, Doiros, fils de Segomaros[25]. Citons encore : Combaromarus Buolani filius, et le nom de femme, Camulognata Coïci filia[26]. Dès le début de l'époque romaine, les Gaulois romanisent leurs noms. On connaît de nombreux personnages qui ont des noms purement gaulois et dont les fils ou petits-fils ont, au contraire, des noms purement romains. En voici un exemple emprunté au pays des Médiomatrices. Il nous est fourni par une stèle funéraire trouvée dans la forêt de Neuves-Granges (canton de Lorquin). Dans la partie supérieure, on voit les bustes de trois personnages gaulois ou gallo-romains, Cantognatus, l'aïeul ; Saccomainos, le père, et Saccetius, le fils. Un autre Gaulois, Bellator, fils de Bellatullus, leur est associé. Tous ont des noms gaulois. Enfin, leur héritier ou parent, qui a élevé ce monument à ses ancêtres, est devenu, lui, tout à fait romain ; il s'appelle Sanctus et il n'a plus de nom gaulois[27].

Voilà, prise sur le fait pour ainsi dire, la romanisation de la Gaule rhénane. Sous ce rapport comme sous tous les autres, elle fut universelle et rapide. Un phénomène singulier qui a étonné bien des historiens, c'est de constater que, sous l'empire romain, presque tous les Gaulois qui sont connus historiquement portent des noms latins, même ceux qui sont des révoltés contre Rome, tels que l'Éduen Julius Sacrovir, les Trévires Julius Classicus, Julius Indus, Julius Tutor, Julius Valentinus ; le Lingon Julius Sabinus ; le Batave Julius Civilis ; le Ménapien Pompeius Junius ; citons aussi les noms de femmes gauloises, Domitia, Prudentia, Primulia Saturna[28] ; une femme ubienne s'appelle Claudia Sacrata[29]. Les inscriptions nous fournissent par centaines de semblables exemples. En même temps, on constate que les noms gaulois deviennent chaque jour moins nombreux.

Les règles de la romanisation des noms gaulois ont été formulées par d'Arbois de Jubainville qui a reconnu les quatre procédés suivants.

1° Parmi les Gaulois, les uns prennent aux Romains les trois éléments onomastiques par lesquels ils voulaient distinguer leur personnalité : prénom, nom ou gentilice et surnom sont tous trois romains. Dans ce cas, des renseignements historiques seuls permettent de les distinguer des Romains établis en Gaule. Par exemple : C. (?) Julius Florus, de Trèves, révolté gaulois de l'an 21 de notre ère ; — C. Julius Vindex, Aquitain révolté sous Néron, en 68 ; — M. Aurelius Maternus, Trévire ; — L. Vicarinius Lupus ; — C. Secundinus Adventus ; — T. Julius Priscus ; L. Cassius Verecundus : ces derniers noms relevés dans des inscriptions rhénanes.

2° D'autres Gaulois empruntent aux usages romains un prénom et un surnom ; ils se font un gentilice avec leur nom gaulois, en y ajoutant la désinence ius[30] : L. Carantius Atticus ; — M. Carantius Macrinus ; — L. Carantius Gratus (du gaulois Carantos).

3° D'autres fois, le prénom et le gentilice sont romains, et le surnom est gaulois : Cn. Pompeius Trogus (gaulois Trogus) ; — C. Valerius Caburus (gaulois Caburus). Ces personnages adoptent le prénom et le nom de leur bienfaiteur : ce sont des affranchis.

4. Enfin, il est des cas où le prénom seul est romain ; le gentilice et le surnom sont gaulois avec une terminaison latine : C. Comenius Bitutio ; — Q. Solimarius Bitus ; — L. Carantius Cinto ; — Sextus Nertomarius Nertonius.

Il est à peine besoin d'ajouter que les règles romaines de l'affranchissement étaient appliquées en Gaule comme dans toutes les provinces de l'empire et qu'un affranchi, gaulois ou germain, prenait vis-à-vis de son patron la dénomination de libertus nous l'avons constaté par la monnaie qui porte la légende : Germanus Indutilli libertus. Ce personnage n'a point de prénom ; d'ailleurs, il est l'affranchi d'un Gaulois ; mais d'après la règle romaine, constamment appliquée dans la région rhénane, le prénom et le nom de l'affranchi sont ceux de son patron ; il n'a en propre que son cognomen qui est généralement son ancien nom d'esclave, parfois avec une terminaison latine.

4. — Les fundi sous la domination romaine.

L'une des caractéristiques fondamentales de l'état social, chez les peuples sédentaires, c'est l'existence de la propriété foncière privée. Cette appropriation individuelle du sol n'existait, dans les tribus germaines, qu'à l'état d'exception et seulement chez quelques populations de l'Ouest, clientes des Romains, forcées, sous leur protectorat, de s'attacher à leur habitat. Au contraire, chez les Celtes et en Gaule, la propriété foncière, familiale, individuelle, héréditaire, était la règle universelle, longtemps avant la conquête romaine. Sans parler des villes et des bourgs, nous savons que les Gaulois possédaient, dans les campagnes, des exploitations rurales considérables et prospères, des biens de famille, auxquels César donne le nom d'ædificia. Il y en avait chez les populations de l'Est, les Séquanes, les Helvètes, les Médiomatrices, les Trévires, les Éburons, les Morins, les Ménapiens, aussi bien que chez les autres peuples de la Gaule Belgique, de la Gaule celtique, de la Province ou de l'Aquitaine.

Les Romains, conquérants de la Gaule, respectèrent-ils la propriété privée, comme le font, en général, les conquérants modernes ? A cette question délicate, d'Arbois de Jubainville répond négativement. Dans le droit romain, dit ce savant, c'était non seulement la souveraineté du pays qui passait aux mains du vainqueur, c'était aussi la propriété privée. Les individus étaient dépossédés. Le vainqueur partageait entre ses soldats les biens immobiliers des anciens propriétaires. Ceux-ci devenaient des esclaves au service des vainqueurs, parfois ils continuaient à faire valoir leurs terres, mais c'était comme tenanciers, comme délégués du vainqueur devenu le propriétaire.

Plusieurs savants ont réfuté cette doctrine et démontré qu'elle n'est certainement pas applicable à la Gaule[31]. Les Gaulois avaient appelé Jules César pour les défendre contre Arioviste qui, lui, s'était emparé d'une partie de leurs terres (agri) et les avait dépossédés ; mais on ne voit point que, débarrassés des Germains, ils n'aient fait que changer de maîtres et qu'ils aient été dépouillés par les Romains. Nulle plainte, nulle réclamation, sous ce rapport, ne s'est jamais produite en Gaule, et la Gaule romaine est partout remplie de Gaulois propriétaires. Sans doute, nous voyons que deux Allobroges, Raucillus et Egus, fils d'Abducillus, prince de la cité, reçoivent de César, en cadeau, des champs pris sur l'ennemi, en Gaule. Mais il y a loin de cette gratification personnelle à une loi générale. Il se peut que les individus dépossédés, dans l'espèce, aient mérité ce châtiment, pour crime de trahison ou tout autre motif. On nous dit bien aussi que, souvent, le vainqueur distribue des terres à ceux de ses fidèles envers lesquels il a des obligations, pour les récompenser de leur courage ou de leurs services. Mais il ne faut pas oublier que le domaine public en Gaule, l'ager publicus, les terres incultes et forestières, occupaient, au temps de César, les deux tiers de la surface du pays. Pendant des siècles, on va y installer des côlons barbares, sans pour cela déposséder les anciens habitants. Et puis, les confiscations individuelles et motivées de domaines, de maisons ou de champs ont existé dans tous les temps.

Mais si les Romains ont respecté la propriété privée chez les Gaulois, ils en ont modifié le régime, et cela pour une raison fiscale ; voilà pourquoi les Gaulois se sont élevés avec tant d'âpreté, se sont soulevés, même les armes à la main, contre l'impôt foncier qu'ils trouvaient trop lourd. Le cens fut réglé dès le règne d'Auguste, et pour l'établir avec équité, des arpenteurs (agrimensores) furent chargés de mesurer les propriétés cultivées dont le régime fut fixé de la manière suivante.

Dans les campagnes, les anciens ædificia gaulois furent appelés des fundi. Pour constituer un fundus, il fallait une certaine étendue de terre cultivée, appelée ager ; au centre du fundus, s'élevaient les bâtiments d'exploitation et la demeure du maître : ce fut la villa, ou pour les plus importantes, le prétoire ou château (prætorium). Autour de la villa, se construisirent les maisons plus humbles où habitaient les obœrati ou les colonicæ du maître, ses clients, ses esclaves, ses colons, qui se composaient de Gaulois et de Germains. C'est là l'origine d'un grand nombre des villages actuels de notre France.

Le propriétaire du fundus romain peut être un grand seigneur gaulois, comme au temps de l'indépendance. Il peut être aussi un nouveau venu, un noble germain gallicisé ; un Romain, amené par la conquête, qui s'installe sur un domaine de son choix avec tous ses gens, et qui recrute des esclaves chez les Germains. Le fundus prend le nom de son propriétaire, comme souvent encore nos fermes aujourd'hui. Aussi, l'étude des noms de ces fundi permet-elle de se rendre un compte exact de la façon dont les choses se sont passées, en particulier dans les pays rhénans, et d'affirmer, ici encore, que l'ancienne population gauloise des pays rhénans n'a jamais été dépossédée, pas plus par les conquérants romains que par les Germains envahisseurs et pillards ou quémandeurs de terres.

Qu'ils soient gaulois ou latins les noms de leurs villæ ou de leurs fundi ont été formés suivant deux procédés, ainsi que l'a clairement établi d'Arbois de Jubainville : par composition ou par dérivation.

Le procédé par composition était déjà employé à l'époque gauloise, comme l'indiquent les noms suivants qu'on a conservés à l'époque romaine : Argantomagus, champ d'Argantos, Artomagus, Carantomagus, Donnomagus, Eburomagus, Caturigomagus. On a, de même, formé avec des noms romains : Juliomagus, champ de Julius, Claudiomagus, Germanicomagus, Marcomanus, etc.

Au lieu du mot magus qui signifie champ, on a fait entrer, dans les noms de propriétés, d'autres éléments gaulois, par exemple dunum et durum, forteresse, et briga, château (?) : Albiodurum, Cultiodunum, 'Eburobriga, forteresse d'Albius, forteresse de Cultius, château (?) d'Eburus.

On a aussi constitué des noms de fundi avec la terminaison gauloise -ac qui indique l'appartenance, la propriété, et qu'on a latinisée en -acus. Ainsi Juliacus, propriété de Julius, Latiniacus, Sabiniacus, Martiniacus, Pauliacus, Floriacus, villa ou domaine d'un Latinus, Sabinus, Martinus, Paulus, Florus. Le nom auquel le suffixe ac ou acus a été adjoint, est indifféremment gaulois ou latin.

En souvenir de Jules César et d'Auguste, le gentilice ou nom de famille romain Julius a été adopté par de très nombreux habitants des pays rhénans, et il a servi à former, là aussi, des noms de lieux habités, tout autant, au moins, que dans le reste de la Gaule. Si nous avons, sur ce gentilice, une quantité de communes, telles que Juillac, Juillé, Juilly, Jully, etc., qui viennent de Juliacus ; Juillan, Julhans, etc., qui viennent de la variante Julianus, il s'en trouve tout autant dans la Prusse rhénane : par exemple, Juliers (Jülich), à l'époque romaine Juliacus. C'était primitivement un fundus constitué par un individu, peut-être un Germain se romanisant, entrant dans la civilisation gallo-romaine, qui a pris le nom de Julius. Cet individu inconnu, conjecture d'Arbois de Jubainville, était peut-être un de ces Ubiens qu'Agrippa, en l'an 39, fit passer de la rive droite du Rhin sur la rive gauche, et auxquels il octroya la permission de créer une exploitation agricole aux environs de la colonia Agrippina[32]. Ce pouvait être aussi un vétéran des légions romaines, ou un Gaulois. Dans tous les cas, les seules inscriptions de Cologne nous donnent jusqu'à douze fois le gentilice Julius, porté par des hommes du pays, qui ont romanisé leur nom ou celui de leur fundus, tant ils étaient avides d'entrer dans l'état social gallo-romain et de s'y faire constituer, pour ainsi dire, un état civil. Pour eux, c'était sortir de la condition servile et s'égaler aux Gallo-Romains.

Les suffixes gaulois aces, magus et autres, entrent en concurrence dans la formation des noms des fundi, avec les suffixes purement romains, comme ius, anus, enus ou ennus, le diminutif iolus ou d'autres :

On a le fundus Geminiacus, sur la route de Tongres à Boulogne, formé sur le gentilice Geminius[33] ; — Tiberianus, nom d'une station romaine près de Cologne, dérivé de Tiberius, prénom romain employé quelquefois comme gentilice[34] ; — Ricciacus, station voisine de Trêves, dérivé de Riccius[35] ; — la ville de Mattiacum, sur la rive droite du Rhin, dont le nom est dérivé du gentilice Mattius[36] ; — Antunnacus (Andernach), dérivé probablement d'un surnom à forme romanisée Antunnus[37].

Citons encore, en pays rhénan, avec d'autres suffixes : Acilianus, d'Acilius ; Æmilianus, d'Æmilius ; Afranianus, d'Afranius ; Vibianus, de Vibius, etc.

Concluons : l'étude des noms de personnes, comme celle des noms de localités, l'onomastique tout entière, tant pour l'époque préromaine que pour la période de l'empire, atteste qu'il n'y a aucune différence d'organisation sociale entre les deux provinces romaines de Germanie et le reste de la Gaule. Les noms y sont gaulois, puis gallo-romains ou romains, comme sur les bords de la Seine, de la Garonne ou dei Rhône. Toutes les observations sous ce point de vue, comme sous tous les autres, tendent à établir d'une manière positive que, dans les pays rhénans, l'élément germanique a été totalement écarté et qu'il n'a eu aucune influence sociale, tant que les armées gallo-romaines purent garder la frontière du Rhin.

Si les invasions répétées lui ont donné, comme c'est possible, numériquement, une place prépondérante, il n'a eu une part que dans le colonat, la domesticité ou l'esclavage. Le rôle social, la direction de la société, dans ces pays, n'a cessé d'appartenir aux Gallo-Romains et n'a jamais passé, durant l'antiquité, aux mains des Germains.

Les Gallo-Romains sont restés les propriétaires du sol en immense majorité ; les Germains sont des colons, des ouvriers agricoles, de pauvres paysans travaillant pour leurs maîtres Gallo-Romains. Il n'y a d'exceptions que pour les Germains d'un rang supérieur, parfois même élevés à Rome ou ayant conquis un grade dans les armées de l'empire : ceux-là seuls étaient susceptibles de s'adapter à la culture gallo-romaine ; ils l'ont recherchée jusqu'au point d'abandonner leurs noms, pour prendre des noms romains ou gallo-romains. Ils ont, autant qu'ils le purent, répudié tout ce qu'ils pouvaient avoir de barbare, de germanique ; ils ont finalement grossi les rangs des Gallo-Romains et ont été un élément important dans la formation de notre race.

 

 

 



[1] ERN. DESJARDINS, Géographie de la Gaule romaine, t. III, p. 403.

[2] MOMMSEN, Histoire romaine, t. IX, p. 151 (Supplément, trad. Cagnat et Toutain).

[3] FLAVIUS JOSÈPHE, Bellum Judaicum, II, 16, 4.

[4] MOMMSEN, Histoire romaine, t. IX, p. 185.

[5] MOMMSEN, Histoire romaine, t. IX, p. 182.

[6] CÉSAR, Bell. Gall., III, I7.

[7] TACITE, Germ., 4.

[8] TERTULLIEN, De velandis virginibus.

[9] PLINE, Hist. nat., IV, 28.

[10] CÉSAR, Bell. Gall., I, 31.

[11] TACITE, Annales, I, 60 ; cf. FUSTEL DE COULANGES, Histoire des Institutions, t. II, p. 313.

[12] TACITE, Germ., 33.

[13] GRÉGOIRE DE TOURS, Hist. Franc., II, 2 ; FUSTEL DE COULANGES, Histoire des Institutions, t. II, p. 309.

[14] CÉSAR, Bell. Gall., I, 47.

[15] CÉSAR, Bell. Gall., VI, 14.

[16] LAMPRIDE, Sev. Alex., 59.

[17] S. HIERON, Comment. in Epist. ad Galatas, II, prol., c, 3 ; C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. II, p. 369.

[18] TACITE, Germ., 43.

[19] Malgré l'opinion de nombreux savants contemporains qui, au nom de la linguistique, font honneur aux populations ligures de la religion et de l'onomastique primitives de l'Europe centrale et occidentale, nous continuons ici à employer les termes de Celtes et de Celtique. On ne sait rien des Ligures et voilà qu'on leur donne tout. La tradition antique est, au contraire, unanime à attribuer à la race celtique un rôle si considérable qu'il est bien difficile de n'en plus tenir compte. Le moyen de tout concilier est peut-être de considérer, comme nous l'avons fait, les Ligures comme des Proto-Celtes et de penser que les Anciens les ont souvent englobés dans la race celtique.

[20] C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. II, p. 368 et suivantes.

[21] Il est possible que le mot argentum soit à la base de tous ces noms et se rapporte originairement à une exploitation de mine d'argent. Cf. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. I, p. 77, note 2.

[22] C. JULLIAN, Revue des Études anciennes, t. III, juillet-sept. 1901, pp. 211-212.

[23] C. JULLIAN, Revue des Études anciennes, t. VIII, janvier-mars 1906, p. 48, note 3.

[24] Tous ces noms figurent sur la table de Peutinger, route de la rive gauche du Rhin (segm. I, A. B. C., 1, et II, A, B, C1, 1) et la plupart d'entre eux sont aussi sur l'Itinéraire d'Antonin et sur le milliaire de Tongres.

[25] D’ARBOIS DE JUBAINVILLE, Recherches sur l'origine de la propriété foncière, p. 129 ; C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. II, p. 402.

[26] E. BABELON, le Trésor d'argenterie de Berthouville, p. 137.

[27] A. GRENIER, Habitations gauloises et villas latines, p. 91.

[28] FUSTEL DE COULANGES, Histoire des Institutions, t. I, p. 100.

[29] TACITE, Hist., V, 22.

[30] D’ARBOIS DE JUBAINVILLE, Recherches sur l'origine de la propriété foncière, p. 130.

[31] C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. II, p. 71.

[32] H. D’ARBOIS DE JUBAINVILLE, Recherches sur l'origine de la propriété foncière, p. 141.

[33] D’ARBOIS, p. 159.

[34] D’ARBOIS, p. 159.

[35] D’ARBOIS, p. 160.

[36] D’ARBOIS, p. 161.

[37] D’ARBOIS, p. 172.