RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

TOME QUATRIÈME. — ADMINISTRATION GÉNÉRALE (SUITE).

LIVRE IV. — ADMINISTRATION PROVINCIALE.

CHAPITRE IV. — LES PROVINCES VIVANTES : PAYS D'ÉTATS.

 

 

I

Limites des pouvoirs selon leur ressort. — Autonomie absolue et unité absolue également chimériques. — Les groupements politiques existants. — Pays libéraux, pays socialistes ; ce qui les distingue : l'action du gouvernement et non sa forme. — Socialistes purs et socialistes d'État. — Unité provinciale, nationale, européenne.

Les États provinciaux au dix-septième siècle. — Leur administration, aussi bien combinée que la nôtre. — Leur indépendance financière ; ses avantages. — Le droit de suffrage : il n'est ni général, ni identique ; ses bases.

 

L'étude de l'ancienne administration locale se complète par l'examen sommaire du rôle d'une autorité qui ne subsistait plus que dans un tiers de 1a France : celle des États provinciaux. Ce sont, en politique, des questions encore pendantes, encore agitées, que celles de la limite des pouvoirs selon leur nature (exécutif, législatif, judiciaire), et selon leur ressort (pouvoir central, pouvoirs locaux). Chacun convient que l'équilibre est ici affaire de mesure, mais c'est justement sur cette mesure que l'on ne s'entend pas.

De même que l'homme n'est parfaitement libre que s'il vit seul, et qu'il aliène une partie de son indépendance dès qu'il consent à vivre en société ; ainsi, pour les territoires, l'unité c'est une sorte de servitude, l'autonomie c'est la liberté. Cependant, l'autonomie absolue, c'est une chimère insaisissable ; ce n'est pas même l'émiettement féodal, puisque les seigneurs avaient entre eux du haut en bas des rapports de dépendance et de suzeraineté ; c'est à peine l'état sauvage le plus primitif de peuplades vagabondant au hasard du désert, puisque, sitôt qu'elles se fixent, elles tendent à se grouper ou à se détruire.

Par contre, l'unité absolue, ce serait le genre humain formant une seule nation, comme il ne forme qu'une seule famille, les quatre parties du monde ayant mêmes lois, payant mêmes impôts et obéissant à un seul homme, ou à une seule assemblée selon qu'on se les figure en monarchie ou en république. Il ne serait pas nécessaire pour cela que tous les hommes de la terre parlassent la même langue, puisqu'on voit dès à présent de tout petits États se composer de citoyens qui ne peuvent se comprendre que par interprètes. Supposons donc que cette folle et inoffensive utopie devienne demain une réalité, l'humanité pourrait être indifféremment très-heureuse ou très-malheureuse selon les institutions qu'elle se donnerait. Si le Roi ou la chambre des députés qui réglerait les destinées de cette planète consentait à ne s'occuper que des matières qui intéressent l'universalité des êtres, aussi bien en Italie qu'en Suède ou aux Indes, ou en Amérique : grandes voies de communication, répression des crimes, apaisement des querelles, etc., il remplirait un emploi fort bienfaisant, mais il ne ferait, en somme, que ce que fait ou tente de faire la diplomatie internationale, réunie chaque jour en conférence, tantôt ici et tantôt là. La besogne du gouvernement central de l'humanité serait ainsi celle d'un syndicat des ministères des affaires étrangères de toutes les nations du monde, avec cette différence que les décisions de ce syndicat, au lieu d'être à peu près facultatives, comme sont les protocoles des congrès d'aujourd'hui pour les hautes parties contractantes, seraient obligatoires, comme les décrets d'un, souverain pour l'ensemble des districts de son empire. On ne supprimerait pas les guerres, puisqu'un ou plusieurs de ces districts, la province Allemagne, la province Angleterre, ou Turquie, ou Chine, pourrait se révolter contre les autres, comme la Germanie s'est révoltée jadis contre l'Empire Romain, et dans les temps modernes le Portugal contre l'Espagne, la Vendée contre la France, la Hongrie contre l'Autriche, avec des succès divers ; mais les luttes deviendraient plus rares et plus courtes... peut-être, chaque dissident isolé ayant à combattre l'armée humaine tout entière. On voit déjà réalisé, en partie du moins, ce qu'une pareille idée peut avoir de pratique, dans les alliances offensives et défensives conclues entre grands et puissants peuples de notre continent.

Mais qu'on imagine au contraire l'univers centralisé, et son gouvernement entrant dans le détail de la vie de chaque partie du monde, devenue simple province, de chaque pays réduit à l'importance d'un arrondissement, légiférant sur toutes choses, d'après des principes excellents, nous l'accordons, mais uniformes ; les êtres qui vivent sur la surface du globe seraient par là même victimes d'une insupportable tyrannie, parce qu'il est tout à fait impossible qu'un si prodigieux nombre d'hommes aient, sur tous les points, une opinion identique ; et que par conséquent dans chaque question, quelle que soit la manière dont on la tranche, il y aurait toujours une fraction notable de l'humanité qui serait blessée dans ses croyances, ou ses idées, ou ses intérêts.

Si du domaine des rêves nous passons dans celui de la réalité, nous voyons que les individus civilisés ont formé entre eux des sociétés de grandeur et de forme différentes, dont l'aménagement intérieur est sans cesse dérangé par des révolutions intestines, d'ont les limites sont fréquemment déplacées par les guerres extérieures, mais qui peuvent se ramener à deux types : pays libéraux, pays socialistes. Parmi les pays libéraux il y a des monarchies et des républiques, et de même parmi les pays socialistes ; car l'étiquette ne signifie rien, pas plus que la longueur des frontières : il est de grandes nations libérales et de petits peuples socialistes. Ce qui importe, c'est le rôle que chaque pays assigne à son gouvernement, les fonctions dont il le charge, les bornes qu'il lui impose. Ce sont là les caractères auxquels on distingue les uns des autres. En monarchie ou république libérale, la règle est que, le droit individuel étant le premier de tous les biens, la jouissance doit en être conservée aux sujets ou aux citoyens, en tout ce qui n'est pas absolument contraire à l'existence nationale. En monarchie ou en république socialiste, on a pour dogme fondamental que l'État, incarné dans son chef ou dans la majorité de ses citoyens, étant aussi supérieur à chacun de ses membres que le tout l'est à la partie, possède seul tous les droits, que par suite il a tous les devoirs et principalement le devoir de faire prévaloir ses droits. La tendance naturelle d'une assemblée ou d'un homme investi d'un pouvoir étant d'en abuser, les pays socialistes, qu'ils soient républicains ou monarchiques, sont ainsi fatalement voués au despotisme, exercé par un prince sur ses sujets ou par une majorité sur une minorité ; et ce despotisme est d'autant plus lourd que ces pays sont plus enclins à dépouiller l'individu au profit de la collectivité.

Un pays socialiste ne peut jamais être libéral lors même qu'il serait démocratique, parce que l'égalité dans l'obéissance, l'obéissance due par chaque citoyen à l'ensemble de la communauté, n'est pas la liberté. Obéir à des millions d'égaux ou à un seul supérieur, n'est-ce pas toujours obéir ?

Ce classement théorique des États selon leur constitution n'a rien, cela va sans dire, d'immuable. Une même nation passe successivement par des phases de libéralisme et de despotisme ; il est des instants où les peuples préfèrent un gouvernement absolu, qui est bon, à un gouvernement libéral, qui est mauvais ; des instants où ils sont plus frappés des inconvénients de l'autorité que de ses avantages ; puisque l'autorité et la liberté ont l'une et l'autre leurs avantages et leurs inconvénients. Il n'y a non plus, dans l'apparence extérieure d'un organisme gouvernemental, rien qui révèle son caractère intime : tel parait socialiste au premier abord parce qu'il est autoritaire, mais comme son despotisme ne s'exerce, en fait, que dans une sphère haute et restreinte, les gens qui vivent sous lui jouissent, dans la vie quotidienne, d'une assez grande dose de liberté. Tel semble au contraire libéral à outrance, parce qu'il a pour fondement des maximes justes et douces, mais comme il a été imprégné de vieille date d'idées socialistes sur le rôle du pouvoir central, que ces idées sont devenues eu quelque sorte sa substance même, les maximes dont nous parlons restent à l'étai décoratif, et il continue à vivre sous l'empire de mœurs politiques que ses lois n'osent répudier. Quoique le gouvernement de la Russie, par exemple, soit le plus autocratique de l'Europe, et que celui de la France passe pour le plus révolutionnaire, les provinces russes sont infiniment plus indépendantes que les départements français, et il est vingt choses que peuvent taire librement les humbles sujets de là-bas et qui sont interdites aux électeurs souverains d'ici.

Ainsi, plus on explore attentivement les institutions présentes ou passées des différents peuples, plus on voit que la somme de liberté dont ils jouissent ne tient pas tant à la forme des gouvernements qu'à leur action. Les meilleurs gouvernements ne sont pas ceux qui agissent le moins, comme on l'a dit parfois à tort, mais ceux qui n'agissent que dans la limite de leurs attributions rationnelles et légitimes. Ce qu'aucun homme ne peut faire seul doit être fait par le premier groupement des individus, qui est la commune ; ce qu'aucune commune ne peut faire seule doit être fait par le groupement des communes : province, département ou district quelconque. Enfin ce qu'aucune province ne peut faire seule doit être fait par l'État.

Aux yeux du socialiste pur, il n'y a ni familles, ni communes, ni provinces, ni États ; tous les individus sont citoyens de l'humanité et doivent s'absorber en elle. Aux yeux du socialiste d'État, beaucoup moins insensé et comme tel beaucoup plus redoutable, la famille, la commune, la province n'ont d'existence légale qu'autant qu'il plaît à l'État de la reconnaître ou de la tolérer. L'État seul est quelque chose, les individus, isolés ou réunis en groupes de diverses tailles dans le sein de l'État, ne sont rien. Être Bourguignon ou Normand, et préférer la Bourgogne ou la Normandie à la France, c'est être factieux, rebelle et atteint du plus coupable égoïsme ; être Français et préférer la France à l'Europe, c'est être fidèle sujet et généreux patriote. Ainsi, plus de barrière à l'intérieur de l'État, plaine vaste et unie, mais une muraille haute et infranchissable autour des groupements politiques que l'on appelle des nations, tel est le but poursuivi depuis des siècles, et le résultat successivement atteint, chez nous comme dans presque tous les pays qui nous environnent, mais dont nous avons été les premiers modèles. Ce mouvement de concentration ira-t-il plus loin ? Après avoir détruit partout les autonomies provinciales au nom du principe des unités nationales, détruira-t-on ces autonomies nationales elles-mêmes, à peine achevées et déjà discutées par certains partis, au nom du principe de l'unité européenne ? L'avenir le sait ; le passé a vu des révolutions aussi profondes et non moins singulières.

Il importait seulement, en cherchant à photographier la machine gouvernementale du temps de Louis XIII, et à nous rendre compte des transformations qu'elle subit, de ne pas nous laisser abuser sur les prétentions rivales des autorités en présence ; de ne pas, par exemple, considérer comme sacro-sainte l'œuvre centralisatrice du pouvoir royal, et comme odieuses et condamnables les tentatives de résistance des pouvoirs provinciaux. Si le seul but auquel on doit tendre est le bonheur du plus grand nombre d'individus, quel mode d'agglomération est le plus capable de le garantir ? Les fédérations de petits États ou les grands États décentralisés sont-ils ou non plus libres, et partant plus heureux, qu'un peuple uniformisé, dans sa masse énorme ?

Le Roi, nous l'avons dit, était aussi bien le roi du Dauphiné ou du Languedoc que celui des généralités de Tours ou d'Amiens. Le respect, l'affection pour le monarque —et toute bonne monarchie est un gouvernement d'affection autant qu'un gouvernement de raison — sont aussi grands dans les pays d'États que dans les pays d'élections. Si l'on essaye de connaître les opinions de la France, d'après ses votes en 1614, on la trouve partagée en trois fractions ; provinces dociles et conservatrices : Guyenne, Champagne, Dauphiné, Provence ; provinces mixtes : Normandie, Languedoc, Bourgogne, Lyonnais ; provinces opposantes et libérales : Orléanais, Bretagne, Ile-de-France, Picardie. Comme on le voit, les régions où la couronne éprouve le moins de résistance sont particulièrement celles où son rôle actif est le plus restreint. Et la Bretagne, ce pays d'État qui seul parait alors ne pas se plier à ses vues, qui, toujours remuant jusqu'à la veille de la Révolution, est le théâtre de la révolte du pays timbré sous Louis XIV, des conspirations Pontcallec et Talhouët sous le Régent, de l'affaire La Chalotais sous Louis XV, fut aussi le seul qui voulut, en face des violences révolutionnaires, défendre à main armée cette royauté, à laquelle il avait su maintes fois tenir tête.

Qu'à la veille de 1789 les assemblées provinciales semblent, comme le pense Tocqueville, impénétrables par leur antique constitution à l'esprit nouveau du temps, qu'elles arrêtent la marche de la civilisation plutôt qu'elles n'y aident, le fait n'a rien d'impossible ; mais, cent cinquante ans plus tôt, elles offrent le type d'une administration aussi bien combinée que la nôtre. Leur indépendance en fait de contributions était entière ; le Roi ne savait même pas le chiffre des sommes recouvrées ; il n'en était pas, du moins, informé officiellement. Les règles appliquées à l'assiette, à la discussion, à la levée, à la vérification de l'impôt sont parfaites : en Languedoc, assemblées de répartiteurs, consuls chargés de la collecte, syndics de diocèses élus à tour de rôle pour en surveiller la rentrée, et que la force de leur association met en mesure de prendre le fait et cause des communes rurales, contre les gentilshommes récalcitrants à l'acquittement de leur cote. Étendre un pareil régime à toute la France, c'eût été presque devancer d'un siècle et demi les réformes accomplies par l'Assemblée constituante[1].

Au point de vue du droit de suffrage, qui n'était ni général ni identique, le mode de recrutement des États provinciaux laissait incontestablement à désirer. En Provence, en Bourgogne, en Languedoc, toutes les villes n'envoyaient point de députés aux États ; la Bretagne, au début du seizième siècle, n'admettait encore qu'une trentaine de cités à jouir du droit de vote. Les archives de Provence nous apprennent que plusieurs bourgs, jusque-là sans mandataires, sont peu à peu autorisés sous Louis XIII à se faire représenter. Des faits analogues ne se sont-ils pas produits, en Angleterre, pour la Chambre des communes ? Les villes, quelle que fût leur population, avaient même nombre de députés les unes que les autres, comme les délégués sénatoriaux sous l'empire de la loi de 1875, et comme les conseillers Généraux qui représentent aujourd'hui des cantons très-inégaux. Qu'importaient de semblables détails, susceptibles de perfectionnement, auprès de ce principe du self government, si largement mis en pratique par les assemblées locales !

Un des apôtres de l'absolutisme, le conseiller d'État Le Bret, reconnaît formellement aux États provinciaux le pouvoir d'adresser des remontrances au souverain, touchant les affaires particulières de tout le pays, et d'envoyer des députés pour les lui faire entendre[2]. Qu'on ne s'arrête pas à la forme de ces requêtes, qu'on ne s'étonne ni de ce que les délégués de la noblesse et du tiers soient chapeau bas devant le monarque, tandis que le délégué du clergé est couvert, ni de cette qualification de suppliants que se donnent les représentants — formule que le plus titré des gentilshommes emploie vis-à-vis du plus modeste siège judiciaire — et l'on y verra une nouvelle preuve de cette faculté d'interpellation respectueuse des sujets à leur prince qui s'exerça sans encombre jusqu'à Louis XIV.

 

II

ÉTATS DE NORMANDIE : éligibilité, obligation de siéger. — Le chiffre de la taille, objet principal des délibérations. — Les doléances du tiers, elles sont intentionnellement exagérées. — Demandes des États relatives à la publicité de leurs vœux. — Esprit d'autonomie dans la révolte des nu-pieds. — L'émeute pour la protection d'intérêts matériels.

ÉTATS DE BRETAGNE. — Leur pouvoir beaucoup plus étendu qu'en Normandie ; leurs procédés de travail. — « Commissions intermédiaires ». — La représentation de la noblesse est trop nombreuse. — Fidélité de la Bretagne sous les minorités de Louis XIII et Louis XIV. — Traitement favorable qu'elle reçoit de Richelieu, son gouverneur. — Changements qui s'opèrent vers 1670 ; le caractère des Etats se modifie.

 

Cette faculté avait-elle existé partout au moyen âge ? Les pays d'élections ont-ils tenu jadis des assises que la jalousie des princes ait peu à peu supprimées ? C'est une question assez obscure[3]. Les États provinciaux du Bas-Limousin se réunissent (1529) pour voter les fonds nécessaires à la rançon des fils de François Ier, et l'on ne constate au dix-septième siècle aucune trace de représentation régulière dans cette province. Il est certain que l'opinion publique souhaitait l'établissement dans tout le royaume de semblables assemblées. Les États généraux de 1576 en formulèrent nettement le vœu. Cependant cinq grandes provinces : Bretagne, Languedoc, Provence, Dauphiné, Bourgogne, et deux petites : Navarre et Béarn, jouissent seules d'une assez sérieuse indépendance au début du règne de Louis XIII. La contribution directe est chez elle exclusivement foncière (taille réelle) et ne fait point acception de personnes ; la Normandie, bien que soumise à l'impôt sur le revenu (taille personnelle), possède aussi des États, mais leurs attributions sont beaucoup plus restreintes.

Il ne parait pas, si l'on en juge par le petit nombre des votants, que les élections des députés fussent bien chaudes. Dans le bailliage de Rouen, en 1613, cent quinze prêtres, quatorze nobles, cinquante-deux bourgeois sont seuls à y prendre part ; trois ans après, il n'y a que quatre membres du clergé, vingt-quatre de la noblesse et quarante-quatre du Tiers à exercer, dans la même circonscription, leur droit de suffrage. Le chiffre des votants variait ainsi fortement d'une session à l'autre[4]. Parmi les délégués du Tiers, porteurs du cahier, on remarque assez fréquemment des laboureurs[5].

Chaque année, le Roi envoyait au gouverneur de Normandie les lettres closes destinées aux baillis de la province, pour la convocation des États ; le gouverneur les leur adressait individuellement avec une lettre circulaire de sa main[6]. N'étaient éligibles, sauf de rares exceptions, que les individus natifs et originaires de la province ; l'élu devait se munir de son pouvoir ou procuration, sous peine de n'être pas accueilli. Les officiers de la vicomté étaient tenus de le lui délivrer, sauf au député nommé à les poursuivre judiciairement, s'ils refusaient de le faire. Il fallait que ces procurations fussent conçues en bonne forme, en termes amples et généraux ; porteur d'une procuration dont la rédaction ne paraissait pas congruente, le délégué risquait d'être repoussé ou ajourné par ses collègues. Il n'était loisible à aucun député de s'abstenir de siéger ; le règlement là-dessus est assez sévère. Mais on pouvait se faire remplacer : le représentant de Pont-de-l'Arche, condamné par les États à seize livres d'amende pour n'avoir pas comparu, s'en fit décharger plus tard en alléguant que sa femme était malade et qu'un sien ami, auquel il avait envoyé sa procuration, s'était trouvé absent. L'assemblée choisit annuellement son président — le plus souvent un membre des deux premiers ordres — chargé de présenter ensuite les cahiers en tête de la commission nommée à cet effet. Les États désignent aussi leur procureur-syndic, quelque avocat distingué du chef-lieu, auquel est alloué un traitement fixe, plus une gratification qu'on ne manque jamais de lui voter sans qu'elle puisse tirer à conséquence. La session ne coûte à la province que mille neuf cents livres, réparties entre les députés pour les indemniser de leurs frais de séjour[7]. Le chiffre de la taille est toujours l'objet principal des délibérations ; périodiquement, le marchandage recommençait ; la Normandie, avons-nous dit précédemment, a toujours beaucoup payé sous l'ancien régime, mais elle a toujours aussi beaucoup gémi. Le caractère de chaque peuple se reflète dans sa façon de traiter les affaires : Sire, disent les cahiers de 1617, vous demandez beaucoup, nous pouvons peu... le bon pasteur doit tondre le troupeau, non l'écorcher ; prenez la laine, laissez la peau entière afin qu'elle renourrisse ce que vous pourrez retondre chaque an[8].

L'impartialité nous oblige à reconnaître que ces bons États normands poussent extrêmement au noir : sont-ils menacés de perdre dix sous ou d'être gênés en quelque chose, la plus petite soit-elle ? L'année a-t-elle été trop sèche ou trop pluvieuse ? C'est un furieux concert de plaintes. A les entendre, ils sont toujours ruinés ou à la veille de l'être ; ils se peignent comme sur le point de mendier leur pain... de ne pouvoir plus subsister... si on les presse davantage, on ne tirera plus d'eux que des soupirs et des larmes..., et effectivement ils ne lésinent pas là-dessus. Il faut donc faire la part de l'exagération.

A toute session, le clergé et la noblesse commencent par demander le maintien de leurs privilèges, dont ils remontrent le bien fondé ; le Tiers, lui, commence par se plaindre. En 1616, il dit : Le tiers état est réduit à l'extrémité, le désordre passé a mis sa misère au souverain degré... En 1617, il débute : Le tiers état est réduit à la pire condition qu'il ait jamais été... En 1618 : Le tiers ordre est tellement désolé, que l'on voit la terre jonchée de corps abattus par une longue disette... En 1620 : Le tiers ordre se plaint d'une douleur d'autant plus juste, qu'il est le seul à porter le faix de toutes les charges et tributs... Bien que toujours il ait protesté que les champs étaient inhabités, il affirme que, cette année, la peste a fait mourir dans la province un million de personnes. Doubles figures de rhétorique. En 1623, il ne dit pas grand'chose. En 1624 : Le tiers état n'a plus de parole pour vous pouvoir représenter les peines et supplices dont on l'afflige, le grève et épuise-t-on par toutes sortes de rigueurs, jusques à la dernière goutte de son sang.... En 1626 : Le tiers état peut emprunter la voix de Jérémie pour plaindre ses malheurs... son plus heureux souhait est celui de la mort... En 1627 : Il est le sommier sur lequel tout le fardeau de l'État se jette... il ne lui reste que la peau... En 1629, il meurt de faim... ; en 1631, il est aux abois..., et ainsi d'année en année. On doit se garder de prendre ces doléances trop au pied de la lettre, de même que les historiens qui vivront dans deux ou trois cents ans devront éviter de se fier à des discours de tribune ou à des articles de journaux de ce temps-ci, qui leur présenteront chaque régime, selon leur point de vue, comme l'époque la plus délicieuse ou la plus épouvantable qui ait jamais été.

Cependant vers 1636, 37, 38, le Tiers ne se plaint plus, il commence à se fâcher ; on sent sourdre sa colère au ton déterminé de ses paroles. Le plus curieux est qu'en ces mêmes années 1620 à 1635, la noblesse et le clergé ne s'occupent que d'eux-mêmes. Le clergé fait valoir qu'il a continuellement les bras levés vers le ciel, redoublant ses prières pour le bien de cet État... ; la noblesse, dans l'article qui précède, le narré des mécontentements du Tiers, s'exprime fort posément : C'est l'ordinaire des sujets d'un État calme et florissant de demander de nouveaux privilèges... mais nous ne demandons que la continuation de nos anciennes immunités entre lesquelles[9]... etc. Ne fallait-il pas d'ailleurs finir par s'exécuter ? Les commissaires royaux font suivre le vote de la somme, fixée à Paris par le ministère, de cette phrase : Les délégués tenant la convention (c'est le nom donné aux États), en réponse à la proposition et demande faite de la part du Roi, consentent et accordent lui payer pour l'année prochaine... Mais ce n'est guère qu'un protocole, comme cette conclusion des plaintes du Tiers qui se terminent toujours par un : néanmoins, le zèle ardent que cette désolée province porte à ses princes, nous fera surmonter toute nécessité pour... offrir ce qu'en somme on ne pouvait refuser. Les États servaient pourtant à quelque chose : ils contrôlaient l'assiette de la taille, et il était enjoint aux élus de prendre leur avis ; ils vérifiaient certains comptes, et, si l'on prétendait les leur soustraire, suspendaient les séances jusqu'à ce qu'on les leur eût remis. Ils auraient désiré davantage : par exemple, que les réponses du gouvernement à leurs cahiers fussent publiées par les tribunaux à la diligence des députés du Tiers, afin d'être notoires à un chacun. La cour ne déféra pas à ce vœu qui cherchait à peser sur elle par une sorte d'appel à l'opinion et, par conséquent, n'était pas fait pour lui plaire[10].

Quand le peuple de ce temps était définitivement irrité, tout ne se passait plus en conversations ; on l'a vu par la révolte de 1639. Les placards annonçant la venue de Jean Nu-Pieds,

Que Dieu a envoyé

Pour mettre dans la Normandie

Une parfaite liberté,

dénotaient un ressouvenir menaçant de l'ancien esprit autonome lorsqu'ils disaient :

Fais voir à la postérité

Qu'il est encor des duc Guillaume... ;

Puisqu'on vous traite à la rigueur,

Si vous ne conservez vos chartes,

Normands, vous n'avez point de cœur... !

Cette résistance populaire par l'émeute, cette descente dans la rue pour la protection d'intérêts matériels, que l'on voit se produire plusieurs fois sous ce ministère, à tort ou à raison, à propos d'impôts sur les cuirs, sur les draps, sur les cartes, avec la connivence à peine déguisée des autorités bourgeoises[11], ne se retrouveraient plus aujourd'hui, lors même que le pouvoir central ferait le plus abusif exercice de ses droits. C'est un signe des temps que l'État, en devenant si fort, ait affaibli à l'excès toute manifestation des volontés individuelles et les ait en même temps rendues plus dangereuses, puisque, ne pouvant l'emporter sur lui, même en une matière légère, sans le détruire, toute émeute victorieuse devient une révolution.

Le pouvoir des États était bien autrement étendu en Bretagne qu'en Normandie, et l'histoire moderne de la péninsule armoricaine n'est que le récit de ses longs efforts pour faire respecter la loi contenue dans son traité de réunion à la couronne (1532), loi très-discutable sans doute, mais qui, à tout prendre, consacrait la plupart des principes dont la proclamation garantit la liberté politique. Ici, les agents de l'autorité, sauf les gouverneurs de ville et les magistrats, dépendent tous des États et sont choisis par eux ; ainsi, avant l'arrivée des intendants et de leurs subdélégués, la province s'administre elle-même. Dans l'intervalle des sessions, les États sont remplacés par une commission intermédiaire, qui les représente et possède une partie de leurs droits. Cette institution, analogue aux commissions départementales d'aujourd'hui, que l'on retrouve dans la plupart des pays d'États, n'était pas le seul point de ressemblance des États de province avec nos conseils généraux. La division du travail en six commissions, composées de membres des trois ordres — finances, baux et adjudications, commerce et travaux publics, étapes et casernements, domaines et contrôles, contraventions —, la consultation préalable des délégués locaux, sans l'assentiment desquels le pouvoir central ne peut accomplir certains actes, ne rappellent-elles pas singulièrement les usages et la législation actuelle[12] ? Mais les anciennes attributions locales sont infiniment plus larges que celles de nôs jours. Les États n'ont pas seulement la -libre disposition des impôts directs ou indirects — aussi bien des Touages que du devoir des boissons ! — sur la masse desquels ils prélèvent le don gratuit (ce que la Bretagne envoie à la France), les gages du gouverneur et du parlement, les dépenses des routes ; ils n'ont pas seulement des revenus particuliers qui leur permettent d'encourager les travaux scientifiques, — l'Histoire de Bretagne, par d'Argentré, fut imprimée aux frais de la province à qui elle coûta trois mille livres ; — mais ils empruntent à leur gré, quelle que soit l'importance de la somme ; votent tous les subsides, qu'ils appliquent au royaume ou à la province ; discutent par suite toutes les questions générales et provinciales et ne laissent exécuter, sur la terre bretonne, nul édit qui n'ait été d'abord visé et consenti par eux[13]. Ce sont eux encore qui désignent la députation des trois ordres aux états généraux : les membres du Tiers sont choisis par le clergé et la noblesse ; ceux de la noblesse, par le Tiers et le clergé ; ceux du clergé, par le Tiers et la noblesse.

Dans cette assemblée ambulatoire, qui tenait ses sessions tantôt dans une ville et tantôt dans l'autre[14], la proportion des trois ordres entré eux n'avait malheureusement plus le sens commun. Depuis la ligue, la noblesse, au lieu d'être représentée seulement par les chevaliers bannerets et les grands barons du moyen âge, en était arrivée à siéger tout entière ; de sorte que les États ressemblaient à une Diète polonaise, et que les cinquante-huit délégués de l'ordre de l'Église[15] et les cent mandataires des quarante-deux villes ayant droit de séance se trouvaient tout à fait absorbés. En apparence du moins, puisque le vote avait lieu par ordres, que la voix du Tiers ou celle du clergé valait autant que celle de la noblesse, et qu'aucune taxe n'était imposable sans que les trois ordres fussent d'accord. Les députés sont unis heureusement, sans distinction d'origines, pour la défense de leurs droits. L'un d'eux ayant été arrêté sous Henri IV pour un délit privé, au mépris du privilège d'inviolabilité Oui leur appartenait pendant la durée de la tenue, et dix-huit jours après sa clôture, les séances furent aussitôt suspendues, et une délégation de six membres reçut mission d'aller délivrer le prisonnier, qui reprit solennellement sa place à son banc, les commissaires royaux s'empressant eux-mêmes de reconnaître son droit. En 1600, le Roi mande aux États qu'ayant appris que leur procureur-syndic, Biet du Coudray, n'était pas noble d'ancienne extraction, qualité indispensable pour exercer de pareilles fonctions, il les priait d'en choisir un autre. A la lecture de cette lettre, un orage éclate dans la salle : la noblesse entière s'écrie qu'il est insultant pour son honneur que d'autres affectent de se montrer sur ce point plus susceptibles qu'elle-même, les trois ordres décident sans débats que la lettre de Sa Majesté sera considérée comme non avenue, et l'affaire en reste là. En 1636, Louis XIII désigne comme syndic, par une missive aux États, un conseiller au parlement de Rennes : Notre intention est que vous le nommiez en votre prochaine assemblée. Les États avaient révoqué le prédécesseur pour des motifs que le Roi approuve. On voit la nuance à un tiers de siècle d'intervalle[16].

Rien n'avait pu ébranler la fidélité de la Bretagne pendant la régence orageuse de Marie de Médicis ; pour résister aux rebelles (1614), les gardes civiques s'étaient reconstituées au grand complet, avaient réparé les fortifications et renouvelé le matériel d'artillerie. Brissac, lieutenant général, ayant employé cent mille livres à lever des troupes sans l'aveu des États, ceux-ci les payèrent, bien qu'ils ne fussent pas tenus à ce remboursement, mais en considération de ce que cette dépense avait conservé la province en l'obéissance du Roi. Lorsque Vendôme cherche, au profit de ses pitoyables ambitions, à troubler la contrée (1626), les États font une motion — mendiée par la cour, dit Brienne, mais qu'importe ? — demandant qu'aucun descendant des anciens ducs de Bretagne ne puisse être gouverneur de la province. Aussi faut-il voir comme le ministère ménage alors les députés. L'année précédente, ils avaient déclaré qu'ils refuseraient l'impôt jusqu'à ce qu'on eût fait droit à certaines de leurs réclamations, et s'étaient séparés sans rien faire, tout en prenant l'engagement d'honneur de s'assembler plus tard au lieu et à la date qu'il plairait au gouverneur d'indiquer, afin d'y reprendre leurs opérations interrompues. Le garde des sceaux accourut : S'il s'est passé, leur dit-il, quelque chose qui blesse vos libertés, franchises et privilèges, le Roi entendra volontiers vos remontrances là-dessus, car il les veut maintenir entièrement et ne souffrir qu'elles soient entamées en quelque sorte que ce soit[17]. Cependant, de 1626 à 1634, des commissaires des guerres se présentèrent, avec mandements royaux, dans les villes, et malgré leurs plaintes enlevèrent les canons et les munitions. A Nantes, les échevins ne cédèrent qu'après une longue résistance, en déclarant qu'ils restaient désormais sans moyens de défendre leur cité, si elle était attaquée par les ennemis.

Bien qu'à partir de 1630 les États, qui se réunissaient chaque année en une session de six semaines ou deux mois, n'aient plus été convoqués que tous les deux ans, ce changement, dit M. de Carné, fut probablement moins important aux yeux des contemporains qu'aux nôtres, car il ne provoqua aucune observation aux tenues suivantes. On peut inférer de ce silence que la mesure fut le résultat d'un accord tacite. En effet, les institutions de la Bretagne furent, dans leur ensemble, respectées sous Louis XIII, ce qui mérite d'autant mieux d'être signalé que Richelieu y était alors gouverneur en titre. Les instructions que le cardinal donne à La Meilleraye en l'envoyant présider l'assemblée provinciale sont caractéristiques : Il remettra, dit-il, les États en leur ancienne liberté, permettant à chacun de ceux qui ont droit d'y assister, d'y venir à leur gré pour donner leurs suffrages aux choses qui seront proposées, sans que, directement ou indirectement, leur soit donné aucun empêchement. Il les laissera délibérer de leurs affaires comme ils verront bon être et démêler leurs intérêts entre eux selon que le bien du pays le requerra, sans s'y intéresser en faveur de qui que ce soit, pourvu que, sous ce prétexte, il ne se fasse aucune chose qui puisse être désagréable au Roi. Quoique ce dernier membre de phrase ouvrit quelque peu la porte à l'arbitraire et que le document fût rédigé en vue de plaire au grand public, auquel il était destiné, il n'en témoigne pas moins des intentions conciliantes du premier ministre. Celui-ci n'aurait pas craint de tenir un tout autre langage, s'il l'avait jugé opportun. Il donna, au reste, plus d'une preuve de sa bonne volonté à l'égard de ses administrés bretons : le cabinet ayant exempté de l'impôt direct, à prix d'argent, un certain nombre de feux dans chaque paroisse sans l'assentiment des États, restreignit ensuite, sur leur demande, cette mesure aux plus étroites limites[18].

Mazarin, qui persévéra dans ce système, n'eut pas lieu de s'en repentir ; la Bretagne, durant la Fronde, demeura paisible. Il n'en fut pas de même sous les règnes postérieurs. Pour défendre ses droits méconnus par Louis XIV, la vieille terre d'Armor qui avait résisté à César, porté en frémissant le joug de Charlemagne, et qui ne s'était laissé unir à la France qu'après avoir vu le sang de ses princesses mêlé à celui de trois de nos rois, se souleva avec enthousiasme. L'insurrection de 1675 ne put être réprimée que par une armée de dix mille hommes qui vécut à discrétion sur le pays. Plusieurs habitants de Rennes, écrit un bourgeois de cette ville, ont été jetés par les fenêtres de leurs maisons, les soldats ont violé les femmes, lié des enfants tout nus sur des broches pour les faire rôtir (détail confirmé par madame de Sévigné), brûlé les meubles, rançonné les hôtes... A cette époque la convention provinciale perdait tout caractère politique pour devenir cette bombance de foire dont la même madame de Sévigné nous a laissé le pénible tableau : Les États ne sont pas longs, il n'y a qu'à demander ce que veut le Roi ; on ne dit pas un mot, voilà qui est fait. Quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bals éternels, des comédies trois fois la semaine, une grande braverie, voilà les États, j'oublie trois ou quatre cents pipes de vin qu'on y boit, mais si je ne comptais pas ce petit article les autres ne l'oublient pas, c'est le premier... Seuls, deux Bretons indiscrets parlent avec trop de chaleur, c'est-à-dire dans un sens opposé aux désirs du gouverneur, qui les chasse. On avait cessé de comprendre à Versailles jusqu'au sens des réclamations qu'adressaient à la couronne soit les États, soit le parlement de Rennes, tant les oppositions paraissaient inadmissibles, quelle qu'en fût la nature, et sur quelque titre qu'elles se fondassent[19]. Malgré tout, le culte des personnes royales ne diminua pas, et plus tard on retrouvera, sur les tables mortuaires de Quiberon, la plupart des noms inscrits au bas des fières remontrances adressées, peu de jours avant 1789, par les membres des États de Saint-Brieuc, à cette royauté pour laquelle ils devaient bientôt donner leur sang.

 

III

ÉTATS DE NAVARRE, BÉARN, LANGUEDOC. — Rapports avec le pouvoir central. — Le duc de Montmorency, très-populaire en Languedoc, mais sans influence contre le Roi. — Confusion volontairement établie, à Paris, entre la révolte et l'établissement des élections. — Composition des Etats ; les députés du Tiers cessent d'être librement élus sous Louis XIV.

 

Au sud-ouest, entre la Guyenne, le Languedoc et l'Espagne, subsistait un autre groupe autonome : le Bigorre, comptant 266 paroisses, dont les États étaient présidés par l'évêque de Tarbes[20], le comté de Foix, le Marsan, le Nébouzan, principalement le Béarn et la Navarre. Chacun de ces districts tenait à sa petite individualité ; quand les conseils de Navarre et Béarn furent fondus ensemble, sous Louis XIII, pour composer le parlement de Pau, il y eut grande opposition en Navarre, parce qu'on ne voulait pas que les deux couronnes fussent unies à jamais. Au contraire, pourvu que l'on respecte leurs libertés, les provinces d'alors passent parfois sans beaucoup de difficulté d'un souverain à l'autre. Telle la Catalogne, en 1641, lorsque les Bras ou États généraux de ce pays, ont fait jurer au Roi Très-Chrétien les conditions auxquelles ils se soumettent à lui. Ce pacte n'était généralement respecté par le monarque que juste le temps nécessaire pour ne pas s'aliéner la population. Quand on était sûr de le violer impunément, on trouvait toujours, à Paris, quelque prétexte pour en modifier les clauses.

Il fut défendu, par un édit de 1633, aux États de Navarre de s'assembler plus d'une fois par an, pendant quatre jours seulement, et d'admettre plus d'un député pour chaque ville ou commune rurale. On leur enleva le choix de leur greffier (secrétaire), et on les obligea à recevoir un conseiller de la Chambre des comptes à titre de commissaire du Roi[21]. Toutefois par la variété des articles qui composent, tant en recettes qu'en dépenses, les budgets de Navarre et de Béarn, nous voyons qu'il restait un vaste champ à l'activité de leurs représentants. Le revenu des bois, des moulins à tan ou à drap, des péages, la location de la pêche, le produit des taxes judiciaires, les redevances payées par les paroisses, etc., composaient leurs revenus. Ils les employaient à payer les gages des ministres protestants, des magistrats, des fonctionnaires financiers, des gouverneurs, l'entretien des collèges, des temples, des routes et ponts. Ils ne négligeaient ni l'utile — plantations de pins sur les dunes — ni le luxe : le parc du château de Pau absorbait d'assez forts crédits pour ses serres à orangers, ses rosiers, ses jasmins, ses parterres, allées, tonnelles et cabinets de verdure[22].

Sur un plus large théâtre, les États de Languedoc montraient la même intelligence des intérêts de leurs commettants ; aux dix-septième et dix-huitième siècles, en matière de travaux publics, ils firent des merveilles[23]. Sous Richelieu le Languedoc eut le malheur d'avoir pour gouverneur le duc de Montmorency, dont la révolte coïncida avec une mesure fort impopulaire dans la province : la tentative d'établissement des tribunaux d'élections. Le brillant duc Henri avait hérité ce grand gouvernement de son père, qui lui-même le tenait du sien, et y avait régné vingt ans en souverain (de la Saint-Barthélemy à l'avènement de Henri IV). C'était une dynastie ; mais à qui la faute ? Le caractère de la maison de Montmorency, écrivait Bullion, est si avant empreint dans la province qu'ils ne croient le nom du Roi qu'imaginaire, et ces peuples manqueraient entièrement à leur devoir si je ne vous donnais avis qu'il est nécessaire de tenir promptement les États. Ainsi la représentation provinciale était invoquée, par un confident du cardinal, comme un contrepoids à l'exécutif provincial. Mais le ministre croit avantageux d'englober l'un et l'autre dans la même réprobation. Il affirme que, depuis douze ans, le gouverneur avait levé indûment 22 millions en Languedoc, et parle des dettes du pays qui sont montées à des sommes effroyables. Or ces allégations sont pures fables : les députés qui accordaient si chichement à la couronne l'impôt qu'ils envoyaient annuellement au trésor, n'étaient pas plus prodigues des deniers des contribuables, quand ils devaient servir aux besoins locaux. Le Roi, qui reprochait amèrement aux assemblées de diocèses les emprunts qu'elles avaient contractés, ne se gênait pas pour leur vendre quatre millions la suppression des agents fiscaux qu'il venait à instituer malgré leurs plaintes, alors qu'il n'ignorait pas que ces quatre millions ne tomberaient pas du ciel dans la caisse de la province, et qu'elle devrait se les procurer de façon ou d'autre. Les finances des États étaient au contraire aussi habilement ménagées que celles du gouvernement central l'étaient peu. L'impôt indirect, dit de l'Équivalent, perçu pour le compte du Roi, aux frontières du Languedoc, par les États qui s'en étaient rendus adjudicataires, rapportait, en 1626, 268.000 livres ; quand on le leur reprit, pour l'affermer à un particulier, il tomba tout à coup à 200.000 livres. Il fut ainsi moins profitable à la France, tout en étant sans doute plus onéreux aux Languedociens.

Au milieu de l'inquiétude que causait à cette pétulante région la crainte d'un bouleversement imminent de son système financier, Montmorency lance son manifeste de factieux. Ce manifeste, comme tous les documents de ce genre, s'efforçait d'aviver les mécontentements : Si je prends les armes, s'écriait-il, c'est pour défendre vos libertés et vos privilèges, que les ennemis particuliers de cette province nous veulent ravir par l'introduction des élus... Il n'est pas besoin que je vous fasse entendre l'autorité légitime que j'ai depuis longtemps sur vous, pour vous obliger à n'en reconnaître point d'autres[24]... Le pays ne broncha pas. Ce grand seigneur s'abusait ; il se trouva seul avec ses bandes payées. Les habitants l'aimaient, ils virent tomber sa tête avec désolation, le pleurèrent et portèrent son deuil : l'année suivante, dans ces joyeuses villes du Midi, il n'y eut point de carnaval[25]. On prit le cardinal en haine, mais le patriotisme, l'amour du Roi ne fut pas un instant affaibli. On se trompait donc quand on disait à Richelieu : Si la volonté de Sa Majesté est de châtier M. de Montmorency, il ne faut point s'attendre que ce puisse être dans Toulouse. Toulouse laissa faire ; et cependant on doit comprendre que si la province, une partie seulement de la province : les villes, ou la noblesse, ou les protestants, avaient fait cause commune avec le gouverneur, la victoire n'eût pas été facile au pouvoir royal.

Richelieu le comprit sans doute, car il respecta par la suite l'organisation fiscale du Languedoc, et n'attaqua pas directement les États, se bornant à maintenir les restrictions qu'un édit, promulgué dans l'effervescence de la lutte, avait apportées à leur indépendance[26]. Ces États de Languedoc comptaient une centaine de députés : pour le clergé, l'archevêque de Narbonne, président, et dix-neuf évêques ; pour la noblesse, un comte (le possesseur du comté d'Alais), un vicomte (le titulaire de la vicomté de Polignac), et dix-neuf barons héréditaires[27], plus un des douze barons du Vivarais, et un des huit barons du Gévaudan siégeant chacun à leur tour les premiers tous les douze ans, les seconds tous les huit ans. Le tiers se composait de soixante-quatre députés nommés par les bonnes villes et les diocèses de la province. La foule des municipalités semi-rurales et des communautés du plat pays étaient à peine représentées. Mais elles auraient pu l'être plus tard. Le mouvement s'opéra en sens contraire : les premiers consuls étaient, sous Louis XIII, en Languedoc aussi bien qu'en Provence, invariablement députés aux États en vertu de leur poste. La magistrature urbaine était jugée inséparable du mandat provincial ; mais la magistrature urbaine elle-même étant annuelle et élective, la députation bourgeoise se trouvait renouvelée sans cesse et librement élue[28]. Il n'en fut plus ainsi sous Louis XIV, où les offices municipaux devinrent vénaux et héréditaires. Maires par le droit de leur bourse et non plus issus du suffrage de leurs concitoyens, les membres du Tiers ne pouvaient avoir même figure que leurs devanciers. Assis à côté de prélats nommés par le Roi, non par le clergé comme au temps jadis, et de gentilshommes chaque jour amoindris et domestiqués davantage, ces personnes constituaient plutôt, aux derniers jours de la monarchie, un conseil de notables qu'une délégation indépendante du pays.

Du temps de Mazarin, au contraire, on négociait encore avec eux. L'intendant sonde adroitement les dispositions des États sur l'octroi qu'ils feront au Roi[29]. Il annonce que la plus saine partie de l'assemblée augmentera ou diminuera sa libéralité selon les descharges qu'elle obtiendra... que les deux premiers ordres, à l'exception de quelques envoyés, témoignent un grand zèle pour le service de Sa Majesté, et que le tiers état, quoique méfiant, se conduit avec telle prudence qu'il faut espérer qu'on ne rompra pas entièrement...

 

IV

ÉTATS DE PROVENCE. — Assemblées de communautés, procureurs du pays ; le « chaperon d'Aix ». — Budget de la province, cadastre public. — Défauts du particularisme. — Révolte de Provence, en 1630. — Les Cascaveous blancs et bleus ; désordres et pillages. — La cour doit céder ; ses rapports avec la province demeurent difficiles. — La France forcée d'abdiquer la liberté pour conserver la royauté.

ÉTATS DE DAUPHINÉ ET DE BOURGOGNE. — Leur gestion ; ils corrigent les abus du pouvoir central. — Suppression des États de Dauphiné, en 1628. — Autonomie de certaines fractions de province ; Etats de Bresse, d'Auxonne ; assemblées de diocèses du Languedoc. — Richelieu respecte le rôle administratif des États.

 

En Provence, le self-government était peut-être plus fortement organisé que partout ailleurs : outre les États, qui se tiennent tantôt à Aix, dans le réfectoire du couvent des Frères Prêcheurs, auxquels on donne pour leur dérangement une modeste indemnité de trente à quarante livres, tantôt à Tarascon ou dans quelque autre cité de médiocre importance[30], les Provençaux possédaient — était-ce un souvenir des municipes romains ? — des assemblées générales de communautés et un comité de procureurs de pays, investis de pouvoirs exécutifs permanents pour l'expédition des affaires de la province. Ce qui n'empêchait pas chacun des trois ordres, même le corps de la noblesse si disloqué partout ailleurs, de se réunir et de délibérer séparément sur ses intérêts particuliers, d'avoir ses syndics nommés deux ou trois ans à l'avance. Un commissaire délégué par le Roi faisait l'ouverture des États[31], mais les députés, élus par vigueries, — on y voyait fort peu de membres de droit[32] — prenaient tout de suite possession d'eux-mêmes. Sitôt nommé, leur président s'empressait de prononcer un discours pompeux, dans le goût du temps, avec un souffle de tranquille indépendance, que plus tard on ne retrouvera plus. Les États traitent les affaires à leur gré, transigent, s'engagent au nom de la province pour des tiers, font des procès comme parties principales ou intervenantes, subventionnent les entreprises d'utilité publique, les lettres, les arts ; le Roi leur exprime le désir de les voir acheter un beau cabinet d'antiques, mais il ne les force en rien dans leur sphère[33]. De leur côté, ils envoient des députations au Roi pour lui exprimer leurs doléances, comme aux provinces voisines pour revendiquer ce qu'ils estiment leur être dû. Leur comptabilité s'étend à tous les services civils ou militaires, depuis les appointements de cet intendant de justice, police et finances, qu'ils voient d'un si mauvais œil, jusqu'à ceux des maîtres des courriers et dépêches, des messagers, muletiers, porteurs de paquets, du lieutenant général et des gouverneurs de places fortes, des officiaux de diocèse, des essayeurs de la monnaie, de l'ingénieur ordinaire du pays.

Ils caressent et se défendent : l'achat de tapis et autres présents destinés à M. Phélypeaux, secrétaire d'État, ayant le département de la Provence, côtoie dans leurs registres les frais de voyage d'un référendaire en la chancellerie d'Aix, chargé par eux d'une enquête sur les exactions et abus commis par les employés de la douane récemment établie à leurs frontières. A une époque où l'État ne sait pas encore garder ses papiers, la province conserve soigneusement ses archives, et sait se faire rendre, quels qu'en soient les détenteurs, tous les titres et dossiers qui lui appartiennent. Quoiqu'en certaines occasions les membres des États s'engagent, par serment, à ne pas violer le secret des délibérations, les finances provinciales ne craignent point, comme les finances royales, d'affronter le plein jour ; chacun sait ce que paye son voisin, et combien chaque ville possède de feux ; la liste en est imprimée. Les cadastres municipaux, si soigneusement dressés et révisés plusieurs fois par siècle, en Provence comme en Dauphiné, permettent de dresser l'état des immeubles dont les habitants sont propriétaires, aussi bien dans le lieu de leur domicile qu'au dehors[34]. Faut-il pourvoir à la subsistance des troupes de passage ou de garnison ? Les États répartissent le fardeau, puis centralisent les dépenses. Les communautés riches doivent aider les pauvres et reçoivent 6 pour 100 d'intérêt de l'argent qu'elles avancent. Que le règlement de ces créances ne soit pas toujours aisé, qu'il suscite des procès de vingt ans entre la province et la commune, c'est le vice inhérent à l'extrême liberté de l'une et de l'autre. L'autonomie a ses exagérations : par exemple, quand les États revendiquent pour eux seuls les attributions de police générale ; elle a sa mesquine étroitesse : quand la noblesse de Provence, convoquée à l'arrière-ban de 1639, entend se prévaloir du privilège qu'elle tenait de Charles IX de ne pas servir le Roi hors des limites de sa province[35].

Les procureurs du pays, cette autre institution qu'on ne trouve que chez les anciens sujets du roi René, se divisaient en procureurs-nés ou inamovibles et en procureurs-joints, élus chaque année par les trois ordres. L'archevêque d'Aie était le premier procureur du pays ; le second était le premier consul d'Aix. C'est ce dernier qui donne aux ordonnances du gouverneur le visa, l'attache comme on dit, indispensable pour qu'elles reçoivent leur exécution. La prééminence du chaperon d'Aix, c'est-à-dire de la mairie capitale, est si grande, que celui qui le possède est partout logé et visité par les autres consuls de cette petite république, et que jamais en sa présence aucun d'eux ne parait avec son propre chaperon sans qu'il le lui permette[36]. Quand un étranger entre dans l'assemblée des procureurs du pays en vertu d'ordres royaux qui lui conféraient cette charge (1637), une véritable révolution s'était accomplie. Non sans difficulté, à vrai dire : dès 1624, les États protestaient contre une nouvelle procédure organisée pour l'apurement des comptes des paroisses et demandaient la révocation du président de Chevry, intendant de la province. En 1629, le pouvoir central voulut établir la mille personnelle et le système fiscal qu'elle comportait ; les protestations redoublèrent et les citoyens provençaux offrirent neuf cent mille livres au Roi pour éloigner d'eux ce fléau, les agents financiers du Roi. Le marché fut accepté au Louvre avec mauvaise humeur. Les députés de Provence, écrit Marillac à Richelieu, exagèrent les foules et oppressions en termes tragiques... l'évêque de Sisteron portait la parole, son discours était fort aigre, il semblait qu'ils eussent sauvé la France par leur don...

Peu après, la cour revint sur sa parole et envoya les intendants d'Aubray et de la Poterie, avec mission de faire exécuter l'édit des élections. Les États, qui se tenaient à Perthuis, sous la présidence du sieur de La Roque, président au parlement, avaient hautement annoncé qu'ils maintiendraient les libertés du pays par toutes sortes de voies. D'Aubray, installé à Tarascon depuis cinq mois, n'osait encore se montrer à Aix ; il y entre cependant le 19 septembre 1630. Le peuple se soulève aussitôt, le tocsin sonne, l'hôtel du gouverneur est investi, on cherche à enlever l'intendant qui y loge. Le parlement aide ce dernier à prendre la fuite ; il s'évade par-dessus les toits. Déjà la foule se répandait dans la maison dont elle avait forcé les portes, et brûlait les meubles, les bagages et le carrosse du nouvel arrivé. Un voyageur qui tombe à Aix au milieu de cette bagarre raconte qu'une nuée de pauvres l'arrêtaient par la ville, lui demandaient si le Roi continuait à vouloir les élus, et juraient, en s'arrachant les cheveux et en foulant leurs chapeaux à leurs pieds, qu'ils se laisseraient plutôt couper la gorge que de les recevoir. Le Midi fut de tout temps la terre classique des exagérations de parole, mais ce jour-là il était exaspéré : ces braves gens croyaient voir partout des traitants, ils avaient démoli un immeuble appartenant au savant Peiresc, pour le punir de l'avoir loué à un promoteur de l'impôt sur le revenu. Richelieu et d'Effiat, surintendant des finances, avaient été par eux rôtis en effigie sur un bûcher. Peu à peu les séditieux s'arment et s'organisent ; rangés sous la bannière du Cascaveou grelot suspendu à un ruban blanc, — ils prennent pour chefs les neveux du président Coriolis et un peu le président lui-même, font des autodafé de mobiliers, d'enragées parties de pillage et rasent des maisons jusques à une toise au-dessus de terre. Ils enjoignent, par voie d'affiches, aux suspects de sortir de la ville, les poursuivent du reste au dehors, arrachent leurs vignes dont ils promènent les ceps en triomphe, et dévastent leurs forêts. Deux mille hommes vont, tambour battant, mettre à sac le château de Forbin-Labarben, consul que l'on soupçonne d'être gagné par la cour, et les habitants d'Aix menacent ceux de Toulon, qui ne veulent pas se joindre à eux, d'aller couper les oliviers autour de leurs murs.

Un pamphlet, intitulé La vérité provençale au Roi, est distribué à profusion : Je suis la vérité, y lisait-on,... l'ambition et l'avarice me retiennent depuis longtemps à la porte de votre palais. Je me suis habillée à la provençale, portant la livrée de l'ancienne fidélité de ce pays envers ses princes, pour vous faire mes représentations. Les peuples doivent contribuer de tous leurs biens et de tout leur sang pour conserver la dignité de leurs rois, et la garantir contre leurs ennemis ; mais les rois sont obligés de faire tout ce qui est requis au bon gouvernement de l'État. Ces deux obligations ont rapport à une même fin qui n'est autre que la félicité commune. La prudence et la bonté des princes doit aussi garder ses mesures, et modérer cette grande puissance en sorte qu'il n'y ait pas de charge extraordinaire... Ce langage, on doit en convenir, n'était pas autrement révolutionnaire. Le peuple estimait que le Roi ne pouvait attenter à ses privilèges sans renverser l'acte fondamental qui unissait la province à la couronne, il demandait le maintien du statu quo, rien de plus. D'ailleurs l'émeute ne tardait pas à se diviser : un parti de gentilshommes, adversaires à la fois des prétentions royales et des folies populacières, se forme pour combattre les mutins. Au grelot à ruban blanc des exaltés ils opposent un grelot à ruban bleu, avec cette devise : Fouero (dehors) les élus ! Vive le Roi ! Les cascaveous bleus, qui avaient à leur tête le premier consul, chassèrent d'Aix le président Coriolis, chef reconnu des cascaveous blancs et ses affidés. On se battit dans les églises, sur les places publiques, dans les couvents. Un religieux en habits sacerdotaux, l'ostensoir en main, arrache avec peine aux mains d'énergumènes les victimes qu'ils s'apprêtaient à égorger.

Le parlement, comme la municipalité, était partagé en deux camps ; il offrit néanmoins sa protection à l'intendant, qui ne se soucia pas de rentrer dans une ville d'où il avait failli ne pas sortir vivant ; les magistrats, tout en adressant à Paris des remontrances, dont les porteurs furent, au débotté, incarcérés à la Bastille, cherchaient sans y parvenir à réprimer les troubles ; et tout en cherchant à réprimer les troubles ils interdisaient, sous le bon plaisir de S. M. — formule quelque peu plaisante — d'acheter aucun des offices d'élus nouvellement créés, à peine de dix mille livres d'amende. Le gouvernement dut se résoudre à envoyer le prince de Condé, avec une armée suffisante pour rétablir l'ordre, et de pleins pouvoirs pour accorder à la province la révocation de l'édit contre lequel elle s'était soulevée[37]. Le Roi céda en somme, et les Provençaux, qui s'étaient retranchés, en armes et pourvus de vivres, au pied de la montagne Sainte-Victoire, ne rentrèrent dans leurs foyers qu'après avoir reçu l'assurance du pardon. Plusieurs des meneurs furent toutefois condamnés à mort ou aux galères, mais par défaut ; on avait eu soin de les faire sauver auparavant. Quant à la ville d'Aix, elle fut obligée aux réparations civiles des dommages causés dans son enceinte, et privée pendant trois ans du droit d'élire ses consuls. Il subsista longtemps une irritation vague dans toute la région : Ce grand peuple, mandait au cardinal le lieutenant général Soyecourt, ne sait ce que c'est que d'aimer son prince ni de lui obéir. Et pourtant Louis XIII, racontant son voyage de 1620 en Provence, avait dit : J'ai été reçu à Arles comme un seigneur, à Marseille comme un roi et à Aix comme un Dieu. Le parlement fut le plus durement frappé : plusieurs membres interdits, d'autres déférés au conseil d'État, le corps entier exilé à Brignoles. Le président de Coriolis s'était réfugié à Barcelone, où il donnait des leçons de droit pour vivre ; ses biens avaient été confisqués. Repris plus tard sur le territoire français qu'il traversait en allant à Avignon, il fut enfermé à la tour de Bouc, dans un cachot qui n'était même pas à l'abri des injures de l'air, et où il n'avait d'autres meubles qu'une paillasse, une vieille caisse qui lui servait de siége et de table, et un verre. C'est dans cette prison que l'infortuné magistrat termina ses jours ; devenu aveugle, dit-on, vers la fin de sa vie, mais demeuré plein de dignité dans la mauvaise fortune[38].

Depuis cette révolte jusqu'à la fin du règne, on n'autorisa qu'avec une extrême répugnance les tenues d'assemblées provençales ; plus d'une fois le Roi écrivit aux gouverneurs, tentés de se laisser fléchir, et leur défendit formellement de réunir les communautés, parce que cela pourrait donner lieu au peuple d'augmenter ses plaintes, et rendre plus fortes ses oppositions à mes volontés (1635). A peine la cour toléra-t-elle la libre élection des procureurs du pays, à cause de l'humeur de ces gens-là et des brigues faites à cette occasion, qui semblent renouveler les anciennes cendres. Sa Majesté déclare en effet (1637) âtre très-étonnée que les consulaires d'Aix, après avoir promis de nommer de nouveaux consuls affectionnés à son service, en aient élu d'autres à qui il y a tant à dire... Je n'aurais pas différé un moment, continue le prince, de casser leur élection et de séparer la procuration du pays du consulat d'Aix, si je n'avais considéré que venant de leur faire la grâce de les rétablir dans le pouvoir de choisir leurs consuls, au moment du départ du comte d'Alais pour la province, afin de lui donner plus de crédit à son arrivée, il arriverait un effet contraire, si je changeais ce qui a été fait, avant même qu'il s'y fût rendu. Je lui mande donc d'ordonner à ces nouveaux procureurs d'imposer la subsistance sous trois jours... Sourdis, qui tenait pour les moyens expéditifs, exposait ainsi la situation à de Noyers : Les procureurs du pays, recevant les ordres du Roi, craindront d'être personnellement responsables devant lui, tandis qu'une assemblée de consuls qu'on ne connaît pas, et qui retournent prendre le manche de leur charrue quand ils ont quitté leur chaperon, ne craignent pas l'autorité du Roi, mais tout au plus celle du gouverneur qui leur envoie des troupes à loger ou leur donne du bâton... Le Roi, concluait-il, aura donc plus d'action sur les procureurs du pays et le gouverneur sur les communautés rurales[39].

Ces luttes entre le monarque et ses sujets prouvent, il nous semble, que le reproche, fait si volontiers et par tout le monde à l'ancienne France, de n'avoir pas eu le goût de la liberté, de n'avoir su ni la fonder ni la défendre, n'est pas absolument juste. Nos pères tenaient à la fois à leurs libertés — qu'ils appelaient aussi leurs droits ou leurs privilèges, mais le substantif a peu d'importance — et à leur monarchie. L'une et l'autre avaient pour eux le prestige de la tradition, de l'ancienneté, si grand jadis, si nul aujourd'hui : jusqu'à la Révolution, le roi de France n'écrit jamais en Provence sans prendre la qualité de comte de Provence, ni en Dauphiné sans prendre celle de Dauphin ; et si la commune de Grignan demande, en 1788, à être représentée aux États de sa province, c'est à cause de son chapitre avec doyen crossé et mitré et des onze cures du comté[40]. Mais quand la royauté cessa de vivre en bonne intelligence avec les libertés locales, qu'elle prétendit les exproprier, il fallut que les peuples choisissent entre ces libertés et cette royauté ; ils durent renoncer aux unes ou renverser l'autre. Ils abdiquèrent ; en Provence comme en Dauphiné, comme en Bourgogne, comme partout ; mais leur abdication fut contrainte et douloureuse. Le tempérament politique du Français est éminemment conservateur, il l'engage à passer beaucoup de choses aux gouvernements qu'il aime et à les supporter longtemps encore alors qu'il ne les aime plus. Et puis, notre aïeul du dix-septième siècle avait-il tort d'aimer cette dynastie capétienne qui avait poussé sur son sol, qui était si bien sienne, dont l'histoire était son histoire ? Comparée aux autres familles qui fournissaient alors des maîtres à l'Europe, elle leur est évidemment très-supérieure, plus respectueuse de l'équité, plus soucieuse de ses devoirs ; car si elle a beaucoup demandé au pays, elle lui a aussi beaucoup donné. Ces exactions violentes de Richelieu, qui l'amènent à fouler aux pieds des droits, aussi respectables en vérité que le droit royal, qui par là provoquent des résistances et des rébellions, comprimées avec peine par la terreur ; ces exactions n'avaient pas pour but de satisfaire aux passions ou aux caprices d'un monstre ou d'un fou couronné, comme il s'en est rencontré bon nombre au sommet des empires. C'était le rétablissement de l'ordre intérieur, depuis quatre-vingts ans troublé par les querelles religieuses ; c'était l'indépendance nationale à l'extérieur, par une assiette plus solide du royaume à l'Est et au Nord, qu'elles allaient servir.

Ce que nous nous disons là aujourd'hui, les gens d'autrefois ont dû se le dire. Ils ont cédé ; s'ils n'avaient pas voulu céder, il est hors de doute que ni Richelieu, ni après lui Mazarin, ne l'auraient emporté sur eux malgré eux. On ne peut pas dire que la France de 1640 approuva tout ce que fit Louis XIII, parce qu'elle assista impassible aux levées de boucliers de Rohan, Montmorency, Orléans ou Soissons, pas plus qu'on ne pourrait dire que la France de 1792 donna son assentiment aux massacres de septembre, parce qu'elle ne se joignit ni aux Vendéens, ni aux émigrés ; mais, dans le premier cas, la masse de l'opinion publique ne voulait pas détruire la monarchie, comme dans le second elle ne voulait pas détruire la Révolution. De ce qu'une génération, qui suivait presque immédiatement celle de la Ligue et à qui le maniement du mousquet n'était pas devenu si étranger, puisqu'elle sut encore s'en servir sous la Fronde, n'ait pas poussé jusqu'au bout une opposition armée où la royauté des Bourbons pouvait sombrer, comme sombra peu après celle des Stuarts, il ne s'ensuit pas que le gouvernement absolu frit plus populaire en France qu'en Angleterre. Mais, de 1620 à 1650, il fut mieux personnifié, mieux représenté de ce côté-ci du détroit que de l'autre. L'Angleterre elle-même n'avait-elle pas supporté presque sans se plaindre, sous Henri VIII et Élisabeth, les excès d'un despotisme que compensaient certains avantages ? Lorsqu'elle envoya Charles Ier à l'échafaud, ce ne fut pas seulement parce que son père et lui avaient voulu tout faire seuls, mais aussi parce qu'ils avaient tout mal fait.

Qui pourrait nier le ferment d'amertume que laissa, en 1628, l'abolition des États provinciaux, au cœur de ce Dauphiné qui, le premier sous Louis XVI, dans les nobles discours de Vizille, réclama la convocation des États généraux[41] ? Décrire la constitution provinciale du Dauphiné, celle de la Bourgogne, et les assauts qu'elles subirent toutes deux, nous obligerait à des redites. En Dauphiné, les procureurs du pays s'appellent des syndics ; l'un d'eux est plus spécialement chargé des communautés villageoises. En Bourgogne, les députés se nomment les élus de la province ; ceux du tiers état sont choisis par l'assemblée générale des habitants, portent une robe violette et touchent une indemnité de quarante livres pour la session. En Bourgogne comme en Dauphiné, leur pouvoir financier est aussi étendu que leur gestion est habile et leur sollicitude minutieuse : chaque année, ils s'occupent de distribuer des livres de prix aux principaux collèges de la province. La Bourgogne émet des rentes et trouve aisément prêteurs au taux de 4 pour 100, tandis que l'État, qui paye le double, en trouve à peine[42]. Le Dauphiné laisse ses paroisses recouvrer la taille à leur guise : elles la mettent en adjudication, et la perception ne leur coûte que 3 à 10 pour 100, dans les plus mauvaises années, tandis que le Trésor donne communément 25 pour 100. Au dix-huitième siècle, les frais de recouvrement descendent, dans le département actuel de la Drôme, jusqu'à 1 ½ pour 100. Parfois, la province se faisait fermier du Trésor pour certains impôts indirects ; partout, les pays d'États corrigent les abus de l'administration centrale. Aussi ne doit-on rien croire de l'édit royal qui déclare, avec bonhomie, prendre la direction de la caisse provinciale, afin que les contributions de nos sujets étant levées par nos officiers et les cueillettes de nos deniers faites par bon ordre... il ne reste rien à ordonner pour le soulagement et contentement de notredite province... Notredite province suppliait le Roi, au même moment, de la laisser tranquille et faisait entendre d'unanimes protestations[43].

La Bourgogne avait protesté de même, et la sédition de Dijon avait paru aux autorités locales assez légitime ou assez menaçante pour que le lieutenant de Roi et le premier président fussent restés chez eux sans bouger. Les émeutiers ne cédèrent par la suite qu'après avoir vu périr environ cinq cents des leurs[44]. Qu'on ne croie pas au reste que les pays d'États soient seuls le théâtre des rébellions, ni que la liberté relative dont ils jouissaient entretint sur leur territoire une effervescence dangereuse. La Guyenne, le Lyonnais, le Poitou, ne sont pas arrêtés par l'absence d'organes accrédité, qui puissent transmettre à Paris leurs doléances. Pour les faire écouter, les paysans d'Angoumois n'ont qu'à décrocher de leur mur ces armes qu'ils tiennent toujours fort propres et en fort bon état ; à l'occasion d'un impôt vexatoire sur les boissons, cinq mille vignerons s'assemblent dans une prairie de Saintonge (à Matha) et y dressent des articles intitulés du nom d'arrêts, dont je vous envoie une copie, écrit l'intendant au chancelier, par laquelle vous verrez, Monseigneur, qu'encore que ce lion s'apprivoise, à force d'espérances qu'on lui donne, il retient toujours quelque chose de son naturel farouche et cruel. En effet, le Roi avait beau dire au gouverneur que ces mouvements de peuple le fâchaient au point qu'on ne pouvait lui rendre service plus agréable qu'en contribuant à les éteindre... ; il avait beau envoyer contre les rebelles d'Angoumois trois régiments d'infanterie et neuf compagnies de cavalerie, la résistance de ces Croquants des côtes de l'Océan fut plus difficile à vaincre (1636) que, trois ans après, celle des Nu-Pieds du littoral de la Manche ; et il fallut, pour en venir à bout, non-seulement suspendre la levée des impôts projetés, mais même charger des personnes sages et bien intentionnées d'exposer de vive voix le contenu des ordonnances qui les abolissaient, tellement la population était surexcitée et méfiante[45].

En pays d'élections, chaque ville, isolée dans son individualité propre, ne traitait guère avec ses voisines que par l'intermédiaire du pouvoir central. C'est ce pouvoir qui, par lui-même ou par ses agents, intervenait dans toutes les entreprises où l'association était de rigueur. En pays d'États, où l'association était de droit commun, on ne s'adressait même pas à la représentation provinciale pour les affaires qui, dépassant la compétence ou les forces d'une agglomération communale, n'intéressaient pourtant qu'une fraction de la province. Le Dauphiné est divisé en mandements, la Provence en vigueries, qui ont leur existence propre et leurs budgets. En Bourgogne, la Bresse, le Bugey, le pays de Gex, le comté d'Auxonne, possèdent même leurs État, particuliers, — ceux d'Auxonne furent supprimés en 1640 sous de futiles prétextes[46]. Le Languedoc était partagé en diocèses, les diocèses en jugeries, ayant pour chef-lieu une ville-maîtresse. Les diocèses, comme les jugeries, ont leurs assemblées d'assiette qui se réunissent chaque année dans un des bourgs, à tour de rôle, quinze jours après les États de la province, pour répartir les subsides accordés au Roi ; comme des conseils d'arrondissement qui siégeraient alternativement dans chacun des chefs-lieux de canton. Mais ces parlements en miniature ne sont pas de simples bureaux d'enregistrement des décisions de commis subalternes ; ils ont des attributions étendues, un domaine où ils se meuvent librement sans que personne s'y puisse immiscer, des agents élus par eux et périodiquement renouvelables. Si les députés sont entretenus et nourris pendant leur session de quelques jours, ils n'en sont pas moins ménagers des deniers publics, et l'on voit fréquemment revenir dans les comptes des excédents de recettes dont les années précédentes se sont trouvées grasses. Le fonctionnarisme centralisateur de la monarchie absolue combattit avec acharnement cette autonomie si raisonnable ; Louis XIV créa, en chaque assemblée de diocèse, une charge de président perpétuel qu'il vendait. On avait déjà, sous le règne de son père, réduit le rôle de ces délégations ; on y avait introduit, sous le nom de commissaires, des surveillants expédiés de la capitale. Il est juste néanmoins de reconnaître que, s'il retirait à ces mandataires du pays, grands et petits, tout rôle politique, Richelieu conservait à peu près intact leur rôle administratif[47].

 

 

 



[1] M. HENRI MARTIN écrit (Histoire de France, t. XIII, p. 57) : En pays d'États, les officiers municipaux faisaient contracter à leurs villes des emprunts sans proportion avec les ressources et les besoins. On peut juger à quelles conditions : ils étaient eux-mêmes les préteurs !... C'est là une grosse injustice ; au contraire ces officiers municipaux y étaient le plus souvent de leur poche. M. H. Martin s'est fait l'écho d'allégations intéressées du pouvoir central. Un édit d'octobre 1632 débute en disant : Nos pauvres sujets de la province de Languedoc sont dans une extrême nécessité à cause des levées qui ont été faites sur eux, sans lettres patentes du Roi, scellées de son grand sceau... On a vu précédemment (dans notre t. II, Finances) que les pays où fonctionnaient ces lettres patentes se plaignaient constamment et très-fort, et que les autres s'opposaient énergiquement à l'introduction des procédés de recouvrement que le grand sceau autorisait.

Les États de Provence annoncent, en 1606, que M. d'Oraison, premier consul d'Aix, MM. du Bar, de Pontevès et autres, considérant le dénuement où se trouve la province, ont renoncé à réclamer les sommes considérables qu'ils avaient le droit d'exiger en vertu de lettres patentes. Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C. 10.

[2] C. LE BRET, Souveraineté du Roi, p. 646.

[3] Voyez les travaux de M. LAFERRIÈRE, et les États provinciaux de la France sous Charles VII, par THOMAS.

[4] En 1611, 89 prêtres, 5 nobles, 25 bourgeois dont les noms sont cités, et plusieurs autres en grand nombre. On ne constate, parmi les ecclésiastiques, ni abbés ni prieurs. L'ordre de la noblesse dans le même bailliage ne compte que 10 votants en 1618, 8 en 1623, 6 en 1620, et 2 en 1626. DE BEAUREPAIRE, États de Normandie, I, 227 ; III, 19.

[5] Voyez notre tome I, États généraux.

[6] Ils devaient inviter les habitants du plat pays par l'entremise des sergenteries, à envoyer quelqu'un des paroissiens pour assister à ladite élection, à peine de nullité d'icelle.

[7] DE BEAUREPAIRE, Cahiers des États de Normandie, I, 168, 220, 250, 252, 344. La province donnait aussi des gages aux trois commissaires royaux.

[8] DE BEAUREPAIRE, ibid., I, 169, 207. Voilà, Sire, concluent-ils, un abrégé de la nécessité en laquelle vit votre peuple, qui roule incessamment sa pierre du haut en bas, sans jamais lui être donné une minute de repos.

[9] DE BEAUREPAIRE, ibid., I, passim, et II, 123.

[10] DE BEAUREPAIRE, ibid., I, 144, 180, 192, 312.

[11] Voyez FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 538, 585.

[12] Comte DE CARNÉ, États de Bretagne, I, 271, 276, 293. Aucun octroi ne peut être accordé aux villes directement par le Roi, mais la demande, d'abord soumise aux États, est adressée au prince seulement après leur approbation. — Les comptes des villes et de la province allaient du reste à la Cour des comptes de Nantes pour y être vérifiés. (Arch. dép. Loire-Inférieure, B. 1,407 ; 1,1608.)

[13] Lettres et papiers d'État, IV, 287 ; VII, 729. — Arch. dép. Loire-Inférieure, B. 1,337. — DE CARNÉ, États de Bretagne, I, 275, 291.

[14] Les États de Bretagne se tiennent à Rennes en 1621, à Nantes en 1622 et 1623, à Ploërmel en 1624, à Guérande en 1625. Les années précédentes ils s'étaient tenus à Vitré, à Saint-Brieuc, etc.

[15] 9 évêques, 9 chanoines, 40 abbés commendataires.

[16] Ib., ibid., I, 259. — Arch. Guerre, XXXI, 7.

[17] BRIENNE, Mémoires, 45. — DE CARNÉ, États de Bretagne, I, 278, 283. — RICHELIEU, dans ses Mémoires (I, 398), analyse le discours prononcé, au nom du Roi et en sa présence, par Marillac (1626) au parlement de Rennes : Leur sûreté les obligeant à garder leurs côtes par bonnes garnisons, le Roi voulait lever des troupes à cet effet dans la province, afin de ne se servir que d'eux-mêmes pour eux-mêmes, mais ne trouvant pas les fonds, et craignant que, n'étant pas bien payés, ses soldats ne soient à la charge du peuple, il a changé de dessein, pour leur bien, et préfère leur envoyer de ses vieux régiments payés sur le trésor.

[18] Lettres et papiers d'État, VII, 728. — DE CARNÉ (loc. cit.), I, 289, 292, 402. — La contribution directe ou des fouages pour laquelle on avait, en 1626, créé des receveurs en titre d'office, était le sujet de dissensions permanentes entre les États et le Parlement. Ce dernier prétendait avoir droit de contrôler la perception.

[19] Sous la régence du duc d'Orléans (1719), Montaran, trésorier des États de Bretagne, qui refuse de rendre ses comptes, en est dispensé par le gouvernement. Le fait fit grand bruit clans la province, et plusieurs Bretons, dit-on, entrèrent là-dessus dans la conspiration d'Albéroni. (DUCLOS, Mémoires secrets, p. 549.)

[20] Le Bigorre était abonné à 16.614 livres de tailles, plus 7.000 livres pour la conservation des privilèges. Là-dessus il gardait 3.000 livres pour des frais locaux. Le Roi n'en tirait par conséquent que 78 livres, en moyenne, par village. (Bib. Institut, mss. Godefroy, t. 135, f. 214.)

[21] Édit de septembre 1633. Les procès-verbaux des délibérations durent, à partir de cette date, être envoyés à la Chambre des comptes. — Arch. dép. Pyrénées-Orientales, B. 392.

[22] Arch. dép. Basses-Pyrénées, B. 187 et suiv.

[23] Voir le mémoire sur les États de Languedoc inséré dans le recueil de l'Académie de Législation de Haute-Garonne et l'Agriculture dans le pays toulousain par THÉRON DE MONTAUGÉ, p. 76.

[24] Aff. Étrang., t. 802, f. 339 ; t. 803, f. 69 et 107. — RICHELIEU, Mémoires, II, 27, 421. — Lettres et papiers d'État, IV, 365. — Bail de l'Équivalent du 21 octobre 1626.

[25] Le Frère Nallot, de l'Ordre des Prêcheurs, écrit à Richelieu (1633) : La mémoire du duc de Montmorency est encore si fraîche en ces quartiers qu'elle a eu plus de crédit que la crainte de Dieu, abolissant cette année tous les crimes du mardi gras, à Montpellier... le regret de sa perte étouffait le souvenir de la débauche. Aff. Étrang., t. 809, f. 93.

[26] L'édit d'octobre 1632 leur interdit de rester plus de quinze jours en session, à peine de nullité de ce qui aura été traité au bout de quinze jours. Les greffiers (secrétaires) des 22 diocèses ne durent être choisis désormais que du consentement et en la présence du trésorier de Fiance qui représentait le Roi à l'assemblée diocésaine.

[27] Ceux de Florensac, d'Ambres, de Calvisson, de Castries, de Mirepoix, de Villeneuve, d'Arques, de La Gardiolle, de Castelnau, de Castelnau-Bonnafous, de Clermont, de Rouveyroux, de Lanta, de Ganges, de Couffoulens, de Rieux, de Saint-Félix, d'Estratefons et de Lodève. C’étaient les baronnies qui avaient droit de séance et non les barons. De ces 19 fiefs la baronnie de Mirepoix est la seule qui soit restée dans la même famille Jusqu'à 1789.

[28] Arch. dép. Haute-Garonne, C. 815 ; Bouches-du-Rhône, C. 21. DE BASTARD, Parlements de France, I, 57. — BENOÎT se plaint (Hist. de l'Edit de Nantes, II, 526) que les premiers consuls seuls allant aux États, au nom de leurs villes, et les réformée ne pouvant être que deuxièmes consuls, ils se trouvaient privés de prendre part à l'administration provinciale.

[29] Bib. nat. mss. Franc. 18,510, f. 176. Le budget des dépenses du Languedoc se décompose ainsi (1632) :

1° Frais des États et gages des officiers (On imposait en outre 11.160 livres pour l'indemnité des députés du tiers, à raison de 6 livres par jour pour les quinze jours de voyage, aller et retour, et les quinze jours de session.)

50.000

livres

2° Rentes des recettes particulières

225.000

3° Rentes des recettes générales et maîtres des postes

220.400

4° Solde des garnisons

240.000

5° Gages des gouverneurs de places

9.600

6° Gardes du gouverneur et frais des contrôleurs des guerres

25.700

7° Réparation des fortifications

12.000

8° Ponts et chaussées

40.000

9° Appointements du gouverneur, lieutenant général et autres

70.000

10° Trésoriers de la bourse de Languedoc

9.000

11° Gendarmerie

282.000

12° Gages des prévôts des maréchaux

13.000

Total ..........

1.196.700

livres

 

[30] On décorait le local pour la circonstance de tapisseries dont la location, chez quelque marchand du lieu, ne coûtait pas plus de 5 à 6 livres. Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C. 10, 15, 16.

[31] Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C. 17,108. Ce commissaire avait rang immédiatement après le gouverneur. Gallifet, président aux enquêtes, qui remplissait cette mission en 1628, eut à ce sujet une contestation très-vive avec l'archevêque d'Aix qui refusait de lui céder le pas. CABASSE, Parlement de Provence, II, 35.

[32] Les députés de Marseille venaient à l'assemblée des communautés les années dont le millésime était pair, ceux d'Arles venaient les années impaires. Dans les sessions où ils ne siégeaient pas de droit, chacun d'eux était admis avec voix délibérative.

[33] Ils font imprimer à leurs frais (1609) une Histoire de Provence, qui est ouvrage de grand travail dû au Sr Nostradamus ; ils avaient pensionné l'auteur durant les années précédentes. Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C. 9 et 10.

[34] Arch. com. de Toulon, CC. 241, 380, 387, 388. — Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C. 9, 20, 23,236, 518, 611, 612, 620 ; de la Drôme, E. (passim) pour les cadastres. Le feu est l'unité administrative en matière de contributions directes dans les pays d'États.

[35] Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C. 16, 17, 108. — Arch. com. Toulon, CC. 241.

[36] Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C.10,12, 20, 23, 25, 372. — CABASSE, Parlement de Provence, II, 11. Les procureurs-nés du pays prétendaient avoir droit de convoquer de leur propre autorité les procureurs-joints ; le parlement estimait qu'ils ne pouvaient le faire sans une autorisation royale.

[37] Aff. Étrang., t. 794, f. 22 ; t. 797, f. 109. — Arch. dép. Bouches-du-Rhône, C. 14, 16. — J. BOUCHARD, Voyage à Rome, en 1630, p. 115. — CABASSE, Parlement de Provence, II, 87.

[38] Les autres furent graciés au bout de quelques années ; le président de La Roque, les conseillers de Villeneuve et d'Espagnet obtinrent de revenir séjourner à Aix pendant trois ou six mois. Ils montrèrent la même fierté de caractère, déclarant que tout ce qu'ils avaient souffert leur était doux, puisque ç'avait été pour défendre les libertés de la patrie. Le confident de Richelieu, qui lui rapportait ceci, ajoute : Ces paroles sont plus séditieuses qu'elles ne semblent, surtout en cette province où ils sont assez disposés à faire pis. Aff. Étrang., t. 800, f. 95 ; t. 809, f. 172. — Arch. Guerre, XXIV, 32 ; XXV, 142, 143. — CABASSE, Parlement de Provence, II, 16.

[39] Correspondance de SOURDIS, I, 537 et suiv. — Arch. Guerre, XXIV, 42.

[40] Arch. dép. Drôme, E. 5,743.

[41] On convoqua deux ou trois fois encore les États, sur l'avis des intendants, notamment en 1635 à Valence, mais ils n'avaient plus que l'ombre de leur autorité. Arch. Guerre, XXIV, 96, 268. — On voit un règlement général du 25 juin 1636 fait du consentement des trois ordres de la province, mais rien ne prouve qu'ils se soient réunis cette année-là.

[42] Arch. com. d'Avallon, AA. 28, 40 ; DD. 27 ; EE. 2 ; GG. 82. — Aff. Étrang., t. 800, f. 113. — Arch. Guerre, LVI, 165.

[43] Arrêt du Conseil d'État du 15 mars 1628, révoquant la permission donnée aux Etats de racheter des offices d'institution récente à un partisan qui les avait acquis. Édit de juillet 1628 créant des trésoriers, procureurs, contrôleurs, etc. ; en somme un édit fiscal. — Arch. dép. de l'Isère, B. 3,264, 3,299 ; de la Drôme, E. 4,997, 5,134, 5,139, 5,460, 5,999. A Dieulefit, en 1644, il y a cinq cents habitants dont la taille s'élève à 800 livres. — Un arrêt du conseil du 17 janvier 1636 autorisait les Etats à racheter une surtaxe de quarante sous par minot de sel.

[44] Aff. Étrang., t. 806, f. 93, 94, 97. — A partir de 1658, ce fut le ministère qui fixa le montant de l'impôt, et l'indépendance des États disparut. BAUDOT, États de Bourgogne. (Congrès scient. Auxerre, 1858, p. 217.)

[45] Arch. Hist. de Saintonge et Aunis, VII, 307, 310. — Arch. Guerre, XXVIII, 23, 73, 164, 182.

[46] Arrêt du Conseil d'État du 16 mars 1640. — Arch. dép. de la Côte-d'Or, C. 2,093 ; de l'Ain, C. 339 ; des Bouches-du-Rhône, C. 572 ; de l'Isère, B. 2,775 et passim. Les communautés chefs de viguerie ou de mandements avaient une sorte de prééminence sui' les autres. — DE BEAUREPAIRE, États de Normandie, I, 321.

[47] Aff. Étrang., t. 794, f. 70. — Arch. dép. de Lot-et-Garonne (Meilhan BR. 1) ; de Haute-Garonne, C. 408, 705, 710, 711, 714, 817. Les assemblées de diocèse s'occupent de la perception des impôts, des rôles, des frais accessoires qui s'y rattachent, réparent les chemins, les églises, les ponts, les fortifications, soit en régie, soit par forme de subventions aux communes ; font la police de la navigation, lèvent les troupes, les payent et achètent les munitions ; empruntent, donnent des secours aux hôpitaux, aux écoles, etc., etc.