LE RHIN DANS L'HISTOIRE

L'ANTIQUITÉ : GAULOIS ET GERMAINS

 

CHAPITRE III. — LA GAULE AVANT CÉSAR.

 

 

I

ÉTAT PHYSIQUE DE LA GAULE DE L'EST AVANT LA DOMINATION ROMAINE.

 

Par son aspect physique, la douceur et l'égalité de son climat, sa fertilité naturelle si variée, la Gaule exerçait une irrésistible attirance sur les tribus de migrateurs qui, au sortir de la steppe, ne s'étaient cantonnées dans la forestière et marécageuse Germanie qu'avec l'idée de n'y point demeurer. Celles-là mêmes qui s'attardèrent le plus longtemps — séculairement sur le sol germain ne s'y attachèrent jamais.

Le Rhin une fois franchi, soit par la Suisse, soit par les passes relativement faciles que le cours du fleuve présente au confluent des rivières, les envahisseurs, venus avec armes et bagages, familles et troupeaux, se trouvaient transplantés dans une contrée gaiement ouverte. Sauf dans la région du nord-est, c'étaient, de toutes parts, des collines qui jalonnent des vallées aux riantes prairies où serpentent des rivières et des fleuves, guides assurés du migrateur. Les rares montagnes d'accès difficile qu'on rencontre peuvent être tournées en quelques jours de marche.

La Gaule offrait même aux immigrants l'avantage de ne pas former un trop brusque contraste avec le pays qu'ils quittaient, car ses champs en culture et ses prés humides, encore marécageux par places, étaient encadrés de belles forêts, la couronne empanachée de ses montagnes et de ses coteaux.

César, Pline, Strabon parlent avec admiration des forêts de la Gaule qui couvraient presque les deux tiers de sa superficie[1]. Nombreux sont les naturalistes qui ont essayé de reconstituer la vie antique de nos bois où pullulait toute une faune qui a disparu quand les espaces sylvestres ont été sillonnés de routes ou conquis par l'agriculture[2]. Les Gaulois aimaient la verdure nuancée de leurs forêts de sapins, de chênes, de hêtres, charmes, de bouleaux et ils rendaient à leurs rouvres géants sur lesquelles le gui greffait ses racines, un culte entretenu par les Druides. Comme en Germanie, les arbres foudroyés y étaient les images des dieux. La mousse même, dit Lucain, qui recouvre ces troncs pourris prend des formes qui inspirent l'épouvante. Le prêtre pâlit auprès du sanctuaire et craint de surprendre le dieu de la forêt :

... Pavet ipse sacerdos

Accessus, dominumque limer deprehendere loci.

(LUCAIN, Pharsale, III, 399 et s.).

Le pète décrit ici la forêt voisine de Marseille. A l'autre extrémité du pays, dans la Gaule Belgique, c'était la forêt d'Ardenne, l'immense et sombre écharpe dont les franges s'étalaient indiscontinues, en ramifications nuancées, montagneuses, entrecoupées de prairies, de marécages et de champs de blé. Le Rhin seul, vers le confluent de la Moselle, la séparait des forêts de la Hesse, de la -Westphalie et de la Thuringe. Du côté de la Gaule, elle bordait les plaines nues de la Champagne, tandis qu'au nord, continuée par la forêt Charbonnière dans la Hesbaye, le Hainaut, la Picardie, elle se prolongeait en broussailles épineuses et rabougries, en flaques paludéennes disséminées dans la plaine, jusqu'à l'Océan et au cours de la Somme, rappelant par places l'ingrate Germanie.

La forêt des Ardennes, dit Jules César, est la plus grande de toute la Gaule ; elle s'étend depuis les bords du Rhin et le pays des Trévires jusqu'à celui des Nerviens, et elle embrasse dans sa longueur un espace de plus de cinq cent milles, c'est-à-dire une longueur de 740 kilomètres[3]. Le nœud de cette immense forêt était le massif montagneux du Luxembourg ; mais la Grünewald actuelle ne dépasse pas 2.600 hectares et les forêts de Soignes, de Vicogne, de Fagne, de Mormal, de Sirault, débris de la Charbonnière, sont loin d'avoir chacune cette étendue ; quant aux crêtes boisées de l'Eifel, du Hunsrück, du Hochwald, de l'Argonne ou des côtes de Meuse, elles ne sont, au point de vue forestier, que de pauvres débris de leur grandiose développement d'autrefois.

Le déboisage commencé sous les Romains, dès le temps même de Jules César, s'est continué au moyen âge ; mais la forêt était encore imposante au XVIIe siècle. Le cordelier voyageur André Thevet en fait la description suivante :

La forest d'Ardenne ayant une grande estendue, va depuis Trèves du Rhin avant, jusqu'aux limites de Trèves du côté des Nerviens (qui est le comté de Hainaut et Artois), contenant plus de cent lieues de longueur. Quant à cette large forest tant célébrée, c'est peu de chose aujourd'hui qu'il n'y a seigneur y prétendant droit qui ne la fasse abattre et démolir, pour en tirer du profit. Jadis, elle embrassait les pays de Hainaut, Luxembourg, Bouillon, Bar, Lorraine, Limbourg, Metz, Namur, Mayence, Coblence et Cologne, voire encore à elle, soubz soy, la plupart du pays de Liége, tirant à l'ouest... Et vers les Belges, l'extrémité de ceste forest cst prise aux rivières de Meuse et de l'Escaut ; car, quant à la Moselle, du côté de l'est, elle est encore ombragée de cette forest de la part de Trèves[4].

De toutes les forêts de la Gaule, l'Ardenne est celle qui a le plus impressionné l'imagination populaire, par son étendue, ses rochers, ses bêtes et ses oiseaux rares, ses beaux arbres, les battues et les chasses héroïques dont elle fut constamment le domaine. Aussi a-t-elle donné lieu à une foule de légendes populaires. Elle tient une place prépondérante dans les contes de fées, les histoires de brigands et de chasses aux fauves dangereux.

Les rois mérovingiens, Charlemagne, les barons féodaux, les grands seigneurs des derniers siècles y accomplirent maints exploits cynégétiques contre l'auroch, le bison, l'élan, le cerf, l'ours et le sanglier, — le sanglier surtout dont l'image est si fréquente sur les monnaies des Gaulois de l'Est. Dans la Chanson de Roland, Charlemagne résidait à Aix-la-Chapelle lorsqu'il eut un songe dans lequel il vit un ours et un léopard sortir de la forêt des Ardennes, bondir sur lui et le mordre avec fureur ; l'empereur ne fut délivré que par ses chiens : ce songe fut considéré comme l'indice avant-coureur de grands et rudes combats. C'est dans les profondeurs des futaies de l'Ardenne que se place la légende de saint Hubert, le grand patron des chasseurs.

Dès l'arrivée de César dans la Gaule Belgique la forêt inaugure historiquement sa célébrité par le rôle qu'elle joue dans la résistance des peuples du nord à la domination romaine. A diverses reprises, César raconte les difficultés qu'il éprouve pour atteindre les Aduatiques, les Ménapiens, les Morins et les Nerviens qui, à l'approche des légions, disparaissent au fond des bois et n'attaquent que par surprise. César dut renoncer momentanément à la conquête du pays. Les habitants se ménageaient d'inaccessibles retraites au milieu de labyrinthes et de marécages boisés, en entrelaçant les épines et autres arbrisseaux rampants dont les fourrés étaient impénétrables[5]. Les fils de fer barbelés qui gardent les tranchées dans la guerre actuelle, ne sont pas plus difficiles à franchir, avec les armes modernes, que ne pouvaient l'être les refuges fortifiés par des levés de terre, environnés de boues gluantes et d'un réseau de ronces, d'épines et de houx, pour les soldats romains armés de l'épée et du javelot.

Les bois qui bordent encore aujourd'hui les bords de la Meurthe formaient le trait d'union entre l'Ardenne et les Vosges. La Hardt palatine, la forêt Sainte de Haguenau, le Bienwald au nord de la Lauter, la forêt de Dabo, ne sont également que les misérables débris de l'immense réseau forestier qui prolongeait l'Ardenne jusqu'en Alsace et chez les Leuques et les Lingons. La Hart alsacienne se rattachait aux Vosges, aux forêts des Rauraques et au Jura ; plus loin, aux montagnes des Helvètes et des Allobroges. En regard de l'Ardenne, les Vosges plus altières étendaient leur immense rideau de chênes, de sapins, de hêtres, de châtaigniers, étagés depuis la croupe gazonnée des ballons jusqu'au fond des ravins où dévalent aujourd'hui encore schlitteurs et bûcherons. La forêt vosgienne allongeait ses tentacules jusqu'au plateau de Langres, englobant non seulement la haute Moselle, mais les sources de la Meuse, de la Saône et de la Marne.

Mais si les Anciens sont remplis d'émotion à la vue des belles forêts de la Gaule, ils ne tarissent pas d'éloges sur ses coteaux cultivés, ses champs de céréales, ses prairies, ses vignobles. Qu'est-il besoin d'insister sous ce rapport ? La Gaule, dit Strabon, a un sol particulièrement favorable à la production des céréales et des pâturages : Nulle terre, ajoute-t-il, n'y est oisive, hormis celles que couvrent les bois et les marais ; mais il lui faut des bras nombreux pour la rendre féconde...

Ces bras, ce sont les invasions venues de Germanie qui vont les lui procurer inlassablement durant des siècles.

 

II

LES MIGRATIONS EN GAULE AVANT JULES CÉSAR. - LIGURES ET CELTES. - L'EMPIRE ARVERNE. - LES CIMBRES ET LES TEUTONS.

 

En Gaule comme en Germanie, avant l'histoire écrite, le troglodyte, puis l'homme de l'âge de pierre, races fermées et peu perfectibles, se sont éteintes, submergées par les invasions qui ont amené d'autres races plus solidement trempées et mieux armées ; ainsi disparurent également, dans les contrées helléniques, les Pélasges et, en Italie, les Aborigènes. Sans doute, l'élite de ces sociétés primitives qui ont laissé, surtout dans les cavernes de la Gaule, tant de vestiges de leur activité industrieuse et de leur lutte pour l'existence, a réussi, dans une large mesure, à se mélanger avec les nouveaux arrivants et à s'élever jusqu'à leur niveau social ; cette première couche d'habitants a été en partie absorbée et asservie, constituant ainsi, par ce contact fécond de sa race avec d'autres d'une sève plus vigoureuse, la chaîne ininterrompue qui donne à l'espèce humaine son unité physiologique.

Dès l'époque de l'âge du fer, l'anthropologie constate sur notre sol un métissage de races aussi compliqué que de nos jours[6]. Puis, à l'aurore de l'histoire, les données de la linguistique et les fugitives traditions recueillies par les auteurs grecs et latins signalent, comme venus du dehors pour se fixer en Gaule et se superposer aux populations autochtones, d'abord les Ligures, au moins 2.000 ans avant notre ère. Les Ligures étaient des Indo-Européens ; ils sont peut-être les hommes du premier âge de bronze ; étaient-ils des Celtes ? ils formaient, en tout cas, l'avant-garde des invasions celtiques. Quand l'historien parvient à les saisir en toute sûreté de critique, ils achèvent leur rôle ethnique ; après avoir couvert l'Europe occidentale jusqu'au Rhin, on les voit reculer sous la pression des Celtes ou de nouveaux bans de peuples celtes, vers les régions méridionales ; plus tard, les Goths, les Burgondes, les Lombards ou les Suèves, fuiront pareillement devant d'autres Germains. Les Ligures étaient parvenus à une culture développée qu'ils devaient sans doute à leurs rapports avec les Étrusques et les navigateurs phéniciens et grecs. Vers l'an 600, lorsque les Phocéens vinrent fonder Marseille, la tribu ligure des Ségobriges fit, de bonne grâce, une place sur la côte aux colons grecs : tout de suite, dans la légende, l'accord politique et la fusion des races se trouvent symbolisés par le mariage de la fille du roi ligure Nann, avec Protis, le chef des Phocéens : le berceau de Carthage est auréolé d'une fable analogue qui symbolise la race mixte libyco-punique.

Pour atteindre la Gaule, les Ligures avaient-ils franchi le Rhin, le Danube ou les Alpes ? Il y a sur leur compte autant de conjectures que d'historiens. Non seulement les témoignages recueillis par Strabon, Diodore, Scylax, Aviénus sont loin de s'accorder, mais dans quelle mesure pouvons-nous reporter aux Ligures des temps primitifs ce qu'ils racontent des Ligures de l'époque romaine ?

Si l'on ne sait d'où venaient les Ligures et s'il est seulement probable qu'ils arrivèrent en Gaule et en Italie par le Danube et les Alpes, on est, en revanche, un peu mieux fixé sur l'origine des Celtes qui entrèrent en conflit avec eux et auxquels ils durent faire une place en Gaule. Marseille était fondée depuis peu lorsqu'un nouvel et immense cortège de tribus celtiques sortit des brumes de la Germanie du Nord et se mit en mouvement vers l'Occident ; leurs guerriers, armés de l'épée de fer et du javelot (gaesum), le cou orné du torques, marchaient au son de la carnyx dont le pavillon recourbé affectait la forme d'une gueule de monstre. Les plus hardies de ces tribus, celles qui franchirent le Rhin, devaient former bientôt le noyau de la nation gauloise. A leur tête, figuraient les Bituriges, les Carnutes, les Éduens, les Arvernes, les Lingons, les Aulerques, les Am-barres, les Senons[7]. Un autre ban de tribus celtiques demeuré en arrière, se dirigea, par les routes de l'ambre, vers le sud de la Germanie, en Bohême et en Bavière et couvrit les vallées et les plaines du moyen Danube ; d'autres poussèrent plus loin encore vers le sud et les contrées helléniques.

Des Celtes séjournèrent un temps assez long dans la Germanie du Nord, bien avant qu'y parussent les premiers Germains. Et même, leurs exodes successifs pour la Gaule, n'entraînèrent pas, d'une manière absolue, tous les Celtes de Germanie, car on signale ultérieurement, même sous l'empire romain, des groupes de populations celtiques dans la Germanie septentrionale : témoins, les Lemovii des bords de la mer Baltique, qui ne sont probablement qu'un rameau des Lemovices de notre Limousin ; les Vénèdes des bords de la Vistule, qui sans doute, sont apparentés aux Vénètes de Vannes ; rappelons aussi les stations à noms celtiques de la route de l'ambre et la langue celtique de quelques tribus de Germanie à l'époque romaine. Il resta donc, dans l'Allemagne du nord., divers rameaux des nations qui vinrent peupler la Gaule. Ils furent subjugués par les Germains dès que les premières tribus de ces demi-nomades arrivèrent de l'Est, à leur tour.

En Gaule, le flot celtique mit fin à la domination des Ligures qui conservèrent toutefois la maîtrise dans la basse vallée du Rhône et les Alpes italiennes ; les Ibères se concentrèrent dans l'Aquitaine.

Tels sont les éléments ethniques primordiaux qui vont former la race gauloise, les premiers épisodes des invasions qui renouvelleront sans cesse notre sang, en se perpétuant de siècle en siècle. Déjà, on vient de le constater, dans cette période proto-historique, l'apport humain le plus considérable nous est arrivé par la Germanie, c'est-à-dire par le Rhin. Les tribus celtiques accourues pour se partager notre sol, se trouvèrent si nombreuses qu'il y eut, en quelque sorte, un trop-plein pour les espaces disponibles en dehors des forêts ; plusieurs d'entre elles, essaimèrent, comme elles l'avaient fait déjà de Germanie ; poussées par leur instinct atavique et traditionnel de déplacement et d'instabilité, on en vit traverser les Pyrénées et les Alpes, pour aller créer, par un fécond mélange, les races Celto-Ibère (Celtibère) en Espagne et Gallo-Italique dans les régions circumpadanes.

Lorsque, dans la seconde moitié du ive siècle avant notre ère, l'armateur marseillais Pythéas accomplit son étonnant voyage de circumnavigation qui, par le détroit de Gibraltar, le conduisit dans la mer du Nord jusqu'aux bouches de l'Elbe, on lui raconta que ce fleuve marquait les limites de la Celtique et de la Scythie[8]. Le nom de Germanie n'existait pas encore. Sous l'appellation de Celtique, les Grecs d'alors englobaient vaguement toutes les populations du nord-ouest de l'Europe, comme ils groupaient sous le nom de Scythes, d'Indiens et d'Éthiopiens les races diverses répandues dans les profondeurs mystérieuses du Nord hyperboréen, de l'Asie ou de l'Afrique. Les Anciens avant César étaient fort peu renseignés sur la Gaule et sur l'ensemble des pays où prédominait la race celtique. Polybe n'en veut point traiter parce que ce sont des terres inconnues : Ceux qui parlent de ces régions, ajoute-t-il, n'en savent pas plus que nous, nous le déclarons hautement ; ils ne font que débiter des fables.

Que savons-nous, nous-mêmes, des origines celtiques ? Il faut reconnaître qu'en dehors des souvenirs relatifs à leurs migrations et à leurs invasions en Gaule et en Italie, les découvertes de la science moderne, nous en apprennent bien peu de chose. Des dieux Celtes nous ignorons à peu près tout ; à l'époque ancienne, nous ne connaissons que les assimilations, sans doute superficielles, que nous en ont rapportées les écrivains grecs et latins ; à l'époque gallo-romaine, quelques surnoms celtiques de divinités locales nous font entrevoir un panthéon gaulois très différent de celui dont les conteurs de l'antiquité nous avaient donné l'idée[9].

Toutefois, la linguistique démontre que Ligures et Celtes constituèrent, dans la plus grande partie de l'Europe centrale et occidentale, le noyau de la population sédentaire. C'est seulement ainsi qu'on explique que, partout, ils aient donné des noms à une foule de lieux-dits, aux rivières, aux montagnes qui, baptisés par eux, gardèrent leurs noms celtiques jusqu'à nos jours. Maîtres des routes commerciales, ils les jalonnèrent de stations fortifiées, où les caravanes des trafiquants trouvaient un refuge, des vivres et des entrepôts assurés. Nous avons cité les noms celtiques de plusieurs des stations de la route de l'ambre ; il en est un grand nombre d'autres : Hambourg, Ratisbonne, Carnuntum, capitale de la Pannonie, Vienne, Belgrade, Cracovie, eurent des noms celtiques, furent donc fondées par des Celtes. En Gaule et dans les autres régions de l'Europe centrale et occidentale on retrouve les mêmes vocables d'origine celtique. Empruntons quelques exemples à d'Arbois de Jubainville et à Camille Jullian

Isara est le nom antique de trois rivières : l'Isère (Dauphiné), l'Oise, affluent de la Seine, l'Isar, en Bavière[10]. Les termes Durius et Duria ont formé les noms des Doires italiennes ; du Douro portugais ; de la Duria, affluent du Danube en Moravie ; de la Thur, nom de deux affluents du Rhin ; de la Dee, à Aberdeen en Écosse[11]. Vesuna est le nom d'une source divinisée, à la fois dans le Périgord, dans les Ardennes et chez des populations italiotes[12]. Le nom de l'Aube, Albis, affluent de la Seine, est le même que celui de l'Elbe germanique (Albis) et que le nom primitif du Tibre (Albula)[13]. Tout à l'heure nous avons cité le nom du Rhin (Renos) en Italie et en Irlande. Les linguistes énumèrent des centaines de rapprochements analogues.

Non seulement il parait bien démontré que le commerce avec la mer Baltique était aux mains des Celtes comme celui de la vallée du Danube, mais il y a plus : d'après la tradition historique, il y eut un empire celtique immensément étendu, soit qu'il fût partagé politiquement en plusieurs États, soit qu'il eût été, durant quelque temps au moins, concentré dans les mains d'un seul chef. Les souvenirs relatifs à Ambigat sont favorables à cette dernière hypothèse. D'après Tite-Live, ce roi de la Celtique hérita, au début du IVe siècle, d'un vaste empire qu'il augmenta encore ; la Gaule centrale en fut le foyer[14].

Il s'étendait, dit la tradition, depuis la Thrace jusqu'à la mer du Nord, depuis la Bohême et la Germanie du sud jusqu'à l'océan Atlantique, depuis les bouches du Pô et les Apennins jusqu'aux Pyrénées. Après tout, Attila, Gengis-Khan, Tamerlan, dans des contrées différentes, constituèrent des empires non moins grands, aussi incohérents et démesurés. Mais comme ces empires éphémères, celui d'Ambigat ne survécut pas à son fondateur ; il fut vite démembré. Ses neveux, Bellovèse et Sigovèse, conduisirent le long du Danube et en Italie les tribus celtiques les plus avides de mouvement ou les plus affamées[15].

Seules, les populations déjà sédentaires de la Gaule demeurèrent attachées aux descendants d'Ambigat, groupées en une fédération qui reconnut la suzeraineté des Arvernes. L'empire arverne fut un premier empire gaulois unifié, qui s'étendait du Rhin à la Méditerranée. Les Arvernes, dit Strabon, ont étendu leur domination jusqu'à Narbonne et jusqu'aux frontières des Marseillais ; ils ont aussi été les maîtres jusqu'aux nations des Pyrénées et jusqu'au Rhin.

Ils dominaient encore avec éclat lorsqu'Asdrubal, traversant le midi de la Gaule pour aller secourir son frère Annibal aux prises avec les Romains, après la bataille de Cannes (216 av. J.-C.), eut à demander passage aux peuples gaulois du sud, clients des Arvernes. Ceux-ci favorisèrent l'entreprise du Carthaginois et lui donnèrent même un corps d'armée.

Parmi les descendants d'Ambigat, figurent les fastueux rois des Arvernes que les chants des bardes firent entrer dans la légende nationale des Gaulois : Luern qui, du haut de son char, jetait l'or à poignées dans les rangs du peuple qui l'acclamait ; Bituit, qui combattait sur un char d'argent, entouré de redoutables chiens de guerre ; Celtil, le père de Vercingétorix. Le souvenir de l'impérialisme aryenne se réveilla lorsque Vercingétorix entreprit de sauver l'indépendance gauloise.

Ce que raconte Polybe[16] des Gaulois installés depuis peu en Italie, donne une exacte idée de l'état social des tribus celtiques citées plus haut, lorsqu'elles franchirent le Rhin pour élire domicile dans les régions centrales de la Gaule : alors, elles étaient encore dans le stade germanique de leur évolution. Écoutez plutôt : les Gaulois de la Cisalpine n'ont point de villes, mais seulement des villages ouverts et sans murailles. Ils ignorent les industries, les arts et le confort de l'existence des civilisés. Leur vie est purement agreste et vagabonde ; ils ne pratiquent que la guerre, la chasse et quelque peu le travail de la terre. Leurs richesses consistent en or et en troupeaux ; ils se déplacent comme des pasteurs ou des demi-nomades, pour aller s'installer dans des lieux qu'ils jugent plus favorables. Ils ne connaissent pas la propriété privée immobilière ; leur organisation sociale est purement patriarcale ; la tribu se subdivise en dans et chaque clan comprend un certain nombre de familles. Après le combat, leurs guerriers ont l'habitude de suspendre au poitrail ou à la selle de leurs chevaux les têtes des ennemis qu'ils ont tués.

Ainsi, pendant quelque temps encore après leur installation en Italie, les Gaulois cisalpins ont les mœurs de l'habitat germanique. Ce que nous savons d'eux par Polybe ressemble à ce que Tacite dira des Germains, vers la fin du Ier siècle de notre ère ; leur passage en Gaule avait été trop rapide pour transformer leur état social.

Au contraire, les portions de ces mêmes tribus qui n'émigrèrent point et préférèrent se fixer à demeure au cœur de la Gaule, offrent avec les Gaulois cisalpins, leurs frères, un frappant contraste. Elles adoucirent rapidement leurs mœurs sous l'action de l'habitat définitif qu'elles s'étaient choisi. Ce fut le Paradis, mais il fallut le gagner par un travail approprié. Impossible, désormais, de vivre exclusivement du produit de la chasse, de la pêche, de la cueillette dans les bois. Il faut cultiver le sol, ensemencer et récolter. Le travail de la terre engendre naturellement la vie sédentaire, parce que l'individu qui a labouré un champ tient à jouir lui-même des fruits de son travail. L'état sédentaire conduit l'homme à se bâtir une demeure fixe, en rapport avec les conditions climatériques ; d'où, la propriété familiale, puis individuelle.

Voilà pourquoi les tribus celtiques qui franchirent le Rhin les premières, atteignirent, les premières aussi, à une civilisation développée. Elles étaient arrivées en Gaule dans le même état rudimentaire que celles d'entre elles qui passèrent en Italie. Ce n'est donc point à quelque aptitude spéciale, imputable à leur intelligence, à leur origine ethnique, à leur race, que ces peuples durent de progresser plus rapidement que d'autres. Le principe de leur avancement réside dans la stabilité plus ancienne de leur habitat en Gaule : la race gauloise. se façonne sur place.

Bituriges, Carnutes, Éduens, Arvernes, Lingons, Aulerques, Ambarres, Senons et quelques autres, sont désormais à la tête de la civilisation gauloise par leur organisation sociale, leurs institutions, leur industrie, leur commerce extérieur ; on donne le nom spécial de Celtique à la partie de la Gaule où ils se fixèrent. C'est avec eux que les Romains s'entendront le mieux pour lutter contre la barbarie transrhénane.

Vers l'an 300, au temps où les généraux d'Alexandre se disputaient les lambeaux de son empire, la Germanie déversa sur le nord de la Gaule un flot nouveau de tribus celtiques : c'étaient les Gallo-Belges qui, franchissant le Rhin, à leur tour, se développèrent dans les vallées de la Meuse et de la Moselle, autour de la forêt des Ardennes, couvrant bientôt les rives de la Somme, de l'Oise, de l'Aisne ; ils descendirent la Seine jusqu'à l'Océan. Les plus puissants d'entre eux étaient les Suessions (Soissons), les Bellovaques (Beauvais), les Rèmes (Reims), les Calètes (Calais), les Mediomatrices (Metz), les Leuques (Toul)[17]. Venus plusieurs siècles après ceux de tout à l'heure, ce groupe est encore, lorsque César parait, dans un état social peu avancé, semi-germanique ; leur habitat nouveau ne les a que lentement transformés parce qu'il était en partie, somme toute, assez voisin de celui de la forêt germaine.

Néanmoins, ce premier ban de tribus belges, — on le constate par leurs institutions et leur attitude politique, — se façonne à la culture gauloise et tient par-dessus tout à s'agréger à la fédération des peuples de la Celtique ; n'ont-elles pas, elles aussi, leur Lugdunum (Leyde) comme les Celtes de la Silésie et ceux du confluent de la Saône et du Rhône ? Plus tard, elles font place, elles-mêmes, le long du Rhin inférieur, de la Meuse et de l'Escaut, à de nouvelles tribus, les Morins, les Ménapiens, les Nerviens, les Éburons qui, en raison des forêts et des tourbières du pays, sont plus étroitement isolées et demeurent plus longtemps dans la barbarie native.

L'hégémonie des Arvernes sur les peuples gaulois cessa d'être respectée par les plus importants d'entre eux, dès le début du IIe siècle avant notre ère. Contre les Arvernes un parti se forma qui entreprit de leur enlever la suprématie pour la transférer aux Éduens (Autun). Ces déplorables luttes intestines pour la prédominance devaient être fatales aux peuples de la Gaule ; elles les condamnèrent à l'impuissance en face des nouvelles invasions germaniques ; elles eurent pour conséquence l'asservissement de la Gaule tout entière aux Romains.

A peine ceux-ci eurent-ils fondé la Province romaine qu'ils songèrent à se venger des Arvernes, les anciens alliés d'Asdrubal. De là, leur traité d'hospitalité et d'amitié avec les Éduens, suivi de la campagne des consuls Fabius et Domitius, en 121 avant J.-C., contre le roi des Arvernes Bituit, et le double désastre de celui-ci sur les bords du Rhône. L'empire arverne fut frappé d'un coup dont il ne se releva jamais.

Les Romains en auraient peut-être poursuivi l'anéantissement dès cette époque, sans la grande invasion des Cimbres et des Teutons. Les historiens nous présentent les envahisseurs comme les hordes de Sigovèse, d'Arioviste, d'Attila ou de Tamerlan. C'était un ramassis de tribus nomades et de pillards, parties les unes des froides régions de la Baltique, les autres de la Scythie, ou peut-être aussi des Tartares venus sans arrêt, des steppes asiatiques. Les Barbares s'avancent sur les grandes pistes forestières suivies séculairement par les invasions ou les caravanes de marchands, qui les mènent en Gaule par le Rhin, en Italie par le Danube et les cols des Alpes orientales.

Forcés de se déplacer presque chaque jour pour trouver de quoi manger, ils vont sans savoir où : guerriers à cheval, sorciers, femmes et enfants dans des chariots. C'est une traînée sans fin de plus d'un million d'êtres humains, dit-on, entourée, protégée, précédée de 300.000 hommes armés et féroces[18]. Partagés en groupes divers, pour ne pas s'affamer mutuellement, ici, ils prennent des directions opposées, là, ils suivent des pistes parallèles pour se porter secours en cas de besoin ou marauder sur une plus large étendue de pays. Au campement, les chariots, rangés autour du camp et défendus par les chiens, forment rempart et donnent à ceux qui veillent comme à ceux qui dorment ou font ripaille une sécurité relative.

En allant, leur nombre grossit sans cesse, car d'autres tribus de barbares s'agrègent aux leurs ou s'engagent derrière eux, dans les chemins désormais sans obstacle qu'ils ont tracés comme le lit d'un torrent. Nul cataclysme de la nature ne saurait leur être comparé. Et ainsi, ils submergent les peuples celtes de la vallée du Danube : seuls, les Boïens leur échappent en se réfugiant dans les montagnes de la forêt Hercynienne. Les Romains eux-mêmes sont battus à Noreia, en Carinthie, en l'an 113 avant J.-C. Par la Suisse et la trouée de Belfort, les Barbares se ruent sur la vallée de la Saône et du Rhône ; près d'Orange, le 6 octobre 105, leur roi Boioric (un nom celtique) inflige aux Romains un nouveau désastre. Les prisonniers sont égorgés, les chefs sont immolés par des prêtresses vêtues de blanc, qui recueillent leur sang dans de vastes chaudières pour y lire l'avenir. Ce qu'on ne peut emporter, armes, bagages, chevaux, l'or même, tout est jeté dans le Rhône, pour les dieux. Puis, dans la contrée, toute vie fut anéantie par le fer et l'incendie.

Peu après, une fraction des Cimbres passe en Espagne ; d'autres ravagent le pays des Arvernes et le centre de la Gaule ; d'autres encore suivent le long de la Seine et descendent jusqu'au delà de Rouen, chez les Véliocasses. Les Belges n'échappent au massacre qu'en se cachant au fond de leurs marécages forestiers, bien qu'ils eussent, à ce que prétend une tradition rapportée par Strabon, jusqu'à 300.000 hommes en état de porter les armes.

Une bande de Teutons qui avait franchi le Rhin, prit le parti de laisser là, sur la rive gauche, chariots et bagages avec femmes, vieillards et enfants, afin que ses guerriers fussent plus libres de leurs mouvements pour piller : ce campement de sauvages fut le noyau du peuple des Aduatiques.

Dix années durant, les ravageurs restèrent en Gaule, heureux de coucher dans des maisons, eux qui n'avaient jamais vécu qu'en plein air, se repaissant de mets et de friandises, dit Dion Cassius, eux qui n'avaient mangé que de la viande crue, se plongeant dans l'ivresse la plus sordide[19]. Le pays étant épuisé, ils passèrent en Italie. Les Cimbres et les Tigurins franchirent les Alpes orientales par le col du Brenner et la vallée de l'Adige, l'une des routes de l'ambre ; les Teutons, avec leur roi Teutobod, les Ambrons et les Tougènes descendirent les vallées de la Saône et du Rhône.

Marius sauva l'Italie et délivra enfin la civilisation, en écrasant les Teutons à Aix-en-Provence, en l'an 102, et les Cimbres à Verceil, le 30 juillet de l'an 101. Mais le mot terreur cimbrique demeura proverbial chez les Romains jusqu'à l'invasion d'Attila. Quant aux Gaulois, ils restèrent, plus encore que les peuples de l'Italie, séculairement sous l'impression des horreurs et des dévastations dont ils avaient été si longtemps les victimes. Ce fut là, l'un des motifs principaux qui les portèrent à appeler Jules César à leur secours lorsqu'Arioviste les menaça d'une nouvelle invasion germanique.

 

III

COUP D'ŒIL SUR L'ÉTAT SOCIAL DES PEUPLES DE LA GAULE AVANT JULES CÉSAR.

 

La statistique évalue aujourd'hui la densité de la population de la France à 83 habitants par kilomètre carré. Celle de la Gaule indépendante, à l'époque de la conquête de Jules César était, d'après Émile Levasseur, d'environ 12 habitants, et suivant J. Beloch seulement de 6 à 7, pour la même superficie, chiffres que Camille Jullian, avec raison, considère comme beaucoup trop faibles. Quoi qu'il en soit, les auteurs s'accordent en général à dire que le chiffre global des habitants était tout au plus de sept millions[20]. Quelle que soit l'incertitude de ces chiffres, nous ne sommes pas trop éloignés de la vérité en admettant que la surface occupée de la Gaule, au milieu du ter siècle avant notre ère, n'était pas le quart de ce qu'elle est de nos jours. Il restait donc, même en dehors de la zone forestière, d'immenses espaces cultivables, vides, qui n'attendaient que de nouveaux arrivants, comme dans la plupart des pays de colonies, à l'époque moderne.

Ceux-ci, pour se caser, n'avaient pour ainsi dire que l'embarras du choix, sans qu'ils eussent besoin de chasser ou d'exproprier ceux qui étaient déjà nantis d'un domicile fixe. De nos jours, les choses ne se passent guère autrement, que l'on colonise par pénétration pacifique ou que l'on fasse une conquête par les armes.

Dans la période de l'indépendance gauloise, la Germanie avait déjà déversé sur notre pays des flots de peuples divers ; elle devait continuer incessamment, sous la domination romaine, cet apport humain qui était presque une loi de nature. Tantôt, ce sont des exodes de tribus entières ; tantôt, l'invasion a lieu par une sorte d'infiltration lente et graduelle : c'est la pénétration pacifique. Des groupes de Germains sont admis, reçus, attirés dans un canton ; on les emploie surtout à cultiver la terre ; on les arme pour protéger les bourgs et les récoltes contre les rapines des pillards, la convoitise des tribus voisines ou les ravages des bêtes de la forêt. Ils se rendent utiles humblement, veillent, travaillent à la terre, s'installent dans de pauvres cabanes aux alentours des bourgs et des villes ; on en est satisfait. Seulement, ils s'insinuent de plus en plus nombreux ; un beau jour, ils se comptent et s'aperçoivent de leur force ; ils parlent avec arrogance ; ils deviennent dangereux : cela est arrivé pour les Suèves qui avaient été bénévolement introduits chez les Séquanes et les Eduens, et dont ceux-ci ne vinrent à bout de se débarrasser qu'en appelant César à leur aide.

D'autres fois encore, les peuples les plus puissants de la Gaule consentent à faire la concession d'un emplacement sur leur domaine à des tribus pauvres et errantes, pourchassées par d'autres : celles-ci, dès lors, payent tribut et deviennent les clients de leurs protecteurs. Les Gaulois installent ces troupeaux de miséreux à la lisière des forêts, à 'charge de les défricher. On en fait des domestiques de culture, des esclaves, des colons. Ces tribus qui veulent prendre racine quelque part, acceptent avec reconnaissance le protectorat des populations qui leur donnent asile sur leur territoire.

Ammien Marcellin résume ainsi ce que l'on enseignait de son temps sur l'origine des Gaulois : Selon les traditions druidiques, la population de la Gaule n'est indigène qu'en partie et s'est recrutée à diverses reprises par l'incorporation d'étrangers venus d'au delà des mers, et de peuplades transrhénanes chassées de leurs foyers, soit par les vicissitudes de la guerre, état permanent de ces contrées, soit par les raz de marée qui se produisent sur leurs côtes[21].

Ces arrivages successifs, prolongés durant tant de siècles, expliquent la bigarrure de civilisations que présente la Gaule, au moment de la conquête de Jules César. Les peuples dont l'installation en Gaule était séculaire, ont une culture développée, avec tous les rouages compliqués et perfectionnés que le mot comporte ; les nouveaux Gaulois ont gardé le pli germanique.

A côté de la civilisation brillante des Eduens (clarissimi Celtarum), des Arvernes, des Dèmes, des Bellovaques ou des Suessions, les tribus clientes de ces grands peuples offrent encore un aspect voisin de la barbarie d'outre-Rhin. Les peuples les plus illustres se disputent et s'arrachent cette clientèle. C'est par degrés seulement que la Gaule, son climat, le genre de vie qu'elle impose à ses habitants, pénètrent les nouveaux arrivants et leur font comme une seconde nature. Quelle que soit la merveilleuse souplesse et l'étonnante faculté d'assimilation dont les tribus germaniques sont douées, il faut une ou deux générations pour que le travail sédentaire, l'industrie et le commerce provoquent chez les individus des appétences plus élevées, transforment les mœurs et les institutions sociales. A l'instar des vieux Gaulois, ils se bâtissent des maisons solides et durables ; ils s'attachent au sol qu'ils ont défriché, qu'ils améliorent chaque année, qui devient leur propriété exclusive. Des agglomérations de maisons familiales sont entourées de murailles parce qu'il faut les préserver contre les attaques du dehors ; elles deviennent des centres de marchés, de véritables villes. Il n'est pas un peuple établi en Gaule au moment de l'arrivée de César, qui n'ait au moins ces rudiments de la vie sédentaire.

Aussi, lorsqu'en 59 avant notre ère, Jules César entreprend la conquête définitive de la Gaule, tous les peuples de cette contrée comprise entre les Alpes, la Méditerranée, les Pyrénées, l'Océan et le Rhin, sont considérés comme Gaulois, à quelque rameau ethnique qu'ils appartiennent par leur origine, et quelque lointaine ou récente que soit leur installation sur la rive gauche du Rhin. Lorsqu'appelé par les Ubiens que molestaient les Suèves, César franchit le Rhin, là où allait s'élever Cologne, les Germains lui envoient une députation qui insiste d'une façon curieuse sur la frontière du Rhin : L'empire de Rome, disent les députés, finit au Rhin. Si César pense qu'il n'est pas juste que les Germains passent contre son gré dans la Gaule, pourquoi demanderait-il à étendre au delà du Rhin son autorité et sa puissance ?[22]

En franchissant le Rhin, César sait qu'il quitte la Gaule et qu'il passe en Germanie. Ainsi délimitée politiquement aussi bien que géographiquement, la Gaule du temps de César comprenait des régions variées et depuis longtemps soumises à des régimes différents, depuis les peuples organisés de longue date, que les Romains traitent d'amis et d'alliés, jusqu'à la tribu instable qui vient seulement de franchir le Rhin et, comme un groupe de colons nouveaux à l'époque moderne, se fixe enfin à demeure dans les terrains vagues.

La Province romaine avait de grandes villes florissantes et luxueuses comme Marseille, Narbonne et Vienne. Le fond de sa population ligure, grecque et latine, autant que sa brillante culture et son commerce actif, en faisait comme un prolongement de l'Italie. Dans la Gaule aquitanique, la population était en partie liguro-ibérique, mais il y avait aussi un élément gaulois représenté par les Tectosages, les Boiates et autres tribus d'origine celtique.

La région dénommée proprement la Celtique, comprise entre le haut Rhin et les Alpes, les Cévennes et l'Océan, le cours de la Seine et de la Marne, était le vrai cœur de la Gaule. Les peuples qui y dominaient s'y étaient acclimatés, depuis de longs siècles. Durant l'espace de cinq cents ans, ils avaient eu le temps de s'attacher au sol nourricier, de s'y enraciner pour toujours, de développer leurs institutions, leurs industries, leur art, au contact des Grecs par la vallée du Danube, puis, des Romains par la vallée du Rhône. Parvenus à un haut degré de culture matérielle, ils s'imposaient à toute la Gaule jusqu'à sa frontière du Rhin et à l'Océan du nord.

La Gaule Belgique, entre le Rhin, l'Océan, la Marne et la basse Seine, était, elle aussi, peuplée de plusieurs couches de tribus émigrées de Germanie à diverses époques. Un premier ban avait amené des peuples qui, au temps de César, étaient déjà, depuis longtemps, façonnés à la culture gauloise, comme les Rèmes, les Suessions, les Bellovaques. Ils parlaient la langue gauloise ; leur nouvel habitat les avait si bien transformés et ils se distinguent si peu, par leur état social, des peuples de la Celtique, que les Rèmes, d'origine belge, sont dans la clientèle des Carnutes, l'un des plus vieux peuples de la Celtique. Il y a des Vellaves, à la fois en Belgique et dans le Velay, des Centrons chez les Nerviens et dans les Alpes. Les plus puissants des Belges s'étaient fait des partisans dans la Celtique au point d'afficher la prétention de disputer aux Arvernes et aux Eduens la prédominance sur la Gaule entière ; au contraire, les derniers envahisseurs qui avaient pris possession des forêts et des marécages des Flandres, de la Campine et de la Hollande choquaient encore César par une rudesse de mœurs voisine de la barbarie d'outre-Rhin, quoiqu'ils eussent déjà, eux aussi, — remarquons-le, — des monnaies dont les légendes sont gauloises.

Le climat de la Belgique est de deux degrés plus froid que celui de Paris ; il est aussi plus exposé au vent de mer, plus variable et pluvieux. Celui de la Hollande est encore plus humide et beaucoup plus brumeux. L'amplitude des forêts, des lagunes, des terres tourbeuses, des côtes maritimes, l'absence de vignobles, la différence des cultures, tout cela engendre des particularités et des contrastes dans les modes, les usages des habitants, leur tempérament, leur tournure d'esprit, et cela en dehors de toute question d'origine ethnique. Cette influence de l'habitat a une bien autre portée sur la formation du particularisme local que la tradition venant de migrations dont tout souvenir réel a disparu depuis des siècles. Est-ce qu'un Provençal ou un Gascon transporté à Anvers pourrait y vivre comme à Nice ou à Bordeaux ? Il serait bien vite obligé de se plier aux mœurs des Anversois ; et réciproquement, un Flamand domicilié à Montpellier devient Méridional d'autant plus vite qu'il a moins l'idée de retourner dans son pays d'origine.

Les Gaulois de la Belgique sont donc plus rudes que ceux de la Celtique. Après avoir signalé le tempérament ardent et guerrier de tous les Gaulois, Strabon, comme César, observe qu'ils sont plus belliqueux à mesure qu'ils habitent plus loin vers le nord. Parmi les quinze peuples belges répandus le long de l'Océan et dans tout le pays compris entre le Rhin et la Loire[23], les Bellovaques et les Suessions sont les plus braves.

Les Gaulois de la Belgique comme ceux de la Celtique ont des villes, des forteresses, des bourgs, des villages, de grands centres de marchés ruraux ; leur pays est sillonné de routes qui continuent celles de la Celtique et où les distances sont comptées en fonctions de la lieue gauloise ; et cette unité a constitué un comput si invétéré dans les usages, que les Romains l'ont respecté et qu'il a persisté jusqu'à nos jours. Ces routes qui s'entrecroisaient sur toute la surface de la Gaule, en mettant toutes les cités en constants rapports d'affaires les unes avec les autres, étaient comme le lien qui consolidait le faisceau de la race et de la nationalité gauloise.

Au point de vue du régime politique, les peuples gaulois ont parfois des rois : tels, les Suessions, les Atrébates, les Éburons, les Carnutes, les Arvernes ; l'institution royale était admise aussi bien dans la Gaule Belgique que dans la Gaule Celtique. Toutefois, le plus souvent, chez tous, c'est le régime républicain aristocratique, avec des magistrats annuels et un sénat. Les chefs des familles aristocratiques ont les hommes libres dans leur clientèle ; leur richesse leur permet de lever et d'entretenir des armées souvent considérables. L'Helvète Orgétorix a jusqu'à dix mille soldats enrégimentés, sans compter ses clients et ses esclaves.

Les peuples Gaulois ont des lois écrites ; ils pratiquent le recensement de la population et de leurs soldats ; ils ont des impôts publics, des douanes, et parmi ces impôts il en est qui sont affermés à des particuliers. Tous les hommes libres doivent le service militaire ; seul, le corps sacerdotal des Druides en est exempt. Les Druides rendent la justice, président aux cérémonies religieuses. Tout cet ensemble n'est-il pas bien loin des tribus et des dans de la Germanie patriarcale, flottante, inorganique ?

Les Gaulois ont des villages (vici) disséminés paisiblement dans la campagne ; ils ont de grandes fermes isolées ou exploitations rurales appelées ædificia ; il en existait en Belgique, même dans le pays rhénan ; l'élève du bétail y était très développé ; il y avait beaucoup de porcs et de moutons ; les jambons des Ménapiens étaient aussi réputés que ceux des Séquanes. Ce sont ces fermes agricoles qui vont fournir aux armées de. Jules César des céréales et du fourrage.

Les Anciens sont unanimes à reconnaître dans les Gaulois des agriculteurs actifs, intelligents et industrieux, et dans le Germain le maraudeur paresseux et pillard.

Nous sommes renseignés aussi sur les maisons des paysans gaulois. Vitruve en décrit des types variés. Dans certaines régions, elles sont en pierre ; dans d'autres, notamment dans les cantons marécageux de la Belgique où la pierre fait défaut, elles sont en pisé, c'est-à-dire en clayonnages d'osier et en terre pétrie avec de la paille hachée, le tout appuyé sur des poutres solides. Les Gaulois ne connurent la brique et la tuile qu'à l'époque romaine. Des bas-reliefs représentent ces maisons rustiques de la Gaule, couvertes d'un toit de chaume ou de roseaux, souvent de forme conique : ce type de maison est aussi celui que les bas-reliefs de la colonne Trajane attribuent aux Daces.

Les paysans gallo-belges prennent leurs repas assis sur la paille ; ils se nourrissent surtout de laitage, de légumes, de la viande de divers animaux, surtout de porc frais ou salé[24]. Mais les riches ont souvent un grand luxe de table et un cérémonial de bonne société : Dans leurs repas, la place d'honneur est au milieu ; celui qui doit l'occuper est le premier par la valeur, par la naissance ou par la richesse ; les autres se placent plus ou moins loin de lui, suivant leur rang ; derrière chacun d'eux, se tient debout, l'écuyer qui porte ses armes ; leurs gardes sont assis en face de chaque maître, et des esclaves servent à la ronde[25].

Le costume des Gaulois de l'Est nous est connu par de nombreux bas-reliefs de stèles funéraires de l'époque romaine ; il est décrit aussi par Strabon, et nous pouvons constater par là qu'il ne diffère guère de celui du paysan lorrain, belge ou champenois contemporain : Les Gaulois sont habillés de saies (sagum), ils laissent croître leurs cheveux et portent des pantalons (anaxyrides) ou braies larges et flottantes, et au lieu de tuniques, des blouses à manches qui leur descendent jusqu'au bas des reins. La laine dont ils se servent pour tisser ces épais sayons appelés lænæ, est rude, mais très longue de poils[26]. Le tissage de la laine et le commerce des étoffes est déjà très développé chez les peuples d'entre la Somme et la basse Meuse.

Le Gaulois recherche la parure corporelle, les bijoux, les colliers d'or et d'argent (torques), les anneaux autour des bras et des poignets, les étoffes teintes de couleurs éclatantes et brochées d'or[27]. Le Gaulois apprécie et aime les beaux et bons chevaux ; il est élégant cavalier, à l'encontre du Germain qui n'a que de petits chevaux robustes et agiles, mais dont la laideur provoque les quolibets[28]. Le noble Gaulois veut de pompeuses funérailles où l'on jette dans le bûcher tout ce qui lui a été cher pendant la vie.

Les historiens anciens signalent bien d'autres traits de l'état social des Gaulois : nous avons voulu seulement indiquer ici quelques-uns de ceux qui montrent jusqu'à quel point la Gaule jusqu'au Rhin faisait contraste avec la Germanie quand César parut.

Plus les peuples de la Gaule sont rapprochés de la vallée du Rhône et de la Province romaine, plus leur civilisation est avancée. C'est ce qu'exprime César lorsqu'il dit que les Belges, les plus braves (fortissimi) des Gaulois, étaient cependant les plus rudes parce qu'ils restaient complètement en dehors de la culture et de la civilisation de la Province romaine et que les marchands ne passant que rarement dans leur pays, n'y portaient point les denrées qui amollissent les courages. C'était encore l'isolement germanique, au moins pour ceux des peuples belges qui étaient cachés derrière le rideau de l'Ardenne. Toutefois, leur assimilation à la culture gauloise, bien que retardée par l'âpre nature de leur habitat, se montrera complète sous la domination romaine : on s'en aperçoit dès le temps de la révolte du Batave Civilis.

 

IV

LA PATRIE GAULOISE. - LE CONSEIL GÉNÉRAL DES PEUPLES DE LA GAULE.

 

La Gaule, si bien délimitée par la Providence, suivant la remarque de Strabon, située à l'extrémité la plus occidentale que pussent atteindre les migrations des peuples, était pour ainsi dire destinée à les absorber. Du Rhin à l'Océan et aux Pyrénées elle fut le réceptacle de races diverses qu'elle a tour à tour accueillies dans son sein, leur donnant pour habitat définitif, à côté de ses populations autochtones, ses vallées et ses plaines, la lisière ou le sol défriché de ses bois. A mesure que la population sédentaire de toutes les parties de la Gaule s'accroît ainsi de nouveaux afflux de Germanie, les clairières s'élargissent, les bourgs se construisent dans les vallées, auprès des sources, au confluent des rivières ; les pâturages et les champs propres à l'ensemencement des céréales se développent au détriment de la végétation folle. Chaque peuple nouveau-venu trouve dans notre sol, admirablement approprié par la nature aux cultures les plus diverses, dans notre climat, dans nos bois, nos coteaux, nos prairies, nos montagnes, tout ce que pouvaient souhaiter ses instincts ataviques ou ses aptitudes originales.

Ainsi, les innombrables tribus qui franchirent le Rhin dès le début de l'histoire, celles plus rares, qui vinrent par les cols des Alpes ou des Pyrénées ou d'autres que l'Océan débarqua sur nos plages, se sont pliées avec bonheur aux exigences de leur nouvel et délectable habitat. Une fois apaisée la lutte pour la place la meilleure, elles se sont librement associées ; elles ont contracté les mêmes mœurs, ont parlé la même langue, se sont adaptées, en un mot, à cette communauté de vie, d'idéal, d'intérêts et d'espérances qui forme l'âme collective d'un peuple et engendre la solidarité nationale.

Par son génie aimable, la Gaule a fusionné toutes ces races, sans contrainte : elle se les est si bien assimilées qu'elle a eu l'heureuse fortune de tendre à l'unité sociale et politique plus rapidement que toute autre nation. C'est la race gauloise.

On l'a vu plus haut et nous le constaterons encore à chaque pas dans la suite : la Gaule et la Germanie ont été peuplées l'une et l'autre, par des groupes ethniques dont les variétés sont impossibles à démêler. Mais ce qui, au point de vue social, distingue très nettement les occupants de ces deux vastes régions de l'Europe, c'est qu'en Gaule, grâce à l'état physique du sol, tous ces groupes si diversifiés par leurs origines, se sont rapidement associés et pénétrés, de manière à ne former qu'une seule nation, tandis que les éléments ethniques de la Germanie, ceux mêmes qui parlaient les dialectes germaniques, ne se sont jamais fusionnés, ni rapprochés ; même en face du danger extérieur, ils n'ont jamais serré leurs rangs ; à aucun moment de l'histoire ancienne, les peuples germains n'ont eu la conception d'une nationalité géographique ; leur habitat forestier ne le comportait pas. L'isolement et l'instabilité qui leur étaient imposés furent toujours l'obstacle à toute idée d'association fédérative et de solidarité comme de progrès social.

Au contraire, en Gaule, les rubans forestiers, fluviaux ou montagneux qui bordent les territoires des cités et forment leurs confins, ne sont, nulle part, si immenses qu'on ne puisse les pénétrer et les parcourir. Des routes les traversent ; constantes sont les relations commerciales et sociales entre les divers peuples gaulois. Ils se fréquentent, ils se connaissent, ils s'apprécient. La conscience de leur unité, morale, géographique et ethnique, de leur permanente solidarité et de leur indépendance collective s'éclaircit tous les jours davantage. Ce sentiment se purifie au contact de l'étranger, c'est-à-dire des nations qui entourent la Gaule, Germains et Romains, parce que ceux-ci jouissent d'un état social tout différent, inférieur ou plus élevé : des deux côtés, les habitants de la Gaule sont traités en ennemis[29]. Ils reconnaissent la supériorité romaine ; ils méprisent et redoutent à la fois la barbarie germaine.

C'est l'ensemble de toutes ces populations, façonnées ou transformées par le même habitat sédentaire, qui constitue le type ethnique gaulois. Dans l'histoire, à travers les ambitions personnelles des chefs et les rivalités des cités, on sent partout planer l'âme gauloise, si différente de l'incurable particularisme des peuplades de la Germanie. La patrie gauloise est sous l'égide de dieux nationaux dont le principal est Teutatès, nom qui paraît signifier le dieu public ou le dieu national, et qui effectivement était adoré aussi bien dans la Belgique que dans la Celtique[30]. Les déesses si populaires appelées les Matræ ou déesses mères, ont des sanctuaires aussi bien à Nîmes et sur le plateau de l'Auvergne que sur la rive gauche du Rhin et en Hollande.

Cette unité gauloise comparable au panhellénisme, ce patriotisme d'instinct, d'habitat, de religion et de traditions était entretenu et souvent surexcité par les dangers et les malheurs que tous ces peuples de la Gaule coururent et supportèrent en commun, comme les ravages des Cimbres et des Teutons ou la menace de l'invasion d'Arioviste ; il s'affirme chaque fois qu'il s'agit de protéger le Rhin contre les invasions germaniques.

Il était soutenu aussi, chez un grand nombre, par le regret de la grandeur et de l'unité passées. Les Gaulois se rattachent, comme à un héritage de gloire commune, aux antiques souvenirs guerriers de leur race qu'ils proclament unique dans son origine lointaine et issue du même dieu, roi des entrailles de la terre nourricière.

Les traditions épiques relatives à l'empire du Biturige Ambigat, chantées par leurs bardes ; le passage du Rhin[31] ; les souvenirs encore récents de l'hégémonie des rois Arvernes tels que Luern et Bituit ; la tentative de Celtil ; cette impulsion expansive et colonisatrice de la race celtique, que les Romains avaient tant redoutée, enfin refoulée en 121, et que l'invasion des Cimbres et Teutons avait achevé de ruiner : tout cela n'était pas si loin, et conservait tout sou prestige dans l'amertume rétrospective des vieux Gaulois qui en avaient été les témoins. Ce feu sacré des traditions nationales, les Druides l'entretenaient avec amour dans leur enseignement, comme les bardes dans leurs chants guerriers ; ils l'attisèrent avec une ardeur inspirée et farouche au temps de Jules César.

C'est sur ces survivances que se fondèrent les revendications des Arvernes et l'ambition de Vercingétorix. Des voisins, jaloux de la prépotence des Arvernes, les voyant abattus, se flattèrent de l'espoir de les évincer et de leur substituer leur propre hégémonie sur la Gaule. Malheureusement, ces peuples riches et puissants ne se bornèrent pas à s'appuyer, pour faire prévaloir leurs desseins ambitieux, sur leurs alliés gaulois et sur leur clientèle ; aveuglés par leurs passions politiques, ils commirent la faute déshonorante de solliciter le concours de l'étranger, en appelant les Germains ou les Romains. Ils eurent la pleine conscience de leur crime de lèse-patrie, puisque tous l'ont regretté amèrement et qu'ils ont cherché des excuses ; ils ont fait, trop tard, une tentative générale avec Vercingétorix pour le réparer.

Ce crime, d'autres peuples que les Gaulois l'ont commis dans l'antiquité. Des peuples grecs n'ont-ils pas appuyé sur l'intervention des Perses, des prétentions analogues ? et plus tard, d'autres Grecs n'ont-ils pas appelé Philippe le Macédonien ou les Romains eux-mêmes ? Que dis-je, dans les temps modernes, l'histoire n'enregistre-t-elle pas de pareilles aberrations ? Mais pas plus qu'à présent, ces erreurs politiques ou ces crimes de trahison — quelque nom qu'on leur donne, suivant les cas, — ne sauraient être des arguments à invoquer pour affirmer, comme l'ont fait des historiens de nos jours, que la patrie ou le sentiment national n'existait point chez les peuples de la Gaule. Le terme de patrie peut être compris de diverses manières, suivant les temps et les pays. Sans doute, la Gaule n'était point un État unifié comme la monarchie de Louis XIV ou la France de nos jours, mais les peuples gaulois étaient tout aussi unis et solidaires entre eux que les peuples de la Grèce au temps de l'hégémonie d'Athènes.

Aujourd'hui, dans l'intérieur de chaque nation, des partis politiques se forment, qui ont des chefs, des programmes, des revendications opposées, et qui luttent entre eux avec violence et âpreté. A d'autres époques, ce furent des luttes de classes, comme à Rome au temps des Gracques, comme le mouvement communal au moyen âge ou les revendications du Tiers-État lors de la Révolution française. Ces divisions ont été, parfois, si acharnées qu'elles ont aveuglé, oblitéré le sentiment national.

D'autres fois, ce furent des querelles religieuses qui sont venues se mêler aux conflits politiques et l'on vit des groupes confessionnels, molestés par d'autres, faire appel à l'étranger pour reprendre la domination et opprimer leurs adversaires à leur tour.

Chez les Grecs et chez les Gaulois, ce fut la lutte entre les cités (peuples) les plus riches et les plus puissantes pour la prépondérance et le protectorat général. Telle fut, chez eux, la forme qu'avaient prise les dissensions politiques ; mais dans les moments mêmes où elles furent assez ardentes pour pervertir le sentiment de la solidarité nationale, il n'y a point lieu d'en tirer argument contre l'existence de celle-ci.

Bien qu'ils fussent indépendants les uns des autres, au moins pour la plupart, et qu'ils eussent des régimes politiques, des lois et des coutumes aussi particulières que celles qui différencient les villes grecques ou les cantons suisses, les peuples de toutes les régions de la Gaule ne furent jamais indifférents aux frontières géographiques qui les englobaient et à l'état social, né du sol, qui créait entre eux une affinité indéfectible.

Ils sont et se disent frères et consanguins[32] ; tous ont l'âme gauloise, comme tous les Grecs avaient l'âme hellène. On le voit bien lorsque les bataillons de guerriers recrutés sur tous les points du territoire de la Gaule, combattent dans les armées étrangères et versent leur sang pour les empires asiatiques, pour les rois grecs, pour les Romains, pour Carthage. Avec quel orgueil de race ils se réclament du nom de Gaulois ! Quand ils envahissent la Grèce pour leur compte, en 279, ils se proclament Gaulois, d'où qu'ils viennent, et ils déclarent avec jactance que les Gaulois ne craignent rien, sinon la chute du ciel sur leur front. Que dis-je ? tout le monde les reconnaît au premier coup d'œil : il y a dans l'art grec un type de Gaulois[33].

En un mot, quel que fut leur degré de développement social, qu'ils fussent libres ou clients et tributaires de leurs voisins, tous les peuples, depuis l'Océan jusqu'au Rhin, avaient la fierté du nom gaulois ; ils parlent la même langue, à Nîmes comme à Besançon, à Arras, comme à Rennes ou à Bordeaux. Sans obstacle légal et sans aucun préjugé, des mariages se contractent couramment entre les citoyens des divers peuples de la Gaule ; il y a entre eux des liens d'hospitalité, d'amitié et de parenté, des associations d'intérêts commerciaux, un chassé-croisé de relations, une constante fréquentation pareille à celle d'aujourd'hui entre les villes de France.

S'il n'existait point entre eux, à proprement parler, de fédération politique, tout l'ensemble moral qui constitue la patrie, était assez développé, même chez les peuples les plus rapprochés encore du particularisme germanique, pour qu'en face d'un danger commun ils eussent le sentiment qu'ils se devaient assistance. César ne l'ignore point ; aussi fera-t-il tout pour empêcher que les vieux souvenirs de l'unité politique et ce lien moral et religieux, soutenu par le collège des Druides, n'entraînent une prise d'armes générale et simultanée contre lui. Tous, qu'ils soient d'origine ibérique, ligure, celtique, germanique, sont des Gaulois aux yeux des Romains conquérants.

Après l'écrasement des Cimbres et des Teutons, les Arvernes affaiblis, ruinés, sollicitèrent l'alliance et l'amitié des Romains, leurs voisins sur le Rhône, d'autant plus populaires parmi les Gaulois qu'ils venaient de délivrer leur pays des hordes germaniques. Les Arvernes espéraient, avec l'appui des Romains, restaurer leur ancienne prépondérance. Mais ceux-ci, se souvenant du danger que Bituit avait fait courir à la Province, ne tenaient point à favoriser ces hautes visées. S'ils accueillirent les Arvernes, leur prudente politique consista surtout à réfréner leur ambition. Celtil paya de sa vie le projet qu'il avait formé de restaurer la royauté arverne. Vercingétorix devait reprendre un peu plus tard l'ambitieux projet de son père.

Les Romains, habiles à attiser les discordes, aidèrent les Éduens à se substituer aux Arvernes, dans l'hégémonie de la Gaule : les Éduens leur paraissaient plus sûrs et ils n'avaient pas dans leur passé la tradition d'un empire dominateur. Au moment de l'arrivée de César, ils exerçaient le principat. Mais s'ils avaient réussi à évincer les Arvernes, leur hégémonie était chancelante, contestée, battue en brèche par d'autres peuples non moins ambitieux, notamment les Séquanes, et ceux-ci firent, sans scrupule, appel à Arioviste et à ses Germains : on sait le reste. L'intervention de César rendit la prééminence aux Éduens.

Les Rèmes, les Suessions, les Bellovaques aspirent, eux aussi, sinon au principat de la Gaule, du moins à une situation qui augmente leur clientèle et leur puissance. C'est dans ce but que les Bellovaques complotent avec les Éduens. Et ainsi, on s'aperçoit, au milieu de ces rivalités intestines, qu'il n'y a nulle différence politique entre les peuples de la Belgique et ceux de la Celtique. Les uns et les autres sont Gaulois au même titre : ils constituent la race gauloise.

Les Belges prennent part directement aux affaires de toute la Gaule[34]. Comme dans la Celtique, les plus avancés d'entre eux en civilisation sont pour l'alliance romaine qui, deux fois déjà, au temps des Cimbres et d'Arioviste, avait préservé la Gaule de la dévastation. Les autres sont pour la résistance à César. Chaque peuple, jaloux de son indépendance, entend demeurer libre de participer ou non, le cas échéant, à une action commune et d'interpréter à sa guise ce qu'il regarde comme étant l'intérêt général de la patrie gauloise.

Les peuples de la Grèce n'agirent-ils pas de même, le jour où les Perses envahirent l'Attique, pour échouer à Marathon et à Salamine ? Chaque cité grecque autonome renfermait dans son sein des partis qui, se disputant l'influence et le pouvoir, s'excluaient l'un l'autre, parfois avec une extrême violence. Il n'est guère d'Etat grec qui n'ait connu ces luttes entre les factions démocratique et aristocratique, entre la tyrannie populaire et l'oligarchie. Ainsi en était-il également chez les Gaulois.

En Grèce, les tyrans et les aristocrates étaient partisans des Perses, tandis que le parti démocratique se montra toujours ardent à la lutte contre les Asiatiques. Chez les Gaulois, les grands et le Sénat sont pour l'alliance avec Rome ; la plèbe et le chef qu'elle se choisit sont hostiles à César, veulent la liberté, l'indépendance, la résistance aux Romains. L'histoire intérieure de Carthage présente un spectacle analogue.

Ainsi, les factions rivales dans le sein de chaque cité gauloise, les dissensions entre les cités, leurs jalousies, leurs querelles, leurs divergences de vues, leurs trahisons ne sont pas plus extraordinaires et ne doivent pas être envisagées autrement que celles des peuples de la Grèce, ou même, que les luttes politiques et religieuses chez les nations modernes.

L'institution qui maintenait le sentiment national chez les Gaulois et sur laquelle ce sentiment s'appuyait, était l'assemblée générale annuelle que César appelle le Concilium totius Galliæ[35]. Le rôle de ce conseil est mal connu, mal défini ; dans la période où nous le voyons fonctionner, ses décisions sont parfois dédaignées et n'ont plus de sanction. C'est une institution qui languit. Mais elle était des plus anciennes et avait eu jadis une portée politique fondamentale. Ses réunions avaient lieu primitivement sur le territoire des Carnutes, en pleine forêt, sur la convocation et sous la présidence des Druides. Le lieu de l'assemblée, un vieux sanctuaire national sans doute, était censé l'ombilic de la Gaule, le milieu de son territoire : quae regio totius Galliæ media habetur, dit César[36], de même que Delphes passeit pour l'omphalos de la Grèce.

A l'époque de César, bien que les réunions du Conseil général de la Gaule ne soient plus très régulières, elles n'en existent pas moins et le Conseil est convoqué dans les circonstances graves qui intéressent le pays tout entier. Le seul fait de son existence suffirait à attester le lien de solidarité qui groupait en faisceau tous les peuples gaulois. Ici encore, nous trouvons une analogie dans les assemblées amphictyoniques des Grecs qui, elles aussi, avaient un caractère à la fois religieux et politique et dont les décisions n'étaient pas respectées par tous et ne comportaient pas de sanction bien efficace.

César attache une grande importance à ce Conseil général de la Gaule ; sa constante préoccupation est de s'y créer des partisans et de le confisquer à son profit, comme Philippe de Macédoine se crée des partisans dans les conseils amphictyoniques des Grecs. César comme Philippe, affectera de n'être que l'exécuteur des décisions du Conseil général des Gaulois.

Le seul fait qu'après sa victoire sur les Helvètes, des envoyés de presque toute la Gaule, chefs des cités, se rendent auprès de César pour le féliciter et lui demandent qu'une assemblée de toute la Gaule soit convoquée, ce seul fait, disons-nous, atteste que les peuples gaulois se sentaient des intérêts communs et qu'ils comprenaient l'union et la solidarité nationales. Que cette convocation fut ou non périodique, régulière, légale, obligatoire, qu'importe ! Qu'importe aussi le degré de cohésion qu'elle suppose ! Ce concilium totius Galliæ existe ; voilà le point essentiel. Ce sont les chefs des cités gauloises qui veulent cette convocation ; ce n'est pas César qui la leur impose comme un usage romain ; d'ailleurs, César n'a imposé aucun usage romain aux Gaulois.

Dans toutes les circonstances graves où l'intérêt général de la Gaule est en jeu, le Conseil général est convoqué, soit par les ennemis des Romains et pour leur opposer une résistance concertée par tous, soit par César, lorsqu'il se croit sûr d'avance du résultat des délibérations ou lorsqu'il veut juger, par les abstentions, du nombre et de l'importance de ses ennemis.

Quand César projette de passer le Rhin, comme il a besoin du concours de la cavalerie gauloise et qu'il sait que poursuivre les Suèves le rendra populaire auprès des Gaulois, il convoque le concilium totius Galliæ. Il le convoque aussi lorsqu'il prend ses quartiers d'hiver à Amiens, pour s'assurer de la fidélité des Belges, après son expédition de Bretagne. De la part des peuples gaulois, ne point prendre part à ces assises générales, s'abstenir de s'y rendre ou de s'y faire représenter, est un acte d'hostilité, presque une déclaration de guerre. C'est ainsi que fut interprétée l'abstention des Sénons, des Carnutes et des Trévires, lorsqu'en 53 César convoqua l'assemblée générale des Gaulois[37]. A ce concilium sont appelés non seulement les représentants des peuples de la Celtique, mais aussi ceux de la Belgique. En vain objectera-t-on que cette assemblée servile fut à la dévotion de César et de ses alliés gaulois. La malheureuse Pologne, dans les temps modernes, ne nous a-t-elle pas donné un spectacle plus lamentable encore ! En convoquant le concilium gaulois, César ne fit que respecter la tradition nationale. D'Amiens, l'assemblée des délégués gaulois fut transférée à Lutèce et César vint, lui-même, prononcer la clôture des délibérations. Un peu plus tard, il convoqua une nouvelle réunion à Reims.

Dans ces assises nationales, les avis furent partagés sur la conduite à tenir vis-à-vis des Romains. Qu'on se figure ces discussions passionnées, ces invectives violentes, ce tumulte, peut-être ces coups échangés ! Qu'on se représente la pression morale exercée par Jules César, ses représentants, ses agents avoués ou dissimulés ! Les uns veulent l'indépendance gauloise par la résistance aux Romains ; les autres croient que le salut de la Gaule menacée par les invasions germaniques est dans le protectorat romain. Les peuples de la Gaule les plus riches, les plus avancés en civilisation, et que des relations commerciales rattachaient depuis longtemps à la Province romaine, se montrent généralement les alliés de César. Ils avaient dans leur pays, outre leurs villes, leurs bourgs et leurs oppida, d'immenses forêts et des champs incultes où se réfugiaient des nomades, des vagabonds et des brigands de Germanie ; de là, insécurité des villages, parfois des villes, pillage des récoltes, attaque des convois sur les chemins, etc. La milice de ces peuples est insuffisante pour faire la chasse à ces pillards. Ils ont besoin de César et des légions.

Chez les peuples moins avancés en civilisation et pauvres, de semblables considérations ont moins de portée ; ils ne croient pas au péril germain, mais au péril romain. Ils l'emportent dans certaines délibérations du Conseil général. C'est dans une réunion de ce Conseil que la révolte générale contre César fut décrétée.

L'insurrection du Trévire Indutiomar et des Eburons Ambiorix et Cativole s'appuie sur une délibération secrète de délégués de toute la Gaule. C'est également une assemblée générale, tenue à Bibracte, qui confirme le choix de Vercingétorix comme généralissime des Gaulois, et ici encore, les Gaulois de la Celtique ne sont pas seuls appelés à délibérer, ce sont aussi ceux de la Belgique et de l'Aquitaine. Rappelons en deux mots des faits bien connus, d'après les Commentaires.

En l'an 52 avant J.-C., après la paix qui suivit la campagne contre Ambiorix, César étant reparti en Italie, les personnages les plus considérables de la Gaule convoquent des conciliabules dans des lieux solitaires, au fond des bois... Ils déplorent le sort de la Gaule... ils méditent de rendre à la Gaule la liberté et l'indépendance... Ils préfèrent la mort, disent-ils, sur le champ de bataille, plutôt que de ne point reconquérir la vieille gloire militaire et la liberté qu'ils ont reçue de leurs ancêtres.

Les Carnutes, les premiers, offrent d'affronter tous les périls pour le salut commun. Ils commencent par massacrer les Romains qui s'étaient établis à Genabum, et le mouvement s'étend à toute la Gaule. Le chef arverne Vercingétorix, fils de Celtil qui avait eu le principat de la Gaule entière, prend part à l'insurrection, pour la liberté commune. C'est aux vieux souvenirs de gloire de la patrie gauloise qu'il fait appel. César le reconnaît : Il y eut alors chez les Gaulois, dit-il, une telle ardeur unanime pour reconquérir la liberté et pour ressaisir l'ancienne gloire militaire de leur race, que même les anciens amis de Rome oublièrent les bienfaits qu'ils avaient reçus d'elle, et que tous, de toutes les forces de leur âme et de toutes leurs ressources matérielles, ne songèrent plus qu'à combattre.

En signe d'Union sacrée tous les peuples gaulois réunissent leurs étendards (conlatis militaribus signis). Ils se rangent sous le commandement de Vercingétorix ; on lui décerne le titre de roi. Ce sont, entre autres et pour ne citer que ceux du nord et de l'est, les Suessions, les Ambiens, les Bellovaques, les Médiomatrices, les Nerviens, les Morins, les Atrébates, les Rauraques, les Boïens ; les peuples du Rhin comme ceux de l'Armorique envoient leurs contingents. Était-ce donc là une association factice et sans âme comme le ramassis des hordes germaines se ruant sur la Gaule ? Malheureusement, l'amour de la Patrie et de son indépendance, quelque ardent qu'il existât au fond du cœur des Gaulois, fut moins fort, chez quelques-uns, que les passions et les haines des partis[38]. Comme toujours en pareils cas, les dissidents et les lâches n'osent l'avouer et cherchent des prétextes pour expliquer leur honteuse attitude. Les Trévires qui, cette fois, ne répondent pas à l'appel de Vercingétorix, prétendent que ce n'est point, disent-ils, par sympathie pour les Romains ni par crainte, mais seulement parce qu'ils sont trop loin et qu'ils sont menacés par les Germains[39].

Ce n'est point l'absence du sentiment national, c'est le particularisme jaloux de certaines cités gauloises, qui a été funeste à l'indépendance de la Gaule. Le régime de la cité (civitas), développé chez les Gaulois comme chez les Grecs, jusqu'à l'autonomie, avait les plus graves inconvénients lorsqu'il s'agissait de délibérer pour une prise d'armes générale. Avec un pareil état politique, qui oserait affirmer qu'il n'en serait pas encore de même aujourd'hui ? La défection des Trévires, des Lingons et des Aquitains, les hésitations ou la mise en marche trop tardive des Eduens et des Bellovaques, inspirées par des jalousies privées analogues à celles des Argiens et des Lacédémoniens vis-à-vis d'Athènes, ne sont que des incidents déplorables qui n'empêchent pas de reconnaître autour de Vercingétorix acclamé, un sursaut du patriotisme national des Gaulois. César, dit Fustel de Coulanges, remarqua alors, avec quelque surprise, le merveilleux accord des volontés pour ressaisir l'indépendance. Vercingétorix, dictateur suprême, représente à nos yeux la nationalité gauloise restaurée dans son unité politique. La Gaule redevint, pour un jour, une grande monarchie pour lutter contre l'étranger.

La Patrie gauloise est proclamée une et indivisible dans ces paroles que César, lui-même, met dans la bouche de Vercingétorix parlant à ses soldats : La Gaule unie, formant une seule nation, animée d'un même esprit, peut défier l'univers[40]. Paroles mémorables et saintes, gravées sur le socle de la statue qu'à la veille de la guerre de 1870, l'infortuné Napoléon III fit élever à Vercingétorix sur le plateau d'Alésia.

 

 

 



[1] Aujourd'hui, la France a encore un sixième de sa surface en bois (neuf millions d'hectares).

[2] VIDAL DE LA BLACHE, Tableau de la Géographie de la France, p. 33 et suivantes ; C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. I, p. 89.

[3] Ce chiffre a été considéré par les critiques modernes comme très exagéré.

[4] ANDRÉ THEVET, Cosmographie universelle, chap. XIII, p. 682 ; cité par ALFRED MAURY, les Forêts de la Gaule, p. 168.

[5] STRABON, IV, 3, 5.

[6] E. T. HAMY, Les Premiers Gaulois, dans l'Anthropologie, 1906 et 1907.

[7] C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. I, p. 251.

[8] STRABON (1, 4, 3) dit que tout le monde reconnait que Pythéas est le plus menteur des hommes. Mais des savants modernes ont réhabilité le hardi navigateur marseillais. C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. I, p. 116 et s.

[9] G. DOTTIN, la Religion des Celtes, p. 56.

[10] C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. I, p. 115 ; cf. A. HOLDER, Alt-Celtischer Sprachschatz, t. II, col. 72. On retrouve le terme Isar ou Isarn en composition dans un certain nombre d'autres noms.

[11] A. HELDER, Alt-Celtischer Sprachschatz, t. I, col. 1379 à 1382 ; C. JULLIAN, Hist. de la Gaule, t. I, p. 115.

[12] C. JULLIAN, Hist. de la Gaule, t. I, p. 115.

[13] C. JULLIAN, Hist. de la Gaule, t. I, p. 116 ; cf. HOLDER, t. III, col. 85.

[14] C. JULLIAN, Hist. de la Gaule, t. I, p. 253.

[15] C. JULLIAN, Hist. de la Gaule, t. I, p. 286 et suivantes et p. 296. D'après la tradition, Sigovèse aurait franchi le Rhin pour traverser la foret Hercynienne et gagner le Danube. Il est plus vraisemblable d'admettre qu'il suivit la route du commerce, passa par la trouée de Belfort et franchit le Rhin, vers le confluent de t'Aar pour gagner les sources du Danube.

[16] POLYBE, II, 17, 11.

[17] C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. I, p. 313.

[18] Il est presque superflu d'observer que ces chiffres donnés par les historiens romains sont, sans doute, très exagérés. Mais ils sont le témoignage de la terreur inspirée par les Barbares.

[19] DION CASSIUS, Histoire romaine, CCLXXVII (éd. Gros, t. II, p. 109).

[20] ÉMILE LEVASSEUR, la Population française, t. I, pp. 99-101 ; J. BELOCH, Die Bevœlkerung der griechisch-romischen Welt, p. 460 (in-8°, 1886) ; cf. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, Recherches sur les origines de la propriété foncière, p. 636 ; C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. II, p. 5.

[21] AMMIEN MARCELLIN, XV, 9.

[22] CÉSAR, Bell. Gall., IV, 16.

[23] STRABON, IV, 4, 2 et 3.

[24] STRABON, IV, 4, 3.

[25] POSIDONIUS, dans ATHÉNÉE, Deipnosoph., IV, 36, cité dans FUSTEL DE COULANGES, Histoire des Institutions, t. I, p. 34.

[26] STRABON, IV, 4, 3.

[27] STRABON, IV, 4, 5.

[28] STRABON, IV, 4, 2.

[29] Voyez notamment POLYBE, II, 35.

[30] C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. II, pp. 118, 436, 443.

[31] AMMIEN MARCELLIN, Tractibus transrhenanis, XV, 9, 4, d'après Timagène.

[32] Propinqui, consanguineique, ou encore fratres, affines. CÉSAR, passim.

[33] BIENKOWSKI, Die Darstellungen der Gallier in der Hellenistischen Kunst, Vienne, 1908, in-4°.

[34] C. JULLIAN, Histoire de la Gaule, t. II, p. 412.

[35] Voir surtout pour la critique des sources relatives à ce Concilium de toute la Gaule, l'étude approfondie de M. C. JULLIAN, Revue celtique, t. XXIII, octobre 1902.

[36] CÉSAR, Bell. Gall., VI, 13, 10.

[37] CÉSAR, Bell. Gall., VI, 3.

[38] FUSTEL DE COULANGES, Histoire des Institutions, t. I, p. 57.

[39] CÉSAR, Bell. Gall., VII, 63.

[40] .... unum concilium totius Galliœ effecturum, cujus consensu ne orbis quidem terrarum possit obsistere (Bell. Gall., VII, 29).